La conversion à l’épreuve de l’Islam
p. 85-112
Texte intégral
1Les convertis à la foi musulmane font face à des re-conceptions personnelles du monde, à des fabrications identitaires négociées et à des pénétrations au sein de cultures et de réseaux sociaux musulmans nouveaux. Ainsi, le choix assumé et revendiqué par le « nouveau musulman » offre un terreau d’analyse d’où s’observent des remises en questions fondamentales des trajectoires de vie1.
2La conversion à l’islam suscite un intérêt scientifique à partir de diverses entrées disciplinaires2 et de nombreuses questions sur le plan individuel et le plan social émergent. Y sont essentiellement interrogées les motivations du changement d’orientation philosophique ou religieuse, les statuts au sein de la famille d’origine ou de la communauté locale de foi, mais également la visibilité en Belgique. Les convertis ne sont pas isolés du reste de la communauté musulmane, bien qu’il existe des associations belges de convertis se consacrant à diverses activités culturelles et cultuelles et limitées à la « communauté convertie ». Les nouveaux musulmans sont au cœur de la fabrication d’un islam belge en mouvement. L’histoire de quelques figures musulmanes en Belgique témoigne de cas emblématiques et significatifs. On a vu se distinguer un trio de convertis au début du processus de l’institutionnalisation de l’islam en Belgique. Ils y ont joués un rôle majeur. C’est l’un d’eux qui a d’ailleurs été choisi pour commenter, à la télévision officielle, la cérémonie d’adieu faite à Loubna Benaïssa, victime d’un crime « pédophage » à la fin des années 1990. Un des fondateurs et responsable du scoutisme musulman et l’un des responsables du centre islamique de Verviers (CECIV) comptent aussi parmi les convertis. Les exemples abondent, qui marquent d’emblée une présence légitimée en communauté et qui s’opère en « co-inclusion » (Dassetto, 1996 ; De Changy, Dassetto, Maréchal, 2007). Au vu de nos résultats d’enquête3, le parcours des convertis ne semble pourtant pas s’être construit comme un long fleuve tranquille. Les passages d’un univers de référence à un autre provoquent des ruptures et, a posteriori, de nécessaires reconstructions de soi. L’appréhension du mécanisme intra-individuel constitue un objet d’étude complexe en soi, d’autant plus qu’il est marqué par quelques épiphénomènes extrêmes, médiatiques4 : une jeune femme carolorégienne convertie devient une bombe humaine en Irak5, un Bruxellois tire une liste électorale au sein d’un « parti islamique », un autre se fait arrêter pour ses proximités supposées avec des réseaux terroristes, etc. Si la plupart de ces cas ne représentent ni ne stigmatisent les convertis, ils imposent une présence visible particulière, aussi saillante qu’insoupçonnée jusqu’à la fin des années 1990. Notons que les premières conversions accompagnent l’installation de main-d’œuvre étrangère issue des pays musulmans en Belgique dès les origines ; celles-ci remontent aux années 1970. Il convient de préciser que les convertis ne sont pas marqués par des parcours monolithiques, mais mettent en lumière une diversité d’expériences personnelles que l’on peut cerner à partir du concept d’« habitus », développé par P. Bourdieu (1992). L’analyse des conversions demande donc la prise en compte de la complexité des parcours individuels avant la conversion, qui se densifie encore par le parcours de vie dans la communauté musulmane belge. C’est la fabrication de la cohérence d’un parcours au travers de la « double-vie » des convertis qui donne à la notion d’habitus toute sa pertinence.
3La question de la démarche reste toutefois posée. En effet, dépasser la simple curiosité intellectuelle pour se convertir de cœur ouvre des pistes interprétatives portant sur « l’intérêt » ou le « besoin » d’islam de ces individus. Les entretiens avec les convertis belges, majoritairement bruxellois, illustrent bien les spécificités des conversions à l’islam. Nous nous intéressons surtout aux choix individuels (motivations, parcours) et aux relations interpersonnelles (communauté musulmane, famille d’origine, contacts amicaux, de collègues, relations maritales) pour tenter de conceptualiser les tendances et transitions qui s’opèrent à l’intérieur de la vie du converti. Car comprendre le phénomène contemporain de la conversion, c’est en partie contribuer à en expliquer le processus. La transformation de la qualité de vie du néo-musulman a été, en effet, une des caractéristiques les plus intéressantes à observer. Des Belges convertis, que nous avons croisés, portaient, par exemple, un discours conservateur sur l’islam et manifestaient une rigueur évidente dans une pratique généreuse. Le temps faisant, ces mêmes personnes étaient amenées à dire et à vivre un autre islam. La trajectoire du converti semblait en développement constant et la fixité des points de vue et des relations une simple illusion. Il s’agissait là de conversions renouvelées au sein même du parcours de la conversion. Aussi, notre curiosité pour ces way-of-life particuliers a-t-il construit un objet aussi stimulant que difficile à appréhender. Cette difficulté se rajoute au chamboulement que suscite l’islam dans les aspects de la culture et de la pratique religieuse6. La question de fond consistait à aller vers la qualité de ces transformations internes et à en extirper une typologie des tendances, à partir des motivations notamment.
4Notre principale hypothèse est que la conversion à l’islam se pose dans un cycle où la personne passe par cinq étapes essentielles, variables en fonction des motivations de départ, allant d’une « Mythification » entrainant une rupture, à une « Désillusion » provoquant désenchantement et isolement ; pour ensuite aller vers une « Réconciliation » avec soi, une « Réappropriation de soi » et enfin aboutir à ce que nous qualifions de « Prêt-à-porter islamique ».
1. Cadrage terminologique
5Le terme de conversion est d’emblée évolutif et polysémique. Au niveau étymologique, il avance d’abord l’idée d’un retour sur ses pas (du grec epistrophe et du latin conversio). Cette acception connotée a ensuite été remplacée par une définition positive, où la transformation prédomine. On parle ainsi de changements d’attitude en faveur des valeurs ancestrales. La définition finira par signifier l’évolution d’un choix de système de pensée vers un autre. Ainsi, l’acte de la conversion est vu comme un mouvement progressif, fait de retours en arrière et de ruptures innovantes (Dumézil, 2005, pp. 10-14).
6Le passage en revue des dictionnaires classiques de la langue française précise l’idée d’un changement sur le plan spirituel. Avec H. J. Fisher, la notion de conversion s’entend comme un passage d’une conviction à une autre, et qui conduit à adopter une religion ou une religion autre (Fisher, 1973). Ce passage s’opère avec ou sans rituel de passage. Une seconde forme avancée par H. J. Fisher est que le converti échange son indifférence pour une ferveur au sein d’une foi (Fischer, 1973, p. 27). Deux autres éléments sont proposés par le sociologue A. D. Nock (1933) : la prise de conscience d’un changement majeur ainsi que le sentiment de l’erreur, dans le rapport à l’« ancien », et la validité du « nouveau » qui domine alors dans le chef du converti. Dans l’angle de la perception, on trouve aussi les travaux de M. Heinrich, pour qui la conversion transforme l’identité profonde du converti et modifie son rapport à la réalité du monde (Heinrich, 1977, pp. 653-680). L.-R. Rambo, lui, comprend la conversion comme une valorisation de la perception personnelle du converti (Rambo, 2003, pp. 211-222).
7En donnant la parole aux concernés, on se rend vite compte que beaucoup charrient les définitions et qu’ils préfèrent s’auto-définir plutôt que de s’accaparer en l’état l’une ou l’autre définition. Nos enquêtés ont quasiment tous opté systématiquement pour la réappropriation du sens de la conversion. Anaïs nous confiait par exemple : « J’ai un problème avec le terme converti, qui est erroné. Je parlerai plutôt de retour à l’essence propre, que vit tant une personne en quête de sens qu’un musulman non pratiquant ». Quant à Delphine, elle élargissait le champ de la conversion aux musulmans eux-mêmes car la démarche de conversion concernerait, selon elle, certains musulmans de naissance : « J’ai des amis qui viennent de familles musulmanes et qui tentent d’approcher l’islam comme le ferait un reconverti ». Il nous est fait là mention du terme de « reconversion » plutôt que celui, plus usuel, de conversion. La distinction par le préfixe est ici fondamentale et renvoie à toute la pensée conceptuelle de l’humain en islam7.
2. Ritualisations à la musulmane
2.1. Ritualisation de foi : de l’oralité à l’officialisation administrative
8Les sources scripturaires musulmanes nourrissant la jurisprudence islamique ont été très précises pour ce qui relève des adorations et des aspects liés à la foi et à la pratique. Le moment de la conversion à été codifié par des rituels correspondant à la dimension intime et symbolique mais aussi au volet pratique et administratif. Le converti est ainsi invité, au moment de traduire son choix de cœur ou son intérêt de manière partagée, à procéder à un lavage corporel purificateur de tout le corps (al-Ghusl)8. Une fois la prise de conscience de l’engagement acceptée, l’intéressé formule, dans la langue qui lui convient, puis en langue arabe : « J’atteste qu’il n’y a nulle autre divinité sinon Dieu et que Muhammad est le messager de Dieu »9. Une dernière étape consiste à suivre la recommandation de la pratique de la circoncision pour les hommes. Toutefois elle n’est pas obligatoire et ne concerne certainement pas les hommes d’un certain âge. Notons que la démarche de la conversion prononcée se fait devant des témoins, avant d’être actée par les instances musulmanes. Le converti peut ainsi entamer une procédure administrative auprès du Centre islamique et culturel de Belgique (à Bruxelles) ou auprès du département de l’organe chef de culte des musulmans (Exécutif des Musulmans de Belgique, EMB) qui s’occupe des conversions. Cette procédure administrative permet au converti d’accéder à une attestation de conversion qui lui servira en cas de mariage avec un(e) musulman(e) ou pour l’organisation des rites funéraires selon les préceptes islamiques (lavage, linceul, orientation de la tombe, prière funéraire,…). Elle peut aussi s’avérer utile pour un pèlerinage aux lieux saints de l’islam (la Mecque et Médine), considérés comme des lieux sacrés et interdits d’accès pour les non musulmans par les instances politiques saoudiennes.
9C’est par le biais de cette régularisation que l’on recense les conversions en Belgique. Dans une enquête générale datant d’août 2008, l’hebdomadaire Le Vif l’Express soulignait que le nombre de convertis à l’islam avait tendance à diminuer en Belgique10. Mais les références administratives sur lesquelles se basent les statistiques restent aléatoires. Elles proviennent principalement de l’Exécutif des Musulmans de Belgique et du Centre islamique et culturel de Belgique et comprennent les conversions spontanées et volontaristes. Les chiffres avancés semblent inférieurs à la réalité car les témoignages évoquent la réticence à déclarer la conversion et le choix du silence de peur d’être jugé par la famille ou le milieu professionnel. Une des membres de l’Exécutif des Musulmans de Belgique, elle-même convertie, affirme que la réticence est surtout forte chez les hommes. Les femmes qui décident de porter le foulard rencontrent plus de difficulté à cacher le changement.
2.2. Ritualisation culturelle : le changement du prénom
10L’écrasante majorité des personnes questionnées a changé son prénom11. Elles sont passées par un processus d’islamisation, de traduction ou d’arabisation de leur prénom de naissance12. En effet, aucune des personnes n’a adopté un prénom musulman typiquement sénégalais ou turc. La plupart font référence à des prénoms classiques du Prophète de l’islam, de ses épouses et de ceux des compagnons hommes et femmes13.
11La perception du changement de prénom est vécue comme une renaissance de soi : « C’est comme une deuxième chance, une possibilité d’écrire soi-même son histoire et de décider de la direction que l’on veut prendre dans la vie » affirme l’un d’entre eux. Le sentiment de changement radical prend surtout sens en début de l’entrée dans l’islam. Il est vu comme un accélérateur de l’acceptation par la communauté de foi d’accueil. À ce propos, une convertie qui a fini par changer son prénom démontre l’ambivalence du choix des prénoms en fonction des auditoires :
Changer de prénom est très fort au début de la conversion. Une fois que l’on se sent reconnue en tant que convertie, intégrée dans ce nouvel univers et que l’on y a pris sa place, cela revêt une moindre importance, même si dans mon cas, j’aime être appelée par mon prénom « musulman » par les musulmans et par mon prénom d’origine par les personnes non musulmanes, c’est ma double personnalité et j’en suis fière.
12Le choix d’utiliser l’un ou l’autre prénom concerne un partage identitaire en fonction des univers de reconnaissance naturelle et d’adoption14. En questionnant la potentialité des pressions sociales et culturelles que pourrait exercer implicitement l’entourage musulman d’accueil sur le changement du prénom, beaucoup affirment que cela relève plus d’une proposition que d’une imposition, même si la proposition peut parfois s’imposer comme évidence. Cécile se confie dans ce sens :
[…] Je n’ai jamais voulu le faire (changer de prénom). Parce que, tu vois, directement, quand j’ai senti que mon ex belle-famille voulait que je devienne plus marocaine que musulmane, tout ça, j’ai arrêté très vite. Donc, en fait, j’avais un prénom « Nour » que mon prof d’arabe m’avait donné, mais moi, je n’aimais pas du tout le fait de changer de prénom.
3. Islam de choix – Motivations individuelles et circonstances des réalités personnelles
13Les motivations qui poussent une personne à la conversion sont multiples15. Une seule personne peut en convoquer plusieurs et les circonstances de la conversion donnent lieu à des vécus plus individualisés. Une personne explique que, dans sa quête, l’islam a été la religion qui a le plus correspondu à ses attentes. Les circonstances sont ici d’ordre intellectuel, affaires de recherches personnelles. Deux autres personnes précisent aussi que c’est par la réflexion et l’analyse comparée entre la religion de provenance et l’islam que le choix s’est fait. L’une confie que c’est à partir d’une recherche théologique ardue qu’elle est parvenue à se convertir. Des voyages dans un pays musulman ou l’amour pour un musulman sont également évoqués. À ce propos, notons que le nombre de conversions administratives en vue d’un mariage avec un(e) conjoint(e) musulman(e) a grippé le mécanisme de reconnaissance de la conversion. Cette réalité de « fausse conversion » a en effet poussé le Centre islamique et culturel de Belgique à imposer une formation de plusieurs mois en religion islamique, avant de délivrer l’attestation, pour dissuader ceux qui seraient uniquement intéressés par l’option maritale.
14Les motivations s’axent aussi sur l’ordre du rationnel ou de l’émotionnel. Le sociologue Stefano Allievi a d’ailleurs proposé une classification spécifique répartie entre les types de conversions rationnelles et relationnelles. Pour lui, les premières sont causées par une recherche de sens. Celles-ci peuvent être intellectuelles, déterminées par une vocation politique ou encore mystique. En ce qui concerne les conversions relationnelles, Allievi identifie celles dites instrumentales (en vue d’un mariage ou pour des affaires) et les non-instrumentales (Allievi, 1998, pp. 94-97). Dans ce cas précis, le converti n’abandonne pas sa culture et accepte la culture nouvelle sans de réelles entraves. Cette dernière est, pour lui, insignifiante et les entrées dans l’islam sont alors des conversions opportunes, des choix stratégiques en somme (Allievi, 1998, p. 98). D’autres sociologues, comme Lofland et Skonovd, identifient six types de conversions. Il y a les conversions intellectuelles, les mystiques, les expérimentales, les affectives, les revivalistes et les coercitives (Lofland, Skonovd, 1981, pp. 373-385).
15Les études de Buxant et Saroglou sur les conversions relient les motifs d’attraction à une réponse aux besoins socio-affectifs et cognitifs. Ils font référence à la théorie de Maslow (1970) qui hiérarchise cinq types de besoins dits conatifs : physiologiques, sécuritaires, d’amour et d’appartenance, d’estime de soi et d’actualisation de soi ou cognitifs : besoin de savoir et de comprendre16. Des témoignages reflètent cette logique qui lie divers besoins :
Le constat que, pourtant croyante et assez pratiquante en tant que chrétienne, ma foi ne correspondait pas à la foi qui était constitutive de ma religion. Une remise en question donc et un questionnement sur l’essence de l’islam : est-ce la religion de la terreur ou celle de l’amour et du respect ? Le constat que l’islam me correspondait et que son universalité ainsi que la reconnaissance des différents prophètes et messagers étaient ce en quoi j’avais cru, depuis toujours. Tout cela, c’est le rationnel. Il y a ensuite toute la question de l’intériorité et du cœur. C’est l’écoute de ce que me disait mon cœur qui m’a donné les larmes aux yeux et m’a aidé à prendre la décision. Tout n’est pas rationalisable. Le sens profond peut simplement se révéler à l’être, sans que les mots soient suffisants. Ressentir un amour infini n’est pas descriptible.
16La cartographie d’ensemble des motivations, posée à partir du besoin de comblement, fait écho, de façon assez évidente, à notre terrain :
[…] je recevais aussi l’illusion d’amour et d’acceptation de mes parents. Quelque part, je crois que j’ai testé leur amour inconditionnel, en mettant, comme ça, le voile, en me convertissant. Puisqu’ils m’acceptaient comme j’étais, j’avais cette illusion que j’étais aimée pour ce que j’étais. Alors qu’il n’en était rien. Mais j’avais cette illusion, j’y croyais. Et ça aussi, ça me nourrissait, si tu veux.
17Buxant et Saroglou démontrent à partir de la littérature en psychologie des religions que la religion peut jouer le rôle de base et de refuge sécurisants. Ils expliquent que, par la relation à Dieu ou à un autre agent supranaturel, les croyants cherchent un refuge, une réponse au besoin d’attachement, fondé sur l’existence d’un lien entre la mère et l’enfant. La recherche d’un sentiment de confiance de base, sécurisant, nécessaire – surtout en situation de menace –, comparable à l’attachement romantique au partenaire, focalise toute l’intention (Buxant, Saroglu, 2009, pp. 76-77). Cette même interlocutrice précitée, par exemple, met ainsi en avant que plusieurs facteurs coexistent. Comme elle en témoigne : « […] j’ai aussi pu remarquer que la communauté musulmane m’a attirée parce que je recevais beaucoup de reconnaissance. C’était un peu comme une famille d’accueil ».
18Géraldine Mossière explique en ce sens que la conversion peut être une source de valorisation sociale et personnelle. Elle est créatrice de lien social car elle implique l’appartenance à un groupe structuré, hiérarchisé (Mossière, 2007, p. 17). L’individu se sent sécurisé car il est pris en charge. Le sens de l’Umma, communauté, prend alors toute sa valeur17.
19La conversion est certes une intégration à un groupe par besoin mais elle est aussi impulsée par une prise en charge des individus par une famille musulmane :
À la demande de ma maman, mon éducation a été reprise par une vraie (dans tous les sens du mot) deuxième maman Marocaine, Fatima de Berkane, cette ville que j’ai très vite aimée et que je porte dans mon cœur. Elle ne m’a jamais parlé de l’Islam, jamais cité de références coraniques mais elle a agi, elle m’a montré et elle m’appris les valeurs musulmanes ainsi que les traditions marocaines avec son amour, une petite Harira (soupe) pendant un Ramadan, un encouragement lors de mon premier essai de participation au Ramadan pour comprendre, sentir…, le sens la famille, la notion de respect, l’importance de l’endurance lorsqu’on souhaite réaliser ses rêves,… Elle a assuré la continuité de ce que ma propre mère m’a enseigné, elle m’a gâtée comme si j’étais sa propre fille.
20On retrouve au travers de cette prise en charge la dimension relationnelle mère-fille mentionnée plus haut.
21Pour élargir le panel des motivations, on retrouve le profil d’Élise, qui avance la circonstance de la venue à l’islam à partir d’une profonde remise en question au lendemain d’un choc émotionnel lié à un décès :
C’est en 1995 (j’avais 17ans), après le décès de ma mère que j’ai commencé à me poser des questions essentialistes telles que : Quel est notre mission sur cette terre ? Pourquoi sommes-nous ici ? Pourquoi la mort nous sépare de nos êtres chers ? Qui est Dieu ? Quel est le sens d’aller à l’église alors que je ne ressens aucun apaisement ou d’aucune façon la présence de Dieu…
22Cet aspect des choses permet à l’individu de favoriser le maintien de la stabilité émotionnelle. La peur de la mort est un réel stimulant. Dieu, figure d’attachement idéale, théologiquement considéré comme une présence infaillible, est très présent dans le rôle compensatoire, en particulier lors des situations de détresse socio-affective. On retrouve cette présence dans les conversions dites soudaines (Buxant, Saroglu, Scheuer, 2009, pp. 47-58).
23Outre les fragilités affectives, les études empiriques montrent donc, dans la population religieuse étudiée, une très large ouverture à l’expérience ainsi qu’au questionnement religieux (Buxant, Saroglu, Scheuer, 2009, pp. 83-87). Les modes d’entrée en islam se déterminent par des contextes, mais aussi par des circonstances précises qui favorisent l’entrée dans la religion. Une conversion peut, par exemple, être la conséquence d’un sentiment de rejet de sa communauté d’origine. Un des participants bruxellois à notre enquête parle ainsi assez crument, et avec une verve engagée, des raisons de sa conversion, motivées par une recherche d’authenticité et de sens… :
Je ne me suis pas converti parce que quelqu’un m’a indiqué la route, je me suis converti par l’exemple des autres et parce que j’étais moi-même en recherche. Étant rejeté par l’église catholique puisque j’avais divorcé. Je suis croyant, pratiquant, et à l’époque, j’ai perdu mon emploi. J’étais professeur, j’ai perdu mon emploi parce que j’étais dans l’enseignement catholique. Un divorcé dans l’enseignement catholique, dans le temps, ce n’était pas vivable. Maintenant, on a des pédés, on a de tout. Donc, ils ne respectent même plus leur religion. Voilà18.
24Nous pourrions qualifier les motivations globales de notre échantillon comme une réponse à l’insatisfaction par une quête de l’optimal. En effet, les raisons principales que nous dégageons sont la recherche spirituelle ou la rupture avec un enseignement théologique de base. Beaucoup ont fait mention du terme « spirituel », de « recherche de pureté », « de transcendance », ou parfois de « manque de repères », voire de « recherche de repères ».
25Pour ce qui est de la critique de la religion « ancienne », le principal questionnement concerne la notion chrétienne de mystère et de la trinité. La comparaison est parfois moins explicite mais peut être sous-entendue, à l’instar de cette personne qui dit que : « L’islam correspondait le mieux à mes attentes en termes de crédo et d’ouverture sur une spiritualité et une ascèse permettant un échange direct entre Dieu et l’homme ».
4. Les tendances de la conversion et ses typologies
26Les trajectoires de la conversion s’opèrent par la césure et la transition. On passe d’un rapport à la pratique à un autre, d’un discours à un autre, d’une conception du monde à une autre. Notre typologie distingue cinq moments dans les passages significatifs que traverse le converti. Nous notons les passages par la « mythification », la « désillusion », la « réconciliation », la « réappropriation de soi » et enfin le « prêt-à-porter islamique », qui correspond à du bricolage religieux19, même si ces phases varient en fonction des parcours, des motivations de départ et du temps.
4.1. « Mythification » entraînant une rupture
27Par l’aspect de « mythification », on entend la mobilisation d’un certain idéal-type musulman. Ce dernier sera exploité comme matrice de référence vivante pour l’éthique, la morale et la culture. Il est aussi un moment de la rupture saillante avec un passé et une immersion forte dans un champ nouveau. On parle alors d’entrée dans l’islam par la revivification d’une période de fascination, celle du moment coranique : l’objectif consiste à vivre en soi ce passé, dans son aspect originel du 7ème siècle et toujours culturellement en apesanteur par rapport au 21ème siècle. La vie du Prophète, des compagnons et le vécu des messagers antérieurs sont réveillés pour être revitalisés dans les pratiques quotidiennes. On veille, entre autres, à s’habiller selon l’exemple du prophète.
28C’est une phase où l’« idéalisation » domine, où, selon une personne convertie, il y a « peu d’esprit critique par rapport à ce qui m’était enseigné malgré ma formation d’assistante sociale ». À ce propos, une autre personne confirme encore que : « C’est tellement fort, ça te prend tellement les tripes, ça répond à des besoins tellement… presque archaïques, que tu arrives à te dépasser et à faire des choses et à accepter des choses, faire des choses importantes ».
29Le converti s’approprie aussi, d’entrée, un savoir livresque, de conférences et de causeries sur l’islam et tente d’en faire un vécu palpable dans l’immédiat. La quête de références religieuses s’accompagne, en parallèle, de la recherche d’un noyau relationnel. Pour une convertie :
Suivre ces cours de sciences islamiques, avec aussi l’intention de fermer le clapet à ma belle-famille, d’avoir aussi des arguments, en fait, des arguments théologiques, pouvoir leur dire « non, j’ai raison » et d’être dans ce jeu de « qui a raison, qui a tort »… je me suis dit : voilà, puisqu’ils viennent avec des arguments religieux, je vais m’armer en arguments religieux. Il y avait de ça. Aussi, pour me sentir plus forte et avoir aussi d’autres types de reconnaissance. Donc, là, avec du recul, je vois bien aussi toutes les intentions qui étaient loin d’être pieuses… Aussi, c’était la première année, c’était un groupe super solidaire, super soudé […]. Puis, toutes ces autres femmes étaient aussi en recherche donc on a partagé des moments très forts. Donc, ça aussi ça m’a beaucoup soutenue, ça m’a beaucoup nourrie et donc, ça a vraiment participé à mon émancipation, je dirais, et à mon évolution et ça m’a aussi permis de prendre la décision de quitter mon mari.
30Une informatrice affirme clairement son besoin initial de rupture auquel participent certains changements forts visibles dans le quotidien. Aujourd’hui en réconciliation avec ses différents univers d’appartenance, elle raconte :
Je pense que la rupture était indispensable pour pouvoir opérer un tel changement, je me suis totalement restructurée au plus profond de moi-même et reconstruite après un travail de déconstruction et d’élimination de tout ce que je ne voulais plus être. J’ai rompu avec tout mon univers culturel, familial, amical, j’ai changé de mode de vie, de mode de pensée, de comportement, de manière de parler, de type d’alimentation, de tenue vestimentaire, et j’ai été jusqu’à vouloir porter un autre prénom pour mieux m’identifier à ma nouvelle appartenance et à ma nouvelle vie.
31Notons que la rupture peut être enclenchée par une personne immergée dans la dimension « mythique », mais aussi par la famille des convertis elle-même. Une personne explique qu’elle a vécu une « exclusion et (une) marginalisation de la part des proches, de la famille, des amis, de l’entourage en général – (une) rigidité et (une) détermination de ma part pour sauvegarder ce qui m’était essentiel – perte de repères et recherche de nouveaux repères – sentiment de liberté et d’indépendance ». Cette situation constitue une source importante de conflits pour de nombreuses familles de convertis.
32Une convertie qualifie ces premières expériences à l’islam par la « naïveté et (le) déni des incohérences (au sein du groupe fréquenté, dans les discours et apprentissages…) ». L’état de « mythification » signifie celui de la malléabilité extrême du converti. C’est le moment de la certitude du choix spirituel et du doute sur l’intégration à réussir dans la communauté. Il dure de quelques mois à quelques années, selon l’entourage : nous remarquons que plus la communauté fréquentée est sensible à une approche littérale des textes et de repli identitaire, plus la durée dans la phase mythique s’allonge. Une dame confie que cette phase de mythification, dont elle est sortie marquée, est vécue comme un « réel engouement ». Mais il en ressort aussi un malaise : un « inconfort vis-à-vis des personnes non musulmanes que je fréquentais et ma famille (changement d’idée et de comportement) ». Ce type de débat interne au sein de foyer et les tensions que peuvent générer les nouvelles idées et habitudes entraînent des ruptures sommaires, avec des membres de la famille, voire des ruptures complètes face à un univers jugé éloigné de la vérité et de Dieu.
33La rupture est alors vue comme le moyen d’entamer une nouvelle vie et d’effacer ce qui n’a pas été estimé accompli, de se donner une nouvelle chance. L’essentialisation et la simplification deviennent prédominantes. Il importe de se trouver des repères stables, en ne complexifiant pas les réalités, afin de faire face à « l’adversité », à l’instar de cette dame qui déclare combien cela relève d’une nécessité :
C’est difficile de faire comprendre son choix à des mécréants (familles, amis,…) je me sens incomprise par eux, mais, Hamdoulillah, j’ai confiance en Dieu, nul ne peut guider celui que Dieu égare et nul ne peut égarer celui que Dieu guide. C’est pourquoi je pense qu’être entourée de bons musulmans est un atout pour les convertis, il faut avoir un soutien et des conseils. En tant que converti on doit toujours se justifier auprès des gens, il faut donc être prêt à répondre à leurs questions avec de bons arguments car les gens attendent souvent qu’on se contredise.
34Une jeune femme explique son univers de référence en terme de discours et souligne son rapport binaire aux choses pendant cette première période de la conversion :
J’ai, au début de ma conversion, beaucoup voyagé sur le net pour apprendre l’islam et j’ai suivi la pensée de savants de l’Arabie Saoudite. Mon ouverture d’esprit s’est restreinte pendant ce temps. Je voyais les choses en terme de licite, illicite ; vérité, mensonge. La plupart du temps. J’ai ensuite réalisé la diversité du monde et de l’islam. J’ai pris conscience que pendant tout le temps où je suivais ces savants, j’avais très peu appris qui était le prophète Muhammad dans sa vie de tous les jours. Car l’accent était mis sur les hadiths20.
35L’enjeu de cette phase, c’est précisément l’identité nouvelle en construction et qui se frotte à des tentations de fuite en avant. L’une constate :
J’ai tenté de renouveler ma vie au début de ma conversion en essayant d’éliminer ce qu’il y avait de négatif en moi et en essayant d’entretenir ou de développer le positif. Mais j’ai aussi pendant longtemps pensé que je devais rompre avec ce que j’avais été avant, pour être meilleure. J’étais en opposition avec ce que j’avais été. D’autres expliquent que la rupture est due au fait que certains membres de ma famille pouvaient avoir du mal à accepter mon choix et que j’ai eu l’impression qu’il fallait que je choisisse entre moi avant ou moi après. Certainement c’était lié au fait que mon cœur s’était éclairé en choisissant cette religion mais que ma maman ou d’autres personnes de mon entourage ne comprenaient pas ma démarche. J’ai pensé qu’il n’était pas possible de concilier ce que j’étais avant et ce que je devenais et qui semblait tant effrayer ceux que j’aimais.
36Avec le recul, une convertie est parvenue à objectiver son parcours et à mesurer le besoin du passage par cette phase, la nécessité du repli sur soi puis la critique a posteriori de l’univers des discours qu’il faut dépasser, qui entretiennent l’étape mythique. Pour évoquer cette première étape de manière rétrospective, elle pose un bilan assez tranché :
Une phase de renforcement dans ma pratique de tous les jours, mais d’éloignement du monde qui m’entourait. Cela étant lié à un manque de connaissance de l’islam dans sa profondeur. Une volonté aussi d’apaiser mon cœur face aux attaques extérieures. Une phase de trouble suite à la compréhension que les interprétations strictes des savants que je suivais n’étaient pas La Vérité, mais une interprétation, une partie de la réalité.
37Seules 8 personnes, parmi les 25 personnes interviewées, ont clairement mis en avant qu’elles n’avaient pas opté pour la rupture au moment de l’entrée en islam. L’une d’entre elles invoque même sa culture chrétienne, dans le prolongement de l’esprit de l’islam : « Ma culture chrétienne est une richesse dans le cheminement à la rencontre de l’islam ». La dimension conflictuelle et de choix par sélection des héritages ne sont pas toujours considérées comme pertinentes, à l’instar d’Éric qui relate sa préférence pour l’affirmation d’une continuité :
J’ai toujours tenu à ne jamais fermer de porte. J’ai toujours laissé aux autres la responsabilité de la rupture éventuelle. Par ailleurs, je ne considère pas ma conversion comme une rupture avec mes références d’origine (même si cela a mené de fait à certaines ruptures, ou plutôt chambardements épistémiques), mais comme une prolongation d’une réflexion, voire un retour aux sources mêmes de ma culture/civilisation qu’une certaine modernité avait tenté d’oblitérer.
4.2. « Désillusion » provoquant la dépression et l’isolement
38À la suite de la phase mythique, faite de ruptures et d’idéalisation d’un islam imaginaire et simplifié, une dépression s’ensuit, générée par une prise de conscience de l’impossibilité d’accéder à « l’islam pur », des « pieux prédécesseurs » et la déperdition d’une part importante de l’identité de l’individu avant la conversion : « J’ai réalisé que le monde était vaste et petit à petit, (je) sortais de ma période d’adolescence (c’est ainsi que je la nommerais ou période de rébellion) ».
39Avec les désillusions, c’est aussi un formatage dans la manière de penser l’islam et les choses de la vie en général qui est questionné. Pour quelques-uns, la volonté de se réapproprier une autonomie dans les discours accentue ce trait. En ce sens, Éric expliquait :
Ma rentrée en force dans la communauté a impliqué un certain formatage dans la manière de penser, mais qui a provoqué une réaction inverse de ma part avec une insistance permanente sur la nécessité d’une approche critique, pour éviter l’abdication de l’intelligence et le prêt-à-penser « islamico-islamique » que je rencontre malheureusement à tous les échelons de la communauté.
40Younes, qui a un parcours universitaire supérieur, représente un cas assez isolé dans sa démarche de rupture. Il marque un éloignement net avec la première phase, puis ne cesse de continuer à se démarquer de la pensée ambiante dans la communauté de foi. Sophie, elle, manifeste désormais une forte distance critique. Elle s’étonne encore :
Comment c’est possible de manquer autant d’esprit critique, en sortant d’un graduat ou en étant dans un graduat, comment autant être là-dedans. Et avec du recul, je sais que j’étais complètement paumée, que mes besoins psychoaffectifs étaient plus élevés. Donc, c’était l’émotionnel qui était complètement aux commandes.
41On nous confia un sentiment de « déception, prise de conscience (de membres du groupe, des incohérences,…) », de trouble aussi notamment car l’ordre des principes coraniques atemporels n’est pas forcément reflété dans les pratiques de fidèles musulmans enracinés dans une culture (turque ou marocaine dans la plupart des cas) ou ne reflète pas l’ensemble du discours islamique. Un témoignage résume bien l’amertume face à l’animosité qui peut être vécue par les convertis dans la communauté musulmane, culturellement et ethniquement marquée par l’ailleurs :
Même si je ne le subis pas directement, à titre personnel, je resterai toujours un converti et donc, quelque part, perçu comme étranger à l’islam, qui est malheureusement vécu et compris plus comme une culture que comme une religion par de nombreux membres de notre communauté.
42Un répondant attire aussi notre attention sur l’amalgame qui se fait entre culture et religion et la double discrimination que cela provoque dans la communauté, pouvant signifier le vécu d’un double rejet :
Islamité est trop souvent associée à marocanité, turquité ou autre, ce qui rend le converti toujours suspect de « pas assez », de manque, d’incomplétude. Dès lors, le racisme peut apparaître, ainsi que la discrimination sur la base de l’ethnicité dans l’accès à certaines fonctions communautaires. Je voudrais également attirer l’attention sur la situation des convertis qui va au-delà d’un simple racisme inversé : bien que membre de la société majoritaire (du bon côté du rapport de force), ils choisissent de rentrer dans une communauté minoritaire (du mauvais côté du rapport de force), au sein de laquelle ils seront eux-mêmes minoritaires et feront l’expérience négative du rapport de force intracommunautaire. Les convertis souffrent donc d’un double rapport de minorisation : face à la communauté majoritaire par leur foi, face à la communauté minoritaire par leur ethnicité/culture, alors qu’ils font toujours partie de la société majoritaire en termes d’accès à ses ressources symboliques, financières, économiques, linguistiques… Cette double minorisation assortie d’une contradiction interne évidente en termes de positionnement symbolique est parfois vécue de façon très difficile, psychologiquement, par certains convertis. Cela peut déboucher sur des attitudes de rejets plus ou moins virulentes de la communauté musulmane, un isolement subi ou choisi hors de celle-ci, ou encore une prétention à connaître le « vrai islam, ce n’est pas comme ces arabes » ou autres attitudes connexes.
43Dans cette phase, le converti distingue alors, de manière binaire et désenchantée, ce qui relève du passé (glorifié en nostalgie) et du présent (boudé par la division en tendances et par un ancrage culturel qui est à contre-courant des souhaits du converti). Il distingue alors le culturel du religieux, comprenant que la marocanité et l’islamité ne coïncident pas toujours au niveau des principes. L’une des personnes affirme sans ambages cette distinction : « J’ai très rapidement refusé d’être marocanisée ». Mais la (plus) grande désillusion réside dans la prise de conscience que toute pratique est « trahison » du passé idéal et dans le sentiment d’être jugé par l’autre musulman en dépit des principes islamiques :
N’empêche que le choix de ma conversion entraînait des conséquences très dures, car aussi bien dans ma famille qu’avec mes amies on me reprochait d’avoir fait ce choix. Et en intra-communautaire, chaque musulman(e) que je rencontrais me bombardait de questions parfois vraiment impertinentes et me considérait comme une race à part. Je me sentais de nouveau, après ma crise identitaire en tant que métisse, prise dans une même quête de positionnement.
44La course en avant dans la communauté de foi et dans les livres fait perdre pied au converti. Il se rend très vite compte de l’écart entre, d’une part, l’islam et ses principes et, d’autre part, les musulmans et leurs pratiques. Sophie raconte ce brutal retour sur terre : « très vite, les premières grosses déceptions ont commencé, mais ça ma désillusionnée, ce n’est pas le monde des « bisounours », quoi, que j’aurais peut-être espéré, finalement ». C’est aussi le moment d’une rupture inversée de la part du converti, cette fois par rapport au milieu musulman d’accueil, qui a entretenu l’aspect mythique des choses : « Durant cette période, j’ai commencé à prendre distance psychologiquement et physiquement des premiers groupes (proches du centre islamique de Molenbeek) puis d’autres… sélection de mes fréquentations ». Beaucoup de convertis sont passés par ce centre, qui était un lieu de prêches, de formations diverses et même de rencontres matrimoniales pour ceux qui le fréquentaient. En offrant un espace à huis clos, il générait notamment un sentiment d’appartenance à un islam en immersion dense. Notons que ce centre a connu sa période de gloire dans le courant des années 1990 et qu’il connaît un essoufflement drastique. Ces lieux privilégiés pour les convertis sont des niches qui ont rompu avec d’autres structures cultuelles dominantes, turques et marocaines, de la capitale belge.
4.3. « Réconciliation »
45La « réconciliation » se rapporte à une prise de conscience de la complexité de l’individu et du fait que l’islam idéalisé n’est plus un but à atteindre. La détention présumée de la vérité par la communauté est également relativisée. La conversion n’est plus synonyme d’amputation de soi ou d’une partie de soi. C’est aussi le moment où certains rient de leur démarche d’acculturation et retournent vers une complexification de leur rapport à la vie. À la charnière de ces deux moments, on se souvient ainsi d’un jeune musulman converti, d’apparence orientale et portant une longue barbe, qui recommence à promener le chien de sa maman aux alentours de la mosquée qu’il fréquente, alors qu’il avait initialement presque refusé de pénétrer dans le foyer parental. Cette anecdote montre une dé-complexification du converti par rapport à la culture dominante de foi et que les autres univers de références sont reconsidérés comme étant tout aussi riches et porteurs pour le musulman. Il y a une prise de conscience : les différentes appartenances ne sont pas nécessairement à opposer :
J’ai renoué progressivement avec la famille, les proches, les amis, trouvé l’équilibre, l’épanouissement et l’harmonie, si bien qu’aujourd’hui je n’ai plus de malaise à être musulmane vis-à-vis de mon univers non musulman, qui fait aussi partie intégrante de moi, je vis très bien mon appartenance à l’islam, je suis musulmane de cœur et de foi, tout en appartenant à une famille non musulmane. Je trouve cela riche et pluraliste, c’est un atout pour moi d’appartenir à ces deux univers différents.
46Ce témoignage d’une trentenaire bruxelloise pose explicitement le cadre de la gestion personnelle de sa pluralité identitaire. Une autre femme, convertie depuis presque dix ans à l’islam, explique que la réconciliation s’impose par la recherche personnelle. Cela passe d’abord par une curiosité intellectuelle importante ; c’est une :
Déconstruction et réappropriation progressive via des formations (recherche d’infos pour argumenter et trouver d’autres courants de pensée – lecture de l’islam). Déconstruction et reconstruction plus solide Hamdoulillah ! (Grâce à Dieu) Dans tout mal, il y a un bien ! J’en suis maintenant convaincue ! Je crois que j’ai pu faire la part des choses en distinguant personne – musulmans – islam et culture marocaine ou familiale.
47Cette réconciliation est aussi possible lorsque les convertis s’attellent à lire l’islam à partir de ses principes, aux assises universelles, et non plus à partir d’un modèle du passé ou des contingences de l’histoire. Certains prennent leur revanche en allant vers les études en sciences islamiques :
Quand je suis arrivée à l’Académie Al-Khayria quoi. C’était vraiment comme une bouffée d’oxygène, non seulement de fréquenter d’autres gens que les gens que je fréquente à Molenbeek et dans mon esprit de famille. C’était : ah, quand même, c’est vrai que l’islam, c’est… comme s’ils me confirmaient que oui… je ne sais pas. Oui, il existe cet islam que moi, quelque part, je cherche, tu vois, ils me confirmaient ça. La formation, ça a été un peu ça, si tu veux, d’avoir des gens avec un niveau d’ouverture, de réflexion plus élevé, si on peut juger ça comme ça, qui répondaient en tout cas plus à mes aspirations. Ça aussi, tu vois, comme une rencontre un peu amoureuse. C’est vraiment ça ce qu’on peut ressentir.
48Dans cette phase, les principes d’universalité et d’ouverture refont le plus souvent surface. Les notions de paix, d’amour, de justice, de pardon sont récurrentes ; elles représentent des ponts vers les autres univers que le converti côtoie :
Une phase de retour sur moi et sur la vie du prophète me permettant de comprendre que son message était celui de l’amour. Phase dans laquelle je suis toujours et où je tente d’apprendre ma religion en lien avec les autres croyances, spiritualités. Où j’apprends à être reliée aux êtres qui m’entourent et à découvrir la dignité et la capacité de faire de belles choses que Dieu a mises en nous.
49Une autre personne abonde dans ce sens et déclare : « j’ai appris à connaître le message du prophète dans sa complexité, dans sa douceur, dans sa lumière ». Cette « trêve des identités » met en avant une présence complexe des appartenances, mais la réconciliation n’est pas encore une intersection entre les identités : elle se fait par les intentions ou de manière alambiquée car les convertis traduisent la subjectivité de leur reconstruction identitaire en « patchwork ».
50Une convertie parle de cette phase de réconciliation en relevant combien ses débuts en tant que musulmane ont été marqués par une tension opérée entre culture et religion :
Des musulmans m’ont dit de faire la différence entre l’islam, la culture…. en fait, quelque part, peut-être que c’est le salafisme qui m’a permis de faire la part des choses. Puisque le salafisme avait déjà, à l’époque, le discours de dire : « l’islam a été pollué par les traditions culturelles et donc, il faut séparer ». Donc, avec du recul, je ne regrette rien. Mais vraiment, même si ces merdes m’ont permis de mettre mon nez dans des merdes bien plus vieilles, et d’être plus proche de moi et d’avoir commencé un travail thérapeutique en 2000.
4.4. « Réappropriation de soi »
51La « réappropriation de soi » consiste en une reconstruction identitaire à partir d’univers de références distincts qui sont affirmés comme faisant partie de soi. Les différentes facettes de ce soi dialoguent et tentent de s’harmoniser : « Je crois que là, j’avais décidé de changer. Donc, aussi relancer un projet professionnel et la formation y participait. Cette phase de transition, où je remettais d’autres projets en route, si tu veux ».
52C’est la phase où le prénom d’origine fait généralement sa réapparition, où la tenue vestimentaire a tendance à se conformer aux goûts personnels de la personne plutôt qu’à ceux d’une culture musulmane dominante. De nouveaux choix s’opèrent au regard des deux univers d’appartenance même si, dans l’un ou l’autre pôle, le converti sait qu’il sera toujours jugé pour en faire trop ou pas assez. Il a conscience du poids des regards et continue à faire ses choix pour lui-même :
Pour moi, il y avait beaucoup de scénarios d’auto-exclusion avec ma conversion, parce que j’aurais pu aller vers le soufisme, pourquoi je n’ai pas été voir… chose. Là, j’ai décidé – j’étais déjà en thérapie – j’ai décidé d’arrêter ces scénarios d’auto-exclusion. Pour moi, le voile, la manière dont j’ai vécu mon islam à l’époque, renforçait tous mes scénarios d’auto-exclusion. Parce que certains milieux, par ma manière de me présenter, en mettant toujours cette identité musulmane en avant, alors que je pouvais me présenter autrement, par ma profession, par ma filiation, par plein d’autres, et je me suis quand même bien auto-exclue, je sentais bien que, professionnellement, c’était quand même difficile. Et donc, ça n’a plus de sens, comme ça, de m’auto-exclure. Je n’éprouvais plus de plaisir sadique, enfin en tout cas moi.
53C’est aussi le moment où le vocabulaire usuel se « normalise » : une formulation islamique telle que « Inchallah » est moins récurrente. À ce stade, le risque d’être considéré comme « outsiders » (selon le concept de Becker) par la communauté musulmane ne dérange plus. Il y a même un complexe de supériorité qui est latent dans les discours. Le belgo-turc ou le belgo-marocain n’est plus représentatif d’un « islam intelligent », conforme, et beaucoup de convertis formulent cet adage : « Je remercie Dieu d’avoir connu l’islam avant les musulmans ». Les convertis, conscients de leur pas-de-côté culturel, se sentent libres et investissent le champ de vision d’un islam dit d’avenir, en harmonie avec son contexte :
Mon combat aujourd’hui : faire renouer les musulmans avec leur culture savante et sa subtilité, rouvrir le champ des possibles et utiliser une approche dialectique entre ma culture d’origine et une certaine culture « islamique » pour mettre en avant leurs impensés respectifs et les potentialités qu’elles contiennent pour permettre de vivre pleinement sa foi dans un contexte sécularisé.
54Le besoin et leur recherche de découvrir des discours libérateurs se font fortement ressentir. La quête d’une nouvelle approche par le détournement des discours dominant est une tendance assez forte. Les convertis en phase avec leur réalité nouvelle cherchent de nouveaux supports discursifs d’apaisement de ce qu’ils sont. Une de nos interlocutrices, mentionnant son écoute à Bruxelles de l’imam de Bordeaux Tareq Oubrou, nous éclaire en ce sens. Le désenchantement se remplace par des pôles discursifs qui ont la force de ré-enchanter :
J’ai eu aussi cette sensation quand j’ai écouté Tareq Oubrou à la mosquée, tu vois. D’ailleurs, un de mes professeurs, a dit : « merci pour cette théologie de réenchantement ». Après, ça s’est suivi d’une critique. J’aimais beaucoup le jeu de mot, c’était vraiment, pour moi, enchanteur.
55Nous pouvons presque qualifier cette étape de la conversion par la dilution de l’identité religieuse. Depuis le terrain, nous avons ressenti qu’après un trop plein d’islam, le converti préfère opter pour la discrétion tranquille :
Je n’aime plus me dire convertie, je n’aime plus me dire musulmane. J’évite toujours de le faire. Je ne le dis plus. D’abord, parce que je n’ai plus besoin de le dire. Avant, j’avais besoin de me montrer et le voile, c’était la manière par excellence. Et donc, quand je me présentais c’était d’abord comme ça, comme si mon identité passait par ça. C’était la première chose. Maintenant, je n’ai plus du tout ces besoins-là, plus du tout le besoin d’afficher mon appartenance religieuse. Et, au contraire, je n’ai plus envie de le faire parce que je sais ce qu’il y a derrière. Et maintenant, j’ai plutôt envie, soit de me dire monothéiste… Je n’ai même pas envie de me mettre dans une case. Même soufie, j’aurais même pas envie. Parce que ça fait trop référence à d’autres choses dans lesquelles je ne me reconnais pas.
4.5. « Prêt-à-porter islamique » ou bricolage religieux
56Le « prêt-à-porter islamique » révèle enfin la phase où le converti se construit, une identité faite sur le large marché des identités et des appartenances. Une musulmane wallonne se rapproche par exemple d’une approche mystique de l’islam à tendance soufie, mais étant traditionaliste dans les références juridiques, elle continue d’écouter des discours de littéralistes. À l’instar d’un réflexe postmoderne, on pourrait aussi explorer la phase de sortie de l’islam comme une démarche ultime, à l’instar du groupe des ex-Muslims de Belgique, qui font écho à des groupuscules américains et français d’ex-musulmans au ton offensif et revendiquant fièrement la sortie par le paramètre de la liberté de conscience. Mais, au-delà de cette possibilité de principe, la tendance chez les convertis est plutôt à l’accommodation d’un soi individualisé et serein dans l’affirmation d’un islam très personnel : les discours islamiques ambiants sont dépassés en faveur d’une découverte de discours plus conciliants, y compris par rapport aux apports de personnalités non musulmanes. Krishnamurti, le Dalaï Lama ou Ahmadou Bamba peuvent désormais devenir des références de sens pour l’accompagnement moral, éthique et spirituel de convertis.
57La rupture avec la dimension morale culpabilisante est très fonctionnelle à ce stade. Le passage par les différents courants de lectures de l’islam donne au converti le privilège d’un panorama du vécu dans les lectures. Il existe les lectures littéralistes, traditionalistes, réformistes, mystiques ou rationalistes. On pourrait dire que la tentation du nouveau converti de trouver refuge dans la lecture littéraliste est grande et que le « converti mature » a plus tendance à aller vers une lecture mystique et rationaliste du texte. Le terrain dévoile pourtant que les choses ne sont pas aussi simples. Le converti qui adopte une lecture réformiste ne veut pas pour autant rompre avec la littéralité. Cette dernière lecture porte une dimension expérimentale affective, teintée malgré tout d’une reconnaissance des premiers pas dans l’islam. Sur le terrain, le salafisme bénéficie donc d’une certaine indulgence. Les profils de convertis sont innombrables et complexes et marquent des islams spécifiques, en fonction de la personnalité de chaque individu :
J’aime le sunnisme, nous dit une jeune femme, dans le sens du suivi de la sunna ; le soufisme pour le sens qu’il permet de discerner dans chaque chose. Je ne connais pas très bien les autres groupes, mais j’ai des amis chiites. Je tente simplement d’être musulmane, de la manière la plus universelle possible.
58La prise de conscience du caractère personnel de la démarche est difficile à expliciter pour le converti. Une de nos informateurs témoigne désormais d’une sorte de dilution consistante face à la facilité de s’étiqueter au début de sa phase croyante :
Orthodoxe au début de la conversion, proche de milieu salafi et maintenant… rationaliste, soufie, progressiste, syncrétique… Et bien, je n’ai vraiment plus aucun problème avec le syncrétisme. Même si c’est un terme qui est encore fort péjoratif, je n’ai pas de problème avec le syncrétisme. Pour moi, il n’y a pas une vérité. J’aime bien l’image d’une tour de Pise où il y a plein de fenêtres et que chacun regarde la vérité à travers sa fenêtre. L’analyse transactionnelle, quelque part, elle m’a permis aussi de voir quelque chose de beau, de transcendant, d’avoir accès à cette spiritualité.
59L’effacement des termes spécifiques, identifiant clairement une lecture ou une tendance religieuse, est aussi remplacé par l’usage de concepts plus génériques :
Je suis avant tout musulman. Par pratique, je peux m’estimer sunnite, mais avec un profond respect pour l’approche shî‘ite du droit canon et le shî‘isme gnostique. Je refuse l’appartenance à une école juridique particulière et – toujours dans une logique profondément (post-)moderne – j’élabore mon propre cadre en fonction de mes convictions fondamentales et de la recherche de la plus grande ouverture du champ des possibles en matière de pratiques religieuses. Idem en termes d’approches théologiques et métaphysiques.
60Une convertie explique aussi qu’elle ne sait pas trop comment se qualifier, mais affirme tout de même que : « le « self islam » correspond assez bien à ma démarche actuelle ». Le « self islam » est le titre de l’ouvrage d’un auteur français musulman de France, Abdennour Bidar, qui en appelle à une prise en compte de son appartenance à l’islam, à partir des attentes personnelles et non plus suivant une orthopraxie communautaire21.
61De fait, la collecte de soi sur l’étal des vérités s’impose comme une posture d’avenir pour le converti. À ce propos un des témoins confie :
Oui, je suis dans du bricolage, pour le moment, je prends et je crois que je prendrais de plus en plus... j’irais certainement davantage dans le bricolage d’une manière ouverte et que je ne suis pas sûre de refaire ma vie avec un musulman et pour moi, ce ne serait pas un problème. Enfin, ce ne serait pas un problème, oui et non, parce qu’il faut quand même que ça soit quelqu’un qui connaisse l’islam et qui soit dans la spiritualité et tout ça. Mais à partir du moment où c’est quelqu’un qui est dans la spiritualité et qui peut voir toutes les religions comme un chemin, ou même le chamanisme, ce n’est pas un problème pour moi. C’est vrai que je ne fais pas des immenses mélanges, je peux prendre des trucs du bouddhisme, je ne me sens pas bouddhiste. C’est vrai que je me sens plus, ma référence c’est quand même plus l’islam. J’aurais envie de retourner à la Mecque, par exemple.
En guise de conclusion
62La conversion reste un terrain privilégié d’étude des transformations du religieux dans son ensemble. Entre les concepts de bricolage religieux et de radicalisation, c’est tout l’islam européen qui est observé dans son articulation identitaire.
63L’étude du phénomène de la conversion reste toutefois un chantier et le terrain apparaît aussi riche que flottant. Sa richesse tient en partie aux individualités qui se penchent sur l’islam et changent la réalité de leur vécu de façon significative. Son côté flottant signifie que les données concernant cet aspect social restent très aléatoires et qu’il n’existe pas de « guichet unique » permettant de centraliser les informations concernant la conversion.
64Le terrain connaît des changements rapides et la trajectoire des premiers convertis sert de modèle aux nouveaux, qui se croisent dans les couloirs de l’associatif religieux.
65Dans notre travail, plusieurs réalités socioreligieuses émergent : une bonne partie des motivations des convertis prend sens à partir d’un contexte en connexion avec les musulmans. La dimension sociale est importante et est densifiée dans un milieu bruxellois dynamique où réside un peu moins de la moitié des musulmans du pays. Les convertis évoluent donc dans un contexte religieux, ethniquement marqué, et dans un climat environnant crispé par la montée démographique de l’islam.
66Les convertis s’investissent fortement dans les activités sociales, culturelles et religieuses de la communauté, ce qui a leur donne une connaissance réelle du dynamisme associatif religieux local. Leur besoin d’islam les amène à fortifier l’aspect relationnel. Ils s’orientent dans un marché islamique local en fonction des besoins qu’ils cherchent à combler.
67Les convertis ressentent la nécessité d’être entendus pour ce qu’ils sont et ouvrent leurs constructions identitaires à qui veut bien les entendre. Cette ouverture sur l’intime n’exclut pas une ouverture au groupe car ils se pensent comme une minorité qui s’organise et se bat pour ses droits, surtout pour la reconnaissance légitime de ce qu’ils sont.
68Un autre chantier à investiguer se rapporte à la mise en relation des connaissances théologiques des convertis avec les natures d’ancrage dans la religion. Le converti qui passe du littéralisme au syncrétisme en cherche une légitimation théologique faisant autorité dans le débat classique ou contemporain. Le travail de mise en parallèle des tendances de la pratique religieuse du converti, avec l’arrière-fond discursif qui est mobilisé dans la validation du parcours, reste à faire.
69Le travail sur les concepts religieux problématiques sera aussi un chantier d’avenir ouvert aux musulmans dans leur ensemble et aux convertis en particulier. Autant l’accommodement, sous couvert de tabou, de termes ou de faits religieux comme ceux d’apostat, infidèle, interdiction de mariage d’une musulmane avec un non-musulman a été une posture contemporaine, autant les années à venir laissent présager un travail critique et conceptuel important. Le théologico-religieux sera rattrapé par les vécus.
70Il existe toujours des motivations mûrement ruminées ou soudaines qui poussent les individus à formuler un intérêt auprès des musulmans fréquentés : « Je ne répèterai jamais assez à mes proches, après le décès de ma mère, que la découverte de l’Islam fut la meilleure, la plus belle, la plus pure des choses qui m’a été donnée ! ». Le frottement à un nouveau tissu social a un impact sur le relationnel vécu au sein des familles d’origine. Ces dernières qui ne comprennent ni le choix, ni la transformation du membre converti se sentent trahies et abandonnées par l’enfant qui « fuit » et qu’on espère voir revenir.
71Le converti, transite entre deux univers, passe donc par des phases caractérisées par des besoins. Il y a celui de faire l’impasse sur la provenance, de s’immerger, de se réconcilier, de vivre en cohérence à partir de son vécu et d’être pleinement soi. Au travers de notre travail, l’hypothèse de départ dressant une analyse du processus de conversion en stades reste pertinente tout en étant désormais amendée par des constats assez tranchés en ce qui concerne l’importance de chacune de ces phases dans le cas de l’islam.
72La « mythification » constitue une étape partagée par quasiment l’unanimité des personnes interrogées. Quant à la « désillusion », elle semble aussi faire l’unanimité mais la propension à critiquer les musulmans d’origine est la remarque la plus récurrente :
L’islam n’appartient pas aux arabes, d’ailleurs ils ne sont pas majoritaires dans le monde musulman. Je me sens épanouie et à ma place dans cet Islam universel qui accueille tout un chacun et loge tout le monde à la même enseigne, il n’y a aucune préférence raciale, le meilleur auprès de son Seigneur est le plus pieux est-il stipulé dans le Saint-Coran, j’aime cette religion d’équité et de justice.
73La « réconciliation » par la prise de conscience de la complexité individuelle est l’axe qui va enclencher la redécouverte de soi et la sortie d’une logique de l’enfermement et d’une logique réactive et défensive :
Je suis Sarah parce que je suis ici, parce que je suis née ici, parce que j’ai grandi ici, parce que mes parents sont ceux qu’ils sont. Parce que Dieu m’a offert l’islam et m’a ouvert la voie de l’amour. Je suis Sarah avec Lui. Et, avec Lui, il est plus difficile à l’autre d’attaquer car ma réponse à l’attaque sera « Salam ». Ma réponse au racisme est « salam » et je pense que les gens aiment la paix. Profondément…
74L’étape de la « réappropriation de soi », consistant en une reconstruction identitaire participe du fait que l’entre-deux chaises n’est pas tenable et que la conversion des handicaps dus aux appartenances est transformée en richesse :
Au départ il y a rupture, puis il faut retrouver un équilibre avec tout cela, en ne rejetant pas tout du monde passé. Le défi consiste à parvenir à marier les deux ! Je pense que cela est un atout pour moi d’avoir cette double appartenance, je comprends les codes culturels occidentaux non musulmans et ceux des arabo-musulmans. C’est un plus pour moi.
75Quant au « prêt-à-porter islamique » et au bricolage religieux, ils ne sont pas encore la réalité de beaucoup de convertis. Ils touchent 30 % des personnes interrogées. Cette posture est caractéristique de fortes personnalités ou l’apanage de personnes qui se situent hors du circuit communautaire.
Je me suis d’abord mis dans un stade de lecture intense que cela soit dans les différents mouvements de l’islam. Il est vrai que je suis passé par le stade du doute ou même du trop-plein, trop de renfermement, même extrême et après j’ai choisi la voix du modéré. Maintenant je suis comme je suis.
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Notes de bas de page
1 « Cette démarche entraîne nécessairement un changement individuel définissant toujours une approche théologique nouvelle ». Cf. Landau P.-E., « Se convertir à Paris au 19ème siècle », E. Godo (ed), 2000, p. 17.
2 La conversion se situe à la croisée des débats existentiels philosophiques, psychologiques, socio-anthropologiques et théologico-canoniques.
3 Pour cet article, réalisé sur la base de notre mémoire de Master en Sciences des religions à l’UCL en 2011, notre enquête de terrain se fonde sur 25 entretiens avec des convertis, 5 hommes et 20 femmes. Parmi eux, 20 résident à Bruxelles, 4 en Wallonie – Verviers, liège, Spy, Waterloo – et 1 à Anvers. L’âge moyen est de 35 ans (entre 20 ans et 52 ans). 16 d’entre eux ont déclaré être d’origine chrétienne (11 précisent être catholiques à la base, 2 orthodoxes et 3 personnes n’apportent pas plus de précision) tandis que 5 se déclarent athées, une agnostique et l’un d’eux met en avant la croyance en un Dieu unique, sans autre précision. 2 personnes n’ont simplement pas répondu à la question de la croyance d’origine. En matière de scolarité, 16 convertis ont déclaré faire ou avoir fait des études supérieures ou universitaires, 7 autres personnes annoncent avoir simplement terminé leur cursus par un certificat de l’enseignement secondaire supérieur (CESS) et 2 déclarent avoir eu leur certificat de l’enseignement primaire. Les années qui marquent le choix pour la conversion varient entre 1970 (profil assez rare) et 2007, mais la majorité de l’échantillon s’est converti dans les années 1990 (quatorze personnes), aux alentours de leur 25ème année, alors que se déploie un fort dynamisme associatif musulman. 11 personnes ont aussi choisi l’islam à partir des années 2000. Sur le plan de l’état civil, 11 convertis se déclarent célibataires, 6 divorcés, 2 mariés sans enfants et 6 mariés avec une famille d’1 à 4 enfants. D’un point de vue méthodologique, le terrain d’enquête a chaque fois été appréhendé au travers d’une méthode de type compréhensif, notamment à partir d’un questionnaire et de quelques entretiens semi-directifs, pour saisir au mieux la démarche de conversion, en se focalisant sur « l’intérêt » ou le « besoin » d’islam de la part des convertis. Les aspects rationnellement objectivables et les rouages psychologiques qui conduisent un(e) Belge à franchir le pas ont été centraux dans nos échanges : les raisons et les circonstances de la conversion, mais aussi les aspects liés au parcours entrepris en tant que musulman. Nous avons exploité au plus près la notion du changement, largement usitée par les sciences sociales, pour accompagner les trajectoires de vies tout en tenant compte qu’il s’agit ici de l’observation du ou des changements de comportements, dans un sens général, de personnes ayant modifié leurs pratiques religieuses et qui continuent de changer dans leur « musulmanité ».
4 Depuis les événements de 2001 à New York, l’islam est passé au-devant de la scène médiatique par des images de violence et d’incompréhension. L’intérêt pour la chose musulmane n’a toutefois pas été altéré et les rééditions multiples du Coran témoignent d’un engouement pour la compréhension de l’islam. Cf. Le Fol S., « le Coran en rupture de stock dans les librairies », Le Figaro, 17 septembre 2001.
5 Par exemple : Watt N., « From Belgian Cul-de-Sac to Suicide Bomber in Iraq », The Guardian, 2 décembre 2005. Cf. www.guardian.co.uk/world/2005/dec/02/iraq.islam.
6 Ces transitions se faisaient-elles dans une cohérence harmonieuse ou dans des ruptures plus radicales et par rejets ?
7 Selon les sources scripturaires islamiques (Coran et traditions prophétiques), toute personne est perçue comme portant, en elle, le souffle originel de Dieu. Chaque individu viendrait donc au monde en étant chargée de cette réalité ontologique. Dans la vision islamique, la croyance en Dieu est une présence dans l’inconscient et la prise en compte du fait de Dieu par la conscience constitue donc un processus naturel de réappropriation et donc de re-conversion. Choisir consciemment l’islam signifierait retrouver une situation originelle et naturelle. C’est ainsi que le terme de reconversion se trouve plus souvent mobilisé, dans nos entretiens, que celui de conversion. La personne concernée veut sans doute ainsi démontrer que sa démarche n’est pas une rupture ou une transition vers une chose étrangère mais plutôt de simples retrouvailles de soi. En somme, dans la tradition musulmane, on vient au monde musulman, alors que, dans la tradition chrétienne, le processus est contraire : on devient chrétien, comme l’affirmait Tertullien, un des Pères de L’Église dans son Apologie du Christianisme. C’est là que se trouve le sens profond du baptême et un des points qui fait la spécificité de l’islam : « Tout être naît sur l’essence fondamentale (ou nature primordiale selon les traductions du terme de Fitra) […] », nous dit une tradition prophétique (Rapportée par al-Bukhârî et Muslim).
8 Cette démarche symbolique, imprégnée d’une ritualité avalisant en pratique les adorations canoniques (telle que la prière), ouvre la marche vers le passage le plus solennel de la conversion ; la prononciation de la double attestation de foi, où l’importance de la sincérité est rappelée.
9 Le prononcé en langue arabe est d’ordre symbolique et n’a de poids dans le droit et la jurisprudence musulmane.
10 Le Vif L’Express (2008), « Comment l’islam menace l’école ? », 37, août 2008.
11 Seuls 28 % des cas étudiés n’y ont pas eu recours. Pour une des personnes interviewées qui s’y oppose complètement, la démarche représente un : « véritable impérialisme culturel, une volonté de nier la culture d’origine de l’autre et fait l’impasse sur le fait même que la plupart des musulmans du monde ne portent pas de nom arabe ». Une autre souligne que son prénom d’origine « est utilisé chez les musulmans, les chrétiens, les juifs, etc. […]. Je ne pense pas qu’il faille changer de prénom pour devenir musulman. Peut-être qu’au début, cela m’aurait tenté, c’aurait fait plus « musulman ». Mais, en avançant, j’ai compris que le prénom est constitutif de l’être et qu’il l’accompagne depuis ses débuts… ».
12 Par exemple, Marie devient Myriam, pour désigner historiquement la Marie du Coran et de la Bible : « Je n’ai pas changé de prénom étant donné que mon prénom de base correspond à celui de ma conversion ». Cette cosmétique répond à une double attente : une rupture avec un passé autant qu’une préservation nostalgique de ce dernier.
13 Stefano Allievi explique que « ce processus s’amplifie lorsque le converti décide de rendre son choix public, du moins au sein des rapports avec les musulmans. Le changement de prénom n’est pas obligatoire, ce n’est pas une sunna mais en Occident, l’enjeu du choix du prénom semble s’être renforcé symboliquement, devenant un élément de distinction assumé et réfléchi. Étant donné qu’il s’agit d’une conversion à une religion plutôt qu’à une culture, ils attachent évidemment beaucoup d’importance au choix de noms islamiques, et pas seulement des noms traditionnels arabes » (Allievi, 1998, pp. 172-173).
14 Certaines personnes transcendent ce séparatisme en fabriquant une intersection entre les univers de provenance originelle et ceux d’appartenance nouvelle. Une jeune convertie confirme qu’elle a changé de prénom par : « Besoin de me différencier de celle que j’étais avant la conversion, même s’il était important pour moi que mon nouveau prénom ait un lien avec mon prénom d’origine, c’est pourquoi je n’y ai apporté qu’une légère modification. J’ai vécu cette conversion comme une nouvelle vie, un nouveau départ, je choisissais enfin celle que JE voulais être et je n’étais plus celle qu’on avait voulu que je sois ».
15 Se pencher sur la question de la motivation, du point de vue psychologique, c’est rendre évident le fait de mobiliser la psychologie des religions comme discipline centrale. Ainsi, les travaux de Buxant et Saroglou permettent de comprendre les stimulants à la conversion en termes de besoins. Ces auteurs ont pu mettre en évidence que les motifs de religiosité sont notamment présentés en termes négatifs : Freud (1927/1961), Marx (1843/1979) ou Glock (1979) sont cités en ce sens. La religion jouerait une fonction principalement compensatoire, de comblement. Elle répond ainsi à une carence affective et/ou émotionnelle. L’analyse porterait alors sur des questions de manques, de faiblesses ou encore de besoins. Cf. Buxant C., Saroglou V. (2009), « Les motifs d’attraction pour le religieux : des besoins affectifs et cognitifs au désir d’expansion de soi », Brandt P.-Y., Fournier C.-A., p. 75 ; Buxant C. (2009), « Pourquoi se tourner vers le religieux ? », Revue théologique de Louvain, 40, pp. 41-65.
16 Buxant C., Saroglou V. (2009), « Les motifs d’attraction pour le religieux : des besoins affectifs et cognitifs au désir d’expansion de soi », P.-Y. Brandt, C.-A. Fournier (eds), p. 75.
17 À notre question lors de l’interview : « Est-ce que tu ressens encore ce besoin d’appartenance à cette communauté ? », Sophie répondit : « Un petit peu. Oui. Mes besoins de reconnaissance, voilà, je les connais. Maintenant, j’essaie d’être vraiment vigilante, je ne suis pas encore assez… à en prendre soin et à diversifier les sources, ne pas être dépendante d’un groupe comme ça, parce que, quelque part, je le vois comme ça ». L’importance du rattachement au groupe se trouve également dans les propos de Karim : « Beaucoup de jeunes adhèrent à ça pour une raison sociale. Et puis, ils connaissent Mohammed, et puis ils fréquentent la sœur de Mohammed. Attention, si tu fréquentes ma sœur, il faut respecter ça, ça, ça. Et ils le font. Parce qu’ils adhèrent à une nouvelle famille. Et ils entrent dans l’islam. Et normalement, à ce moment-là, on fait ce qu’on veut avec ». Un autre témoignage met en évidence le lien entre entourage et reconnaissance : « Je me sentais vraiment bien, quelque part. Même si, parce que je faisais vraiment beaucoup de méconnaissances, sur certaines choses, parce que j’avais un seuil de tolérance très élevé. Et donc, j’étais vraiment bien. J’étais entourée, j’avais beaucoup de relations, beaucoup de signes de reconnaissance donc j’étais bien ».
18 Les études de Buxant et Saroglu démontrent qu’il existe des motifs divers d’attraction au religieux, tant compensatoires d’un manque (pour atteindre un niveau « normal » de fonctionnement, voire atteindre un niveau « optimal ») que liés au développement de soi. Pour eux, il y a une spécificité holiste du religieux, capable de s’étendre à tous les domaines de la vie, même au prix de l’autonomie de l’individu.
19 Christians L.-L., Servais O. (2005), « Religious Bricolage ? How do we Conceptualize the Mixture of Religions ? », Social Compass, 52 (3), pp. 275-279.
20 Paroles du prophète Mohamed.
21 Bidar A., Le self islam, Paris, Seuil, 2006.
Auteur
Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve. Diplômée en théologie islamique de l'Institut Islamique Européen de Belgique et titulaire d'un Master en Sciences des Religions (Université catholique de Louvain). Active sur le champ national et international du dialogue interreligieux, Aicha Haddou est représentante et consultante du réseau European Women Of Faith Network ainsi que Co-Présidente du réseau Femmes de Foi Belgique. Elle enseigne la religion musulmane à l'Institut Decroly, tout en s'occupant au sein de l'asbl Pièces à Conviction dont elle est co-fondatrice, d'un projet à caractère thérapeutique à l’adresse d'enfants abandonnés au Maroc. Elle a notamment écrit « Le féminisme à l’épreuve de l’islam », La Revue Nouvelle, Bruxelles, septembre 2007, pp. 40-45
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