De la jeunesse belliqueuse à la délinquance juvénile
Jeunes, violence et urbanité dans les sociétés médiévales et modernes (1300-1850)
p. 53-74
Texte intégral
1« Nous trouvons que les enffans de nostre temps sont plus vilz et beaucoup pires que n’estoyent les enffans du temps passé (Dieu l’amende de sa grace) »1. C’est en ces termes qu’en 1555, le juriste brugeois Joos de Damhouder décrivait les jeunes de son époque. Les plaintes formulées à l’encontre d’une jeunesse qui serait pire que les générations antérieures ne sont donc pas neuve. Dans le discours actuel des médias ou de l’opinion, les jeunes sont particulièrement associés à la violence. Ce rapprochement, réel ou supposé, est-il également valable pour les époques anciennes ? La réflexion proposée ici s’articulera autour du triptyque jeunesse, violence et ville. La « jeunesse » n’est pas une constante anthropologique, elle est une construction sociale et culturelle. Il conviendra dès lors de déterminer en premier lieu comment la société d’Ancien Régime a construit sa perception du jeune et de la jeunesse. Seront interrogés ensuite les comportements violents des jeunes : la violence leur est-elle attribuée de manière spécifique ? Quelles formes prend cette violence ? Et comment les institutions judiciaires ont-elles traité les violences juvéniles ? Enfin, l’espace urbain sera envisagé tant comme facteur étiologique de la violence que comme cadre de la disciplinarisation de la jeunesse violente.
1. La jeunesse dans la société médiévale et moderne : une classe d’âge spécifique ?
2Depuis plusieurs décennies, des travaux ont tenté de déterminer si la société occidentale médiévale et moderne envisageait une construction spécifique du jeune et de la jeunesse2. L’ouvrage de Philippe Ariès, consacré à L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime3, contribua à l’intérêt des chercheurs pour cette question, en réaction à son hypothèse selon laquelle l’adolescence serait largement inconnue avant le xixe siècle. Auparavant, la transition de l’enfance vers l’âge adulte serait rapide et relativement simple, sans phase intermédiaire. À cette conception, plusieurs historiens ont opposé un modèle de la durée de la phase entre enfance et maturité, même si le terme « adolescence » est peu utilisé4, et que tous s’accordent à dire que, pour l’époque médiévale tout particulièrement, « définir les limites de la jeunesse reste un problème pour l’historien »5, « cerner l’âge qui caractérise la jeunesse n’est pas chose facile »6. Différents critères peuvent être considérés comme indicateurs de la jeunesse d’un individu (célibat, dépendance vis-à-vis des aînés, précarité de la situation professionnelle, force physique,…) mais ils ne renvoient pas à un âge précis7. Pour certains, le mariage constitue le moment de l’entrée réelle dans la vie adulte ; pour d’autres, c’est la naissance du premier enfant qui met fin à la jeunesse. En Artois ou dans le centre-ouest de la France, l’individu commence à quitter le groupe des jeunes au moment de son mariage. Cependant, la solidarité avec ses compagnons ne disparaît que lentement, probablement avec la naissance de son premier enfant, événement qui l’agrège définitivement au monde des adultes8. Pour d’autres encore, ce qui en constitue le terme, c’est le « plein établissement qui fait de l’héritier le maître dans le groupe familial comme dans l’échoppe ou sur les terres »9. Les critères déterminant la jeunesse sont aussi dépendants de la question du genre et du statut social : pour les filles du patriciat vénitien, le mariage constitue la fin de cette période de la vie ; pour les garçons, les critères sont liés davantage à la sphère publique, notamment à l’accession aux fonctions du gouvernement de la cité10. En Poitou, le mariage ne suffit pas à classer la jeune épouse parmi les adultes11. Les frontières de la jeunesse sont donc floues. Elle apparaît moins comme un temps biologique que comme un temps social, relativement long, qui précède l’établissement dans une terre, un métier, une famille. Les médiévaux reconnaissent bien une période de la vie précédant l’entrée dans l’âge adulte, ou âge de raison. Les jugements des contemporains englobent dans une réprobation quasi unanime ceux qu’ils qualifient de « jeunes » ou ce qui a trait à la jeunesse12 La jeunesse est généralement assimilée à un état « d’ivresse » ou de faiblesse mentale, rendant la personne irresponsable de ses actes. Par « la chaleur de leur sang », les jeunes hommes sont enclins à « batailles et riotes »13, et au désordre. Les excès et folies propres à cette période de l’existence – masculine essentiellement – engendrent donc la réprobation des aînés. Mais les archives de la pratique, en particulier celles produites par les instances judiciaires, rendent-elles compte d’un lien réel entre jeunesse et violence ? Les jeunes sont-ils plus violents, plus agressifs, plus turbulents que les aînés, comme bien des lieux communs le suggèrent déjà au Moyen Âge14 ?
2. La jeunesse : un temps spécifique dans la pratique de la violence ?
3Tout comme la jeunesse, la violence est un phénomène socialement construit plutôt qu’une réalité objective. Elle n’existe en définitive que dans le rapport entre une force, qu’elle soit exercée ou subie, et le dépassement du seuil de tolérance à cette force, dépassement qui la fait ressentir comme étant de la violence. Pour certains chercheurs, tout rapport de domination est assimilable à de la violence ; pour d’autres, la violence est limitée à « l’exercice de contraintes sur le corps ou l’honneur d’un individu » (injures, coups, homicide)15. Cette deuxième acception sera celle retenue ici comme définition de la violence.
4Pour Nicole Gonthier, la « présence d’une population jeune semble une cause décisive de l’augmentation des crimes de violence dans une ville […] viols collectifs, rébellions aux sergents, assauts homicides, rixes mortelles en taverne, tapage nocturne, insultes ou blasphèmes sont principalement l’œuvre de bandes de jeunes gens »16 Dans la ville d’Oxford au xive siècle, les taux d’homicide particulièrement élevés seraient liés à la présence d’une forte population estudiantine17 Dans sa récente synthèse sur l’évolution de la violence du Moyen Âge à l’époque contemporaine, Robert Muchembled met l’accent sur la place prépondérante des « jeunes hommes à marier » (20-30 ans) en tant qu’acteurs de la violence homicide (ils représenteraient entre 35 et 45 % des coupables d’homicide), dans une société d’Ancien Régime où les moins de 20 ans représentent 40 % de la population18. L’agressivité des jeunes s’expliquerait par une plus grande propension à se laisser guider par leurs sentiments, leurs pulsions, et serait l’expression d’une frustration face à leur situation d’attente : attente sur le marché matrimonial où ils entrent en concurrence avec les adultes ; attente de l’accession aux fonctions de gouvernement dans la ville ; attente de remplacer le père dans le lignage et la boutique19
5Du xive au xvie siècle à Namur, ville moyenne des anciens Pays-Bas, 79 % des jeunes sont poursuivis pour des affaires de violence interpersonnelle20 Pour les adultes, la proportion est de 62 %. À Bruges par contre, durant la même période, les jeunes garçons sont proportionnellement moins poursuivis que les adultes pour faits de violence : 59 % des jeunes condamnés le sont pour violence, contre 67 % des adultes21. Si les jeunes semblent donc bien afficher un penchant prononcé pour la violence, les autres groupes d’âge y sont aussi largement confrontés. À Namur, moins de 30 % des affaires de violences impliquent des jeunes. À Bois-le-Duc, en Brabant, aux alentours de 1400, les jeunes de moins de 20 ans représentent 40 % des coupables de violence. Cette proportion est de 20 % à Anvers. À Bruges, seulement 15 % des affaires de violence jugées concernent des jeunes22. Leurs comportements violents sont en adéquation avec ceux de leurs aînés. La plupart du temps, cette violence a pour but la défense de son honneur et/ou de celui de son groupe de parenté, l’honneur étant un élément essentiel d’insertion dans la communauté et de construction de la masculinité23. Les vendettas, ou guerres privées, impliquent tous les membres des lignages, et les jeunes hommes y jouent un rôle de premier plan, tant dans le combat que dans le règlement des conflits : le chef de guerre, habilité à mener la vengeance contre un lignage adverse et à conclure un accord pour y mettre fin, est souvent le fils aîné de la victime24. Par ailleurs, les violences commises par les jeunes le sont essentiellement envers des personnes appartenant au même groupe d’âge ; les violences intergénérationnelles constituent une exception25 D’après l’analyse des lettres de rémission accordées par le roi de France à la fin du Moyen Âge, les jeunes sont proportionnellement moins grâciés pour coups et blessures et homicide que leurs aînés, mais davantage lorsqu’ils commettent un vol ou un viol, témoignant d’une plus grande tolérance vis-à-vis de la violence sexuelle juvénile, qui leur serait davantage spécifique26 Dans la cité médiévale de Dijon, Jacques Rossiaud a montré la prépondérance numérique des viols nocturnes commis par de petites bandes de jeunes célibataires (les « jeunes fils » et compagnons à marier représentant 85 % des violeurs, dont la moitié a entre 18 et 24 ans)27. Ces agressions sexuelles collectives constitueraient à la fois l’expression de leur mécontentement face à un ordre matrimonial qui leur est défavorable et un rite de « virilisation », d’admission dans une bande juvénile28. Les résultats obtenus pour Bruges offrent cependant une image contrastée de la violence sexuelle des jeunes hommes : sur seulement 39 poursuites pour viol en 165 ans, 5 impliquent un jeune auteur29. Des résultats comparables sont constatés pour Namur. On ne peut dès lors conclure à une « violence latente, caractéristique de la jeunesse »30 à la fin du Moyen Âge, ni à une stigmatisation des comportements violents des jeunes (comme d’ailleurs de leurs aînés) par le système judiciaire. La jeunesse est en effet aussi l’objet d’une certaine indulgence. Aux yeux des juges médiévaux, elle constitue une circonstance atténuante31. Il ne s’agit pas cependant d’un principe fixe : les juges décident selon les cas de prendre ou non en compte la jeunesse de l’accusé. Il n’existe pas de loi ou de coutume spécifique concernant le jugement des jeunes. Les enfants de moins de 7 ans sont en principe tenus pour incapables de discernement, irresponsables. La maturité pénale est fixée de manière générale à 14-15 ans, sans constituer une règle absolue : des personnes de moins de 14-15 ans peuvent être condamnées pour leurs méfaits alors que d’autres plus âgées ne sont pas nécessairement punies de la même façon que leurs aînés. La manière de punir les jeunes déviants dépend d’une multiplicité de facteurs : le type de délit, le statut social du contrevenant, son origine géographique entrent également en ligne de compte. L’âge n’est donc pas le seul critère à jouer un rôle dans l’obtention de circonstances atténuantes. La société médiévale tolère certains comportements de la part des jeunes hommes de la communauté, notamment ayant trait à la violence. Un changement est perceptible de ce point de vue à partir du xvie siècle, alors qu’une criminalisation progressive de la violence se met en place, sous l’action conjuguée des villes et/ou de l’État.
3. La ville, un cadre de pacification de la violence et de la disciplinarisation des jeunes ?
6L’historiographie a insisté sur le caractère criminogène, en particulier générateur de violence, des cités médiévales32. La violence fait alors partie du cadre normal de la sociabilité33, et elle est largement tolérée. Au cours du Moyen Âge, les pouvoirs urbains ont cependant développé des mécanismes de contrôle de la violence interpersonnelle, afin d’éviter des vendettas sans fin en leurs murs. En particulier, un éventail de pénalités financières, de compensations aux victimes, de mesures d’interdiction du port d’armes dans la cité, etc. devait permettre l’endiguement de la violence, avant que les solidarités familiales ne soient mobilisées et n’engendrent des réactions de vengeance. La ville est donc aussi un cadre de pacification34. Dans les cités médiévales, se sont par ailleurs développés d’autres moyens d’encadrement de la violence de la population juvénile. Les corporations de métiers offraient aux apprentis, sous le contrôle des maîtres, une forme d’enseignement. De ce point de vue, l’apprentissage peut être considéré comme un « rite de passage économique » vers le monde adulte35. Les règlements de métiers prévoyaient des sanctions internes envers les débordements violents de leurs membres36. Les « serments » d’archers, d’arbalétriers, etc. permettaient aux jeunes, sous la direction d’adultes, de pratiquer des démonstrations et jeux d’armes37Autre possibilité d’utilisation de la force physique juvénile, les milices urbaines comprenaient dans leurs rangs les jeunes hommes de la ville, qui contribuaient à la surveillance et à l’arrestation des auteurs de violences et débordements nocturnes38. L’instauration de bordels publics par les autorités urbaines ou ecclésiastiques, permettant un accès des jeunes célibataires à la sexualité, était par ailleurs sensée éviter les agressions sexuelles à l’encontre des jeunes filles et femmes mariées39. Tant qu’elle s’inscrit dans les limites du « beau fait » (vengeance, défense de son honneur ou de son intégrité physique ou de celle des membres du lignage, légitime défense), la violence des jeunes, comme celle de leurs aînés, peut s’exercer sans que la communauté urbaine ne s’en trouve menacée.
7Un changement se produit au cours des xve-xvie siècles, alors qu’éclate l’unité de la Chrétienté. En Italie, dans les Pays-Bas ou en Allemagne, les autorités urbaines initient une tentative de « disciplinarisation » des populations40 Les citadins prennent conscience de l’existence de menaces, tant extérieures (vagabonds, brigands) qu’intérieures (violents, débauchés, hérétiques, sorcières, etc.). Ils manifestent une volonté d’une plus grande sécurité à l’intérieur de la cité, qui rencontre celle de monarques désireux affermir leur autorité sur ces populations41
8Ce « réveil éthique » se manifeste par la poursuite des comportements sexuels déviants, des injures et blasphèmes, par le contrôle plus étroit des bordels, des tavernes, des fêtes et des jeux, etc.42. Les jeunes font partie des publics ciblés particulièrement par cette disciplinarisation. Pour contrôler les jeunes indisciplinés, les communautés italiennes les organisent en fraternités religieuses43. À Goerlitz, la notion de « discipline » est évoquée par le Conseil de ville à partir des années 1530, visant essentiellement les femmes et les jeunes44. Ces derniers sont présentés par les intellectuels, notamment les réformateurs et les humanistes, comme plus fous et sauvages qu’avant45. Ils en rendent responsables le manque de discipline instaurée par les parents, et prônent la création d’écoles et de structures d’éducation, spécialement pour les enfants pauvres, pour remédier à ce danger46. Les magistrats urbains partagent cette conception47 : une école est créée à Bruges pour accueillir les garçons pauvres en 1514, suivie quelques années plus tard par une autre, réservée aux filles ; au cours du xvie siècle, un système d’assistance aux pauvres est mis en place dans des dizaines de villes européennes48. Les jeunes deviennent donc l’objet d’un intérêt spécifique dans les ordonnances de police49, surtout en lien avec le vagabondage, progressivement criminalisé50, et la mendicité51. Le xvie siècle, période d’instabilité économique, est caractérisé par une forte mobilité de la population. Ce style de vie ne conduit pas nécessairement à une carrière criminelle mais pousse dans plus d’un cas ces itinérants au vagabondage. Les jeunes, nombreux parmi ceux-ci, risquent une condamnation non pas tant parce qu’ils sont jeunes et, à ce titre, « dangereux », que parce qu’ils sont vagabonds. Ce genre de vie les met en contact avec des opportunités criminelles qu’ils n’auraient probablement pas rencontrées en tant que sédentaires. En outre, ce statut de « vagabond » entraîne une suspicion automatique, un stigmate de criminalité. Les autorités ont tendance à traiter ces jeunes sans attaches, sans capital social comme des adultes au regard de leur engagement professionnel supposé dans le crime et donc à les punir en conséquence. Dans les écoles créées pour accueillir les enfants pauvres, une attention est portée à la formation religieuse et morale, mais aussi à l’apprentissage d’un métier. Cette formation entend éviter que ces futurs adultes ne glissent vers l’errance et l’oisiveté, mais aussi permet de leur inculquer de nouvelles normes de comportements.
9Un autre milieu de socialisation important est le monde du travail. Les relations entre apprentis et maîtres dans les corporations restent vivaces, notamment en Angleterre52
10Dans leur communauté, les jeunes mâles deviennent les défenseurs des nouvelles normes dans le cadre des groupes de jeunesse. La jeunesse est chargée de défendre et de venger la communauté contre ceux qui n’en respectent pas les valeurs53. Ces groupes ont en effet des fonctions sociales, ils intègrent les jeunes dans la vie de la cité et permettent de canaliser leur violence sous une forme ritualisée54, en faisant d’eux des « gardiens du désordre »55 Les jeunes sont les surveillants des conventions sexuelles et du mariage : ils marquent la réprobation de la communauté envers les unions mal assorties, contre-nature en organisant des charivaris56. La violence juvénile est donc « mise au service des adultes dans une optique de contrôle des mœurs déviantes »57
11Parallèlement à cette volonté urbaine de discipliner les populations, la violence se trouve progressivement dévalorisée, sous l’action des pouvoirs centraux, qui veulent s’arroger le monopole de l’usage de la violence légitime. L’homicide, puni de plus en plus systématiquement de mort, est progressivement défini comme un crime, la violence comme une atteinte aux ordres divin et humain58. Les anciennes modalités de contrôle de la violence, développées par les villes au cours de l’époque médiévale, sont remplacées par des sanctions qui blessent le violent dans sa chair (peines corporelles, peine capitale) et dans son honneur (amendes honorables)59, traduisant un basculement d’une justice médiévale taxatoire vers une justice moderne punitive60 Cette volonté étatique et les moyens mis en œuvre pour la concrétiser contribueront également à l’intégration de normes de comportements anti-violents par les populations urbaines.
12Dans ce processus, un lien explicite entre jeunesse et violence n’est pas évident. Robert Muchembled, postulant d’emblée que l’homicide est essentiellement le fait de jeunes hommes, interprétait récemment cette « révolution pénale du xvie siècle » comme destinée à discipliner spécifiquement les jeunes, via la poursuite criminelle des jeunes garçons homicides et des jeunes filles infanticides. « En orientant ses foudres vers l’adolescence masculine et féminine, elle contribue à développer une conception profondément défiante de ce stade de l’existence »61. Mais, en définitive, la violence juvénile est surtout perceptible à partir de la question de la violence, plus explicite que celle de la jeunesse. Si les jeunes hommes sont considérés dès l’époque médiévale comme sujets à « bataille et riottes », leurs manifestations de violence ne présentent pas un caractère spécifique et ne sont pas stigmatisées par la justice. Dans les villes se développent cependant des modes de contrôle permettant de contenir la violence des populations, et donc aussi celle des jeunes. Dans un second temps, la dévalorisation croissante des crimes de sang, traduite par des législations et des pratiques punitives plus sévères sous l’action de pouvoirs centraux, se conjugue avec les efforts des autorités urbaines pour inculquer de nouvelles normes de comportements en matière sexuelle, religieuse, ou de sociabilité. Loin d’être un facteur de violence, la ville apparaît comme le lieu où la violence a été précocement prise en charge. Les justices urbaines médiévales ont lutté contre l’éthique de la vengeance, et de ce fait, ont largement contribué à la disparition de cette éthique, avant la construction des États nationaux aux xviiie-xixe siècles.
4. Jeunes et sociétés en révolutions (1750-1850). La naissance de la « délinquance juvénile »
13Cet encadrement juvénile mené depuis les troubles du xvie siècle par les pouvoirs ecclésiastiques et laïcs, connaît de fortes transformations au xviiie siècle et plus particulièrement durant la période 1750-1820. Sur le continent, les guerres révolutionnaires et le développement de l’Empire napoléonien changent les cadres politiques et militaires d’Ancien Régime et rendent malaisée l’observation des changements d’attitude vis-à-vis des jeunes. En Angleterre, cependant, les changements sont davantage visibles. Vers 1830-1840, une vague de publications savantes, de débats parlementaires ou d’articles de presse dénonce une véritable « montée de la délinquance juvénile ». Les historiens anglais Heather Shore et Peter King ont particulièrement étudié cette « panique morale » et les réalités sous-jacentes à sa formation, notamment dans l’activité des juridictions pénales, l’attitude des jurys ou la transformation des sanctions à l’égard des jeunes62
14Après 1815, en Angleterre, les chercheurs constatent une double augmentation du nombre de ces « Juveniles » et de leur proportion parmi les auteurs d’infractions jugées qui contribue à la naissance du problème « délinquance juvénile »63 Cette augmentation apparaît dans une conjoncture d’industrialisation et d’urbanisation concentrée dans les grandes villes et de montée des angoisses envers les jeunes après les guerres napoléoniennes.
15Peter King s’intéresse au lien établi entre l’augmentation du nombre de jeunes devant les cours, l’industrialisation et l’urbanisation. Au terme d’analyses fondées sur des données locales, il établit trois observations majeures pour la période 1780-1820. L’absence d’indication précise de l’âge des présumés délinquants entraine d’une part une sous-évaluation du nombre de jeunes délinquants avant les années 1790 et d’autre part témoigne des mentalités des victimes, des juges et des jurys pour lesquels l’âge est un facteur d’écartement du système pénal.
16La montée du taux de jeunes parmi les délinquants poursuivis se fait aussi bien dans les villes que dans certaines zones rurales. Enfin, cette croissance est constatée autant dans des villes à forte croissance industrielle (Manchester, Liverpool, Birmingham) que dans des régions plutôt en stagnation (Bristol).
17Par ailleurs, examinant les modes de sanction de ces jeunes, Peter King met au jour plusieurs stratégies pénales exercées par les magistrats, les jurés ou les administrateurs. L’imposition d’une amende nominale, l’utilisation de la fustigation sans autre peine, la diminution des exécutions capitales et le recours à des expériences d’emprisonnement, tendent à introduire les jeunes dans le circuit pénal alors qu’auparavant ils en étaient écartés, notamment en raison de l’argument d’incapacité de nuire jouant en leur faveur (doli incapax). Dans une conjoncture économique reposant sur le travail précaire des jeunes, King conclut au désir des classes dirigeantes de discipliner la jeunesse plutôt que de l’ignorer. Le développement de discours sur la « délinquance juvénile » nourrit et se nourrit des poursuites plus fréquentes, fréquence modifiée par la transformation de l’action des victimes et les mesures pénales. Les villes apparaissent comme le lieu d’émergence du problème, mais pas nécessairement comme le facteur contextuel déterminant l’origine de la perception. « The cities were the key locations, but it was the minds of the victims as well as the actions of the juvenile poor that generated the unprecedent rise in juvenile delinquency between the 1780s and the 1820s »64.
18Dans cette construction sociale de la délinquance juvénile par les élites urbaines, la violence a peu de place. Ce sont les crimes contre la propriété qui sont mis en relation avec la jeunesse des voleurs. L’augmentation supposée des vols contribue à modifier la perception de la jeunesse par les adultes vers la perception d’une délinquance juvénile65. L’image qui se répand à partir de la ville de la dangerosité des jeunes peut être résumée par le slogan d’une enquête parlementaire de 1817 citée par Peter King : « The boys mostly become thieves and the girls prostitutes66 ».
19S’efforçant de comprendre le pourquoi de cette transformation des perceptions, King analyse le profil des jeunes judiciarisés et examine l’âge des délinquants dans le cadre de leur cycle de vie pour le Sud-Est de l’Angleterre. Il souligne combien les enfants et les moins de 17 ans représentent une très petite minorité des individus jugés avant 1800. En comparant l’âge des auteurs d’infractions aux biens, pour 1782-1787 (Home Circuit) et pour l’année 1979 (England & Wales), il observe une courbe d’âge similaire, mais rajeunie pour le xxe siècle. En pourcentage le pic est atteint pour 18-24 ans à la fin du xviiie siècle, et autour de 14-18 ans, fin du xxe siècle. La courbe reste similaire conclut-il, bien que les « filtres solides de 1780 » empêchaient davantage les jeunes de 17 et 18 ans de comparaître devant des tribunaux, les protégeant ainsi des peines très lourdes risquées dans le système pénal anglais. Parmi ces filtres, se trouvèrent ceux que dans une étude sur Portsmouth au xviiie siècle, Jessica Warner et Robin Griller observent dans leur analyse sur les agressions sur les mineurs reportées devant les tribunaux. Les familles, en particulier les mères, jouent un rôle important de protection des enfants dans des violences où ces derniers sont souvent compris comme l’extension de leur mère, et pris à partie dans un conflit entre familles. En passant, ils observent que lorsque ces mineurs sont placés hors de leur famille, notamment en apprentissage, ils deviennent bien plus vulnérables, surtout les jeunes garçons (early teens) à des agressions violentes commises par les adultes 67
20Les jeunes adultes (19-25 ans) constituent un autre groupe « à risque » à la fin du xviiie siècle. La trajectoire habituelle des jeunes mâles les faisait quitter leur famille vers 14-15 ans, pour être mis en apprentissage ou en service. L’établissement par le mariage se fait en moyenne vers 26 ans. La mobilité géographique concerne donc une période de dix années, que les contemporains considéraient comme la jeunesse (Youth).
21Dans le système judiciaire anglais, où les procédures sont alimentées par les victimes, celles-ci sont davantage mobilisées dans leur plainte par le vol.
Le rôle dominant joué par les adolescents et les jeunes adultes parmi les accusés du xviiie siècle reflète l’interaction entre les manières dont les jeunes gens réagirent à leur situation variées en commettant des crimes et les manières dont leurs victimes réagissent à ces crimes.
La mobilité, l’absence de racines, leur force physique et la perception qu’ils étaient capables de commettre des actes éruptifs et incontrôlables peuvent avoir créé une anxiété plus grande et dès lors avoir motivé une proportion plus importante de victimes à les poursuivre. Le problème majeur auquel les jeunes adultes dans leurs tentatives pour éviter la poursuite pour vol durent faire face fut le manque de tout argument de poids en faveur d’un traitement clément68
22Complétés par les études sur la transformation de l’enfermement des mineurs, ces travaux établissent d’une part la chronologie (1780-1820), de l’autre le contexte économique et social (migration entrainées par les transformations sociales) enfin les formes de la menace mises en exergue (vol) dans cette construction sociale discursive sur la « montée de la délinquance juvénile ». La figure-clé des représentations focalisant la peur des plus nantis est le jeune en quête d’emploi migrant vers les villes. Elle sera scénarisée en feuilleton par Charles Dickens dans Oliver Twist (1837-1839).
5. De la violence au vol : transformation du péril jeune
23En réfléchissant à partir de l’exemple anglais, se pose la question de savoir pourquoi l’usage de la violence physique est-il moins associé à la jeunesse que l’errance ou le vol ?
24Depuis la « révolution militaire » du xvie siècle69, les guerres du xviie et xviiie siècles contribuèrent à canaliser une partie de l’agressivité de la jeunesse masculine au profit des États modernes en formation70 À la sortie des guerres, mobilité de service et de travail et errance des ex-militaires ou déserteurs se combinent pour jeter sur les routes des jeunes sans attache.
25Sur le continent, la perception d’une dangerosité croissante de la jeunesse semble nettement plus tardive. Le mouvement des soldats de l’an II en France, suivi de la loi Jourdan instaurant la conscription introduisent une militarisation durable des jeunes mâles. Les périodes de retour à la paix s’avèrent plus dangereuses pour l’ordre public (au moins en termes de perception du risque), en particulier en matière de crimes contre les biens, en raison du grand nombre de jeunes adultes démobilisés. Le phénomène culminera après les guerres napoléoniennes, grandes dévoreuses de chairs juvéniles. Cependant en Europe continentale, la fin du régime napoléonien ne manifeste pas une vague de « peur juvénile » envers les soldats démobilisés dans les différents pays. En Europe sous domination française, les peurs se concentrent sur le vagabondage et sa forme plus brutale, le brigandage. En effet, de 1780 à 1810, les vagues de peur qui concernent les attaques à main armée (l’affaire du Courrier de Lyon), le garrottage ou les chauffeurs en monde rural. Les grandes bandes d’Ancien Régime (Mandrin, Cartouche, la bande juive) ou les bandes de la Révolution (Baekelant, Orgères ou Schinderhannes71) occupent la presse, les gendarmes et l’armée dans les années 1780-1800.
26Les jeunes alimentent bien entendu ces bandes dont les caractéristiques ont été bien démontrées par Florike Egmond ou Anton Blok72. Comme l’analyse Egmond, le bandit construit par les victimes et les autorités judiciaires et politiques est défini par une triple absence : absence de résidence fixe, absence de propriété, absence de famille établie. Caractéristiques identiques à celle de la jeunesse déracinée relevées par Peter King pour l’Angleterre, qui surexposent les jeunes au risque du banditisme.
27Par retour des choses, le démantèlement des grandes bandes sera présenté par les acteurs judiciaires et politiques, en particulier le général Bonaparte comme une grande victoire de l’ordre sur le désordre, victoire acquise grâce à d’autres jeunes, militaires et gendarmes embrigadés par l’État73
28Si à la fin du xviiie siècle, la première perception de la dangerosité juvénile se manifeste autour de la montée de la peur du vol, ne peut-on pas mettre le phénomène en relation avec la fameuse hypothèse de transformation de la nature de la criminalité au tournant des xviiie et xixe siècle, la « thèse de la transition de la violence au vol » ?
29Certes la violence demeure endémique dans les sociétés occidentales du xviiie et du xixe siècle, néanmoins sa gravité effective diminue. Les taux d’homicide déclinent, d’abord dans les villes, puis dans les campagnes (de 10 à 2 ou 3 homicides par 100 000 h)74 Coups et blessures demeurent des « moyens de communication » en particulier pour les jeunes hommes… Il s’ensuit que la perception de la menace a changé : le risque d’être volé se substitue à celui d’être tué dans une querelle. Dans les régions qui connaissent une amélioration des rendements, dans les bassins industriels en plein développement, et dans les villes motrices des nouvelles habitudes de consommation se multiplient les produits de masse. Les atteintes aux biens deviennent une préoccupation croissante pour ceux qui possèdent, paysans enrichis, commerçants des villes, bourgeoisie ou noblesse intellectuelle ou d’affaires. La figure violente dangereuse cesse d’être le duel juvénile, mais le vagabond-maraudeur, dont la violence est au service de la prédation.
30Sur le continent, il faut attendre les années 1830 et 1840 pour que le problème de la délinquance juvénile apparaisse manifestement comme un problème social nécessitant des réponses étatiques. La crise rurale de 1844-1847 et le développement des enquêtes sociales, font du « jeune vagabond » sans attache une figure de dangerosité pour les États bourgeois, à l’exemple de la France ou de la Belgique75 Comme en Angleterre la transformation de l’image du jeune délinquant pour les élites dirigeantes passe par les innovations pénales plus que par une criminalisation des infractions « juvéniles ». Les pénitenciers pour jeunes constituent pour l’essentiel la réponse – et l’observatoire – d’une classe d’âge jugée dangereuse comme l’analyse Marie-Sylvie Dupont-Bouchat pour la Belgique et Chris Leonards pour les Pays-Bas76
31Ainsi si la jeunesse délinquante devient une « réalité », c’est principalement comme figure support de la peur du vol en milieu rural comme en milieu urbain. Vagabond en groupe ou pickpocket pour les garçons, receleuse et prostituée pour les filles sont progressivement construites comme figures menaçantes de la jeunesse mobile, celle qui alimente les bandes de voleurs comme Oliver Twist ou Gavroche.
32Aujourd’hui, la peur du jeune a changé. Bandes urbaines, jeunes des cités, adolescents tueurs à répétition et enfants meurtriers sont mis en exergue dans les débats médiatiques et publics, comme symptômes d’une violence juvénile qui gangrènerait les espaces urbains. Reste à comprendre comment et pourquoi s’est forgée cette image différente de l’« augmentation de la délinquance juvénile » qui associe, villes, violence et jeunesse.
6. Villes, violence et jeunesse : genèses d’une association
33En replaçant les constructions discursives liant milieu urbain, temps de la jeunesse et concentration de la violence dans les évolutions économiques et sociales d’une très longue durée, les historiens rappellent combien les évolutions même rapides se font sur des soubassements quasi immobiles77 Appliqué à l’association ville – violence – jeunesse, ce paradigme sociohistorique débouche sur une hypothèse : l’apparition de la figure du « jeune délinquant » se détache sur le mouvement long de l’encadrement de la violence physique brutale et son succès.
34Les caractéristiques de la violence comme rituels communicationnels d’une part78, la sensibilité croissante des populations établies à toute forme de violence physique, voire verbale d’autre part contribuent à la réceptivité sociale aux discours sur la menace liant ville, jeunesse et violence. La part d’agressivité physique de l’être humain reste un moyen de communiquer sa souffrance et de défendre son honneur, dans une société qui disqualifie de plus en plus l’usage légitime de la brutalité dans les relations sociales. On a vu que dans la longue période préindustrielle, les communautés rurales comme les communautés urbaines s’efforcèrent d’encadrer la période entre la fin de l’enfance et l’établissement par le métier et le mariage. Cette « jeunesse » est une période variable selon les temps et selon les niveaux sociaux, plus courte pour les paysans puis les manœuvres, plus longue pour les enfants de la bourgeoisie se développant dans les villes. Mis en place par les adultes, abbayes de jeunesse, confréries et corporations, collèges et petites écoles servirent de cadre à une disciplinarisation des pulsions individuelles mais également à un apprivoisement des pulsions collectives de la jeunesse en leur autorisant la police des désordres et des festivités. Les résultats de cette entreprise disciplinaire sont établis, la diminution de la violence létale est essentiellement due à la diminution de l’homicide mâle-mâle, c’est-à-dire des duels et rixes entre hommes jeunes entre le xvie et le xviiie siècle.
35Les élites urbaines – religieuses, civiles et militaires – ont joué un double rôle de pacification des pulsions juvéniles liées à ce long temps d’établissement. Développer dans un premier temps des idéologies (discipline, urbanité, politesse) justifiant de créer des structures d’encadrement (cours princières, écoles, armées) pour « civiliser » les comportements des futurs adultes79 Diffuser ensuite cette « culture de l’urbanité » des villes vers les campagnes (embourgeoisement des groupes populaires, stigmatisation de l’errance).
36Mais alors pourquoi les villes seront associées à la montée du péril jeune, à la différence de la période antérieure au xviiie siècle ? D’abord parce que l’excédent démographique des campagnes vient entre 1780 et 1850 revitaliser des villes en stagnation, ensuite parce que l’industrialisation provoque dans certaines régions une croissance des villes traditionnelles ou l’émergence de villes nouvelles. Enfin parce que, les villes sont le centre où s’exprime pour la première fois le discours de la dangerosité juvénile, parce qu’à la chute de l’Ancien Régime, elles concentrent à la fois les élites bourgeoises et les instruments de leur domination économique et politique sur les États nationaux : la littérature politique et sociale et la presse80
37Lors de la première modernité, la ville est le lieu où s’élabore une nouvelle culture des rapports entre adultes et jeunes, marquée par la disciplinarisation et la civilisation des comportements. Durant la seconde modernité (xviiie-xixe siècle), la ville au contraire est le lieu où se cristallise l’effroi des adultes face aux comportements prédateurs des jeunes pauvres mais aussi où la visibilité du problème juvénile conduit à des expériences nouvelles d’enfermement correctif, comme à Londres, et à la généralisation d’un discours de réforme envers la jeunesse.
7. Archéologie d’une construction sociale
38Les transformations de l’image des jeunes lors de la première (au xvie-xviie siècles) puis de la seconde modernité (xviiie-xixe siècles) ont mis en évidence comment la jeunesse n’a pas toujours suscité de panique, mais combien ces dernières se sont historiquement construites et transformées. Les travaux des historiens soulignent également les préconditions à ces transformations et les interactions entre les changements dans les comportements des jeunes, les réactions des victimes et les effets des systèmes policiers et pénaux dans la construction des discours sur la dangerosité juvénile. Dans ces discours, les villes n’apparaissent pas par hasard tandis que la (crainte) de la violence y occupe une place différenciée.
39En guise d’épilogue provisoire, il nous semble qu’au delà de ces basculements des pratiques et des représentations, ce que pointent les travaux des historiens de l’Ancien Régime est le rôle central de l’intégration au marché du travail et par cette voie à l’établissement social comme mécanisme de sortie de la jeunesse. Le temps de la « jeunesse » se définit en creux comme une période de socialisation, menacée par les crises économiques et conduite par un horizon d’adaptation progressive à l’espoir de « gagner son pain pour s’établir ». Ce qu’avaient compris les communautés rurales et urbaines avant l’État moderne, contraintes ou forcées de négocier avec leurs jeunes les rituels, les tolérances et les limites durant cette période d’incertitude : tant les jeunes qui « font jeunesses » que les adultes qui en sont parfois les cibles, durent apprendre à « ce que jeunesse se passe ». En revanche, l’adjectif « juvénile » associé au substantif « délinquance » évoque entre 1780 et 1840 une peur nouvelle dans le chef des adultes, la crainte d’un blocage du processus, la transformation du jeune indiscipliné en adulte responsable, la menace d’une radicalisation collective de la génération montante en révolte contre ses aînés, et dont les germes de la nocivité doivent être éradiqués au risque d’engloutir la société tout entière. Cette seconde figure du « délinquant juvénile » nourrit toujours les phantasmes du « péril jeune ». Aujourd’hui, cette construction mentale ressurgit sous des formes différentes. Moins qu’une alarme quantitative comme en 1820, dans un contexte de perception – injustifiée – d’une croissance de la violence homicide, l’alarme porte sur le degré de brutalité supposé plus énorme qu’autrefois. La figure de l’enfant meurtrier se surajoute à celle du jeune sauvageon. La peur du vol s’efface devant la peur de la « violence gratuite ». La médiatisation s’est également étendue bien au-delà des élites et touche les couches urbaines fragiles, apeurées par le choc répété des images sanglantes mondialisées. Enfin, il ne faut pas oublier que dans les villes occidentales multiculturelles, l’« intraitabilité » des « jeunes » « violents » cache souvent un discours culturaliste ou ethnicisant dirigé vers les migrants récents, et évacuant la question d’intégration sociale, pourtant rappelée avec insistance par l’histoire longue des jeunesses occidentales.
Notes de bas de page
1 Joos de Damhouder, La practicque et enchiridion des causes criminelles, Louvain, 1555 (imprimé par E. Wauters et J. Bathen), p. 163.
2 Voir notamment Nathalie Zemon Davis, « The Reasons of Misrule : Youth Groups and Charivaris in Sixteenth-Century France », in Past and Present, t. L, février 1971, p. 41-75 ; Claude Gauvard, «De grace especial». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, 2 vol., Paris, 1991 ; Claude Gauvard, « Les jeunes à la fin du Moyen Âge : une classe d’âge ? », in Annales de l’Est, 1982, p. 225-245 ; Nicole Gonthier, Cris de haine et rites d’unité. La violence dans les villes, xiiie-xvie siècles, Turnhout, 1992 ; Barbara A. Hanawalt (ed.), « The Evolution of Adolescence in Europe », in Journal of Family History, t. XVII, fasc. 4, 1992 ; Ilana Krausman Ben-Amos, Adolescence and Youth in Early Modern England, New Haven-Londres, 1994 ; Robert Muchembled, « Die jugend und die Volkskultur im 15. jahrhundert, Flandern und Artois », in Peter Dinzelbacher et Hans-Dieter. Mück (ed.), Volkskultur des europäischen Spätmittelalters, Stuttgart, 1987, p. 35-58 ; Robert Muchembled, « Les jeunes, les jeux et la violence en Artois au xvie siècle », in Philippe Aries et Jean-Claude. MARGOLIN (ed.), Les jeux à la Renaissance, Actes du XXIIIe colloque international d’études humanistes, Tours, juillet 1980, Paris, 1982, p. 563-577 ; Robert Muchembled, La violence au village. Sociabilité et comportements populaires en Artois du xve au xviie siècles, Turnhout, 1989 (Violence et société) ; Jacques Rossiaud, « Fraternités de jeunesse et niveaux de culture dans les villes du Sud-Est à la fin du Moyen Âge », in Cahiers d’histoire, t. XXI, Lyon, 1976, p. 67-102 ; Jacques Rossiaud, « Prostitution, jeunesse et société dans les villes du Sud-Est au xve siècle », in Annales (Economies, Sociétés, Civilisations), t. XXXI, fasc. 2, 1976, p. 289-325 ; Shulamith Shahar, Childhood in the Middle Ages, Londres-New-York, 1990 ; Didier Lett, L'enfant des miracles. Enfance et société au Moyen Âge (xiie-xiiie siècle), Paris, 1997 ; Danièle Alexandre-Bidon et Didier Lett, Les enfants au Moyen Âge, ve-xve siècles, Paris, 1997.
3 Philippe Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, 1960.
4 Sur l’utilisation des termes « adolescentia » ou « adulescens » dans les textes médiévaux, cf. notamment Barbara A. Hanawalt, « Historical Descriptions and Prescriptions for Adolescence », in Journal of Family History, t. XVII, fasc. 4, 1992, p. 341-351 ; Didier Lett, « Le corps de la jeune fille. Regards de clercs sur l’adolescente aux xiie-xive siècles », in Clio. Histoire, femmes et société [en ligne], 4, 1996, qui renvoie à J. A. Burrows, The Ages of Man : A study in Medieval Writing and Thought, Oxford, 1986, p. 80-92 ; James A. Schultz, « Medieval Adolescence : The Claims of History and the Silence of German Narrative », in Speculum, t. LXVI, fasc. 3, juillet 1991, p. 530-532. Ce dernier entend démontrer que dans les textes allemands du haut Moyen Âge, aucune preuve ne peut être trouvée de la conscience d’une période qui correspondrait à notre adolescence contemporaine.
5 Gonthier, Cris de haine et rites d’unité…, p. 46.
6 Claude Gauvard, Alain De Libera, Michel Zink, Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, 2002, p. 776-777
7 « On entre dans la jeunesse après l’enfance, en principe après l’âge de la majorité (12 ans pour les filles, 14 pour les garçons : il s’agit en fait d’une majorité pénale qui correspond à l’âge auquel l’enfant acquiert une responsabilité en matière criminelle) […]. La limite supérieure est fluctuante ». Esther Cohen, « Youth and Deviancy in the Middle Ages », in History of Juvenile Delinquency, t. I, Aalen, 1990, p. 207-210). Nicole Gonthier considère que le groupe des jeunes peut comprendre des personnes de « 14 à 30 ans pour le moins » (Gonthier, Cris de haine et rites d’unité…, p. 46). Pour Jacques Rossiaud, « le mot « jeune » s’applique couramment à des hommes dont l’âge peut varier entre 16-18 ans et 35 à 40 ans » (Rossiaud, « Fraternités de jeunesse et niveaux de culture… », p. 68).
8 Muchembled, La violence au village…, p. 231 ; Nicole Pellegrin, « Représentations de la jeunesse dans le Centre-Ouest du xve au xviiie siècle », in Bulletin de la société des antiquaires de l’Ouest et des musées de Poitiers, série 4, t. XV, 1980, p. 417-418.
9 Rossiaud, « Fraternités de jeunesse et niveaux de culture… », p. 68. Pour Élisabeth Crouzet-Pavan, « Une fleur du mal ? Les jeunes dans l’Italie médiévale (xiiie-xve siècle) », in Giovanni LEVI et Jean-Claude Schmitt (ed.), Histoire des jeunes en Occident, t. I, Paris, Le Seuil, 1996, p. 199-254 (ici p. 203), « le “jeune” se définirait par son intégration socio-économique incomplète ».
10 Stanley Chojnacki, « Measuring Adulthood : Adolescence and Gender in Renaissance Venice », in Journal of Family History, t. XVII, fasc. 4, 1992, p. 371-395.
11 Pellegrin, « Représentations de la jeunesse… », p. 418.
12 Les écrits réprobateurs sur la jeunesse sont le fait essentiellement de lettrés issus des classes dirigeantes ou de religieux (cf. Pellegrin, « Représentations de la jeunesse… », p. 415-417). Sur les comportements négatifs attribués à la jeunesse par les moralistes, les prêcheurs ou la littérature des époques médiévales et modernes, voir entre autres Crouzet-Pavan, « Une fleur du mal ?... », p. 199-254 ; Benjamin Roberts, « On Not Becoming Delinquent : Raising Adolescent Boys in the Dutch Republic, 1600-1750 », in Heather SHORE et Pamela COX (ed.), Becoming Delinquent : British and European Youth, 1650-1950, Hampshire-Burlington, 2002, p. 41-57 ; Benjamin Roberts et Leendert Groenendijk, « Moral Panic and Holland’s Libertine Youth of the 1650s and 1660s », in Journal of Family History, t. XXX, 2005, p. 327-346 ; Voir également H. Soly, « Probleemjongeren in Brabantse en Vlaamse steden, XVIde-XVIIIde eeuw », in Catharina LIS et Hugo Soly (ed.), Tussen dader en slachtoffer. Jongeren en criminaliteit in historisch perspectief, Bruxelles, 2001, p. 101-142, et Krausman Ben-Amos, Adolescence and youth in early modern England…, qui dresse pour l’Angleterre des Temps Modernes un panorama des représentations des jeunes selon différentes thématiques dans les sermons, la littérature, les écrits des intellectuels,…
13 Christine de Pisan, Le livre des fais et bonnes mœurs du sage roy Charles V, cité par Gauvard, « Les jeunes à la fin du Moyen Âge… », p. 235, note 11. « Riote » : querelle, dispute (Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du ixe au xve siècle, 2e éd., vol. 7, Liechtenstein, 1969, p. 200).
14 Pour autant que les sources permettent d’étudier la délinquance des jeunes. En effet, les sources judiciaires médiévales sont souvent peu prolixes sur l’âge des personnes enregistrées. Pour contourner ce problème, Guy Dupont a proposé une méthode pour les archives en langue néerlandaise, basée sur l’analyse des prénoms. À partir notamment de registres de métiers et de « franches vérités », documents qui précisent systématiquement ou presque l’âge des personnes y mentionnées, et où les mêmes personnes apparaissent à plusieurs reprises au cours de leur vie, il a en effet pu établir que la forme du prénom évoluait avec l’âge de la personne. Les diminutifs, les formes raccourcies ou d’autres formes dérivées peuvent dès lors être considérés comme indicateurs du jeune âge. Pour le détail de sa méthode, voir Guy Dupont, « Van Copkin over Coppin naar Jacob. De relatie tussen de voornaamsvorm en de leeftijd van de naamdrager in het Middelnederlands op basis van administratieve bronnen voor het graafschap Vlaanderen, einde XIVde-midden XVIde eeuw », in Naamkunde. Tijdschrift voor naamkunde in het Nederlandse taalgebied, t. XXXIII, fasc. 2, 2001, p. 111-217, résumée dans Guy Dupont., « Patronen van jongerencriminaliteit in een laatmiddeleeuwse grootstad (Brugge, 1385-1550) », in Lis et Soly (ed.), Tussen dader en slachtoffer..., p. 54-57.
15 Xavier Rousseaux, « Jeunes et violences : pour une histoire de rapports de force… », in Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière ». Le temps de l’histoire, n°9 : Violences et jeunesse, 2007, p. 128.
16 Gonthier, Cris de haine et rites d’unité…, p. 47.
17 Carll Hammer, « Patterns of Homicide in a Medieval University Town :Fourteenth Century Oxford », in Past and Present, t. LXXVIII, 1978, p. 3-23.
18 Robert Muchembled, Une histoire de la violence de la fin du Moyen Âge à nos jours, Paris, 2008, p. 70-71.
19 Gauvard, De grace especial…, p. 366 ; Muchembled, La violence au village…, p. 238-245 ; Gonthier, Cris de haine et rites d’unité…, p. 49-51 ; David Herlihy, « Some Psychological and Social Roots of Violence in the Tuscan Cities », in Lauro Martines (ed.), Violence and Civil Disorders in the Italian Cities, 1200-1500, Berkeley, 1972, p. 129-154 ; Guido Ruggiero, The Boundaries of Eros : Sex Crime and Sexuality in Renaissance Venice, New York, 1985, p. 160-162.
20 Sur les modalités d’identification des jeunes dans les archives namuroises, cf. Aude Musin et Élise Mertens de Wilmars, « Consideré son joesne eaige… Jeunesse, violence et précarité sociale dans les Pays-Bas bourguignons et habsbourgeois (xive-xvie siècles) », in Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière ». Le temps de l’histoire, n° 9, 2007, p. 25-46 (ici p. 33-36).
21 Dupont, « Patronen van jongerencriminaliteit… », p. 61-62. Les jeunes sont par contre proportionnellement davantage poursuivis que leurs aînés en matière de délits contre les biens (18-24 % contre seulement 9 % des adultes).
22 Maarten Van Dijck, De pacificering van de Europese samenleving. Repressie, gedragspatronen en verstedelijking in Brabant tijdens de lange zestiende eeuw, Anvers, 2007, p. 243-244 (thèse de doctorat Universiteit Antwerpen, inédite). Dupont, « Patronen van jongerencriminaliteit… », p. 62, tableau 2.
23 Martin Dinges, « Ehre und Geschlecht in der Frühen Neuzeit. Identitäten und Abgrenzungen », in Sibylle Backmann, Hans-Jörg Künast, Sabine Ullmann et B. A. Tlusty (ed.), Ehrkonzepte in der Frühen Neuzeit, Berlin, 1998, p. 123-147 ; Gerd Schwerhoff, « Justice et honneur. Interpréter la violence à Cologne (xve-xviiie siècles), in Annales. Histoire, Sciences Sociales, 62e année, n° 5, septembre-octobre 2007, p. 1031-1061.
24 Élisabeth Crouzet-Pavan, « Une fleur du mal… », p. 222-225 ; Rousseaux, « Jeunes et violences… », p. 129.
25 Cf. l’exemple de Bruges, Dupont, « Patronen van jongerencriminaliteit… », p. 72 (tableau 8).
26 Cohen, « Youth and Deviancy in the Middle Ages… », p. 216.
27 Jacques Rossiaud, La prostitution médiévale, Paris, 1988, p. 30-31 ; Rossiaud, « Prostitution, jeunesse et société… », p. 293-294.
28 De tels comportements sont aussi enregistrés dans les archives judiciaires vénitiennes : Crouzet-Pavan, « Une fleur du mal ?... », p. 213 ; Élisabeth Crouzet-Pavan, « Recherches sur la nuit vénitienne », in Journal of Medieval History, t. VII, 1981, p. 339-356. Cette explication du viol par l’état de nécessité, qui reprend le schème matérialiste de l’histoire de la pauvreté, peut cependant être critiquée : le viol est aussi le reflet de rapports de genre inégalitaires, dans lesquels la femme est subordonnée au désir de l’homme par le jeu des représentations collectives (voir notamment Georges Vigarello, Histoire du viol, xvie-xxe siècle, Paris, 1998).
29 Dupont, « Patronen van jongerencriminaliteit… », p. 73.
30 L’expression est de Gauvard, « Les jeunes à la fin du Moyen Âge… », p. 245.
31 À l’entrée « jeunesse » dans le « dictionnaire du Moyen Âge », Claude Gauvard mentionne que « les juges oscillent entre l’attendrissement et la sévérité ». (Claude Gauvard, « Jeunesse », in Gauvard, de Libera, Zink, Dictionnaire du Moyen Âge…, p. 776-777).
32 Par exemple, Bernard Chevalier, Les bonnes villes de France du xive au xvie siècle, Paris, 1982, p. 288. Gonthier, Cris de haine et rites d’unité…, p. 47 ; Claude Gauvard, « Violence citadine et réseaux de solidarité. L’exemple français aux xive et xve siècles », in Annales. Histoire, Sciences Sociales, t. XLVIII, fasc. 5, septembre-octobre 1993, p. 1113-1126.
33 Cf. par exemple Schwerhoff, « Justice et honneur… », p. 1031-1061. Gerd Schwerhoff, « Social Control of Violence, Violence as Social Control : the Case of Early Modern Germany », in Herman Roodenburg et Pieter Spierenburg, (ed.), Social Control in Europe, Ohio, 2004, p. 220-246.
34 Gauvard, « Violence citadine et réseaux de solidarité… », p. 1113-1126. Le rôle pacificateur des villes a surtout été mis en lumière pour des régions fortement urbanisées, comme les Pays-Bas bourguignons et l’Italie. Voir notamment David M. Nicholas, « Crime and Punishment in Fourteenth-Century Ghent », in Revue belge de philologie et d’histoire, t. LXVIII, Bruxelles, 1970, p. 289-334 et 1141-1176 ; Xavier Rousseaux, Taxer ou châtier ? L’émergence du pénal. Enquête sur la justice nivelloise (1400-1650), Louvain-la-Neuve, 1990 (thèse de doctorat U.C.L., inédite) ; Robert Muchembled, Le Temps des supplices. De l’obéissance sous les rois absolus, xve-xviiie siècles, Paris, 1992 ; Muchembled, Une histoire de la violence…, p. 161-185 ; Xavier Rousseaux, Bernard Dauven, Aude Musin, « Civilisation des mœurs et/ou disciplinarisation sociale ? Les sociétés urbaines face aux violences en Europe (1300-1800) », in Laurent Mucchielli (ed.), Histoire de l’homicide en Europe, du xvie siècle à nos jours, Paris, 2009, p. 273-321 ; Andrea Zorzi, « Contrôle social, ordre public et répression judiciaire à Florence à l’époque communale : éléments et problèmes », in Annales. Histoire, Sciences Sociales, t. XLV, n° 5, 1990, p. 1169-1188.
35 Voir à ce sujet Kathryn L. Reyerson, « The Adolescent Apprentice/Worker in Medieval Montpellier », in Journal of Family History, t. XVII, fasc. 4, 1992, p. 353-370.
36 Wiley B. Sanders, Juvenile Offenders for a Thousand Years : Selected Readings from Anglo-Saxon Times to 1900, Capel Hill, 1970, p. 3-10.
37 Muchembled, Une histoire de la violence…, p. 158-159.
38 Rousseaux, « Jeunes et violences… », p. 131.
39 Jacques Rossiaud, La prostitution médiévale, Paris, 1988 ; Ruth Mazo Karras, « The
Regulation of Brothels in Later Medieval England », in Signs, t. XIV, n°2 : Working Together in the Middle Ages : Perspectives on womens’s Communities, Winter, 1989, p. 399-433 ; Mazo Karras, Common women. Prostitution and sexuality in medieval England, New York, 1996 ; Carol LANSING, « Gender and Civic Authority : Sexual Control in a Medieval Italian Town», in Journal of Social History, t. XXXI, n° 1, 1997, p. 33-59 ; Richard C. Trexler, « La prostitution florentine au xve siècle », in Annales. Histoire, Sciences Sociales, t. XXXVI, n° 6, 1981, p. 983-1015.
40 L’historiographie allemande parle de Sozial-Disciplinierung, concept introduit par Gerhard Oestreich, « Strukturprobleme des europäischen Absolutismus », in Vierteljahreszeitschrift für Sozial-und Wirtschaftsgeschichte, n° 55, 1968, p. 329-347.
41 Muchembled, Le temps des supplices…, p. 54-61 ; Muchembled, Une histoire de la violence…, p. 189.
42 Rousseaux, « Jeunes et violences… », p. 131.
43 Ottavia Niccoli, Il seme della violenza : Putti, fanciulli e mammoli nell’Italia tra Cinque e Seicento, Rome-Bari, 1995.
44 Lars Behrisch, « Social Control and Urban Government : the Case of Goerlitz, Fifteenth and Sixteenth Centuries », in Urban History, t. XXXIV, n° 1, 2007, p. 39-50 (ici p. 50).
45 Cf. supra, la citation liminaire de Joos de Damhouder. En 1579, le jésuite Jean Balé écrit qu’« à la suite des maux de toute sorte, des guerres, des hérésies qui chaque jour nous menacent, la jeunesse de notre temps devient sauvage, indomptée, intraitable et belliqueuse » (cité dans Albert Poncelet, Histoire de la compagnie de Jésus dans les anciens Pays-Bas. Etablissement de la Compagnie de Jésus en Belgique et ses développements jusqu’à la fin du règne d’Albert et d’Isabelle, t. II, Bruxelles, 1927).
46 En 1530, Luther estime que si les parents échouent à discipliner leurs enfants, ces derniers devraient cesser de leur appartenir et être confiés aux soins de Dieu et de la communauté (Hugh Cunningham, Children and Childhood in Western Society Since 1500, Londres, 1995, p. 118).
47 Voir l’exemple de Nuremberg, Joel Harrington, « Bad Parents, the State and the Early Modern Civilizing Process », in German History, t. XVI, n° 1, 1998, p. 16-28 (ici p. 25-27). La responsabilité des parents était déjà soulevée par les moralistes italiens du xve siècle (Gonthier, Cris de haine et rites d’unité…, p. 52-53).
48 Catharina Lis et Hugo Soly, « Armoede in de Nieuwe Tijd (tot omstreeks 1850) », in Lieve DE Mecheleer (ed.), De armoede in onze gewesten van de Middeleeuwen tot nu, Bruxelles, 1991, p. 68-71.
49 En Brabant, par exemple, les autorités urbaines d’Anvers et de Malines promulguent une série d’édits interdisant les rassemblements de jeunes et concernant spécifiquement leurs actes de violence (Van Dijck, De europese samenleving…, p. 246-247).
50 Sur la répression du vagabondage, voir notamment Bernard Schnapper, « La répression du vagabondage et sa signification historique du xive au xviiie siècle », in Revue d’histoire du droit français et étranger, t. LXIII, 1985, p. 143-157 ; Xavier Rousseaux, « L’incrimination du vagabondage en Brabant (xive-xviiie siècles). Langages du droit et réalités de la pratique », in Langage et droit à travers l’histoire. Réalités et fictions, Louvain-Paris, 1989, p. 147-183.
51 À ce sujet voir l’article de Hugo Soly, « Probleemjongeren in Brabantse en Vlaamsesteden, 16de-18de eeuw », in Lis et Soly (sous la dir. de), Tussen dader en slachtoffer…, p. 101-142
52 Paul Griffith Youth and Authority : Formative experiences in England 1560-1640, Oxford, Clarendon Press, 1996.
53 À ce sujet, voir Niccoli, Il seme della violenza…
54 À ce propos, voir entre autres Rossiaud, « Fraternités de jeunesse… », p. 67-102, en particulier p. 85-88 ; Zemon Davis, « The Reasons of misrule… », p. 41-75 ; Muchembled, « Die jugend und die volkskultur…,p. 35-58 ; Alessandro Barbero, « La violenza organizzata. L’abbazia degli stolti a Torino fra quattro e cinquecento », in Bollettino storico-bibliografico subalpino, t. LXXXVIII, 1990, p. 387-453.
55 Norbert Schindler, « Les gardiens du désordre. Rites culturels de la jeunesse l’aube des Temps Modernes », in Levi et Schmitt, Histoire des jeunes…, p. 277-329.
56 Sur le charivari, voir entre autres Jacques Le Goff et Jean-Claude Schmitt (ed.), Le Charivari, Paris -La Haye -New York, 1981 ; Gérard Rooijakkers et Tiny Romme (ed.), Charivari in de Nederlanden. Rituele sancties op deviant gedrag, Amsterdam, 1989 (Volkskundig bulletin. Tijdschrift voor Nederlandse cultuurwetenschap, 15/3) ; Ernst Hinrichs, « “Charivari” und Rügerbrauchtum in Deutschland. Forschungsstand und Forschungsaufgaben », in Martin Scharfe (ed.), Brauchforschung, Darmstadt, 1991, p. 430-463. Voir aussi l’article, déjà cité, de Nathalie Zemon Davis.
57 Rousseaux, « Jeunes et violences… », p 132.
58 Pour un aperçu européen de ce mouvement, cf. Robert Muchembled, Une histoire de la violence de la fin du Moyen Âge à nos jours, Paris, 2008 ; Pieter Spierenburg, A History of Murder. Personal Violence in Europe from the Middle Ages to the Present, Cambridge, 2008.
59 Aude Musin, « Sociabilité urbaine et criminalisation étatique ». La justice namuroise face à la violence de 1360 à 1555, Louvain-la-Neuve, 2008 (thèse de doctorat en histoire, inédite) ; Xavier Rousseaux, La violence dans les sociétés pré-modernes : sources, méthodes et interprétations. Nivelles, une cité brabançonne à travers cinq siècles, in Aude Musin, Xavier Rousseaux et Frédéric Vesentini (ed.), Violence, conciliation et répression. Recherches sur l’histoire du crime, de l’Antiquité au xxie siècle, Louvain-la-Neuve, 2008, p. 272.
60 Cette théorie sous-tend la thèse de Xavier Rousseaux, Taxer ou châtier ?... Elle a été reprise ensuite, notamment par Robert Muchembled, Le temps des supplices. De l’obéissance sous les rois absolus, xve-xviiie siècle, Paris, 1992.
61 Muchembled, Une histoire de la violence…, p. 228. Cette hypothèse est développée dans Robert Muchembled, « “Fils de Caïn, enfants de Médée”. Homicide et infanticide devant le Parlement de Paris (1575-1604) », in Annales, Histoire, Science sociales, t. LXII, 2007, p. 1063-1094.
62 Peter King, Joane Noel, « The Origins of the “Problem of Juvenile Delinquency”. The Growth of Juvenile Prosecutions in London in the Later Eighteenth and Early Nineteenth Centuries », Criminal Justice History, 1993, p. 17-41 ; Peter King, Crime and Law in England, 1750-1840. Remaking justice from the Margins, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p.73-161 ; Heather Shore, Artful Dodgers. Youth and Crime in Early Nineteenth-Century London, Woodridge, The Boydell press, 1999, Pamela COX & Heather Shore (ed.), Becoming Delinquent : British and European Youth 1650-1950, Aldershot, Ashgate, 2002
63 Peter King, Justice and Discretion in England 1740-1820, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 174-175.
64 Peter King, « The Rise of Juvenile Delinquency in England 1780-1840 : changing patterns of perception and prosecution », in Past and Present, n° 160, 1998, p.166 ;
65 King, « The Rise …» p. 116-166 ; King, Crime,..., p. 169-191.
66 Report of the Committee for Investigating the Causes of the Alarming Increase of Juvenile Delinquency in the Metropolis, 1817, cité par Peter King, Crime and Law in England, 1750-1840, p. 90.
67 Jessica Warner, Robin Griller, « "My Pappa Is out, and My Mamma Is Asleep." Minors, Their Routine Activities, and Interpersonal Violence in an Early Modern Town, 1653-1781 », Journal of Social History, Vol. 36, no. 3, Spring, 2003, p. 561-584 (577-578).
68 King, Crime, justice…., p. 190-191.
69 Geoffroy Parker, La révolution militaire, la guerre et l'essor de l'Occident, 1500-1800, Paris, Gallimard, 1993.
70 Charles Tilly, Contrainte et capital dans la formation de l’Europe : 990-1990. Paris, Aubier, 1992. Tilly fait du mécanisme de déplacement de la sécurité intérieure vers la guerre entre États un des principaux mécanismes de formation des États nationaux.
71 Gherardo Ortalli (ed.), Bande armate, banditi, banditismo e repressione di giustizia negli stati europei di antico regime, Rome, Jouvence, 1986 ; André Zysberg, « L’affaire d’Orgères : justice pénale et défense sociale, (1790-1800) », in La Révolution et l’ordre juridique privé : rationalité ou scandale ?, Orléans, PU d’Orléans, 1988, t. 2, p. 631-658.
72 Florike Egmond, Underworlds. Organized Crime in the Netherlands, 1650-1800, Cambridge, Polity Press 1993 ; Anton Blok, « Les Cavaliers du Bouc : brigandage et répression en Basse Meuse (1730-1778) », in Conflit et culture, 24-25, 1997, p. 11-36.
73 Howard Brown, « From Organic Society to Security State : the war on Brigandage in France, 1797-1802 », in Journal of Modern History, 69, 1997, p. 661-695 ; Id., Ending the French Revolution : Violence, Justice, and Repression from the Terror to Napoleon, Charlottesville : University of Virginia Press. 2006 ; Xavier Rousseaux, « Espaces de désordres, espace d’ordre : le banditisme aux frontières Nord-Est de la France (1700-1810) », in Catherine Denys (ed.), Frontière et criminalité (1715-1815), Arras, Artois Presses Université, 2000, p. 131-174., Xavier Rousseaux, « Brigandage, gendarmerie et justice. L’ordre républicain dans les départements du nord de la France et les départements « réunis » (Belgique, Rhénanie) entre Directoire et Consulat (1795-1804) », in Jean-Pierre Jessenne (ed. et alii), Du Directoire au Consulat. 3 Brumaire dans l’histoire du lien politique et de l’État-Nation, Rouen, 2001, p. 91-123.
74 Manuel Eisner, « Long-term Historical Trends in Violent Crime », in Crime and Justice. A Review of Research, n° 30, 2003,p. 83-142 ; ID., « Modernization, Self-control and Violence – The Long-term Dynamics of European Homicide Rates in Theoretical Perspective », in British Journal of Criminology, n° 41(4), 2001, p. 618–638.
75 Jean-Claude Caron, Annie Stora-Lamarre, Jean-Jacques Yvorel (ed.), Les âmes mal nées. Jeunesse et délinquance urbaine en France et en Europe (xixe-xxie siècles), Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2008 ; Jenneke Christiaens, De geboorte van de jeugddelinquent België, 1830-1930. Bruxelles, VUBPress (Criminologische Studies 1), 1999.
76 Marie-Sylvie Dupont-Bouchat, De la prison à l'école, les pénitenciers pour enfants en Belgique au xixe siècle (1840-1914), UGA, 1996 ; Chris Leonards, De ontdekking van het onschuldige criminele king. Bestraffing en opvoeding van criminele kinderen in jeugdgevangenis en opvoedingsgesticht, 1833-1886, Hilversum, Verloren, 1995.
77 Fernand Braudel, La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, Préface, Colin, 1949, p. 13-14.
78 Schwerhoff, Justice et honneur….
79 Contrairement à une lecture trop rapide de Norbert Elias, nous pensons que les élites urbaines (bourgeoises et nobles) plus que les grandes noblesses rurales ont été le moteur de ce processus de « civilisation des mœurs ». Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Levy, 1973 ; Norbert Elias, La Dynamique de l’Occident, Paris, Calmann-Levy 1975.
80 Créant ainsi depuis le xviiie siècle un espace de discussion public entre groupes aux visions politiques et aux intérêts divergeants Jürgen Habermas, L'espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1997.
Auteurs
(FNRS, Université catholique de Louvain)
(FNRS, Université catholique de Louvain)
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