Chapitre IV. Témoignages Belges sur le concile
p. 185-219
Texte intégral
1En général, les Belges sont assez peu portés à écrire leurs mémoires. Certains cependant prennent des notes. Il n’est pas étonnant qu’à l’occasion d’un événement de l’importance du concile Vatican II, un certain nombre d’acteurs, parmi les quelque 200 Belges ayant participé ou assisté au Concile, aient tenu à mettre par écrit le récit de faits vécus, de rencontres jugées importantes, ou encore des anecdotes et des impressions.
2Dans les papiers personnels qui lui ont été confiés, le Centre Lumen gentium de la Faculté de théologie de Louvain-la-Neuve conserve des notes plus ou moins abondantes de quatre théologiens belges qui, à un titre ou à un autre, ont pris part au Concile1. Il s’agit de Ch. Moeller2, Ph. Delhaye, J. Dupont et B. Olivier. Le contenu de ces notes est assez varié, en fonction de la destination que leur réservaient leurs auteurs. Mgr Moeller donne un récit de ce qu’il vit, entend et éprouve, dans un véritable journal tenu très régulièrement, qui témoigne notamment du désir que son rôle au Concile, qui, pour avoir été de second plan, n’en fut pas moins important, ne soit pas oublié3. Pour plusieurs raisons, nous n’en publions pas d’extraits dans cet ouvrage. Avant de songer à une publication, il faut terminer le déchiffrement de l’ensemble du journal, qui, à propos du seul Concile, compte une vingtaine de cahiers : ce n’est qu’au terme de ce travail, rendu difficile à cause de l’écriture de l’auteur, qu’on pourrait choisir les passages les plus dignes d’intérêt. D’autre part, le document contient beaucoup d’allusions, qui demandent à être bien situées, à des personnes encore en vie. Enfin, l’auteur fait souvent référence à des débats théologiques, importants ou secondaires, dont la compréhension par le lecteur exigerait de nombreux commentaires. Développer ceux-ci nous sortirait du genre choisi pour la présente publication.
3Les papiers confiés par Mgr Delhaye contiennent plusieurs notes relatives au travail conciliaire, mais pas de notes personnelles d’une ampleur comparable au journal de Ch. Moeller4. On y trouve cependant quelques textes, peut-être destinés à la publication, comme celui sur « une journée type du Concile », que nous présentons ici. Il s’agit d’une description qui reflète bien l’atmosphère des congrégations générales du matin ; est également évoquée la multiplicité des activités, conciliaires ou autres, entre lesquelles les participants avaient à partager le restant de leurs journées.
4 Quant au père Jacques Dupont5, son activité conciliaire connut une grande variété. Il fut appelé à Rome en novembre 1962, en même temps qu’un autre exégète belge, le franciscain Béda Rigaux, pour aider Mgr Cerfaux, professeur d’exégèse à Louvain, dans l’examen du schéma sur la Révélation, dont la refonte complète venait d’être décidée en Concile. Sans devenir expert officiel, le savant moine s’occupa dès lors, en plus du schéma sur la Révélation, de celui sur l’Église et d’autres encore. Il rendit de nombreux services au Concile dans son ensemble et spécialement à des pères de tous horizons, notamment comme conseiller de dom Chr. Butler, président de la congrégation bénédictine anglaise, en rédigeant à leur intention des remarques et commentaires sur plusieurs schémas, mais aussi en animant un groupe bénédictin qui rédigea un projet alternatif sur la vocation à la sainteté (Chap. IV de la Constitution sur l’Église) et en triant et en mettant en forme les amendements au chapitre de Gaudium et spes sur la culture.
5Le père Dupont a rédigé, pour son usage personnel (en vue notamment de relater les événements conciliaires à son abbé, à l’époque à Saint-André-lez-Bruges), d’abondantes notes sur ses activités quotidiennes, ses rencontres, ses démarches, entre autres pour être autorisé à assister aux congrégations générales, et aussi sur les travaux et débats en cours. Par ailleurs, il fit, en décembre 1962, à la communauté de Saint-André (Bruges) un exposé à propos de l’expérience conciliaire qu’il avait vécue au cours des semaines précédentes. Notre second texte est extrait des notes préparatoires à cette conférence6. Tandis que le cinquième, évoquant les derniers jours du Concile en décembre 1965, est tiré des notes personnelles du moine. On mesurera la différence de genre entre les deux textes et aussi la richesse et la précision des données contenues dans les notes personnelles de décembre 1965.
6 Pour illustrer sur le vif d’autres moments importants de Vatican II, nous avons recouru à la chronique tenue par le père Bernard Olivier, dominicain. Grand prédicateur et, à partir de 1958, professeur de théologie morale à la Faculté de théologie de Lovanium (Léopoldville), celui-ci participa au Concile comme conseiller de l’épiscopat du Congo (Zaïre). Arrivé à Rome au début de la deuxième période, il devint expert officiel en octobre 1963. Outre les interventions, exposés et notes rédigés à l’intention de « son épiscopat », le père Olivier eut un rôle actif aux côtés des théologiens travaillant au service des épiscopats d’Afrique regroupés au sein de la Pan-Africaine, et aussi dans la lente élaboration du schéma sur les missions. Il a rédigé une chronique pendant les deuxième et quatrième périodes conciliaires. Ces notes lui servaient d’aide-mémoire à usage personnel et, pour certains extraits, à usage privé parmi ses confrères. Les extraits que nous en donnons permettront d’apprécier surtout la finesse de l’observation, l’évocation colorée des personnages, et aussi une grande sensibilité au climat conciliaire, sans négliger l’attention accordée aux débats de fond. Ainsi, le théologien dominicain s’intéressait de longue date à la question de la liberté religieuse7, intérêt dont témoigne notre quatrième extrait, où l’auteur évoque notamment certaines difficultés survenues sur ce thème durant les troisième et quatrième périodes conciliaires.
7En publiant ces témoignages, on ne cherche pas à éclairer les débats théologiques souvent complexes qui se déroulèrent au Concile. Le lecteur trouvera des éclaircissements à propos des questions les plus importantes auxquelles ces récits font allusion, en recourant aux trois chapitres précédents de l’ouvrage. Ici, il s’agit plutôt d’évoquer une atmosphère, de suggérer ce que furent les échanges, parfois tendus, entre tant d’hommes d’Église très différents à bien des égards, mais réunis au service du même objectif de la rénovation de l’Église.
8Les personnes citées dans les extraits qui suivent sont identifiées dans le lexique des principaux personnages placé à la fin du volume. Cependant certains noms de personnages secondaires (ou dont la graphie du nom semble douteuse) n’ont pu être identifiés.
Première période conciliaire : images des congrégations générales8
Cérémonies du début
9À partir de 8 heures 30, la place Saint-Pierre devient bruyante et encombrée. Quelques pères conciliaires arrivent dans des automobiles qui repartent ou qui se rangent sur le côté gauche de la place. Mais la plupart sont amenés par de grands autocars qui les attendront à droite. Petit à petit les pères entrent dans la Basilique et se rangent dans les stalles de cet immense chœur à dix rangs de profondeur qui est devenue la merveilleuse nef de Saint-Pierre. Celle-ci est tendue de velours rouge et de draperies qui en rehaussent la splendeur et atténuent la froideur des marbres.
10À neuf heures très exactes, la messe commence. Un Concile, en effet, n’est pas un parlement ni une réunion académique ; il est avant tout une assemblée religieuse délibérant in Spiritu Sancto. Il cherche autant son inspiration dans la prière que dans l’étude. Les pères sont d’ailleurs en habit de chœur, en chape pour les jours solennels, en manteletta le plus souvent. Les premiers jours, le Saint-Sacrifice était toujours une messe basse agrémentée de quelques motets.
11Quelques évêques liturgistes demandèrent que la messe fut dialoguée et que les différents rites soient utilisés. C’est ainsi que l’Archevêque de Milan célébra la messe de saint Charles Borromée en rite ambrosien et que de nombreux évêques orientaux purent faire connaître les vénérables traditions liturgiques de leur église. Les Éthiopiens eurent, en ce genre, un vif succès de curiosité. Celui-ci fut cependant surpassé par le rite latin en langue slave qui, depuis les temps lointains de S.S. Cyrille et Méthode, est utilisé, avec bien des vicissitudes, en Bohême, en Moravie et en Croatie.
12Les rubriques sont strictement celles de la messe romaine mais les textes sont récités en slavon plutôt qu’en latin.
13Après la messe, l’Évangile est solennellement intronisé. Un évêque s’avance du fond de la basilique portant ouvert le livre des Évangiles – un merveilleux manuscrit tiré des arcanes de la riche Bibliothèque Vaticane – et accompagné de deux acolytes portant des cierges, le dépose sur l’autel. Ainsi, d’une manière toute spéciale, le Christ, Parole du Père aux hommes, est présent au milieu des évêques comme Il le fut auprès des Apôtres, leurs prédécesseurs. Pendant cette intronisation, les pères chantent le Credo ou le Christus Vincit.
« Extra omnes »
14Cette cérémonie terminée, S.E. Mgr Felici, premier secrétaire, prononçait la formule Extra omnes qui, les premiers jours, était plus explicite et se terminait par exceptis observatoribus et peritis. C’est qu’en effet, la charité et le zèle apostolique de S.S. Jean XXIII ont voulu que les représentants de diverses dénominations chrétiennes puissent suivre les débats. En novembre se joindra à eux un laïc catholique, M. Jean Guitton, professeur en Sorbonne, membre de l’Académie française. Leur place est presque une place d’honneur comme l’a noté un des plus notables d’entre eux, M. Cullmann. En effet, les observateurs sont groupés dans une des tribunes réservée d’ordinaire au Corps Diplomatique sous le premier pilier de droite qui soutient la coupole de Saint-Pierre. Ils forment des petits groupes selon les langues puisque, par un privilège qu’envient certains pères, ils ont des traducteurs à leur disposition. De nombreuses communautés protestantes sont là représentées ainsi que plusieurs patriarcats orientaux dont celui de Moscou. Ce fut, en effet, une des sensations de la journée d’ouverture du Concile que l’annonce de l’arrivée de deux théologiens russes9. Certains ont proposé une explication de cette arrivée tardive : Moscou était persuadé que le discours d’ouverture contiendrait une déclaration de guerre contre le communisme. Mais sur ce point comme sur d’autres, le saint-père estima inutile de répéter une condamnation définitivement acquise ; devant le discours paternel que le pape prononça à la messe de ce jour, les préventions tombèrent, on annonça sur l’heure l’envoi des observateurs russes. La soudaineté de la décision fut en tout cas cause d’une situation curieuse : Constantinople n’avait pas voulu envoyer d’observateur pour éviter de faire cavalier seul. Surpris par la décision russe, le patriarche grec ne pouvait plus envoyer de délégués sans perdre la face. On le sait, cependant, le patriarche Anaxagoras10 est infiniment plus proche de Rome que ne l’est son collègue de Moscou. Les observateurs sont pris en charge par le Secrétariat de l’Unité présidé par S.E. le Cardinal Bea. Au début du Concile, ce nouvel organisme de la curie s’était trouvé mis dans l’ombre ; il a bientôt obtenu les mêmes responsabilités et les mêmes honneurs que les autres commissions.
15Faut-il le dire ? Le rôle des observateurs est purement passif. Il consiste à informer leurs diverses dénominations de ce qui se passe au Concile et de leur permettre ainsi de comprendre exactement le point de vue de l’Église.
16En ce sens, le rôle des experts est matériellement semblable à celui des informateurs. Ils suivent les débats de bout en bout, juchés sur de hautes tribunes qui surplombent le chœur des évêques et relient entre elles les colonnes de la nef. Plus ou moins nombreux suivant l’importance des débats, renforcés parfois de théologiens épiscopaux qui ont obtenu du Secrétariat la permission d’assister à l’une ou l’autre séance, ils écoutent les discours et prennent force notes. En effet, certains d’entre eux sont appelés à participer aux travaux des commissions comme par exemple le révérend père Gagnebet pour la liturgie. Il faut qu’ils connaissent le sens des diverses interventions. C’est à eux souvent que les évêques recourent pour demander un rapport, compléter une bibliographie, ajouter une note technique à leur projet de discours. On a même prévu que les experts pourraient être appelés à exposer une question devant l’assemblée mais, jusque maintenant, pareil cas ne s’est pas présenté, au grand désappointement de certains d’entre eux d’ailleurs. Une première liste de 200 experts a été publiée au début du Concile ; une centaine de nouveaux noms sont venus s’y adjoindre récemment.
Les discours des évêques
17Après la formule de l’Extra omnes, le Secrétariat fait diverses communications. Tout d’abord, on annonce le nom du cardinal, membre du praesidium des dix, qui dirigera la séance du jour. Ensuite est proclamée la liste des orateurs du jour. Elle est strictement hiérarchique en sorte que l’on commence par entendre les cardinaux avant les archevêques et les évêques. Dans chacune des catégories, c’est l’ordre chronologique d’inscription qui détermine la préséance. L’ordre hiérarchique a été aussi suivi pour la répartition des sièges si bien que les dernières travées du "chœur" sont occupées par le "jeune épiscopat" que d’aucuns trouvent plus bruyant. C’est en tout cas là que se commet le plus souvent le délit d’applaudissements.
18Chacun des pères parle dix minutes en principe. L’indulgence du Président en accorde parfois un peu plus mais pas trop. Le couperet tombe également sur les membres les plus éminents de l’assemblée, ce qui n’est pas sans consoler certains qui se sont entendus retirer la parole.
19L’assemblée peut ainsi écouter une quinzaine d’orateurs dans la matinée. Tous s’expriment avec une liberté totale : si certains pessimistes avaient parlé de débats préfabriqués, ils ont vu leurs pronostics entièrement démentis par les faits. Un effet de cette liberté et de l’ordre extrinsèque suivi pour la désignation des orateurs est qu’il n’y a pas de discussion suivie au sens parlementaire du mot.
20Le cardinal président d’une commission ou un théologien secrétaire d’une sous-commission présente le schéma préparé par les commissions pré-conciliaires. Mais ensuite il n’intervient plus : il n’y a donc pas de ces "répliques du ministre" ou des présidents de commission que connaissent nos assemblées politiques. Les orateurs "pour" et "contre" se répondent rarement, tout au moins d’une façon directe. Lorsque plus aucun des pères conciliaires ne demande la parole ou lorsque l’assemblée a voté la fin d’un débat, le travail passe à la commission conciliaire où les évêques élus par leurs pairs et les commissaires nommés par le saint-père introduisent dans le schéma les modifications proposées11, dans la mesure où elles leur paraissent dignes d’être retenues. C’est l’archevêque de Saragosse12, l’un des secrétaires, qui fait le tri parmi les amendements proposés. C’est donc dans la commission que se fait le travail de la nouvelle rédaction : ce qui est possible à vingt-cinq commissaires ne le serait évidemment pas à une assemblée de 2500 personnes. Le Concile n’est d’ailleurs pas frustré de son droit de décision puisque le nouveau texte élaboré repasse devant l’assemblée pour être soumis au vote. C’est ainsi qu’au début de décembre, les pères ont adopté à une majorité qui frisait l’unanimité morale les textes amendés que la commission de liturgie avait préparés en tenant compte des avis exprimés en 400 discours et en 900 communications écrites. [...]
21La matinée s’achève ; l’assemblée se disperse, les évêques regagnent prestement leurs autocars commentant vivement les discours entendus, donnant des autographes à des pèlerins, essayant d’échapper aux questions des journalistes. L’après-midi sera consacré à des réunions privées, à des conférences d’informations, à la préparation des travaux pour les jours suivants. Cette scène haute en couleurs s’est répétée pendant deux mois sauf un jour, où elle a fait place à une manifestation hautement émouvante. C’était le 5 décembre. Le saint-père avait été malade et, quoique se trouvant déjà mieux, il avait dû, sur le conseil du médecin, renoncer à l’audience générale qu’il accorde d’ordinaire le mercredi. Il avait cependant promis de se montrer à sa fenêtre à midi et de réciter l’Angelus avec la foule. Ce jour-là, les débats conciliaires se terminèrent plus tôt si bien qu’aux 20 000 personnes qui se trouvaient sur la merveilleuse place Saint-Pierre, vinrent se joindre les pères conciliaires, formant une énorme tâche violette au bas des marches de la basilique. Le pape parut, récita la prière et puis voulut parler. Mais les applaudissements fusaient de toute part, plus encore peut-être des rangs des évêques que de partout ailleurs. On sentait vraiment l’union de tout l’épiscopat autour du père commun, sa reconnaissance pour la convocation du Concile comme pour les interventions libératrices dont nous reparlerons à l’instant. Le discours du pape fut à l’émission13, Ecco la chiesa, voilà toute l’Église : les évêques, les prêtres, les fidèles. S’il n’est pas téméraire d’interpréter les sentiments du saint-père, nous dirons qu’ils étaient ceux d’une sérénité totale, d’une confiance absolue du père envers ses frères comme envers ses fils. Deux fois il nous bénit : tout d’abord dans la formule officielle, chantée, puis, après avoir repris la parole comme dans le regret de nous renvoyer : ancora una benedizione...
La première période s’achève : congrégation générale du 6 décembre 196214
22J’avoue tout de suite que je n’ai pas désiré particulièrement ce privilège : l’idée d’une cérémonie qui dure toute une matinée ne me paraissait pas spécialement attirante. Mais j’avais remarqué que Mgr Charue souhaitait que le père Béda15 et moi-même puissions être là le jour où il parlerait ; le père Béda lui-même désirait vivement voir une séance. Mais, de toute évidence, personne ne savait comment s’y prendre. Je savais par ailleurs que le père Olivier Rousseau avait déjà fait entrer quelqu’un. Le rencontrant à Saint-Anselme, je l’ai interrogé sur son tuyau. C’était bien simple : seuls les six secrétaires peuvent admettre quelqu’un à une séance. Le plus coopérant était Mgr Nabaa, archevêque melchite de Beyrouth. Cela m’arrangeait fort bien : j’ai connu personnellement à Jérusalem un professeur du séminaire Sainte-Anne, devenu depuis lors archevêque melchite, Mgr Edelby ; je n’avais qu’à m’adresser à lui pour être introduit auprès de Mgr Nabaa. J’ai été à la résidence des melchites ; tout s’est arrangé sans peine.
23C’est ainsi que je me suis trouvé jeudi 6 à 8 h 15 devant la porte latérale sud de Saint-Pierre, non seulement avec le père Béda, mais avec les chanoines Beauduin et Moeller. Un peu après nous entrions sous l’aile protectrice de Mgr Nabaa, qui m’indiquait notre place : la tribune qui se trouve au pied de Saint André, à main gauche, devant la confession, quand on entre dans la basilique par la porte principale. Nous étions là à quelques mètres de la table de la présidence ; de l’autre côté de cette table, la tribune des observateurs. D’où nous étions, on n’a vue que sur une petite partie de la salle conciliaire, parce que les rangées de la tribune des cardinaux, près de laquelle nous sommes, est plus élevée que notre tribune.
24Juste en face de la tribune des cardinaux se trouve la statue de Saint-Pierre (en chape et tiare) au pied de laquelle se groupe la schola de Saint-Anselme, qui assure les chants de la messe ce jour-là. Parmi cette schola, le frère Antoine, qui passe deux jours à Rome, en route pour Elisabethville.
25En attendant l’heure de la messe (9 heures), on salue des connaissances. Les pères conciliaires circulent, forment des petits groupes ; beaucoup vont prier à la balustrade de la confession. À 9 heures, tout le monde est à sa place et la messe commence sur le petit autel du Concile. L’introït de la messe du Saint-Esprit est chanté (en grégorien, parce que ce sont des bénédictins) ; on continue ensuite en dialoguant ; la diffusion étant excellente, l’assistance tout entière répond au célébrant. À l’offertoire on chante Ubi caritas et amor, l’assistance reprenant après la schola. Après la bénédiction finale, on chante l’Alma Redemptoris Mater. Pendant que l’Évangile est solennellement intronisé sur l’autel, toute l’assistance chante le Credo. Ce chant, très familier, prend une signification extraordinaire quand il est ainsi exécuté par tout l’ensemble des évêques de l’Église catholique.
26Puis c’est l’Extra omnes, et la prière Adsumus, récitée (ou bredouillée) également par toute l’assistance. Le secrétaire du Concile monte alors à la petite tribune qui lui est réservée et fait différentes communications, donnant notamment la liste des orateurs inscrits. La parole passe alors au premier des orateurs du jour, le cardinal Lercaro. On continue le procès du schéma sur l’Église. Pendant ce temps, on distribue puis ramasse les bulletins de vote sur les derniers amendements du Chapitre I du schéma de la liturgie. Je suis un peu distrait des discours par l’examen des textes : celui du schéma de la Liturgie, prooemium et Chapitre I. La disposition typographique est excellente : deux colonnes. À gauche le texte du schéma ; à droite le texte amendé, où les changements sont imprimés en italique, les additions en capitales. Ainsi, il est très facile de se rendre immédiatement compte des modifications apportées au texte primitif, et de l’esprit dont elles témoignent. Dans l’ensemble, elles reflètent nettement une tendance disons "progressiste". Après avoir voté sur chacun des amendements, le Concile sera appelé le lendemain à voter sur l’ensemble du texte du prooemium et du Chapitre I. Vous connaissez le résultat de ce vote : près de 2000 placet, 180 placet iuxta modum, et seulement 11 non placet. Dès samedi matin, 8 décembre, l’Osservatore Romano publiait un article du père Cyprien16 sur le texte qui venait d’être approuvé avec une unanimité aussi impressionnante. La publication de cet article a été fort bien accueillie par les pères du Concile ; mais très mal par Mgr Felici, secrétaire du Concile, qui est entré dans une violente colère, accusant le père Cyprien de violation du secret conciliaire. Il est clair que le père Cyprien avait pris ses assurances, et je pense bien qu’il n’aura pas d’ennuis.
27Je reviens à la séance de jeudi 6 décembre. J’ai été un peu distrait des discours par ce texte du schéma de liturgie, et aussi par un autre texte qu’on venait de distribuer aux pères : la "table des matières" à traiter au Concile, où, des septante-et-un schémas retenus par la Commission centrale, on ne retient plus que vingt schémas. Ils constituent le programme, encore fort imposant, de la deuxième session.
28Pour tâter le pouls de l’assemblée conciliaire, on ne saurait se contenter d’écouter les discours prononcés dans l’Aula de Saint-Pierre. Il faut aussi faire connaissance de ce qu’on appelle "le Concile latéral" : les deux bars qui sont ouverts vers 10 heures -10 heures 30 de chaque côté de la nef (le Bar-Iona et le Bar-Abbas). Je suis allé vers 11 heures dans le bar qui s’ouvre du côté de la sacristie, dans une galerie qui se trouve sur le pont enjambant le chemin qui longe le côté Sud de la basilique. On passe par une chapelle latérale, où des petits groupes d’évêques discutent.
29On arrive dans un corridor assez étroit où se trouve un buffet (gratuit) et où l’on se presse. Impossible d’avancer sans bousculer quelqu’un. Or il faut bien avancer si l’on veut une tasse de café ou si l’on veut rejoindre un personnage qu’on a reconnu. Il suffit de pousser un peu des coudes en s’excusant : peu importe qu’il s’agisse du grand cardinal indien ou d’un tout jeune abbé. D’un bord à l’autre d’une petite tasse de café, les conversations se nouent et se dénouent.
30Les organisateurs du Concile n’ont pas prévu de salles de réunions pour les évêques : on peut se demander s’ils ont prévu l’importance conciliaire de ces petites buvettes latérales.
31Revenu à ma place, je sors mon appareil photographique pour garder un souvenir de la table des présidents, qui est à portée de mains (j’espère que la photo sera réussie l). On arrive bientôt au dernier orateur, Mgr Hakim, qui parle en français et critique sévèrement le juridisme du schéma de l’Église, conséquence de sa méconnaissance de la tradition orientale.
32Le Secrétaire, Mgr Felici, prend alors la parole. Il donne lecture d’un document du souverain pontife organisant le travail qui devra se faire entre les deux sessions, et annonçant la création d’une commission de coordination, présidée par le cardinal Cicognani.
33Mgr Felici communique le résultat des votes sur les derniers amendements du Chapitre I du schéma sur la Liturgie : l’unanimité morale se maintient. On vote ensuite (par assis et debout) l’ordre du jour du lendemain.
34La séance se termine par l’Angélus récité par le cardinal Tisserant, et la foule des pères s’écoule par toutes les portes. Je sors en traversant la grande nef, de façon à avoir une vue d’ensemble de la grande Aula. Et arrivé sur le parvis, je sors vite mon appareil pour prendre quelques clichés de la foule bariolée qui s’écoule. [...]
35Je ne sais si j’ai réussi à donner une idée juste des impressions, d’ailleurs assez complexes, que j’ai emportées de cette matinée à Saint-Pierre. Je n’ai assisté à aucun événement très sensationnel, comme l’a été, par exemple, le lendemain, la venue du pape dans l’assemblée. Il y a eu des discours, tout simplement. Généralement pour souligner quelque grand thème qui devrait avoir sa place dans un exposé doctrinal sur l’Église. Mais il y a surtout cette assemblée elle-même. Une assemblée faite d’hommes, d’hommes dont le côté humain est très manifeste : pas seulement au bar, mais dans la basilique elle-même, où l’on remarque tel père intéressé par ce qui se dit, tel autre qui s’ennuie... Et en même temps assemblée d’une grandeur unique : ces 2000 et des hommes17 sont ensemble les continuateurs et les dépositaires du groupe des douze apôtres que Jésus-Christ a réunis autour de lui et auxquels il a confié son Église.
36Voilà, je pense, ce qui m’a le plus impressionné ce matin-là : c’est la relation que j’ai reconnue entre cette grande assemblée et les souvenirs évangéliques qui me revenaient à la mémoire, évoquant le collège des Douze qui se perpétue pour nous dans ces assises solennelles. Et ces petits bulletins verts qui s’empilent aboutissent peu à peu à un texte que nous savons garanti par l’assistance du Saint-Esprit.
37La vraie grandeur du Concile ne vient pas de ce qu’il rassemble tant de hauts personnages ecclésiastiques ; elle n’est perceptible qu’aux yeux de la foi.
Seconde période : l’Afrique, la crise d’octobre 196318
38Les Évêques du Congo sont arrivés peu à peu ces derniers jours à l’hôtel Le Anfore (vingt d’entre eux doivent y séjourner) et le samedi tout le monde est là. L’hôtel est modeste, assez éloigné de Saint-Pierre, mais patrons et personnel sont très accueillants. Dès mon arrivée, la maîtresse de maison, arrivant dans ma chambre, me salue d’un retentissant « Bonjour Monseigneur » (elle est niçoise). Je suis tellement paf que je ne dis rien et en me regardant du coin de l’œil, elle ajoute : « Vous êtes bien jeune pour être déjà évêque. »– « Mais je ne suis pas évêque, je suis conseiller des évêques ». – « Vous êtes tout de même bien jeune... ». Manifestement, elle voulait savoir mon âge. Mais comme elle s’est emparée de mon passeport, elle l’a su sans avoir rien à demander. J’ai raté l’occasion (puisqu’elle parlait français) de placer une belle phrase de l’Assimil italien : non dimostro la mia età.
39Il y a donc vingt évêques, notamment N.S. Scalais, Mels, Kettel, Malula, Kimbondo, Nkongolo, Fryns, Van Cauwelaert... et, comme non-évêques, le père Goossens qui est mon compagnon "technicien" et deux journalistes : le père Ceuppens, de l’Agence DIA, et Melle De Schrijver, de l’Agence CIP.
40Comme aucune réponse n’est jamais parvenue à Mgr Scalais au sujet de notre agréation comme Experts du Concile (nous sommes admis à vivre ici aux frais du Vatican comme experts de l’Épiscopat congolais – ce qui ne nous autorise pas à assister aux réunions dans l’Aula conciliaire), le père Goossens et moi nous rendons, en cette veille de l’ouverture, au Vatican pour chercher des nouvelles. [...]
41Arrive enfin un abbé Poupard (c’est son nom) qui nous explique que la demande de Mgr Scalais a dû s’égarer on ne sait où, qu’il y a eu tellement de demandes de titre d’expert, présentées par des évêques qui voulaient un statut privilégié pour leur secrétaire personnel, mais qu’évidemment notre cas est tout-à-fait différent et que l’affaire ne pose aucun problème... Bref, il nous recommande de recommencer les démarches et de faire appuyer la requête par un des cardinaux modérateurs du Concile.
42Le soir-même, Mgr Scalais rédige une nouvelle lettre, rappelant la précédente et la fait introduire par le cardinal Suenens. Nous apprenons ensuite que le cardinal Cicognani l’a acceptée en faisant la moue, mais sans rien refuser ni promettre.
43À l’hôtel, où je me suis replié progressivement devant l’invasion progressive des évêques, je fais table commune avec Mgr Van Cauwelaert, son cousin qu’il a amené comme secrétaire personnel, Dom Robert Van Cauwelaert, moine de Chevetogne, et les deux journalistes.
Dimanche 29 septembre
Ouverture de la IIe session du Concile
44[...]
45Ce même jour, première réunion de contact de l’Épiscopat pan-africain [PAN-AF] au niveau des experts. Sont présents Mgr Zoa, archevêque de Yaoundé au Cameroun, Mgr Blomjous, évêque de Mwanza au Tanganyka, respectivement secrétaires généraux des sections francophone et anglophone de la Conférence africaine de l’épiscopat, qui est présidée par le cardinal Rugambwa ; le père Greco, SJ français, le père Voght [Vogt] d’Afrique du Sud, le père Seumois, père blanc, pour le Rwanda-Burundi, et le père Goossens et moi pour le Congo. Mgr Thils assiste aussi à la réunion.
46Mgr Zoa est un évêque simple, direct et plein de dynamisme. Mgr Blomjous (un homme d’une sagesse pratique remarquable et plein d’idées aussi remarquables) avec sa canne, son chapeau mou, un cigare vissé dans le coin de la bouche qui barre de travers toute la figure, a vraiment le type du Hollandais anglicisé.
47Le père Goossens présente, au nom de l’épiscopat congolais, la ligne générale du projet d’intervention sur le schéma De Ecclesia : insister sur la dimension missionnaire fondamentale de l’Église, qui n’est pas assez soulignée. Puis je propose le plan des amendements que je suggère. Comme aucune image biblique ne suffit à elle seule à exprimer parfaitement le mystère de l’Église, au lieu de le faire en utilisant uniquement la notion de Corps mystique, comme c’est le cas dans le schéma officiel, recourir à trois notions qui me paraissent essentielles et complémentaires dans la Bible : le peuple de Dieu en marche, le Corps mystique, le Royaume de Dieu. Cette proposition recueille les approbations unanimes et on me charge de rédiger le texte d’une intervention (qui sera faite par Mgr Scalais dans l’Aula) et celui des amendements à déposer par écrit à la Commission sur la foi (présidée par le cardinal Ottaviani). On décide de plus de constituer un comité de théologiens pour toute l’Afrique. En attendant que ces textes soient prêts (il me faut trois jours), on demandera au cardinal Rugambwa d’intervenir publiquement pour demander d’accentuer, dans tout le schéma, la dimension missionnaire de l’Église.
Mardi 1er octobre
48À 16 heures, première réunion plénière de l’épiscopat congolais. J’y présente le projet des textes à défendre (dans les grandes lignes) et tous les évêques approuvent en demandant de souligner encore plus certains points.
49Mercredi, rédaction définitive des textes, communiqués à Mgr Zoa et Mgr Blomjous et déposés au Secrétariat du Concile.
50Jeudi, Mgr Scalais fait son intervention qui est écoutée dans un silence religieux. En même temps, toujours dans les coulisses (on voudrait bien pouvoir respirer un peu l’air des hauteurs...) nous préparons, le père Seumois, le père Goossens et moi, une intervention de Mgr Grauls, au nom du Rwanda-Burundi et Congo, sur la Catholicité de l’Église (unité dans la diversité) à partir d’un premier projet du père Seumois. Mgr Grauls fait son intervention le vendredi et est félicité spécialement par des évêques indiens. Il reste à mettre au point le texte à déposer à la Commission pour la foi. Toute la semaine se passe ainsi, sans un instant pour souffler, à la rédaction de ces textes. Si toute la session se poursuit à ce rythme infernal pour nous, nous n’en sortirons plus que morts...
51Le week-end, les Évêques ont quartier libre. Les "techniciens" que nous sommes n’ont guère le temps de chômer. Mais enfin, le dimanche, je peux aller faire un tour en ville : le Colisée, le Forum... J’avais pu, avant l’arrivée des évêques, aller revoir rapidement Saint-Jean de Latran, Sainte-Marie Majeure.
52Les dimanches à Rome ont une liturgie très bizarre (on est loin du renouveau qu’on connaît ailleurs). On ne prêche pas dans les églises (j’en ai fait trois ou quatre pour vérifier) et au lieu d’essayer de rassembler toute la communauté autour de l’autel, on multiplie les messes particulières pour les mariages, les communions privées, etc. Cela m’avait déjà frappé à mon premier séjour, et cette impression désastreuse se trouve confirmée. Par contre, la piété simple et assez démonstrative des gens du peuple est très touchante, avec le respect qu’ont pour les piétons, les automobilistes pourtant forcenés...[...]
53Au début de la semaine nous avons assisté à une très intéressante conférence du père Congar sur le schéma De Ecclesia. Il a surtout parlé de la notion de Corps mystique et de la collégialité épiscopale. À cette conférence, j’ai retrouvé avec joie le père Chenu, conseiller d’un évêque de Madagascar. Le père Congar rapporte un bon mot du cardinal Ottaviani (particulièrement silencieux cette session, mais on dit que Mgr Carli est un de ses poulains) au sujet du premier schéma sur l’Église : « Naturellement ce schéma (qui était l’œuvre de sa Commission) sera rejeté a priori, ante praevisa merita. »
54On a beaucoup de peine à décider un évêque congolais à prendre la parole dans l’Aula. Mgr Malula spécialement semble échaudé et toujours sous le coup de l’accueil très froid du cardinal Agagianian l’an passé.
55Dans les conversations à l’hôtel, sauf rares exceptions, c’est manifestement la situation politique du Congo qui apparaît comme la préoccupation majeure des Congolais.
Mercredi 16 octobre
56Enfin nous avons reçu notre nomination d’Experts du Concile, tout ce qu’il y a de plus officiel. On nous a remis un beau diplôme signé par le cardinal Cicognani, Secrétaire d’État (à la date du 9 octobre) et un passeport (avec photos et cachets) nous permettant d’entrer dans l’Aula conciliaire.
57Hier donc, mardi 15 octobre, j’ai assisté pour la première fois à la séance solennelle et je veux noter immédiatement mes premières impressions car je crois que les premières impressions ont une valeur irremplaçable.
58Je prends donc place à la tribune des experts (il y en a trois) qui domine la nef où siègent les évêques. Tout au fond de l’immense basilique Saint-Pierre, devant l’autel " de la confession" est dressée une longue table réservée aux présidents (qui depuis la nomination de quatre modérateurs n’ont plus guère qu’un rôle de simple figuration). Devant eux une plus petite table pour les quatre modérateurs : les cardinaux (de gauche à droite quand on les regarde) Agagianian, Lercaro, Döpfner et Suenens. À droite, la table du secrétariat. À l’entrée du chœur, un petit autel où se célèbre la messe qui ouvre chaque séance du Concile. Dans la nef, à gauche, près du chœur, les cardinaux en pourpre, et en face d’eux les Patriarches orientaux. Puis dans les stalles, les évêques. Les différentes travées, séparées par un escalier recouvert d’un tapis rouge, comptent six places de front et une douzaine de rangées étagées. Peu à peu, à mesure qu’on approche de 9 heures, les pères remplissent la nef. C’est un vrai papillonnement de violet coupé par le blanc des surplis. Les pères vont et viennent dans l’allée centrale, certains sont déjà à leur place et disent leur bréviaire ou lisent le journal. Des photographes opèrent à tour de bras, fixant sur pellicule des évêques en pose digne ou avantageuse. Les observateurs et auditeurs laïcs doivent être près des patriarches mais de ma place je ne les distingue pas bien.
59À 9 heures, une sonnerie retentit et tout le monde s’installe et fait silence. À part la tache rouge du groupe des cardinaux, la nef ressemble vraiment à une mer violette où nagent de petites voiles pointues : les manches blanches des surplis. Avec çà et là le costume noir des évêques orientaux et le gris des évêques franciscains. Je repère, en face de notre tribune, Mgr Van Waeyenbergh, Mgr Malula, Mgr Kimbondo. Notre tribune est occupée par une bonne cinquantaine d’experts parmi lesquels Mgr Philips, le père Congar, le père Liégé, Mgr Cardijn, le père Häring...
60La messe aujourd’hui, est célébrée selon le rite mozarabe (ou wisigothique) qui fut en usage en Espagne pendant la domination arabe et survit actuellement dans une seule église espagnole. On a distribué aux pères des brochures qui leur permettent de suivre le rite. Et ils le suivent très bien pour la plupart.
61Pourtant quelques-uns tiennent leur brochure en main mais avec leur bréviaire ouvert par dessus. Quand toute l’assemblée tourne les pages d’un mouvement simultané, on pense irrésistiblement (enfin... je pense irrésistiblement) à l’envol général des pigeons devant la basilique de Florence ou sur le Campo de Sienne... À côté de moi, dans la tribune, il y a deux experts américains. L’un d’eux est arc-bouté sur l’accoudoir et dit son bréviaire dans l’attitude d’un homme qui fait des mots croisés. L’autre reste silencieux et recueilli pendant toute la messe et vers 10 heures moins cinq il pousse un gros soupir et dit à haute voix : It is so long ! La messe dure une heure en effet et le rite ne nous est pas familier.
62Après la messe, c’est l’intronisation solennelle de l’Évangile. [...]
63Alors Mgr Felici, le secrétaire du Concile, prononce au micro d’une voix forte : Exeant omnes (que tout le monde sorte). Et tous ceux qui ne participent pas à la Congrégation générale (gardes suisses en grand uniforme, chantres et invités) se retirent. [...]
64Commencent à ce moment les interventions. Le système d’amplification est excellent et on comprend parfaitement tous les discours. L’orateur descend au premier rang de sa travée devant le micro. Chacun a droit à dix minutes au maximum. À cette session, un système de sonnerie doit avertir l’orateur trop prolixe que son temps de parole est écoulé. Les interventions ont trait à la collégialité de l’épiscopat et au diaconat comme ordre stable, sans célibat. Ce sont les deux grands sujets de la semaine et ils sont fort débattus, déjà depuis six ou sept jours. Les premières interventions sont écoutées dans un grand silence : le cardinal Siri qui fait des réserves sur les deux points, le cardinal Wyszynski, le patriarche maronite du Liban19... Un évêque italien20 met en garde contre le danger du diaconat sans célibat : des prêtres « cédant à l’emprise des passions » pourraient être tentés de demander à redevenir diacres pour se marier... Vers 11 heures, un mouvement assez prononcé se dessine vers les bars aménagés dans des annexes de la basilique. J’y vais aussi non parce que j’ai soif mais pour voir ce qui s’y passe.
65On y est entassé comme dans un bus de Léo. Dès l’entrée une grande pancarte annonce en cinq langues : « on est prié de ne pas fumer » mais franchie la pancarte on entre dans une tabagie incroyable. On trouve là du café (italien l : expresso ou capucino), du thé, du coca-cola, des orangeades, et aussi des biscuits, des tartelettes, etc. Il se peut, comme on l’a dit, que ce bar soit un lieu de rencontre important, mais en tout cas pas aux heures de pointe, car la seule chose à faire est de vider sa tasse en vitesse pour faire place aux autres.
66À la fin de la séance, le cardinal Suenens qui préside annonce qu’il reste encore beaucoup d’orateurs inscrits sur le Chapitre Il et qu’il faudrait avancer. Il pose donc la question : Est-on d’avis d’en terminer aujourd’hui ? Des applaudissements nourris éclatent. Il demande qu’on se prononce par assis ou debout. Tout le monde se lève comme un seul homme – sauf un évêque sous notre tribune qui reste assis malgré les pressions de ses voisins (mais lui semble n’avoir pas compris de quoi il s’agit. Après quelques jours cet évêque a disparu. Il faut sans doute le compter au nombre des morts dont la liste s’allonge presque chaque jour). La question est donc résolue. On commencera demain la discussion du Chapitre III sur les Laïcs.
67On procède alors à la "déposition" de l’Évangile et toute l’assemblée récite l’Angélus puis (c’est un usage romain, paraît-il) la prière à l’ange gardien...
68On retrouve alors le soleil sur l’immense esplanade de Saint-Pierre. On regagne les bus qui traversent la foule contenue derrière les barrières, une foule souriante et gentille qui salue affectueusement les évêques. Mgr Kimbondo, de la fenêtre du bus, distribue des signes de la main à gauche et à droite.
69Voilà mes premières impressions, vues surtout du côté des détails... Mais justement ces détails me paraissent rendre l’atmosphère. Si deux tendances s’affrontent (et on le sent aussitôt), mais moins violemment que l’an passé, tout se déroule dans une ambiance de bonne humeur. Évidemment il est bien clair que le vrai travail se fait en dehors de l’Aula conciliaire : dans la préparation des interventions, les échanges et rencontres entre groupes, les conférences. Mais comme pour ma part, je n’avais connu jusqu’ici que ces coulisses, je suis vraiment heureux de pouvoir assister aux séances solennelles. On y perçoit le pouls de l’opinion et on touche vraiment à la fois l’unité et la diversité de l’Église. On sent vraiment qu’on fait partie d’un grand Corps et aussi... que le Saint-Esprit doit faire son œuvre à travers les limites des esprits particuliers. Et ce n’est pas là le moindre sujet d’admiration l
Jeudi 17 octobre
70Hier matin déjà, en arrivant à notre tribune un bon moment avant l’heure de la messe (le bus vient nous chercher dès 8 heures), j’ai repéré un petit abbé italien (ou espagnol peut-être ?) en conversation en latin avec un prêtre américain. L’américain se contente de dire quelques mots, très péniblement.
71Un évêque américain a d’ailleurs déclaré dans une conversation : « Je connais l’américain et un peu de français, mais pour le latin je suis analphabète »... Le petit abbé est brun de peau, noir de poil et parle avec assurance. Il ne faut pas longtemps pour être au fait de ses idées. Je fais semblant d’être plongé dans la lecture et j’écoute... Quand j’entre (avec mes oreilles) dans la conversation, le petit abbé est en train de dire : « Les Allemands ont toujours des opinions extrêmes et peu orthodoxes. Ils sont modernistes ». Il ajoute plus tard qu’il fait partie de la Commission liturgique.
72Aujourd’hui je les retrouve tous les deux en arrivant. On a discuté beaucoup ces jours-ci de la collégialité de l’épiscopat. Et manifestement pour certains c’est porter atteinte à l’autorité du pape. Mon petit abbé ne peut manquer d’être de cet avis. Et en effet, il déclare avec autorité : « Tous ces évêques veulent être indépendants... Ils ne veulent pas de l’autorité du Pontife Romain : Nolumus eum regnare super nos » (Nous ne voulons pas qu’il règne sur nous). On croirait vraiment que ce n’est pas le Christ qui règne sur l’Église et le monde. [...]
73On a annoncé depuis plusieurs jours (dès le mardi 15 si je ne me trompe) que les pères auraient à voter sur quatre points concernant le Chapitre II et que ces quatre points seront présentés dès le lendemain. Il s’agit de la sacramentalité de l’épiscopat vraisemblablement, de la collégialité épiscopale, du diaconat sans célibat et d’un point que je ne peux deviner. Mais ces quatre points se font attendre. Il paraît qu’il y a conflit entre Mgr Felici et les quatre modérateurs à ce sujet. Felici a eu recours, contre les modérateurs, au conseil de présidence. Et tous ont demandé l’arbitrage du pape qui aurait dit aux modérateurs qu’ils ont à décider. C’est donc en fait Felici qui bloquerait la procédure...
74Le travail plus obscur, dans les coulisses, se poursuit. On n’a pas le temps de chômer. Notre comité pan-africain des théologiens s’étoffe de plus en plus. Il arrive même à déborder l’Afrique. Nous nous réunirons à Maria Assunta (Via Traspontina) tous les lundis (puis mardis) à 16 heures 30. Ces réunions sont consacrées presque exclusivement à l’étude préparatoire du schéma des missions.
75J’ai été chargé de remplir les fonctions de secrétaire et désormais les comptes-rendus de ces réunions seront polycopiés pour être remis aux différentes conférences épiscopales de l’Afrique. Font partie de ce comité : le père Greco, secrétaire général adjoint pour l’Afrique francophone, les pères Goossens et Olivier (Congo), Vermeersch et Seumois (Rwanda-Burundi), Martelet (Cameroun), Anselmo (Madagascar), Voght (Afrique du Sud) ainsi que Masson et de Broglie, missionologues. Le père Crève et le père Barakana n’ont assisté qu’à une réunion. Se sont joints à nous après quelques semaines Mgr Geise, évêque de Bogor (Indonésie), les pères van Leeuwen OFM (Indonésie), Neuner et Putz SJ (Indes). On espère avoir un représentant du Japon.
76Chaque mardi a lieu la réunion de la Conférence épiscopale du Congo. Une sous-commission d’étude sur le problème du De Missionibus y a été instituée. Elle me charge d’étudier les sources de la mission de l’Église dans le Nouveau Testament. Je présente mon travail à la Conférence le mardi 15 octobre. La conférence l’approuve unanimement et décide de le communiquer aux autres conférences épiscopales africaines pour servir de base à la partie doctrinale du schéma sur les missions. [...]
Malaise
77Il y a actuellement un réel malaise au Concile. On piétine. D’abord on doit entendre bien des interventions qui n’apportent plus rien de nouveau : des redites, des précisions de détail... Il semble que certains pères ne veulent pas renoncer à une intervention qu’ils ont longuement préparée, mais qui n’a plus de raison d’être. On a nettement l’impression, certains jours, de perdre son temps. Mais il y a quelque chose de plus grave, et qui a transpiré jusque dans la presse et la radio. C’est le conflit latent depuis le début mais maintenant ouvert, entre les organes de direction. D’un côté les modérateurs, de l’autre le Conseil de la Présidence, pour une large part, et surtout le Secrétariat. Ce n’est pas une simple question de susceptibilités personnelles ; on retrouve en somme ici le conflit entre la grande majorité de l’épiscopat et la Curie appuyée par un certain nombre d’évêques plus catholiques que le pape.
78La réunion "au sommet" du mercredi 23 octobre n’a pas éclairci la situation. Il semble qu’une majorité s’est prononcée en faveur de la position des modérateurs et après avoir obtenu des concessions (ex. : on ne parlera pas de l’absence de célibat pour les diacres) mais avec une faible marge (onze contre neuf). Le conflit s’est cristallisé autour des fameuses quatre questions annoncées mais toujours en suspens : sacramentalité de l’épiscopat, collégialité, diaconat. La quatrième (Intégration du schéma sur la Vierge dans le schéma sur l’Église) a été posée dans l’Aula, mais on ignore encore, en principe, la teneur des trois autres. Mais ceci n’est qu’un cas d’application. Il semble qu’il y ait réellement un blocage opéré par le Secrétaire du Concile. Un peu partout on s’en émeut et on parle d’impasse. Seul, semble-t-il, le pape lui-même pourrait débloquer le Concile.
Quatrième période : la liberté religieuse21
2 octobre. La liberté religieuse
79[...]
80C’est par la Liberté religieuse qu’on commence les débats. Les positions restent nettement tranchées, on le sent aussitôt, mais le débat est sinon morne, au moins très digne et très calme. Je ne sais où un journaliste a été chercher que « dès l’ouverture des débats on assiste à un affrontement d’une violence inouïe » l
81Les thèses de l’opposition sont connues et défendues une fois de plus par ses ténors : les cardinaux Ruffini, Ottaviani, Siri, Spellman, Arriba y Castro. Chose curieuse : de nombreux pères espagnols interviennent et aucun d’eux ne se prononce en faveur de la déclaration. Pourtant certaines interviews laissaient clairement entendre que la majorité des évêques espagnols était favorable à l’affirmation de la liberté religieuse. Il faudra absolument un vote pour y voir clair.
82De l’autre côté, il y a aussi des interventions passionnées. Le cardinal Cushing, qui parle le latin comme Donald Duck, y met tant de conviction qu’il impressionne toujours fortement. Le cardinal Urbani apporte l’approbation formelle de trente pères italiens. Le cardinal Cardijn prend la parole pour la première fois. Les pères qui, à cette heure de la séance, circulent nombreux dans les "couloirs", se rassemblent comme aux grands moments derrière la table de la Présidence pour écouter.
83Le cardinal Cardijn jette avec feu dans la balance le poids de son travail de soixante ans dans les milieux ouvriers. Malheureusement il est emporté par son éloquence au-delà des dix minutes. On l’interrompt, il ne comprend pas et poursuit... Il faut qu’on lui coupe le micro.
84Les évêques de l’autre côté du rideau de fer sont toujours écoutés avec une particulière attention. Le cardinal Wyszynski, de Varsovie, émet des réserves en faisant valoir les différences de conception touchant l’État, l’individu, le droit, le bien commun, la liberté et en rappelant les principes de DIAMAT (matérialisme dialectique). Par contre le nouveau cardinal Beran, applaudi dès l’annonce de son nom, donne un témoignage bouleversant de son expérience. Selon lui, une restriction brutale de la liberté de conscience pousse presque fatalement au mensonge et à l’hypocrisie les fidèles et même les prêtres ainsi brimés ; mais elle a le même effet si elle s’exerce dans l’autre sens. Peut-être, ajouta-t-il, les épreuves actuelles que connaît l’Église dans mon pays, sont-elles une expiation de certaines violations faites autrefois à la liberté religieuse, comme la mort de Jean Huss au XVe siècle et la conversion forcée de la Bohême au XVIIe.
85[...]
86Le mardi 21 septembre (132e Congrégation générale), le Modératoire fit voter par assis et debout la fin des débats sur la liberté religieuse. Aucune mise aux voix de ce genre n’a jamais connu d’autre issue qu’une approbation quasi unanime... Mgr De Smedt – qui apparaît ici comme un grand champion de la liberté – tira les conclusions, d’une façon d’ailleurs un peu optimiste en annonçant qu’on allait s’efforcer, de tenir compte de tous les désirs exprimés. Et enfin, le lendemain on passa au vote. C’est un événement historique. Car jusqu’ici la minorité, par des manœuvres habiles et des artifices de procédure, avait réussi à empêcher tout vote sur ce texte. Jusqu’au dernier moment d’ailleurs on s’est demandé si le vote aurait lieu. Le 22, à 8 heures 30, le père Hamer, bien placé puisqu’il est membre de la Commission pour l’Unité chargée de la rédaction de ce texte, m’annonçait que le vote n’aurait pas lieu très-probablement (motif : l’opposition faisait valoir que le vote global, qu’on avait utilisé pour chaque schéma, n’était pas obligatoire en vertu du règlement) ; puis, quelques minutes avant 9 heures, il me disait que le vent tournait et qu’on pourrait avoir un vote. Heureusement, ce vote eut lieu. « Heureusement «, car on se rappelle encore la violente réaction de l’an dernier après la suppression du vote ; une autre manœuvre de ce genre risquait de porter un coup mortel au Concile, en tout cas à sa réputation dans le monde entier.
87Cette fois il y avait eu habileté du côté des promoteurs du schéma puisque (après de longues heures de discussion au Secrétariat pour l’Unité) on avait rédigé la formule suivante : Utrum textus reemendatus de Libertate religiosa placent Patribus tamquam basis definitivae Declarationis ulterius perficiendae juxta doctrinam catholicam de vera religions et emendationes a Patribus in disceptatione propositas et approbandas ad normam ordinis Concilii ? 22 Il était, en somme, assez difficile de voter contre une telle proposition. Les résultats du vote furent inespérés : sur 2222,1997 placet et 224 non placet. On peut constater que le chiffre des voix d’opposition est sensiblement le même que pour les chapitres sur la collégialité et que ce sont, en général, les champions de la lutte contre la collégialité qui se sont faits les champions de la lutte contre la liberté religieuse, avec pourtant quelques déplacements de voix.
88J’ajoute encore une chose. Tant que le vote définitif n’est pas assuré (il reste à retravailler le texte selon le sens des interventions, puis à le présenter partie par partie au vote des pères qui peuvent à ce moment encore rejeter ou corriger le texte revu...) et tant que la Déclaration n’est pas promulguée par le pape, on ne peut pas savoir à quels procédés manœuvriers on pourrait encore avoir à faire face. Ceci n’est pas du roman policier, c’est une conclusion très objective fondée sur l’expérience. [...]
Manœuvres
89La manœuvre autour du schéma De libertate religiosa a fait beaucoup de bruit23. Elle a été dénoncée – ou plutôt révélée – au grand public par des journalistes qui ont été blâmés officiellement (l’un d’eux, Mr. Cruiziat, directeur du Centre d’information de l’Amérique Latine, a même dû démissionner) dans des communiqués faisant état de dénonciation de "manœuvres inexistantes" etc. Mais dans une conférence de presse officielle du Concile, ils ont contre-attaqué avec succès et fait admettre la mauvaise foi des déclarations qui les blâmaient...
90Bref cette manœuvre est absolument réelle. Mgr Felici a annoncé la constitution d’une commission spéciale chargée de revoir ce schéma, commission composée notamment du cardinal Browne, de Mgr Lefebvre, supérieur général des pères du Saint-Esprit, du père Aniceto Fernandez, O.P. et de Mgr Colombo (théologien privé du pape). La présence de ce dernier tendant manifestement à faire avaler la pilule.
91La riposte des cardinaux (seize ou dix-sept) est tout aussi authentique. Ils ont écrit au pape (c’est au nom du pape que cette mesure a été annoncée) pour dire leur déférente soumission mais aussi leur douloureux étonnement...
92Il semble (?) que le consentement du pape à cette décision avait été plus ou moins nettement obtenu. Finalement, devant la levée de boucliers, la mesure a été immédiatement rapportée. Elle n’a donc pas eu le temps de faire des dégâts, sauf en la personne de M. Cruiziat qui en reste la seule victime.
Derniers jours du Concile24
4-8 décembre 1965
Samedi 4 décembre
93Je prends le bus épiscopal de 8 heures 15 et fais le trajet avec Mgr Dupont. On a bien distribué hier (bien que pas à San Carlo25) la deuxième partie de l’Expensio modorum du schéma XIII. On a distribué en même temps une lettre signée par Spellman et demandant un vote non placet pour le chapitre V (la paix) et, si ce chapitre n’est pas modifié, non placet aussi pour le schéma dans son ensemble. Le pape a reçu hier les sous-secrétaires ; Lecordier raconte que plusieurs allusions semblaient témoigner de la désapprobation du pape à l’égard de cette démarche américaine. La lettre est d’ailleurs accompagnée de la citation des passages incriminés, mais faite en traduction, dans différentes langues ; ces traductions ne sont pas toujours indiscutables : on critique un texte qu’on semble ne pas avoir toujours fort bien compris. En tout cas, le pape estime que les griefs des Américains ne sont pas fondés. – Il reste cependant, d’après Mgr Dupont, que la teneur du chapitre sur la paix est due à Mgr X, ancien vicarius castrensis en France, et à son chancelier, l’abbé Y.26 ; le chapitre a été manifestement rédigé dans une perspective correspondant à la politique de la France à l’époque de sa composition ; les remaniements ultérieurs n’ont pas modifié profondément cette optique initiale. [...]
94Le père O. Rousseau prétend savoir que les signataires de la lettre demandant non placet au chapitre sur la Paix ont été appelés par le pape, qui leur a lavé la tête. Martimort m’apprend que l’Instruction sur l’Eucharistie a finalement été renvoyée pour refonte au Consilium. Elle est donc à refaire. C’est un peu la faute de Vagaggini. Ce n’est pas un esprit clair. Il veut dire trop de choses à la fois dans une seule phrase. À mon objection, que les difficultés seraient surtout venues du côté allemand, où l’on tenait aux processions et autres dévotions eucharistiques, il me répond : les Allemands sont toujours à côté, ou bien trop en avant ou bien trop en retard ; mais il ne faut pas majorer leur importance, ce n’est pas leur avis qui est déterminant.
95Mgr Charue m’invite à déjeuner demain ; le père Béda me dit un peu plus tard qu’il viendra me prendre à San Carlo vers midi. Le père Möhler me rend deux exemplaires corrigés de notre relatio. Cela n’a plus guère d’intérêt maintenant. Je lui signale que je n’ai pas le texte imprimé (deuxième fascicule du schéma XIII). Je cherche en vain Cornelis, pour qu’il aille le prendre à mon intention. Finalement, c’est le père Béda qui ira le chercher pour moi.
96J’assiste à la messe à la tribune des experts. [...] La visite du président malgache empêche d’ouvrir les portes sur la place Saint-Pierre avant midi.
97Lundi, distribution à chaque père d’un anneau en or, offert par le pape (l), d’un diplôme de participation au Concile, d’une médaille offerte par la municipalité de Rome, avec une invitation à la réception du 7 au Capitole. La réception Baraúna se fera, à 18 heures, à la Domus Mariae ; il insiste pour que j’y aille : il voudrait réunir au moins ses collaborateurs. [...]
98Père Béda. Il y a eu une nouvelle intervention du pape pour le chapitre sur le mariage ; mais cela n’a pas été plus loin que le comité de présidence du schéma. Le pape laisse le texte ; mais que va-t-il dire dans son discours ? – L’affaire principale reste surtout celle de la lettre des Américains contre le chapitre sur la Paix (Béda aura la lettre demain ; la liste des signataires sera dans l’Avvenire du soir). Hier, au Collège belge, les évêques étaient fort énervés. Le Concile va se terminer dans une atmosphère de tension et de mécontentement. Le pape doit être fort ennuyé : les finances de son État du Vatican sont en jeu l Les plaintes des Américains ne sont pas sans fondement : les USA consentent un énorme effort d’armement pour assurer la liberté du monde menacé par l’URSS, et on leur en fait grief. De nouveau : qu’est-ce que le pape va faire ?
99Le père Villain tient énormément à assister à la cérémonie de Saint-Paul, mais ne trouve aucun moyen d’obtenir une permission ; il va essayer de se faire passer pour évêque : il s’est procuré une calotte violette et une croix pectorale l (en fait, il réussira tout de même à entrer). Le père Béda pense que cette sévérité est sans doute due au fait qu’on veut pouvoir dire que la cérémonie a été faite sub forma privata, pour les seuls invités : ce n’était donc pas une cérémonie "publique". Toujours la diplomatie, qui heurte tellement des hommes comme Cullmann. Béda a assisté à la conférence de Cullmann jeudi : il a eu de bonnes remarques (éloge de Jean XXIII, discrétion significative à propos de Paul VI), mais aussi des critiques injustes. Manifestement, il n’y a pas, pour lui, de science exégétique possible chez les catholiques, asservis par leur magistère. La place qu’il reconnaît à la Tradition reste théorique ; en pratique, il en reste au Scriptura sola.
100Nous partirons jeudi 9 à 7 heures du matin.
101Nous quittons Saint-Pierre à 11 heures 30. Les votes sont terminés ; on attend midi pour pouvoir ouvrir les portes. Le père Béda va à Fiumicino pour prendre Descamps et pouvoir lui parler en cours de route. Il me dépose à Saint-Paul avec le père Alexandre27, qui prend un bus pour aller chercher un film en ville. Je m’assieds un peu sur un banc, au bon soleil, pour prendre des notes. Le père Giuseppe Turbessi n’étant pas là, je fais les cent pas devant le monastère, au soleil, en attendant le père O. Rousseau. [...] À 13 heures 15, nous retrouvons le groupe des Observateurs. Au repas (servi notamment par le père abbé, qui a mangé en première table), je suis assis entre Cullmann et Borovoi. Je parle surtout avec Cullmann, Borovoi ne connaissant que l’anglais. Cullmann me parle notamment de l’Institut œcuménique de Jérusalem sur l’Histoire du salut. Le terrain a été donné par le pape (entre Jérusalem et Bethléem). C’est un institut de recherche, qui accueillera des étudiants ayant terminé leurs études universitaires. La direction : cinq catholiques, cinq orthodoxes et cinq protestants. On invitera des professeurs à donner des séries de cours, pendant deux ou trois mois. Après le repas, visite du monastère : la bibliothèque, avec son très beau manuscrit enluminé de la Bible, don de Charles le Chauve ; l’atelier de restauration des portes fondues à Constantinople au XIe siècle. (Tous les émaux [furent] détruits par l’incendie de 1823). On bavarde avec l’un et l’autre. Thurian28 me dit sa déception au sujet du Notre Père. On aurait dû prendre son temps et donner une traduction nouvelle, en excellent français, mais plus fidèle au grec. Il est spécialement mécontent du mot "tentation" : un mot ambigu ; mieux aurait valu "épreuve", plus vague mais plus facile à expliquer. Il n’est pas content non plus des "offenses" et de "ceux qui nous ont offensés" : l’image des "dettes" et de "ceux qui nous doivent” dit beaucoup plus : cela suppose qu’on renonce à des droits. [...]
102Le père Giuseppe Turbessi est rentré et me procure une coule (faute de m’avoir pour parler à ses clercs, il voudrait au moins un article pour la Rivista Biblica). On attend le pape près de la porte. Il arrive bientôt, sans escorte. On s’apprête à le précéder en cortège ; mais il est trop tôt (le pape vérifie à sa montre). En attendant, il invite à la conversation. Le père abbé lui présente ceux qui l’entourent : le père O. Rousseau tout heureux d’avoir été reconnu : le pape s’est dit heureux de le revoir (ils se sont connus autrefois). Pour moi, il me regarde attentivement, comme si mon nom lui disait quelque chose.
103On entre à Saint-Paul. Cérémonie simple, mais considérable par sa signification. De ce que dit le pape, je n’entends pratiquement rien. On me l’expliquera après. Rien de sensationnel, mais cordialité excellente. Un trait a été moins goûté : l’histoire de Soloviev, qui a paru un peu ambiguë29. On ramène ensuite le pape, qui s’arrête dans un salon, où, toutes portes closes, il reçoit les Observateurs. C’est assez long. Il ressort enfin. Les Observateurs ont chacun un gros écrin, dans lequel il y a une clochette. [...]
104La fin du Concile est une mauvaise affaire pour le Saint-Siège. Les contributions venant d’Allemagne (l’Allemagne se charge de presque tous les frais ; la part des U.S.A. est secondaire) sont si considérables que le Vatican y trouve profit. Cette source de gain va se tarir.
5 décembre 1965
105Je fais une bonne partie du journal d’hier, puis commence le travail demandé par Mgr D’Ercole : traduction française du programme des Mélanges Ottaviani.
106Vers midi, le père Béda vient me prendre pour me conduire chez Mgr Charue. Il nous attendait en bas. Gribomont arrive un peu plus tard. Le père Benoît Becker, invité également, n’arrive pas : il n’aura sans doute pas reçu la lettre. Mgr Musty est au lit : [il] a eu un gros abcès à la joue. Charue a reçu les résultats des votes sur la deuxième partie du schéma XIII : un peu plus de 200 non placet pour le chapitre sur le mariage ; notablement moins pour les chapitres suivants ; mais plus ou moins 500 pour le dernier chapitre. Qu’est-ce que le pape va faire ? Il a appelé les signataires de la lettre pour leur exprimer son déplaisir : il ne semble donc guère prêt aux concessions. Shehan désavoue sa signature. Béda a une photocopie de la lettre des Américains et me la passe. À San Francesco, la moitié des évêques a voté non placet. Plusieurs ne vivent que des subsides fournis par les évêques des USA ; ils ne veulent pas que leurs protecteurs soient en difficulté par suite d’un texte qui les mettrait en fâcheuse posture devant l’opinion publique et le gouvernement de leur pays. Charue lui passe30 la conférence du père de la Potterie sur le De Revelatione.
107Très bon repas à quatre. Béda discute avec Gribomont sur la question de la traduction des psaumes... Charue très gentil. On reste à bavarder après le café. Puis on monte voir Mgr Musty. Il repartira jeudi en voiture, avec Troisfontaines. Mgr Charue rentre en train. Himmer a fait venir sa voiture et son chauffeur, pour transporter tous ses papiers. De Smedt ferait don de sa voiture au Collège Belge. Delhaye est parti vendredi : soupir. [...]
6 décembre 1965
108À 8 heures 15, téléphone de la secrétaire de Laurentin m’invitant à dîner ce soir (7 heures 30) avec le père Lyonnet. Un peu plus tard, Laurentin lui-même me téléphone : renouvelant son invitation et me demandant si je vais au Concile, parce qu’il voudrait me faire lire deux papiers avant de les envoyer. Les nouvelles : Le pape doit proclamer demain la paix avec Constantinople ; mais l’affaire a déjà transpiré à CP, si bien que l’effet de surprise sera perdu. Laurentin ne savait rien des résultats des votes de samedi sur la 2e partie du schéma XIII. Il est surpris par le grand nombre de non placet. Il n’aurait pas cru les Américains si influents. Il s’agit sans doute d’évêques qui voient dans les U.S.A. le seigneur féodal qui leur assure sa protection contre le péril communiste. Il réagit en Français l
109À 9 heures 15, je pars pour Saint-Pierre. [...]
110Felici donne le résultat des votes de samedi sur la 2e partie du schéma XIII ; correspondant plus ou moins à ce que Mgr Charue disait hier (155 non placet pour le mariage ; 483 non placet pour la Paix).
111Assis près du père O. Rousseau : De Smedt était partisan du non placet pour le chapitre sur la Paix et a fait de la propagande en ce sens au Collège belge. Shehan et un autre se sont désistés ; il y aurait une mise au point avant le vote (ce n’est pas le cas). Je lui passe le double de la lettre américaine. Il y aurait un papier de Garrone répondant aux critiques [...].
112La cérémonie de samedi provoquerait d’assez vives réactions. Les opposants envoient lettres ou télégrammes de protestation au pape : ce serait le cas des cardinaux Siri et Roberti, et d’autres. Spécialement Vagnozzi, qui monte les évêques américains, parce que cet exemple va créer le trouble aux USA. Les télégrammes s’amoncellent chez le pape (R. Laurentin). [...]
113Je passe alors dans le bas-côté, et me fais accrocher longuement par Tosti. Tosti se plaint beaucoup du manque de formation du clergé italien, de l’étroitesse de la formation donnée aux jeunes. Pour remédier à la situation, il pense que le meilleur moyen serait d’envoyer des séminaristes ou des jeunes prêtres faire des études dans les universités étrangères, Louvain en particulier.
114Je suis harponné par D’Ercole, qui me demande de le conduire à Butler, qui voudrait que je persuade Descamps d’accepter de faire un article pour le volume à offrir à Ottaviani.
115Laurentin me passe quelques pages à lire, pour lui communiquer mes remarques ce soir : sur la question des Juifs : comme quoi on ne saurait les accuser de déicide. [...]
116Par suite des conversations avec Tosti et surtout de l’embêtant D’Ercole, je ne sais plus ce qui se passe : pas entendu les communications de Felici et manqué les distributions du schéma XIII. [...]
117Ne trouvant pas le père Béda, je sors par la porte Sainte-Marthe, pensant qu’il m’attend peut-être pour démarrer avant la cohue de la finale de séance. Il n’est pas encore là, et il ne sortira qu’après la clôture de la séance. C’est par lui que j’apprends qu’on a distribué le schéma XIII ; et qu’on a annoncé que le pape reçoit les experts demain à 7 heures 30 : nous irons ensemble à la réception de Baraúna à 6 heures à la Domus Mariae, et reviendrons ensemble pour l’audience du pape.
118En attendant, le père Béda me conduit au Collège belge, pour le dîner d’adieux en finale du Concile. Le repas se donne en haut, dans le grand salon. Il y a une bonne cinquantaine de couverts, les élèves y prenant part. Les évêques sont dispersés aux différentes tables. La table d’honneur est présidée par le Cardinal ; Prignon est en face du cardinal, et moi à droite de Prignon. Je suis donc très bien placé pour entendre les conversations de Suenens. D’abord pour les événements de ce matin. Dans la crainte que la propagande des Américains ne provoque un nombre élevé de non placet pour le vote d’ensemble sur le schéma XIII, Garrone avait diffusé une réponse aux critiques des Américains, expliquant que ces critiques reposaient sur un malentendu. De plus, il avait l’intention de prendre la parole pour faire une mise au point dans le même sens : les critiques contre le chapitre sur la Paix sont fondées sur un malentendu. Cependant, après avoir consulté assez bien d’évêques, qui lui ont déconseillé de prendre la parole, parce que cela ferait mauvaise impression, il est venu dire à Suenens qu’il renonçait à parler, jugeant la chose inopportune. Il était à peine parti que Felici est arrivé, très ennuyé pour avoir appris que Garrone allait parler. Suenens a pu le rassurer : la chose est arrangée, Garrone ne parlera pas. [...]
119Suenens doit présenter ce soir, à la Domus Mariae, un bilan du Concile. Un peu ennuyé parce qu’il a déjà fait une conférence devant le même public il n’y a pas très longtemps et il ne se souvient plus de ce qu’il a dit : il a peur de se répéter. [...] C’est peut-être en songeant à cette conférence qu’il parle de ce qu’il considère comme quatre moments décisifs de ce Concile :
- « L’intervention de Liénart à la première séance. Il a pris la parole (qui ne lui était pas donnée), et cela a tout changé. Dès le point de départ, on a pu éviter que le Concile ne soit un second "synode romain". C’était pourtant ce que voulait Tardini. Il avait dit à Felici, en lui apprenant la charge qui lui reviendrait : ce ne sera qu’un concilietto (un petit Concile de rien du tout). Felici a répété le propos à une personne qu’il croyait sûre ; c’est d’elle que Suenens le tient directement.
- Le vote sur les cinq questions en commission suprême31. La discussion avait été fort confuse. La question posée ne l’avait pas été de façon très claire. Il n’y a eu qu’une seule voix de majorité : celle d’un vieux cardinal qui n’avait manifestement pas compris la question et qui n’avait sûrement pas l’intention d’approuver le procédé des questions. Embarrassé, il a regardé ce que faisait son voisin et, comme lui, il a levé le bras, faisant ainsi involontairement pencher la balance du bon côté. Il s’agit d’un vieux cardinal ; sans doute ne vivra-t-il plus très longtemps : après sa mort, Suenens pourra révéler son nom32.
- Un autre très grand moment du Concile est la cérémonie de samedi à Saint-Paul. Suenens en a été très impressionné.
- Enfin l’affaire du mariage : on a réussi à introduire un pied pour empêcher la porte de se refermer. »
120Suenens dit que les anneaux distribués ce matin aux évêques de la part du pape reviennent à 30 000 lires pièce (représentant ainsi une dépense d’au moins 5 millions de FB). Les clochettes = 100 000 [lires] (parce que chacune est travaillée à la main) : le pape en a offert non seulement aux Observateurs mais aussi aux modérateurs (mais d’un modèle un peu différent). Lercaro est au lit avec [de la] fièvre : cela doit être dû, explique Suenens, à la Liturgie.
121Prignon va se mettre à la rédaction de ses mémoires. Ils constitueront une source de première grandeur pour l’histoire du Concile. Le cardinal Suenens lui racontait chaque soir les événements auxquels il avait été mêlé, lui parlant en toute confiance. Prignon a donc pu suivre cette histoire d’une façon tout à fait privilégiée. Il a pris beaucoup de notes, mais n’est pas toujours parvenu à se tenir au courant : il a des trous dans ses notes. [...]
7 décembre 1965
122Don Claudio, secrétaire de Poma, m’a donné une carte d’entrée à Saint-Pierre, pour le cas où je ne parviendrais pas à passer comme expert. J’entre sans difficulté dans la basilique pendant que le gendarme fait des histoires à un autre. [...]
123On me fait remarquer que le représentant d’Athénagoras est assis sur un trône à côté de celui du pape. Après le discours de Bea (pendant que je suis toujours au bord du balcon), le pape embrasse l’Orthodoxe. Applaudissements prolongés. Quelqu’un dit : c’est la fin du schisme l C’est peut-être aller un peu vite, mais la portée de ce qui se passe est immense.
124Cérémonies de la fin du Concile. Au Te Deum, je quitte avec le père Béda. Pas possible de] sortir par la façade ; il faut faire tout le tour pour arriver à la porte Sainte-Marthe. Béda me conduit à Saint-Anselme. [...]
125À 4 heures 30, [je] pars retrouver le père Béda à San Francesco, pour aller ensemble à la Domus Mariae. [...] On a un peu de discours (Olivieri33, Congar, de Lubac, dont on n’entend rien). On repart à 7 heures pour le Vatican. On est dans la cour Saint-Damase à 7 heures 15. Le pape arrive (au 2e) à 7 heures 45. Discours en français, d’abord lu, puis improvisé (amour de la vérité, collaboration avec les évêques et entre théologiens). Cadeau : un Nouveau Testament Vulgate, édition bon marché, mais magnifique reliure... Le pape porte au doigt l’anneau qu’il a distribué à tous les pères : simplicité : cela représente déjà un progrès l
126Retour à San Carlo à 8 heures 40, avec l’Osservatore Romano. Une très grande journée s’achève (père Béda : une réconciliation qui met fin à une dispute qui a duré mille ans, cela n’arrive pas tous les jours). [...]
8 décembre 1965
127[...] Pas de difficulté à franchir la barrière, à entrer par la porte de bronze. Dans l’atrium de Saint-Pierre, le père Möhler : adieux ; insiste pour qu’on se revoie ; n’a pas d’anneau, mais a reçu le codex B (si envié par le père Béda). Arrive sans encombre à 9 heures 30 à la tribune des experts, [...] derrière les évêques, côté Nord. [...] Longue cérémonie, qu’on attend en bavardant ; beaucoup moins importante qu’hier. Aujourd’hui, c’est le faste. Avec les sept messages. Dans un style très français. [...]
128Retour à San Carlo à 14 heures. Après le repas, je me repose un peu, puis fais mes valises...[...] Les deux valises faites, je pars pour le Collège grec avec un premier paquet de ce qui restera ici jusque Pâques. Chez le père Olivier Raquez, adieux au père recteur34. On ironise sur les anneaux d’or. Je me demande cependant si cet anneau, très simple et qu’on compare à un dé à coudre, ne pourrait pas être un premier pas dans la simplification des insignes épiscopaux. Lanne n’avait pas pensé à cela. Fesquet donne la même interprétation dans Le Monde du 9 décembre. Le pape donne l’exemple en portant ce petit anneau. Beaucoup d’évêques l’imitent (j’en félicite plusieurs). Ce serait, de la part de Paul VI, une discrète invitation à renoncer à l’anneau pastoral très coûteux. On peut s’attendre à une réaction intégriste du côté de Rome. Mais le père Béda pense que beaucoup d’évêques ne se laisseront plus faire aussi facilement qu’auparavant. Chez beaucoup, il y a désaffection à l’égard de Paul VI. C’est en particulier le cas chez les Belges. S’ils ne mettent pas l’anneau conciliaire, ce n’est pas nécessairement par attachement pour un bijou plus coûteux...[...] Alfrink est outré de l’attitude romaine à l’égard de la Hollande. La finale du Concile a vu se renforcer considérablement la cohésion de l’épiscopat allemand en général (quoi qu’il en soit de certains comme Jaeger). Tout cela ne fera plus un épiscopat facilement maniable. [...]
Notes de bas de page
1 On ne vise pas ici les notes prises lors de réunions des commissions et sous-commissions conciliaires.
2 1912-1986. Il enseigna, à partir de 1949, à l’Institut des sciences religieuses, puis à la Faculté de philosophie et lettres, enfin de théologie, de l’Université de Louvain. Au Concile, il fut expert officiel et collabora surtout, comme secrétaire de Mgr Philips, à la préparation des schémas sur l’Église et sur l’Unité chrétienne.
3 Dans une esquisse récente de la personnalité de Ch. Moeller au point de vue de son engagement œcuménique, le prof. Jan Grootaers note fort justement à son sujet : « Granting that this vocation never led him to make a structured synthesis of theological thought, and that consequently did not corne into the class of the "great theologians", his personal qualities ensured that he would become a documentary craftsman of the first rank, and at the Council, amidst the tensions of a frequently stormy gathering, he accomplished tasks wich precisely the "great theologians” could not manage » dans Ecumenical Pilgrims. Profiles of Pioneers in Christian Reconciliation, éd. I. Bria et D. Heller, Genève, Publications du Conseil œcuménique des Églises, 1995, p. 154.
4 Philippe Delhaye (1912-1990), professeur de théologie morale à Lille, Lyon et Montréal avant de devenir professeur, et premier doyen, à la Faculté de théologie de Louvain (section francophone) en 1968. Dans le cadre conciliaire, il fut consulteur de la commission théologique préparatoire, puis expert officiel à partir du début de 1963. Il s’occupa surtout des textes sur le mariage et la famille et sur la culture dans la future Constitution sur l’Église dans le monde, et aussi de ceux sur la liberté religieuse et sur les laïcs.
5 Bénédictin, maître en théologie de Louvain et exégète de réputation internationale, J. Dupont appartient à la communauté monastique Saint-André de Clerlande, à Ottignies. Le nombre de ses publications est considérable. À l’occasion de son 70e anniversaire, ses frères en religion et ses collègues savants lui ont offert un volume d’hommage : À cause de l’Évangile. Études sur les Synoptiques et les Actes, (Coll. Lectio divina, 123), Paris, Cerf, 1985, XII-832 p., qui présente la liste de ses publications jusqu’en 1985 (p. 809-826).
6 Dans les archives, ces notes font partie du premier groupe de feuillets des notes personnelles (sous la cote 1726 des papiers J. Dupont), celles-ci ayant été placées, dans l’inventaire publié, sous l’intitulé, trompeur dans ce cas, de "carnet conciliaire"Cf. E. Louchez, Concile Vatican II et Église contemporaine. (Archives de Louvain-la-Neuve) IV. Inventaire des Fonds J. Dupont et B. Olivier, (coll. Cahiers de la Revue théologique de Louvain, 29), Louvain-la-Neuve, 1995, p. 99.
7 Dix ans avant le Concile, il publia, dans un ouvrage collectif résultant d’un colloque, une contribution où il mettait en valeur la place de la conscience comme norme de l’agir humain et établissait le droit de la conscience qui se trompe de bonne foi, fondant par là la liberté de la conscience en matière religieuse. Cette étude eut une influence sur la déclaration conciliaire concernant la liberté religieuse. Cf. Tolérance et communauté humaine. Chrétiens dans un monde divisé, (coll. Cahiers de l’Actualité religieuse, 1), Tournai-Paris, Casterman, 1952, p. 163-190. Le P. Olivier a publié plusieurs autres travaux, surtout de théologie morale, notamment les chapitres sur les vertus d’espérance et de charité dans l’Initiation théologique, t. III, Paris, 1952, p. 525-672 et l’ouvrage pionnier Développement ou libération ? Pour une théologie qui prend parti, Bruxelles-Paris, 1973. De 1986 à la fin de 1994, le P. Olivier a été l’aumônier international du mouvement de spiritualité conjugale « Équipes Notre-Dame ».
8 Récit de Ph. Delhaye, conservé dans les Archives de la Faculté de théologie de Louvain-la-Neuve (Centre Lumen gentium), Fonds Ph. Delhaye, n° 230.
9 V. Borovoi, observateur orthodoxe durant tout le Concile, prof, à l’Académie ecclésiastique de Léningrad et V. Kotliarov, vice-supérieur de la mission religieuse russe à Jérusalem.
10 En fait Athénagoras.
11 Chacune des dix commissions était composée de seize pères élus et de neuf pères nommés par le pape.
12 Mgr Morcillo.
13 Sans doute pour « unisson ».
14 À son retour de Rome, le P. Jacques Dupont présente à la communauté de l’abbaye de Saint-André, le 18 déc. 1962, des « Impressions du Concile ». Les extraits ci-dessus sont tirés de ses notes pour l’exposé (dans Archives citées, Fonds J. Dupont, n° 1726).
15 Béda Rigaux, franciscain belge, expert au Concile.
16 C. Vagaggini, bénédictin de l’abbaye de Saint-André (Belgique) et professeur au Collège Saint-Anselme de Rome.
17 Il faut lire : « Ces hommes, au nombre de plus de 2000 ».
18 Extraits de la chronique du P. Bernard Olivier, O.P., expert des évêques du Congo (Zaïre) : Archives de la Faculté de théologie de Louvain-la-Neuve, Fonds B. Olivier, n° 169 (Chronique de la seconde période, 35 p. dactyl.).
19 II s’agit de Paul Meouchi.
20 En fait l’évêque espagnol de Gerona, Narciso Jubany Arnau.
21 Chronique du P. Olivier, pour la quatrième période, 38 p. : Archives citées, Fonds B. Olivier, n° 170.
22 « Le texte réamendé sur la liberté religieuse plaît-il aux pères comme base de la Déclaration définitive, à perfectionner encore, d’après la doctrine catholique sur la vraie religion et les amendements proposés par les pères au cours de la discussion et à approuver selon le règlement conciliaire ? »
23 Les faits évoqués ici se réfèrent au début de la troisième période conciliaire. Le pape ayant demandé, le 9 oct. 1964, que la commission du Secrétariat pour l’Unité chargée de rédiger le schéma sur la liberté religieuse fasse appel à quelques théologiens de la minorité, le secrétaire général parla d’une "commission mixte", ce qui suscita l’émotion et la lettre du groupe des cardinaux pour dénoncer l’entorse faite à la procédure normale. Finalement, le Secrétariat pour l’Unité garda la compétence sur le texte.
24 Extrait des notes personnelles de J. Dupont, dans Archives citées, Fonds J. Dupont, n° 1733.
25 Résidence romaine de J. Dupont.
26 II s’agit vraisemblablement de Mgr M. Feltin, président de Pax Christi International et cardinal-archevêque de Paris, et de son ancien secrétaire particulier, B. Lalande, devenu Délégué Général de Pax Christi International. Leur position se base sur une condamnation la plus ferme possible de la guerre et de l’armement nucléaire.
27 Alexandre Gillès de Pélichy, bénédictin de Saint-André.
28 Max Thurian, frère de la Communauté de Taizé (France).
29 En terminant son allocution, Paul VI évoqua un épisode de la vie de V. Soloviev. Après avoir prolongé fort tard un entretien spirituel avec un moine, le grand penseur russe ne parvint pas à retrouver sa cellule. Il se résigna à arpenter le corridor jusqu’à l’aube, en passant constamment devant sa cellule sans la reconnaître. Le pape concluait : « Il en est souvent ainsi de ceux qui cherchent la vérité ; ils passent tout près d’elle au cours de leurs veilles sans la trouver, jusqu’à ce qu’un rayon de soleil de la divine Sagesse vienne leur rendre aussi facile qu’heureuse la consolante découverte » (dans Jean XXIIII-Paul VI, Discours au Concile, Paris, Éd. du Centurion, 1966, p. 380).
30 Au père Béda Rigaux.
31 À propos du vote sur les cinq questions, voir supra.
32 Le nom est révélé par le cardinal Suenens dans ses Souvenirs et espérances, Paris, 1991, p. 117 : il s’agit du cardinal Spellman.
33 J. Dupont se demande si, à l’époque, il n’a pas voulu désigner Olivier Rousseau qui, de fait, collabora à l’ouvrage collectif publié par G. Baraúna (L’Église de Vatican II, 3 vol., Paris, 1966) dont la préparation faisait l’objet de la réunion à Domus Mariae.
34 Recteur du Collège grec : E. Lanne, moine de Chevetogne.
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