Le volontariat des aînés
Le point de vue de la Plate-forme francophone du volontariat
p. 125-136
Texte intégral
Être vieux, c’est être jeune depuis plus longtemps que les autres, c’est tout.
Philippe Geluck, humoriste
Introduction
1Aujourd’hui, les aînés occupent une place grandissante dans l’espace public et médiatique. L’austérité budgétaire aidant, pas un seul jour ne passe sans que l’on entende parler de l’épineuse question des retraites. L’équation est simple : la vieillesse, et surtout le départ à la retraite, marquent dans l’imaginaire collectif la fin de la participation d’un individu au système productif (Viriot Durandal, Guthleben, 2002). En effet, on associe souvent les retraités aux inactifs et on ne voit en eux qu’une charge financière pour la société. Tout cela mène à un discours pessimiste sur l’évolution du système de retraites qui, en retour, appelle des réformes pour augmenter l’âge du départ à la retraite sous le prétexte de l’allongement de l’espérance de vie (Reimat, 2002).
2Le débat actuel oppose fréquemment le vieillissement et la performance économique. Il faut contrebalancer cette idée : en effet, il existe des outils capables d’accréditer la thèse d’un vieillissement productif, grâce notamment aux activités volontaires dans lesquelles les aînés s’engagent une fois à la retraite. Les activités associatives et volontaires sont considérées comme des opérations économiques créatrices de valeur (Godefroy, Sirven, 2009).
3Ces activités associatives ne sont pas seulement un bienfait pour la société, mais également pour les aînés eux-mêmes. En effet, lors de leur départ à la retraite, les retraités peuvent se sentir dépossédés de la possibilité de transmettre un savoir-faire qu’ils détiennent. Face à ce sentiment d’exclusion, les activités volontaires peuvent permettre non seulement le maintien d’une relation de production de biens ou de services entre l’individu et la société (hors des modes de rétribution du marché du travail) mais également le maintien d’une possibilité de participer à la construction sociale (Viriot Durandal, Guthleben, 2002).
4Dans ce chapitre, nous étudions la participation sociale des aînés en Belgique francophone au prisme du volontariat. Dans un premier temps, nous définissons le volontariat et la participation sociale. Ensuite, nous fournissons quelques chiffres à propos du volontariat en Belgique francophone. Dès à présent, il est important de souligner que s’ils existent, ceux qui concernent spécifiquement les plus âgé(e)s sont plutôt rares. Enfin, nous nous penchons sur le volontariat des aînés en tant que tel pour en dégager les principales caractéristiques, en pointer les freins et les facilitateurs, et réfléchir aux enjeux du volontariat en tant que moyen de participation sociale chez les aînés.
Éléments de définition du volontariat
5On distingue deux sources de définition du volontariat : une définition légale et un ensemble de définitions académiques.
6En Belgique, le « volontariat » est défini dans le chapitre II, article 3 de la loi du 3 juillet 2005 relative aux droits des volontaires comme :
« Toute activité :
- qui est exercée sans rétribution ni obligation ;
- qui est exercée au profit d’une ou de plusieurs personnes autres que celle qui exerce l’activité, d’un groupe ou d’une organisation ou encore de la collectivité dans son ensemble ;
- qui est organisée par une organisation autre que le cadre familial ou privé de celui qui exerce l’activité ;
- et qui n’est pas exercée par la même personne et pour la même organisation dans le cadre d’un contrat de travail, d’un contrat de services ou d’une désignation statutaire [...]1. »
7Dans le monde académique, la définition du volontariat est loin d’être aussi normative. Différentes définitions ont été données, certaines assez larges, d’autres renvoyant à une vision beaucoup plus restreinte de ce qui constitue une activité volontaire. L’une des explications de ce constat vient du fait que, dans la littérature académique, le volontariat a souvent été utilisé comme un concept « fourre-tout » pour désigner un large éventail d’activités non salariées (Cnaan et al., 1996). La manière dont on définit le volontariat peut dépendre, entre autres, du concept même de travail qui diffère d’une société à une autre, de la perception qu’a la société du volontariat ou encore d’autres raisons (Dujardin et al., 2007).
8Néanmoins, certains auteurs ont utilisé différents critères que nous retenons pour définir le volontariat : l’engagement (volonté de l’individu), la liberté (le volontariat doit être un choix personnel, effectué sans pression), l’appartenance à une structure (en ce sens, le volontariat est différent d’un simple service rendu), la gratuité (sans rémunération), au profit d’autrui (en dehors du cadre familial ou amical) (Lemercier, 2004). Nous apportons deux précisions par rapport à la littérature.
9Tout d’abord, dans ce chapitre, nous utilisons les termes « volontaire » et « bénévole » comme des synonymes. Évidemment, des nuances existent entre ces deux notions. Par exemple, dans la version francophone de la Loi de 2005, à l’origine, l’ensemble des propositions de loi faisait référence au mot « bénévolat ». Néanmoins, le législateur a décidé de changer de terme et préféré « volontariat », en avançant l’argument que seule la langue française connaît une dualité des termes « volontaire » et « bénévole ». Pour les francophones, il y a en effet une différence étymologique entre les deux termes : si le terme « volontaire » renvoie à volo qui signifie « je veux » en latin, « bénévole » vient de bene qui veut dire « bien ». Dès lors, utiliser le terme « volontaire » plutôt que « bénévole » permet de mettre en avant la dimension de citoyen engagé plutôt que l’idée de bienfaisance. Cette distinction n’existerait pas dans le monde anglophone (qui préfère volunteering) ni dans la version néerlandophone de la Loi, qui n’a utilisé que le terme vrijwilligerswerk.
10Ensuite, si la participation sociale des aînés est un sujet en plein développement dans la littérature académique, le volontariat ne recouvre qu’une partie de la participation sociale. Ainsi, Raymond et al. (2013) divisent la participation sociale en cinq catégories d’activités : les interactions sociales individuelles, les interactions sociales au sein d’un groupe, les projets collectifs, le volontariat et l’investissement socio-politique. Dans notre conception de la « participation sociale », nous ne retenons que les deux dernières catégories de cette définition. En effet, les deux premières couvrent des activités comme le fait, pour les aînés, de recevoir chez eux la visite d’autres volontaires, de s’impliquer dans un club de jardinage entre voisins, dans des activités sportives, socioculturelles, etc. Si ces activités sont certainement nécessaires pour permettre l’épanouissement et la socialisation des aînés, nous considérons que la notion de participation implique que l’aîné en question ne soit pas seulement bénéficiaire de l’action, mais également acteur ; que l’action ne soit pas dirigée uniquement vers lui, mais qu’il puisse lui-même la diriger vers d’autres. En résumé, la participation sociale n’implique pas, selon nous, les activités récréatives, centrées sur l’individu et non sur la communauté, ayant pour unique objectif d’« occuper » l’aîné. Au contraire, l’idée est que l’individu puisse, quand il le souhaite et selon ses moyens, agir en interaction avec la société et à destination d’autrui.
Données chiffrées sur le volontariat
11Disposer de chiffres sur le volontariat en Belgique n’est pas chose aisée : en effet, il n’existe pas de base de données officielle. Tout au plus, quelques estimations existent tant au plan européen (GHK, 2010) qu’au niveau belge. Au niveau national, le Centre d’économie sociale de l’Université de Liège (ULg) s’est particulièrement intéressé à la question (BNB/CES, 2004). En 2007, il a mené une recherche pour prendre la mesure du volontariat en Belgique. Le problème de cette étude est qu’elle concerne l’ensemble de la Belgique, sans faire de distinction entre les régions et les communautés. Malgré ces limites, on peut dresser le portrait suivant.
12En Belgique, on dénombre près de 1 500 000 volontaires, dont 700 000 en Belgique francophone. Tant dans les données européennes que dans celles de l’ULg, on constate une tendance à la hausse du nombre de volontaires (Dujardin et al., 2007). De manière générale, on voit que les deux groupes de la population qui sont les plus actifs dans le domaine du volontariat sont les 15-24 ans (au sein des mouvements de jeunesse notamment) et les 40-70 ans. Malgré certaines divergences sur le sujet (certains auteurs affirment que la part des aînés dans les activités volontaires est surévaluée au détriment des actifs qui constitueraient, selon eux, la majorité des volontaires : Lemercier, 2004), la majorité de la littérature s’accorde sur le fait que la part des personnes âgées dans les activités volontaires connaît une évolution à la hausse.
13Les secteurs les plus importants dans le volontariat sont le sport, la culture et les loisirs, que ce soit en termes de nombre de volontaires ou d’heures effectuées (BNB/CES, 2004). De plus, on estime de quatre à cinq le nombre moyen d’heures consacrées au volontariat par semaine pour un individu. S’agissant d’une moyenne, certaines personnes vont jusqu’à dédier dix heures par semaine, voire plus, à des activités volontaires.
14Au-delà de ces données, existe-t-il un « profil-type » de volontaire ? On présente en général le volontaire-type comme une femme prépensionnée de 55 ans, même si, dans certains cas (secteur sportif, présence dans les conseils d’administration), les hommes sont majoritaires. En termes de niveau de formation, le « volontaire-type » a généralement un niveau de formation relativement élevé (enseignement supérieur ou universitaire) et bénéficie de revenus légèrement supérieurs à la moyenne. Enfin, si on considère le milieu familial duquel est issu le volontaire, on observe une corrélation positive entre le fait de donner de son temps et celui d’avoir vécu dans une cellule familiale déjà engagée dans des activités volontaires (Dujardin et al., 2007).
15Si ces chiffres nous éclairent sur la réalité de l’engagement en Belgique, il ne faut pas perdre de vue le fait qu’ils concernent l’ensemble du territoire et qu’il n’existe guère d’études similaires concernant uniquement la Belgique francophone. Ces chiffres recouvrent sans doute des réalités différentes et ne concernent pas uniquement le volontariat tel que nous l’avons défini précédemment. De plus, ils datent des années 1990 et on peut donc s’interroger sur leur pertinence pour décrire la situation actuelle. Néanmoins, ces études montraient déjà que les aînés constituaient une part très importante des personnes qui s’engagent dans notre société : en 1994, quatre volontaires sur dix en Belgique francophone étaient âgés de plus de 55 ans, tandis que la seule tranche d’âge 55-64 ans regroupait plus du quart des volontaires (26,1 %). Une autre étude menée en 1996 arrivait à une conclusion similaire : au niveau du profil des volontaires, on y observait que plus de la moitié d’entre eux (53,2 %) étaient âgés de 45 à 65 ans. Encore une fois, ces données sont à prendre avec du recul. Néanmoins, des études menées au niveau européen, plus récentes, confirment qu’il y a, en Belgique, une forte présence des seniors dans le secteur du volontariat et que près de 10 % des 65-74 ans en Europe exercent une activité bénévole (Mannheim Research Institute for the Economics of Aging, SHARE, 2008). Une étude sur le bien-être des personnes de plus de 70 ans en Wallonie, datant d’octobre 2010, indique quant à elle que 16,51 % de l’ensemble de ses répondants (constituant un échantillon représentatif de la population wallonne) faisait du bénévolat (Linchet, Nisen, 2010).
16En clair, malgré la rareté des données disponibles et la prudence qui s’impose à leur égard, une chose est certaine : ce sont les seniors qui accordent le plus grand nombre d’heures par semaine à leur(s) activité(s) volontaire(s). En effet, si un individu de moins de 25 ans accorde en moyenne quatre heures par semaine à son activité volontaire, ce chiffre augmente avec l’âge de la personne, pour atteindre celui de six heures et demie pour les personnes se situant dans la tranche d’âge 55-64 ans, et dix heures pour les plus de 65 ans (Dujardin et al., 2007), avant de connaître une baisse aux âges plus élevés.
La participation sociale des aînés en Fédération Wallonie-Bruxelles au prisme du volontariat
17Passons à présent à la configuration du volontariat des aînés en Belgique francophone à travers cinq questions : Qui sont ces aînés engagés ? Où s’engagent-ils ? Comment participent-ils ? Quels sont les leviers et les freins à leur participation ? Quels sont les apports de cette participation ?
Les espaces de mobilisation des aînés : où s’engager ?
18On distingue généralement deux espaces de mobilisation des aînés. D’une part, on retrouve les activités qui se déroulent dans le cadre familial ou dans le cadre des réseaux de proximité, lesquelles font partie des tâches relatives au statut des « aidants-proches »2. Sont comprises dans cette catégorie les aides aux enfants et petits-enfants ou les aides à leurs propres parents ou à leur entourage. Si la valeur économique de ces activités peut difficilement être estimée, elles sont pourtant d’une importance considérable (Jones, 1999). Toutefois, cet espace de mobilisation ne concerne pas le volontariat.
19Nous retrouvons d’autre part les réseaux associatifs où les aînés s’impliquent dans de nombreuses activités tournées vers l’extérieur. Ils s’engagent soit dans des organisations de seniors, soit dans des organisations orientées vers l’intergénérationnel, soit dans des organismes touchant à certaines thématiques mais non centrées sur leur âge. Selon Muller (2003), les secteurs où l’on retrouve le plus des aînés seraient le sport (accompagnement des clubs, permanences, organisation de déplacements) et l’action sociale (soutien scolaire et aide à l’insertion professionnelle des jeunes, par exemple). Néanmoins, nous ne possédons pas de statistiques permettant de corroborer ce constat en Belgique.
Le profil des aînés volontaires : qui sont-ils ?
20En 2011, l’Union chrétienne des pensionnés (UCP, devenue « Énéo, mouvement social des aînés ») a étudié les traits caractéristiques de l’aîné volontaire en Belgique francophone parmi ses membres. Ainsi, on observe plus de femmes que d’hommes volontaires chez les aînés (de l’ordre de 60 % de femmes), du moins dans le domaine de l’action sociale. On constate aussi que les aînés sont plus enclins à s’investir une fois que les enfants ont quitté le domicile familial : en effet, à peine de 15 % des aînés volontaires ont encore des enfants à charge. Au niveau de la formation, la grande majorité est détentrice d’un diplôme du supérieur non universitaire, suivie de près par les diplômés du secondaire supérieur et du secondaire inférieur (UCP, 2011). De manière générale, cela confirme que les aînés les plus susceptibles de s’engager dans une activité volontaire sont des personnes relativement bien instruites, en bonne santé et dont le revenu du ménage est relativement élevé (Reimat, 2002). La trajectoire socio-professionnelle joue également un certain rôle : les anciens ouvriers s’engagent généralement moins dans le tissu associatif que les anciens cadres (Morel, Nowik, 2006). Autre fait important : les aînés qui occupaient un emploi avant leur retraite sont plus susceptibles de faire du volontariat que les personnes sans emploi, certains chercheurs y voyant un exemple de substitution des rôles (Jones, 1999). Enfin, si on prend la catégorie des 55-64 ans, ceux qui sont encore actifs s’engagent moins dans une activité volontaire que ceux qui sont déjà retraités : au même âge, l’activité professionnelle semble donc restreindre la participation associative (Morel, Nowik, 2006).
21Pourquoi les aînés s’engagent-ils dans des activités volontaires ? Si les raisons qui incitent les individus à s’engager sont variées mais propres à chacun (Muller, 2003), nous pouvons tout de même en distinguer quelques-unes :
- la logique culturelle : cela signifie qu’on continue à faire du volontariat parce que, personnellement ou dans l’environnement familial, on en a toujours fait. Ainsi, selon l’étude de l’UCP, plus de 50 % des aînés volontaires voient le volontariat comme une « habitude » ; avant d’atteindre l’âge de la pension, ces volontaires s’impliquaient déjà dans différentes associations. 15 % voient également leur engagement comme une tradition familiale ;
- la logique de transmission : il s’agit de l’ensemble des motivations liées à la volonté de partager à son tour ce que l’on a appris dans le passé, de mettre en œuvre ses compétences et son expérience (Jones, 1999) ;
- la logique de socialisation et de prévention : dans cette catégorie, nous retrouvons les motivations liées au plaisir de la rencontre, du contact avec les gens. Souvent, le volontariat est un moyen d’échapper à la solitude et de garder un réseau de relations sociales (Muller, 2003), de compenser la perte de relations dans le cadre professionnel (Viriot Durandal, Guthleben, 2002), ou la perte d’un proche ou d’un conjoint (UCP, 2011) ;
- la logique expérimentale, voire instrumentale, regroupe ce qui concerne le plaisir d’apprendre, la curiosité, la découverte ;
- la logique de reconnaissance : l’aîné veut rester un acteur social, être reconnu et, à ce titre, avoir l’impression qu’on a besoin de sa personne (Godefroy, Sirven, 2009). Il veut se sentir utile socialement et exercer des responsabilités (Muller, 2003) ;
- la logique politique désigne l’engagement politique des aînés quand ils souhaitent appuyer une cause en laquelle ils croient personnellement (Demoustier, 2002).
22Ces logiques permettent de mieux appréhender l’engagement volontaire chez les aînés (Jones, 1999). Si certaines restent dominées par l’épanouissement personnel et par la recherche de contacts pour assurer une bonne sociabilité au retraité, on constate également que d’autres concernent la défense de causes ou le besoin de se rendre utile aux autres (Morel, Nowik, 2006).
Les caractéristiques du volontariat des aînés : comment les aînés s’engagent-ils ?
23Après le « pourquoi » de l’engagement vient la question du « comment ». Il s’agit ici de s’intéresser aux formes du volontariat en fonction des catégories d’âge. En effet, puisque les individus vivent de plus en plus longtemps, on ne peut plus parler d’une génération unique, mais de plusieurs. En conséquence, l’engagement varierait notamment selon différentes classes d’âge. Même si elles ne doivent pas être figées ou idéalisées, celles-ci aident à distinguer différents types de volontariat :
- chez les 55-64 ans, les aînés se trouvent généralement en période de transition entre le travail salarié et la retraite. Il s’agit donc pour eux d’un moment charnière en vue de leur éventuelle implication dans des activités volontaires, entre autres (Jones, 1999) ;
- les 65-74 ans incarnent la catégorie la plus représentée parmi les aînés volontaires ; connaissant relativement peu de changements dans leur vie, cette stabilisation leur permet une implication plus aisée dans des activités sociales ;
- viennent enfin les 75 ans et plus avec une baisse progressive de l’implication volontaire qui peut, chez certains, s’expliquer par des problèmes de santé (Dujardin et al., 2007).
24Comme nous l’avons vu plus haut, si le taux de participation a tendance à diminuer après 75 ans (pour des raisons de santé, mais pas seulement), on observe à l’inverse une forte hausse du nombre d’heures consacrées par semaine à l’activité volontaire dès 55 ans. Cela s’expliquerait facilement par le fait que les personnes plus âgées disposent de plus de temps de loisir (Jones, 1999).
25L’étude de l’UCP estime également que l’engagement des aînés n’est pas un engagement à court terme mais, à l’inverse, un engagement de longue durée. On estime que plus de 50 % des volontaires aînés en Belgique francophone sont actifs dans leur organisation depuis au moins cinq ans, et 80 % depuis plus de deux ans. En comparaison avec l’engagement moyen des jeunes qui varie entre deux et trois ans, il s’agit donc d’un engagement inscrit dans la durée.
26Une dernière caractéristique de l’engagement volontaire des aînés, toujours selon l’UCP, concerne l’ancrage local de cet engagement. En effet, plus de 70 % des répondants exerceraient leur(s) activité(s) volontaire(s) dans des groupements locaux : on peut penser qu’avoir son activité volontaire proche de son domicile constitue un élément facilitateur de l’engagement, tout comme le fait que s’impliquer et d’aider des personnes qui sont proches de son environnement rend l’apport de l’engagement plus immédiat et plus concret. D’autres facilitateurs peuvent également être mis en avant.
Quels sont les facilitateurs et les freins au volontariat des aînés ?
27Selon les répondants de l’enquête UCP, le premier élément qui faciliterait le volontariat est simplement le bon état de santé (23,7 % des répondants). Cet élément paraît aller de soi car, en effet, comment s’engager dans des activités volontaires lorsqu’on n’a plus la capacité physique et la santé pour le faire ? Néanmoins, si l’état de santé peut objectivement être décrit comme mauvais, la mobilisation de la « mauvaise » santé est un élément subjectif qui peut être utilisé dans certaines conditions (quand le volontaire ne se sent plus impliqué dans son association par exemple) mais pas dans d’autres (quand le volontaire se sent reconnu dans son association). Viennent ensuite la facilité de déplacement (16,9 %) et les bonnes relations avec la personne en charge de l’encadrement des volontaires ou le permanent de l’association. Les autres facilitateurs évoqués sont la proximité des activités volontaires, le fait de n’avoir aucune obligation familiale, d’être en accord avec l’identité de l’association et d’être reconnu par celle-ci.
28De manière générale, à l’heure actuelle, les individus ont une vie active moins éprouvante que par le passé et sont donc généralement en meilleure santé à la fin de leur carrière. Aujourd’hui, de plus en plus d’aînés ont des diplômes élevés et sont issus d’une société qui incite les individus à se former tout au long de leur vie pour rester performants ; tous ces éléments favorisent l’engagement volontaire.
29Si l’on considère les freins et obstacles, on retrouve les obligations familiales (24,7 %) : un conjoint malade, la garde des petits-enfants, etc. sont autant d’éléments qui réduisent le temps disponible de l’aîné. Viennent ensuite les problèmes de santé (13,8 %), les difficultés à se déplacer (10,8 %), les obligations organisationnelles (par exemple, la présence requise à un certain nombre de réunions, pour 9,1 %), le coût lié aux activités volontaires (7,6 %), le manque de compétences (7,4 %), etc. (UCP, 2011). D’autres freins renvoient à ceux évoqués plus haut, comme les obstacles légaux ou administratifs, des charges personnelles trop lourdes, des problèmes de mobilité, etc. (Rizzi, 2005).
30Dans le cadre d’une étude sur le bien-être des personnes de plus de 70 ans en Wallonie commanditée par Respect Seniors, parmi les raisons qui empêcheraient de pratiquer des activités proposées à l’extérieur du domicile (et donc pas uniquement le volontariat), le principal obstacle serait un problème de santé, et ce dans plus d’un cas sur deux (54,2 %) ; les problèmes de transport et le coût des activités viennent ensuite (Linchet, Nisen, 2010).
31Enfin, à l’occasion de différentes rencontres réalisées avec des aînés dans le cadre de l’Année européenne 2012 du vieillissement actif et des solidarités intergénérationnelles, nous avons également identifié qu’un frein important pour les aînés souhaitant s’engager est le manque d’information sur les activités possibles.
32En tant qu’association, il nous semble relativement compliqué d’influer sur les obligations personnelles et familiales des volontaires, tout comme sur leur santé. Par contre, on peut réfléchir à la manière d’améliorer la situation dans le domaine de l’information et de sa diffusion. Par exemple, lorsqu’on tente de promouvoir le volontariat chez les aînés, il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit d’un public spécifique qui demande des moyens et des canaux de communication différents du reste de la population pour être réellement atteint. De même, il nous paraît réaliste d’identifier les difficultés administratives et légales auxquelles sont confrontés les aînés afin de tenter de les anticiper. En effet, nous allons voir que, tant pour la société que pour les aînés, le volontariat offre de nombreux apports.
Quels sont les apports du volontariat ?
33On distingue différents apports du volontariat. D’une part, on isole une série de réponses à des besoins économiques et sociaux envers la société. D’autre part, on pointe les apports en termes de valeur et de reconnaissance pour les aînés eux-mêmes. Au niveau de la société tout d’abord, on constate que le recul de l’État-providence dans plusieurs secteurs a des conséquences non négligeables sur les politiques sociales. Ce recul rend de plus en plus nécessaire l’octroi de plus de place et d’initiative à la société civile, tout comme le fait de lui proposer de jouer un rôle économique nouveau (Reimat, 2002). De plus, on observe que le développement et le maintien d’activités par et/ou pour les aînés a également un impact en termes de réduction des coûts et des dépenses dans le domaine de la santé3 (Sirven, Godefroy, 2009).
34À côté de ces apports économiques potentiels du volontariat des aînés, de nombreux problèmes comme la crise économique, la précarisation de certaines populations, les exclusions sociales ou la montée de la violence ou du sentiment d’insécurité, appellent plus que jamais à des efforts en termes de solidarité, au-delà des âges et des frontières. Ici, le volontariat des aînés peut offrir une série de réponses à ces besoins sociaux ; en effet, grâce à leur expérience et à leur disponibilité, les aînés réunissent le savoir et le temps de transmettre ce savoir (Muller, 2003). Il faut pouvoir saisir cette chance !
35Ensuite, au niveau des individus aînés eux-mêmes, le volontariat apporte au moins deux éléments. D’une part, quand l’UCP demande aux volontaires quelles sont, pour eux, les caractéristiques ou valeurs du volontariat qu’ils mettent en avant, la rencontre et l’amitié arrivent en première position (15,6 %). Rien d’étonnant à cela : le volontariat permet en effet de créer des espaces de rencontres, de s’ouvrir à l’autre et de prendre conscience de la singularité de chacun. En deuxième position vient la solidarité (14,8 %) que permet de vivre le volontariat, choix hautement symbolique dans une société où l’individualisme est prégnant. On retrouve ensuite les notions d’échange et de partage d’idées, d’expériences et de pratiques (11,9 %), de serviabilité (10,5 %), de convivialité et d’amusement (10,4 %).
36D’autre part, l’enjeu de la reconnaissance apparaît central pour les aînés. Toujours selon l’étude de l’UCP, une majorité écrasante des aînés volontaires se sentent reconnus (assez ou tout à fait) par l’association pour laquelle ils s’engagent (plus de 90 %). Le manque de reconnaissance ne touche que 8,9 % des sondés, et seulement 0,8 % ne se sentent pas du tout reconnus. Si les jeunes retraités disent avoir besoin d’une forme de reconnaissance autre que le travail, l’insertion sociale est aussi fondamentale pour les personnes plus âgées. Enfin, tout comme pour la société, le fait de se savoir utile et d’exercer des responsabilités est un facteur important pour la santé de l’individu, tant au point de vue de la santé physique que mentale (Muller, 2003).
Conclusion : les conditions de réussite d’une participation volontaire et citoyenne des aînés
37Les aînés constituent une richesse sociale incommensurable : ils sont producteurs de biens, de liens et de capital humain qu’on ne peut uniquement traduire en termes monétaires. Certes, cette richesse est inégalement répartie et l’engagement vers la collectivité dépend notamment de la santé, de la mobilité et de la situation familiale. Selon la Plate-forme francophone du volontariat, il faut donc tout mettre en œuvre pour soutenir la participation sociale des aînés en veillant à leur épanouissement personnel et à leur bien-être, en changeant le regard que porte notre société sur ces aînés et, in fine, en construisant un nouveau vivre ensemble et un nouveau consensus fort basé sur l’intergénérationnel (Viriot Durandal, Guthleben, 2002).
38En guise de conclusion, nous suggérons quelques pistes de réflexion et d’action comme autant de conditions de réussite à une participation volontaire des aînés : leur fournir un niveau de revenu ou de pension suffisant ; leur permettre de jouir d’un statut et de droits reconnus (par exemple, le droit à la formation permanente) ; donner la priorité à l’accessibilité de l’activité volontaire (en adaptant par exemple les équipements, les transports et services aux « usagers faibles ») ; ou enfin, faire face à de nouveaux enjeux en matière de santé et de vie sociale (Muller, 2003).
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10.3917/dbu.loriau.2005.01 :Rizzi E., 2005, Bénévolat et secondes carrières : volonté d’intégration des aînés dans la société, in M. Loriaux, D. Remy (dir.), La retraite au quotidien. Modes de vie, représentation, espérances, inquiétudes des personnes âgées, Bruxelles, De Boeck Université, pp. 255-287.
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10.3917/gs.102.0237 :Viriot Durandal J.-P., Guthleben G., 2002, Le pouvoir d’être vieux. Empowerment et police des âges, Gérontologie et société, 102, pp. 237-252.
Notes de bas de page
1 Pour visualiser la loi dans son intégralité, voir la Loi relative aux droits des volontaires du 3 juillet 2005, <http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg.pl?language=fr&la=F&table_name=loi&cn=2005070359>, site visité le 17 septembre 2013. Voir aussi le site de notre association pour un décryptage de cette loi : <http://levolontariat.be/enjeux/loi/>.
2 Notre association définit les aidant(e)s comme étant celles et ceux qui apportent leur aide au moins une fois par semaine, en dehors de leur profession, à une ou des personne(s) à l’autonomie limitée, membre(s) de leur famille ou de leur entourage, cette aide se réalisant à domicile ou en maison de repos.
3 Pour une analyse approfondie sur le sujet, voir PFV, 2012, Le volontariat des aînés, c’est bon pour la santé !, <http://www.levolontariat.be/public/files/publications/2012/201212171500471396997837.pdf>, site consulté le 12 septembre 2013.
Auteurs
Politologue, chargée de recherche et de développement à la Plateforme francophone du volontariat
Politologue, responsable du service recherche et développement à la Plateforme francophone du volontariat
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