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Appréhender les modèles disciplinaires en acte des enseignants

p. 129-138


Texte intégral

1. Introduction

1De quels modèles disciplinaires des professeurs du primaire et du secondaire s’inspirent-ils pour accompagner l’écriture de fictions des élèves ?

2Une pratique de professeur est souvent constituée de discours composites issus des formations, voire de conceptions de l’ensemble de la discipline héritées des programmes successifs, de représentations anciennes du temps où le professeur était élève. Nous appelons, après Garcia-Debanc (2004), ces effets de sédimentation dans les pratiques « modèles disciplinaires en actes ». Ces modèles disciplinaires sont souvent adaptés, modifiés, utilisés de façon partielle, et rassemblés au sein d’une pratique, ce qui fait naître des contradictions qui peuvent être sources de difficultés pour les élèves. Comment identifier ce que privilégient les enseignants ? En quoi leurs intentions déclarées et leurs pratiques effectives sont-elles constituées d’éléments parfois contradictoires ?

3Quand les professeurs viennent en aide à leurs élèves, leur manière d’intervenir informe sur leurs représentations de l’écriture ou d’un genre. Cette représentation sous-jacente des formes de fiction relève de modèles disciplinaires en actes (Garcia-Debanc, 2004 ; Garcia-Debanc, Beucher & Volteau, 2008 ; Garcia Debanc & Sanz-Lécina, 2008, p. 152) qui influencent les formes d’accompagnement. Il convient par conséquent d’interroger les professeurs sur leurs choix de pratiques. Nous identifions ce modèle disciplinaire en acte pour chaque étude de cas afin de mieux comprendre les choix effectués par les enseignants dans les interactions visant à guider les élèves.

2. Méthodologie

4Repérer le modèle disciplinaire en actes en écriture est facilité si l’on recueille l’ensemble des productions d’élèves, si l’on fait passer aux professeurs et aux élèves des entretiens d’enquête et d’explicitation (Vermersch, 1994) et si l’on transcrit les interactions enregistrées en classe.

5Notre hypothèse est que la manière de guider les apprentis-rédacteurs révèle des conceptions que l’enseignant se fait de sa discipline, de l’écriture et du genre qu’il enseigne. L’étude de l’étayage (Bruner, 1983), des gestes professionnels (Bucheton et al., 2008) ou de toute forme d’accompagnement de l’écriture est un moyen de cerner les modèles disciplinaires en actes (Garcia-Debanc, 2004) du professeur observé. Les élèves peuvent adhérer plus ou moins à ce modèle disciplinaire que l’enseignant tente de mettre en actes.

6Une méthodologie intégrant des technologies modernes au service du prélèvement des données permet des observations plus précises que ce qui se faisait du temps des observations à l’œil nu et de la prise de notes. Dès lors, l’observation d’un corpus transcrit in extenso permet de construire une cartographie de ce qui se passe dans la classe et de faire des constats, impossibles à faire par de simples observations des brouillons d’écoliers, dont nous ne prétendons pas nous passer pour autant. Le détail ou l’échange insignifiant au premier abord prend, avec du recul, une importance majeure. Avec l’enregistrement numérique des données, des comptages des formes d’étayages deviennent possibles, des profils de conduite de séance apparaissent, ce qui éclaire les modèles disciplinaires en actes.

7Ces modèles alimentent les intentions et les choix perceptibles à travers des interventions didactiques des enseignants. Ils révèlent des choix, des conceptions ou des valeurs des enseignants : intérêt porté davantage à l’élève ou à sa production, à ses savoirs, à ses compétences linguistiques ou de respect d’un genre, aux programmes. La conduite de la séance renseigne sur l’adoption de l’un de ces modèles, l’entretien anté-séance ou post-séance éclaire sur des raisons alléguées pour le rejet apparent d’un modèle. Les outils adoptés ou construits, s’ils existent, sont riches d’éléments informatifs sur les préférences de l’enseignant pour un modèle ou un autre. Si les professeurs utilisent plusieurs de ces modèles disciplinaires, c’est, le rappelle Bucheton (1995), que

toutes ces contradictions se retrouvent en général à l’intérieur d’un même texte officiel, traces probables de conflits de personnes, de courants de pensée qui ont nourri l’écriture même de ces textes de synthèse.

8Le prévu, issu de la planification enseignante, ne coïncide pas nécessairement avec le vécu de la situation d’écriture et une composante d’un modèle théorique peut coexister avec un autre modèle, de façon contradictoire ou pas, en fonction de l’émergence d’un événement didactique imprévu. C’est parfois l’évaluation qui diffère, par les critères adoptés, d’un modèle suivi en situation d’écriture ou annoncé en amont de la séquence d’écriture lors d’entretiens. Un modèle disciplinaire en actes est donc le mélange de ces différentes composantes, fruits des recherches et programmes antérieurs à la pratique.

9Pour le décrire avec précision, nous avons quantifié la présence d’éléments appartenant à une conception ou à une autre, mais en précisant sur quoi ces interventions spécifiques portent et dans quel but elles ont été utilisées. C’est pourquoi nous sondons les intentions du professeur, les confrontons au ressenti des élèves et, surtout, c’est pourquoi nous analysons les interactions en classe, tout en gardant un œil sur l’incidence de ces choix sur les différentes versions de l’écrit des élèves.

10En observant l’action du professeur et des conseils donnés, le chercheur peut inférer les connaissances et des valeurs. Or ces connaissances en actes sont potentiellement non conscientisées. Dès lors, les entretiens, s’ils restent superficiels, faute de temps par exemple, peuvent en rester à une déclaration d’ignorance sur le problème évoqué, alors qu’en situation le professeur fonctionne avec une routine :

L’action est d’abord une connaissance en acte : un observateur peut inférer de l’action effectuée qu’elle contient bien cette connaissance, mais il n’y a pas de nécessité intrinsèque à ce qu’elle soit conscientisée et sa conscientisation n’est pas le produit d’un automatisme, mais d’un véritable travail cognitif (Vermersch, 2004a, p. 73).

11Une forme d’accompagnement plutôt qu’une autre, perceptible à l’oral, à l’écrit ou de façon non verbale, est à corréler avec un discours théorique tenu lors des entretiens. Dès lors ce choix d’accompagnement devient l’indice d’un ou de plusieurs constituants de son modèle disciplinaire en actes. Nous étudions alors le réseau des autres actions et apprécions leur degré de convergence vers ce modèle ou un autre.

12C’est en effet en permettant à l’interviewé de se remémorer ce qu’il a fait et en le lui faisant verbaliser que l’on fait émerger des tensions entre le discours conscientisé et la logique de l’action.

Ce déroulement d’action est la seule source d’inférences fiables pour mettre en évidence les raisonnements effectivement mis en œuvre (différents de ceux adoptés hors de l’engagement dans l’action), pour identifier les buts réellement poursuivis (souvent distincts de ce que l’on croit poursuivre), pour repérer les savoirs théoriques effectivement utilisés dans la pratique (souvent différents de ceux maîtrisés en question de cours), pour cerner les représentations ou les préconceptions sources de difficultés (Vermersch, 2004a).

13La conduite des entretiens est importante pour dégager, d’une part les formes d’accompagnement en écriture privilégiées en fonction de ces modèles et, d’autre part, les modèles disciplinaires en actes. Or, ces modèles disciplinaires sont à la croisée de discours conscientisés et d’autres éléments verbaux ou non qui ne le sont pas et qu’il faut inférer. Pour Vermersch (2004b, p. 18), la connaissance de la prestation finale est insuffisante pour diagnostiquer la cause d’une réussite ou d’une difficulté.

14Il est intéressant de comparer les annotations finales du professeur, quand elles existent, avec les formes d’accompagnement qu’il a données aux élèves et de voir si les appréciations sur les copies portent sur de nouveaux éléments par rapport aux remarques qui ont été faites lors de l’écriture accompagnée ou si elles se recoupent. L’ensemble des annotations ainsi que la note chiffrée du professeur donnent une idée des critères qu’il valorise et informent sur ce qu’est pour lui une production réussie. C’est essentiellement à cette fin que nous recueillons les productions achevées quand les élèves sont arrivés à ce stade. Nous avons là un élément qui est une indication non négligeable permettant d’identifier les modèles disciplinaires en actes et, au-delà encore, de déterminer l’efficacité des formes d’accompagnement mises en place.

3. Les modèles disciplinaires en actes dans les choix d’étayage

15Outre Garcia-Debanc, à l’origine du concept, le modèle disciplinaire en actes est objet d’étude de plusieurs chercheurs qui ont participé au neuvième colloque de l’AIRDF (Québec) du 26 au 28 août 2004, au cours duquel la notion a été définie comme

[…] un ensemble de conceptions, de représentations, de connaissances, d’habitus qui se manifeste dans le déroulement concret des leçons et qui rend compte de ce qui se passe entre les prescriptions de l’institution, les perspectives offertes par les objets didactisés… et les apprentissages des élèves. (Aeby Daghé & De Pietro, 2004, p. 16).

16Ils ajoutent que le concept va de pair avec des particularités méthodologiques, de contenus qui apparaissent, par exemple, à travers les consignes ou qui, au contraire, sont occultés consciemment ou non. Le fait de prélever des supports de travail dans un manuel, sur un site internet, dans une revue ou dans un ouvrage didactique peut orienter le professeur vers des pratiques avec des présupposés cohérents ou contradictoires avec le système du rapport à l’écriture de l’enseignant sur un objet à enseigner ; il arrive également que les différents moments de l’apprentissage laissent apparaître des tensions méthodologiques ou des présupposés différents entre ce qui est prévu, annoncé aux élèves et ce qui est effectivement mis en œuvre par le jeu des imprévus (Garcia-Debanc, Beucher & Volteau, 2008, p. 171-172).

17Les pratiques diffèrent par leur inscription dans une tradition disciplinaire, héritière de courants de pensées, tradition qui valorise des choix d’écriture conscients ou non (Lebrun, 2004, p. 32-39).

18Les recherches sur l’écriture ont montré que le modèle le plus ancien est celui de la rhétorique antique, qui fonctionne sur une conception étapiste de l’écriture. Le rédacteur passe successivement par trois étapes : l’invention (inventio), ou recherche d’idées ; la disposition (dispositio), ou classement des idées en trame argumentative, narrative ou autre, et l’élocution (elocutio), ou mise en texte selon les lois de la stylistique. Les documents d’accompagnement de lycée en français encouragent ce modèle : ainsi la majorité des professeurs observés : Lyse en seconde, Aude en cinquième technologique en Belgique, Isabelle en quatrième en France et Cyril en CM1-CM2 imposent d’abord aux élèves une phase d’invention de l’histoire, souvent à l’oral dans le cas d’écriture en groupe, puis une phase de classement des idées à l’écrit ; enfin, ils passent à l’écriture proprement dite avec des suggestions de révisions.

19La pertinence de ce modèle a été remise en cause indirectement par Hayes et Flower (1980), qui ont montré que les trois composantes de la planification (assimilable à l’invention), de la textualisation (qui peut équivaloir à la fois à la disposition et à l’élocution) et de la révision n’interviennent pas dans l’activité du sujet-écrivant expert de façon linéaire mais, au contraire, de façon récursive. Cette étude a abouti au modèle, issu de la psychologie cognitive, des processus rédactionnels. Leurs travaux marquent parfois le discours de formateurs. Le modèle a révolutionné la réflexion didactique sur l’écriture en prêtant beaucoup d’attention à la planification et à la révision, qui sont apparues comme des composantes importantes de l’activité psychique d’un rédacteur. Ainsi Lyse subit en quelque sorte cette influence par une sorte d’hypertrophie du temps accordé à la planification par rapport à celui consacré à l’écriture proprement dite, la moitié de la séquence d’écriture. La surcharge cognitive des jeunes rédacteurs a pu être révélée par l’étude des avant-textes, ce qui a fait naître l’idée de mettre en place des facilitations procédurales avec des grilles de critères de production et de réussite afin de clarifier les attentes et les procédures. Aude, Cyril et Isabelle s’inscrivent dans ce modèle par opposition à Lyse qui n’utilise pas de grille d’écriture.

20L’utilisation de grilles d’écriture ou d’évaluation indique un modèle dit de « l’évaluation critériée », apparenté au précédent, les interactions verbales de l’enseignant avant, pendant et après l’écriture sont susceptibles de favoriser une réflexion métalinguistique ou métascripturale propice au développement de compétences en écriture. L’exigence de clarté cognitive est mise en avant. Elle consiste à faire connaître les buts à atteindre, à savoir ce que l’on fait, à savoir pourquoi et comment on fait tel choix, à savoir comment on est évalué. Avec ce modèle, comme pour le modèle des ateliers d’écriture ou pour une écriture de projets, l’interaction lecture-écriture est recherchée. Lyse annonce un « atelier d’écriture », elle favorise donc les liens lecture-écriture en se référant souvent à la littérature de jeunesse.

21Les modèles didactiques de l’écriture à l’école découlent de ces recherches et des programmes. Lebrun (2004, p. 37) en répertorie quatre en spécifiant que, dans les pratiques, ils sont en général hybrides.

22Le plus ancien est le modèle de la rédaction. Il remonte à la Troisième République et met l’accent sur l’elocutio par le fait que c’est surtout la maîtrise de la syntaxe et de l’orthographe qui prime sur la recherche d’idées. L’imitation par imprégnation d’auteurs présentés comme modèles à admirer domine et les compétences d’écriture s’organisent sur la base d’une progression du simple au complexe. Les normes, l’orthographe et la syntaxe seraient des préoccupations dominantes dans les échanges des professeurs marqués idéologiquement par le modèle de la rédaction. Les pratiques des professeurs observés s’opposent : les uns choisissent d’ignorer l’orthographe lors des situations d’écriture : Aude et Lyse, professeurs de fin de secondaire, Cyril en CM1-CM2 et Isabelle en sixième et quatrième y accordent beaucoup d’importance en nombre d’interventions. Ils veulent aboutir à un écrit dépourvu d’erreurs orthographiques. En cela, ils s’inscrivent dans ce modèle de la rédaction. Ils veulent des structures correctes et interviennent sur les erreurs qu’ils détectent en cours d’écriture (Beucher, 2010).

23Le modèle de l’expression écrite valorise au contraire l’invention. Il s’inscrit dans la filiation de Freinet qui pratiquait l’écriture quotidienne et les textes libres. Les interactions entre pairs sont sollicitées, on recherche par ailleurs une écriture source de plaisir et une réflexion intellectuelle sur l’acte d’écriture. C’est le modèle des instructions officielles des années 1980, où le terme « expression écrite » remplace le terme « rédaction » des programmes précédents. Ce modèle est aussi le modèle des ateliers d’écriture qui a eu aussi une influence sur les pratiques pédagogiques. Il en existe différents types. Il n’est pas étonnant de voir la pratique de Lyse s’inscrire dans ce modèle par plusieurs aspects : valorisation de l’invention, inscription dans un projet annoncé sous le nom d’« atelier d’écriture », revendication du plaisir de lire et d’écrire, métacognition scripturale sur les opérations textuelles qui vient interrompre régulièrement l’écriture, demande de remémoration de souvenirs personnels pour les injecter dans l’écriture des nouvelles. L’élève explore sa vie personnelle pour faire de la fiction et il est invité à travailler sur ses angoisses (Beucher, 2010).

24Le modèle de la production d’écrits et de l’évaluation critériée trouve sa source dans les recherches du groupe d’Ecouen (1988-1992) et dans celles du groupe EVA (1991-1996), ainsi que dans les travaux de Greimas, Larivaille et Genette sur la narratologie ou dans les textes de Ricardou. Les programmes s’en trouvent influencés d’un point de vue terminologique par l’introduction du terme « production d’écrits » à la place d’« expression écrite ». L’idée est de lutter contre le manque d’inspiration, l’évaluation imprécise et subjective. On cherche à expliciter les critères d’écriture et d’évaluation au nom de la clarté cognitive des élèves. La révision prend une grande importance. Nous trouvons certains outils, comme l’utilisation du schéma narratif ou actantiel, dans la pratique de Lyse et, de façon très discrète, chez Cyril et Aude, uniquement lors de la phase de planification, tandis que Lyse y fait référence lors de l’écriture.

25Quelques professeurs s’attachent à comprendre les brouillons des élèves et à intervenir sur leur contenu de manière à favoriser la révision des textes, ils s’intéressent potentiellement à la psychologie et au vécu du sujet-écrivant1 afin d’aboutir à des textes plus vivants, marqués par une écriture de l’intime au service de la fiction. On appelle cela le modèle du sujet écrivant. On retrouve ces différentes conceptions dans les programmes, de façon mêlée, dans les discours des formateurs si bien que le professeur en exercice subit des influences dont il n’a pas forcément conscience et qu’il est intéressant de débusquer.

26Le modèle du sujet écrivant et des écrits de travail est une résultante des travaux de Bucheton (1995) qui donne le primat au cheminement du sujet écrivant, à ses expériences qui peuvent nourrir la production et non au seul produit fini. Les brouillons sont l’objet d’une grande attention. Lyse a lu les écrits de Bucheton et s’inscrit en partie dans ce modèle par l’insertion dans les récits de détails personnels de la vie des élèves et par l’attention qu’elle accorde aux processus d’écriture et aux brouillons d’élèves, à la génétique des textes. De façon moindre, Isabelle découvre en cours de séance d’écriture l’intérêt de travailler les brouillons et finit par accorder un petit nombre de points au travail qui est fait dessus.

27Outre les modèles évoqués plus haut, le lien lecture-écriture influence grandement les conceptions que les élèves ont d’un genre. En fonction des textes mis en perspective avec le genre à produire, telle caractéristique du genre est mise en avant plutôt que telle autre, ce qui concorde ou pas avec ce qui est déclaré au cours des échanges professeur-élèves ou avec les critères d’évaluation annoncés ou effectifs. Au-delà des conceptions des élèves, leurs productions s’en trouvent influencées. Pour les uns, le fantastique est ce qui fait peur ; pour les autres, c’est l’hésitation entre l’explication rationnelle et une explication irrationnelle, et cette ambiguïté est obligatoirement à cultiver. En travaillant en séquence de lecture une œuvre plutôt qu’une autre, le professeur privilégie une structure du fantastique (Todorov, 1970) : le fantastique pur, le fantastique étrange, l’étrange pur, le fantastique-merveilleux ou le merveilleux pur. Son choix d’œuvre risque d’occulter les autres structures.

4. Conclusion

28L’enseignement vise en partie à rectifier des malentendus présents entre élèves et professeurs, des conceptions erronées sur un objet d’étude. Parfois, l’enseignant est conscient de ces conceptions d’élèves explicites ou implicites ; il les accepte telles quelles, ou il feint de les ignorer, ou cherche à les faire évoluer. Rechercher le modèle disciplinaire en actes, c’est inférer les raisons de telle ou telle prise de décision sur les conceptions qui se manifestent chez les apprenants en fonction des modèles disciplinaires en actes qui sont sous-jacents dans les discours des professeurs et leur conduite de classe. Ces modèles disciplinaires en actes et les savoirs que les enseignants veulent transmettre sur les genres influencent le recours à telle forme d’accompagnement ou à telle autre lors des séances d’écriture.

Annexe - Appréhender les modèles disciplinaires en acte des enseignants

Axes

  • ▪ Appréhender les modèles disciplinaires en acte par l’analyse des pratiques.

  • ▪ Confronter des cadres théoriques et des méthodologies pour l’observation et les analyses des pratiques des enseignants et des dispositifs de formation.

  • ▪ Conceptions, valeurs, rapports aux savoirs des enseignants.

  • ▪ Interroger la gestion des interactions langagières, l’évolution des savoirs, la gestion du temps et des matériels didactiques.

Annexe

Comment explorer les planifications enseignantes, les entretiens et les interactions didactiques afin de dégager les conceptions concrétisées dans les classes ou celles qui sont rejetées ? Comment repérer les écarts entre ce qui est déclaré et ce qui est réellement effectué ainsi que les différentes stratifications des modèles disciplinaires en actes (MDA) ? Quel est l’intérêt de ce questionnement ?

Les modèles disciplinaires en actes (Garcia-Debanc & Trouillet, 2000) sont un ensemble de conceptions, de représentations, de connaissances observables dans les cours et les préparations. Ils sont liés aux programmes en vigueur ou passés, aux formations et aux souvenirs scolaires de l’enseignant. Ils constituent un système d’apprentissage pouvant contenir des éléments cohérents ou contradictoires, socles ou obstacles potentiels des apprentissages (Garcia-Debanc, 2004 ; Aeby Daghé & De Pietro, 2004 ; Garcia-Debanc, Beucher, & Volteau, 2008 ; Garcia-Debanc, 2008).

Nous avons filmé les pratiques d’écriture accompagnée (Fabre-Cols, 2002) de quatre professeurs en France et en Belgique francophone, soit trente heures de cours et entretiens. Afin de cerner les représentations de l’écriture, des genres littéraires et celles relatives aux programmes, nous avons conduit des entretiens semi-directifs anté-séquence, intermédiaires et post-séquence, recueilli l’ensemble des préparations, étudié les différentes versions des brouillons ainsi que les productions finales des élèves et les critères d’évaluation. Nous avons codé le verbatim selon notre typologie des étayages en écriture. Nous distinguons différents degrés d’intervention didactique des professeurs selon qu’ils privilégient, à des moments spécifiques, divers gestes professionnels (Bucheton & Dezutter, 2008) : des conseils d’ordre pédagogique (ou pilotage), des conseils généraux transposables à tous et où la relecture des brouillons n’est pas nécessaire (guidances), des conseils très individualisés selon les contenus textuels des productions (guidage), et des corrections linguistiques ou sémantiques.

Face à un même objet d’étude, les MDA peuvent, selon les individus, différer tellement que les apprentissages se trouvent orientés vers des directions opposées : ce qui est exigé par un enseignant ne l’est pas par un autre. Les séquences d’écriture accompagnée (Fabre-Cols, 2002) mettent l’enseignant débutant en insécurité didactique fréquente, laquelle est propice à l’observation de réactions face à l’imprévu (Bénaioun-Ramirez, 2008), parce que l’enseignant débutant n’a pas encore développé beaucoup de routines (Tochon, 1993) qui résultent de ses expériences passées. Il s’agit dès lors d’une situation intéressante pour questionner l’implicite (Oudard, 2009). Pour une même classe, ce changement de références génère des difficultés chez les élèves, ce qui atteste la grande complexité des actes d’écriture littéraire.

Notes de bas de page

1 Nous employons le terme « sujet-écrivant » quand il renvoie à une attitude où l’on tient compte des brouillons et des affects personnels de l’élève, où l’on s’intéresse à son cheminement intellectuel pour construire l’écrit. Le concept vient de Bucheton (1995).

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