Liberté, neutralité, impossibilité
p. 151-174
Note de l’éditeur
Le présent article est une version légèrement modifiée d’une intervention faite devant la commission de l’Éducation du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur le caractère obligatoire des cours de morale et de religion et sur la création d’un cours de philosophie et d’histoire culturelle des religions, le 12 mars 2013.
Texte intégral
1Dans son arrêt n° 210.000 du 21 décembre 2010, le Conseil d’État affirme quelques principes fondamentaux. Il souligne que la « Constitution belge n'a pas érigé l'État belge en un État laïque. Les notions de laïcité, conception philosophique parmi d'autres, et de neutralité sont distinctes. L'article 24, § 1er, alinéa 3, de la Constitution a spécialement garanti le principe de la neutralité dans l'enseignement communautaire. Selon cet article, « la Communauté organise un enseignement qui est neutre. La neutralité implique notamment le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves ». Il rappelle également que « dans un État de droit démocratique l'autorité se doit d'être neutre, parce qu'elle est l'autorité de tous les citoyens et pour tous les citoyens et qu'elle doit, en principe, les traiter de manière égale sans discrimination basée sur leur religion, leur conviction ou leur préférence pour une communauté ou un parti. Pour ce motif, on peut dès lors attendre des agents des pouvoirs publics que, dans l'exercice de leurs fonctions, ils observent strictement, à l'égard des citoyens, les principes de neutralités et d'égalité des usagers. La neutralité dans l'enseignement vise aussi à préserver les droits fondamentaux des élèves et de leurs parents. Ces droits ayant pour but primordial de protéger les droits de la personne humaine contre les abus de pouvoir des organes de l'autorité. Il ne peut être admis qu'un agent des services publics, en l'occurrence un enseignant dans l'enseignement officiel, invoque un droit fondamental pour justifier la méconnaissance des droits fondamentaux des citoyens, en l'espèce des élèves et de leurs parents ».
2Les auteurs du Pacte scolaire ont, en 1958, consacré le principe de neutralité de diverses manières. L’une d’entre elles a été d’imposer aux écoles publiques de dispenser des cours des religions reconnues et de morale non confessionnelle. Ainsi, la neutralité ne se limite pas à des règles de comportement, au respect des convictions de chacun, mais implique une démarche active de l’autorité publique. Elle doit veiller à ce que soit délivrée une éducation morale ou religieuse. Mieux, le système mis en œuvre à l’époque revêt un caractère contraignant, presque violent, puisque les élèves sont obligés de recevoir cette éducation morale ou religieuse321. La liberté de conscience de chacun est garantie par le fait que le cours de morale confessionnelle a naturellement une vocation résiduelle. Il est destiné à tous ceux qui ne se reconnaissent dans aucun des cultes reconnus en Belgique.
3La Belgique d’aujourd’hui ressemble peu à celle de 1958. Tout d’abord, l’enseignement a été communautarisé et les communautés, notamment dans la question qui nous préoccupe, ont emprunté des voies singulières et ont, aujourd’hui, de la neutralité des conceptions différentes, sinon divergentes. Ensuite, en 1958, la topographie des cultes et des populations qui s’en revendiquent n’a rien de commun avec ce qu’elle est aujourd’hui. Ainsi, le culte musulman n’a été reconnu, dans notre pays, qu’en 1974322. Or si l’on croit une étude réalisée en 2008, 12 % des francophones de Belgique se reconnaissent aujourd’hui dans ce culte323. Cette situation nouvelle conditionne fondamentalement l’approche de la problématique des cours obligatoires de morale et de religion dans l’enseignement public. Certains estiment que ces cours doivent être dispensés, et notamment l’enseignement de la religion islamique, afin d’éviter que ne naisse un enseignement libre islamique qui, par essence, serait malaisé à contrôler et qui pourrait, à l’occasion, être un foyer de dérives sur le plan démocratique. La crainte existe que, dans certaines écoles islamiques, soient véhiculées des valeurs qui entrent en contradiction avec les droits fondamentaux de notre ordre juridique, notamment sur le plan des discriminations. D’autres, au contraire, estiment que l’école publique doit être encore plus « neutre » que par le passé et qu’elle doit être purgée des cours engagés sur le plan religieux et philosophique. Il s’agit alors d’enseigner les religions et les philosophies, sans qu’il ne soit jamais question de prosélytisme. Pour les tenants de cette thèse, il faut assurer radicalement la séparation des Églises et de l’École. Il en va d’autant plus ainsi qu’il est malaisé de contrôler effectivement le contenu des cours de religion et de morale, et notamment celui du cours de religion islamique.
4La proposition de décret introduisant un cours de philosophie et d’histoire culturelle des religions dans le programme du troisième degré de l’enseignement secondaire324 s’inscrit en quelque sorte à équidistance entre ces deux thèses. Elle ne vise pas à la suppression des cours de religion et de morale, lesquels resteraient obligatoires, mais prévoit la création d’un nouveau cours obligatoire de philosophie et d’histoire culturelle des religions.
5L’objet de la présente étude est non seulement d’examiner si la réforme envisagée dans cette proposition de décret est conforme aux normes de droit supérieur (1) et de resituer cette question dans son contexte (2), mais, de manière générale, de revisiter le droit applicable en Communauté française en ce qui concerne l’enseignement obligatoire des cours de religion et de morale non confessionnelle. Il conviendra à cette occasion de répondre à quatre questions clefs :
Ces cours peuvent-ils être purement et simplement supprimés ? (3)
Ces cours peuvent-ils perdre leur caractère obligatoire ? (4)
Ces cours ne doivent-ils pas devenir facultatifs, soit la question iconoclaste ? (5)
Est-il possible de diminuer le nombre d’heures de ces cours et doivent-ils figurer dans la grille horaire ? (6)
1. La création d’un cours de philosophie et d’histoire culturelle des religions
6Est-il possible d’introduire un cours de philosophie et d’histoire culturelle des religions dans le programme du troisième degré de l’enseignement secondaire ? La réponse à cette question est, à l’évidence, affirmative. L’article 17 du décret missions du 24 juillet 1997 confère à la Communauté française le soin de fixer et d’approuver les programmes d’études dans l’enseignement de la Communauté et dans l’enseignement subventionné par ses soins. Autrement dit, le législateur communautaire peut subordonner le subventionnement d’un établissement scolaire au respect d’un certain nombre de conditions, notamment en matière de programme.
7Dans un arrêt n° 49/2001 du 18 avril 2001, la Cour constitutionnelle, après avoir rappelé la portée de la liberté de l’enseignement325 et le droit des écoles à bénéficier d’un subventionnement de la Communauté, indique que « La liberté d’enseignement connaît dès lors des limites et n’empêche pas que le législateur décrétal impose des conditions de financement et de subventionnement qui restreignent l’exercice de cette liberté, pour autant qu’il n’y soit pas porté d’atteinte essentielle ». Elle ajoute que « La liberté́ d’enseignement, visée à l’article 24, § 1er, de la Constitution […] n’empêche pas que le législateur compétent prenne, en vue d’assurer la qualité et l’équivalence de l’enseignement dispensé au moyen des deniers publics, des mesures qui soient applicables de manière générale aux établissements d’enseignement, indépendamment de la spécificité de l’enseignement dispensé par ceux-ci. L’opportunité et le choix de ces mesures sont l’affaire du législateur compétent, en l’occurrence du législateur décrétal qui, en application de l’article 24, § 5, de la Constitution, doit régler l’organisation, la reconnaissance et le subventionnement de l’enseignement et porte la responsabilité de la politique en cette matière ».
8L’enseignement de cet arrêt est clair. Le législateur communautaire a les mains libres. Il dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour imposer à toutes les écoles subventionnées un socle minimum d’obligations. Au même titre que la connaissance de la langue française, de rudiments d’histoire, de géographie ou de biologie, un cours de philosophie et d’histoire culturelle des religions peut être considéré comme un commun dénominateur nécessaire à la formation de l’ensemble des élèves fréquentant les écoles subsidiées par la Communauté. Dès lors qu’il s’agit d’un enseignement objectif, soit qui ne milite pour aucune tendance philosophique ou religieuse, il ne méconnaîtrait en rien la liberté de l’enseignement et aucun système de dérogation ne devrait être mis en œuvre. Mieux, il peut être imposé tant dans l’enseignement officiel que dans l’enseignement subventionné, en ce compris l’enseignement libre confessionnel, et ce à tous les niveaux d’étude.
2. Le contexte de la réforme envisagée
9Le législateur communautaire a-t-il la liberté de remplacer, dans l’enseignement officiel, totalement ou partiellement, les actuels cours de religion et de morale confessionnelle par cet enseignement transversal ?
10Dans les développements de la proposition de décret précitée, cinq hypothèses sont envisagées.
11La première hypothèse consiste à supprimer les cours de religion et de morale et à les remplacer par un cours de philosophie. La deuxième hypothèse consiste à rendre les cours de religion et de morale facultatifs dans le chef des élèves et à créer un cours de philosophie systématique et obligatoire. La troisième hypothèse consiste à diminuer le volume horaire des cours de morale et de religion. La quatrième hypothèse consiste à inscrire dans le programme de l’enseignement primaire et/ou secondaire un cours de philosophie. La cinquième hypothèse consiste à inclure la philosophie dans des modules ponctuels reliés à des disciplines scolaires existantes.
12Les quatrième et cinquième hypothèses ne soulèvent aucune difficulté. Il s’agit d’un choix discrétionnaire du législateur. Celui-ci est libre de définir le contenu des programmes auxquels il subordonne un subventionnement, et cela pour autant que soit respecté l’ensemble des droits et libertés des élèves, en ce compris leur liberté religieuse et leur liberté d’opinion. Celles-ci, cependant, ne peuvent, par définition, pas être brimées par l’apprentissage d’un savoir, en l’occurrence philosophique, dispensé avec objectivité.
13Les auteurs de la proposition de décret estiment que les deux premières hypothèses impliquent une modification de l’article 24 de la Constitution et la troisième hypothèse, une modification du Pacte scolaire. Ne faut-il pas voir dans cette interprétation des textes une forme d’autocensure dans leur chef ? Tel est la question qui sera ici examinée.
14Il y a lieu d’emblée de rappeler deux évidences.
15La première d’entre elles est que, dans l’interprétation du droit, tout commence par un texte, par une norme. Si celle-ci est univoque, il est vain d’essayer de l’interpréter, et le cas échéant de la dénaturer, par des propos qui auraient été tenus lors des travaux parlementaires. Ce principe a été rappelé par la Cour constitutionnelle dans un arrêt n° 50/2008 du 13 mars 2008 : « Bien que certaines déclarations faites au cours des travaux préparatoires indiquent que le législateur pourrait avoir eu une autre intention, ces déclarations ne sauraient être invoquées à l’encontre du texte clair de la loi ». De même, dans un arrêt n° 25/2005 du 2 février 2005, la Cour a relevé que « Le sens d’une disposition législative ne peut être infléchi en faisant prévaloir sur le texte clair de cette disposition des déclarations qui ont précédé son adoption »326. Les mêmes principes valent évidemment pour l’interprétation d’une disposition constitutionnelle. La deuxième évidence est que pour autant qu’il respecte la Constitution et les dispositions de droit international qui ont des effets directs dans l’ordre juridique international, le législateur a le ciel vide au dessus de la tête. Il est libre d’imposer ses vues. Il peut être audacieux. Bref, il n’est tenu en rien de se brider ou de s’autocensurer. Si ces évidences sont rappelées ici, c’est parce que, ainsi qu’il le sera démontré, la doctrine qui, de toute évidence, a inspiré l’autocensure exprimée dans les développements de la proposition de décret ici examinée, semble les avoir perdues de vue.
3. Les cours de religion et de morale peuvent-ils être purement et simplement supprimés ?
16Les auteurs de la proposition de décret relèvent que « La première de ces hypothèses consiste à supprimer les cours de religion et de morale pour les remplacer par un cours de philosophie. Cette hypothèse implique une révision de l’article 24 de la Constitution, ce qui contreviendrait aux dispositions de conventions internationales ratifiées par la Belgique. Plus fondamentalement cette hypothèse va à l’encontre de l’esprit de la présente proposition »327. Xavier Delgrange a écrit, en 2001, une note intitulée « Les cours de philosophie et la Constitution »328. Celle-ci faisait suite au rapport introductif portant sur l’« introduction de davantage de philosophie dans l’enseignement que ce soit à court ou à long terme »329. Dans cette note, il estime que le remplacement dans les deux dernières années du secondaire des cours de morale confessionnelle et de religion par un cours de philosophie et d’étude comparée des religions ne se conçoit pas sans modification préalable de l’article 24 de la Constitution330. Une telle analyse est exacte. En effet, la Constitution est univoque.
17Son article 24, § 1er, alinéa 3 prévoit que « Les écoles organisées par les pouvoirs publics offrent, jusqu'à la fin de l'obligation scolaire, le choix entre l'enseignement d'une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle ». De même, l’article 24, § 3, alinéa 2 dispose que « Tous les élèves soumis à l'obligation scolaire ont droit, à charge de la communauté, à une éducation morale ou religieuse ». Que déduire de ces textes ? Les élèves ont, en vertu de l’article 24, § 3 alinéa 2, un droit et ce droit consiste à recevoir une éducation morale ou religieuse. Il s’en déduit une obligation pour le législateur de créer les conditions d’exercice de ce droit. L’article 24, § 1er, alinéa 3 lui impose deux obligations dans la manière de l’organiser. Il doit s’assurer que dans l’enseignement public – et peu importe qu’il soit organisé par la Communauté ou par toute autre personne morale de droit public – un choix soit offert aux élèves. Ils doivent pouvoir opter pour un cours de l’une des religions reconnues ou pour un cours de morale non confessionnelle. Le législateur doit également veiller à ce que ce choix existe jusqu’à la fin de l’obligation scolaire331.
18Il s’agit donc là d’un droit inconditionnel. La Cour constitutionnelle l’a rappelé dans un arrêt 90/99 du 15 juillet 1999 : « Toute mesure qui serait de nature à empêcher, à entraver ou à pénaliser le choix offert par l’article 24, § 1er, alinéa 4, fût-elle économiquement justifiée, violerait cette disposition ». Elle ajoute que « le décret attaqué impose l’organisation d’un cours de religion ou de morale dès qu’un élève, serait-il unique, y est inscrit. Les principes consacrés par les articles 10, 11 et 24 de la Constitution sont respectés : l’existence d’un cours de religion ou de morale ne dépend en aucune façon du nombre d’élèves qui y sont inscrits ». Sans modification constitutionnelle, il est impossible, dans l’enseignement officiel, de supprimer purement et simplement le choix devant exister entre un cours d’une religion reconnue et un cours de morale non confessionnelle, et cela même pour les remplacer par un cours de philosophie et d’histoire culturelle des religions.
19Les auteurs de la proposition de décret semblent, cependant, défendre l’idée de l’intangibilité des prescriptions de l’article 24 de la Constitution relatives aux cours philosophiques. Ils laissent entendre que leur suppression « contreviendrait aux dispositions de conventions internationales ratifiées par la Belgique ». L’article 2 du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales prévoit que « Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophique ». Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en son article 18.4, prévoit que « Les États parties au présent Pacte s'engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de faire assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions ». Enfin, l’article 14.3. de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne consacre le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques ». On chercherait vainement dans ces dispositions l’affirmation selon laquelle les États seraient juridiquement tenus de dispenser, dans les écoles publiques, des cours de religion ou de morale non confessionnelle. De même, ces dispositions n’imposent pas au système éducatif de se substituer aux parents dans la manière de donner à leurs enfants une éducation religieuse. Au contraire, elles visent à garantir une neutralité de l’enseignement, de telle manière que les enfants ne se trouvent pas confrontés à un conflit de légitimité entre l’éducation reçue de leurs parents et celle dispensée à l’école.
20Ainsi, dans un arrêt Folgero et autres contre Norvège du 29 juin 2007, la Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en grande chambre, devait se prononcer sur la question « de savoir si l’État défendeur, en s’acquittant des fonctions qu’il assume dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, a veillé à ce que les informations ou connaissances figurant au programme du cours de KRL soient diffusées de manière objective, critique et pluraliste, ou s’il a visé un but d’endoctrinement ne respectant pas les convictions religieuses et philosophiques des parents requérants et ainsi transgressé la limite qui découle implicitement de l’article 2 du Protocole n° 1 »332. Après avoir analysé en détail le fonctionnement du système norvégien, la Cour « juge que le mécanisme de dispense partielle était susceptible de soumettre les parents concernés à une lourde charge et au risque que leur vie privée soit indûment exposée, et qu’il y avait des chances que le conflit en germe les dissuade de solliciter de telles dispenses. Dans certains cas, notamment les activités à caractère religieux, la portée de la dispense partielle pouvait même être réduite de manière importante par l’enseignement différencié. Cela peut difficilement passer pour compatible avec le droit des parents au respect de leurs convictions aux fins de l’article 2 du Protocole n° 1 tel qu’interprété à la lumière des articles 8 et 9 de la Convention. À cet égard, il ne faut pas oublier que la Convention a pour but de « protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs »333. Cet arrêt détermine la portée des exigences du droit international en la matière. Les législateurs nationaux doivent veiller au respect des convictions des parents et éviter que celles-ci soient blessées par un enseignement orienté sur le plan religieux ou philosophique334. Il ne peut donc en être déduit une obligation active qui pèserait sur les États de prendre en charge eux-mêmes l’éducation religieuse ou philosophique des élèves. Tout au contraire, quand un législateur s’engage dans cette voie, comme c’est le cas en Norvège ou en Belgique, il doit scrupuleusement veiller à respecter la liberté de conscience de ceux qui ne se reconnaissent pas dans les enseignements dispensés.
21Dès lors, la suppression des cours de religion et de morale non confessionnelle dans l’enseignement public ne peut être opérée sans modification préalable de l’article 24 de la Constitution, mais ne heurterait en rien les obligations internationales de la Belgique.
4. Les cours de religion et de morale non confessionnelle peuvent-ils perdre leur caractère obligatoire ?
22Les auteurs de la proposition de décret indiquent que « La deuxième hypothèse consiste à rendre les cours de morale et de religion facultatifs dans le chef des élèves et créer un cours de philosophie systématique et obligatoire. Cette hypothèse semble impliquer elle aussi une modification de l’article 24 de la Constitution. En effet, il apparaît, notamment de la jurisprudence du Conseil d’État, qu’une dispense de suivre le cours de morale ou de religion ne peut être accordée que dans certains cas, et en tout état de cause que les cours de morale et de religion ne peuvent être rendus facultatifs de manière générale dans le chef de tous les élèves »335. La position ainsi exprimée rejoint celle de Xavier Delgrange336. Elle repose essentiellement sur une analyse des travaux préparatoires de l’article 24 de la Constitution. Ainsi cet auteur écrit-il : « En commission de la Chambre, la possibilité pour les communautés de rendre les cours de religion et de morale facultatifs a été longuement débattue. Il en est résulté que le ministre de l’Éducation nationale (F) et le secrétaire d’État à l’Éducation nationale (N) ont obtenu le consensus de la Commission de la Chambre en déclarant que le caractère obligatoire des cours de morale et de religion était maintenu, mais que des dispenses pourraient être accordées sur des cas particuliers »337. Il se réfère également à une déclaration du ministre de l’Éducation nationale selon qui l’article 24, § 1er, alinéa 4 de la Constitution « ne peut cependant empêcher demain une Communauté d’exempter certains élèves de l’obligation de suivre un cours philosophique, mais uniquement pour des cas précis et limités »338. Après avoir constaté que la Communauté flamande avait fait une application stricte de ces principes en permettant aux parents d’obtenir une dispense en invoquant leur conviction morale ou religieuse, il affirme que le législateur ne pourrait rendre les cours de morale non confessionnelle et de religion facultatifs sans modification préalable de l’article 24 de la Constitution.
23L’analyse des travaux préparatoires de l’article 24 de Constitution ne permet pas de dégager une conclusion aussi péremptoire. Tout d’abord, dans la note explicative du gouvernement, il est précisé que « Tous les jeunes soumis à la scolarité à temps plein ou à temps partiel ont droit à l’éducation morale et religieuse, à charge de la Communauté, et donc dans le cadre de la grille horaire. Les écoles officielles offrent jusqu’à la fin de l’obligation scolaire, un choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues et le cours de morale non confessionnelle. Cette disposition constitutionnelle laisse à une Communauté la possibilité de décréter si, dans l’enseignement organisé par le pouvoir public, ce choix est obligatoire »339.
24Cette question a suscité des débats lors des travaux parlementaires. Reprenons le rapport fait au nom de la commission de la Chambre. On y trouve le passage suivant :
« Si l’article (24) institue pour la première fois le droit à l’instruction religieuse ou morale non confessionnelle jusqu’à la fin de l’obligation scolaire, il en découle l’obligation pour les écoles d’organiser ces cours dès que la demande est formulée par un élève. Par là, on consacre un choix de société. Cependant, le caractère obligatoire de ces cours ne résulte pas de l’article (24) mais bien actuellement de la loi de 1959. Dans l’avenir, si une modification de la loi devait intervenir, elle serait le fait des Communautés. En séance publique du Sénat, le Ministre de l’Éducation nationale (F) déclare que "Ces cours restent obligatoires mais les Communautés auront le loisir de se prononcer sur certaines situations particulières". Le Ministre de l’Éducation nationale (F) et le Secrétaire d’État à l’Éducation nationale (N) ont obtenu le consensus de la Commission de la Chambre en déclarant : – que ces cours ne pourraient en aucune manière être donnés en marge de l’horaire ; – qu’il entre bien dans leurs intentions et dans celle de la majorité actuelle de ne pas modifier la législation nationale quant au caractère obligatoire de ces cours de religion et de morale ; – que les dispenses porteront sur des cas particuliers comme actuellement ; – que ce principe sera confirmé dans un Pacte d’éducation communautaire, tel que proposé par son parti. Un membre en a déduit en ayant l’approbation de la commission que la faculté de non obligation ne pouvait valoir que pour des cas individuels spécifiquement motivés. L’intervenant se demande quelles sont les raisons qui ont justifié la non inscription du caractère obligatoire de ces cours dans l’article (24) de la Constitution ».340
25Il faut également resituer cette problématique dans un contexte plus général. Il a été précisé, tout d’abord, dans les travaux préparatoires que
« seuls les principes du Pacte scolaire sont inscrits dans la Constitution et sont donc sanctionnables par la Cour (constitutionnelle). Le nouveau texte de l’article (24) ne renvoie ni à la loi du 29 mai 1959, ni au protocole du 4 avril 1973, ni à d’autres textes réglant les relations entre les réseaux d’enseignement ou leur subventionnement. Dans chaque communauté, des décrets votés à la majorité simple pourront modifier ou abroger ces dispositions légales fondamentales sans accord préalable des partis signataires du Pacte scolaire341 ».
26Il a également été indiqué que le principe de neutralité – qui recouvre l’organisation des cours de morale et de religion – est un concept évolutif. Ainsi a-til été souligné que la Cour constitutionnelle « jugera de la neutralité dans chaque communauté sur la base de l’article (24) de la Constitution, mais également en fonction des principes fondamentaux de l’arsenal législatif respectif des communautés. Il ne faut pas s’enraciner dans le conservatisme en figeant le concept de neutralité dans la Constitution »342.
27Que déduire de ce qui précède ?
28Tout d’abord, il est exact que lors des débats précédant l’adoption de l’article 24 de la Constitution, le sentiment général est que ces cours doivent revêtir un caractère obligatoire. On lit, en effet, dans le rapport de la Chambre : « Il est inconcevable que les cours de morale et de religion deviennent facultatifs. Il doit y avoir une obligation de suivre un des cours sauf dérogation individuelle motivée. Un membre en déduit que le décret peut organiser la dérogation individuelle motivée mais ne peut pas établir le caractère facultatif des cours de morale et de religion »343. La position qui est ainsi développée est manifestement influencée par un arrêt Sluijs du Conseil d’État du 14 mai 1985, lequel avait considéré que l’article 2 du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est méconnu lorsque « des parents qui ne préfèrent pas un cours de religion sont obligés à faire suivre à leurs enfants un cours de morale qui ne répond pas à leurs convictions philosophiques »344. Ensuite, nonobstant certaines déclarations nettes, les travaux préparatoires ne sont pas univoques. On en veut pour preuve la note explicative du gouvernement, l’affirmation selon laquelle le caractère obligatoire de ces cours résulte non de l’article 24, mais bien de la loi, le fait qu’un intervenant, prenant acte de la position de la commission relative au caractère obligatoire de ces enseignements, s’étonne de ne pas le voir consacré dans le texte même de l’article 24, le fait que le concept de neutralité est évolutif et doit tenir compte du contexte normatif de chaque communauté et le fait que seuls les principes fondamentaux du Pacte scolaire sont consacrés dans la Constitution. Ne faut-il pas considérer qu’il existe un consensus, sur le plan politique, pour maintenir ces cours obligatoires, mais qu’à aucun moment celui-ci ne débouche sur une consécration constitutionnelle de ce principe ? Enfin, nul ne conteste que des dérogations doivent être accordées dans des cas particuliers, et ce non pas en vertu de l’article 24 de la Constitution mais, comme le Conseil d’État l’a souligné, en vertu de normes de droit supérieur, tels les articles 9 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 2 de son premier protocole additionnel345.
29Faut-il considérer, avec Xavier Delgrange, que l’article 24, interprété grâce à ses travaux préparatoires, ne permet pas au législateur communautaire d’affirmer le caractère facultatif des cours de religion et de morale non confessionnelle ?
30En guise de préalable, il a été relevé que les travaux préparatoires ne peuvent servir d’outil d’interprétation d’une norme que dans l’hypothèse où celle-ci manque de clarté. Nous avons constaté que s’il existait, dans ceux-ci, des éléments laissant croire que les cours de morale et de religion ne pouvaient perdre leur caractère obligatoire sans révision de la Constitution, d’autres passages permettent d’affirmer que le législateur décrétal a pleine compétence pour décider d’une telle réforme. Dans le cas présent, et tel n’est pas le moindre des paradoxes, c’est bien le texte clair de la Constitution qui éclaire les travaux préparatoires de son article 24. Afin de le démontrer, il faut en revenir à l’article 8 de la loi sur le Pacte scolaire du 29 mai 1959 lequel précise que « Dans les établissements officiels ainsi que dans les établissements pluralistes d'enseignement primaire et secondaire de plein exercice, l'horaire hebdomadaire comprend deux heures de religion et deux heures de morale », de même que « Le chef de famille, le tuteur ou la personne à qui est confiée la garde de l'enfant est tenu, lors de la première inscription d'un enfant, de choisir pour celui-ci, par déclaration signée, le cours de religion ou le cours de morale ». Autrement dit, en vertu d’une norme législative applicable au moment où l’article 24 de la Constitution a été adopté, le système se fondait sur une double obligation : l’obligation pour les écoles de dispenser des cours de religion et de morale et l’obligation pour les élèves de les suivre. L’article 24 de la Constitution ne reproduit pas cette obligation croisée.
31En son § 1er, alinéa 3, l’article 24 prévoit que « les écoles organisées par les pouvoirs publics offrent, jusqu'à la fin de l'obligation scolaire, le choix entre l'enseignement d'une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle ». Cette disposition n’impose d’obligation qu’aux écoles. Le choix du verbe « offrir » est particulièrement significatif. Si l’on prend, en effet, les définitions de ce verbe figurant dans le Petit Larousse346, les significations suivantes sont proposées : donner, présenter un cadeau ou faire une proposition d’achat ou de rémunération, ou encore mettre à la disposition de quelqu’un ou enfin proposer spontanément.
32Toutes ces définitions impliquent, en droit, un acte unilatéral. Aucune d’entre elles n’induit l’obligation d’accepter le cadeau, l’achat, la mise à disposition ou la proposition. Un auteur américain, Tad Williams, a écrit, à cet égard, qu’un « cadeau qui ne peut pas être jeté n’est pas un cadeau, mais un piège »347.
33Plus sérieusement, lorsque le constituant inscrit dans l’article 24 le principe figurant dans l’article 8 de la loi sur le Pacte scolaire du 29 mai 1959, il s’abstient de reprendre l’obligation qui était faite aux parents « de choisir pour celui-ci, par déclara-déclaration signée, le cours de religion ou le cours de morale ». Il se contente d’instituer une obligation à charge des écoles et s’abstient de toute exigence à l’égard des parents et des élèves.
34L’article 24, § 3, alinéa 2 dispose que « Tous les élèves soumis à l'obligation scolaire ont droit, à charge de la communauté, à une éducation morale ou religieuse ». Cette disposition institue donc un droit fondamental, à savoir le droit à une éducation morale et religieuse, et partant le droit de suivre un cours de religion ou de morale. Juridiquement, la question se pose de savoir si ce droit peut se muer en obligation. À cet égard, la jurisprudence est univoque. Il ne peut être question d’exiger d’une personne qu’elle exerce un droit ou jouisse d’une liberté car cela aboutirait précisément à la priver de ce droit ou de cette liberté. La Cour européenne des droits de l’homme a fait application de ce principe dans une affaire Sörenssen et Rasmussen contre Danemark du 11 janvier 2006. Elle a considéré, en effet, que l’article 11 de la Convention « doit être considéré comme consacrant aussi un droit d’association négatif, autrement dit un droit à ne pas être contraints de s’affilier à une association. Elle n’exclut pas en principe que les aspects négatifs et les aspects positifs du droit consacré par l’article 11 doivent bénéficier du même niveau de protection dans le domaine pertinent, mais juge que la question ne peut être examinée de façon adéquate qu’à la lumière des circonstances propres à une affaire donnée »348. Des principes analogues gouvernent la liberté de religion, et partant le droit de recevoir une éducation morale et religieuse. Ainsi, l’assemblée du Conseil de l’Europe, dans sa résolution 1720, pose le principe selon lequel « L’Assemblée parlementaire réaffirme avec force que la religion de chacun, y inclus l’option de ne pas avoir de religion, relève du domaine strictement privé. Cependant, cela n’est pas incompatible avec la constatation du fait qu’une bonne connaissance générale des religions et par conséquent un sens de la tolérance sont indispensables à l’exercice de la citoyenneté démocratique »349. Il s’en déduit donc que le droit à une éducation morale ou religieuse ne peut se muer en une obligation de la recevoir, dès lors qu’elle contraint ainsi le titulaire de ce droit à dévoiler ses convictions.
35Il est permis d’en conclure que les communautés sont libres de conférer un caractère obligatoire ou facultatif aux cours de religion et de morale non confessionnelle. Elles ont d’ailleurs adoptés des attitudes contrastées. Ceci a été affirmé sans équivoque par le Conseil d’État :
« Contrairement à ce que soutient la seconde partie adverse, il ne ressort, prima facie, ni de l’article 24 de la Constitution, ni des travaux préparatoires relatifs à la révision de cette disposition en 1988, qu’elle impose aux parents de choisir, pour leur enfant, entre l’enseignement d’une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle, sans qu’aucune possibilité de dispense de fréquentation de ces cours ne puissent être aménagée. La faculté pour les Communautés de permettre, dans certains cas, l’exemption de l’obligation de suivre l’enseignement d’une des religions reconnues ou celui de la morale non confessionnelle, est expressément affirmée dans les travaux préparatoires précités (Doc. parl., Sénat, session extraordinaire 1988, n° 100-1/2 °, pp. 4 et 80 ainsi que Doc. parl., Chambre, S. E., 1988, n° 10/17-455/4, pp. 21 et 55). La Communauté française n’a pas exercé cette faculté et a imposé aux parents de choisir l’enseignement d’une des religions reconnues ou celui de la morale non confessionnelle350 ».
36La Communauté française a réaffirmé les principes contenus dans l’article 8 la loi sur le Pacte scolaire du 29 mai 1959. En effet, dans ses décrets sur la neutralité, le législateur a établi que ces cours, « là où ils sont légalement organisés, le sont sur un pied d'égalité. Ils sont offerts au libre choix des parents ou des étudiants. Leur fréquentation est obligatoire »351. Par contre, le décret flamand du 25 février 1997 sur l’enseignement fondamental prévoit, en son article 29, que « Lors de chaque inscription de leur enfant scolarisable dans l'enseignement primaire officiel, les parents décident, par déclaration signée, si l'enfant suit un cours dans une des religions reconnues ou un cours de morale non confessionnelle. Il leur est loisible de modifier ce choix au début de chaque année scolaire. Des parents qui, sur la base de leur conviction religieuse ou morale, élèvent des objections contre l'obligation de suivre un des cours de religion ou de morale offerts, obtiennent une dispense à leur demande. Le gouvernement arrête le modèle de la déclaration signée et la procédure d'obtention d'une dispense […] ». Un arrêté du gouvernement flamand du 14 juillet 2004 a mis ce principe en œuvre. Il en résulte que, sur simple déclaration non autrement motivée, la dérogation est automatiquement accordée352.
37Il est donc permis d’en déduire qu’en fait, et nonobstant les déclarations faites lors des travaux préparatoires, les cours de morale et de religion sont devenus facultatifs en Communauté flamande. Il pourrait en aller de même en Communauté française. Jérôme Sohier écrit à cet égard : « Il serait possible de soutenir que la Communauté française est libre d’adopter, dans la sphère d’autonomie qui est la sienne et sans révision constitutionnelle préalable, un décret qui abrogerait l’article 8 du Pacte scolaire, soit en réservant une dispense des cours de morale et de religion pour tous les élèves qui seraient inscrits au nouveau cours de philosophie, soit en mettant tous ces cours idéologiques ou philosophiques en option. Il nous semble qu’une telle réforme ne devrait pas nécessairement passer par une révision préalable de la Constitution, puisque les pouvoirs publics organisateurs offriraient, toujours, comme actuellement, « le choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues et de celui de la morale non confessionnelle (art. 24, § 1er, al. 4) » et que tous les élèves auraient toujours droit, comme actuellement, « à une éducation morale et religieuse (art. 24, § 3, al. 3) »353.
38Le texte de l’article 24 est clair. Il n’instaure pas d’obligation croisée. Aucun enfant n’est obligé par la Constitution de suivre ces cours. Si les autorités scolaires ont l’obligation constitutionnelle de les dispenser, nul n’est obligé par la Constitution de suivre l’un de ces enseignements.
5. La question iconoclaste : les cours de religion et de morale ne doivent-ils pas devenir facultatifs ?
39Il faut s’interroger sur le concept de « morale non confessionnelle ». S’agit-il d’un cours résiduel qui recouvre l’ensemble des convictions qui ne peuvent être assimilées à l’une des religions reconnues ou au contraire d’un cours qui présente un lien avec un courant philosophiquement nettement identifié, incarné par les mouvements se reconnaissant de la laïcité ?
40L’article 181, § 2 de la Constitution prévoit que « Les traitements et pensions des délégués des organisations reconnues par la loi qui offrent une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle sont à la charge de l'État ; les sommes nécessaires pour y faire face sont annuellement portées au budget ». Il existe une étroite parenté entre les notions de « morale non confessionnelle » au sens de l’article 24 de la Constitution et de « conception philosophique non confessionnelle » au sens de l’article 181. Cette disposition a été insérée, en 1993, dans la Constitution afin « de donner un statut définitif à l’organe représentatif de la communauté non confessionnelle ». Plus précisément, « cette exigence exprime une conception positive de la communauté non confessionnelle, qui ne veut pas définir par opposition aux idéologies et aux communautés religieuses, mais entend professer des conceptions de vie originale, défendre certaines attitudes éthiques face à la vie et à la mort ». Enfin, l’introduction de l’article 181, § 2 s’explique parce qu’il « existe en Belgique une importante communauté non confessionnelle », la deuxième en importance en Belgique, laquelle « est représentée par le conseil central des communautés philosophiques non confessionnelles de Belgique (en abrégé Conseil central laïque CCL) association sans but lucratif constituée le 14 juillet 1972 qui regroupe les associations laïques de Belgique, francophones unies au sein du Centre d’action laïque (C.A.L.) et néerlandophones, unies au sein de l’Unie Vrijzinnige Verenigingen) »354. L’ajout d’un alinéa à l’article 181 a d’ailleurs été communément présenté comme une reconnaissance constitutionnelle de la laïcité. En commission du Sénat, un auteur de la proposition de révision, Roger Lallemand, a clairement insisté sur le « parallélisme qui existe entre le premier alinéa existant de l’article (181) et le deuxième alinéa proposé, c’est-à-dire entre la protection qui est accordée aux cultes et celles qui est réclamées pour les organisations philosophiques non confessionnelles »355.
41La simple circonstance qu’un lien soit établi entre une conception philosophique non confessionnelle et des organisations qui la représentent suffit à lui faire perdre sa vocation résiduelle. Il en va a fortiori ainsi en raison du parallèle qui a expressément été établi entre les cultes et les organisations laïques356. Dans une étude, intitulée Baromètre du religieux, réalisée en 2008, étaient recensés, dans la population francophone, 16, 6 % d’athées et 9, 8 % d’agnostiques, soit une portion de 26, 4 % de la population belge. Or seuls 0,8 % des personnes interrogées affirmaient adhérer à la laïcité organisée357.
42Cette évolution constitutionnelle n’est pas anodine. Elle emporte un certain nombre de conséquences. Ainsi, en Communauté flamande, est-il désormais prévu que « le recrutement des professeurs de religion, des maîtres de morale non confessionnelle et des professeurs de l'enseignement secondaire chargés des cours de morale non confessionnelle est de la compétence du directeur sur la proposition de l'instance compétente du culte concerné, respectivement l'instance compétente de la morale non confessionnelle »358. Une telle disposition n’existe pas en Communauté française mais la section de législation du Conseil d’État considère néanmoins que « Mettant ainsi sur pied d’égalité les ministres du culte et les délégués du Conseil central laïque, la Constitution ouvre la voie à un traitement égal des professeurs de religion et de morale, s’agissant des conditions de leur nomination »359. La Cour constitutionnelle, dans son arrêt n° 95/2009 avait indiqué qu’il suffisait qu’un élève revendique que soit organisé un cours relatif à un culte reconnu pour que ce droit lui soit conféré. Dès lors que la « morale confessionnelle » apparaît aujourd’hui comme un courant philosophique déterminé et non plus comme la voiture balais résiduelle de l’ensemble des cultes et conceptions philosophiques, l’élève, qui ne se reconnaît ni dans les cultes reconnus, ni dans la morale non confessionnelle telle que consacrée à l’article 181, alinéa 2 de la Constitution, doit bénéficier d’une protection particulière du droit positif.
43Diane Deom l’a fort justement relevé. Elle écrit : « Le problème clé reste certainement de définir et de distinguer laïcité, neutralité et pluralisme. Cette question qui est au cœur des débats sur la laïcité est de nature philosophique, et non juridique. Constatons cependant que la Constitution, reprenant les données du Pacte scolaire, entretien une ambigüité majeure à cet égard. Si la morale « non confessionnelle » exclut tout engagement laïc clair, force est de constater qu’un courant d’opinion essentiel dans notre pays, et aujourd’hui reconnu en tant que tel, est privé de mode d’expression dans l’enseignement officiel. Si par contre, la morale non confessionnelle permet et suppose des principes et prises de position rejetant le principe de la foi religieuse, elle ne peut apparaître comme véritablement destinée à accueillir tous ceux qui n’adhèrent pas aux religions reconnues. Fait-il envisager l’organisation distincte de cours de cours de morale laïque et de morale neutre ? »360
44Les décrets de la Communauté française sur la neutralité donnent, nous semble-t-il, une indication sur la réalité de ce qu’est le cours de morale non confessionnelle. En effet, le législateur traite différemment les titulaires de cours généraux et les titulaires de cours de religion ou de morale non confessionnelle. En effet, les premiers sont astreints à respecter un certain nombre de comportements garantissant le respect de la neutralité361 alors que les autres – et donc les titulaires du cours de morale – doivent simplement s’abstenir de « dénigrer les positions exprimées dans les cours parallèles ». Ceci suffit à démontrer que le cours de morale peut avoir une dimension engagée, fut-ce au sens le plus noble du terme, et qu’il n’a pas le caractère résiduel d’un cours de « morale neutre », tel qu’envisagé par Diane Deom. Il convient dès lors de permettre à un élève qui ne se reconnaît pas dans cet engagement d’obtenir une dispense.
45Encore faut-il examiner comment il peut faire valoir ses droits. Faut-il, en s’inspirant de la jurisprudence précitée du Conseil d’État, qu’il livre, dans une demande de dérogation, avec un minimum de précision quelles sont ses convictions religieuses ou philosophiques qui l’empêchent de suivre un cours de religion ou de morale à ses enfants ? Autrement dit, l’article 24 de la Constitution et le droit positif de la Communauté française peuvent-ils contraindre des parents ou des élèves à dévoiler la réalité de leurs convictions philosophiques ? Tant la jurisprudence de la Cour constitutionnelle que celle de la Cour européenne des droits de l’homme permettent de répondre à cette question.
46La Cour constitutionnelle s’est prononcée sur la conformité aux articles 10 et 11 de la Constitution de l'article 20 de la loi du 16 juillet 1973 garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques, dite loi du Pacte culturel. Cette disposition a pour but de garantir le pluralisme dans les institutions publiques qui relèvent du secteur culturel, tels par exemple la RTBF et la VRT. Elle prévoit que, dans de tels organismes, les emplois doivent être répartis de manière équilibrée entre toutes les tendances représentatives afin que chacune d’elles bénéficie d’une présence minimale et qu’aucune d’entre elles ne bénéficie d’un monopole ou d’une prédominance injustifiée. Dans son arrêt n° 65/93 du 15 juillet 1993, la Cour constitutionnelle a jugé cet article et le système qu'il organise contraires à l'article 10 de la Constitution, notamment au motif que le système mis en œuvre « comporte en outre le risque de défavoriser ceux qui usent du droit qu'a tout citoyen de ne pas prendre publiquement parti. Il défavorise encore ceux qui sont en accord avec une tendance sur certaines questions, avec une autre sur d'autres points. L'inégalité de traitement qui en résulte étant fonction des convictions de chacun, elle met en cause des principes relatifs à la vie privée ainsi qu'à la liberté d'exprimer ou de ne pas exprimer les opinions personnelles ».
47Il est certain qu’en contraignant des parents à motiver une demande de dérogation, il est, dans les mêmes conditions, porté atteinte à leur droit de ne pas prendre publiquement parti, au respect dû à leur vie privée et à leur liberté d’expression qui les autorisent à ne pas exprimer une opinion personnelle.
48Dans son arrêt du 9 janvier 2008, dans l’affaire Hasan et Eyglem Zengin c/Turquie, la Cour européenne des droits de l’homme a posé le même principe. Elle relève que « quelle que soit l’étendue de cette exemption, le fait que les parents se sentent obligés de dévoiler aux autorités scolaires leurs convictions religieuses ou philosophiques rend ce moyen inapproprié à assurer le respect de leur liberté de conviction. Par ailleurs, en l’absence de tout texte clair, les autorités des établissements ont toujours la possibilité de refuser de telles demandes, comme ce fut le cas pour Mlle Zengin ». Elle ajoute que « le mécanisme de dispense ne constitue pas un moyen approprié et n’offre pas une protection suffisante aux parents d’élèves qui pourraient légitimement considérer que la matière dispensée est susceptible d’entraîner chez leurs enfants un conflit d’allégeance entre l’école et leurs propres valeurs. Cela est d’autant plus vrai qu’aucune possibilité de choix appropriée n’a été envisagée pour les enfants de parents ayant une conviction religieuse ou philosophique autre que sunnite, et que le mécanisme de dispense est susceptible de soumettre ceux-ci à une lourde charge et à la nécessité de dévoiler leurs convictions religieuses ou philosophiques afin que leurs enfants soient dispensés de suivre les cours de religion ».
49Sans doute la situation turque n’est-elle pas comparable à l’état de la législation de la Communauté française qui a une vocation pluraliste, autorisant un choix entre l’enseignement de diverses religions reconnues et de la morale non confessionnelle. Il n’en demeure pas moins que cette jurisprudence consacre le droit de ne pas dévoiler ses convictions philosophiques ou religieuses et s’inscrit donc la même ligne que l’arrêt précité de la Cour constitutionnelle.
50Plus fondamentalement, l’analyse de cette question débouche sur une réponse apparemment iconoclaste. Dès lors que le cours de morale est intimement lié à un mouvement philosophique, constitutionnellement reconnu et incarné par des organisations, il a perdu, à supposer qu’il l’ait eu un jour, sa vocation résiduelle. Chaque parent a le droit de ne croire en rien et de ne se reconnaître dans aucun mouvement philosophique comme il a le droit de se reconnaître dans des convictions étrangères aux cultes reconnus et à la morale non confessionnelle. Ces parents ont vocation à bénéficier d’un principe d’égalité, du droit au respect de la vie privée et du droit inconditionnel de ne pas dévoiler leurs convictions ou pire encore de les justifier.
51Il en résulte que l’article 24 de la Constitution, interprété de telle manière qu’il autoriserait le législateur à rendre obligatoires un cours de religion ou de morale ou qu’il imposerait à des parents de justifier qu’ils ne se reconnaissent dans aucun des enseignements dispensés, serait contraire à l’article 2 du premier protocole à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
52Heureusement, ainsi qu’il l’a été démontré, l’article 24 de la Constitution n’a pas cette portée. Tout au plus faut-il considérer que sont irrégulières les dispositions du droit positif de la Communauté française qui rendent ces enseignements obligatoires. Dans le régime actuel, en tenant compte de la Constitution et des normes de droit international qui ont des effets directs dans l’ordre juridique interne, les cours de morale et de religion doivent être dispensés dans les écoles publiques, mais doivent aussi revêtir un caractère facultatif.
6. Est-il possible de diminuer le nombre d’heures de ces cours et doivent-ils figurer dans la grille horaire ?
53Les auteurs de la proposition de décret semblent éprouver quelque gêne à diminuer le nombre d’heures de cours consacré au cours de morale et de religion. Ils relèvent, en effet, que « La troisième hypothèse consiste à diminuer le volume horaire des cours de morale et de religion. Elle impliquerait une modification du Pacte scolaire qui fixe à deux heures semaine le volume horaire de ces cours. Cela conforterait en outre l’idée selon laquelle il faudrait enseigner la morale et la religion ou la philosophie, alors que l’esprit de la présente proposition est tout au contraire que ces cours ne sont pas exclusifs mais cumulatifs. »362
54Ici encore, Xavier Delgrange développe une conception quasi carcérale de l’article 24 de la Constitution. Cette disposition, à son estime, aurait pour effet de constitutionnaliser le Pacte scolaire. Il invoque notamment une déclaration du ministre de l’Éducation nationale précisant qu’en vertu de l’article 8 de la loi du 29 mai 1959, « l’horaire hebdomadaire comprend au moins deux heures de religion et deux heures de morale ». L’auteur en conclut que « dans cette interprétation, les communautés auraient le loisir d’augmenter le nombre d’heures de religion et de morale, mais non de le réduire »363.
55On ne peut s’empêcher de s’étonner de cette propension de certains auteurs à lire dans l’article 24 de la Constitution ce qui n’y figure pas. Il ne peut évidemment être considéré que l’article 24 de la Constitution soit une disposition apparemment svelte, mais en réalité obèse. Il ne peut être raisonnablement soutenu que, par la simple référence faite à la paix scolaire, elle incorpore l’ensemble du Pacte scolaire et de ses mesures d’exécution.
56Il a déjà été relevé que « seuls les principes du Pacte scolaire sont inscrits dans la Constitution et sont donc sanctionnables par la Cour (constitutionnelle) ». Le Pacte scolaire n’est donc, sous réserve des termes exprès repris dans l’article 24, qu’un accord politique traduit dans des normes législatives qui peuvent être modifiées par d’autres normes législatives. Il a d’ailleurs été précisé, dans le rapport en commission du Sénat, qu’il « va de soi qu’il n’était ni possible, ni souhaitable d’inscrire dans la Constitution l’ensemble des garanties de la paix scolaire. La mission que le Gouvernement s’est assignée est d’introduire les points essentiels du Pacte scolaire dans le Titre II sobrement rédigé de la Constitution »364.
57La Cour constitutionnelle n’a rien affirmé d’autre lorsqu’elle constate que ce n’est plus, comme par le passé, le législateur fédéral qui est le garant de la paix scolaire mais que « la suppression de cette réserve par la révision du 15 juillet 1988 signifie non que cet objectif aurait été abandonné mais que désormais c'est à chaque Communauté, dont les compétences en matière d'enseignement ont été élargies, qu'il appartient de veiller à ce que la paix scolaire, telle qu'elle est à présent garantie par l'article 24 de la Constitution, ne soit pas compromise ». Autrement dit, dans le respect des principes explicitement visés dans l’article 24 de la Constitution, il appartient au législateur communautaire, sous le contrôle de la Cour constitutionnelle, de veiller à garantir la paix scolaire. Il n’est, à cet égard, en rien lié par des dispositions législatives antérieures à la communautarisation de l’enseignement si elles n’ont pas été reproduites dans le texte constitutionnel. Il en va d’autant plus ainsi en l’espèce que la notion de neutralité est évolutive.
58Le législateur est lié par un principe constitutionnellement consacré, à savoir que chaque élève a droit à une éduction morale et religieuse à charge de la Communauté et que les écoles publiques doivent offrir un choix entre des cours des religions reconnues et de la morale non confessionnelle. L’article 24 de la Constitution étant muet sur les modalités d’exercice de ces droits, le législateur peut donc les fixer discrétionnairement. À cet égard il est soumis au respect du principe de bonne foi. Il ne pourrait organiser ce droit de telle manière qu’il soit, en réalité, vidé d’effet. Il ne serait pas raisonnable, par exemple, de limiter ces enseignements à une heure par an. La notion d’éducation implique une logique de continuité. Celle-ci ne suppose pas, par contre, un droit acquis à recevoir deux heures de cours par semaine pendant douze ans. Le législateur peut parfaitement réduire cette exigence à une heure par semaine ou à une heure tous les quinze jours, voire à une heure par mois, pendant l’ensemble de la scolarité de l’élève. En ce faisant, il garantirait le droit à une éducation religieuse sans que quiconque puisse lui faire grief des modalités choisies.
59Les cours de religion et de morale confessionnelle doivent-ils figurer dans la grille horaire ? Voilà une question qui n’est pas évoquée par les auteurs de la proposition de décret mais qui vient naturellement à l’esprit à la suite de l’analyse qui a été opérée. On se souviendra que, lors des travaux préparatoires, il a été précisé que « ces cours ne pourraient en aucune manière être donnés en marge de l’horaire »365. S’agit-il là d’une obligation qui s’impose impérativement au législateur ?
60La réponse est nuancée et doit tenir compte d’un certain nombre de paramètres. Tout d’abord, l’éducation morale et religieuse et l’obligation de bénéficier d’un cours de religion ou d’un cours de morale non confessionnelle dans les écoles publiques est un droit. Il ne peut être question pour le législateur d’en organiser les modalités d’exercice dans des conditions d’inconfort pour ses bénéficiaires. Ensuite, il a été démontré qu’il existait également un droit non seulement à ne pas suivre ces enseignements, mais à ne pas subir des inconvénients liés à ce choix.
61Il appartient donc au législateur, dans le respect du principe de proportionnalité, de créer les conditions d’un exercice confortable de ces deux droits. Ainsi, ne pourrait-il, sans méconnaître le premier d’entre eux, faire dispenser ces enseignements à un moment où les élèves n’ont aucune autre raison de fréquenter l’école. De même, il se doit de veiller à ce que les élèves qui ne suivent pas ces cours ne soient pas pénalisés ou stigmatisés en raison du choix qu’ils ont opéré. À cet égard, il existe de multiples modalités pour réaliser une balance proportionnée entre ces deux objectifs qui ne sont contradictoires qu’en apparence. À titre purement exemplatif, l’une d’entre elles, la plus simple assurément, serait d’exiger que ces cours soient donnés en dernière ou en première heure. Ceci ne changerait rien aux habitudes des élèves qui suivent ces cours et n’impliquerait aucun inconfort dans le chef de ceux qui ne les suivent pas.
7. Conclusions
62La neutralité est le paradis perdu du juriste et l’inaccessible étoile du politique. La problématique ici envisagée en témoigne. Sur le plan doctrinal comme sur le plan politique, elle oppose deux conceptions du droit, et de manière plus générale de la mission du législateur. Certains optent pour l’immobilité, pour la conservation des équilibres précaires du passé de peur que toute innovation ait pour effet de réveiller des querelles qui ont profondément divisé la société belge. D’autres estiment, au contraire, que la protection des libertés est une œuvre dynamique qui exige une réflexion permanente et des réajustements fréquents du droit positif. Faut-il que le Pacte scolaire constitue pour le législateur communautaire un boulet qui lui interdise toute approche novatrice de sa mission ? Certes, cet accord politique, traduit dans des textes normatifs, a permis de substituer la paix à la guerre scolaire, un conflit opposant les partisans d’une école privée et confessionnelle aux partisans de l’école publique. Mais le Pacte scolaire, comme tout texte, a vieilli et est impuissant aujourd’hui à rencontrer des problématiques nouvelles, autrement plus sensibles et angoissantes que celles du passé. Les auteurs de la proposition de décret ne s’en cachent pas. Ils écrivent que « Le débat non clos relatif à la nécessité ou non de légiférer à propos de l’interdiction à l’école des signes distinctifs d’appartenance religieuse, montre bien que, sans un enseignement tel que celui proposé par la présente proposition, la loi peut apparaître aux yeux des élèves concernés comme injustifiée. D’autant que les cours confessionnels, séparément, explicitent et justifient les signes extérieurs nécessaires à la pratique religieuse ». C’est sans doute ici que les masques tombent. Sur le plan doctrinal, ce sont souvent les mêmes qui défendent le droit des élèves comme des professeurs à porter des signes convictionnels dans l’espace public et qui se font les vestales du Pacte scolaire, notamment quant à la nécessité de maintenir l’obligation de suivre les cours de religions reconnues ou de morale non confessionnelle.
63La question est finalement très simple. Chaque élève a droit à une éducation morale ou religieuse, ce droit emportant invariablement celui de décliner cette éducation, soit de ne jamais être contraint de suivre le cours d’une religion reconnue ou le cours de morale non confessionnelle. Au-delà de cette éducation qui doit être délivrée, mais ne peut être imposée, le législateur a-t-il le devoir de donner aux élèves un socle de savoir qui leur permettra de porter un regard averti sur l’ensemble des religions et convictions philosophiques ? En d’autres termes, le législateur communautaire doit-il donner à chaque élève des connaissances leur permettant d’appréhender, avec plus de liberté et de maturité, l’éducation religieuse ou morale qui leur serait délivrée par ailleurs ?
64La réponse à cette question est politique et le scientifique ne peut alors que s’effacer. Tout au plus, comme citoyen, peut-il espérer que le législateur ait l’audace de ses ambitions, qu’il jette les bases d’une société plus réconciliée et qu’il ne verse pas dans un conservatisme délétère. Il est, en effet, une certitude. Dans les milieux confessionnels, l’éducation religieuse se délivre dans l’école, mais aussi et surtout en dehors de celle-ci, que ce soit dans le cadre familial ou dans celui des lieux de culte. Par contre, seule l’école peut enseigner tous les savoirs et, par un cours de philosophie et de connaissance des religions, permettre à tous les élèves fréquentant les écoles subsidiées par la Communauté française, de construire leurs convictions à partir d’un socle d’humanisme et de tolérance qui doivent être les ferments de notre société. Le législateur communautaire a donc une immense marge de manœuvre. Encore faut-il qu’il en prenne conscience et qu’il ose en user.
Notes de bas de page
321 Art. 8 de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement, dite loi sur le Pacte scolaire.
322 Voy. loi du 2 août 1974 relative aux traitements des titulaires de certaines fonctions publiques et des ministres des cultes.
323 http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/laap/documents/BAROMETRE.pdf.
324 Doc. PCF, s.o. 2009-2010, 25, n 1. Proposition déposée par déposée par Richard Miller, Florence Reuter, Gilles Mouyard et Françoise Bertiaux.
325 La Cour relève que « Le droit au subventionnement est limité, d’une part, par la possibilité pour la communauté de lier les subventions à des exigences tenant à l’intérêt général, entre autres celles d’un enseignement de qualité et du respect de normes de population scolaire, et, d’autre part, par la nécessité de répartir les moyens financiers disponibles entre les diverses missions de la communauté ».
326 Voy. également CC 193/2004 du 24 novembre 2004.
327 Doc. PCF, s.o. 2009-2010, 25, n 1, 5.
328 « Les cours de philosophie et la Constitution – Éléments de réflexion à propos du Rapport introductif portant sur "l'introduction de davantage de philosophie dans l'enseignement, que ce soit à court ou à long terme" déposé par Mme Wynants » (http://centres.fusl.ac.be/CIRC/document/Cahier1/Delgrange.pdf).
329 Doc. PCF, s.o. 2000-2001, 131/1.
330 X. Delgrange, « Les cours de philosophie… », art. cit, p. 5-6.
331 Il s’en déduit paradoxalement que le législateur ne doit pas imposer ce choix aux élèves qui fréquentent des établissements scolaires et qui ont dépassé l’âge de l’obligation scolaire.
332 Point 85 de l’arrêt. Dans le système antérieur, les élèves recevaient un cours portant sur le christianisme dispensé conformément à la foi évangélique luthérienne. Les élèves qui n’appartenaient pas à l’Église de Norvège étaient dispensés de cet enseignement et suivaient de ce fait un cours de philosophie. En 1993, ce système fut réformé et remplacé par un cours dénommé KRL dans le cadre duquel étaient enseignés à la fois le christianisme, les autres religions et la philosophie. Un système de dispense devait permettre aux élèves de ne pas participer à des activités religieuses dans ou en dehors de la classe qui entraient en contradiction avec leurs convictions (voir point 15 et suivants de l’arrêt).
333 Point 100 de l’arrêt.
334 Sur cet arrêt, voy. X. Delgrange, « Le cours de morale entre neutralité et prosélytisme », http://www.entre-vues.net/LinkClick.aspx?fileticket=TBiEDmqXumM%3D&tabid=622, pp. 2 et suiv.
335 Doc. PCF, s.o. 2009-2010, 25, n 1, 6.
336 X. Delgrange, « Les cours de philosophie… », art. cit, pp. 6-9.
337 X. Delgrange, « Les cours de philosophie… » art. cit., p. 9.
338 Idem.
339 C’est l’auteur qui souligne. Doc. Parl., Sén, se 1988, 100, 1/1, 4 – Xavier Delgrange (« Le cours de morale entre neutralité et prosélytisme », http://www.entrevues.net/LinkClick.aspx?fileticket=TBiEDmqXumM%3D&tabid=622, p. 11) mentionne bien cet extrait de la note explicative, mais estime ne pas devoir y avoir égard en raison des propos contraires qui ont été tenus par la suite lors des travaux parlementaires.
340 Doc. Parl. Ch, se. 1988, 10-17 - 455/4, 36-37 – c’est l’auteur qui souligne.
341 Doc. Parl. Ch, se. 1988, 10-17 - 455/4, 16-17 – c’est l’auteur qui souligne.
342 Doc. Parl. Ch, se. 1988, 10-17 - 455/4, 18.
343 Doc. Parl. Ch, se. 1988, 10-17 - 455/4, 21.
344 CE, n° 26.326 du 14 mai 1985, Sluijs. Le Conseil d’État a développé une jurisprudence analogue dans un arrêt n° 35.442 du 10 juillet 1990, Vermeersch. Il a jugé que « quiconque se réclame d’une conviction religieuse qui ne peut se retrouver dans l’un des cours de religion, dispensés, est en droit de s’offusquer lorsque ses enfants ne se voient offrir qu’un cours présentant une « philosophie non confessionnelle ». Ainsi le refus d’une dispense à des parents revendiquant leur appartenance à la « secte » des témoins de Jéhovah est contraire aux articles 9 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à l’article 2 de son premier protocole additionnel. Dans d’autres arrêts, au contraire, le Conseil d’État a validé le refus de la dispense au motif que le requérant n’avait pas indiqué avec un minimum de précision les convictions religieuses ou philosophiques qui l’empêchent de suivre un cours de religion ou de morale (CE, n° 35.411 du 10 juillet 1990, Sluijs II – voy. également CE, n° 32.637 du 24 mai 1989, Lallemand et sur l’analyse de cette jurisprudence D. Deom, « La neutralité de l’enseignement des communautés et le choix entre les cours de religion et le cours de morale non confessionnelle » dans Quels droits dans l’enseignement ? Enseignants, parents, élèves, Bruges, La Charte, 1994, p. 114 et suiv.).
345 Ces dispositions consacrent respectivement la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 9), la liberté d’expression (art. 10) et le droit à l’instruction (arr. 2 du Premier protocole). Il peut également être fait référence à l’article 8 relatif à la protection de la vie privée.
346 Édition 1999.
347 L’arcane des épées, éditions Pocket.
348 Communiqué du greffier résumé de l’arrêt http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/pages/search.aspx?i=003-1553157-1625594# {"itemid":["003-1553157-1625594"]}.
349 http://assembly.coe.int/Mainf.asp?link=/Documents/AdoptedText/ta10/FRES1720.htm.
350 CE n° 226.627 du 6 mars 2014, De Pascale et cs.
351 Voy. art. 4 du décret du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté française et art. 5 du décret du 17 décembre 2003 organisant la neutralité inhérente à l'enseignement officiel subventionné et portant diverses mesures en matière d'enseignement. Dans son arrêt n° 226.627 précité, le Conseil d’État a posé à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante : « En ce qu'ils n'impliqueraient pas le droit pour chaque parent d'obtenir sur simple demande, non autrement motivée, une dispense de suivre un enseignement de l'une des religions reconnues ou de morale non confessionnelle, l'article 8 de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement dite loi sur le Pacte scolaire et l'article 5 du décret du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l'enseignement de la Communauté violent-ils les articles 10, 11 et 24, § 4, de la Constitution en créant une discrimination dans l'exercice des droits et libertés consacrés par les articles 19 et 24 de la Constitution éventuellement combinés avec l'article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 2 du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et l'article 18, § 4, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et violent-ils de surcroit directement l'ensemble de ces dispositions ? ».
352 L’article 5 de l’arrêté du Gouvernement flamand du 14 juillet 2004 relatif à l'option ou la dispense accordée de suivre un cours dans une des religions reconnues ou un cours de morale non confessionnelle dans l'enseignement primaire et secondaire officiel prévoit que la demande de dispense sous forme de déclaration. L’article 6 prévoit que l’autorité scolaire prend connaissance de la demande de dispense. La dispense revêt donc un caractère automatique pour qui la demande. En témoigne le formulaire qui se présente ainsi :
FORMULAIRE DISPENSE RELIGION - MORALE
Ce formulaire doit être renvoyé à la direction, complété et signé, dans les huit jours calendrier après le premier jour de classe de septembre.
Nom et adresse de l'école :.....
Je, soussigné(e), (nom + prénom).....,
parent de....., élève de.....
(classe / année d'études / orientation).....
1° demande la dispense du choix religion/morale non confessionnelle sur la base de ma conviction religieuse ou morale.
2° m'engage à ce que, pendant les heures de cours pour lesquelles la dispense est accordée, l'élève accomplisse des missions qui correspondent à la propre conviction philosophique ou au propre projet philosophique.
3° m'engage à ce que ces missions et leur formulation écrite soient définies et tenues à tout moment à disposition de l'école.
Lieu et date :..... Signature.
353 « Quel avenir pour les cours de morale et de religion ? », Revue Trimestrielle pour une pédagogie et une morale – Entre-vues, juin 1991, pp. 7-8. Voy. aussi de manière générale sur la question traitée dans la présente étude, J. Sohier, « Les cours de morale et de religion en question », dans Liber amicorum François Glansdorff et Pierre Legros, p. 507 et suiv.
354 Doc. Parl. Sén. S. e. 1991-1992, 100-3/1 °, 2-3.
355 Doc. Parl. Sén. S. e. 1991-1992, 100-3/2 °, 2.
356 Voy. M. Uyttendaele, « Une religion de trop », Le Soir, 10 septembre 1994.
357 http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/laap/documents/BAROMETRE.pdf.
358 Art. 17, § 5 du décret du 27 mars 1991 relatif au statut de certains membres du personnel de l'enseignement communautaire tel que modifié par l’article 9.4 du décret du 14 février 2003 relatif à l’enseignement XV.
359 Doc PCF, s.o. 2005-2006, 223, 175.
360 D. Deom, art. cit.., p. 116 – voy aussi X. Delgrange, « Le cours de morale… », art. cit.
361 L’article 4 du décret du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté française et l’article 5 du décret du 17 décembre 2003 organisant la neutralité inhérente à l'enseignement officiel subventionné et portant diverses mesures en matière d'enseignement disposent que :
« Afin notamment de garantir le choix entre l'enseignement d'une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle, le personnel de l'enseignement officiel subventionné
1° adopte une attitude réservée, objective et constamment alertée contre le risque d'induire chez les élèves ou étudiants des préjugés qui compromettent ce choix ;
2° traite les questions qui touchent la vie intérieure, les croyances, les convictions politiques ou philosophiques et les options religieuses de l'homme, en des termes qui ne peuvent froisser les opinions et les sentiments d'aucun des élèves ;
3° s'abstient, devant les élèves, de toute attitude et de tout propos partisan dans les problèmes idéologiques, moraux ou sociaux, qui sont d'actualité et divisent l'opinion publique. Il amène les élèves à considérer les différents points de vue dans le respect des convictions d'autrui. De même, il refuse de témoigner en faveur d'un système philosophique ou politique quel qu'il soit. II veille toutefois à dénoncer les atteintes aux principes démocratiques, les atteintes aux droits de l'homme et les actes ou propos racistes, xénophobes ou révisionnistes. Il veille, de surcroît, à ce que, sous son autorité, ne se développent ni le prosélytisme religieux ou philosophique, ni le militantisme politique organisé par ou pour les élèves ».
362 Doc. PCF, s.o. 2009-2010, 25, n 1, 6.
363 X. Delgrange, « Les cours philosophiques… », art. cit., p. 11. L’auteur concède cependant qu’une autre « interprétation plus souple de la Constitution est toutefois envisageable », ce qui permettrait « au législateur décrétal d’apprécier si un volume d’une heure par semaine serait satisfaisant pour satisfaire au prescrit constitutionnel ».
364 Doc. Parl. Sén, S.e. 1988, 100,1/2, 27.
365 Doc. Parl. Ch, S.e. 1988, 10-17 - 455/4, 36.
Auteur
Licencié en droit, licencié spécial en droit administratif et docteur en droit de l’Université libre de Bruxelles. Professeur ordinaire à l’Université libre de Bruxelles, il y enseigne les cours de droit constitutionnel et de contentieux constitutionnel. Il y préside également le Centre de Droit public. Il est avocat aux barreaux de Bruxelles et de Nivelles, où il se consacre aux matières constitutionnelles et administratives, ce qui le conduit à fréquenter assidûment le Conseil d'État et la Cour d'arbitrage. Il est l’auteur de nombreux travaux de référence dans les domaines du droit constitutionnel
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