Le Conseil consultatif des cours philosophiques : fonction, rôle et missions
p. 81-86
Texte intégral
1. Origine
1Le décret créant le Conseil Consultatif des cours philosophiques date du 03 juin 2005.
2Il se compose de deux représentants par cours philosophique reconnu par le pacte scolaire de 1959, de deux représentants de chacune des organisations syndicales, de deux représentants de l’enseignement organisé par la Communauté française, de deux représentants de l’enseignement officiel subventionné, de deux représentants de l’enseignement libre subventionné confessionnel et d’un représentant de l’enseignement libre non confessionnel, des inspecteurs et directeurs généraux de l’enseignement subventionné et organisé par la Communauté française, de quatre représentants du gouvernement de la Communauté française et de quatre représentants des organisations de parents.
3Ces membres du Conseil sont désignés pour un terme de cinq ans.
4Le bureau du Conseil, désigné en son sein, comporte 5 membres qui sont :
- un représentant du cours de religion catholique ;
- un représentant des cours des autres religions reconnues, selon une rotation annuelle ;
- un représentant de la morale non confessionnelle ;
- un représentant des organisations syndicales, également selon une rotation annuelle ;
- un représentant du gouvernement.
5Le bureau organise les activités du conseil, le représente à l’extérieur, en exécute les décisions et présente chaque année un rapport d’activité au gouvernement et au parlement. Mais, dans le cadre de ce colloque, retenons pour l’essentiel que ce conseil consultatif a pour mission de formuler tout avis et proposition sur la politique générale en matière de cours philosophiques et relativement aux opportunités d’échanges de savoirs et de pratiques entre les différents cours philosophiques. Il a également pour mission de formuler toutes propositions susceptibles d’encourager le dialogue entre les différentes religions reconnues et le cours de morale non confessionnelle et de promouvoir des valeurs communes.
2. Contexte
6Quant au contexte et en définitive quant au sens des derniers avis rendus par le Conseil en matière de questionnement philosophique, de dialogue interconfessionnel et d’éducation à la citoyenneté, il est important de faire le détour par quelques considérations relatives à notre société et notre école qui sont multiculturelles, multilinguistiques, multiconfessionnelles : cette diversité en fait la richesse, pour autant bien sûr que l’on évite les replis communautaristes.
7Parce qu’elle est un espace intermédiaire entre la sphère privée et la sphère publique, l’école a pour mission d’articuler la construction identitaire de chaque jeune et son insertion dans le champ social régi par des valeurs communes, conformément à l’article 6 du décret « Missions ». Sans négliger les différentes affiliations de chaque jeune, l’école se doit d’éduquer à l’ouverture interculturelle, à la tolérance et au dialogue, au discernement critique permettant de poser des choix, de prendre des engagements et d’agir dans le monde. Elle doit également articuler au mieux les convictions ou représentations issues de la sphère privée et les références communes prévalant dans l’espace public.
8C’est sans doute le seul lieu où une parole instituée et instituante, celle d’un enseignant-éducateur, est susceptible d’interroger, avec une distanciation légitime, traditions familiales et discours dogmatiques, en les confrontant à d’autres discours théologiques, philosophiques, juridiques, scientifiques, citoyens et en encadrant des rencontres interconvictionnelles…
9Si l’éducation au discernement intellectuel implique d’outiller l’esprit avec des méthodes de questionnement, de confrontation (des sources, des textes, des idées…), d’argumentation, de dialogue et de communication, ces méthodes transversales à de nombreux cours doivent aussi trouver leur place dans les cours dits philosophiques qui permettent de poser des questions de sens à partir de situations existentielles. Ces préoccupations sont au centre des travaux du Conseil Supérieur depuis plusieurs années, d’ailleurs inspirés par un certain nombre de réflexions émises au niveau des instances européennes. En effet, la question de l’enseignement du fait religieux dans les sociétés européennes, au vu des évolutions sociologiques et culturelles que celles-ci connaissent, fait l’objet de recommandations explicites de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Ainsi, dans sa recommandation n ° 1396, le Conseil de l’Europe retient les considérants suivants :
L’extrémisme religieux qui encourage l’intolérance, les préjugés et/ou la violence est aussi le symptôme d’une société malade et constitue une menace pour la démocratie. En tant qu’atteinte à l’ordre public, il doit être combattu par les moyens conformes à l’État de droit et, en tant qu’expression d’un malaise social, il ne peut être combattu que si les autorités s’attaquent aux problèmes réels de la société.
10Dans cette perspective, le Conseil de l’Europe a recommandé de : « renforcer l’apprentissage des religions en tant qu’ensembles de valeurs envers lesquelles les jeunes doivent développer un sens critique, dans le cadre de l’enseignement de l’éthique et de la citoyenneté démocratique. » En Belgique, et plus spécialement pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, le cadre juridique de la matière qui nous concerne se situe dans la Constitution, notamment l’article 24, et dans la loi du 29 mai 1959 dite « du Pacte scolaire ». L’équilibre institutionnel permettant d’articuler au mieux liberté de conscience, éducation du religieux et au religieux, et neutralité fait néanmoins l’objet d’un débat récurrent en Belgique francophone comme néerlandophone. Celui-ci affleure également au sein du Conseil Supérieur comme nous le verrons. En tout cas, c’est dans le cadre constitutionnel, légal et décrétal que le Conseil Supérieur s’est penché sur la question des compétences et connaissances transversales à développer dans les cours philosophiques.
11En 2009, ce dernier a adressé, aux responsables politiques et aux diverses instances de pilotage du système éducatif, un Mémorandum abordant, entre autres points, la question des référentiels de compétences pour les cours philosophiques.
12Citons-en deux passages :
13Au point 3 du Mémorandum
Le Conseil propose qu’un référentiel de compétences pour chaque cours philosophique soit déposé. Le référentiel de compétences étant la base de l’évaluation de tous les autres cours, il semble logique que les cours philosophiques s’alignent sur cette pratique. Pour les cours de religion, le référentiel serait déposé par l’Autorité de culte comme elle le fait pour le programme.
14Et au point 4 du Mémorandum
Le Conseil souhaite aussi qu’un référentiel de base commun aux cours philosophiques soit établi en adéquation avec le décret « Missions ». Ce référentiel commun pourrait servir de base à l’organisation et à l’évaluation des activités communes aux différents cours, notamment dans le cadre de l’éducation à la Citoyenneté. Il se construirait à partir des référentiels propres à chacun des cours philosophiques.
15Sur base de ce Mémorandum, la ministre en charge de l’enseignement obligatoire et de promotion sociale a proposé au Conseil supérieur de réfléchir à l’introduction d’un tronc commun à l’ensemble des cours philosophiques, articulant trois axes :
- le questionnement philosophique ;
- le dialogue interconvictionnel ;
- l’éducation aux fondements d’une citoyenneté active.
16Ces trois axes sont compatibles avec diverses propositions déposées devant la Commission éducation du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles prônant l’acquisition ordonnée de savoirs spécifiques à l’exercice d’une citoyenneté critique et responsable, le développement d’une « intelligence du dialogue » ou encore visant à améliorer les conditions du « vivre-ensemble ». Des travaux déjà menés au sein du Conseil et poursuivis en concertation avec les représentants des autorités du culte permettent d’ores et déjà de préciser ce que comporterait chacun de ces volets. Un tel enseignement doit commencer dès l’école fondamentale. Ainsi, le Conseil supérieur s’est mis d’accord pour considérer la philosophie comme « méthode de penser et comme apprentissage du dialogue ». Pour le Conseil, plus que de transmettre un savoir culturel, il importe de développer des compétences permettant à chacune et à chacun de « penser par et pour lui-même grâce aux autres », comme le prône Matthew Lipman (dans « À l’école de la pensée : enseigner une pensée holistique »). Il s’agit concrètement de susciter avec les élèves des questionnements pour construire, en utilisant la raison, une réponse porteuse de sens pour l’enfant ou l’adolescent. La pratique du questionnement philosophique permet de développer des compétences ou habiletés de pensée telles que la pratique du dialogue, la confrontation des points de vue, l’argumentation, la logique formelle, l’art de faire des distinctions, l’ouverture à la pluralité…
3. Les avis rendus
17L’avis numéro 4 du Conseil traite donc de la place du questionnement philosophique dans le cadre des cours philosophiques. À ce titre, il propose de créer pour les élèves des moments et des espaces propres à l’exercice d’une pensée critique, autonome et responsable. Il s’agit d’y exercer des processus de conceptualisation et d’argumentation au sujet de questions de sens posées à des niveaux personnels, sociétaux ou humanitaires. L’apprentissage du questionnement permettra aussi de rencontrer les expressions culturelles de l’histoire de la pensée pour tenter de les approprier au sein d’une culture commune. Il visera aussi à favoriser un recul critique par rapport à des univers convictionnels afin d’aider l’élève à ne céder à aucune forme de dogmatisme. Le conseil souhaite intégrer ces compétences dans la nomenclature de chacun des cours philosophiques pour favoriser d’éventuelles activités communes. Une note de minorité annexée à l’avis numéro 4 a cependant exprimé le souhait que le questionnement philosophique soit systématiquement pratiqué avec tous les élèves réunis, et sous la conduite d’enseignants particulièrement formés à cette discipline.
18Le champ du dialogue interconvictionnel a fait l’objet de l’avis numéro 5 du Conseil. Il devrait non seulement permettre à l’élève de se questionner sur ses propres représentations, convictions et pratiques en découvrant celles des autres, mais aussi d’être introduit à la pluralité des convictions dans une société démocratique et encore d’apprendre à dépasser les clivages, les stéréotypes et les préjugés. Le fait que dans un lieu institué et instituant comme l’école, les pratiques religieuses de la famille soient confrontées à une diversité de discours sur le religieux, la spiritualité, la quête de sens… apparaît comme une source et une opportunité de dialogue, de tolérance et de rencontre. Cet avis numéro 5 vise donc à donner matière et opportunité au fait de développer des activités communes, telles que souhaitées par le Conseil. Les cours deviennent un laboratoire de citoyenneté où les jeunes ont l’occasion de pratiquer les opérations mentales évoquées par l’avis numéro 4 à propos du questionnement philosophique, mais en les appliquant à l’univers des convictions. À cette fin le Conseil a souhaité que la possibilité de collaboration entre les cours philosophiques trouve une base décrétale. Celle-ci devrait permettre de rassembler tous les élèves d’une ou de plusieurs classes en laissant aux enseignants la liberté d’organiser ces activités en fonction des spécificités locales sous la responsabilité du chef d’établissement.
19Enfin, l’avis numéro 6, en cours d’élaboration, abordera la question de la place de l’éducation à la citoyenneté dans le cadre des cours philosophiques. Il devrait porter plus spécifiquement sur l’examen des traditions philosophiques, éthiques et religieuses qui inspirent la réflexion sur la citoyenneté. Conformément au décret « Citoyenneté », cet examen pourrait s’inscrire dans le cadre d’une recherche de sens de l’existence et d’un questionnement sur les valeurs, en complément à l’éducation civique abordée dans l’ensemble des enseignements, dont les cours philosophiques. Toutefois, en cette matière, le Conseil rencontre une tension entre les tenants d’un cours sur la citoyenneté prioritairement axé sur des notions positives, d’ordre juridique et historique, et ceux qui l’envisagent dans une perspective transdisciplinaire associant deux facettes complémentaires : l’instruction civique proprement dite et l’examen des traditions philosophiques, théologiques, et scientifiques qui sont susceptibles de fonder un engagement citoyen.
20Les premiers insistent sur la distinction entre les principes rationnels d’organisation de la société politique et les principes religieux propres à des communautés particulières. Et ils ne peuvent envisager l’éducation à la citoyenneté démocratique qu’en campant sur la séparation des champs politique et religieux. Pour eux, seule la notion de citoyenneté telle qu’elle s’est définie dans les États modernes concerne tous les citoyens d’un pays, quelles que soient leur conception du sens de l’existence. Il s’agit donc de procéder à un « décollement identitaire » pour favoriser l’entrée des individus dans la sphère politique et la citoyenneté.
21Les seconds évoquent au contraire la porosité qui relie ces champs dans le vécu et le mental des élèves ; ils attribuent donc à l’école le rôle de passeur, de la sphère privée chargée de ses représentations propres, vers la sphère publique envisagée sous l’angle de la neutralité, du droit commun et des valeurs qui fondent le vivre-ensemble d’une collectivité étatique à un moment donné de l’histoire. Ils ne voient donc pas pourquoi les enseignants chargés des cours convictionnels ne seraient pas habilités à contribuer, comme tout enseignant, à l’éducation à la citoyenneté. En outre, ils s’appuient sur le type d’approche pédagogique en vigueur dans le domaine de l’éducation relative à l’environnement et au développement durable (ErEDD). L’option qui y est retenue est de renoncer à la création d’un nouveau cours et de considérer l’ErEDD comme une compétence transversale à travailler dans tous les cours et de manière interdisciplinaire.
22On le voit, les clivages hérités d’une société polarisée ont la vie dure et continuent à résonner au sein du Conseil. À ce titre, cet outil est un lieu qui a toute sa raison d’exister à condition qu’il soit intelligemment investi par ceux qui le composent en tâchant d’y jeter des ponts plutôt que de maintenir jalousement leurs anciennes forteresses.
Auteur
Licencié en philosophie de l’Université catholique de Louvain. Il a été professeur de religion dans les réseaux officiel puis libre, de 1976 à 2002, puis directeur de l’Institut Saint-Roch à Marche-en-Famenne jusqu’en 2012. De 2012 à 2014, il a été conseiller au cabinet du ministre de l'enseignement, d’abord près de la ministre M.-D. Simonet puis M.-M. Schyns. C’est notamment à ce titre qu’il s’est exprimé ici
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