La grève de la magistrature belge (février -novembre 1918). Un haut fait de la résistance nationale à l’épreuve des archives judiciaires1
p. 19-43
Texte intégral
1Note portant sur l’auteur2
2Durant la première occupation allemande de la Belgique, la justice belge, sur instructions du gouvernement, reste en place au moment de l’invasion, permettant ainsi de préserver une part importante de la souveraineté nationale en territoire occupé. Cette décision place la magistrature dans une position délicate. Elle doit, dans les conditions pénibles du régime d’occupation, préserver le fonctionnement du système judiciaire et résister aux tentatives d’immixtion allemandes. Mais surtout, au-delà de ses missions traditionnelles, elle est amenée, par sa seule présence, à jouer un rôle politique de premier plan. La permanence du pouvoir judiciaire intéresse aussi l’occupant qui y trouve un appui en matière de maintien de l’ordre et une source potentielle de légitimation. Celui-ci reconnaît l’indépendance des magistrats belges, à la condition qu’ils n’agissent pas contre lui. Les deux autorités ont donc intérêt à transiger. Malgré des incidents de gravité variable, des modus vivendi laborieusement conçus, à l’aune d’une peu explicite Convention de la Haye3, permettront, pendant la majeure partie de la guerre, le maintien en fonctions du pouvoir judiciaire national.
3L’édifice vole cependant en éclats en janvier-février 1918. Des affiches placardées sur les murs des grands centres urbains annoncent la proclamation de l’indépendance des Flandres par le Raad van Vlaanderen. Le 7 février, la cour d’appel de Bruxelles enjoint -mesure exceptionnelle -au procureur général de poursuivre les auteurs de cet attentat contre la nation. Le parquet de Bruxelles, chargé du dossier, fait arrêter deux des leaders activistes. En réaction à cette atteinte directe à la Flamenpolitik et sous la pression des activistes, l’autorité allemande fait libérer les prévenus, déporter en Allemagne les présidents de la cour et interdire l’exercice de leurs fonctions à l’ensemble des conseillers. La Cour de cassation se réunit alors en assemblée générale : elle décide, sans abdiquer ses fonctions, de suspendre ses audiences4. Offres de transaction, intermissions diplomatiques n’y changeront rien. La Cour suprême ne souhaitera pas faire marche arrière. La fermeté de cette attitude plonge le monde judiciaire dans un formidable émoi. Nombre de juridictions, à la suite de la haute cour, se joignent à l’action de protestation. Pour faire face à la paralysie de l’activité judiciaire, l’occupant, après l’échec des pourparlers, décide l’installation de tribunaux allemands en matière civile et pénale5.
4Dans l’immédiat après-guerre, cet épisode singulier de l’histoire de la justice belge, fortement mis en exergue au travers des mercuriales des procureurs généraux et de la littérature patriotique, prendra rang parmi les hauts faits de la résistance nationale.
5Le caractère inédit d’un tel événement dans l’histoire de la magistrature belge pose pourtant de multiples questions. Du gouvernement général aux territoires d’étape, la grève fut-elle décrétée partout, en même temps ? Le parquet fut-il toujours solidaire du siège ? Si les cours et tribunaux purent débattre ensemble de l’attitude à adopter et s’exposer solidairement aux conséquences de leurs décisions, qu’en fut-il des juges de paix, davantage livrés à eux-mêmes ? Au sein même des cours et tribunaux qui décidèrent de suspendre leurs audiences, l’option fut-elle prise et suivie dans l’unanimité tant vantée par la littérature d’après-guerre ?
6Cette contribution se propose, à partir de l’examen d’archives judiciaires jusqu’ici peu exploitées, de mettre à l’épreuve la vision officielle de l’événement et de mesurer les effets directs du « cès de justice ». À ce titre, une juridiction particulière retiendra notre attention : le tribunal des enfants de Bruxelles, présidé par le charismatique juge Wets. La richesse des archives relatives à ce tribunal, qui rendent compte de son activité tout au long de la guerre, ainsi que l’abondante littérature laissée par le magistrat, constituent un corpus de premier ordre pour appréhender la manière dont cette institution a vécu et traversé la grève, des modalités et des motivations de son adhésion au mouvement aux éventuelles stratégies développées pour poursuivre son action.
1. Origines de la grève
7Si les poursuites empêchées contre les leaders du mouvement activiste et les représailles opérées à l’encontre de la cour d’appel de Bruxelles furent les éléments déclencheurs de la grève, il est certain que des causes moins immédiates ont favorisé sa décision et justifié aux yeux de ses décideurs sa prolongation jusqu’à l’armistice6. Ces facteurs sont à la fois d’ordre externe avec, de manière générale, les violations de plus en plus en plus flagrantes du droit international commises par l’occupant ou encore l’offensive activiste visant les instances judiciaires mais également d’ordre interne à celles-ci, tels que la volonté de rehausser son image ou encore l’affirmation progressive d’un parti de la résistance au sein de la Cour de cassation.
1.1. La question des nominations
8L’occupation s’éternisant, la magistrature fut en effet confrontée à la délicate question du remplacement des personnes décédées ou atteintes par la limite d’âge. Suppléances et prolongation spontanée des mandats permirent longtemps de contrer toute ingérence allemande.
9À partir de l’été 1917, le pouvoir acquis par les activistes au ministère flamand de la Justice modifie la donne. À peine installé, le nouveau secrétaire général, Flor Heuvelmans, réclame aux procureurs généraux de Bruxelles et de Gand la liste des places vacantes. La magistrature refuse de se soumettre à l’injonction. C’est ainsi que, six mois avant la grève, les autorités judiciaires belges font savoir officiellement aux autorités allemandes qu’elles sont décidées à ne pas leur reconnaître un pouvoir de nomination7. Cette opposition stoppe pendant quelques mois le processus enclenché. Mais, au tournant de 1917-1918, soit peu après la proclamation d’indépendance de la Flandre, la digue cède. Les premiers juges de paix activistes, tous issus de l’entourage direct des nouveaux fonctionnaires ministériels, sont mis en place.
10Aussi, il est probable, et l’hypothèse a été récemment avancée par Xavier Rousseaux et Donald Weber8, que cette question des nominations ait influencé la suspension des travaux judiciaires. Elle a en tous cas pesé dans la balance lors des négociations de reprise des travaux. À quoi bon rejoindre son siège si l’édifice est gangréné9 ?
1.2. Racheter une image controversée
11Les juges belges furent confrontés à un autre problème, plus essentiel encore : celui de la validité juridique des actes législatifs de l’occupant. Le droit international -singulièrement l’article 43 du règlement annexé à la quatrième Convention de la Haye de 1907 -est ambigu à cet égard. Il a donné lieu, lors de la première occupation de la Belgique, à des interprétations divergentes qui forcèrent la Cour de cassation à prendre officiellement position.
12L’occasion surgit dans le contexte de l’installation par l’occupant de tribunaux d’arbitrage en matière de loyers. Les juges de paix, qui jusque là jugeaient seuls cette catégorie d’affaires, se virent désormais imposer, au sein d’une juridiction nouvelle, deux assesseurs, représentant respectivement les intérêts des propriétaires et des locataires. Ce faisant, l’occupant s’arrogeait le droit de modifier l’organisation judiciaire locale. Non content de provoquer une très vive résistance du barreau, l’arrêté « loyers » sema la division au sein de la magistrature. Qu’en est-il de la légalité de cet arrêté et, au-delà, du pouvoir législatif de l’occupant dans son ensemble ? Le pouvoir judiciaire dispose-t-il, à la lumière de la Convention de la Haye, d’un pouvoir d’appréciation de cet arrêté ? Deux des trois cours d’appel se prononcèrent sur la question et donnèrent des réponses contraires. Par son arrêt du 20 mai 1916, la Cour de cassation, appelée à trancher le différend, refusa à l’ordre judiciaire ce pouvoir d’appréciation. Controversé, l’arrêt suscita à son tour une vive émotion dans le monde judiciaire10, en raison de la question de principe engagée, mais aussi par crainte des effets qu’il allait nécessairement produire : il entraînait désormais la collaboration des magistrats à l’application des arrêtés de l’occupant. Pourtant, on s’en souviendra fort peu dans l’après-guerre. Il semble que ces événements aient été effacés de la mémoire belge par l’effet rédempteur de la grève de 1918. Le coup de génie de la magistrature belge est d’avoir su, au moment opportun, commettre une action d’éclat qui l’a absoute des compromissions antérieures.
1.3. L’affirmation progressive du courant patriote à la Cour de cassation
13Il est cependant inexact d’affirmer que l’ensemble des membres de la Cour de cassation, avant février 1918, ait souhaité cette attitude accommodante. Grâce aux délibérations de l’assemblée générale de la Cour, on sait désormais que l’attitude à adopter face à certaines mesures de l’occupant divisait les conseillers, les partisans du compromis l’emportant à chaque fois d’une très courte majorité sur les partisans d’une ligne dure, dont certains prônaient déjà la grève en 1916. Ainsi l’attitude officiellement prudente de la Cour dissimule des tensions internes et l’existence d’une faction davantage encline aux actions publiques de résistance.
14A contrario, la décision de la grève en février 1918 est d’autant plus significative qu’elle est prise à l’unanimité. Sa singularité permet dès lors de mieux apprécier ce qui, pour la haute magistrature, constitue le point de non-retour. C’est moins, finalement, la défense des institutions nationales, menacées par la proclamation d’autonomie de la Flandre, que la défense de cet attribut essentiel de la magistrature -son indépendance -qui la fait basculer de la coopération à la résistance. C’est quand l’indépendance de la magistrature est bafouée, quand les conseillers de la cour d’appel de Bruxelles sont suspendus et ses chefs de corps déportés, que la Cour décide unanimement et immédiatement son retrait collectif.
2. La grève en chiffres : premiers constats
15Pour évaluer l’activité judiciaire pendant la grève en l’absence de statistique officielle11, nous avons exploité de nombreuses séries d’archives judiciaires -rôles et registres divers (notices, condamnés, instruction, répertoire des actes et jugements, etc.), minutes et feuilles d’audiences. Les correspondances inédites du parquet général de cassation ont aidé à saisir la perception de la grève en haut lieu. Enfin, la presse activiste, qui traque les faiblesses de l’ordre judiciaire, a offert un complément utile.
2.1. Juridictions : deux régimes d’occupation, deux grèves
Premières observations : juridictions d’appel et de première instance
16Dans le ressort de la cour d’appel de Bruxelles, un mouvement de solidarité avec la cour semble avoir rapidement et unanimement gagné les juridictions de première instance, qui suspendent leurs audiences dans les jours qui suivent la délibération de la Cour de cassation.
17Affirmer, comme la plupart des chroniques, que la justice belge cesse dès ce moment de fonctionner est cependant inexact.
18En matière pénale, la mise en veilleuse des instances est souvent graduelle. À Louvain, parquet et juges d’instruction poursuivent leurs activités durant une période provisoire12 qui s’achève le 30 mars. À Mons, la chambre du conseil fonctionne encore en mars et un cabinet d’instruction jusqu’en avril mais l’activité de jugement est pratiquement à l’arrêt. On constate donc dans ces deux cas une volonté de « limiter les dégâts ». Si la phase de jugement est suspendue, en amont, les éléments préparatoires de la procédure pénale continuent transitoirement d’être exécutés.
19En matière civile, la situation est plus confuse. Prenons le tribunal de Bruxelles, dont la décision de suspension des travaux, survenue tôt -le 12 février -, a inspiré la plupart des juridictions de première instance. Le président Dequesne, sur le conseil du chef de file des parlementaires catholiques, Charles Woeste, décide malgré cette décision de maintenir la juridiction gracieuse à son niveau et celui des juges de paix13. Cette poursuite de la juridiction gracieuse s’est pratiquée dans d’autres tribunaux, jusqu’à l’armistice, soit même après la mise en place des tribunaux civils allemands. Il semble qu’elle était tolérée par les Allemands, au contraire de la justice contentieuse. Par ailleurs, ci et là, de manière isolée, alors que l’assemblée générale du tribunal a voté l’abstention, des juges entendent poursuivre leur travail ou du moins peinent à y mettre un terme. Il est probable que certains aient été contraints de faire la grève14.
20Dans le ressort de la cour d’appel de Liège, les résultats partiels confirment les constats bruxellois. À la suite de la cour d’appel qui se solidarise avec Bruxelles à la mi-février, les tribunaux optent pour la grève. Mais ici aussi, la décision ferme des premiers jours n’empêche pas certaines hésitations ultérieures15.
21La situation, par contre, se présente différemment dans les deux Flandres. La délibération de la cour de Gand survient tard, le 6 mars 1918. Ses membres se prononcent unanimement en faveur de la suspension, avec cependant un régime d’exception pour les affaires particulièrement graves ou urgentes. Comment cette abstention partielle s’est-elle traduite dans les faits ? Les quelques dossiers conservés attestent une activité de la section correctionnelle en avril 1918, activité qui n’échappe pas à la presse activiste, hostile à la grève16. Pourtant, la cour de Gand fut la première à prendre des mesures courageuses. Réunie en assemblée générale le 6 février 1918, elle décida à l’unanimité d’adresser une protestation contre la proclamation d’autonomie du Raad van Vlaanderen. Le texte dénonce l’usurpation et affirme l’attachement de la cour à la Belgique. Lorsque, le 9 février, le parquet général sollicite l’autorisation de poursuivre les activistes, non pour trahison mais en raison de l’illégalité de la publication de la proclamation, l’autorité allemande s’y oppose17.
22La cour aurait-elle initialement décidé le repli avant de choisir une position plus conciliante, comme l’affirme Charles Woeste dans ses mémoires18 ? Un document manuscrit, anonyme et fragmentaire, conservé dans les archives Jamar19 et émanant probablement d’un membre de la cour ou du parquet général, dessine des événements une image plus précise. La cour aurait continué à siéger pour toutes les affaires répressives et pour de rares affaires civiles. L’attitude à prendre aurait fait l’objet de vifs débats. « L’énergie exceptionnelle » déployée par le procureur général Callier en faveur de la suspension radicale fut en butte à l’hostilité d’une forte majorité de conseillers. Finalement, « après des débats orageux », la délibération prise fut le résultat d’une transaction20.
23Cette situation ambiguë rejaillit sur l’échelon inférieur de juridiction. Sur quatre des cinq tribunaux que compte le ressort de la cour de Gand en zone occupée21, les registres et feuilles d’audience mentionnent un arrêt des activités, au plus tôt en juillet pour les affaires pénales, en octobre pour les affaires civiles. Des dates qui correspondent à la mise en vigueur de deux ordonnances allemandes ordonnant la suspension des tribunaux répressifs, puis civils, et leur remplacement par des tribunaux allemands.
24Ces quelques données permettent un bilan provisoire : alors que les décisions de suspension s’enchaînent les unes après les autres dans les tribunaux des ressorts des cours d’appel de Bruxelles et de Liège, par logique fonctionnelle et/ou solidarité de ressort, dans celui de la cour de Gand, les tribunaux ont poursuivi leurs activités jusqu’à ce que les Allemands s’y opposent22. On doit davantage parler ici de suspension forcée. Il semble, par ailleurs, que les tribunaux aient tout bonnement pris attitude sur l’exemple de la juridiction supérieure. En tous cas, aucun tribunal des deux Flandres ne semble avoir suivi l’option de la grève totale de la justice pénale et civile contentieuse observée dès avril 1918 dans le gouvernement général, après l’échec des pourparlers.
25De telles divergences sont-elles à mettre sur le compte du régime plus autoritaire exercé dans les zones d’étape des armées ? Leurs dirigeants redoutaient manifestement la grève ; en certains endroits, ils tentèrent de s’opposer à son exécution voire prirent des mesures coercitives à l’encontre des grévistes23. Peut-être davantage que la crainte de représailles, thèse invalidée par la courageuse protestation du 6 février 1918, c’est l’option même d’une grève judiciaire que repoussèrent une majorité de conseillers gantois.
Premières observations : justices de paix et tribunaux de police
26Pour l’arrondissement de Bruxelles, l’étude des minutes des actes et jugements issus de 11 justices de paix24 permet les constats suivants : 1° La grève a été suivie à 100 % pour l’exercice de la justice contentieuse : il n’y a plus d’audience publique au-delà du 15 février 1918 ; 2° une grève totale de la juridiction civile est observée dans 3 cas sur 11 ; dans les 8 autres, le juge de paix s’est uniquement livré à des actes relevant de la juridiction gracieuse. Dans 2 cas sur 8, la grève n’est levée que pour de très rares actes en matière d’accidents du travail ; dans la majorité des cas (6 cas sur 8), les juges de paix poursuivent en tout ou en partie (dans ce cas, seulement les conseils de famille) l’activité de juridiction gracieuse, jusqu’à l’armistice.
27On observe donc une compréhension différente de la grève selon les juges de paix, la majorité s’alignant sur le point de vue de l’autorité hiérarchique25 tandis qu’une faible minorité comprend la grève de manière absolue.
28En l’état de nos recherches, nous ne disposons pour les autres arrondissements judiciaires que de résultats partiels appelant des constats provisoires. Par exemple, sur 9 justices de paix de l’arrondissement de Charleroi26, seul un juge a poursuivi l’ensemble de ses activités. Dans les autres justices de paix, le déroulement est identique : les derniers jugements sont rendus dans le courant de février tandis que l’activité de justice gracieuse se poursuit sans discontinuer jusqu’à la Libération.
29En matière pénale, l’ensemble des juges de paix -à Bruxelles, comme dans les juridictions sondées en Wallonie27 -met un terme aux audiences du tribunal de police dans le courant du mois de février. Des audiences publiques sont ensuite sporadiquement tenues pour statuer sur les délits de vagabondage et de mendicité. Il s’agit ici des compétences résiduelles du juge de paix, une fois suspendues celles de simple police ; les décisions du juge de police en la matière constituent des mesures administratives et non des jugements.
30Serait-ce une différence de nature -extrajudiciaire ou administrative -qui permet le maintien de certaines activités au niveau de la justice de paix ou du tribunal de police ? Faut-il plutôt y voir une raison fonctionnelle ? Rien n’empêche de les poursuivre puisque ces décisions ne sont pas susceptibles d’appel ; elles ne sont donc pas concernées par la suspension des tribunaux de première instance. Enfin, serait-ce le caractère discret, non public de la juridiction gracieuse, qui plaide en faveur de sa conservation ? Ou encore un certain caractère d’urgence attaché à ses décisions ?
2.2. Ministère public : une situation plus contrastée encore
31Nous avons tracé brièvement les différentes attitudes adoptées par les magistrats du siège. Comment, dans les cas de figure évoqués, réagirent leurs collègues du parquet ?
Ressort de Bruxelles – retrait progressif des parquets
32Le parquet de Bruxelles se demande le 12 février ce qu’il adviendra des prévenus non encore jugés mais son hésitation ne dure pas. Le procureur Holvoet décide que, dans ces circonstances exceptionnelles, la magistrature doit faire bloc : « ce soir à six heures, le parquet se retire à son tour avec le personnel des greffes et des antichambres »28.
33Le parquet officiellement fermé, des mesures d’organisation sont mises en place en coulisses pour sauvegarder l’essentiel, de manière provisoire du moins. De concert avec le procureur général, le bourgmestre et le commissaire Crespin de la division centrale de police, Holvoet décide le 14 février que le parquet se bornera à assurer l’écrou des inculpés surpris en flagrant délit ou flagrant crime, qui devront être conduits directement à la prison de Forest29. Le procureur met donc au point une procédure irrégulière qui excède ses compétences. Les procès-verbaux de police continueront à être dressés mais, à l’exception des affaires criminelles, seront conservés à la division centrale. Pour le reste, le procureur délègue tant qu’il peut30. Forcé de constater, après un délai de six semaines, que le tribunal de Bruxelles n’a pu reprendre ses fonctions, le parquet de Bruxelles se retire cette fois complètement le 29 mars 1918.
34Les parquets de Louvain et d’Anvers adoptent également des mesures provisoires jusqu’à fin mars-début avril. À Anvers, des dispositions similaires sont prises en matière d’écrou et le parquet accepte encore de recevoir plaintes et procès-verbaux de police. À Louvain, on l’a vu, les magistrats du parquet et les juges d’instruction continuent momentanément d’exercer leurs fonctions. Ils cessent à leur tour tout travail judiciaire le 30 mars. À Malines, les plaintes arrivent jusqu’en juin, date qui coïncide avec l’arrivée du procureur d’état allemand. Si, à Liège, le parquet qui tente début mars de soumettre des devoirs d’instruction au juge Thonet est éconduit31, les juges d’instruction montois reçoivent encore des devoirs d’instruction en avril. À Mons d’ailleurs, le parquet restera en fonctions jusqu’à l’armistice, pour l’accomplissement de certaines tâches civiles.
35Au niveau du ministère public s’observe donc une plus grande diversité de réponses à la suspension des travaux du siège. En l’état actuel des recherches, dans le gouvernement général, les parquets ont au minimum opté pour un maintien provisoire.
Ressort de Gand : des parquets qui s’accrochent jusqu’au bout
36Dans le ressort de la cour de Gand, les registres aux notices des parquets présentent un évident parallélisme avec les registres d’activité des tribunaux. L’examen des rares correspondances conservées valide l’observation. Ainsi, à Termonde, le procureur du roi ne manifeste aucune intention de se joindre à la grève. Par contre, à la différence de son collègue de Saint-Nicolas qui applique docilement les ordonnances allemandes, il résiste le plus longtemps possible à la mise en place de la justice allemande. Quant au parquet de Gand, il est expulsé par les forces armées allemandes le 27 juillet 191832.
Querelles intestines autour de la grève
37Les documents officiels ne laissent guère apparaître les dissensions provoquées par la grève au sein de la magistrature debout. Les rares papiers personnels de magistrats conservés apportent dès lors un éclairage précieux. Deux exemples, qui ont pu se répéter ailleurs, mettent à mal l’image du front uni des magistrats martelée dans les discours officiels d’après-guerre.
38Le premier prend place au parquet de première instance de Liège. Joseph Jamar33 qui, pendant la Première Guerre, était « simple » substitut, a laissé un témoignage manuscrit évoquant les dissensions et les difficultés pratiques nées de la décision de suspension des audiences du tribunal. Sa Note confidentielle. Exposé des faits34 offre une chronologie de la grève à partir de cette décision, le 18 février. Elle révèle le véritable bras de fer qui a opposé Jamar, partisan de l’abstention absolue, au procureur du roi, partisan du maintien d’une activité partielle.
39Jamar « concède à titre provisoire » que des ordres d’écrou soient délivrés par le parquet, dans les cas graves, « comme à Bruxelles ». Il refuse de signer la lettre que ses collègues adressent au procureur général demandant de couvrir leurs actes urgents. De son côté, le procureur fait diverses tentatives pour que Jamar accepte une action limitée. Celui-ci résiste aux pressions et s’en tient à sa ligne de conduite ; il est menacé de rapport au Havre. Le 16 mars, les substituts, cette fois soudés, notifient au procureur qu’ils cessent toute activité. Consulté, le parquet général reconnaît aux substituts le droit d’agir selon leur conscience. Du 16 mars au 2 avril, date à laquelle on apprend la décision de von Falkenhausen d’organiser une justice de substitution allemande, le procureur agit seul. Même après cette date, il tentera d’instaurer un service de référés en matière civile et de rétablir un service journalier des substituts pour traiter les procès-verbaux.
40Les considérations personnelles du substitut Jamar soulignent le caractère ambigu et paradoxal de cette justice résiduelle, pratiquée en de nombreux endroits pendant la grève :
Qu’arrivera-t-il si l’occupant voit fonctionner le parquet ? Ou bien il sévira contre des magistrats qui déclarent s’abstenir et qui veulent fonctionner quand même, et alors le parquet, après les incidents déjà survenus, sera ridiculisé et perdra tout prestige ! Ou bien il laissera faire : il entrera au besoin en relations avec ce parquet pour réclamer des pièces qui le concernent, plaintes de toute nature qui seraient encore adressées à ce parquet, et alors le parquet belge serait au service de l’occupant, après s’être abstenu des devoirs de sa charge vis-à-vis des Belges, pour les impérieuses raisons qui lui ont dicté sa conduite.35
41Le second exemple concerne cette fois la haute magistrature bruxelloise. La grève oppose les membres du parquet général près la cour d’appel. Barthélémy Jottrand, procureur général intérimaire, est affecté par ces désaccords et inquiet quant à la conduite à observer. Il cherche à se couvrir, tente d’obtenir l’approbation de son supérieur hiérarchique mais aussi, à l’instar de Dequesne, de Charles Woeste, avocat du barreau de cassation, personnalité catholique de premier plan mais également chef de groupe du parti catholique à la Chambre et par là source potentielle de légitimation politique.
42Dans une lettre confidentielle qu’il adresse à son supérieur Terlinden, au début de la grève36, Jottrand évoque le dilemme généré par la suspension des conseillers : devait-il se solidariser avec la cour au point de fermer son office ou rester en fonctions pendant la période transitoire ? Il explique que son sens du devoir l’a amené à refuser la première option qui menait selon lui à l’anarchie judiciaire et à l’insécurité, voire au soulèvement de l’opinion publique. Sa ligne de conduite, confie-t-il, essuie les critiques des membres de son parquet, favorables à la grève absolue. Ces derniers s’émeuvent de ce que le parquet ne se solidarise pas entièrement avec la cour. Jottrand évoque des discussions vives « qui s’écartent parfois de la tradition de courtoisie en vigueur dans la magistrature » et des désaccords nuisibles qui entraînent les hésitations des chefs de parquet de province. Il en est arrivé à contraindre par ordre écrit ses substituts de signer des actes administratifs.
Prudence et réticences en haut lieu
43La réponse de Terlinden à Jottrand forme un autre document essentiel37. Il en ressort qu’en très haut lieu, à la tête même du parquet général de cassation, la grève n’était ni prévue, ni souhaitée, dans une telle extension.
44À mi-mots, le procureur général de cassation réprouve en effet l’initiative de suspension du tribunal de Bruxelles, respectable, mais préjudiciable quant à ses effets : « […)] il [le tribunal] a étendu inutilement un mal que nous nous étions efforcés de limiter. Je puis vous assurer que des personnalités éminentes, appartenant à tous les domaines, que j’ai eu à cœur de consulter, ont estimé avec moi qu’il n’était pas nécessaire d’aller jusque-là38 ». Terlinden était manifestement hostile à une réponse radicale de la magistrature à l’incident de la cour bruxelloise. La magistrature a été atteinte sur son siège et elle n’y remontera que si elle obtient satisfaction mais il ne faut pas pour autant compromettre l’ordre, la sécurité publique et les intérêts privés confiés à sa garde.
45Il donne donc raison à Jottrand : se solidariser avec la cour, oui ; au point de refuser toutes les fonctions de son office ? Non. Il importe de continuer ses fonctions, pour ce qui concerne les affaires urgentes et indispensables, en évitant soigneusement qu’on ne croie ou dise que le parquet s’est détaché de la cour ; il est indispensable que l’on sache que la situation est provisoire et ne peut se prolonger. Le procureur général recommande enfin à son correspondant de tenir ses troupes pour qu’elles n’ébruitent pas ces dissensions internes. Le corps doit continuer à offrir de ses composantes une image soudée.
3. L’échec des partisans du compromis
46Plusieurs médiations ont été tentées pour rétablir le cours normal de la justice. Terlinden et Jottrand, qui font figure de modérés, furent au cœur de ce processus de négociation39.
47Jottrand tenta en février une première médiation informelle avec l’aide d’Hüssen, conseiller de justice allemand qui partageait son souhait de voir la justice belge rétablie40. Il semble que le conflit eût pu être aplani si la Cour de cassation avait accepté le principe suggéré par Hüssen d’un geste simultané, consistant à donner l’ordre télégraphique de lever l’interdit et de ramener les présidents le jour même où la Cour de cassation reprendrait ses audiences. La Cour refusa ce geste, à ses yeux déshonorant.
48La médiation officielle entreprise au mois de mars par le marquis de Villalobar n’aboutit pas davantage. Depuis le refus du geste simultané, le gouverneur général von Falkenhausen serait devenu plus intransigeant41. De son côté, la Cour n’a pas facilité les choses. Le premier pas devait être le fait des Allemands42.
49En réalité, tout porte à croire que la Cour ne souhaitait pas que les pourparlers aboutissent. Les origines possibles de la grève suggérées en début d’article corroborent cette hypothèse. L’influence du parti patriote, fort du soutien du barreau bruxellois, semble désormais prédominante. Sans doute la Cour a-t-elle souhaité, en se montrant intraitable, se départir définitivement d’une image de faiblesse induite par son attitude passée, plus modérée. Cette préoccupation semble en mars 1918 primer sur l’intérêt de conserver la justice nationale. Le contexte joue également : les premières nominations d’activistes n’ont-elles pas ouvert la boîte de pandore ? Cela vaut-il la peine de continuer, dans ces conditions ?
4. Initiatives nées de la grève : l’exemple du juge des enfants bruxellois
4.1. Une juridiction particulière
50Institués par la loi sur la protection de l’enfance du 15 mai 1912, les tribunaux pour enfants constituent une juridiction très particulière dans le paysage judiciaire belge43. Cette nouvelle institution, première grande réalisation de la doctrine de la « défense sociale »44, entendait sortir le mineur délinquant du champ pénal, prononçant à son égard non plus des « peines mais des mesures » -allant de la simple réprimande à la mise à la disposition du gouvernement jusqu’à la majorité en réponse à des comportements ou des situations jugés problématiques : faits qualifiés d'infractions, vagabondage ou mendicité, prostitution ou encore inconduite et indiscipline dénoncées par les parents.
51Le recentrage néanmoins très net sur l’enfant plutôt que sur les faits commis -bien que l’établissement de leur matérialité demeure nécessaire à toute action du juge est au cœur même du système de protection mis en place. Une fois saisi d’un dossier par le parquet, le juge -qui détient de larges compétences en matière d’instruction procède à une enquête sur le mineur et son environnement familial, avant de statuer sur la mesure. Celle-ci ne s’accompagne pas d’un délai (hormis celui, implicite, de la majorité, soit le 21e anniversaire) et, relativement à son prononcé, le magistrat de l’enfance dispose d’un large pouvoir de révision, devenant ainsi « un véritable juge de l’exécution »45. À la plupart de ces mesures, la loi associe en outre un régime de ‘liberté surveillée’, mettant en scène la figure du délégué à la protection de l’enfance, importation du modèle des probation officers des juvenile courts américaines.
52Pour présider le tribunal des enfants, la loi de 1912 prévoit une nouvelle figure judiciaire : le juge des enfants, unique et spécialisé, recruté parmi les juges du tribunal de première instance. Une série de dispositions légales l’encouragent à demeurer en place et briguer l’expertise : traitement plus élevé et tenant compte de l’ancienneté dans la profession46, exemption des règles de roulement47, etc. Au fil du temps, les praticiens eux-mêmes revendiqueront une identité propre : l’image qu’ils donnent de leur tribunal est celle d’une institution discrète, en nette opposition avec la réputation grave et solennelle des autres cours48. Lorsqu’ils parlent d’eux-mêmes, les juges des enfants aiment à se décrire comme des hommes de l’ombre, œuvrant en toute modestie et sans battage. Mais à lire les écrits, nombreux et parfois très denses, que certains ont laissés sur eux-mêmes et leur fonction, l’importance de la mission, souvent érigée en vocation, compenserait largement l’humilité qu’elle requiert49.
4.2. La guerre 1914-1918, véritable « baptême du feu » pour les tribunaux pour enfants
53La guerre 1914-1918 constitue une véritable épreuve du feu pour les tribunaux pour enfants. À peine en place, ces nouvelles juridictions sont mises à rude épreuve, à la fois confrontées à des difficultés organisationnelles et à une multiplication de leur activité. La période de guerre correspond en effet à une explosion statistique des affaires communiquées aux parquets puis transmises aux juges. Par ailleurs, une série de difficultés d’ordre matériel entravent l’action des juges au quotidien : problèmes de communication, destructions ou réquisitions de bâtiments, etc.
54Aux difficultés engendrées par cette conjonction désastreuse -conditions de travail difficiles et augmentation du nombre d’affaires -viennent s’ajouter une suite d’atteintes aux législations protectrices de l’enfance, dans un contexte où l’enfant est plus que jamais emblématique de l’avenir de la Patrie50. Ainsi se multiplient les tensions avec l’occupant autour de questions telles que la distribution de la presse censurée par des mineurs, le travail obligatoire des enfants de justice, la prostitution des mineures51, la libération par les Allemands d’enfants de collaborateurs ou encore, dans le cas de Bruxelles plus particulièrement, le fait d’avoir à traiter avec le nouveau ministère de la justice, dit « ministère activiste », créé le 9 juin 1917 suite à la séparation administrative52.
4.3. La grève
55Durant la Grande Guerre, le tribunal des enfants de Bruxelles est présidé par le juge Paul Wets, figure emblématique de la protection de l’enfance en Belgique, grand partisan de l’interprétation la plus extensive de la loi de 1912 et fervent adepte de l’entreprise moralisatrice que permet cette législation nouvelle. Le magistrat, âgé de 35 ans lorsque débute le conflit, entame une carrière de juge des enfants qu’il poursuivra jusqu’à sa mort en 1942.
56Même si la protection de l’enfance ne compte pas a priori parmi les matières judiciaires les plus exposées aux velléités d’interventions de l’occupant et aux conflits, les pierres d’achoppement se sont donc multipliées durant les quatre années d’occupation. Lorsqu’éclate la grève de la magistrature, le tribunal des enfants de Bruxelles fait en outre face à une série de problèmes d'organisation, notamment dues aux velléités d’intervention de l’occupant, alors que le nombre d’affaires à traiter a considérablement augmenté. En outre, depuis le 9 juin 1917 et la scission en deux du ministère de la Justice dans le cadre de la séparation administrative du pays, le juge des enfants doit traiter avec « le ministère activiste » en lieu et place de ses habituels interlocuteurs de l’Office de la protection de l’enfance, direction du ministère de la Justice avec laquelle il entretenait des rapports très réguliers, concernant les mineurs placés en institution notamment53.
57Ces multiples arguments en faveur de la grève sont cependant compensés par d’autres paramètres. Le tribunal a physiquement déménagé de la place Poelaert, les audiences se tenant depuis 1915 dans un local de l’école normale pour filles de la rue des Capucins54. Sans en être bien éloigné, il est peut-être un peu moins au cœur de la tourmente que pouvaient l’être les magistrats restés au palais. Par ailleurs, cette juridiction, qui n’enregistre que quelques recours à l’appel par an, est peu concernée par la suspension du degré d’appel. Enfin et surtout, le caractère particulier des justiciables du tribunal des enfants, la longévité des dossiers qu’il traite, le vaste réseau de philanthropes sur lequel il s’appuie mais aussi la personnalité du juge et la perception de sa fonction -le terme « mission » semble mieux lui convenir constituent autant d’éléments qui rendent la décision de suspendre son action amère :
La suspension de l’activité judiciaire devait porter un coup très rude à l’action du tribunal des enfants. Le caractère tout particulier de cette juridiction (…) son aspect de permanence et de continuité, qui veut que le juge ne se désintéresse jamais du mineur qui a dû pour une raison quelconque comparaître devant lui, allait se trouver particulièrement lésé par le fait d’une interruption de ses services. Cet organisme, où se confondaient à la fois l’œuvre de justice, le point de vue de la bienfaisance et des errements administratifs, intéressait à sa mission, un groupe étendu de collaborateurs (magistrats, médecins, fonctionnaires, délégués) qui voyait avec regret frapper d’immobilité en pleine évolution, cette conception nouvelle de la justice, à laquelle ils avaient donné sans compter, toute l’ardeur d’un généreux dévouement.55
58Rédigés en 1919, pleine période de mythification de la grève par une magistrature soucieuse de faire oublier les critiques relatives à son attitude conciliante durant la guerre, les mémoires de Wets laissent cependant entendre que le magistrat n’a pas hésité : « L’événement ne comportait d’ailleurs qu’une solution, commandée par l’odieux de l’injure faite au pouvoir judiciaire et par le principe de la solidarité professionnelle : cesser désormais de rendre une justice, qui n’était plus l’expression de liberté »56.
59En apparence, le tribunal des enfants de Bruxelles cesse donc toute activité, ne gérant que quelques cas exceptionnels d’enfants internés et devant faire l’objet de soins médicaux. Mais rapidement, une certaine forme de résistance s’organise : le personnel de la juridiction maintient très discrètement des réunions hebdomadaires dans un local mis à disposition par l’œuvre des Enfants Martyrs, « pour vérifier le courrier, recevoir les délégués et donner une suite aux incidents survenus dans les anciennes affaires, qui requéraient une intervention immédiate commandée par les exigences élémentaires de l’humanité57 ».
60Par ailleurs, la nouvelle de la suspension se répand comme une traînée de poudre et suscite, aussi bien auprès des enfants placés que chez leurs parents, l’espoir que l’on imagine. Le propos est presque tragique :
Un vent de fronde soufflait : la justice n’existait plus, on allait devoir relâcher tout le monde, l’autorité légitime avait suspendu le cours de son action. Nous avions cette conscience très nette, partagée par tous nos collègues, que quatre années d’activité soutenue, d’élaboration parfois pénible, de travail incessant, d’études, de recherches d’établissement, de jurisprudence, allaient en quelques jours voir disparaître leur profit.58
61Le désarroi du juge est alors à la hauteur de la considération qu’il porte à son action et de la vision pessimiste qu’il entretient de la société belge et de sa jeunesse en guerre :
[…] les demandes d’intervention d’établissements, les échos colportés par toutes nos sources de renseignement, nous dépeignaient sous les couleurs les plus sombres le tableau de la société du moment, où la jeunesse de toutes les conditions jouait un rôle de plus en plus inquiétant59 »
62Certaines de ces craintes se concrétisent : des parents tentent -parfois avec succès de faire libérer des mineurs enfermés60. De la même manière que, dans la filière pénale, le procureur du roi de Bruxelles s’est substitué pendant la période transitoire aux instances d’instruction (du moins pour la procédure d’écrou), la section enfance du parquet a pris certaines décisions d’ordinaire dévolues au juge des enfants, libérant notamment certains mineurs provisoirement écroués à la prison de Forest61.
63Au printemps 1918, les autorités allemandes annoncent fermement et à plusieurs reprises qu’elles ne prendront pas en charge le traitement des affaires impliquant des mineurs. En témoigne cette réponse du procureur d’État à la division centrale de police qui lui demande des instructions : « À votre lettre du 23 juin 1918, n°6843, je réponds que rien ne peut être provoqué par mon office attendu que le Juge belge des enfants ne travaille pas, et que les autorités allemandes n’ont aucun intérêt public à exercer également les fonctions de juge des enfants »62.
64Dès lors, durant l’été, le juge Wets élabore un projet d’organisation administrative de la protection de l’enfance, que décrit une longue lettre adressée aux membres du collège des bourgmestre et échevins de la ville de Bruxelles. L’argument en faveur d’une poursuite de l’action, même sous d’autres formes, auprès de l’enfance est aussi catégorique qu’explicite : la moralité des mineurs est sur une pente glissante. Cette situation crée une menace pour la jeunesse, pour l’ordre des familles et pour la société entière :
Le principe de l’autorité paternelle fondé sur le pouvoir du juge, est de jour en jour plus compromis, un relâchement général de la discipline et de la morale chez les mineurs, gagne toutes les couches de la société et devient d’autant plus inquiétant, que les heures troublées que nous vivons semblent répandre davantage les germes dissolvants des plus pernicieuses théories et assurer une impunité momentanée, aux agissements que la plus élémentaire des morales doit flétrir et combattre.63
65Et l’homme de loi d’énumérer les maux qui ternissent l’image de la jeunesse bruxelloise : prostitution, absentéisme scolaire, établissements de plaisirs, vols et rapines, marché noir… non sans épargner les parents et le laxisme dont ils feraient preuve.
66La demande prévoit que les édiles communaux « [étendent] leur action aux prérogatives actuelles du magistrat des enfants », ce qui paraît être une interprétation très large de la notion de gestion administrative. La suite confirme cette ambition :
Nous pouvons donc conclure, que l’autorité communale aurait à sa disposition un organisme nouveau, qui assurerait le service de la protection de l’enfance au point de vue pénal, placerait éventuellement les vagabonds, les mendiants, les prostituées, suivant les cas et les espèces, assumerait l’application rigoureuse de la loi scolaire, le respect des règlements communaux relativement à l’enfance, l’exercice du droit d’autorité paternelle, en un mot aiderait les diverses autorités communales dans les limites de la mission assignée à son activité.64
67Le projet est discuté avec le juge d’appel des enfants Soenens et le bourgmestre faisant fonction Steens. L’échevin Pladet est chargé par le collège de mettre sur pied le nouvel organisme, baptisé Office intercommunal de protection de l’enfance. Le juge Wets en prend naturellement la direction65.
4.4. L’office intercommunal de protection de l’enfance : pratiques et résultats
68Du 21 août au 31 décembre 1918, l’Office intercommunal de protection de l’enfance assurera donc la protection de l’enfance dans le cadre de décisions purement administratives. Des initiatives similaires verront le jour à Anvers, Louvain et Charleroi66. D’après Henri Velge, visiblement plus modéré que Wets lorsqu’il décrit les prérogatives de la nouvelle institution :
Il ne pouvait être question de faire renaître un véritable tribunal des enfants ; le pouvoir judiciaire n’existant plus, aucune coercition n’était possible. L’office intercommunal devait agir comme un organisme privé ; assurément, le concours de la police lui était acquis, mais il ne pouvait en aucune manière, requérir la force publique ; les décisions qu’il allait prendre ne pouvaient revêtir aucun caractère coercitif.67
69Les familles concernées n’ont vraisemblablement pas saisi cette nuance : « l’autorité d’une institution patronnée par le pouvoir communal devait certainement être assez imposante pour décider les parents, dans bien des circonstances, à lui laisser le soin de prendre la charge de leurs enfants »68. Par ailleurs et de toute évidence, afin de mieux remplir la mission dont ils se sentaient dépositaires, les acteurs du projet ont à dessein entretenu l’ambiguïté. Dans la pratique, l’activité de l’Office et de son directeur ne diffère donc guère de celle du tribunal ; les archives issues des deux institutions se ressemblent à s’y méprendre. Tenant des audiences une fois par semaine, l’Office recueille des dépositions, ordonne l’exploration corporelle des jeunes filles soupçonnées de légèreté69, dépêche les délégués sur le terrain avec pour support les mêmes formules que le tribunal et rend des décisions de trois types : admonestation, surveillance à domicile, placement provisoire en institution, y compris dans des établissements de l’État. Par ailleurs l’Office conserve, pour les cas jugés exceptionnels, la possibilité de faire enfermer certains mineurs à la prison communale de Bruxelles. Le président et ancien juge Wets mène son activité le plus hermétiquement possible par rapport à l’autorité occupante, « toutes les interventions de celle-ci étant toujours régulièrement transmises à la ville pour disposition »70. Quant à la question des frais, tous sont assurés par la Ville de Bruxelles, qui se charge de les répartir sur les diverses communes dont sont issus les mineurs.
70Les polices locales pourvoient -mais en partie seulement -à l’approvisionnement du nouvel organe, notamment en orientant sur l’Office les parents qui désirent porter plainte ou en transférant les mineurs pris à vagabonder ou laissés sans ressources. Rapidement cependant les commissariats, le réseau de délégués et de philanthropes et les membres de l’assistance publique aiguillent les enfants dont la situation est susceptible d’entraîner l’ouverture d’un dossier. Notons à cet égard que les dossiers, dans la mesure où ils ne cheminent pas suivant le traditionnel parcours police parquet - juge, sont beaucoup moins fournis et précis quant aux conditions d’approvisionnement.
71Le champ d’intervention est en outre nettement élargi. L’Office se saisit de nombreuses affaires de déchéance de la puissance paternelle, qui ne faisaient pas partie des compétences du tribunal des enfants. Les mères de famille qui entretiennent des liaisons avec l’occupant sont nettement visées :
Un certain nombre d’enfants furent ainsi placés par nos soins, l’indignité des mères femmes de soldats -justifiant cette mesure. Dès la signature de l’armistice, des soldats se présentèrent à l’office, renseigné (sic) par les autorités communales, pour solliciter eux-mêmes le placement des enfants, à la suite des renseignements qu’ils avaient recueillis à leur retour, sur l’inconduite de leurs épouses.71
72À certains égards, l’Office intercommunal de la protection de l’enfance ira plus loin que la réincarnation, dans un autre organe, du tribunal des enfants provisoirement arrêté. L’œuvre constituera pour Paul Wets, dont on connaît l’engagement et le charisme, une opportunité sans précédent d’expérimenter une série de mesures qui ne lui sont pas accessibles dans son tribunal. L’homme a créé un laboratoire à dimension réelle, s’entourant notamment d’une équipe d’intervention hors norme et disposant de moyens logistiques modernes. Ainsi ces temps si troublés et si difficiles lui ont paradoxalement permis, en quelque sorte, de bâtir un tribunal fidèle à ses rêves :
Le nombre des délégués permanents -Messieurs et Dames -fut porté à 6 personnes. Un roulement de service prévoyait la présence permanente et journalière de deux délégués à l’office, pour l’expédition immédiate des missions à caractère d’urgence, la conduite des mineurs etc., etc. […] Une organisation de bureau moderne, un service dactylographique, permettaient une expédition rapide et quotidienne de la besogne et malgré l’abondance des occupations, nous ne connûmes jamais ni l’encombrement ni l’arriéré. Le service médical de l’office fut confié à MM. les docteurs De Rechter, Marcel Héger, Héger-Gilbert et Vervack, qui avaient mis gracieusement leur expérience et leur compétence au service de nos justiciables.72
73Au lendemain de l’expérience, le juge dresse une statistique de l’activité de l’Office73 : 312 affaires ont été ouvertes, intéressant 314 mineurs (180 garçons et 134 filles). La répartition des faits commis est la suivante : 25 affaires de vagabondage, 111 demandes de correction paternelle, 26 mineurs cherchant leurs ressources dans l’immoralité et 121 faits de droit commun. Par ailleurs, l’Office a traité 31 affaires susceptibles de mener à une procédure en déchéance paternelle, notamment à l’égard de mères de familles ayant fréquenté des soldats de l’armée occupante. Du point de vue des décisions prises, l’Office a infligé 36 admonestations et ordonné 117 internements. Au terme de son existence, les 159 affaires sur lesquelles il n’avait pas encore été statué ont simplement approvisionné le tribunal des enfants, dont les activités reprenaient.
74À la restauration du tribunal des enfants, le juge avalisera tout simplement toutes les mesures prises par cet organisme, « [...] vu la reprise des fonctions judiciaires ; Attendu qu’il échet de régulariser les mesures prises par nous en qualité de Président de l’office intercommunal [...] »74.
5. Conclusion
75Chroniqueurs, mercuriales et littérature patriotique d’après-guerre s’accordent sur un fait : de la mi-février 1918 à l’armistice, le chômage de la magistrature belge était complet.
76Un premier examen des archives judiciaires incite pourtant à nuancer cette affirmation. Par l’analyse des minutes d’actes et jugements, comme des registres aux notices, il apparaît que, dans le gouvernement général, au moins tout un pan de l’activité des magistrats - la justice gracieuse -n’a pas été concerné par la suspension. Quant aux parquets, ils ont manifestement continué à fonctionner, du moins pendant un temps. Dans la principale zone d’étape, celle qui correspond au ressort de la cour d’appel de Gand, l’ensemble des activités judiciaires ont été poursuivies, au minimum pour les affaires urgentes, jusqu’à ce que les autorités allemandes y mettent un terme, forçant elles-mêmes la grève.
77Cette ambivalence s’explique de plusieurs façons.
- Incertitudes : il semble qu’au départ, personne ne s’attende à ce que la grève s’installe pour une durée indéfinie. Les mesures provisoires prises en matière pénale attestent de la foi en la possibilité d’un accord et d’un retour à la normale.
- Impréparation : une lecture plus fine des événements, permise par les rares correspondances de magistrats conservées, indique un défaut de communication et surtout de concertation entre instances judiciaires. Ainsi, la grève spontanée du tribunal de Bruxelles, tant célébrée dans l’après-guerre, semble avoir mis le feu aux poudres, mouvement incontrôlé que n’a pas forcément souhaité l’ensemble de la haute magistrature.
78Un même défaut de planification accompagnera quelques mois plus tard la mise en place des tribunaux allemands de substitution, occasionnant un certain flottement entre la décision de leur mise en place et leur mise en œuvre concrète. Par ailleurs, au niveau des compétences juridictionnelles, la politique allemande de reprise des juridictions n’a pas été totale, les autorités allemandes se désintéressant de certaines matières (justice civile tant qu’elle ne concerne pas les citoyens de l’Axe et les Neutres, tribunaux pour enfants, tribunaux de police, etc.). Cette situation ambigüe explique sans doute en grande partie ce retrait inégal de la justice belge, certaines instances persistant ci et là.
- Dissensions individuelles : la presse activiste et les archives personnelles de magistrats montrent que des points de vue antagoniques sur l’attitude à adopter, parfois générateurs de tensions entre les hommes, se sont affrontés. Le bouillonnement perceptible dans certains parquets bouscule la vision mythifiée d’une magistrature unanime, voire monolithique, dont l’attitude est magnifiée au sortir de la Grande Guerre75.
79Là où elle a continué de s’exercer, la justice s’est néanmoins faite discrète, voire clandestine. Le transfert de certaines matières vers le secteur ‘extrajudiciaire’ s’est également révélé être une option séduisante, dans la mesure où elle réconciliait les aspirations de certains magistrats à poursuivre leur action et la volonté ou le devoir d’adhérer au mouvement de grève. La création d’instances administratives bénéficiant de larges compétences en matière de protection de l’enfance -dont la légitimité pose d’ailleurs question - compte certainement parmi les exemples les plus aboutis de ce renforcement du pouvoir des bureaux. Pour certains acteurs, à l’image du juge Wets à Bruxelles, l’expérience s’est même muée en véritable opportunité pour tester de nouvelles méthodes et s’affranchir des entraves et des lourdeurs de la procédure.
80Des partisans d’une ligne dure, en faveur de l’immobilisme absolu, aux détracteurs de la grève, celle-ci a donc pu s’entendre différemment et prendre différentes formes. Les différences de régimes d’occupation, entre gouvernement général et étapes, n’expliquent pas tout. Solidarité envers ses pairs, impossibilité de fonctionner, devoir de justice envers les justiciables belges placés sous leur responsabilité, craintes des effets de la grève pour eux-mêmes ou pour le maintien de l’ordre public, volonté de se ménager l’opinion publique, difficulté de renoncer à une fonction de pouvoir, une foule de préoccupations peuvent expliquer des sentiments et des attitudes partagés que n’a guère retenus ou souhaité retenir l’historiographie de l’événement.
81Si, aujourd’hui, l’examen d’archives nouvelles a permis de nuancer l’image d’autrefois, reléguant désormais celle-ci au rang de représentation, les questions demeurent encore nombreuses. Si l’on connaît davantage désormais la manière dont la magistrature a vécu, de l’intérieur, la grève, d’autres déterminants sont encore à examiner, tels que l’influence éventuelle, à l’instar de celle de Woeste, du monde politique sur les agissements des magistrats. On ne sait que peu de choses, par ailleurs, sur les projets allemands et activistes de flamandisation de la justice, les pratiques imaginées pour poursuivre l’œuvre belge de justice en l’absence des magistrats ou encore le fonctionnement de la justice de substitution allemande. Soit autant de zones d’ombres qui plaident résolument pour un renouvellement de la recherche en cette matière.
Notes de bas de page
1 Cette publication a été réalisée dans le cadre du Pôle d’attraction interuniversitaire P6/01 « Justice and Society : sociopolitical history of justice administration in Belgium (1795-2005) », Programme Pôles d’attraction interuniversitaire – État belge – Service public fédéral de programmation politique scientifique.
2 Chargée de recherches FRS-FNRS, UCL/CHDJ.
3 Le droit de l’occupation est régi par le règlement annexé à la quatrième Convention de la Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre. Ce texte, qui pose de façon générale des limites aux droits de l’occupant et lui fixe des devoirs, n’aborde pas précisément les aspects judiciaires de l’occupation, pour lesquels il convient de se référer au droit des gens.
4 Cette décision a fait l’objet de deux délibérations de l’assemblée générale de la Cour. Par celle du 11 février 1918, la Cour adressa au gouverneur général von Falkenhausen une vigoureuse protestation contenant les motifs de son abstention. La seconde délibération, du 25 février 1918, fit suite à la réponse de l’autorité allemande. Elle démonte, en une démonstration juridique haussée, dans l’après-guerre, au rang de monument patriotique, l’inanité des arguments formulés et conclut au maintien de la décision de suspension.
5 Le 26 mars 1918, le gouverneur général annonça par avis son intention d’organiser des tribunaux allemands en réponse à la conduite de la magistrature belge. Les arrêtés des 6 et 7 avril 1918, signés conjointement par le gouverneur général et le général Hahndorff dans les zones d’étape, concrétisèrent cette intention. Les tribunaux allemands ne commencèrent à siéger qu’à partir de l’été 1918.
6 Benoît Majerus, auteur d’une thèse récente sur la police bruxelloise durant les deux guerres mondiales, a proposé une première analyse des causes de la grève. Il en a également mesuré les effets sur l’activité de police judiciaire des services bruxellois (Benoît Majerus, Occupations et logiques policières. La police bruxelloise en 1914-1918 et 1940-1945, Bruxelles, 2008, p. 107-115).
7 Le procureur général près la Cour de cassation, Georges Terlinden, rédigea en ce sens un argumentaire que le marquis de Villalobar, ambassadeur d’Espagne, transmit au baron von der Lancken.
8 Xavier Rousseaux et Donald Weber, “Les politiques pénales en Belgique”, in Dirk Heirbaut, Xavier Rousseaux et Karel Velle (ed.), Histoire politique et sociale de la justice en Belgique de 1830 à nos jours, Bruges, 2004, p. 80-81.
9 Le procureur général Terlinden évoquant, pendant les négociations de mars 1918, la nomination récente de juges à Anvers et dans les Flandres, craint que ce phénomène porte les « germes de nouvelles difficultés » et rende stériles les efforts de reconstruction (lettre du procureur général Terlinden au marquis de Villalobar, 21.3.1918 (Palais de justice de Bruxelles, Archives du parquet général de Cassation, boîte X « Occupation 1914-1918 », dossier 2 (I)).
10 Louis Gilles, Alphonse Ooms, Paul Delandsheere, Cinquante mois d’occupation allemande, Bruxelles, 1919, t. II, p. 163 et t. IV, p. 23.
11 En raison des lacunes générées par la séparation administrative et la grève, la statistique judiciaire n’a pas été dressée pour les années 1917 et 1918.
12 Terme invoqué au début de la grève pour désigner la durée nécessaire aux négociations qui décideraient de l’issue du mouvement.
13 Woeste mentionne dans ses mémoires que Dequesne le consulta pour savoir si les tribunaux et juges de paix pouvaient à son sens conserver leur juridiction gracieuse. Il lui répondit de ne pas hésiter (Charles Woeste, Mémoires pour servir à l’histoire contemporaine de la Belgique. 1914-1921, t. III, Bruxelles, 1937, p. 42-43).
14 Luc [pseudo de Rafaël Verhulst], “ Iets voor iederen dag – Een Paleisrevolutie te Brussel en Antwerpen”, in Vlaamsche Nieuws, 20/02/1918 en “Iets voor iederen dag – De anarchie gesticht door den procureur des koning van Antwerpen – Alles uit haat tegen de Vlaamsche taal”, in Vlaamsche Nieuws, 11/04/1918.
15 Au tribunal de Liège, par exemple, une chambre du conseil fonctionne le 23 février. Une nouvelle assemblée du tribunal est convoquée le soir même pour décider si la chambre fonctionnerait à nouveau. Le tribunal maintient la décision initiale (Jamar, Note confidentielle…2/04/1918-6/04/1918 (CEGES, Fonds Jamar, AA 1941, n° 15)).
16 « Finalement, la magistrature gantoise s’est aussi ralliée officiellement à la grève, mais poursuit entretemps officieusement son activité, ainsi seulement pour les ‘affaires urgentes’, un terme dont l’élasticité n’échappera à personne » (“Stad en Land – De Gentsche rechters staken niet”, in Vlaamsche Nieuws, 29/04/1918).
17 Le 9 février, le procureur général de Gand, Alexis Callier, fut mandé au cabinet du président de l’administration civile. Celui-ci informa le magistrat de l’arrestation à Bruxelles des activistes et de leur relaxe. Il l’avertit de l’interdiction de poursuivre des membres du Raad van Vlaanderen sans autorisation préalable de l’autorité allemande, « toute procédure judiciaire contre cet organisme étant contraire à l’intérêt allemand » (note du procureur général de Gand, 9/02/1918 (AGR, Commission d’enquête sur la violation des règles du droit des gens, des lois et des coutumes de la guerre, n° 643)).
18 Woeste, Mémoires…, p. 38-42.
19 CEGES, Fonds Jamar, AA 1941, n° 58.
20 Ibidem.
21 Les archives de l’État à Beveren ne disposent pas d’archives du tribunal de Courtrai relatives à cette période.
22 Le témoignage fragmentaire cité plus haut confirme ce constat.
23 Le président montois fut détenu pendant un mois avant d’être jugé et acquitté tandis qu’au tribunal d’Arlon, c’est l’ensemble des magistrats du siège et du parquet qui fut déporté en Allemagne jusqu’à la fin de la guerre.
24 L’arrondissement judiciaire de Bruxelles comptait 18 justices de paix.
25 Le Journal des juges de paix confirme l’obéissance des juges de paix aux consignes données d’en-haut : « le plus grand nombre d’entre-nous a estimé qu’il y avait lieu de suivre dans leur retraite les membres des tribunaux et des cours et de suspendre, comme eux, les audiences. Mais, respectueux des ordres de leurs chefs, ils ont continué à exercer la juridiction gracieuse, afin de mener jusqu’au bout l’œuvre de sauvegarde qui leur avait été confiée » (JJP, 1918-1919, introduction). On verra plus loin que cette ligne de conduite était également souhaitée par les plus hauts représentants du ministère public.
26 Qui compte 13 cantons judiciaires.
27 Pour les justices de paix flamandes, les recherches sont en cours.
28 Gille, Ooms, Delandsheere, Cinquante mois…, t. IV, 1919, p. 73-4 ; voir aussi la note 6.
29 Dépêche circulaire du procureur du roi, 14/02/1918 (AVB, Fonds police, dossier 150).
30 Lettre confidentielle du commissaire Crespin au bourgmestre, 16.2.18 (AVB, Fonds police, dossier 150).
31 Joseph Jamar, Note confidentielle. Exposé des faits chronologique, 2/04/1918-6/04/1918 (CEGES, Fonds Jamar, AA 1941, n° 15).
32 Rapport du procureur général de Gand, Alexis Callier, au conseiller Remy, membre de la Commission d’enquête, 14/11/1919 (AGR, Commission…, n° 643).
33 Le magistrat Jamar termina sa brillante carrière comme premier président de la Cour de cassation. Ses archives, conservées au CEGES (fonds AA 1941), constituent un témoignage inestimable de l’état d’esprit des magistrats belges pendant les deux guerres mondiales.
34 CEGES, Fonds Jamar, AA 1941, n° 15.
35 Ibidem.
36 Lettre personnelle de Barthélémy Jottrand à Georges Terlinden, 16/02/1918 (Parquet général de cassation, Boîte X « occupation 1914-1918 », dossier 2 (I)).
37 Minute ou brouillon d’une lettre de Georges Terlinden à Barthélémy Jottrand, 19/02/1918 (Parquet général de cassation, Boîte X « occupation 1914-1918 », dossier 2 (I)).
38 Ibidem.
39 Le procureur général de cassation s’étend d’ailleurs longuement sur son rôle dans le processus de médiation dans son discours à l’audience de rentrée d’octobre 1919 (Georges Terlinden. La Magistrature belge sous l’occupation allemande. Souvenirs de guerre, août 1914 -octobre 1918. Discours de M. Terlinden, Procureur général, à l’audience solennelle de rentrée, le 1er octobre 1919, Bruxelles, 1919, p. 37-44).
40 La médiation est consignée dans le procès-verbal annexé à la lettre du procureur général Jottrand à Charles Woeste, 28/03/1918 (AGR, Papiers Charles Woeste, n° 2077/5).
41 Ibidem.
42 Procès-verbal de l’assemblée générale de la Cour de cassation du 21 mars 1918 (CEGES, Fonds Jamar, n°58).
43 À propos de la loi de 1912, consulter : Jenneke Christiaens, “A History of Belgium’s Child Protection Act of 1912. The Redefinition of the Juvenile Offender and His Punishment”, in European Journal of Crime, Criminal Law and Criminal Justice, vol. 7/1, 1999, p. 5-21 ; Jean Trépanier et Françoise Tulkens, Délinquance et protection de la jeunesse. Aux sources des lois belge et canadienne sur l’enfance, Bruxelles, 1995 ; Marie-Sylvie Dupont-Bouchat et Éric Pierre (éd.), Enfance et justice au xixe siècle, Essais d’histoire comparée de la protection de l’enfance 1820-1914. France, Belgique, Pays-Bas, Canada, Paris, 2001.
44 Françoise Tulkens, Généalogie de la défense sociale en Belgique (1880-1914), Bruxelles, 1988.
45 Philippe Mary, Délinquant, délinquance et insécurité. Un demi-siècle de traitement en Belgique (1944-1997), Bruxelles, 1998, p. 180.
46 “Loi portant augmentation des traitements des membres de l’ordre judiciaire (Moniteur belge des 19-20 novembre 1918)”, in Pasinomie, Bruxelles, 1918, p. 90-91.
47 Charles Collard, La Protection de l’Enfance. Commentaire de la Loi du 15 mai 1912, Bruxelles, 1913, p. 48.
48 Paul Wets, L’enfant de justice. Quinze années d’application de la Loi sur la Protection de l’Enfance, Bruxelles, 1928, p. 28.
49 Wets, à Bruxelles, et Bribosia, à Namur, livrent les témoignages les plus étoffés sur la fonction de juge des enfants et notamment : Wets, L’enfant de justice... et Paul Bribosia, Enfants de juges et juges des enfants, Namur, 1964.
50 Catherine Jacques et Valérie Piette, “Une grande bataille : sauver l’enfance”, in Serge Jaumain, Michaël Amara, Benoît Majerus et Antoon Vrints (éd.), Une guerre totale ? La Belgique dans la Première Guerre mondiale. Nouvelles tendances de la recherche historique, Bruxelles, 2005, p. 171-182.
51 Aurore François, “From Street Walking to the Convent : Young Prostitutes Judged by the Juvenile Court of Brussels during World War One”, in Heather Jones, Jennifer O'brien, Christopher Schmidt-Supprian (dir), Untold War. New perspectives in First World War Studies, Boston -Leyde : Brill, 2008, p. 151-178.
52 Aurore François, Guerres et délinquance juvénile (1912-1950). Un demi-siècle de pratiques judiciaires et institutionnelles envers des mineurs en difficulté, Thèse de doctorat inédite, UCL, 2008, p. 309-333.
53 D’après Wets, ces relations s’en sont tenues au strict minimum, lui-même n’accordant aucun crédit à « […] [ces] fonctionnaires improvisés, qui présidaient aux destinées du ministère de la justice, ne connaissaient rien de leurs fonctions. L’essentiel était qu’ils fussent flamands, leur compétence importait peu. Ces administrateurs éphémères sabotèrent sans pudeur, les principes de la loi sur la protection de l’enfance qu’ils ne connaissaient d’ailleurs pas ». Il n’empêche, cette nouvelle administration sera à l’origine de multiples interventions dans son quotidien : envoi de formulaires en flamand uniquement, libération de mineurs placés par le juge en institution, etc. (Wets, La guerre…, p. 58-59).
54 Ibidem, p. 50-51.
55 Ibidem, p. 50-51
56 Ibidem, p. 72.
57 Ibidem, p. 73.
58 Ibidem, p. 73-74.
59 Ibidem, p. 74.
60 Archives de l’État à Anderlecht (AEA), Tribunal des Enfants de Bruxelles (TEB), Dossier n°4/18, Protection de l'enfance. Enquête au sujet d'un enfant (Modèle J), 25/02/1919.
61 AEA, TEB, Dossier n°35/18, Arrondissement de Bruxelles. Parquet du Procureur du roi. Ordonnance de mise en liberté (copie), 15/03/1918.
62 Lettre du Procureur d’État à l’Administration municipale de Bruxelles – Commissariat Central de Police, le 25 juin 1918. Retranscription par Wets, La guerre…, p. 74. « C’était élégant, sommaire et précis », commente Wets, « La protection de l’enfance ne les intéressait pas, du moment qu’ils devaient en assumer la charge. À différentes reprises, dans la correspondance avec les autorités administratives restées en fonctions, ils maintinrent ce point de vue. »
63 Wets, La guerre…, p. 75-76.
64 Wets, La guerre…, p. 79.
65 Le juge s’était d’emblée constitué candidat à la fonction dont il demandait la création : « Celui-ci [le magistrat actuel des enfants] se mettrait à la disposition des autorités communales, qui disposeraient de sa compétence, de son expérience, et de ses connaissances spéciales en matière de protection de l’enfance » (Wets, La guerre…, p. 77).
66 Wets, La guerre…, p. 81.
67 Henri Velge, La protection de l’enfance en Belgique. Son passé – son avenir, Bruxelles, 1919, 2e partie, p. 31.
68 Ibidem.
69 AEA, Office Intercommunal de Protection de l’Enfance, Dossier n°35/18, Rapport d’expertise médicale, Bruxelles, le 7 octobre 1918.
70 Wets, La guerre…, p. 81
71 Ibidem, p. 81.
72 Ibidem, p. 80.
73 Ibidem, p. 82.
74 AEA, OIPE, Dossier n°40/18, Ordonnance de garde préventive, 01/01/1919.
75 Cette image sera d’ailleurs renforcée par celle, cette fois négative, de l’attitude des magistrats belges durant la seconde occupation allemande.
Auteurs
Centre d'études et de documentation Guerre et Sociétés contemporaines
Université catholique de Louvain
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