De la phénoménologie matérielle à la critique de la culture et de la politique. Essai sur l’enjeu pratique de la pensée henryenne
p. 485-503
Texte intégral
Les hommes abaissés, humiliés, méprisés et se méprisant eux-mêmes ; dressés dès l’école à se mépriser, à se tenir pour rien — pour des particules et de molécules ; admirant tout ce qui est moins qu’eux ; exécrant tout ce qui est plus qu’eux. […] Les hommes détournés de la Vérité de la Vie, se jetant sur tous les leurres, les prodiges ou cette vie est niée, bafouée, singée, simulée — absente. Les hommes livrés à l’insensible, devenus eux-mêmes insensibles, dont l’œil est vide comme celui d’un poisson. Les hommes hébétés, voués aux spectres, aux spectacles qui exposent partout leur propre nullité et leur déchéance […]. Les hommes dont la responsabilité et la dignité n’ont plus aucun site assignable. Les hommes qui, dans l’avilissement général, envieront les animaux. Les hommes voudront mourir — mais non la Vie1.
1Le dicton de Paul Ricœur, cité à de nombreuses reprises, selon lequel l’histoire de la phénoménologie serait « l’histoire des hérésies husserliennes »2 semble correspondre de manière exemplaire à la philosophie de Michel Henry. En effet, dans la reprise henryenne, la phénoménologie prend non seulement une forme tout à fait singulière et critique, mais aussi tout à fait particulière. Comme Bernhard Waldenfels le notait dans son œuvre majeure sur la Phénoménologie en France, l’apport henryen consiste en une poursuite rigoureuse d’une seule intuition de base d’une puissance énorme : la prise de conscience de l’essence affective de la vie pure phénoménologique3.
2Je ne vais consacrer les réflexions suivantes ni à un traitement extensif de cette intuition phénoménologique de base, c’est-à-dire du principe de la phénoménologie dans son interprétation par Henry, ni à sa possible critique. Je voudrais montrer, au contraire, quelle force cette intuition prend, au moment de son application aux problèmes que pose la philosophie pratique — et avant tout la critique culturelle et les questionnements de la philosophie politique. Je pense que la valeur de la pensée henryenne ne se limite pas seulement au registre théorique. Il me semble tout au contraire qu’elle puise sa véritable force dans son application pratique.
3Si pour Henry, au contraire de Husserl et de la phénoménologie classique, il ne s’agit plus de penser la vie à partir du monde (ou de quelque autre horizon transcendantal comme l’être, le temps, la chair, ou l’altérité) mais tout au contraire de penser la puissance originaire de la révélation de la vie elle-même et ainsi de penser le monde à partir de la vie, alors cela indique déjà un changement de paradigme de l’intentionnalité vers la pratique. Faire ressortir l’intelligibilité pratique de la vie en tant que principe de toute phénoménalisation, voilà en quoi consiste pour Henry la tâche de la phénoménologie en tant que « phénoménologie radicale » ou « matérielle »4.
4Bien sûr, on peut se demander de quelle phénoménologie il s’agit ! Car, si effectivement, la phénoménologie ne s’interroge sur rien d’autre que le logos de l’apparaître — si, comme chez son fondateur, elle thématise l’intentionnalité ou, comme chez Heidegger, la transcendance comme essence de l’apparition de l’apparaissant — ne se perd-elle pas, chez Henry, dans une « autoréférence immanente » ou bien une « intériorité tautologique »5 de la vie absolue qui doit avoir « le même sens pour Dieu, pour le Christ et pour l’homme »6 ? Et cela ne revient-il pas à une démission de la phénoménologie en faveur d’une (crypto-) théologie ?7 Afin d’affronter ce reproche trop général de manière adéquate et d’en tirer les conséquences pour une pensée de la culture et de la politique, nous devons, avant tout, rappeler l’enjeu de la transformation de la phénoménologie en cette phénoménologie matérielle ou bien radicale que propose Michel Henry. Pour l’anticiper, ce qui est en jeu, c’est l’humanitas transcendantale de l’humain, sa détermination incontournable d’être un soi qui s’est donné soi-même dans sa « chair vivante »8 sans devoir sa singularité à quelque principe transcendant.
I. Le « renversement » de la phénoménologie — de la phénoménologie « intentionnelle » à la phénoménologie « matérielle »
5Le présupposé commun de la philosophie classique et de la phénoménologie historique consiste pour Henry en l’identification du logos des phénomènes au logos du monde. Pour le dire autrement, il consiste dans le fait que la vie de la conscience doit se réaliser dans l’horizon de l’au-dehors, de la visibilité ou tout simplement du monde, c’est-à-dire dans le cadre de l’intentionnalité. C’est dans le dépassement intentionnel que la vie fait l’expérience qu’elle ne coïncide pas avec elle-même, qu’elle n’a jamais été et qu’elle ne pourra jamais être pure présence à soi, mais qu’elle diffère plutôt d’elle-même. Henry comprend ces acquis de la phénoménologie post-husserlienne, mais quand il s’agit de penser l’essence de la subjectivité, c’est-à-dire son ipséité, ces positions lui semblent tout à fait insuffisantes. Selon lui, elles mènent très vite sur des chemins aporétiques, comme c’est le cas dans la théorie husserlienne bien connue de l’« auto-constitution », selon laquelle la conscience se constitue elle-même de manière intentionnelle dans l’unité temporelle du flux de conscience9. La question de l’ipséité originaire est toujours restée un problème dans la phénoménologie classique (mais pas seulement ici). Et pour Henry, elle devait rester sans solution puisqu’on avait tenté d’y répondre par le régime de la pensée et de l’imagination sans avoir pris en compte le fondement essentiellement passif et affectif de l’ipséité10.
6Sous cette condition, et pour le dire autrement, l’apparaître comme tel est pensée comme une manifestation de l’étant dans un horizon signifiant et c’est la raison pour laquelle ces positions sont incapables d’expliquer comment l’intentionnalité s’autogénère, comment la transcendance peut se transcender elle-même11.
7L’idée que « l’intentionnalité [constitue] le véritable […] et seul accès possible à l’être » — soit de l’étant, soit du soi — est donc, selon la formule de Fink, vraiment l’« hypothèse [centrale] de la phénoménologie de Husserl »12. Cette hypothèse, « la supposition que la conscience originaire entendue de manière intentionnelle est le véritable accès à l’être »13, crée une situation phénoménologique particulière ; car si le « comment [originaire] de la donation » de la « chose même » est identifié à l’intentionnalité, alors substitue à l’apparaître pur rien d’autre que l’apparaître de l’étant :
Nous avons d’un côté l’apparaître (la conscience), de l’autre le quelque chose, l’étant. L’étant est en soi étranger à l’apparaître, incapable de se phénoménaliser par lui-même. L’apparaître de son côté est tel qu’il est nécessairement l’apparaître d’autre chose, de l’étant. L’apparaître détourne de soi de façon si radicale et si violente qu’il est tout entier tourné vers l’autre que soi, vers le dehors — il est intentionnalité. Parce que l’apparaître, en tant que intentionnalité, se trouve si essentiellement déporté vers ce qu’il fait apparaître, ce n’est plus lui, l’apparaître, qui apparaît, mais ce qu’il fait apparaître en lui : l’étant. L’objet de la phénoménologie, sa “chose même”, est dénaturé de telle façon que cet objet n’est plus l’apparaître mais l’apparaître de l’étant et finalement l’étant lui-même en tant qu’il apparaît14.
8Afin de résoudre ce problème, il s’agira de revenir au fondement impensable, ou mieux, irreprésentable (unvordenklich) de l’expérience, où l’intentionnalité se saisit ou plutôt s’éprouve soi-même, selon la formule henryenne. Car c’est uniquement en tant que donnée à elle-même qu’il lui sera possible de se dépasser vers une autre chose. Le retour à l’« immanence pure » et à son apparente « intériorité tautologique » (Janicaud) sont donc les tâches d’une phénoménologie radicale dont le thème est, contrairement au « monisme ontologique », la « duplicité de l’apparaître »15. À la manifestation intentionnelle — terme utilisé par Henry pour désigner toute apparition transcendante, ekstatique bref : mondaine — il oppose l’apparaître pure ou mieux, l’auto-révélation de la vie. Il convient de voir qu’il ne s’agit pourtant pas d’un affrontement, mais d’un rapport de fondation : selon Henry, l’essence de la manifestation ne prend finalement son fondement que dans cette auto-révélation qui, elle, s’accomplit selon le mode de l’affectivité, ou plus précisément de l’auto-affection.
9Il ne s’agit donc pas pour Henry d’interpréter la duplicité de l’apparaître de manière dualiste. Son intention tient plutôt en une compréhension du monde à partir de la vie. Que Henry s’interdise de penser la Vie — c’est-à-dire l’essence du soi et de l’être — comme étant elle-même placée dans l’« horizon aperceptif » du monde (ou, pareillement, celui de l’être, de la chair, de l’altérité, de la différance etc.), qu’il pense tout au contraire le soi radicalement à partir de son auto-mouvement affectif et sa « téléologie immanente »16, et donc de l’essence de son « ipséisation » dans sa pratique charnelle et vivante, voilà les raisons qui nous permettent de parler d’une métaphysique de l’individu : dans cette dimension de notre intelligibilité pratique, tous les paramètres de l’individuation onto (théo) logique — comme substantialité, localisation spatio-temporelle, autodétermination, automouvement ou indépendance — sont en effet suspendus en faveur de « l’apodicticité d’“un fondement imperturbable” de notre savoir pratique de la vie en tant qu’un sentir purement individué »17.
10L’auto-affection en tant que mode de l’auto-révélation de la vie n’est pas une affection de la conscience par une chose étrangère, extérieure, mais une affection par soi-même, l’auto-affection de la vie, qui s’auto-révèle dans son sentir. Or, si l’autorévélation affective de la vie est une condition insurmontable de l’intentionnalité et donc de tout « être-au-monde », alors le « contenu impressionnel » du monde ne doit plus rien à une « donation de sens intentionnelle », mais — voici la thèse de Henry — trouve sa source dans l’auto-affection non-intentionelle de la vie en tant que pathos. Cet auto-apparaître pathétique, c’est-à-dire radicalement passif, constitue selon Henry la réalité invisible de la vie qui s’auto-affecte dans sa propre immanence.
11Ce que Henry désigne par le terme d’« auto-affection » est antérieur à la distinction classique entre activité et passivité18. Elle est plus originaire que la passivité d’une affection, d’un sentiment ou d’une tonalité affective. Il s’agit donc d’une affectivité archi-passive qui constitue en même temps le fondement de l’ipséité puisqu’elle est déjà impliquée dans tout sentiment comme son « essence », c’est-à-dire en tant qu’auto-référentialité archi-passive. Ceci n’est pourtant pas mis en cause par le rapport qu’entretiennent les états et les sensations affectives au monde. Le rapport à ce qui lui est étranger, son hétéro-affection ne définit pas l’affectivité. Pour le dire autrement : l’expérience ne détermine pas l’affectivité mais l’affectivité rend seulement possible l’expérience. Que toutes les tonalités affectives, sentiments, etc., soient « rendus à eux-mêmes », que dans leur « s’être-toujours-déjà-donné », ils s’écrasent contre soi sans issue possible, qu’ils soient « crucifiés » contre eux-mêmes, comme le disait à ce propos Jad Hatem19, cela signifie qu’ils ont un caractère passionnel. Toutefois, la vie ne s’y éprouve pas seulement comme le « se-souffrir soi-même »20. Henry comprend plutôt la passion de la vie comme un « chemin et une voie » : en tant qu’il s’y dépasse lui-même afin d’« arriver chez soi », son auto-donation est aussi la source inépuisable du Jouir. Puissance et impuissance s’entremêlent dans cette expérience d’un « don qui ne peut être refusé »21, comme l’écrit Henry dans L’essence de la manifestation, mais qui fait venir en elle-même la vie en tant que « force originaire ».
12Henry explique cette venue-en-soi, ce don « qui ne peut être refusé », comme le don de la vie absolue — ou, pour le dire traditionnellement, divine. Cette « naissance transcendantale » du vivant dans la vie (absolue) ne désigne pas une genèse ou individuation factuelle, mais une condition — il s’agit de sa condition de Fils comme l’exprime Henry dans la reformulation christologiquement inspirée de son intuition fondamentale dans C’est moi la Vérité :
Comprendre l’homme à partir du Christ, compris lui-même à partir de Dieu, repose à son tour sur l’intuition décisive d’une phénoménologie radicale de la Vie, qui est aussi précisément celle du christianisme : à savoir que la vie a le même sens pour Dieu, pour le Christ et pour l’homme et cela parce qu’il n’y a qu’une seule et même essence de la Vie et, plus radicalement, une seule et unique Vie. Cette Vie que s’auto-génère elle-même en Dieu et qui, dans son auto-génération génère en elle l’Archi-Fils transcendantal comme l’Ipseité essentielle en laquelle cette auto-génération s’accomplit, c’est la Vie dont l’homme lui-même tient sa naissance transcendantale, et cela précisément en tant qu’il est Vie et défini explicitement comme tel dans le christianisme, Fils de cette Vie unique et absolu et ainsi Fils de Dieu22.
13Dans cette explication trinitariste de l’auto-engendrement de la Vie absolue qui engendre en soi un « premier Vivant » (Christ) qui seul rend possible la « naissance transcendantale » de tout « vivant », nous rencontrons une modification remarquable du concept d’auto-affection. Il semble que Henry réponde ici à la critique adressée à sa philosophie et selon laquelle l’immanence ne possèderait aucune structure ni histoire rendant ainsi impossible tout rapport à l’autre (Fremdbezug) :
Le Soi singulier s’auto-affecte, il est l’identité de l’affectant et de l’affecté mais il n’a pas posé lui-même cette identité. Le soi ne s’auto-affecte que pour autant que s’auto-affecte en lui la Vie absolue. C’est elle, dans son auto-donation, qui le donne à lui-même. C’est elle, dans son auto-révélation, qui le révèle à lui-même. C’est elle, dans son étreinte pathétique qui lui donne de s’étreindre pathétiquement et d’être un Soi23.
14Sans pouvoir discuter ici cette transformation christologique fondamentale qu’a connu la pensée henryenne24, le point suivant me semble être particulièrement significatif : L’épreuve de la vie s’effectue conformément à la dualité pathétique entre se-souffrir et se-jouir de soi. En tant que passivité ontologique originaire l’« antinomie des tonalités affectives de base phénoménologiques »25, c’est-à-dire la « structure antinomique de la vie »26 crée l’ipséité, et ceci parce que l’affectivité archi-passive du processus de la vie n’existe pas par lui-même — je « me trouve »27 auto-affecté. L’ipséité n’est donc ni auto-affection absolue ni — nous tenons à le souligner — le résultat des processus impersonnels de quelques forces ou pulsions anonymes28. Elle est ipséique dans la mesure où elle se dépasse elle-même sur base de son être-affecté vers des « formation affectives »29 qui persistent, ou, pour le dire autrement, elle est ipséique pour autant que l’essence de la subjectivité est aussitôt éprouvée dans l’affectivité archi-passive du sentiment. En tant qu’elle porte le fardeau du Soi, en tant qu’elle l’éprouve comme le fardeau de son propre être, l’ipséité « est mise en possession de soi et de chacune des modalités de sa vie »30 — elle devient un sujet qui se rapporte au monde.
II. De la crise de la réalité culturelle dans la perspective de la phénoménologie matérielle
15Pour élucider la signification novatrice de sa philosophie pratique, il faut comprendre la modalité selon laquelle Henry pense ledit « rapport au monde ». Il ne s’agit toutefois pas d’un monde qui serait un but prescrit et qui guiderait ce mouvement. Henry ne pense le monde ni comme omnitudo realitatis, ni comme « horizon des horizons » ou un « medium du souci ». Il saisit le monde au contraire, selon sa formule, comme la « mémoire immémoriale » de notre chair. Il est question ici d’une archi-pratique, d’un « je peux transcendantal » au sein duquel le contenu du monde et l’exercice de nos potentialités sont entre-liés de manière indissociable :
“Je peux” ne signifie pas que maintenant je suis en mesure de faire telle mouvement. La réalité d’un mouvement ne s’épuise pas dans son effectuation phénoménologique singulière : elle réside dans le pouvoir de l’accomplir. Ce pouvoir à son tour ne se réduit pas à la somme de ses actualisations potentielles. C’est une possibilité principielle et apriorique qui domine toutes ses " actualisations ", qui domine passé, présent et futur et qui ne peut m’être ôtée, celle de déployer tous les pouvoirs de mon corps […]. L’unité du monde est donc une unité immanente, c’est dans la parousie de ma chair qu’elle se tient31.
16L’expérience concrète du monde « requiert » donc, selon Henry, comme « dernière possibilité » « une conscience sans monde, une chair acosmique »32. Henry, en suivant ici Maine de Biran, comprend ceci comme la « corporéité immanente » de notre « Je peux ». Ce « Je peux » doit être compris comme une puissance qui nous a été transmise et qui rend seulement possible la répétition illimitée du pouvoir concret33. À la « chair vivante » prise comme concrétion matérielle de l’auto-donation du soi advient donc la tâche de l’épanouissement de la structure affective de la vie34. Elle doit opérer la traduction de son affectivité primordiale en « formations affectives » ou bien « habitus fondamentaux de la vie transcendantale »35, qui sont des composantes du « monde de la vie » en tant que monde de la vie36.
17Cela indique comment, à partir de l’immanence, la transcendance peut être saisie différemment que comme la « transcendance d’une inhérence irréelle »37 du sens [Transzendenz irreellen Beschlossenseins] — notamment comme « formation affective », « concentration » ou « mémoire immémoriale » — mais cette possibilité doit encore être examinée de plus près. Car c’est justement cette rhétorique de la « chair acosmique », d’une « indépendance radicale » de l’immanence, du non-intentionnel susceptible de fonder la transcendance qui nous confronte à l’objection majeure faite à l’approche henryenne. Il s’agira de la saisir dans toute sa portée afin de pouvoir montrer que cette pensée peut être appliquée à des problèmes de philosophie sociale et culturelle ainsi qu’aux questions de la philosophie politique. L’objection en question est la suivante : Cette « contre-réduction »38, qui tente de fonder la manifestation de la transcendance dans l’auto-révélation immanente de la vie absolue, ne nous isole-t-elle pas du monde, et ce malgré toutes les assurances qui ont pu être données ? Cette question en retour à l’originaire ne nous mène-t-elle pas vers un « mysticisme de l’immanence », d’une immanence enfermée dans sa propre nuit, incapable à jamais d’être formulée dans un langage et ainsi de venir au monde ? Ne s’agit-il pas d’« un mépris complet pour toutes les déterminations de la vie, de telle sorte que le souci du fondamental et de l’originaire congédie tout autre souci, désincarnant cette affectivité qu’on voulait concrète ? »39 Ou, pour citer le résumé concis que Bernhard Waldenfels donne de cette critique, « la caractérisation négative de l’auto-affection comme non-intentionelle, non-représentative, nonvoyante ou non-ek-statique ne se meut-elle pas constamment dans cette référence au monde qu’elle met justement en suspens »40 ?
18La réponse de Henry à ces questions serait décidément négative. Il argumenterait que seule une phénoménologie non-intentionelle pourrait justifier notre « ouverture » originaire vers le monde ainsi que son « contenu concret ». Cela ne signifie pas que notre vie factuelle engendrerait le contenu mondain concret. Henry constate seulement que l’intelligibilité de ce contenu en tant que contenu vivant ne réside que dans la variation, transformation et augmentation des possibilités subjectives qui précédent la manifestation de son corrélat objectif. En fait, Henry déclare que cela a été entrevu par Husserl qui ne pouvait pourtant pas maintenir son intuition fondamentale :
La phénoménologie de Husserl n’a pas ignoré le non-intentionnel, le désignant au contraire en tant que hylé comme une couche fondamentale de la conscience. […] Toutefois cette fonction décisive de l’Ur-impression qui ferait de la phénoménologie hylétique la discipline fondamentale de la phénoménologie, se renverse immédiatement : la hylé n’est précisment plus qu’une matière pour une forme qui a seule le pouvoir de l’illuminer et de faire d’elle un phénomène, et cette forme qui donne lumière c’est l’intentionnalité. Ainsi l’essence originelle de la phénoménalité comme révélation de l’impression en tant qu’impression, c’est-à-dire son impressionnalité, c’est-à-dire encore son affectivité, est-elle occultée […]. Avec cette occultation par la phénoménalité extatique de la source secrète et de l’essence originelle de la phénoménalité, ce n’est rien de moins que la vie concrète des hommes qui se trouve écartée du champ de la pensée philosophique, pensée livré des lors, et par la phénoménologie elle-même, à l’extériorité et finalement à un objectivisme ruineux qui se recouvre avec celui de la science galiléenne — laquelle s’était définie par la mise hors jeu de la subjectivité, c’est-à-dire de la vie […]41.
19Ceci prouve que malgré toutes les critiques qu’il adresse à Husserl, l’œuvre de Henry doit être comprise comme une continuation de l’analyse que faisait Husserl dans la Krisis42. Certes, le terme « objectivisme » ne désigne plus seulement la finalité implicite des sciences objectives inaugurée par la réduction galiléenne ainsi que leur perte d’importance pour la vie, due pour Husserl à une « raison épuisée »43. « Objectivisme » désigne plutôt, dans une tournure critique, ce qui est sous-jacent à tous ces processus, à savoir l’image que l’homme se fait de lui-même comme sujet dans la lumière du « monisme ontologique ». Car l’homme, réduit à un sujet qui doit se comprendre soi-même à partir de l’auto-explicitation transcendantale de l’intentionnalité — c’est-à-dire dans l’intelligibilité de l’horizon mondain — est par là soumis à une « élimination systémique de son humanité transcendantale »44. Par conséquent, Henry, au contraire d’autres analyses de la barbarie, ne parle pas dans son livre La Barbarie d’Auschwitz, du Goulag ou d’autres génocides. La barbarie qu’il vise concerne, plutôt, une « réduction auto-destructrice de la conscience dépassant les justes limites de la détermination consciencieuse de la relation à l’objet »45 qui, à son sens, ont toujours déjà rendu possibles toutes ces catastrophes du vingtième siècle. Dans cette analyse de la barbarie, il n’est pas question d’un « oubli du monde de la vie » ou de l’« unidimensionnalité de la technique » et des problèmes éthiques en résultant et qui occupent de nos jours le discours philosophique. Ceux-ci sont, bien entendu, thématisés dans sa critique, mais au fond l’analyse vise une aliénation ou bien un oubli plus fondamental de la vie par rapport à elle-même, constitutive de toutes ces manifestations de crise — et dont ils profitent de manière plus ou moins consciente ou ciblée.
20Henry situe le germe de ce processus destructeur dans une auto-destruction de la vie. Cette possibilité, que la vie puisse vouloir se détruire, n’est pas évidente, comme le révèle un coup d’œil sur la tradition philosophique des penseurs du conatus, de Spinoza à Hegel et, en fin de compte, à Heidegger. Selon Michel Henry, cette possibilité que la vie tende vers sa propre destruction se fonde dans cette dualité pathique de la vie, abordée auparavant. Afin de saisir cette possibilité dans toute son ampleur, nous devons examiner de plus près la dynamique de cet écrasement-contre-soi affectif, c’est-à-dire de l’auto-donation archi-passive et indissociable de la vie. Pour Henry, c’est cette passivité de la vie par rapport à soi-même qui, nous l’avons signalé, est le germe de sa propre croissance et par là même la condition de possibilité de toute culture. Cette passivité peut mener la vie à se tourner contre elle-même. Mais à quelle condition ? À condition néanmoins que la vie ne puisse plus s’accroître à partir d’elle-même, à condition qu’elle ne puisse plus réaliser son être de manière adéquate — parce qu’une telle réalisation fait partie de son essence.
21Au sein des cultures d’antan jusqu’à celles d’aujourd’hui, ce sont la religion, la mystique, la culture, l’éthique, etc., qui ouvrent un espace co-pathique pour cette élaboration s’intensifiant de la vie. Ce qui pour Henry est en jeu dans ces « institutions symboliques »46, n’est donc pas seulement la validité pré-scientifique de l’expérience subjective par rapport à l’objectivisme de la conception scientifique du monde. Ce qui est en jeu de manière plus fondamentale, ce sont les tréfonds de l’expérience elle-même en tant que « pratique culturelle de vie » avant toute sorte de rapport vérifiant et, par conséquence, avant toute articulation symbolique de notre expérience. Cela ne met uniquement au premier plan ni la genèse transcendentalement esthétique de la logique comme « logique du monde »47, ni l’« histoire des institutions symboliques » (Stiftungsgeschichte)48 qui lient les tissus génératifs des sens communs. Bien entendu, le point décisif est ici que cette « vie » s’accomplit non seulement dans nos sentiments, pulsions et excitations (c’est-à-dire dans notre « vie hylétique »), mais également dans l’intentionnalité objectivante de l’expression ou dans l’idéalité des formes communes qu’il faut pareillement comprendre comme « formations affectives » ou « habitus transcendantaux », dans lesquels la vie qui cherche son auto-accroissement se saisit elle-même. Pour Henry, l’important est alors d’éclaircir l’articulation de la passivité du pathos de la vie comme oscillation perpétuelle entre la jouissance du pouvoir-vivre et le ne-plus-vouloir-vivre dans l’auto-épreuve d’un seul et même accomplissement de vie. En ce sens, nous pouvons déclarer que c’est depuis l’épreuve de la vie s’auto-subissant que la science prend la fuite au moment où elle met la subjectivité entre parenthèses, tout comme nous la fuyons quand nous prétendons vivre nos potentialités en ayant recours à des « entités idéales »49. Cette fuite de la vie dans l’extériorité prend des formes monstrueuses au moment où elle cherche à se séparer d’elle-même et à pousser ainsi cette fuite vers une limite inatteignable par principe :
[L]e saut hors de soi [est une] fuite dans l’éxteriorité en laquelle il s’agit de se fuir soi-même et ainsi de se débarrasser de ce qu’on est, du poids de ce malaise et de cette souffrance. Seulement, […] cette fuite demeure prise en son propre pathos. […] Reste donc une seule issue : détruire purement et simplement ce malaise et cette souffrance dont on ne peut se débarrasser, lesquels toutefois ont leur possibilité dans le s’éprouver soi-même et ainsi dans la vie : c’est celle-ci, par conséquent, qu’il faut supprimer, c’est sa propre essence. Pas plus que la fuite de soi cette autodestruction ne parvient donc à ses fins, s’il est vrai que l’acte de se détruire n’est possible qu’à la condition d’actualiser en lui et ainsi d’affirmer l’essence qu’il veut anéantir50.
22La vie se préserve donc même dans son désir d’auto-destruction. Selon Henry, la barbarie est une « énergie inemployée »51, une « énergie » qui ne traverse plus la souffrance qui lui est essentielle pour s’auto-accroître à partir d’elle-même. De cette situation intolérable de la vie qui, dans la tentative de s’auto-détruire, ne peut pourtant s’abandonner soi-même résulte la rage propre à la « fuite de soi » :
La fuite de soi est le titre sous lequel on peut ranger presque tout ce qui se passe sous nos yeux. Non pas la science en elle-même, laquelle en tant que connaissance de la nature qu’elle definit dans ses procédures est tout entière positive mais […] la croyance que cette science galiléenne de la nature constitue le seul savoir possible, la seule vérité, en sorte qu’il n’y a d’autre réalité, comme réalité vraie, c’est-à-dire réelle, que l’objet de cette science, en sorte que l’homme lui-même n’est réel qu’à ce titre et que tout savoir le concernant ne peut être qu’un mode ou une forme de cette unique science52.
23Ladite fuite de soi ne se produit pourtant pas seulement dans le registre théorique. Dans le remous de cette fuite de soi qui est le principe dynamique de la mise hors-jeu scientiste de la vie par le système se diversifient en effet les pratiques de la barbarie au sein desquelles la vie « se jette hors de soi »53. Les exemples donnés par Henry sont nombreux, à commencer par la dévalorisation pratique de la vie par le scientisme en passant par sa projection et simulation dans le télé-technologique jusqu’à la destruction de l’Université. Ce qu’ils ont en commun, c’est la création d’un « monde inhumain »54 dans lequel la vérité du monde préside à la réalité de la vie. La vie oubliée est donc soumise à un ébranlement ontologique fondamental parce qu’elle devient sujet d’une simulation permanente : dans cette situation fallacieuse s’établit une « forme de la vie » dans laquelle « la forme de la communication [est devenue] son contenu »55. Il s’agit d’une culture bannissant la « culture de la vie » comme pratique singulière hors d’elle, qui sacrifie donc la réalité de la vie à la « grande chasse » (Nietzsche) pour son articulation dans la vérité du monde :
Le monde en effet est un milieu d’extériorité pure. Tout ce qui trouve en lui la condition de son être ne se propose jamais que comme être-extérieur, un pan d’extériorité, une surface, une plage offerte à un regard et sur laquelle ce regard glisse indéfiniment sans jamais pouvoir pénétrer à l’intérieur de ce qui se dérobe à lui derrière un nouvel aspect, une nouvelle façade, un nouvel écran. Car cet être n’étant qu’extériorité n’a point d’intérieur, sa loi est le devenir, le surgissement incessant de nouvelles faces, de nouveaux plans et la connaissance suit à la trace la succession de tous ces leurres dont chacun ne se présente à elle que pour escamoter tout aussitôt un être qu’il n’a pas et la renvoyer à un autre, qui lui joue le même tour. Point d’intérieur : rien qui soit vivant, qui puisse parler en son propre nom, au nom de ce qu’il éprouve, au nom de ce qu’il est. Seulement des “choses”, seulement de la mort : en l’avancée du monde et en son dévoilement extatique ne s’exhibe et ne s’ex-pose que le toujours devant, le toujours dehors — l’objet56.
24Dans le régime du « mensonge ontologique »57 qui pense la vie dans l’horizon du monde, nous avons donc l’habitude de penser la vie au fil conducteur de la mort. « La débâcle de l’humanisme sous toutes ses formes » n’est donc pour Henry que la conséquence nécessaire de la barbarie de l’esprit moderne qui ne cesse de proclamer « la défense de l’homme véritable »58. Ce dernier pourtant, il le dégrade en en faisant une copie inanimée, c’est-à-dire à un « automate »59.
III. Le politique et les tentatives de la transcendance
25Cependant, la barbarie dont parle Henry n’est pas seulement la crise de la culture dans le sens d’une auto-destruction des « lois pratiques » selon lesquelles se façonne l’auto-accroissement des potentialités subjectives de la vie. En effet, la logique de la barbarie n’agit pas moins profondément en d’autres lieux, mais elle ne se montre au contraire nulle part ailleurs de manière aussi criante que dans les catastrophes de la politique européenne du siècle passé. Henry tente une analyse de cette « forme » de barbarie dans son livre Du communisme au capitalisme. Théorie d’une catastrophe. Je me limiterai à une présentation de son argument principal, selon lequel les fascismes et les totalitarismes ont réussis à pousser tout d’abord des individus vers l’auto-destruction afin de les mener ensuite à détruire les autres :
Disons simplement ici que jamais la vie en tant que telle ne peut être à l’origine d’une crime, c’est-à-dire d’un acte tourné contre elle-même, à moins qu’elle ne s’engage dans le processus monstrueux de l’auto-négation de soi qui va être le trait dominant du nihilisme moderne et du fascisme notamment60.
26Nous voyons donc que la fuite de soi ontologique de la vie est maintenant abordée d’une autre manière. Dans le cadre de son analyse, Henry retrace le principe du fascisme jusqu’à ce qu’il nomme l’hypostase du politique. Celle-ci consiste en une approche généralisante dans la lumière de laquelle l’individu particulier peut seulement être assuré de lui-même, mais se trouve en même temps condamné à saisir sa propre nullité. L’hypostase du politique, son apothéose vers un être propre coupe tout rapport avec l’accomplissement de la vie immanente de chaque individu et avec leur « intersubjectivité pathique » pour les subordonner au regard présupposé de tous :
L’individu n’est plus rien d’autre que l’occupant d’une place délimitée par l’ensemble des procès qui forment la substance de la société et dont la prise en compte comme tels, comme affaire de la Cité, définit le politique. Le politique est tout, l’individu est rien61.
27L’abaissement de l’individu allant de pair avec un tel procédé décrit pour Henry le noyau du fascisme et l’attaque qu’il mène contre la vie :
Le fascisme implique toujours l’abaissement de l’individu et, au fond de cette volonté d’abaissement, il y a celle de le nier. C’est cette négation de l’individu qui fait apparaître d’entrée de jeu le fascisme comme une force de mort — mais de quel individu s’agit-il ? Sous quel aspect, dans quelle partie de son être celui-ci doit-il être visé, atteint et précisément nié pour qu’on puisse parler de fascisme ? Dans ce qui fait de lui un vivant. […] [C]’est la où l’Individu est un Individu, c’est la où il est cet individu singulier, dans sa vie, que frappe le fascisme. […] [E] t c’est en cela que le fascisme est véritablement une force de mort62.
28Ce à quoi le fascisme s’attaque n’est donc pas tant les incorporations contingentes de la vie que son essence même de s’auto-apparaître, de s’être-donnée-à-elle-même, de s’auto-donner. Il s’agit ici, pour le dire autrement, d’une attaque contre l’essence phénoménologique de la vie. Le caractère abyssal de l’hypostase du politique s’incarnant dans le fascisme, ainsi que son incorporation au sein d’un « corps du peuple » (Volkskörper) (mais aussi dans une « conscience de classe ») nous devient maintenant entièrement intelligible :
Si le peuple a sa réalité dans l’individu, la négation de celui-ci est en vérité une autonégation, le temps du politique est celui du désespoir, le moment où la vie, ou l’individu, cessant de croire en eux-mêmes et voulant se fuir eux-mêmes, se jettent hors d’eux-mêmes dans tout ce qui pourra motiver cette fuite et notamment l’existence politique, une existence vouée à la chose publique, à l’Histoire, à la Société et à leurs problèmes, à tout ce qui permet à l’individu de ne plus vivre de sa vie propre et de s’oublier lui-même63.
29Toutefois, ce qui, pour Henry, renvoie au caractère abyssal du politique, n’est pas seulement l’« hypostase du politique » dans le cadre du Nazisme ou du Realsozialimus avec toutes ses conséquences inhumaines et mortelles. Ce sont sans nul doute les idéologies totalitaires qui comprenaient et qui comprennent toujours de quelle manière il faut instrumentaliser la « peur primordiale » des individus à ce moment précis où les piliers de l’être-avec communautaire s’effondrent, ou plutôt dès lors qu’ils réussissent à invoquer l’image affective d’un tel effondrement64. La faillite des idéologies totalitaires ne doit pourtant pas nous détourner du fait que même la démocratie en tant que telle porte en elle une aporie ruineuse qui peut facilement causer son échec pratique et ainsi la violence légitimée par l’État contre ses propres citoyens.
30L’échec de la démocratie ne résulte pas selon Henry de quelques évènements contingents, bien qu’ils soient, sans nul doute, inquiétants. Ceci compte à la fois pour l’« arbitraire » apparemment naturel des élites qui s’instaurent, que pour l’« incompétence » des représentants politiques65 qui ne devraient, au final, pas être pris en compte en tant que raisons suffisantes pour un échec définitif lors d’une « légitimation par la procédure ». Pour Henry, il est bien plutôt question de la fondation du démocratique lui-même, de ses fondements, c’est-à-dire de la liberté et de l’égalité des individus telles que fixées par les « droits de l’homme ». D’après lui les « droits de l’homme » ne constituent pas un principe formel, mais forment au contraire le noyau dur de ce qu’on entend par « démocratie matérielle ». Cela signifie encore qu’ils ne doivent pas être compris comme des attributs approuvés de manière procédurale puisque la possibilité existe alors que sous cette même prémisse, leur négation soit légitimée de manière démocratique66. Il s’ensuit de cette réflexion que finalement, la démocratie ne peut trouver son principe en elle-même (et concernant les droits de l’homme, Lévinas parle de manière analogue d’une « exigence extra-territoriale ») : car « comment ce qui est avant toute décision [les valeurs de la démocratie] pourrait-il bien résulter de celle-ci, être fondé par elle ? »67 ? Cette contradiction frappante ne se produit pourtant pas de manière contingente, mais résulte, comme le dit Henry, du concept de représentation politique :
Pour se réaliser, le principe démocratique a inventé la représentation politique, mais la représentation politique [en tant que substitution aux individus de leurs délégués] est la négation du principe démocratique68.
31Cette critique est d’une portée majeure puisqu’elle pose la question fondamentale de la possibilité de justifier les valeurs fondatrices de la démocratie (et le cas échéant, de la manière — politique, éthique, religieuse ? — de le faire). Cette justification ne peut être pensée pour Henry qu’éthiquement. Mis en rapport avec l’essence de la vie comme donation irréfutable d’une surpuissance, comme « naissance transcendantale » de notre « Je peux » dans l’hyper-pouvoir de la vie, éthiquement est équivalent de religieusement. Une certaine intuition de cette surpuissance était déjà à l’œuvre dans les sociétés religieuses ou soi-disant « primitives » : leurs membres vivaient dans le savoir de vie fondamental que l’être humain « n’était pas son propre fondement », ils vivaient ce savoir de manière culturelle, dans l’art par exemple, qui était alors religieux par principe. L’« élimination » de la dernière société religieuse dans l’occident, c’est-à-dire de la société chrétienne qui pense l’absolu comme vie, est pour Henry le revers de la création d’un nouveau principe, à savoir celui de la pensée galiléenne qui « met hors-jeu la vie en faveur d’un univers matériel »69. Cette mise entre parenthèses se produit surtout là où le principe démocratique s’« allie »70 de manière ruineuse à cet autre principe. Pour une organisation sociale qui trouve le principe de sa propre organisation en elle-même, l’origine apparemment transcendante de l’éthico-religieux doit lui apparaître comme une extériorité irrecevable. Le principe démocratique se pose donc, comme cela devient particulièrement évident dans l’analyse historique, contre la sacralité de la vie, dont le caractère fondamental, c’est-à-dire le fait d’être né transcendentalement en tant qu’individu, ne trouve plus de place et ne pourra jamais la trouver dans le cadre de cette nouvelle science. Liberté et égalité y deviennent des « concepts vides »71 puisque dans une telle pensée, ils ont perdu leur caractère énigmatique qui résultait de cette donation irréfutable de la vie en tout vivant et qui était à la base de la « communauté co-pathique » originaire précédant toute « institution symbolique ». La conséquence catastrophique qui en résulte, Henry la formule de manière tout à fait laconique :
À partir du moment, en effet, où l’on tient le savoir scientifique pour le seul savoir véritable et le champ galiléen de l’univers matériel qu’il appréhende pour l’unique réalité, alors rien de ce qui n’apparaît pas dans un tel champ — la Vie absolue qui s’éprouve hors monde, l’Ipseité de cette Vie […], tout Soi transcendental […], rien de toute cela n’existe. La “mort de Dieu”, le leitmotiv mélodramatique de la pensée moderne attribué à quelque percée philosophique audacieuse et repris en choeur par le psittacisme contemporain, n’est que la déclaration d’intention de l’esprit moderne et de son positivisme le plus plat. Mais parce que cette mort de Dieu détruit la possibilité intérieure de l’homme, pour autant qu’aucune homme n’est possible qui ne soit d’abord un Soi vivant et un moi, elle frappe au coeur l’homme lui-même72.
32Henry dérive de cette compréhension du vrai caractère de « La mort de Dieu » en tant que signe distinctif de la crise moderne du sujet une autre idée : il s’agit de la compréhension de la perte de l’ethos originaire, c’est-à-dire d’un « ethos conforme à l’auto-donation de la vie »73.
C’est la raison pour laquelle, dès que cette condition fait défaut, l’amour imprescriptible d’autrui lui aussi disparaît. L’autre n’est plus qu’un autre homme, un homme tel que sont les hommes […]. Oublieux de leur condition véritable et de la condition véritable de l’autre, ils se comportent envers eux-mêmes et envers les autres comme des hommes. Alors toute cette morale édifiante qui prétendait se fonder sur l’homme, sur les droits de l’homme, découvre son vide, ses préscriptions sont bafouées, le monde est livré à l’horreur, à l’exploitation sordide, aux massacres, aux génocides. Ce n’est pas un hasard si, au XXème siècle, la disparition de la morale “religieuse” a donné lieu non pas à une nouvelle morale, la “morale laïque”, soit une morale sans aucun fondement assignable, mais à la ruine de toute morale, au spectacle terrifiant bien que quotidien de cette ruine74.
IV. Conclusion
33Ce que j’ai voulu souligner dans cet exposé était cette réalité abyssale que la « téléologie immanente de la vie » — sa tendance à se dépasser soi-même continuellement en tant que force, pulsion ou désir —, au moment où elle tourne à vide et reste « inutilisée », où elle est réduite aux « besoins naturels », se tourne (comme projection de l’auto-rejet du propre aliéné) contre elle-même et contre les autres. Une telle subjectivité vidée et « vide », comme le note Henry, est une subjectivité « avide »75. Car même la vie réduite idéologiquement ou scientifiquement ne cesse jamais de vivre. Or, en tant que « vide », la subjectivité ne s’enfuit pas seulement de manière avide dans des représentations toujours nouvelles de la vie — avant tout véhiculées par les médias — ou des représentations d’« elle-même comme un autre ». Elle se perd plutôt lors de cette fuite de Soi dans la « peur » d’être néant — une peur dont le remède ne peut consister, apparemment, qu’en une projection de soi-même dans ces représentations d’une vie qui n’y est plus présente — dans ces succédanés transcendants, dans ces « possibilités encore inépuisées » dont parlait Nietzsche. La « vraie » transcendance, « l’immanence de la Vie en tout vivant »76 tombe ainsi en un oubli abyssal qui est transcendantal selon Henry77. Un tel oubli de la vie n’est pas seulement l’expression d’une négation externe de vie, mais désigne avant tout l’expression de la vie elle-même. Lorsque Henry parle d’une « seconde naissance » qui nous en libèrerait78, nous devons toutefois nous demander s’il ne détruit pas par là même la « positivité infrangible » de la vie79 — c’est-à-dire la duplicité d’apparaître — et s’il ne lève pas par conséquent la responsabilité du vivant face au monde.
34Dans la transcendance, il s’agit donc de défendre ni plus ni moins qu’un « biotope »80 de la vie se saisissant soi-même dans l’immanence. Et c’est encore pourquoi il s’agit de comprendre l’oubli de la Vie comme étant la condition de la possibilité transcendantale d’être un vivant. On retrouve cette intuition cardinale dans les derniers mots du Christ que nous offre l’évangile selon Matthieu : « Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27,46). En ces mots s’exprime une « vérité kénotique » du monde à laquelle il nous faut répondre et dont nous devons endosser la portée éthique, au moins selon l’interprétation qu’en donne Jan Patočka :
Il n’y a rien là de mystique. Je dirais que c’est très simple. “Pourquoi m’as-tu abandonné ?’ʼ — la réponse est dans la question. Qu’est-ce qui serait arrivé si tu ne m’avais pas abandonné ? Rien. Il ne peut arriver quelque chose que si tu m’abandonnes. Celui qui se sacrifie doit aller jusqu’au bout. Il est “abandonné” précisément pour qu’il n’y ait rien là, aucune chose à quoi il puisse encore s’accrocher. Aucune chose — mais ce n’est pas dire que ce rien ne contienne pas le tout, das All, selon la parole du poète81.
Notes de bas de page
1 CMV, p. 345.
2 Paul Ricœur, « De la phénoménologie », dans À l’école de la phénoménologie, Paris, Vrin, 1998, p. 156.
3 Bernhard Waldenfels, Phänomenologie in Frankreich, Francfort, Suhrkamp, 1987, p. 349 sqq.
4 Pour l’explication de la distinction entre praxis et théorie dans la phénoménologie de la vie, voir B, p. 37.
5 Dominique Janicaud, Le tournant théologique de la phénoménologie française, Paris, L’Éclat, 1991, p. 60 sq.
6 CMV, p. 128.
7 Le débat sur le statut du tournant dans la phénoménologie française contemporaine, incité par ledit « pamphlet » de Janicaud et sa proposition d’une « phénoménologie minimaliste », était, sans doute, polémique. Dans son œuvre La phénoménologie éclatée (Paris, L’Éclat 1998), Janicaud a pris une position plus mesurée ; cf. pour ce débat et la position de Janicaud, Hans-Dieter Gondek, László Tengelyi, Neue Phänomenologie in Frankreich, Francfort, Suhrkamp, 2011, p. 213 sqq.
8 Pour ce concept voir I, deuxième partie, notamment les §§ 23 à 29.
9 Cf. Edmund Husserl, Vorlesungen zur Phänomenologie des inneren Zeitbewußtseins (1893-1917) (Husserliana vol. XI), La Haye, Nijhoff, 1966, § 39, et la critique d’Henry dans PM, p. 30 sqq.
10 Hume avait déjà distingué ces deux manières de penser l’essence du soi ; cf. László Tengelyi, « Selbstheit, Passivität und Affektivität bei Henry und Levinas », dans Michael Staudigl, Jürgen Trinks (éds.), Ereignis und Affektivität. Zur Phänomenologie des sich bildenden Sinnes, Vienne, Turia et Kant, 2006, p. 222-238.
11 Cf. les analyses de Henry dans I, p. 47 sqq.
12 Eugen Fink, « Das Problem der Phänomenologie E. Husserls », dans Eugen Fink, Studien zur Phänomenologie 1930-1939, La Haye, Nijhoff, 1966, p. 179-223, ici p. 201.
13 « Phénoménologie non-intentionnelle. Une tâche de la phénoménologie à venir », dans PV-I, p. 105-122, ici p. 112.
14 « Phénoménologie non-intentionnelle. Une tâche de la phénoménologie à venir », dans PV-I, p. 109.
15 On trouve une explication lucide de se concept difficile chez Farhad Khosrokhavar, « La duplicité du paraître », dans Revue philosophique de la France et de l’Étranger, volume 3, 2001, p. 321-338.
16 B, p. 169.
17 Pour cette discussion voir Rolf Kühn, « Principium individuationis als Ontologiekritik », dans Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie, volume 52, numéro 2, 2005, p. 171-190, notamment p. 188 ; et Rolf Kühn, Individuationsprinzip als Sein und Leben. Studien zur originären Phänomenalisierung, Münich, 2006.
18 Je me réfère ici et dans les réflexions développées dans ce paragraphe aux explications de László Tengelyi, « Selbstheit, Passivität und Affektivität bei Henry und Levinas », art. cit.
19 Voir J. Hatem, « Verifikation und Sich-Erleiden », dans Stefan Nowotny, Michael Staudigl (éds.), Perspektiven des Lebensbegriffs. Randgänge der Phänomenologie, Hildesheim, Olms, 2005, p. 253-263, ici p. 254.
20 CMV, p. 250.
21 EM, p. 593.
22 CMV, p. 128.
23 Ibid., p. 136.
24 Pour une présentation générale de cette transformation cf. Hans-Dieter Gondek, László Tengelyi, Neue Phänomenologie in Frankreich, op. cit., p. 336 sq. On trouve une critique phénoménologique de cette transformation chez James Hart, « Michel Henry’s phenomenological theology of life. A husserlian reading of C’est moi, la verité », dans Husserl-Studies, volume 15, numéro 3, 1998, p. 183-230 ; et une critique théologique chez J. Rivera, « Generation, interiority and the phenomenology of Christianity in Michel Henry », dans Continental Philosophy Review, volume 44, numéro 2, 2011, p. 205-235.
25 CMV, p. 251.
26 Ibid., p. 249 sq.
27 Ibid., p. 136.
28 Pour les arguments de Michel Henry contre le spectre d’une vie anonyme voir Paul Audi, Michel Henry. Une trajectoire philosophique, Paris, Les Belles Lettres, 2006, p. 204 sq ; Hans-Dieter Gondek, László Tengelyi, Neue Phänomenologie in Frankreich, op. cit., p. 130 sq.
29 Cf. EM, p. 590 sq. ; CMV, p. 302 : « concentration ».
30 M. Henry, CMV, p. 251.
31 M. Henry, I, p. 206 sq.
32 I, p. 208.
33 Cf. Ibid., p. 205 sq.
34 Cf. le livre de Rolf Kühn, Leiblichkeit als Lebendigkeit, Fribourg-Munich, Alber, 1992 ; cf. aussi Rolf Kühn, Gabe als Leib in Christentum und Phänomenologie, Würzburg, Echter, 2004, p. 173 sqq.
35 CMV, p. 313. Pour une étude sur ces habitus transcendantaux et leur genèse effective, voir Raphaël Gély, Rôles, action sociale et vie subjective. Recherches à partir de la phénoménologie de Bruxelles, PIE Peter Lang, 2007.
36 Cela implique une refonte révolutionnaire de la problématique de l’intersubjectivité, qui ne pense plus l’intersubjectivité en partant d’un ego, mais en partant de notre « condition d’être fils de la Vie », c’est-à-dire de notre « essence pré-unifiante » (CMV, p. 321). Henry poursuit cette thématique plus loin dans son livre Incarnation dans le contexte d’une relecture du concept de « corps mystique » du Christ. (cf. I, paragraphe 48, p. 350 sqq.) ; sur cette transformation de la problématique de l’intersubjectivité chez Henry, cf. Farhad Khosrokhavar, « La scansion de l’intersubjectivité. Michel Henry et la problématique d’autrui », dans Rue Descartes, volume 35, numéro 1, 2002, p. 63-75.
37 E. Husserl, Cartesianische Meditationen und Pariser Vorträge, La Haye, Nijhoff (coll. Husserliana, I), 1973, p. 65 (§ 11).
38 Pour ce concept voir Natalie Depraz, « Le statut de la réduction chez Michel Henry », dans Jean-Michel Longneaux (éd.), Retrouver la vie oubliée. Critiques et perspectives de la philosophie de Namur, Presses universitaires, 2000, p. 21-44 ; et Rolf Kühn, « Die lebensphänomenologische Gegen-Reduktion », dans R. Kühn, S. Nowotny (éds.), Michel Henry. Zur Selbsterprobung des Lebens und der Kultur, Fribourg-Munich, Alber, 2002, p. 23-56.
39 D. Janicaud, Le tournant théologique, op. cit., p. 64.
40 B. Waldenfels, « Antwort auf das Fremde. Grundzüge einer responsiven Phänomenologie », dans B. Waldenfels, I. Därmann (éds.), Der Anspruch des Anderen. Perspektiven phänomenologischer Ethik, Munich, Fink, 1998, p. 35-49, ici p. 41 sq. (note 6).
41 M. Henry, « Phénoménologie non-intentionnelle », art. cit., p. 117.
42 Cf. aussi James Hart, « A phenomenological theory and critique of culture : A reading of Michel Henry’s La Barbarie », dans Continental Philosophy Review, volume 32, 1990, p. 255-270.
43 Cf. la conférence de Vienne (Edmund Husserl, Die Krisis der europäischen Wissenschaften und die transzendentale Phänomenologie. Eine Einführung in die transzendentale Phänomenologie, La Haye, Nijhoff (coll. Husserliana, VI), 1954, p. 314-348, ici p. 347 sq.
44 R. Kühn, I. Thireau, « Einführung in die Henrysche Kulturanalyse » dans Die Barbarei. Eine phänomenologische Kulturkritik, Fribourg/Munich, Alber, 1995, p. 9-72, ici p. 34.
45 Ibid.
46 Sur l’« institution symbolique » comme concept fondamental d’une théorie phénoménologique de la culture, concept qui désigne le processus d’acquisition et de sédimentation de sens subjectif dans le médium de l’idéalité, cf. les explications de M. Merleau-Ponty dans L’institution. La passivité. Notes de cours au Collège de France (1954-1955), Paris, Belin, 2003.
47 Cf. E. Husserl, Erfahrung und Urteil. Untersuchungen zur Genealogie der Logik, Hambourg, Meiner, 1985, p. 37.
48 Pour le dernier Husserl, ce concept indique la dynamique générative de la formation historique de tout sens. (cf. Die Krisis der europäischen Wissenschaften und die transzendentale Phänomenologie. Ergänzungsband. Texte aus dem Nachlaß 1934 — 1937, Dordrecht, Kluwer (coll. Husserliana, XXIX), 1993, p. 62).
49 Henry traite la pratique de la substitution par « entités idéales » paradigmatiquement dans son oeuvre sur Marx. Son analyse montre que Marx jetait un « regard transcendantal » sur la société et son économie pour démontrer que le « travail vivant » n’est pas seulement la fondation pratique des représentations irréelles de l’économie, mais aussi de l’économique. Autrement dit, il démontrait que le travail n’est pas économique dans son essence.
50 B, p. 185 sq.
51 Ibid., p. 177.
52 B, p. 186.
53 Ibid., p. 190.
54 Ibid., p. 210.
55 Ibid., p. 238.
56 B, p. 36.
57 CMV, p. 343.
58 Ibid., p. 333.
59 Henry reprend cette discussion dans « C’est moi la vérité » sous le signe de l’Anti-Christ. Or, l’automate n’est que la « statue de la Bête » (Apocalypse 13,15) (cf. CMV, p. 336 sq.), image qui signifie que, de ce point de vue, l’homme n’aurait pas besoin d’être une ipseité vivante pour pouvoir s’éprouver, c’est-à-dire qu’il n’aurait pas besoin d’avoir été posé dans sa condition, qu’il n’aurait pas besoin du Christ en tant que « Premier Vivant ».
60 DCAC, p. 89.
61 « La vie et la république », dans PV-III, p. 147-165, ici p. 161.
62 DCAC, p. 94.
63 « La vie et la république », dans PV-III, p. 162.
64 Je ne peux pas discuter ici la thèse selon laquelle le totalitarisme réussit à exploiter la déficience ontologique du vivant, c’est-à-dire sa vulnérabilité irréductible ; voir pour cela Debra Bergoffen, « The Body Politic : democratic metaphors, totalitarian practice, erotic rebellions », dans Philosophy and Social Criticism, volume 16, 1990, p. 109-126 ; Jacob Rogozinski, « “Comme les paroles d’un homme ivre…”. Chair de l’histoire et corps politique », dans Les Cahiers de Philosophie, volume 18, 1994, p. 71-102 ; Michael Staudigl, « L’Europe et ses violences. Contribution à une généalogie phénoménologique des violences extrêmes », dans Revue philosophique de Louvain, volume 11, 2011, p. 85-114.
65 « La vie et la république », art. cit., p. 163.
66 « Difficile démocratie », dans De l’art du politique, op. cit., p. 167-182, ici p. 172.
67 « Difficile démocratie », dans De l’art du politique, op. cit., p. 181 ; DCC, p. 180. La théorie politique connaît cette thèse sur le nom de « Böckenförde-Paradoxon » : « Der freiheitliche, säkularisierte Staat lebt von Voraussetzungen, die er selbst nicht garantieren kann » (Ernst W. Böckenförde, « Die Entstehung de Staates als Vorgang der Säkularisation », 60). Voir aussi Emmanuel Lévinas, « Les droits de l’homme et les droits d’autrui », dans Hors sujet, Montpellier, Fata Morgana, 1987, p. 157-170.
68 « Difficile démocratie », art. cit., p. 172.
69 Ibid., p. 170.
70 Ibid., p. 175.
71 « Difficile démocratie », art. cit., p. 177.
72 CMV, p. 333.
73 Voir Rolf Kühn, « Ethos gemäß der Selbstgebung des Lebens », dans Bernard Waldenfels, Iris Därmann (éds.), Der Anspruch des Anderen. Perspektiven phänomenologischer Ethik, Munich, W. Fink, 1998, p. 221-238.
74 CMV, p. 322.
75 DCC, p. 222.
76 I, p. 176.
77 Sur le problème de l’oubli chez Henry, cf. Anthony Steinbock, « The problem of forgetfulness in Michel Henry », dans Continental Philosophy Review, volume 32, numéro 3, 1999, p. 271-302.
78 CMV, p. 192 sqq., et p. 339.
79 PM, p. 132.
80 J’emprunte ce concept à Jean-Michel Longneaux, « D’une philosophie de la transcendance à une philosophie de l’immanence », dans Revue philosophique de la France et de l’Étranger, volume 126, numéro 3, 2001, p. 305-319.
81 Jan Patočka, Liberté et sacrifice. Ecrits politiques, trad. fr. par E. Abrams, Grenoble, Millon 1990, p. 277-324, ici p. 310 sq.
Auteur
Université de Vienne, Autriche
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