Dans l’attente du procès…
p. 127-129
Texte intégral
1. Un procès tant attendu
1Une fois les interrogatoires achevés, l’affaire de la Bande noire est renvoyée par la Chambre des mises en accusation devant la cour d’assises de Mons357. Il est désormais temps pour la justice de mettre en place le procès en assises qui sera amené à juger du sort des quatorze bandits, ceux qui ont échappé à la justice pendant six ans et ont créé une plus croissante terreur au sein des populations de Charleroi, Dinant, Nivelles et Namur. Autant d’arguments qui font de ce procès un évènement très attendu. Alors qu’ils ont été interrogés à Charleroi par le juge d’instruction Aulit, les membres de la Bande noire, qui ne sont encore que treize (le petit Thomas étant toujours en fuite) sont transférés à la prison de Mons en vue de l’organisation du procès. À la demande du Procureur général de Bavay, les principaux accusés – les deux Boucher, les trois Leclercq, Rabet, et Vanderavero fils – ont été placés dans les sept seules cellules individuelles existant à la prison de Mons. Quant aux cinq autres, ils sont logés dans le dortoir criminel de la prison et sont confondus avec d’autres détenus358. D’après La Gazette de Mons, Marie-Josèphe Leclercq serait la seule femme en prison359. De manière générale, l’attitude des accusés est plus calme que celle des autres détenus, semblant tous très inquiets quant à l’issue du procès. Jean-Baptiste Boucher est décrit comme plus turbulent que les autres. Le quotidien laisse même entendre qu’il aurait fait un séjour dans la cave de la prison pour mauvaise conduite et « il ne se fait pas faute de déclarer qu’il préfère la mort à un emprisonnement indéfini360 ». Le 11 décembre 1861, conformément à l’article 293 du code d’instruction criminelle, M. de Rasse, président du tribunal de Mons et futur assesseur lors du procès, accompagné de son greffier, s’est rendu à la prison de Mons afin de procéder au dernier interrogatoire des accusés avant que les séances ne commencent. Ceux-ci ont tous confirmé la version qu’ils avaient faite au juge d’instruction de Charleroi, Aulit361.
2À l’approche de l’ouverture du procès, les rues montoises sont en ébullition. Les bandits de l’Entre-Sambre-Meuse font l’objet de toutes les conversations et leur « célébrité » continue de croître. Chacun veut savoir comment ils se comportent en prison et à quoi ils ressemblent. Les journaux ainsi que les archives du parquet général donnent quelques exemples de cet engouement populaire. Certains commerçants plus astucieux ont compris l’attrait de la foule pour la Bande noire et y ont rapidement vu une occasion de se faire de l’argent. À la foire de Mons, par exemple, un vendeur de figurines de cires a trouvé le moyen de s’enrichir d’une manière assez originale. L’anecdote est relatée par L’Indépendance Belge qui raconte que le marchand placarde à l’entrée de son échoppe l’affiche suivante : « Ici l’on voit les portraits de la Bande noire ». Ayant payé d’avance, le consommateur est surpris de constater que « les portraits » en question ne sont en fait qu’une large bande de papier noir déployée devant ses figures de cire362.
3Plusieurs portraitistes ont demandé à pouvoir faire le portrait des accusés. Le lithographe Lambert-De Roisin s’est d’ailleurs adressé au ministre de la Justice, Victor Tesch, afin d’obtenir cette autorisation spéciale363. Nous ne savons pas s’il obtient gain de cause mais nous savons que ce type de croquis existe364. Une seconde demande a été effectuée au Procureur général concernant la photographie des accusés. Les archives d’Anderlecht ne disposent pas de la lettre originale mais bien d’une lettre que le Procureur de Bavay écrit probablement au Procureur du Roi de Mons. Dans celle-ci, il laisse entendre que ce sont les accusés qui auraient demandé au photographe Bavière de faire leur portrait et ils l’auraient même autorisé à ce que leur effigie soit exposée « dans toutes les vitrines du pays ». Ce à quoi, le Procureur général répond en demandant de prendre toutes les mesures nécessaires afin d’empêcher que tout photographe ou personne étrangère n’ait de contacts avec les accusés365.
2. Les forces de l’ordre
4La très grande médiatisation de l’affaire de la Bande noire et l’attente du procès a généré une avide curiosité populaire dans les rues de Mons. Pour éviter les débordements, des renforts ont été exigés. Le 12 novembre 1861, dans une lettre que le Procureur du Roi de Mons écrit au Procureur général, il informe son supérieur que la force publique est, en temps normal, composée de 23 hommes de troupe de ligne et que ce régiment sera augmenté de six soldats366. De plus, Le Journal de Bruxelles affirme que le ministre de la guerre a anticipé le désordre et a prévu un renfort de quarante gendarmes pour protéger les abords du Palais de justice367. Malgré tout, il semble que cette aide supplémentaire soit à peine suffisante. Les gendarmes et les troupes de lignes chargés de la surveillance du Palais ont bien du mal à contenir la foule, et ce, d’autant plus pour les journées plus importantes (instruction de Couillet, jour du verdict, etc.). L’Ami de l’Ordre affirme d’ailleurs que le jour du verdict, les marches du Palais sont gardées par une compagnie de quatre-vingts hommes commandés par trois officiers368.
Notes de bas de page
357 AÉA, Parquet général près la cour d’appel de Bruxelles, n° 7018, 1861-1862, Correspondance du Procureur général de Bavay au Procureur du Roi de Mons, 13 novembre 1861.
358 Ibid.
359 La Gazette de Mons, 3-4 décembre 1861, p. 2.
360 Ibid.
361 La Gazette de Mons, 12 décembre 1861, p. 3.
362 L’Indépendance Belge, 25 décembre 1861, p. 3.
363 AÉA, Parquet général près la cour d’appel de Bruxelles, 1861-1862, Correspondance de M. Lambert-De Roisin à M. le ministre de la Justice, 17 octobre 1861.
364 Les portraits de Jean-Baptiste Boucher et de Léopold Rabet ont été représentés dans l’ouvrage de Michel Carly et d’Émile Lempereur. Carly, Lempereur, Légendes et contes…, p. 120.
365 AÉA, Parquet général près la cour d’appel de Bruxelles, n° 7413, 1861-1862, Correspondance du Procureur général (destinataire inconnu), 29 novembre 1861.
366 AÉA, Parquet général près la cour d’appel de Bruxelles, n° 3464, 1861-1862, Correspondance du Procureur du Roi de Mons au Procureur général de Bavay, 12 novembre 1861.
367 Le Journal de Bruxelles, 19 décembre 1861, p. 3.
368 L’Ami de l’Ordre, 10 janvier 1862, p. 2.
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