Vers une adaptation de l’enseignement de la religion et de la morale au paysage convictionnel du 21e siècle ?
p. 35-53
Texte intégral
1Dans l’histoire de notre pays, peu de thématiques ont occupé l’espace politique autant que la place de la religion à l’école. D’emblée, l’article 17 de la Constitution, en prévoyant la coexistence des écoles libres et de l’instruction publique46, a posé les bases d’un conflit durable autour, d’une part, de l’importance respective des deux réseaux (et du financement des écoles libres par les pouvoirs publics), et, d’autre part, de la place à réserver à l’enseignement de la religion dans les écoles officielles. Ce n’est qu’en 1958 que le conflit politique a reçu une solution durable, au terme d’une période de cristallisation exacerbée des oppositions, la deuxième Guerre scolaire étant alimentée par les ressentiments développés durant les années de la Question royale47. Le Pacte scolaire conclu entre les trois grandes formations politiques de l’époque a garanti un financement public quasi équivalent aux écoles libres, et organisé l’enseignement concurrent de la religion et de la morale dans les écoles officielles.
2Depuis plus d’un demi-siècle, l’organisation de notre enseignement de la religion et de la morale est ainsi régie par les principes inscrits dans la loi du 29 mai 1959. Ce compromis a été préservé lors de la communautarisation de l’enseignement en 1989 : jugées fondamentales pour l’équilibre de notre pays, les principales dispositions du Pacte ont été coulées dans la Constitution. Son article 2448 impose notamment aux écoles organisées par les pouvoirs publics d’offrir le choix entre l'enseignement d'une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle. Cependant, l’introduction du concept de religions reconnues dans le texte constitutionnel avait été novatrice : dans le lien qu’elle établissait désormais entre la reconnaissance d’une religion et l’obligation pour les écoles officielles d’en proposer l’enseignement, on pouvait lire l’adaptation à l’évolution de la situation – la reconnaissance de l’islam en 1974 et de l’orthodoxie en 1985 ayant amené, quelques années plus tard, la mise sur pied des cours de religion correspondants – mais aussi l’engagement pour l’avenir de faire désormais coïncider le nombre de cours de religion offerts avec le nombre de communautés convictionnelles reconnues…
3La Belgique a ainsi opté pour une adaptation de l’enseignement de la religion et de la morale à la diversité cultuelle, sans modification structurelle du système. Sans doute l’ouverture précoce aux minorités – les cultes protestant et israélite étant reconnus en Belgique depuis l’indépendance, et les cours de religion protestante et israélite étant prévus dans la loi du Pacte scolaire – a-t-elle lourdement pesé en faveur du développement du système existant. Dans d’autres pays où seule la religion dominante était enseignée à l’école, la diversification des options convictionnelles de la population a pu dicter une déconfessionnalisation de l’enseignement de la religion pour tous, plutôt qu’un élargissement de l’offre. Semblable évolution a été entamée dès les années 1960 en Scandinavie et au Royaume-Uni49 ; au Québec, le choix a été fait en 2008 de remplacer les cours de religion confessionnels et de morale par un cours, commun à tous les élèves, d’éthique et de culture religieuse (ECR)50.
1. Un paysage convictionnel radicalement différent
4Depuis 1958, le visage de la société belge s’est profondément modifié sur le plan convictionnel, sous l’impact de deux phénomènes essentiellement : la sécularisation et l’immigration.
5La distanciation de la population vis-à-vis du culte dominant, le catholicisme, amorcée dans les années soixante, s’est accélérée au tournant du 20e et du 21e siècle. Sur base des derniers chiffres livrés par l’enquête décennale réalisée par une équipe de la Katholieke Universiteit Leuven (KUL) et de l’Université catholique de Louvain (UCL) dans le cadre de la European Values Study, seuls 50 % des Belges se déclarent encore catholiques51. Et parmi eux, rares sont ceux qui ont conservé une pratique religieuse intensive. Le tableau suivant présente l’évolution de la pratique religieuse catholique depuis 197752 :
6La pratique dominicale représente le pourcentage de la population âgée de 5 à 69 ans qui se rend à la messe le dimanche (ou la veille, le samedi). Les mariages indiquent le pourcentage de mariages civils qui sont suivis d’un mariage religieux catholique. Les baptêmes reprennent le pourcentage d’enfants baptisés par rapport au total des naissances vivantes enregistrées. Les funérailles indiquent le pourcentage de cérémonies religieuses catholiques par rapport au nombre total de décès. Soulignons que pour l’ensemble de ces statistiques, il s’agit de la mesure du degré de pratique religieuse catholique par rapport à l’ensemble de la population, et non par rapport à la fraction de la population qui se déclare catholique.
7Ces pourcentages contrastent avec ceux du nombre d’enfants et de jeunes qui suivent un cours de religion catholique : en Communauté française, ils sont 66 % en primaire et 69,2 % en secondaire à recevoir cet enseignement53. En Communauté flamande, ce pourcentage atteint 80 % au niveau secondaire54. Des pourcentages aussi élevés s’expliquent naturellement par l’importance du réseau libre confessionnel catholique, qui scolarise un peu plus de la moitié des élèves en Communauté française et jusqu’à trois quarts d’entre eux au niveau secondaire en Communauté flamande. Aussi, nombreux sont désormais les élèves non catholiques qui fréquentent une école catholique. En Communauté française, les écoles libres confessionnelles n’ont pas le droit de proposer un autre enseignement que le cours confessionnel correspondant à leur projet550. Un élargissement de l’offre est en revanche admis par la législation flamande, mais il demeure très peu fréquent. Il est donc patent qu’une large proportion des élèves qui suivent un cours de religion catholique ne sont désormais plus des élèves issus de familles catholiques pratiquantes ou même de familles simplement de tradition catholique. Paradoxalement, la proportion d’enfants catholiques au cours de religion catholique est sans doute plus faible dans l’enseignement libre que dans l’enseignement officiel. Dans ce dernier cas en effet, suivre le cours de religion catholique relève d’un choix. Ainsi, les professeurs de religion catholique dans l’enseignement libre sont-ils souvent amenés à enseigner un cours de religion ouvert à la diversité, désormais très éloigné de l’instruction catéchétique qu’ont connue les générations précédentes.
8La sécularisation de la société, qui s’illustre notamment dans la baisse de la pratique religieuse exposée ci-dessus, se traduit également par une prise de distance de la population par rapport aux normes et valeurs promues par l’Église. C’est ainsi que la Belgique s’est dotée de législations autorisant l’avortement et ouvrant aux personnes de même sexe le droit au mariage et à l’adoption, en dépit de l’opposition de l’Église catholique, qui ne constitue plus une entrave. Parallèlement, les organisations laïques561, désormais moins confrontées à la nécessité de lutter contre l’influence de l’Église, se sont recentrées autour d’un projet de définition et de promotion de l’humanisme laïque. La laïcité philosophique a tendance à prendre le pas sur la laïcité politique, une évolution à mettre en rapport avec l’accession des organisations du Conseil central laïque au financement public, sur une base comparable à celle du financement public des cultes, depuis une dizaine d’années572. Cette évolution du mouvement laïque, d’une force d’opposition au religieux vers une communauté convictionnelle parmi d’autres – qui n’est d’ailleurs ni totale ni, sans doute, irréversible et ne s’effectue pas sans heurts – pose avec insistance la question du statut du cours de morale non confessionnelle. En Communauté française, ce cours est organisé par les pouvoirs publics qui sont garants de sa neutralité583. Mais ce caractère officiellement neutre s’accommode mal d’une lecture combinée des articles 24 et 181 de la Constitution : le lien entre la reconnaissance d’une organisation convictionnelle, fut-elle une philosophie et non une religion, et l’organisation d’un enseignement qui lui correspond dans les écoles officielles semble établi594.
9Quant à l’immigration, elle a amené l’installation durable dans notre pays de l’islam, mais aussi le développement d’églises chrétiennes autres que catholiques, au premier rang desquelles les églises protestantes-évangéliques et pentecôtistes et les églises orthodoxes dont les fidèles sont venus d’abord de Grèce, et, dans une moindre mesure, de Russie, puis d’autres pays d’Europe orientale. Se sont durablement implantées également des philosophies ou religions orientales, dont le bouddhisme et l’hindouisme.
10La diversité convictionnelle est particulièrement visible en milieu urbain, et au sein de la jeune génération. On l’observe notamment dans les statistiques de fréquentation des cours de religion et de morale à Bruxelles. Le tableau suivant présente le pourcentage d’élèves inscrits dans les différents cours dits philosophiques dans les écoles francophones du réseau officiel, dans la capitale605 :
POURCENTAGE DES ELEVES VENTILES PAR COURS (COMMUNAUTE FRANÇAISE, RESEAU OFFICIEL, BRUXELLES, 2013-2014, HORS ENSEIGNEMENT SPECIALISE)
Religion catholique | Religion islamique | Religion protestante | Religion orthodoxe | Religion israélite | Morale non confessionnelle | |
Primaire | 21,3 | 47,5 | 4,0 | 2,8 | 0,2 | 24,3 |
Secondaire | 14,9 | 44,7 | 3,5 | 2,6 | 0,4 | 33,9 |
11Le cours de religion islamique réunit une majorité d’élèves, qui sera bientôt une majorité absolue. Ces chiffres dissimulent naturellement une grande diversité de situations sur le terrain, certains établissements connaissant des pourcentages d’élèves inscrits au cours de religion islamique supérieurs à 90 % et d’autres des pourcentages très faibles, en fonction essentiellement du quartier de leur implantation.
12À l’échelle de la Communauté française, le pourcentage d’élèves inscrits au cours de religion islamique dans les écoles officielles est de 18 % au niveau primaire ; le cours de religion catholique y rassemble 43 % des élèves et celui de morale non-confessionnelle 35,9 %. Au niveau secondaire, la hiérarchie s’inverse, avec 56,8 % des élèves en morale et 22,7 % au cours de religion catholique. Avec 17,6 %, la fréquentation du cours de religion islamique ne présente guère de différence avec le niveau primaire.
13La société belge de 2014 n’a donc plus grand-chose à voir avec celle de 1958… À l’époque de la conclusion du Pacte scolaire, les parents d’élèves se répartissaient essentiellement en deux groupes : ceux qui, catholiques, désiraient voir leurs enfants recevoir un enseignement de cette religion, et ceux qui, ne l’étant pas ou plus, voulaient y soustraire leurs enfants et optaient donc pour le cours de morale non confessionnelle.
14Aujourd’hui, la diversité des convictions est bien plus large, tant et si bien qu’elle ne trouve plus à se satisfaire de l’éventail des options proposées. L’Union bouddhique belge prépare l’introduction de cours de morale bouddhiste et la diversité des courants qui composent certaines religions reconnues dans notre pays – le protestantisme et l’islam principalement – implique que certains parents ne se satisfont pas du cours proposé. La lancinante question de la neutralité du cours de morale non confessionnelle, organisé en Communauté française par les pouvoirs publics, se pose à nouveau et interroge la nécessité de prévoir éventuellement, comme en Communauté flamande, la possibilité d’une dispense, dont l’application priverait évidemment les élèves concernés de tout enseignement de la religion ou de la morale.
2. Les difficultés du système actuel
15Comme souligné plus haut, le fait qu’une grande partie des élèves soient scolarisés dans des écoles catholiques, alors qu’eux-mêmes ne le sont plus, pose une vraie question de cohérence entre notre modèle et l’évolution sociétale. Sans entrer dans la problématique d’une éventuelle fusion des réseaux, on peut remarquer que le maintien du caractère confessionnel de ces écoles devient difficile et risque d’entraîner, en application de la logique de notre système, le développement d’un enseignement confessionnel islamique, dont la fréquentation sera, elle, beaucoup plus homogène que celle des écoles catholiques d’aujourd’hui. Notons d’ailleurs qu’une suppression des cours de religion dans l’enseignement officiel seulement, recommandée par certains au nom de la laïcité de l’instruction publique, aurait pour effet d’instaurer une discrimination de fait : l’enseignement de la religion catholique demeurerait largement offert, à travers les écoles libres, alors que celui de la religion musulmane disparaîtrait presque complètement. Une telle suppression donnerait évidemment de solides arguments au développement d’un réseau confessionnel islamique.
16Au niveau des écoles officielles, le système belge, qui offre le choix entre l’enseignement d’une religion reconnue et celui de la morale non confessionnelle, soit aujourd’hui six possibilités en Communauté française, est compliqué et coûteux à mettre en œuvre. Par ailleurs, c’est un modèle dont le maintien pose de plus en plus de questions de principe61.
2.1. Des difficultés pratiques
17L’organisation des cours de religion et de morale au niveau secondaire présente un véritable casse-tête pour les chefs d’établissements officiels au moment de la confection des horaires. Dans les grands établissements, la nécessité de trouver la même plage horaire pour tous les cours dits philosophiques pour toutes les classes d’une même année est particulièrement difficile à rencontrer : il faut trouver un moment qui convienne à tous les enseignants. Aussi, souvent, le directeur d’établissement commence-t-il par placer les cours dits philosophiques dans la grille horaire et construit-il son horaire à partir de cette base-là. Lorsque dans une école un ou deux cours sont suivis beaucoup plus largement que les autres, il faudra dédoubler les élèves, donc faire appel à un enseignant supplémentaire, alors que si les cours ne devaient pas se donner en même temps, un seul enseignant suffirait. Pour éviter ces problèmes, il arrive que la direction décide de regrouper les élèves dans des classes « philosophiquement homogènes » ; dans certains établissements on trouve en effet au degré inférieur une (ou des) classe(s) de catholiques, une (ou des) classe(s) de musulmans et une (ou des) classes de moralien(s)… Ce n’est donc plus seulement pour le cours de religion ou de morale que les élèves seront séparés en fonction de leurs convictions philosophiques ou plutôt de celles de leurs parents, mais pour tous les cours… Cette ségrégation inacceptable enfreint la réglementation mais semble tolérée par la Communauté française. Au degré supérieur, les autres choix d’options ne permettent généralement pas cette pratique.
18Au niveau primaire, l’organisation des cours dits philosophiques présente généralement moins de difficultés puisque le reste de l’horaire, à l’exception du cours d’éducation physique, est généralement attribué à un seul enseignant, l’instituteur ou, le plus souvent, l’institutrice. La direction de l’établissement scolaire cherchera donc à trouver une tranche horaire qui convienne à tous les enseignants des cours dits philosophiques. Cependant, souvent, il ne sera tenu compte que des disponibilités des professeurs des cours les plus suivis. Lorsqu’un cours minoritaire n’est demandé que par quelques élèves, voire par un seul, ce que permet le système belge, l’organe représentatif de la religion concernée sera prié d’envoyer un professeur à telle heure : parfois, cela se révèlera impossible, au moins dans l’immédiat. Dans ce cas, les enfants concernés seront ou bien surveillés par un éducateur, ou confiés au professeur de morale en attendant qu’un enseignant de la religion concernée puisse être trouvé. Il arrive également qu’une seule des deux heures prévues puisse être donnée.
19Au niveau primaire, le nombre de professeurs est calculé en fonction du nombre total d’élèves inscrits pour le cours par implantation scolaire, et non pas par année62. Cette disposition impose de fréquents regroupements de différentes années, pour les cours les moins suivis. Il est par ailleurs obligatoire que le cours le moins suivi soit organisé par degré (sur deux années). L’impossibilité d’organiser tous les cours dits philosophiques au même moment pour toutes les années (sauf à prévoir plusieurs enseignants pour les cours les plus suivis) peut entraîner que, pour les cours minoritaires pour lesquels les élèves sont regroupés sur plusieurs années, certains élèves soient alors privés de deux heures de cours généraux. La règlementation prévoit qu’en pareil cas, seuls des travaux pratiques puissent être organisés pendant ces heures pour le reste de la classe. L’adoption de ce décret modifiant les méthodes de comptage, en 1998, avait d’ailleurs déclenché un mouvement d’opposition des professeurs de religion et de morale, estimant qu’il mettait en péril le libre choix des parents63.
20Malgré les normes de regroupement, l’organisation d’un cours dès qu’au moins un élève le demande, situation particulière à la Belgique64, entraîne un coût supplémentaire, qui peut être mis en évidence en comparant le nombre d’élèves et le nombre de professeurs par cours. C’est ainsi qu’au niveau du primaire, en 2009-2010, les 46,8 % d’élèves inscrits au cours de religion catholique mobilisaient 33,8 % des enseignants des cours dits philosophiques, tandis que les 2 % d’élèves inscrits au cours de religion protestante en mobilisaient 10 %65. Cette différence s’explique par le petit nombre d’élèves inscrits aux cours minoritaires, mais aussi par le faible nombre de cours organisés pour ces enseignements : l’éloignement entre les différents établissements scolaires rend parfois impossible à un enseignant d’effectuer un temps plein.
2.2. Des questions à propos des programmes et des enseignants
21En Communauté française, le cours de morale non confessionnelle dispose d’un programme approuvé par la Communauté française, mais il n’en va pas de même pour les cours de religions : leurs programmes relèvent entièrement de la compétence des organes représentatifs de chaque culte, en application du principe constitutionnel d’autonomie des cultes (article 21). En l’absence de programmes officiels, le contenu de l’enseignement prodigué a fait régulièrement débat. En janvier 2012, la ministre de l’Enseignement obligatoire, Marie-Dominique Simonet (CDH), a dévoilé un projet de réforme visant à introduire un tronc commun à tous les cours de religion et de morale, articulé autour de trois axes : le questionnement philosophique, le dialogue interconvictionnel et l’éducation à une citoyenneté active66. Ce tronc commun s’appliquerait tant dans le réseau libre que dans le réseau officiel, aux niveaux primaire et secondaire. Dans un premier temps, le projet avait été annoncé comme devant revêtir la forme d’un décret voté au Parlement de la Communauté française, une démarche incompatible avec le principe d’autonomie des cultes : en effet, l’article 21 de la Constitution qui consacre l’indépendance des cultes, s’applique en matière d’enseignement67. Aucun avant-projet de décret n’a donc vu le jour. Toutefois, le projet avait reçu l’assentiment des organes chefs de culte, qui choisirent de poursuivre l’élaboration de ce référentiel commun. En mai 2013, les représentants des cultes catholique, islamique, protestant-évangélique, orthodoxe et israélite présentèrent les nouveaux référentiels de compétence. Cette évolution fut accueillie comme un pas dans la bonne direction68. Cependant, ces référentiels, de quelques dizaines de pages alors qu’ils concernent douze années d’enseignement, ne tracent au mieux qu’un cadre général69.
22Les programmes des cours de religion présentent donc toujours des lacunes, dont l’ampleur est difficile à évaluer pour les cours qui n’ont pas communiqué ce programme (religions islamique, israélite et orthodoxe). En tout état de cause, l’absence de contrôle des pouvoirs publics sur le contenu de l’enseignement est problématique.
23Les mêmes lacunes dans le contrôle des pouvoirs publics s’observent à propos des enseignants et des inspecteurs : les enseignants et les inspecteurs des cours de religion sont désignés sur proposition des organes représentatifs des différents cultes, qui font montre d’une grande tolérance à propos des titres pédagogiques requis. C’est sans doute la désignation des professeurs de religion islamique qui a rencontré les plus grandes difficultés : organisés en Communauté française depuis 1975-1976, les cours de religion islamique ont réclamé un nombre sans cesse croissant d’enseignants, alors qu’aucune formation diplômante n’était organisée dans notre pays pour conduire à l’enseignement de la religion islamique. Il y a là une véritable carence, les enseignants des deux autres cours dits philosophiques les plus suivis, à savoir la morale et la religion catholique, disposant de filières de formation adéquates.
24De même, l’inspection des cours de religion est organisée par les organes représentatifs des cultes reconnus qui désignent les inspecteurs. Il s’agit donc d’une forme d’autocontrôle. L’autorité du chef d’établissement sur les enseignants des cours de religion est limitée ; tout au plus peut-il se borner à constater leur présence (ou leur absence) et la langue dans laquelle ils enseignent.
2.3. Une question de principe
25En Belgique, le respect de la vie privée impose que l’on s’abstienne d’interroger les citoyens sur leurs convictions religieuses ou philosophiques. C’est ainsi qu’aucun recensement des appartenances convictionnelles n’est organisé. La seule et unique circonstance où il est non seulement permis mais obligatoire de révéler ses options convictionnelles est lors du choix du cours dit philosophique de son enfant lors d’une inscription à l’école officielle. Si, juridiquement, il ne s’agit que d’opter pour un cours et non de révéler ses propres convictions, c’est bien à un choix identitaire que sont astreints les parents. Choix qui n’est plus toujours justifié par une conviction : les familles musulmanes ou chrétiennes orthodoxes choisissent parfois le cours qui correspond à leur milieu familial, sans que ce choix soit nécessairement basé sur un degré de conviction ou de pratique. Dans ce contexte, la pression des pairs peut être forte. Fréquemment, le cours de morale est vu comme un cours destiné aux « Belges de souche qui n’ont plus de religion ». Notons qu’à l’inverse, il y a des élèves, musulmans ou chrétiens protestants ou orthodoxes, dont les parents optent pour le cours de morale en raison d’un différend d’ordre théologique avec le professeur de la religion qui leur correspond. L’évolution de la société, particulièrement en milieu urbain, a changé la signification du choix posé en matière de cours de religion ou de morale : d’un choix philosophique, on est passé à un choix parfois plus culturel. Ainsi, les différents cours de religion présentent de plus en plus l’inconvénient de séparer les élèves, non plus en fonction d’une conviction, mais bien d’une identité ethnoculturelle.
26Cette ségrégation des élèves au moment de l’apprentissage de valeurs et d’une morale qui ne sont pas supposées communes est de plus en plus vue comme dommageable, particulièrement en l’absence de tout enseignement de la philosophie dans le cursus scolaire, une situation quasi unique parmi les pays de l’Union européenne. Une initiation à la philosophie n’est proposée, en Communauté française, que dans quelques rares établissements du libre non confessionnel. En Communauté flamande, il s’agit d’un cours à option proposé au troisième degré du secondaire dans certaines filières. Cette situation contraste avec celle de la plupart des pays de l’Union européenne, qui ont mis la philosophie au programme.
27Le seul cours qui propose aux élèves d’examiner des questions de sens et de spiritualité est soit un cours de religion confessionnelle soit un cours de morale non confessionnelle : aucune initiation aux convictions et à la culture religieuse de l’autre n’est formellement prévue. Aucune mise en perspective des valeurs d’une morale particulière avec les Droits de l’Homme ou avec les normes dont la société démocratique s’est librement dotée n’est imposée. Comment imaginer que le développement du sens critique et du respect de la différence, si nécessaire à l’harmonie du vivre-ensemble, puissent être favorisés par l’organisation actuelle des cours de religion et de morale ? Rappelons à ce propos que la législation impose aux enseignants une obligation de respect de la neutralité de l’enseignement, à l’exception notable des enseignants des cours dits philosophiques. Dès lors, l’élève ne peut être confronté qu’à un seul engagement philosophique ou religieux, celui qui correspond à sa communauté d’origine ou au choix posé par ses parents…
3. Les réformes proposées
28Depuis le début des années 1990, de nombreuses propositions de réforme des cours dits philosophiques ont été formulées. En Communauté française70, le ministre de l’Éducation Yvan Ylieff (PS) avait, en 1991, mis sur pied une commission chargée d’examiner la possibilité d’introduire un cours de philosophie dans les dernières années du secondaire. Présidée par le philosophe Jacques Sojcher (ULB), elle recommanda cette introduction. Mais les difficultés d’application, et en particulier le coût budgétaire de la réforme, conduisirent le successeur d’Ylieff, Elio di Rupo (PS) à ne pas la mettre en œuvre. En 2000, le ministre-président de la Communauté française Hervé Hasquin (PRL) proposa le remplacement des cours dits philosophiques par un cours d’initiation philosophique et d’étude comparée des religions au dernier degré du secondaire, dans l’enseignement officiel, et déclencha une vive opposition tant au sein du monde catholique que dans les milieux laïques : le Centre d’action laïque s’opposa catégoriquement à la suppression des cours de morale non confessionnelle et des cours de morale inspirée par les religions reconnues71. Le Parlement de la Communauté française décida d’organiser un débat autour de cette question, après avoir confié la rédaction d’un rapport liminaire à la députée Bernadette Wynants72.
29Si l’idée d’introduire l’enseignement de la philosophie ne suscitait guère d’objections, celle du remplacement des cours de religion et de morale rencontra une forte opposition. Une pétition en faveur du maintien des cours de religion et de morale, lancée par des responsables de la laïcité et de toutes les religions reconnues, recueillit plus de 150 000 signatures73. Aussi, le programme du gouvernement francophone suivant (2004-2009), présidé par Marie Arena (PS), proposa-t-il plus modestement de permettre des actions communes aux différents cours philosophiques, et d’inciter « au développement de périodes de cours approfondies consacrées à la connaissance des différentes religions et conceptions philosophiques, dans un esprit de tolérance et de respect des autres »74. Fut alors mis en place un Conseil consultatif supérieur des cours philosophiques75. Composé de représentants des cours dit philosophiques, des organisations syndicales reconnues, des trois réseaux d’enseignement, du gouvernement et des organisations de parents, ainsi que des inspecteurs généraux et directeurs généraux de l’enseignement officiel, le Conseil reçut pour mission de formuler des avis et propositions sur la politique en matière de cours de religion et de morale et doit obligatoirement être consulté préalablement à l’adoption de toute disposition décrétale ou réglementaire. En outre, ses missions prévoient expressément « de formuler tout avis sur la présence d’initiation à la démarche philosophique et sur l’introduction d’éléments de philosophie et d’histoire comparée des religions dans chacun des cours philosophiques tel que reconnu par la loi du 29 mai 1959, y compris là où un seul cours correspondant au caractère confessionnel de l’enseignement est organisé »76.
30Consulté à propos d’une proposition de décret visant à créer un cours de philosophie et d’histoire culturelle des religions, déposée entre autres par Richard Miller (MR)77, le Conseil a rendu un avis partagé sur cette proposition. Une majorité de ses membres rejetaient la proposition, estimant que les programmes actuels contenaient déjà une approche philosophique et interconvictionnelle. Une minorité de membres du Conseil se prononcèrent en faveur de l’introduction d’un cours de philosophie, estimant important de réunir tous les élèves dans un cours d’éducation à la citoyenneté critique « pour faire barrage à la montée des intégrismes et pour construire une cohésion sociale harmonieuse »78. Les représentants des différentes religions reconnues ont continué dans la voie de l’élaboration d’un référentiel commun intégrant notamment le questionnement philosophique, ainsi que relaté supra.
31En résumé, les propositions de réforme des cours dits philosophiques se sont toujours heurtées à un triple écueil. Primo, l’obstacle juridique présenté par l’article 24 de la Constitution qui édicte notamment que « Les écoles organisées par les pouvoirs publics offrent, jusqu'à la fin de l'obligation scolaire, le choix entre l'enseignement d'une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle ». Secundo, l’absence de volonté politique claire pour réformer le Pacte scolaire. Tertio, l’hostilité des professeurs de religion ET de morale ainsi que celle de leurs représentants et de l’ensemble des acteurs du monde de l’enseignement. Mais, récemment, de nouvelles perspectives semblent se dégager.
4. De nouvelles pistes
32Alors que pendant longtemps la problématique a été considérée selon l’angle de la place de la religion à l’école vs celle de la philosophie, aujourd’hui de plus en plus d’acteurs notent un autre impératif, celui de développer la connaissance du fait religieux à côté de l’apprentissage de la réflexion critique, et de la conduite du dialogue. Fin 2010, le rapport du Comité de pilotage des Assises de l’interculturalité a recommandé que soit favorisé l’enseignement comparé des religions et philosophies d’un point de vue philosophique, anthropologique et sociologique, dans le respect, il est vrai, « des cours philosophiques et de morale non confessionnelle existants »79.
33Progressivement, la nécessité d’une réforme du système actuel gagne des adeptes. En particulier, le monde laïque ne se montre plus réticent à une évolution qui pourrait conduire à l’abolition du cours de morale : en réaction à la proposition de la ministre Simonet en 2012, le Centre d’étude et de défense de l’école publique (CEDEP), qui regroupe douze associations du monde de l’enseignement officiel80, s’est prononcé en faveur de la suppression de l’obligation de suivre un cours de religion ou de morale et de l’introduction d’un cours de formation citoyenne destiné à tous les élèves, qui combinerait une approche philosophique et une connaissance des grandes religions et mouvements de pensée81. Le CEDEP a depuis développé sa proposition autour d’un cours commun « Éducation philosophique, éthique et citoyenneté » à introduire à tous les niveaux et dans tous les réseaux de l’enseignement obligatoire82.
34La position du CEDEP a été reprise dans le mémorandum du Centre d’action laïque pour les élections 2014, où il réclame que les cours dits philosophiques soient rendus facultatifs et organisés hors de la grille horaire obligatoire, et « que soit renforcée la formation citoyenne, destinée à tous les élèves, qui doit se fonder sur l’approche philosophique et la connaissance historique des religions et des mouvements de pensée non confessionnels permettant ainsi aux élèves d’exercer librement leur esprit critique. Que ce nouveau cours commun s’adresse à tous les élèves et qu’il porte sur ce qui unit et non sur ce qui divise et que les enseignants soient formés et dotés des titres et diplômes requis pour enseigner ce cours »83. Cette prise de position reflète la prise de conscience de la nécessité de réformer l’enseignement de la religion et de la morale tant dans le réseau libre, qui scolarise une majorité des élèves, que dans le réseau officiel. Elle s’inscrit à la fois dans un mouvement de déconfessionnalisation de l’enseignement de la religion (où l’on passe du teaching religion au teaching about religion) et dans une volonté d’introduction à l’école d’un cours de formation citoyenne qui paraît de plus en plus nécessaire, notamment pour contribuer à apaiser les tensions entre communautés d’origine et de confession différentes.
35Ces propositions s’inscrivent dans un contexte marqué également par une ouverture sur le plan juridique, qui reste cependant à confirmer. Selon l’interprétation notamment défendue par le constitutionnaliste Marc Uyttendaele (ULB), l’article 24 de la Constitution oblige les écoles à organiser les cours de religion et de morale non confessionnelle, mais elle ne contraint pas les élèves à les suivre84. Cette interprétation fidèle à la lettre de l’article est critiquée par ceux qui sont fidèles à l’esprit du texte, qui selon eux impose une obligation stricte de suivre les cours dans la ligne du Pacte scolaire85. Un consensus plus large existe à propos du fait que c’est bien le Pacte scolaire (amendable par le législateur communautaire), et non la Constitution, qui impose un volume horaire de deux heures/semaine pour les cours dits philosophiques. On peut donc parfaitement envisager de réduire la charge horaire à, par exemple, une heure semaine, l’autre étant affectée à un cours de philosophie et de culture religieuse.
5. Une dynamique européenne
36Déjà en 1999, l’Assemblée du Conseil de l’Europe a observé qu’il était urgent que les cursus scolaires soient révisés « afin de promouvoir une meilleure connaissance des différentes religions, et que l'éducation religieuse ne se fasse pas au détriment de l'enseignement des religions en tant que partie intégrante de l'histoire, de la culture et de la philosophie de l'humanité »86. Et dans une recommandation d’octobre 2005, la même assemblée a conseillé aux gouvernements d’enseigner le fait religieux à l’école : « En enseignant aux enfants l'histoire et la philosophie des principales religions avec mesure et objectivité, dans le respect des valeurs de la Convention européenne des droits de l'homme [l'école] luttera efficacement contre le fanatisme »87.
37Dans plusieurs pays européens, l’enseignement de la religion a évolué et rencontre ce type d’objectifs. Cohésion sociale, lutte contre le racisme, développement du sens critique, philosophie et grandes religions du monde sont désormais au programme du cours de religious education en Angleterre où ils ont remplacé l’éducation à la foi et à la seule culture chrétienne d’autrefois88. Les pays scandinaves connaissent également une telle évolution. En Suisse, la plupart des cantons se sont également engagés dans la voie de la déconfessionnalisation des cours de religion catholique ou protestante89. Il en va de même dans certains Länder allemands.
6. La nouvelle législature
38Pour les élections du 25 mai 2014, toutes les principales formations politiques francophones ont intégré des propositions en matière de réforme des cours de religion et de morale à leur programme.
39Respectueuses du cadre constitutionnel, les propositions visaient généralement à introduire un nouveau cours à côté des cours de religion et de morale existants. Pour Écolo, les cours dits philosophiques devaient « évoluer peu à peu vers des cours de philosophie et d’histoire des religions qui seraient construits et donnés notamment par les actuels maîtres de religion et de morale ». Mais, sans attendre une révision de la Constitution, les Verts préconisaient l’insertion d’un nouveau cours « qui rassemble les élèves pour les initier au questionnement philosophique, pour favoriser dans leur chef une citoyenneté active et qui leur donne les clés de compréhension des différentes religions et de la morale », via la réduction du volume horaire des cours actuels à une heure/semaine90. Le Parti socialiste (PS) souhaitait « instaurer un cours de citoyenneté à l’école centré sur le vivre-ensemble, le questionnement philosophique et l’histoire des religions et de la pensée laïque, en lieu et place d’une des heures de cours confessionnel ou de morale laïque »91. Le programme des Fédéralistes démocrates francophones (FDF) allait dans le même sens : il préconisait la diminution du nombre d’heures de religion et de morale « pour faire place à des cours rassemblant les élèves de toutes les confessions idéologiques pour une initiation à la réflexion morale et philosophique, comprenant notamment l’histoire des religions et des cours de citoyenneté, en vue de développer l’esprit critique des élèves et les valeurs de vie en commun »92. Le Mouvement réformateur (MR), considérant que « les cultures et les religions sont une richesse universelle » et qu’« il n’y a aucune raison de refuser de les partager et de les faire évoluer en vase clos » préconisait également d’organiser un cours commun de philosophie et d’histoire comparée des religions dans le troisième degré de l’enseignement secondaire, sans indiquer comment les cours actuellement organisés doivent être modifiés93, tout en soulignant ailleurs que des associations de parents et des syndicats réclamaient depuis longtemps un changement et la fin du regroupement des enfants par confession94.
40Seul le Centre démocrate humaniste (CDH) demeure réticent à tout changement de système. Considérant que « tout projet éducatif a pour mission de promouvoir simultanément l’appropriation par chacun de son identité philosophique ou religieuse, la rencontre avec d’autres univers convictionnels, l’acquisition d’une autonomie de jugement et la pratique d’une pensée libre », son programme préconisait plutôt le développement du tronc commun dans le cadre de l’organisation existante, tout en souhaitant « définir les titres requis pour l’enseignement des cours philosophiques tenant néanmoins pour acquis la situation actuelle des membres du personnel nommé ou porteur du titre requis »95.
41Craignant pour l’avenir des cours de religion, les organes chefs de culte ont publié le 21 mai un mémorandum adressé au monde politique96, pour réaffirmer l’importance de l’organisation des cours philosophiques héritée du Pacte scolaire et souligner l’évolution réalisée en matière de programmes avec l’élaboration d’un référentiel commun : « ces cours [de religion] sont sans commune mesure avec des démarches de catéchèse ou des programmes d’endoctrinement, comme d’aucuns le laissent entendre en toute ignorance du contenu et de la méthodologie de ces cours. Bien au contraire, ils visent à renforcer l’esprit critique et la liberté de choix des élèves et collaborent ainsi, avec les autres cours, à en faire des citoyens responsables ». Constatant la volonté de réforme affichée dans les programmes des différents partis, les chefs de culte ont appelé le futur gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles à inscrire dans sa déclaration de politique communautaire « la création d’une commission chargée d’envisager l’évolution et l’avenir des cours philosophiques avec une vision globale de l’ensemble des enjeux et modalités ».
42Les réponses des partis politiques ont été répercutées, au nom de tous les chefs de culte, par l’évêque de Tournai, Guy Harpigny, qui estima qu’à leur lecture on pouvait espérer que des projets de réforme ne seraient pas inscrits dans le programme gouvernemental sans consultations préalables97. Si seul le CDH avait estimé indispensable que les chefs de cultes soient pleinement associés à la réflexion, tant Écolo, le MR que le PS défendaient la mise en place d’une concertation.
43Il est ainsi apparu qu’on assistait à une remise en place du clivage philosophique traditionnel autour de cette question, le monde laïque s’étant globalement rallié à la perspective d’une réforme qui toucherait également les cours de morale, tandis que l’ensemble des autorités des cultes reconnus défend le système actuel. Néanmoins, le gouvernement mis en place le 22 juillet 2014 a trouvé un accord à propos d’une réforme. La coalition composé des partis PS et CDH a prévu le remplacement progressif d’une des deux heures de cours hebdomadaires de religion et de morale par un cours de citoyenneté : « Le Gouvernement instaurera sous cette législature, dans les écoles de l’enseignement officiel, progressivement à partir de la première primaire, un cours commun d’éducation à la citoyenneté, dans le respect des principes de la neutralité, en lieu et place d’une heure de cours confessionnel ou de morale laïque. Ce cours sera doté de référentiels spécifiques, incluant un apprentissage des valeurs démocratiques, des valeurs des droits de l’Homme, des valeurs du vivre-ensemble et une approche historique des philosophies des religions et de la pensée laïque »98. À ce stade, il n’est donc pas envisagé d’introduire ce cours dans les écoles du réseau libre, qui scolarisent environ la moitié des élèves en Communauté française.
44Cependant, dans les semaines qui ont suivi les attentats terroristes commis à Paris le 7 janvier 2015, le débat autour de la réforme des cours de religion et de morale a repris vigueur. L’introduction d’un cours de citoyenneté et/ou d’histoire des religions est désormais vue par beaucoup comme un instrument important dans la lutte contre le radicalisme et la sauvegarde d’un vivre ensemble de qualité. On ne peut donc exclure qu’un accord politique se conclue pour aller au-delà de ce qui est prévu dans le programme du gouvernement.
Notes de bas de page
46 Car la liberté d’enseignement consacrée est alors celle d’enseigner : il s’agit d’un rejet tant du monopole de l’État que de celui de l’Église, et donc de l’instauration d’une situation de concurrence. M. El Berhoumi, Le régime juridique de la liberté d’enseignement à l’épreuve des politiques scolaires, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 49.
47 Sur la genèse du Pacte scolaire, voir J. Tyssens, Guerre et paix scolaires 1950-1958, Bruxelles, De Boeck Université, 1997.
48 Il s’agit de l’ancien article 17 modifié. Les articles de la Constitution ont été renumérotés en 1994.
49 D. Cush, « Without fear or favour : forty years of non-confessional and multi-faith religious education in Scandinavia and the UK » in L. Franken & P. Loobuyck (ed.), Religious education in a plural, secularized society. A paradigm shift, Münster, Waxmann, 2011, pp. 69-84.
50 M. Estivaèzes, « L’approche culturelle des religions dans le programme et les manuels d’éthique et culture religieuse au Québec » dans J. -P. Willaime (dir.), Le défi de l’enseignement des faits religieux à l’école. Réponses européennes et québécoises, Paris, Riveneuve, 2014, pp. 191-206.
51 E. Brebant, J. -P. Schreiber & C. Vanderpelen-Diagre, Les religions et la laïcité en Belgique ; Rapport 2012. ULB, Observatoire des religions et de la laïcité (ORELA), p. 75.
52 C. Sägesser, Cultes et laïcité. Dossier du Crisp n° 78, Bruxelles, 2011, p. 73. Les données pour 1977 et 1996 sont tirées des statistiques de la conférence épiscopale ; pour les données 2007, Sarah Botterman, Marc Hooghe, Religieuze praktijk in België 2007. Een statistische analyse. Rapport ten behoeve van de Belgische Bisschoppenconferentie, 2009 ; pour les données 2009, Nele Havermans et Marc Hooghe, Kerkpraktijk in België : Resultaten van de zondagstelling in oktober 2009. Rapport ten behoeve van de Belgische Bisschoppenconferentie, 2011.
53 Chiffres pour l’année 2013-2014. Calculs propres sur base des renseignements fournis par l'administration générale de l'enseignement et de la recherche scientifique (AGERS) de la Communauté française de Belgique.
54 Voir la contribution de Patrick Loobuyck au présent volume.
550 Seule une école catholique primaire située à Cheratte, en province de Liège, bénéficie depuis les années 1970 d’une dérogation lui permettant d’organiser un cours de religion islamique. Si le directeur général du SEGEC (Secrétariat général de l’Enseignement catholique en Communautés française et germanophone de Belgique), Étienne Michel, a exprimé son intérêt pour une extension de cette pratique (La Libre Belgique, 22 octobre 2012), la ministre de l’enseignement, Marie-Martine Schyns (CDH), a exclu de changer la législation qui interdit aux écoles catholiques d’organiser un autre cours que celui de religion catholique (Parlement de la Communauté française, Commission de l’Éducation, Compte-rendu intégral, 15 octobre 2013, p. 3).
561 On entend ici par « organisations laïques » les organisations se référant à la Libre pensée et défendant la séparation de l’Église et de l’État, volontiers anticléricales, qui sont nées de la réaction à l’omnipotence de l’Église catholique. Cette acception du mot « laïque », très fréquente en Belgique, peut être déconcertante pour l’observateur extérieur.
572 Loi du 21 juin 2002 relative au Conseil central des Communautés philosophiques non confessionnelles de Belgique, aux délégués et aux établissements chargés de la gestion des intérêts matériels et financiers des communautés philosophiques non confessionnelles reconnues, Moniteur Belge, 21 juin 2002.
583 Il n’en va pas de même en Communauté flamande où le cours de morale est géré par une asbl, le Raad voor inspectie en begeleiding niet-confessionele zedenleer (RIBZ), et est bien centré sur l’humanisme laïque, ce qui a obligé les autorités à prévoir une dispense possible de tout enseignement de la morale ou de la religion pour celui qui ne se retrouve dans aucun des choix proposés.
594 Voir sur ce point les contributions juridiques au présent volume.
605 Chiffres pour l’année 2013-2014. Calculs propres sur base des renseignements fournis par l'administration générale de l'enseignement et de la recherche scientifique (AGERS) de la Communauté française de Belgique. Pour les statistiques concernant la Communauté flamande, se référer à la contribution de P. Loobuyck au présent volume.
61 Les questions posées par l’organisation des cours de religion et de morale ont déjà été exposées dans C. Sägesser, « Les cours de religion et de morale dans l’enseignement obligatoire », dans Courrier hebdomadaire du Crisp, 2012, n° 2140-2141.
62 Article 39 du décret du 13 juillet 1998 portant organisation de l’enseignement maternel et primaire ordinaire et modifiant la réglementation de l’enseignement, Moniteur belge, 28 août 1998.
63 Les présidents du CAL, de la FAPEO, de la Ligue de l’enseignement et de la Fédération des amis de la morale laïque dénoncèrent l’impact du décret dans une carte blanche : « L’école publique victime du décret », le Soir, 22 décembre 1998. Les représentants des différents cultes et la CSC-Enseignement constituèrent un « front commun confessionnel » pour protester contre le décret. « Une riposte pour sauver les cours philosophiques », dans La Libre Belgique, 22 décembre 1998.
64 Les autres pays de l’UE qui organisent différents cours de religion imposent généralement un nombre minimal d’élèves inscrits dans le même établissement pour l’ouvrir.
65 C. Sägesser, « Les cours de religion et de morale dans l’enseignement obligatoire », Crisp, 2012, op. cit., p. 40.
66 « Morale et religion pour tous », Le Soir, 18 janvier 2012 ; « Un tronc commun aux cours philosophiques ? », La Libre Belgique, 18 janvier 2012.
67 En Communauté germanophone, un projet de décret imposant aux chefs de culte de communiquer au gouvernement les plans d’étude et précisant que ces derniers ne pouvaient être en contradiction avec le projet social de l’enseignement a été jugé par le Conseil d’État comme constituant une ingérence inacceptable dans le domaine spirituel des cultes.
68 « Les cours de religion sortent de l’obscurantisme », titra même le quotidien de tendance catholique Vers L’Avenir, 17 mai 2013. « Une vraie révolution au cours de religion » estima le groupe Sud Presse dont les journaux consacrèrent de pleines pages à l’événement. Cf. l’article de S. Minette, « Révolution aux cours de religion(s) » http://belgianlawreligion.unblog.fr/2013/06/12/revolution-aux-cours-de-religions [consulté le 3 juin 2014].
69 Les référentiels ne sont apparemment pas diffusés par l’administration : on les cherchera en vain sur le site de l’Agers (http://www.wallonie-bruxelles-enseignement.be– consulté le 22 mai 2014) où l’on trouve toujours les anciens programmes de religion catholique et de religion protestante (adopté en 2001 pour le cours de religion catholique, en 2007 pour le cours de religion protestante). Aucun programme n’est disponible pour les cours de religion islamique, orthodoxe et israélite. Cependant, les référentiels sont disponibles notamment sur le site personnel de l’inspecteur des cours de religion protestante Guy Rainotte : http://www.rainotte.net/enseignement/referentiels.html [consulté le 3 juin 2014].
70 Voir la contribution de Patrick Loobuyck au présent volume pour un aperçu du débat en Communauté flamande.
71 Communiqué du 14 décembre 2000.
72 Ce rapport ainsi qu’un résumé des débats parlementaires qui l’ont suivi ont été publiés dans La philosophie à l’école, Bruxelles, Luc Pire, 2001.
73 « Une pétition œcuménique », La Libre Belgique, 15 juin 2001.
74 Déclaration de politique communautaire 2004-2009, Parlement de la Communauté française, CRI No 3 (SE 2004), p. 21.
75 Décret du 3 juin 2005 créant le Conseil consultatif supérieur des cours philosophiques, Moniteur belge, 29 juillet 2005.
76 Article 2, alinéa 6° du décret du 3 juin 2005.
77 Proposition de décret du 28 septembre 2009 introduisant un cours de philosophie et d’histoire culturelle des religions dans le programme du troisième degré de l’enseignement secondaire déposée par R. Miller, F. Reuter, G. Mouyard et F. Bertiaux. Parlement de la Communauté française, Doc. parl. n° 25-1 (2009-2010).
78 Avis du Conseil consultatif supérieur des cours philosophiques sur la proposition de décret introduisant un cours de philosophie et d’histoire culturelle des religions dans le programme du troisième degré de l’enseignement secondaire.
79 Rapport final des Assises de l’Interculturalité, 2010, p. 41.
80 Le CEDEP regroupe les douze associations suivantes : Association des directeurs de l’enseignement officiel (ADEO), Association des enseignants socialistes de la Communauté française de Belgique (AESF), Association des professeurs issus de l’ULB (APrBr), Centrale générale des services publics (CGSP-Enseignement), Centre d’action laïque (CAL), Centre d’études Charles Rogier (CECR), Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA), Conseil des pouvoirs organisateurs de l’enseignement officiel neutre subventionné (CPEONS), Fédération des amis de la morale laïque (FAML), Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel (FAPEO), Ligue de l’enseignement et de l’éducation permanente (LEEP), Syndicat libre de la fonction publique (SLFP-Enseignement).
81 CEDEP, Pour la suppression du caractère obligatoire des cours dits « philosophiques » et le renforcement de la formation citoyenne destinée à tous les élèves, communiqué, 24 avril 2012.
82 CEDEP, Propositions d’un cours commun : éducation philosophique, éthique et citoyenne, 18 avril 2013, http://www.cedep.be/downloads/Courscommun2.pdf [consulté le 3 juin 2014].
83 Mémorandum. Les Propositions du CAL pour 2014. http://memorandum.laicite.be/pages/11 [page consultée le 27 mai 2014].
84 M. Uyttendaele, Liberté, neutralité, impossibilité. Intervention devant la commission de l’Éducation du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur le caractère obligatoire des cours de morale et de religion et sur la création d’un cours de philosophie et d’histoire culturelle des religions, audition du 12 mars 2013, pp. 10-15.
85 Voir X. Delgrange, Les cours de philosophie et la Constitution - Éléments de réflexion à propos du Rapport introductif portant sur « l'introduction de davantage de philosophie dans l'enseignement, que ce soit à court ou à long terme » déposé par Mme Wynants. [septembre 2001]. http://centres.fusl.ac.be/CIRC/document/Cahier1/Delgrange.pdf [consulté le 3 juin 2014].
86 Recommandation n° 1396 du 27 janvier 1999.
87 Recommandation n° 1720 du 4 octobre 2005.
88 R. Jackson, Rethinking Religious Education and Plurality : Issues in Diversity and Pedagogy, London, 2004.
89 S. Desponds, Ch. Fawer-Caputo, A. Rota, « L’évolution des manuels pour l’enseignement religieux en Suisse. Analyses sociohistoriques, didactiques et pragmatiques », dans J.-P. Willaime (dir.), Le défi de l’enseignement des faits religieux à l’école. Réponses européennes et québécoises, Paris, Riveneuve, 2014, pp. 83-102.
90 Programme Écolo 2014, Jeunesse, éducation et culture, p. 24 : « Instaurer des cours philosophiques pour former les citoyens du 21e siècle. »
91 Programme PS 2014, Cultes, p. 396.
92 Programme FDF 2014. Proposition B3. 36 : Instaurer des cours de philosophie et de citoyenneté.
93 Programme MR 2014, p. 106 : Développer la citoyenneté et transmettre des valeurs.
94 Idem, p. 473 : Les dangers du repli communautariste.
95 Programme CDH 2014, Proposition 49 : Développer un tronc commun pour tous les cours philosophiques.
96 Texte intégral du mémorandum disponible sur le site http://info.catho.be/2014/05/21/lesrepresentants-des-cours-de-religion-interpellent-le-monde-politique/ [page consultée le 27 mai 2014].
97 Communiqué de presse : Prises de position de partis politiques par rapport au mémorandum des cours de religion. http://www.catho-bruxelles.be/IMG/pdf/communique_de_presse_reactionsmemorandum21mai2014.pdf [page consultée le 27 mai 2014].
98 « Fédérer pour réussir », Accord de gouvernement FWB 2014-2019, p. 10.
Auteur
Docteure en histoire de l’Université libre de Bruxelles. Elle a été chargée de recherches au Centre de recherche et d’information socio-politiques - CRISP de 1998 à 2009 et elle y a publié différentes études relatives au statut des cultes et de la laïcité. Spécialiste du financement public des cultes, elle est actuellement chercheuse à l’Observatoire des religions et de la laïcité (Orela) du Centre interdisciplinaire d'étude des religions et de la laïcité (CIERL) de l’ULB
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