La référence à Maître Echkart dans la phénoménologie de Michel Henry
p. 249-275
Texte intégral
La compréhension de la structure interne de l’immanence […] ne s’est, à vrai dire, presque jamais rencontrée dans l’histoire, si ce n’est cependant chez un penseur d’exception qu’on appela autrefois, à juste titre, un maître : Eckhart1.
1Cette citation placée en exergue l’indique à elle seule : Maître Eckhart occupe une place privilégiée dans le premier ouvrage de Michel Henry — L’essence de la manifestation. S’il n’est pas l’auteur le plus évoqué, il est certainement celui dont Henry se réclame le plus explicitement pour l’élaboration de ses concepts fondamentaux. Dans la suite de son œuvre, la référence au Maître rhénan se fait plus rare. Derrière cette discrétion apparente, on peut néanmoins se demander si elle ne joue pas un rôle prépondérant. C’est de cette présence d’Eckhart, telle qu’elle prend place dans l’œuvre de Michel Henry — plus particulièrement dans L’essence de la manifestation et C’est moi la vérité2 — que les pages qui suivent se proposent de tirer quelques remarques. Elles se veulent de la sorte une première interrogation sur la référence à Maître Eckhart dans une pensée qui se revendique de bout en bout phénoménologique. Cette « lecture » de l’intervention eckhartienne au sein de la philosophie de Michel Henry laissera donc de côté ou en suspens bien des problématiques propres à l’œuvre eckhartienne elle-même, pour tenter uniquement d’apporter un éclairage particulier sur cette phénoménologie3.
2Éclairage particulier et étonnant, puisqu’il permettrait de montrer, selon le rôle que l’on choisit de faire jouer à Maître Eckhart dans la pensée de Michel Henry, tout aussi bien les ruptures qui travaillent celle-ci que la stricte continuité — revendiquée par Henry avec force — entre les thèses posées dès L’essence de la manifestation et les développements ultérieurs. Notre ambition n’est pas de statuer ou de trancher en faveur de l’une de ces deux voies interprétatives qui trouveront à se déployer successivement. Il s’agirait plutôt, à travers elles, de questionner l’œuvre de Michel Henry, pour peut-être placer une nouvelle fois cette pensée stimulante face aux difficultés qu’elle pose encore aujourd’hui.
1/ Contexte de l’intervention de Maître Eckhart dans L’essence de la manifestation : détachement eckhartien et « réduction » chez Michel Henry
3S’il ne peut s’agir, dans le cadre restreint de ces pages, de rendre compte des multiples analyses et des nombreux méandres de L’essence de la manifestation, il convient néanmoins de situer dans cet impressionnant édifice la place de l’intervention de la pensée eckhartienne. Il n’est donc pas inopportun de rappeler de manière schématique, et derrière le foisonnement des thèmes qui le jalonnent, le mouvement épousé par l’ouvrage. Le travail de Michel Henry commence par un long préalable critique durant lequel il met au jour les insuffisances de la tradition philosophique quant au concept de phénomène. Ce détour, cette démonstration par l’absurde, destiné en quelque sorte à faire « éclater » de l’intérieur cette tradition, est ainsi voué à en montrer l’insuffisance radicale, c’est-à-dire l’indétermination dans laquelle est laissé, dans les variantes historiques qu’elle a pu revêtir, son propre fondement4. En d’autres mots, il s’agit de montrer que l’« on ne peut pas ne pas penser la pure immanence comme origine et Absolu »5. Dans un second temps, l’analyse fait place à un travail plus proprement positif dans lequel il s’agit de déterminer la structure interne de cette immanence, pensée comme catégorie ontologique ultime6. C’est précisément dans l’élaboration conceptuelle de cette structure de l’immanence, ou de l’essence, qu’intervient la référence à Eckhart. Le § 37, qui ouvre la troisième section de l’ouvrage, tente déjà de dégager une compréhension du concept d’unité tel qu’il doit définir l’immanence : « L’unité désigne la relation de l’essence avec soi, la relation de la forme et du contenu, relation telle qu’elle permet justement leur identité7 ». Néanmoins, ce n’est véritablement qu’avec le détour par la pensée eckhartienne, aux §§ 39 et 408, que Michel Henry estime avoir mené à bien l’élucidation de ce concept9. La référence à Eckhart, qui permet à Henry de s’élever à « la compréhension des structures ontologiques ultimes10 », est donc d’importance. Il s’agit en définitive d’un des seuls penseurs sur lequel, dans ce premier ouvrage, Henry s’appuie de manière entièrement positive. On peut même aller plus loin en émettant l’idée qu’après le « passage » par la pensée du Maître rhénan, la problématique de Michel Henry a accompli l’essentiel de son travail. C’est ce que semble suggérer Henry lui-même11 et qu’il nous faut maintenant évaluer.
4La première précision qu’apporte Michel Henry pour la compréhension des sermons eckhartiens concerne leur visée effective. En effet, il ne convient pas d’y voir un ensemble d’exhortations morales qui viseraient en définitive à l’« édification des âmes »12. Dans cette perspective, la prédication eckhartienne n’aurait sa pertinence qu’à un niveau existentiel, esquissant les voies possibles ici-bas, et donc contingentes13, d’une union avec Dieu. En dépit des apparences, en dépit du langage même utilisé par Eckhart, il s’agit de pointer la signification ontologique dissimulée dans ces sermons : « Derrière la question existentielle du destin de l’homme et son examen », se profile « l’analyse eidétique fondamentale qui vise l’être même de l’absolu14 ». Dans le même sens que Michel Henry, certains commentateurs eckhartiens n’ont pas manqué de relever cette question, pour s’accorder en général sur le fait que l’union à Dieu ou la béatitude n’est pas renvoyée chez Eckhart « au futur eschatologique de la vision dans la patrie, [mais] est, pour ainsi dire, toujours déjà là »15. Bien loin, donc, de présenter une ascèse purificatrice, Maître Eckhart « invite ses auditeurs à revenir de l’oubli de l’iht, être créé dépendant de Dieu, et à se souvenir du wesene, déploiement du fond de l’âme, déjà éternellement actuel en la Déité »16 : « Voilà le sens ontologique du genre littéraire choisi par Maître Eckhart, la prédication17 ».
5Ce qui apparaît tout d’abord comme condition de l’union à Dieu devrait dès lors revêtir en définitive une signification ontologique. Ce serait là, par exemple, le sens de l’humilité ou de la pauvreté qui apparaissent souvent dans la prédication eckhartienne : elles « accomplissent le retrait de tout ce qui n’est pas l’essence » et de la sorte « mettent à nu la structure de celle-ci »18. Définir l’essence ou l’immanence, c’est donc tout d’abord et avant tout exclure tout ce qui lui est étranger. Dans cette perspective, le détachement (abegescheidenheit) eckhartien — dont l’humilité et la pauvreté sont des stricts synonymes19 — convient parfaitement à la démarche de Michel Henry. Il interprète ce concept eckhartien de détachement comme le rejet de tout ce qui relève de la transcendance, et donc, dans le même mouvement, comme la possibilité de cerner les caractères propres à l’immanence. Ce dont il faut se dépouiller chez Maître Eckhart, c’est tout aussi bien ce qu’il faut exclure, chez Michel Henry, de la définition de l’immanence si l’on veut espérer en dégager la compréhension.
6Dans la série des propriétés dont il faut se « détacher », il y a d’abord les images — « Si tu veux trouver la nature sans voile, il faut briser toutes les images20 » — que Michel Henry interprète comme le rejet de toute représentation. Il s’agit par là de montrer l’impossibilité pour l’essence — ou l’être21 — de se donner dans un symbole ou une représentation :
Parce qu’elle ne consiste plus dans l’extériorité de l’être par rapport à soi, la manifestation de celui-ci n’est plus une image, une simple représentation de l’être, différent de sa réalité, elle réside au contraire en lui, c’est l’être lui-même qui se phénoménalise en elle, elle est véritablement la manifestation de l’être22.
7Certains sermons eckhartiens abondent dans le même sens :
Quand toutes les images de l’âme sont écartées et qu’elle contemple seulement l’unique Un, l’être nu de l’âme rencontre l’être nu sans forme de l’unité divine qui est être superessentiel reposant impassible en lui-même. Ah ! merveille des merveilles, quelle noble souffrance c’est là que l’être de l’âme ne puisse souffrir rien d’autre que la seule et pure unité de Dieu23.
8Comme l’écrit Alain de Libera, l’être dans son sens originel renvoie ainsi à « l’éternel avant-propos de la représentation »24.
9De la même façon que le dépouillement eckhartien se caractérise par l’exclusion de toute forme d’altérité, la structure interne de l’immanence, elle aussi, revêt cette même caractéristique. C’est un point important que L’essence de la manifestation souligne et répète hors du strict champ d’intervention de la pensée eckhartienne : « Ne pas être séparée de son contenu, cela signifie, pour l’essence de l’immanence, ne pas tenir ce contenu devant elle, ne pas le recevoir comme quelque chose d’autre dans le milieu de l’altérité, comme quelque chose de différent25 ». Mais, encore une fois, c’est la pensée eckhartienne qui vient confirmer cette idée26. Aucune altérité, cela signifie aussi — et il s’agit là d’un élément nouveau surgissant dans l’analyse de la pensée eckhartienne — le rejet de toute création. Cette idée est éminemment importante, puisqu’elle permet de montrer que l’idée d’une identification de l’absolu et de l’âme n’implique pas, loin de là, une identification de la créature à l’absolu. C’est uniquement, parce qu’« il y a dans l’âme quelque chose qui dépasse l’essence créée27 », que son fond peut être considéré comme identique à celui de l’absolu. Le rejet de la création s’avère donc nécessaire28. Il se révèle comme l’exclusion « du processus ontologique créateur de l’extériorité »29, c’est-à-dire tout aussi bien « le processus ontologique par lequel en général l’étant se phénoménalise »30. Ce processus, selon Henry, c’est aussi ce que recouvre dans le langage eckhartien le sens du terme de naissance31. En parlant de naissance, de « naissance dans le monde », Eckhart désigne par là « la possibilité des images extérieures en général32 », et donc, pour Michel Henry, tout ce qui relève de la phénoménalité propre à la transcendance, tout ce qui « dans le monisme se donne comme la présupposition de toute manifestation possible »33. Dès lors, quand Maître Eckhart parle de non-naissance — « Je suis non-né »34 dit le sermon 52 — il désigne par là, pour Henry, la structure interne de l’immanence, en deçà de toute création.
10Ce thème de la naissance, uniquement esquissé dans L’essence de la manifestation35, trouvera une fortune certaine dans l’œuvre plus tardive de Michel Henry et tout particulièrement dans C’est moi la vérité. En effet, il y parle — et non pas encore dans son premier ouvrage — de « naissance transcendantale » pour désigner l’auto-affection36. Ce qui vient d’être désigné comme « non-naissance » renvoie donc bien à une « naissance » dans un sens spécifique. Il conviendra d’y revenir, puisque cette idée se retrouve également chez Eckhart.
11Cette définition négative de l’essence met encore en évidence d’autres éléments, dont certains nous placent face aux difficultés que semble encore poser aujourd’hui la pensée de Michel Henry. Aussi, il faudrait exclure, toujours à le suivre, tout ce qui relève de la temporalité. Le don de Dieu, dit-il en reprenant Eckhart, est « parfait, sans division, sans relation avec le temps »37. Cette exclusion est évidemment d’importance pour la problématique propre à Henry. Elle renvoie tout d’abord aux « analyses térébrantes38 » et aux sévères critiques des §§ 23, 24 et 25 consacrées en grande partie au problème du schématisme, à l’interprétation du temps comme auto-affection. Surtout, cependant, cette exclusion de la temporalité anticipe les développements à venir, qui devront s’échafauder sur l’idée que « l’ipséité de l’essence ne se réalise pas dans le temps39 ». On devine déjà la difficulté de rendre compte de ce que Michel Henry appelle pourtant l’« histoire » de nos sentiments, c’est-à-dire la transformation de nos tonalités affectives les unes à partir des autres. Comment, si ces modifications se jouent entièrement dans la sphère d’immanence, c’est-à-dire sans aucun écart, sans aucune médiation, hors du temps, peuvent-elles seulement être possibles ? Pour Michel Henry, il s’agit néanmoins de penser une « histoire originelle » qui est « le devenir immanent des tonalités subjectives de l’existence, comme telle, comme immanente et s’accomplissant dans une sphère d’immanence radicale, elle ignore le temps de l’opposition, toute forme de compréhension possible par conséquent, et n’est pas dialectique »40. Au demeurant, cette exclusion de la temporalité va de pair avec l’exclusion de toute finitude. Nous sommes ainsi renvoyés une nouvelle fois au thème de la naissance. De l’immanence se trouve exclu par principe tout ce qui concerne ma naissance ici-bas, tout comme ma mort.
12Les propriétés successives du détachement eckhartien permettent de fixer le sens d’un concept important — « le » concept par excellence — qui prendra une importance grandissante dans l’œuvre de Michel Henry41 : la vie, une vie éternelle et « invincible » que « nul soupçon de la mort ne traverse »42. Dans L’essence de la manifestation, ce concept est encore peu présent. Pour en trouver certaines caractéristiques, néanmoins, c’est encore vers les pages consacrées à Eckhart qu’il convient de se tourner : « “Connaître Dieu seul, voilà la vie éternelle”, dit Eckhart, c’est-à-dire la vie même dans son essence, en tant qu’elle se rapporte à elle-même dans l’unité et non, dans l’altérité, à un horizon fini »43.
13Ces propriétés semblent en outre correspondre point par point à la conception que se fait Michel Henry de la réduction phénoménologique44. S’il n’identifie pas systématiquement sa démarche à une réduction spécifique, on peut néanmoins trouver dès L’essence de la manifestation la voie ouverte à une telle interprétation45. Mais c’est évidemment dans les textes plus tardifs qui se confrontent explicitement à Husserl que surgit de façon plus explicite un tel langage : « La phénoménologie de la vie […] se constitue elle aussi dans une réduction, une réduction phénoménologique radicale qui n’a toutefois rien à voir avec la réduction galiléenne non plus qu’avec la réduction phénoménologique pratiquée par Husserl46. » Ou encore : « La phénoménologie matérielle telle que je la conçois résulte de cette réduction radicale de toute transcendance qui libère l’essence du sous-jacent de la sub-jectivité en tant que sa “composante” hylétique ou impressionnelle »47. En poursuivant la comparaison, on voit comment la « réduction » mise en œuvre par Henry et le détachement eckhartien peuvent se confondre : tous deux doivent nous mettre en présence d’un résidu phénoménologique ultime. Peut-être ne serait-il pas impossible d’aller plus loin en parlant du détachement eckhartien — c’est-à-dire tout aussi bien de la pauvreté, de l’humilité ou de la noblesse — comme du véritable nom de la réduction propre à la pensée de Michel Henry.
14Cette réduction, cette reconduction de la transcendance à l’immanence de l’essence, se trouve exprimée dans toute sa singularité à travers la distinction entre Dieu et la Déité. Seule la Déité, selon Henry dans son interprétation de Maître Eckhart, constituerait « la réalité ontologique »48. Dieu, par contre, renverrait à « l’acte de sortie de soi de l’absolu », à « l’essence de la création »49, c’est-à-dire à ce que nous avons identifié plus haut comme le processus ontologique par lequel en général l’étant se phénoménalise. Henry voit donc à travers cette distinction eckhartienne une critique du « concept de Dieu »50, si l’on voit à travers celui-ci une réalité transcendante. Et en effet, on trouve bien chez Eckhart cette idée que Dieu ne prend son sens que pensé corrélativement à la création : « Quand je […] reçus mon être créé, j’eus un Dieu ; car avant qu’il y eut des créatures, Dieu n’était pas Dieu, Il était ce qu’Il était51. » Le concept de Dieu implique donc une relation à l’altérité, il est relatif à la création. Au contraire de la Déité, qui n’implique qu’une relation à soi, qui n’a plus rien à voir avec un Dieu trinitaire. On peut une nouvelle fois se tourner vers l’exégète eckhartien pour trouver l’expression des caractéristiques de cette Déité dans des termes avec lesquels Henry s’accorderait sans nul doute : « Penser l’origine comme Déité, c’est refuser de la représenter à la manière d’un arrière-monde transcendant le monde créé, c’est probablement l’abrogation d’une telle transcendance. La Déité est la destruction de toute configuration métaphysique, extérieure ou intérieure à Dieu52. » Au demeurant, Michel Henry semble voir dans la conception eckhartienne de la Déité « le contenu philosophique de l’athéisme ». Voudrait-il signifier par là que le rejet du Dieu transcendant est aussi le rejet du christianisme ?
15Il convient à tout le moins de noter que cette réduction telle qu’elle est présentée ici se distingue radicalement du geste méthodologique préconisé par Husserl au § 58 des Ideen — « La transcendance de Dieu mise hors circuit ». Husserl, après avoir montré, d’une part, que Dieu — l’absolu — se distingue de l’absolu de la conscience et que, d’autre part, si l’on parle de ce Dieu comme d’un transcendant, il faut l’entendre dans un autre sens que celui attribué à l’être transcendant du monde, déclare en effet : « Cet “absolu”, ce “transcendant” rentre naturellement dans la réduction phénoménologique. Il doit rester exclu du nouveau champ d’étude qu’il nous faut instituer, dans la mesure où ce doit être le champ de la conscience pure »53. Si l’on peut penser voir un mouvement similaire dans la réduction déployée par Michel Henry, on notera bien entendu que Dieu en tant que transcendant n’est aucunement absolu pour lui, et que le geste réductif est là précisément pour recouvrer son absoluité dans l’immanence de la conscience — ou de l’ego — et comme s’identifiant à celle-ci54. Identification, nous allons le voir, que Michel Henry trouve chez Eckhart.
2/ L’interprétation du Grunt eckhartien : identité de l’âme à Dieu
16Michel Henry, nous l’avons suffisamment suggéré, trouverait sa méthode réductive à travers le dépouillement eckhartien. Il convient maintenant de se tourner vers le résidu « phénoménologique » — c’est-à-dire l’essence dans son immanence absolue — face auquel cette réduction nous met en présence. Encore une fois, c’est le détour par la pensée eckhartienne qui seul, permet de s’élever à sa compréhension. Compréhension de la relation de l’essence à elle-même à partir du concept d’unité, compréhension de cette unité comme révélation55 et finalement identification de cette révélation de l’absolu avec l’ego.
17Michel Henry expose l’ensemble de ces caractéristiques à travers différentes formules fortes56 de Maître Eckhart dont on relèvera certains exemples significatifs : « Dieu est immanent à cette pure essentialité de lui-même qui ne renferme rigoureusement rien d’autre »57 ; « Il n’y a rien d’étranger dans l’unité (einicheit) »58 ; « Tout ce qui est en Dieu est Dieu »59. Ou plus spécifiquement pour exprimer l’identité de Dieu avec l’ego : « Dieu et moi sommes un dans l’opération »60 ; « Dieu engendre l’homme “sans aucune distinction” »61 ; « Celui qui veut saisir en son entier l’œuvre intérieure […] se confie à l’unité qui est libre de toute diversité et de toute limitation, l’unité où se dépouille et se perd toute différence »62.
18On trouve à travers ces formules une belle expression de l’absolu comme immanence — sans aucune médiation, ni altérité. On y trouve également, et surtout, l’identification de l’ego avec cet absolu, ainsi que les conséquences qu’elle entraîne et qu’il s’agit de « tenir » jusqu’au bout. On peut parler, en effet, d’un alignement des caractéristiques de l’ego sur celles de l’ego divin. C’est précisément cela qui permettra à Henry de dégager, dans sa quatrième section, l’identification absolue de l’ego et du sentiment.
19Cette identité ontologique va très loin puisqu’elle s’énonce, selon Henry, non seulement à travers « l’indépendance de l’âme à l’égard de Dieu »63 — idée que Henry expose par la citation évoquée précédemment : « Je suis non-né »64 — mais également par « la dépendance de Dieu à l’égard de l’âme »65. Pour alléguer cette dernière affirmation, Henry se tourne vers les paroles fameuses du sermon 52 : « Ici, je fus cause de moi-même et de toutes choses. Si je l’avais voulu alors, le monde entier et moi ne serions pas… Que Dieu soit Dieu, j’en suis une cause. Si je n’étais pas, Dieu ne serait pas non plus66. » Dès lors, tout ce qui peut être affirmé de Dieu en son essence — ce qui a été compris comme Déité — peut également être prédiqué de l’âme ou de l’ego. Mieux, peut-être : ce qui est avancé pour définir la structure de l’essence, n’est là que pour définir l’ego.
20Dans ce sens, par exemple, si Michel Henry montre la façon dont Maître Eckhart « comprend comme “solitude” […] ce qui forme la structure interne de [l’] essence, c’est-à-dire la nature de la Déité »67, c’est bien parce qu’elle s’applique selon lui en même temps — et avant tout — à l’essence de l’ego. La solitude se présente donc comme un concept complémentaire destiné à donner une compréhension de l’immanence. Il convient de le saisir comme une « catégorie ontologique fondamentale68 » et non comme ce qui désignerait un simple « moment » de l’essence : « La solitude est l’essence de la vie »69. Elle en est l’essence, tout comme ce qui doit permettre de comprendre son unité70 ou sa parfaite adhérence à soi. « Chance que le sol sur lequel tu te tiens ne puisse être plus large que les deux pieds qui le couvrent »71 : c’est là une formule empruntée à de multiples reprises par Michel Henry72 à Kafka, pour exprimer métaphoriquement cette unité faite de solitude. C’est aussi une idée qu’il retrouve presque identiquement chez Maître Eckhart : « Ce qui remplit touche à tous les bouts et ne fait défaut nulle part, il a largeur et longueur, hauteur et profondeur »73. L’ego originel, absolu, dans sa donation primordiale à soi, dans sa passivité originaire, est tout aussi bien celle du sentiment par rapport à soi : voilà ce que cette idée de parfaite adhérence à soi définit et met à l’avant plan ; voilà ce qui permettra de saisir le sentiment comme « le don qui ne peut être refusé, […] la venue de ce qui ne peut être écarté »74. Ces remarques peuvent même éclairer le sens de l’auto-affection pure comme affection de soi par soi qui caractérise l’ego :
Être livré à soi-même irrémédiablement pour être ce qu’on est, cela veut dire, cela ne peut que vouloir dire, s’éprouver soi-même, subir son être propre, faire l’expérience de soi dans un subir plus fort que toute liberté, que tout pouvoir d’échappement à soi ou d’arrachement, se sentir soi-même tel qu’on est dans l’identité absolue du se sentir et de ce qu’il sent, dans l’identité avec soi du sentiment75.
21L’identité ontologique entre l’âme (l’ego) et Dieu est dès lors consommée, comme ont pu nous le montrer des formules allant jusqu'à placer l’ego comme étant la cause de Dieu. L’âme s’identifie donc avec le propre fond de Dieu76. Ou mieux, âme et Dieu ne sont qu’un seul et même fond, qu’un seul et même sol. Toute médiation, toute altérité, toute différence a été éliminée. « L’essence ne réside pas hors de nous mais dans notre propre vie, et cela parce qu’elle est l’essence même de cette vie qui est la nôtre77 ». Aussi peut-on affirmer : « Le monde est traversé par une vie qui est la mienne : je suis la vie du monde78. »
22Qu’en est-il, maintenant, si l’on se tourne vers la lettre eckhartienne ? De manière surprenante, il semble tout d’abord qu’un détour rapide par la pensée du maître rhénan confirme l’interprétation proposée par Henry. C’est le cas, par exemple, si l’on se penche sur le sermon 52 — Beati pauperes spiritu —, l’un des textes les plus souvent utilisés par Henry. Ce sermon exprime l’identité de l’âme et de la Déité à travers le thème de la pauvreté. On y retrouve la « réduction » que nous avons évoquée plus haut — si, à tout le moins, on veut le tirer vers la pensée de Michel Henry — ou le dépouillement, la percée radicale qui doit nous amener à comprendre cette unité où la distinction n’a plus lieu d’être :
Dans ce même être de Dieu (wesene gotes) où Dieu est au-dessus de l’être (wesene) et de la distinction (underscheide), j’étais moi-même, je me voulais moi-même et je me connaissais moi-même, pour faire cet homme <qu’ici-bas je suis>. Et c’est pourquoi je suis cause de moi-même selon mon être (wesene) qui est éternel, mais non pas selon mon devenir qui est temporel79.
23Pour recouvrer cet être éternel, l’homme ne doit même pas conserver un « lieu » capable d’accueillir Dieu : « Tant que l’homme conserve encore en lui un lieu quelconque, il conserve aussi quelque distinction80 ». Un autre sermon — « Comment l’âme suit sa propre voie et se trouve elle-même81 » —, dont la structure s’apparente fort à celle du sermon 52, présente les mêmes formules pour atteindre le même résultat : « Ici l’âme ne reçoit plus rien, ni de Dieu, ni des créatures, car ce qu’elle tient, c’est elle-même, et elle puise tout dans son propre fond. Ici l’âme et la déité sont un. Ici l’âme a découvert que c’est elle le royaume de Dieu82. »
24Cette première impression d’un accord entre la lettre eckhartienne et l’interprétation qu’en donne Henry, se dégage également à la lecture des commentateurs du Maître rhénan. Ainsi, Alain de Libera écrit-il que l’âme ne trouve pas l’être de Dieu « comme de l’extérieur, en elle-même ; elle est au contraire cet être-Lui-même, en Lui-même ». Ou mieux encore, alors que l’on pourrait penser lire Michel Henry lui-même : « Le Dieu qu’elle atteint est atteint dans l’immanence de Son être, en deçà d’elle-même, dans l’intériorité absolue de Lui-même »83, « l’arrivée de l’âme est arrivée dans l’immanence même de sa source »84. Maître Eckhart cherche donc à dégager une unité essentielle dans et par le fond.
25À ce stade de notre développement, surgissent néanmoins certaines questions. Concernant tout d’abord la pensée de Michel Henry elle-même, indépendamment de l’utilisation ou de l’interprétation qu’il propose de Maître Eckhart. Si l’on se replace, en effet, dans la perspective phénoménologique dans laquelle Michel Henry cherche résolument à s’installer, on se demandera au premier chef — objection classique à dire vrai en direction de L’essence de la manifestation — si la définition de l’ego ainsi obtenue n’est pas la plus belle définition du solipsisme ; un solipsisme de l’affectivité dans notre cas. Et en effet, si la solitude ontologique de l’essence doit être considérée comme la solitude de l’ego, on ne voit pas très bien, comme le notait très tôt Georges Van Riet, « comment [Henry] pourrait affirmer une pluralité d’ego, ou constituer autrui85 ». Surgit également une autre importante question concernant la temporalité. Nous avons vu comment Michel Henry, s’inspirant en cela pour une part de l’opposition entre temporalité et éternité que l’on trouverait chez Maître Eckhart, dégageait l’immanence en dehors de toute temporalité. On se demande dès lors comment « expliquer » ce qui est pourtant désigné comme l’« histoire originelle » de nos sentiments ; comment, sans référence au « temps », expliquer l’éternel passage de nos tonalités affectives les unes dans les autres. Enfin, sans entrer plus avant dans ce débat, on peut s’interroger sur la légitimité de vouloir penser une auto-affection rigoureusement pure de toute hétéro-affection ; ce qui nous place face à la question de la prétention de la phénoménologie de Michel Henry à vouloir dégager une dimension phénoménale en dehors de toute intentionnalité. Répéter inlassablement que le sentiment est donné à lui-même, ne nous dit rien sur la matière phénoménologique d’une telle révélation.
26D’autre part, et cela malgré l’apparente confirmation que nous avons eue de l’interprétation proposée par Henry en nous référant rapidement au texte eckhartien, il conviendrait peut-être de pousser plus avant l’investigation. Michel Henry a trouvé chez le Maître rhénan les potentialités pour penser l’ego comme absolu, et même, nous l’avons souligné, pour le penser comme cause de Dieu. Il nous faut à présent souligner que cette idée ne va pas sans sonner avec quelques airs d’hétérodoxie. On pourrait même avancer que certaines des formules fortes que nous avons épinglées — « Tout ce qui est en Dieu est Dieu »86, pour ne citer qu’un exemple — tendent à présenter la pensée eckhartienne comme panthéiste. Est-ce là, cependant, le sens dernier qui se cache derrière elles ? Est-ce là, précisément, le tout de leur potentialité ? Répondre par l’affirmative, ce serait cautionner la suspicion qui pesa sur Maître Eckhart, ainsi que la condamnation qui frappa certaines de ses thèses. On ne peut assurément pas s’engager dans une telle voie. Et Michel Henry nous suit bien volontiers, lui qui déclare :
À ceux qui le condamnèrent comme si, dupe de son enthousiasme et peut-être aussi de son amour, Eckhart avait, dans l’identification prétendue de la créature avec Dieu, comme exagéré les sentiments et les idées que lui suggérait son âme « mystique », il ne manqua qu’une chose, la compréhension de sa pensée87.
27D’ailleurs, nous l’avons relevé plus haut avec Henry, l’identité ontologique dont il s’agit ne concerne nullement Dieu et la créature ; ce qui, d’ailleurs, dans le système henryen, nous placerait face à un non-sens : l’identité entre l’immanence et la transcendance. Pourtant, on pourrait peut-être regretter de ne pas trouver chez Henry une explication qui pourrait éclairer les formules que nous avons citées. Formules qui ont toutes été remises en question, voire condamnées, et qui, pour cette raison même, demanderaient d’être considérées avec le plus de précaution possible.
3/ La conception eckhartienne du « Ich » : vers une auto-affection sans sujet fonctionnaire
28Quel est donc le sens à donner à cette identification de l’ego à l’absolu ? Si les formules que nous avons épinglées semblent hétérodoxes, peut-être est-ce au premier abord seulement, peut-être qu’un détour par la conception eckhartienne de l’ego, du « Je », du « Ich », parviendra à éclairer le sens qu’il faut y lire. Une première indication, que l’on trouve au sermon 28, peut nous mettre sur la voie : « Le mot latin ego, qui signifie “je”, n’appartient à personne, il n’est propre qu’à Dieu seul dans son unité88. » « Je » renverrait donc prioritairement à la Déité ; il ne se pourrait dire proprement que pour désigner cette Déité. D’autres éléments sur la conception eckhartienne de l’ego, que l’on trouve au sermon 77 — sermon qui se présente d’ailleurs en partie comme une réflexion théorique sur ce terme —, semblent nous permettre d’aller plus loin encore. Trois significations peuvent être dégagées. « “je”, cela signifie d’abord que Dieu est son être-Lui (isticheit), que Dieu seul est, car toutes choses sont en Dieu et par lui ; hors de lui et sans lui, rien n’est en vérité89 ». On retrouve à travers cette phrase eckhartienne l’idée d’une solitude ontologique, que Michel Henry a également cherché à dégager à propos de l’essence. Le commentaire d’Alain de Libera pourrait d’ailleurs, à quelques nuances près, s’appliquer à L’essence de la manifestation : « La solitude de Dieu est une solitude ontologique, une solitude première, originaire, indicible, impensée et radicalement impensable. C’est la solitude de la Déité qui surplombe en elle-même la société des personnes : Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu l’Esprit90. » L’ipséité divine est donc tout aussi bien la marque de son solipsisme ontologique91 ; elle ne revêt pas, en outre, une signification « personnelle, mais essentielle »92. Mais il convient de se tourner avec intérêt vers la seconde signification introduite dans ce sermon 77 qui vient mettre en lumière et préciser ce que contenait déjà implicitement la première citation : « En deuxième lieu, cela veut dire qu’il n’existe pas de séparation entre Dieu et toutes choses, car Dieu est toutes choses : il leur est plus intime qu’elles ne le sont à elles-mêmes93 ». On le voit donc, bien que renvoyant à la solitude ontologique de Dieu, « “je” n’en est pas moins en même temps le nom de l’unité ontologique de Dieu avec tout ce qui est. C’est le nom de l’insondable et inscrutable intériorité de l’être »94. De la sorte, si l’on en revient aux formules fortes que nous avons évoquées — celles du sermon 52, par exemple —, on peut soutenir l’hypothèse qu’elles ne font rien d’autre qu’exprimer cette unité ontologique précisément par la mise en scène du « Je ». Il en irait de la sorte, pour ne donner qu’un exemple, dans la phrase suivante : « Dieu et moi nous sommes un. Là je suis ce que j’étais »95. Dans ce sens, « Je » désignerait ce que Maître Eckhart appelle ailleurs l’« Un », mais aussi, comme le montre la troisième96 signification proposée dans le sermon 77, « la pureté nue de l’être97 », ou encore l’« être essentiel98 ».
29Par ailleurs, cette conception du « Je » éclaire les propos eckhartiens sur la nécessité pour l’homme de ne plus avoir aucun « lieu » capable d’accueillir Dieu99, et par là même le sens profond du détachement ou de la percée. Le « Je » qui est impersonnel, nous l’avons vu, désigne en quelque sorte « une place sans emplacement »100, ou mieux, un lieu sans lieu, un « lieu incirconscriptible »101. Le « lieu » de Dieu et de l’âme — si l’on peut encore parler de la sorte — serait dès lors le « vide » (ledic), « l’abîme (abgrunt) éternel de l’essence divine » ou encore le « Fond infondé ». Dans ce sens, l’expérience propre du « Je » est une expérience « sans sujet fonctionnaire »102. Elle désigne cette unité ontologique où Dieu s’est complètement libéré de lui-même, l’homme s’est complètement libéré de lui-même et de Dieu : « je ne suis ni Dieu ni créature, mais je suis ce que j’étais »103.
30Que faut-il conclure de tout ceci ? Tout d’abord, on constate que ce détour par la conception eckhartienne du « Je » ne fait pas seulement confirmer l’interprétation de Michel Henry ; bien plus, elle pousse encore plus loin l’identité, elle l’exacerbe véritablement : « Je » ne se dit spécifiquement que de l’unité ontologique, il ne concerne qu’une expérience sans sujet fonctionnaire où l’âme comme Dieu ont perdu jusqu’à leur nom104. Mais quelles sont les conséquences si l’on en revient, fort de cet acquis, à L’essence de la manifestation et à un de ses concepts directeurs, celui d’auto-affection ? L’auto-affection, cette expérience qui est pensée comme l’identité absolue du se sentir, comme l’expérience même de l’absolu, serait-elle une expérience sans sujet fonctionnaire ? Le sentiment, pensé comme la révélation de l’absolu, et qui à vrai dire se confond avec celui-ci, est-il le propre d’une expérience où l’âme et Dieu s’identifient dans l’Un pur ? À suivre la démarche qui a été celle de Michel Henry — dégager le concept d’unité à partir de la pensée eckhartienne, pour en faire ensuite le propre de l’auto-affection — on ne peut que répondre par l’affirmative. Dès lors, ce détour par la conception eckhartienne du « Je », viendrait montrer de manière éclatante un flottement, voire une lacune — qui n’a pas échappé à certains lecteurs105 — qui marquerait L’essence de la manifestation : on ne voit tout simplement pas de différence au sein de l’auto-affection entre l’ego — donné à lui-même dans cette fameuse auto-affection — et l’absolu, c’est-à-dire Dieu. Pour pousser cette réflexion à l’extrême, on pourrait aller jusqu'à affirmer que L’essence de la manifestation n’est, de bout en bout, qu’une description de l’auto-affection divine. Une question, que posait Henry lui-même au milieu de ses analyses sur l’auto-affection, pourrait d’ailleurs le suggérer directement : « Quel choix arbitraire décidera si Dieu est triste ou joyeux ?106 ».
4/ De L’essence de la manifestation à C’est moi la vérité. Première interprétation : Histoire d’une rupture
31La confirmation de l’hypothèse que nous avançons, nous pouvons la trouver chez Michel Henry lui-même. Particulièrement en nous tournant vers C’est moi la vérité où, quelque trente années plus tard, il revient, de manière tout implicite sur les acquis de L’essence de la manifestation : « Si l’homme porte en lui l’essence divine de la Vie, n’est-il pas Dieu lui-même ou le Christ ?107 ». Ou encore, exactement dans le même sens :
Seulement, si chaque modalité de la vie considérée dans l’immanence de son vivre porte en soi l’essence absolue de la vie, n’étant jamais rien d’autre qu’un mode de celle-ci, de son auto-phénoménalisation pathétique et inextatique, alors en effet la possibilité d’une dissociation entre ce fils de la vie que, moi transcendantal vivant, je suis moi-même d’une part, l’Archi-Fils d’autre part, et enfin l’essence phénoménologique de cette Vie absolue, soit Dieu lui-même, fait problème108.
32Soulignons cependant que si l’on remonte quelques années avant C’est moi la vérité, on retrouve déjà l’instauration, aussi discrète soit-elle, d’un écart entre cette Vie absolue et ce moi transcendantal. Dans Phénoménologie matérielle, et plus particulièrement dans les pages qui sont consacrées au problème d’autrui, Michel Henry reprend le concept de Fond que nous avons déjà rencontré dans les passages de L’essence de la manifestation consacrés à Eckhart : « Le vivant ne s’est pas fondé lui-même, il a un Fond qui est la vie, mais ce Fond n’est pas différent de lui, il est l’auto-affection en laquelle il s’auto-affecte et à laquelle, de cette façon, il s’identifie109. » On semble tout d’abord ne pas s’éloigner de L’essence de la manifestation, puisque le Fond, comme l’avançait le premier ouvrage, s’« identifie » à l’auto-affection. En dépit des apparences cependant, si Michel Henry revient sur le concept de Fond, c’est bien pour marquer sa différenciation avec l’épreuve propre à chaque ego, comme peut nous le montrer cette autre citation : le vivant, l’ego, « éprouve donc l’autre [l’autre vivant, l’autre ego] dans le Fond et non en lui-même »110. La thématisation d’un écart qui doit régler le problème d’autrui111 — que posait L’essence de la manifestation — reste, certes, très discrète. Bien que furtive, elle ne va pas, toutefois, sans poser de problèmes. Comment, en effet, si l’on marque une « différence » aussi infime soit-elle entre l’ego et l’absolu, doit-on penser leur rapport ? Comment, en d’autres termes, continuer à penser l’épreuve que chaque ego fait de lui-même à travers le sentiment comme l’épreuve de l’absolu si, précisément, il ne s’identifie plus complètement avec cet absolu ?
33Pour trouver une solution, il convient encore une fois de se tourner vers C’est moi la vérité, et avant tout vers le passage cité plus haut. On y trouve, certes, une dissociation entre la Vie absolue et l’ego, mais on voit apparaître surtout un troisième terme, celui d’« Archi-Fils ». C’est précisément par ce troisième terme qu’est mis en évidence le dénouement : « Le rapport de l’homme transcendantal à Dieu n’est pas un rapport direct mais seulement médié par le Christ112. »
34Avant de nous attacher plus spécifiquement à ce concept d’« Archi-Fils », nous nous préoccuperons d’abord de la dissociation entre le moi transcendantal et la Vie absolue. Le flottement que nous avons mis en évidence — dans toute sa singularité grâce au détour par la pensée eckhartienne — dans L’essence de la manifestation, autour du concept d’auto-affection, est réglé, nous l’avons dit, par cette dissociation. Pour ce faire, Michel Henry reconnaît maintenant clairement deux concepts de l’auto-affection : « un concept fort et un concept faible »113. Le concept fort, on l’aura deviné, ne s’adresse qu’à Dieu seul, il caractérise l’auto-affection de la Vie absolue114. Quant au concept faible, il caractérise l’épreuve que je fais de moi-même, épreuve qui pour bien être ma propre épreuve n’est aucunement mon propre fait : je ne suis donc pas au fondement de moi-même. En d’autres termes, « je ne m’affecte pas absolument mais, pour le dire en toute rigueur, je suis et je me trouve auto-affecté »115. Dans le prolongement de ce dédoublement du concept de l’auto-affection, c’est également le concept de passivité qui se voit modifié. Le soi n’est pas seulement passif vis-à-vis de lui-même, dans ce qui fait à chaque fois le sentiment éprouvé, passif « le Soi l’est d’abord à l’égard du procès éternel de l’auto-affection de la Vie qui l’engendre et ne cesse de l’engendrer »116.
35C’est moi la vérité réactive donc ce que L’essence de la manifestation tenait absolument à effacer : un écart entre l’ego et le Fond divin. L’auto-affection radicalement pure que dégageait le premier ouvrage ne serait le propre que de Dieu seul. L’auto-affection spécifique à l’ego, quant à elle, ne serait pensable que sur fond d’hétéro-affection : elle y trouverait sa « matière ». De la sorte, on pourrait parler aujourd’hui de ce Fond divin comme d’une transcendance, même si celle-ci doit être désignée comme interne à l’immanence117. De la même façon, suivant en cela Michel Henry lui-même, on pourrait également parler d’altérité, même si celle-ci, bien entendu, n’a plus rien à voir avec l’altérité propre à la phénoménalité ek-statique dénoncée dès L’essence de la manifestation : « Si l’on se place dans une philosophie de la vie, il y a aussi une altérité : c’est celle que signifie la vie pour tout vivant. Seulement ce rapport ne peut plus être compris comme un rapport ek-statique, mais comme un rapport pathétique118. »
36Mais revenons maintenant à la solution avancée pour penser le rapport de cette vie divine à l’ego qui, nous allons le voir, consomme elle aussi la rupture par rapport à L’essence de la manifestation. Ce rapport, nous l’avons vu, est médié par le Christ. Comment convient-il d’entendre cette médiation ? Dans son interprétation du christianisme, le Christ est pensé par Michel Henry comme l’ipséité de la vie absolue. Aussi y a-t-il entre cette vie absolue et le Christ, une relation d’intériorité réciproque, car si c’est bien la vie qui engendre en elle le Christ, c’est celui-ci qui lui donne son effectivité phénoménologique : « cette vie ne peut s’accomplir sans lui comme il ne peut s’accomplir sans elle »119, il y a entre eux « une co-appartenance originelle »120. Pour le dire autrement et rapidement121, la vie génère en elle le Christ, mais c’est le Christ qui, en tant qu’« Ipséité » première, est le propre accomplissement de la vie. En tant qu’ipséité originaire, le Christ ou l’Archi-Fils est aussi le Soi originaire, et est appelé, pour cette raison même, « Premier Vivant »122. Mais dans quelle mesure ce Premier Vivant est-il une médiation entre cette vie absolue et chaque moi transcendantal vivant ? C’est uniquement, pour Michel Henry, parce que s’est déjà édifiée dans cette vie une Ipséité originaire, qu’un ego, ou plutôt d’abord un Soi transcendantal vivant est possible123. Autrement dit, aucun vivant, c’est-à-dire aucun Soi ou mieux aucun « Fils », ne serait engendré si, préalablement, cette vie ne s’était faite ipséité dans l’Archi-Fils. « L’homme en tant que “Fils de Dieu” »124, ne l’est qu’en tant que « Fils dans le Fils »125.
37On le voit donc, les éléments qu’exploite Michel Henry à travers son interprétation du christianisme lui permettent de dégager la structure interne de l’immanence de façon considérablement plus complexe que la conception laissée par L’essence de la manifestation. On retrouve bien l’opposition majeure entre transcendance et immanence, qui se traduit par une opposition entre ce qui relève de la création et ce qui concerne la « Vie » dans son immanence. Mais celle-ci est maintenant explicitement entendue comme un processus, un mouvement continuel126 : c’est là ce que Michel Henry comprend comme naissance transcendantale, ce mouvement perpétuel de la vie qui me donne à moi-même, qui permet à chaque Soi de se faire moi et d’entrer ainsi en possession des pouvoirs qui lui permettront d’agir dans le monde127. La naissance n’est pas d’abord une venue au monde, un processus qui trouverait son effectivité dans le milieu de l’extériorité, elle est avant tout la venue de chaque vivant dans la vie à partir de la Vie elle même : « La venue au monde interdit d’avance toute naissance concevable s’il est vrai que dans le “hors de soi” du monde l’étreinte de la vie avec soi serait brisée avant que de se produire — si la Vérité de la Vie est irréductible à celle du monde128. »
5/ La référence à Maître Eckhart : fidélité ou rupture ?
38Une question se fait évidemment pressante. Ce que l’on vient d’exposer et qui marque une rupture ou du moins une évolution par rapport à L’essence de la manifestation, n’est-elle pas en même temps la fin de la référence à la pensée eckhartienne qui, pourtant, nous était apparue si massive et si importante dans ce premier ouvrage ? Michel Henry n’abandonne-t-il pas — ne doit-il pas abandonner — la référence au Maître rhénan pour extirper son système philosophique des impasses où L’essence de la manifestation le maintenait ?
39La réponse ne peut être rapide et tranchée. Pour la bonne raison, d’abord, que l’on retrouve bien dans C’est moi la vérité la référence à Maître Eckhart. Certes, il n’est convoqué que deux fois dans l’ouvrage129. Néanmoins, au-delà de ces deux renvois ponctuels, on peut se demander si, tout en étant beaucoup moins explicite, le rapport à Maître Eckhart n’est pas aussi important que dans les lignes de L’essence de la manifestation. On retrouve, en effet, chez Maître Eckhart cette même idée — somme toute classique — d’une médiation par le Christ entre l’homme et Dieu. Mieux encore, elle est exploitée dans le même sens : à travers le thème de la naissance, pensée elle-même comme ce perpétuel mouvement ou processus. Ainsi certains textes eckhartiens peuvent éclairer l’analyse à l’œuvre dans C’est moi la vérité, avant tout la compréhension de la naissance ou de l’engendrement : « L’homme a deux naissances : l’une au monde, l’autre hors du monde, c’est-à-dire spirituelle en Dieu »130 ; « La nature du Père est d’engendrer le Fils et la nature du Fils est que je naisse en lui et selon lui »131 ; « Engendrer, voilà le plus haut dessein de Dieu. Il n’est jamais satisfait avant d’avoir fait naître son Fils en nous »132.
40Mais, sans aller plus loin, si l’on peut considérer que Michel Henry s’inspire pour une bonne part de la pensée eckhartienne dans l’interprétation du christianisme à l’œuvre dans C’est moi la vérité, n’est-ce pas soudain la pensée de Maître Eckhart elle-même qui apparaît sous un éclairage singulier ? Et en effet, comment expliquer que l’on trouve en même temps chez Maître Eckhart ce fameux solipsisme ontologique dont nous avons parlé plus haut, qui n’admet aucune distinction, et le processus d’auto-engendrement — où l’on retrouve l’idée de médiation ou de différence — que nous venons d’évoquer ? Ne faut-il pas conclure qu’il y a chez le Maître rhénan une culture du paradoxe difficilement résorbable ? L’œuvre de Maître Eckhart pourrait, il est vrai, offrir une telle lecture. Le jeu sémantique de certains termes peut parfois dérouter le lecteur, comme il peut poser certains problèmes d’interprétation. Il ne faut cependant pas y voir un « tournant » dans sa pensée, ou une quelconque contradiction. Comme l’ont montré certains commentateurs avertis, « il est dans la logique de la démarche eckhartienne de ne pas s’inféoder à un seul système de concepts »133. Dès lors, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les deux aspects que nous venons d’opposer finissent peut-être par se rejoindre. On trouvera la voie d’un tel dénouement sous la plume d’Alain de Libera et d’Emilie Zum Brunn : « La doctrine du Verbe ne se conçoit pas plus sans le solipsisme ontologique paradoxal de Dieu que celui-ci ne se conçoit sans elle134. » Néanmoins, si cette citation montre bien qu’il n’y a pas un paradoxe ou « une alternative entre l’Un [le Fond, l’être essentiel] et la Trinité »135 chez Maître Eckhart, il persiste cependant là un point délicat de sa pensée. L’expérience « sans sujet fonctionnaire » dont nous parlions plus haut pour caractériser ce Fond, cette unité ou l’essence de la Déité, est en tout cas à préciser. Si l’on doit parler de cette unité comme étant au-delà de toute distinction, il ne faut pas pour autant penser qu’elle est « réalisée à part des trois personnes dont elle est l’essence »136. Un passage du sermon 28 pourrait peut-être éclairer la conjonction de ces deux perspectives :
C’est dans cette pureté que Dieu, le Père éternel, puise la plénitude et l’abîme de toute sa déité. Cet abîme, il l’engendre ici dans son Fils unique, pour que nous soyons aussi ce même Fils. Mais pour lui, engendrer c’est demeurer en Lui-même et demeurer en Lui-même c’est engendrer hors de Lui-même. Tout cela reste l’Un jaillissant en lui-même137.
41Pour comprendre cet apparent paradoxe, il conviendrait peut-être également de faire appel à la solution envisagée par Reiner Schürmann qui parle d’« identité opératoire »138 : « L’identité entre le fond de Dieu et le fond de l’homme est lié à la naissance du Fils. Le Père engendre, et l’homme engendre “de concert”139. ». Parler de la sorte c’est, selon lui, éviter de « confondre l’homme et Dieu dans une totalité indistincte », c’est éviter d’établir entre eux « une identité pure et simple ». Ce n’est pas pour autant sacrifier la dimension ontologique que le Maître rhénan cherche à dégager. Il convient cependant de la comprendre dans un sens spécifique : comme « ontologie pérégrinale »140, qui découle d’une compréhension de l’identité non pas « selon un schéma nominal, mais verbal »141.
6/ De L’essence de la manifestation à C’est moi la vérité. Seconde interprétation : Histoire d’une stricte continuité
42Aussi, à ce stade, n’apparaît-il pas un nouveau rebondissement dans notre analyse ? S’il n’y a pas à proprement parler de paradoxe, ou d’évolution majeure dans la pensée eckhartienne, il convient peut-être de revoir notre jugement sur l’évolution, voire la rupture que nous avons cru déceler dans la philosophie de Michel Henry, dans le trajet qui la mène de L’essence de la manifestation à C’est moi la vérité. Ce qui nous est apparu de la sorte ne serait en définitive — si l’on prend en considération ce qui vient d’être avancé à propos d’Eckhart — qu’un simple changement de perspective : Henry, dans son dernier ouvrage, ne se placerait plus au niveau de l’insondable Déité pour elle-même et en elle-même, mais chercherait à dégager le processus d’auto-engendrement où se marquent des distinctions. Ce nouveau regard interprétatif peut apparaître comme un coup de force. Il correspond certainement mieux, en tout cas, à l’orthodoxie de la pensée de Michel Henry. Il permet de présenter L’essence de la manifestation comme contenant déjà, à l’état implicite certes, les développements futurs de l’œuvre. Dès l’intuition de départ, tout aurait été dit et, tel un fil à dérouler, ses développements futurs y auraient été contenus en puissance. Conforme à la révélation d’absolu qu’elle prétend nous dévoiler, l’œuvre henryenne dans son ensemble se donnerait d’emblée dans ce premier ouvrage142.
43Ainsi, la logique propre à la pensée de Michel Henry apparaît sans faille. L’on comprend en tout cas pourquoi il peut se permettre de ne pas remettre explicitement en cause les thèses développées dans L’essence de la manifestation. Et même à s’en réclamer explicitement alors qu’il s’apprête en même temps à s’en détacher implicitement. On trouvera la meilleure illustration de cette hypothèse dans les pages qui précèdent immédiatement le passage que nous évoquions plus haut où est affiné le concept d'auto-affection. Michel Henry renvoie le lecteur à L’essence de la manifestation143, mais aussi, geste éminemment stratégique, il convoque Eckhart pour confirmer l’identification de Dieu à la « Vie »144. C’est moi la vérité ne ferait que pousser plus loin les éléments posés dès L’essence de la manifestation.
44En poursuivant dans cette voie, on pourrait d’ailleurs s’efforcer de montrer comment L’essence de la manifestation faisait déjà implicitement une place pour l’« Archi-Fils » et comment — bien que les conséquences ne fussent pas encore apparentes — celui-ci était déjà compris comme l’effectivité phénoménologique de l’absolu :
Ainsi devient intelligible chez Eckhart, comme le point où se rassemblent et culminent les intuitions ultimes de sa pensée, la théorie du Verbe. Celui-ci, compris par lui conformément à la tradition religieuse, est encore appelé le Fils de Dieu. Cela signifie que la révélation dans son accomplissement phénoménologique effectif est l’œuvre de l’absolu145.
45Henry, pour appuyer ses dires, allait d’ailleurs chercher la formule du sermon 28146 que nous venons d’évoquer.
46Eckhart, qui nous a d’abord paru le meilleur allié pour démontrer les modifications qu’avait dû faire subir Henry aux concepts posés dans L’essence de la manifestation, serait donc tout autant pertinent pour montrer qu’il n’en est rien. Ou plutôt, Eckhart, qui nous a permis de placer cette phénoménologie face aux difficultés qu’elle pose, est pour Michel Henry l’interlocuteur privilégié lui permettant de les amoindrir.
47Pour clôturer ces pages, pour montrer aussi que le débat n’est pas consommé pour autant, on l’exposera à travers un dernier exemple, difficile mais édifiant : celui de la temporalité. On se rappelle les formules utilisées à ce sujet par Henry — « l’ipséité de l’essence ne se réalise pas dans le temps »147 — dans son premier ouvrage, tout comme les objections qu’elles pouvaient faire surgir. On a pu montrer comment Michel Henry s’inspirait en cela de Maître Eckhart chez qui, de manière somme toute classique, l’éternité de la vie divine était opposée à la temporalité. Or, à cet égard, la seconde interprétation que l’on vient de mettre en œuvre vacillerait fortement puisque Michel Henry paraît avoir évolué sur la question. Il parle dans C’est moi la vérité d’une temporalité propre à l’immanence. Une « temporalité originelle immanente »148, certes — une temporalité « totalement différente149 » de celle pensée jusqu’alors, par exemple chez Husserl et Heidegger150 —, mais une temporalité tout de même. Une « temporalité pathétique, c’est-à-dire une temporalité où ce qui se transforme ne se sépare pas de soi151 ». Comme on a pu parler de l’auto-engendrement, de l’auto-révélation de la vie, on peut maintenant parler de son « auto-temporalisation152 ». Mais ne faudrait-il pas alors revenir à la première interprétation que nous donnions : y a-t-il une rupture entre L’essence de la manifestation et C’est moi la vérité, qui est en même temps une rupture avec la source d’inspiration eckhartienne qu’il avait fait apparaître dans sa thèse en 1963 ?
48À nouveau, les choses ne sont pas aussi limpides qu’elles y paraissent. Et tout d’abord parce que là où Michel Henry esquisse une « description » de ce que serait cette temporalité pathétique, c’est encore une fois Maître Eckhart qui est convoqué :
Là où il y a la vie, dans son essence intérieure, il n’y a plus d’ek-stase, ni passé ni futur. C’est très difficile à comprendre, mais certains auteurs en ont eu l’intuition. Par exemple, Maître Eckhart quand il dit : « Ce qui s’est passé hier est aussi loin de moi que se qui s’est passé il y a quinze mille ans »153.
49Malheureusement, on peut regretter que sur cette question pourtant cruciale, Michel Henry ne pousse pas plus avant le parallèle avec la pensée du Maître rhénan. On trouvera cependant chez un commentateur eckhartien, qui nous a déjà plusieurs fois inspiré, la possibilité d’avancer dans le rapprochement esquissé par Henry. On pourrait, en effet, « tirer » vers Michel Henry la distinction établie par Reiner Schürmann entre deux modes de temporalité — l’instant et la durée —, où le premier s’apparenterait à la temporalité pathétique et le second à la temporalité ekstatique. La durée caractérise, selon Schürmann, le devenir temporel où sont isolables un avant et un après : c’est le temps mondain, le temps de l’attachement aux choses154. Il s’agirait donc là de la temporalité ek-statique, tant dénoncée par Henry. L’instant, par contre, caractérise la temporalité propre au détachement. Il ne s’agit nullement d’une quelconque « sortie du temps »155, mais d’une temporalité spécifique, d’un « actuel maintenant », qui caractérise l’homme en son Fond, c’est-à-dire son mode non-né dont parle le sermon 52. On peut alors reprendre la parole de ce même sermon : « Selon mon mode non-né, j’ai été éternellement, je suis maintenant et je demeurerai éternellement ». Elle signifie, à suivre Schürmann — et Henry ? —, que selon ce mode j’« évolue dans la plénitude de l’instant, qui est l’éternité »156. On trouverait une illustration de cette conception eckhartienne de l’instant, ou encore du maintenant, dans le sermon 2 : « L’instant où Dieu fit le premier homme, l’instant où le dernier homme disparaîtra, et l’instant où je parle, sont égaux en Dieu : ils n’y sont qu’un seul et même instant157. » Bien évidemment, si Schürmann va jusqu’à parler de « temporalité originaire » — évoquée plutôt à propos de l’Un plotinien que de l’instant eckhartien158 —, c’est en s’inspirant de Heidegger. Par cette source d’inspiration, il marquerait les limites du rapprochement que nous esquissions. Néanmoins, on a pu le voir, il y a là une voie riche à exploiter. Elle permet de montrer que le « Présent Vivant » tel que le comprend Henry est redevable avant tout à Maître Eckhart, et non à Husserl comme l’atteste également Phénoménologie matérielle dans ses minutieuses analyses des Leçons sur la conscience intime du temps, pour finalement conclure : « En ce qui concerne notre vie il n’y a pas, il n’y a jamais eu quelque maintenant absolu, qui retomberait ensuite dans le passé, mais seulement cette vie toujours changeante et toujours la même159. »
50Dans le même sens, et pour s’inscrire une nouvelle fois dans l’« orthodoxie » propre à la pensée de Michel Henry, on pourrait s’attacher à montrer que L’essence de la manifestation contenait déjà implicitement la possibilité d’une telle interprétation de la temporalité pathétique, bien que l’on n’y trouve jamais l’expression. Notamment à travers la notion de « dialectique immanente160 » comme mouvement s’accomplissant dans l’immanence. Par ailleurs, certaines formules où se trouvent clairement exprimé le rejet de la temporalité hors de la sphère d’immanence, n’en laissaient pas moins la possibilité aux développements qui seront ceux de Michel Henry par la suite. Par exemple quand il parle de l’immanence comme ignorant « le temps de l’opposition »161.
51Il ne serait donc pas impossible, une nouvelle fois, de donner de la phénoménologie de Michel Henry l’image d’une parfaite homogénéité. Néanmoins, on se demandera si ce nouveau coup de force supprime avec quelque efficacité les difficultés que nous avions soulevées concernant le problème de la temporalité. La reconnaissance d’une temporalité propre à l’immanence constitue certes un point essentiel. Mais que sait-on véritablement de cette temporalité si ce n’est qu’elle est « immanente » ou « pathétique » ? Si l’on peut accorder à Henry qu’il s’agit là de quelque chose de « très difficile à comprendre »162, on se demandera malgré tout si, justement, son œuvre nous offre les outils nécessaires pour s’élever à cette compréhension.
Notes de bas de page
1 EM, § 38, p. 385.
2 Cet article, initialement rédigé en 2000, ne prend dès lors pas en considération les derniers ouvrages de Michel Henry Incarnation. Une philosophie de la chair, Paris, Seuil, 2000, et Paroles du Christ, Paris, Seuil, 2002. La prise en compte des thèses qui y sont développées confirmerait pour une bonne part, selon nous, l’interprétation que nous avançons dans les pages qui suivent.
3 À cet effet, nous avons privilégié les textes eckhartiens utilisés par Henry. Celui-ci se réfère à l’œuvre allemande de Maître Eckhart, exclusivement à travers la traduction française de F. Aubier et J. Molitor, Maître Eckhart, Traités et Sermons, Paris, Aubier Montaigne, 1942 (abrégé T). La traduction des textes de cette version a récemment été entièrement réélaborée par A. de Libera (Maître Eckhart, Traités et sermons, traduction, présentation et notes d’A. de Libera, Paris, Flammarion, 1995. abrégé AdL) à partir des travaux critiques de Joseph Quint et de la Deutsche Forschungsgemeinschaft entrepris en 1936 (abrégé DW). Lorsque nous citons Eckhart à travers M. Henry, nous le faisons sans modifier la traduction qu’il utilise (T). Nous renvoyons en outre à la traduction d’A. de Libera (AdL) et au texte moyen haut allemand (DW), pour donner ensuite la localisation de la référence chez Henry. Nous signalons le cas échéant les divergences flagrantes entre la traduction T et le texte DW. En ce qui concerne les textes eckhartiens cités par nos soins, nous donnons uniquement la référence à la traduction d’A. de Libera. Pour les sermons non traduits dans cet ouvrage, nous renvoyons toujours à la traduction de J. Ancelet-Hustache (Paris, Seuil, 1974-1979, abrégé A. H. suivi du numéro de volume), ainsi qu’au travail de P.-J. Labarrière et G. Jarczyk (Paris, Albin Michel, 1998-2000, abrégé L. J. suivi du numéro de volume). Dans tous les cas, nous renvoyons au texte moyen haut allemand.
4 C’est là le travail principal des deux premières sections de l’ouvrage, « Elucidation du concept de phénomène. Le monisme ontologique » et « Répétition de l’élucidation du concept de phénomène. Transcendance et immanence ». Notons cependant que ce travail critique ne s’estompe pas complètement dans les deux dernières sections.
5 F.-D. Sebbah, « Eveil et naissance. Quelques remarques à partir d’Emmanuel Lévinas et Michel Henry », Alter, 1993 n° 1, p. 221 ; nous soulignons.
6 Il s’agit là du travail des sections III et IV, « La structure interne de l’immanence et le problème de sa détermination phénoménologique : l’invisible » et « Interprétation ontologique fondamentale de l’essence originaire de la révélation comme affectivité ».
7 EM, § 37, p. 355.
8 Maître Eckhart se voit également consacrer le § 49. Cf. en outre EM, § 50, p. 552 ; § 70, p. 843 et p. 859.
9 Peut suffire à nous l’indiquer l’idée que seule la pensée eckhartienne permettra de « comprendre véritablement enfin ce qu’il faut entendre sous le concept de cette unité » (EM, § 39, p. 391).
10 Ibid., § 39, 385.
11 En témoigne le programme des recherches devant encore être accomplies que dresse Henry à la fin du § 40 : « L’interprétation ontologique ultime, à laquelle Eckhart s’est élevé, de la structure interne de l’immanence comme constitutive de l’essence du Logos, demande encore pour s’accomplir : 1/ que l’élaboration de cette structure soit poussée plus avant de manière à rendre apparente la totalité de ses caractères ontologiques en même temps que l’unité significative fondamentale qu’ils lui prescrivent ; 2/ que deviennent intelligibles les raisons pour lesquelles cette structure constitutive de l’essence du Logos n’a précisément jamais été comprise comme telle, pour lesquelles, en d’autres termes, se dissimule, et cela d’une manière essentielle, la révélation elle-même dans l’effectivité de son accomplissement originaire ; 3/ que soit montré enfin et déterminé sans équivoque ce qui constitue, au sein même de l’acte par lequel elle se “dissimule”, le contenu phénoménologique positif de cette révélation » (ibid., p. 418). Pour appuyer l’assertion que nous avançons, on peut d’ailleurs considérer que le § 49 qui intervient plus loin et qui est une nouvelle fois consacré à Eckhart, participe lui-même de ce programme de recherche en répondant aux exigences du point 2.
12 Ibid., § 39, p. 385.
13 Cf. Ibid., p. 388. Sur la critique de ce concept de contingence dans L’essence de la manifestation, cf. en particulier, ibid., § 43.
14 Ibid., § 39, p. 391.
15 A. de Libera, La mystique rhénane. D’Albert le Grand à Maître Eckhart, Paris, Seuil, 1984, « Points », 1994, p. 280 ; nous soulignons.
16 R. Schürmann, Maître Eckhart ou la joie errante, Paris, Denoël, 1972, p. 169 ; nous soulignons.
17 Ibid.
18 EM, § 39, p. 392. Sur cette signification ontologique du langage en apparence existentiel de Maître Eckhart, cf. le travail de G. Dufour-Kowalska, « Michel Henry lecteur de Maître Eckhart », Archives de Philosophie, 1973 (36), p. 603-624.
19 Cf. A. de Libera, Traités et sermons, Paris, GF Flammarion, 1995, p. 30 : « Par un même concept, simultanément approché sous les titres de “noblesse” (edelkeit), “détachement” (abegescheidenheit), “pauvreté” (armuot), et “humilité” (demüticheit), il [Eckhart] inscrit le mystère des deux grâces — Incarnation et inhabitation — en chaque homme déifié ». L’homme noble du traité qui porte le même nom, l’homme pauvre du sermon 52, ou encore l’homme humble des sermons 14 et 15 par exemple, sont un seul et même homme approché par des titres différents.
20 Pr. 51, T, p. 213, AdL, p. 345 ; DW II, p. 473, 7-8. EM, § 39, p. 393.
21 On peut l’affirmer pour la suite de notre analyse, les concepts fondamentaux de Michel Henry sont radicalement synonymes, à tout le moins dans L’essence de la manifestation : Être, essence, réalité, subjectivité, ego, et même conscience, sont tout à fait substituables dans le sens que leur donne Henry. Cela ne va pas sans provoquer certains flottements sémantiques par moments sur lesquels nous reviendrons plus loin. Sur cette synonymie cf. M. Haar, « Michel Henry entre phénoménologie et métaphysique », dans Philosophie, 1987 (15), p. 38 ; X. Tilliette, « Une nouvelle monadologie : la philosophie de Michel Henry », dans Gregorianum, 1980 (61), p. 636.
22 EM, § 49, p. 541.
23 Pr. 83, A. H. 3, p. 151, L. J. 3, p. 170 ; DW III, p. 437, 11-438.
24 A. de Libera, La mystique rhénane, op. cit., p. 255. La théorie eckhartienne de l’image est bien entendu beaucoup plus complexe. Nous ne pouvons que renvoyer le lecteur à l’ouvrage de W. Wackernagel, Ymagine denudari. Ethique de l’image et métaphysique de l’abstraction chez Maître Eckhart, Paris, Vrin, « Etudes de philosophie médiévale, LXVII », 1991.
25 EM, § 30, p. 287 ; nous soulignons. Sur ce concept d’altérité tel que le comprend Henry dans son premier ouvrage, cf. également et en particulier le § 37 : « La structure interne de l’immanence ».
26 « Ainsi la structure interne de l’absolu est-elle pensée par Eckhart à partir de l’exclusion hors d’elle de l’altérité » (ibid., § 39, p. 392-393).
27 Pr. 28, T, p. 231, AdL, p. 325 ; DW II, p. 66, 2. EM, § 39, p. 394.
28 « Quand l’âme devint créature elle eut un Dieu : si elle perd son caractère créé, Dieu reste à Lui-même ce qu’il est » (Pr. « Comment l’âme suit sa propre voie et se trouve elle-même », AdL, p. 399). Il s’agit d’un sermon dont l’authenticité n’est pas établie et qui pour cette raison même ne se trouve pas dans l’édition de la Deutsche Forschungsgemeinschaft. On trouvera le texte moyen haut allemand sous le n° 82 dans l’édition de F. Jostes, Meister Eckhart und seine Jünger, Fribourg, Collecta Friburgensia, t. IV, 1895. Nous revenons plus loin sur ce sermon.
29 Ibid, § 39, p. 398.
30 Ibid., p. 399.
31 « Dieu est l’unité dans cette union naturelle antérieure à toute naissance » (BgT, T, p. 81. EM, § 39, p. 398). Le texte de l'édition de J. Quint donne : als er ist ein in sîner verbogenen einunge (DW V, p. 31, 6). Rendu par A. de Libera : « Il est un dans le mystère de son unition » (AdL, p. 146).
32 EM, § 39, p. 398.
33 Ibid., p. 399.
34 Pr. 52, T, p. 258, AdL, p. 354 ; DW II, p. 503, 2. EM, § 39, 387. Cf. également CMV, p. 214 ; M. Henry, « Parole et religion : la parole de Dieu », dans Jean-François Courtine (éd.), Phénoménologie et Théologie, Paris, Critérion, 1992, p. 149, n. 2, repris dans PV-IV, p. 193.
35 Elle se trouve également abordée au § 43, p. 451, dans une critique du concept heideggerien de « situation ». Cf. aussi § 44, p. 470, où la naissance est évoquée dans une critique de ce même concept chez Merleau-Ponty.
36 Cf. M. Henry, « Parole et religion : la parole de Dieu », op. cit., p. 149. Voir également son texte explicitement consacré à cette problématique : « Phénoménologie de la naissance », dans Alter, 1994, n° 2, p. 295-312, repris dans PV-I, p. 123-142. Plus récemment encore dans CMV, p. 71-89 et également chap. 9, p. 192-215, qui présente la condition du Salut dans une « seconde naissance », par laquelle il nous faut retrouver notre naissance transcendantale qui demeure le plus souvent dans l’oubli. Sur la « naissance transcendantale » dans le sens que lui donne Henry, et sur ce qui distingue sa conception de celle de Husserl, cf. le texte, éclairant à plus d’un titre, de N. Depraz, « En quête d’une métaphysique phénoménologique : la référence henryenne à Maître Eckhart », dans A. David & J. Greisch (éd.), Michel Henry. L’épreuve de la vie, Paris, Cerf, 2001.
37 Pr. 5a, T, p. 138, AdL, p. 249 ; DW I, p. 78, 1. EM, § 39, 406.
38 X. Tilliette, « Une nouvelle monadologie. La philosophie de Michel Henry », art. cit., p. 643.
39 EM, § 52, p. 583.
40 Ibid., § 70, p. 842. Nous soulignons. Ou, si l’on veut parler d’une dialectique, il s’agira d’une « dialectique immanente » (ibid., § 70, p. 843), sans opposition.
41 Cf. dès 1978, M. Henry, « Qu’est-ce que cela que nous appelons la vie ? », Philosophiques, 1978 (5), p. 133-150, repris dans PV-I, p. 39-57.
42 M. Haar, « Michel Henry entre phénoménologie et métaphysique », art. cit., p. 52.
43 BgT, T, p. 77, AdL, p. 139 ; DW V, p. 21, 13-14. EM, § 39, p. 409. La citation d’Eckhart renvoie à Jn, 17, 3. On trouve une première définition de la vie — qui, dans ce premier ouvrage n’a pas encore sa majuscule — au § 37, p. 354 : « Ce qui a l’expérience de soi, ce qui jouit de soi et n’est rien d’autre que cette pure jouissance de soi-même, que cette pure expérience de soi, c’est la vie ». Cf. également et entre autres, § 53, p. 595-596.
44 Nous laissons de coté, dans le cadre de ce texte, la question importante de savoir s’il convient de continuer à parler de réduction à propos de la « méthode » mise en œuvre par Henry.
45 Notamment au § 61 : « Dans cette εποχη, quand est aboli le milieu de lumière où pense la pensée […], quand se tait le langage du monde, dans l’obscurité co-extensive à l’être de nos sentiments et consubstantielle à lui, où cet être grandit et se développe, parle l’autre langage, le langage de nos sentiments eux-mêmes » (EM, § 61, p. 687-688).
46 M. Henry, « Phénoménologie non-intentionnelle : une tâche de la philosophie à venir », dans D. Janicaud (éd.), L’intentionnalité en question. Entre phénoménologie et recherches cognitives, Paris, Vrin, 1995, p. 394, repris dans PV-I, p. 105-121. Un peu plus loin, M. Henry se demande si cette réduction radicale ne nous jette pas « dans une sorte de mysticisme enfermé en lui-même et livré à sa nuit ? » (p. 395). Il répond bien entendu par la négative, puisque seule peut fonder notre accès au monde cette vie qui s’éprouve d’abord préalablement elle-même. À suivre l’interprétation de Maître Eckhart proposée par Henry, on entrevoit en tout cas la possibilité de nuancer fortement le « mysticisme » du thuringien.
47 M. Henry, PM, p. 15 ; nous soulignons.
48 EM, § 39, p. 400.
49 Ibid.
50 Ibid., § 49, p. 537.
51 Pr. 52, AdL, p. 350 ; DW II, p. 492, 7-9.
52 R. Schürmann, Maître Eckhart ou la joie errante, op. cit., p. 216 ; nous soulignons.
53 E. Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, § 58, Hua. III, p. 111 ; tr. P. Ricoeur, Paris, Gallimard, 1950, « Tel », 1995, p. 192.
54 On peut se demander si, dans la perspective qui est celle de Michel Henry, l’être transcendant mondain et la transcendance divine ne sont pas rabattus l’un sur l’autre.
55 « La compréhension de la structure interne de l’immanence comme révélation ne saurait s’ajouter à la simple compréhension de cette structure, elle lui est identique » (EM, § 38, p. 385).
56 Certaines, comme on le signale en note, ont été inquiétées, voire condamnées.
57 Pr. 3, T, p. 131. EM, § 39, p. 392. Er ist ein înhangen in sîn selbes lûter weselicheit, dâ niht zuohangendes enist (DW I, p. 56, 5-6). A. de Libera ne donne pas le terme d’immanence dans sa traduction : « Dieu est une fixation à sa pure et propre essentialité, à quoi rien n’arrive d’extérieur » (AdL, p. 240). Cf. néanmoins, p. 423, n. 55 : « Le mot înhangen correspond à l’idée de résidence, de fixation en soi-même, de manence intérieure, d’im-manence ou d’attache intérieure de Dieu ».
58 Pr. 13, T, p. 182, AdL, p. 303 ; DW I, p. 216, 6. EM, § 39, p. 396. Souligné par Henry. Cette formule a été examinée lors du procès d’inquisition. Pour les références, cf. A. de Libera, Traités et sermons, op. cit., p. 468, n. 374.
59 Pr. 3, T, p. 131, AdL, p. 240 ; DW I, p. 56, 8. EM, § 39, p. 401. Cette formule a été censurée mais après avoir été modifiée. Non plus : wan swaz in gotes ist, daz ist got, que l’on trouve dans le texte moyen haut allemand, mais Omne quod est est Deus — « Tout ce qui est est Dieu ». Cf. A. de Libera, Traités et sermons, op. cit., p. 424, n. 58 ; R. Schürmann, Maître Eckhart ou la joie errante, op. cit., p. 202 et sv.
60 Got und ich wir sint ein in disem gewürke. Pr. 6, T, p. 151, AdL, p. 263 ; DW I, p. 114, 4-5. EM, § 39, p. 405.
61 Pr. 6, T, p. 149, AdL, p. 262 ; DW I, p. 110, 1-2. EM, § 39, p. 397. Sur cet énoncé — « l’un des plus incriminés de toute la pensée eckhartienne » — cf. A. de Libera, Traités et sermons, op. cit., p. 437, n. 146.
62 BgT, T, p. 87. EM, § 39, p. 403. Texte légèrement différent dans l'édition de J. Quint, cf. AdL, p. 154 ; DW V, p. 41, 16-20.
63 EM, § 39, p. 387.
64 Pr. 52, T, p. 258, AdL, p. 354 ; DW II, p. 503, 2. EM, § 39, 387.
65 EM, § 39, p. 387.
66 Pr. 52, T, p. 258, AdL, p. 354 ; DW II, p. 503, 6-504, 3. EM, § 39, p. 387.
67 EM, § 39, p. 401.
68 Ibid., § 37, p. 355.
69 Ibid., § 37, p. 354 ; nous soulignons.
70 « La solitude de l’essence se laisse comprendre dès lors dans ce qu’elle est : elle est l’unité de l’essence » (Ibid., § 37, p. 354).
71 F. Kafka, Journal intime, Paris, Grasset, 1945, p. 253.
72 Cf. notamment, EM, § 37, p. 361 ; B, p. 148 ; PM, p. 162.
73 Pr. 11, T, p. 173, AdL, p. 291 ; DW I, p. 182, 2-3. EM, § 39, p. 406.
74 EM, § 53, p. 593.
75 Ibid., p. 588 ; nous soulignons.
76 Cf. ibid., § 39, p. 386.
77 Ibid., § 49, p. 538.
78 PPC, p. 44 ; nous soulignons.
79 Pr. 52, AdL, p. 354 ; DW II, p. 502, 7-503, 2.
80 Pr. 52, AdL, p. 354 ; DW II, p. 502, 5-6.
81 AdL, p. 398-406. À propos de ce sermon, cf. supra, n. 28.
82 Pr. « Comment l’âme suit sa propre voie et se trouve elle-même », AdL, p. 404.
83 A. de Libera, La mystique rhénane, op. cit., p. 254 ; nous soulignons.
84 Ibid., p. 274. Nous soulignons.
85 G. Van Riet, « Une nouvelle ontologie phénoménologique : La philosophie de Michel Henry », dans Revue philosophique de Louvain, 1966 (64), p. 456. En admettant, bien entendu, qu’autrui doive être le fruit d’une constitution. Ce qui n’est pas le cas chez M. Henry.
86 Pr. 3, T, p. 131, AdL, p. 240 ; DW I, p. 56, 8. EM, § 39, p. 401.
87 EM, § 39, p. 398 ; nous soulignons.
88 Pr. 28, AdL, p. 326 ; DW II, p. 68, 4-5.
89 Pr. 77, A. H. 3, p. 119, L. J. 3, p. 138 ; DW III, p. 339, 1-3 ; nous soulignons.
90 A. de Libera, La mystique rhénane, op. cit., p. 239-241.
91 Cf. A. de Libera, « L’être et le bien : Exode 3, 14 dans la théologie rhénane », dans A. de Libera et E. Zum Brunn (éds.), Celui qui est. Interprétations juives et chrétiennes d’Exode 3, 14, Paris, Cerf, « Patrimoines. Religions du livre », 1986, p. 161 ; A. de Libera, La mystique rhénane, op. cit., p. 239.
92 A. de Libera, La mystique rhénane, op. cit., p. 240 : « La signification du “Je” n’est donc pas personnelle, mais essentielle, elle n’ouvre pas sur une psychologie de l’être et de l’union, mais sur une ontologie de l’ipséité et de l’être-lui ».
93 Pr. 77, A. H. 3, p. 119, L. J. 3, p. 139 ; DW III, p. 340, 1-2.
94 Ibid., « L’être et le bien », art. cit., p. 162 ; nous soulignons. Cf. aussi A. de Libera, La mystique rhénane, op. cit., p. 240.
95 Pr. 52, AdL, p. 355 ; DW II, p. 505, 4-5 ; nous soulignons.
96 La troisième signification que nous donnons correspond, en fait, à la quatrième signification du sermon. Nous omettons volontairement la troisième signification effective, qui ne nous importe pas directement : « En troisième lieu, le mot “Je” désigne quelque chose de la perfection du nom “Je”, car ce n’est pas un véritable nom ; il est à la place d’un nom et de la perfection du nom et désigne une immutabilité et une intangibilité et veut donc dire que Dieu est immuable et intangible, et éternelle stabilité » (Pr. 77, A. H. 3, p. 119 ; DW III, p. 340).
97 Pr. 77, A. H. 3, p. 119, L. J. 3, p. 139 ; DW III, p. 341, 2 : Die blôzen lûterkeit götlîches wesens. Expression qui renvoie à la puritas essendi de l’œuvre latine.
98 Cf. par exemple, Pr. 52, AdL, p. 354 ; DW II, p. 502, 6-7 : wesenlich wesen.
99 Propos que nous avons évoqués plus haut. Cf. supra.
100 A. de Libera, « L’être et le bien », art. cit., p. 161 ; La mystique rhénane, op. cit., p. 239.
101 A. de Libera, La mystique rhénane, op. cit., p. 239.
102 A. de Libera, Traités et sermons, op. cit., p. 487, n. 555 ; Penser au Moyen Age, op. cit., p. 332. Nous soulignons. Cf. également, « L’Un ou la Trinité ? Sur un aspect trop connu de la théologie eckhartienne », Revue des sciences religieuses, 1996 (70/1), p. 39 : « L’idée d’un Lieu de Dieu, qui soit indifféremment le Lieu de l’âme […] est la place libre, ledic, c’est-à-dire vide, que traversent simultanément Dieu et l’âme en se défaisant d’eux-mêmes l’un et l’autre, l’un par l’autre. L’Un pur et simple est posé comme lieu géométrique de cette double traversée ».
103 Pr. 52, AdL, p. 354 ; DW II, p. 504, 8-505, 1 ; nous soulignons. Notons que cette conception eckhartienne du « je » est sujette à discussion. B. Mojsisch (« “Ce moi” : la conception du moi chez Maître Eckhart. Une contribution aux “Lumières” du Moyen Age », Revue des sciences religieuses, 1996 (70/1), p. 18-30), tout en voyant lui aussi une nouveauté dans cette théorie — « Ainsi était-il le créateur d’un nouveau concept comme d’une nouvelle théorie » (p. 26) — propose une interprétation sensiblement différente. Pour lui, Maître Eckhart n’identifie pas le fond de l’âme et la Déité. Il installe le fond de l’âme à la place de la Déité. En d’autres termes, Eckhart réserverait au moi ce qui était attribué auparavant à la seule Déité : « Le moi comme moi […] n’est pas seulement conscience, mais aussi conscience de soi comme connaître-de-soi, comme vouloir de soi, et comme un être-à-lui-même-son-propre-lieu » (p. 24).
104 « L’union avec le Fond divin se produit dans l’essence ou fond de l’âme, en cet endroit intemporel où, comme Dieu, elle a perdu ses noms » (E. Zum Brunn, « Maître Eckhart ou le nom inconnu de l’âme », Archives de philosophie, 1980 (43), p. 666).
105 Sans doute est-ce chez G. Van Riet que l’on retrouve au mieux l’expression de ce flottement : « À propos de Dieu, il [M. Henry] se tient dans une redoutable équivoque. Sans jamais le dire explicitement, il laisse constamment entendre que, dans une ontologie phénoménologique, Dieu s’identifie à l’ego ; la seule “raison” qu’il en donne, c’est que Dieu ne se trouve pas dans le “monde”. Mais se trouve-t-il pour autant dans l’ego ? Pourquoi ne serait-il pas transcendant, aussi bien par rapport à l’ego que par rapport au monde ? » (G. Van Riet, « Une nouvelle ontologie phénoménologique : La philosophie de Michel Henry », art. cit., p. 456). Toujours pour appuyer cette idée d’un flottement dans L’essence de la manifestation, on relèvera également la perspective de B. Forthomme qui s’efforce justement de marquer un écart, une différence, entre Dieu et l’ego. Il parle, dès lors, de Dieu comme d’« une certaine transcendance interne à la passivité égologique » (B. Forthomme, « L’épreuve affective d’autrui selon Emmanuel Levinas et Michel Henry », Revue de Métaphysique et de Morale, 1986 (1), p. 92).
106 EM, § 70, p. 832.
107 CMV, p. 132.
108 Ibid., p. 135 ; nous soulignons.
109 PM, p. 177.
110 Ibid., p. 178 ; nous soulignons.
111 Sur cette question, nous nous permettons de renvoyer à notre travail, « De l’auto-affection à l’auto-affection. Remarques sur l’expérience d’autrui dans la phénoménologie de Michel Henry », Alter, 1999 (7), p. 149-168.
112 CMV, p. 139 ; nous soulignons.
113 Ibid., p. 135. Sur cette distinction entre deux concepts de l’auto-affection, cf. déjà le texte de l’intervention de Michel Henry lors de la séance de clôture du séminaire de phénoménologie et d’herméneutique de la rue d’Ulm, le 16 mai 1992 : M. Henry, « Parole et religion : La parole de Dieu », art. cit., p. 138-139. Ce texte apparaît comme une première ébauche des thèmes centraux de C’est moi la vérité. On y trouve déjà clairement cette idée que l’essence de l’homme et de Dieu ne s’identifient pas. Il faut plutôt parler d’une « quasi-identité » (p. 140).
114 « Ce concept fort de l’auto-affection est celui de la vie phénoménologique absolue et ne convient qu’à elle, c’est-à-dire à Dieu » (CMV, p. 135).
115 Ibid., p. 136 ; nous soulignons.
116 Ibid., p. 137. Notons, pour préciser la terminologie de Michel Henry, que c’est « cette passivité du Soi singulier dans la Vie » qui fait « de lui un moi » (ibid.). « Moi en fin de compte signifie ceci : en chaque moi son ipséité ne procède pas de lui, mais c’est lui qui procède d’elle » (CMV, p. 171). Henry, dissocie en outre le « moi » du « je ». On ne peut parler proprement de « je » ou d’« ego » pour Henry que pour caractériser le moi qui est entré en possession de ses pouvoirs qui lui permettent d’agir : « Pour autant qu’il [le moi] s’avance alors armé de tous ses pouvoirs et les tenant à sa disposition, ce moi qui s’est emparé de lui-même et de tout ce qu’il porte en lui, est un Je » (ibid.).
117 Pour reprendre l’expression que nous avons trouvée chez B. Forthomme, mais que M. Henry allègue lui-même : « Il y a bien une transcendance au sens traditionnel, mais cette transcendance n’est pas du tout ek-statique, elle est la relation, impensée jusqu’à présent, du vivant à la vie, qu’on peut lire comme l’épreuve que le vivant fait de la vie, qui est, au fond, l’épreuve que font tous les mystiques et que les gens vivent sans le savoir » (M. Henry, « Art et phénoménologie de la vie. Entretien avec Michel Henry », Prétentaine, 1996 (6), p. 129-141, repris dans PV-III, p. 283-308, ici p. 301).
118 Ibid., p. 300. Y. Yamagata parlait déjà de ce Fond comme d’une altérité, en la distinguant bien de l’altérité propre à la phénoménalité ek-statique. Cf. Y. Yamagata, « Une autre lecture de L’essence de la manifestation : Immanence, présent vivant et altérité », Les Etudes philosophiques, 1991 (2), particulièrement sur ce point les p. 173-174.
119 CMV, p. 102. « La génération du Fils co-appartient à l’auto-génération de la Vie comme ce sans quoi cette auto-génération ne s’accomplirait pas. Et cela pour autant qu’elle ne s’accomplit qu’en s’étreignant soi-même dans l’Ipséité essentielle dont l’effectivité phénoménologique n’est autre que le Verbe » (ibid.) ; « L’Archi-Fils détient l’ipséité essentielle en laquelle l’auto-affection de la vie parvient à l’effectivité » (ibid., p. 140).
120 Ibid., p. 113.
121 On trouvera une présentation très économique de cette nouvelle « christologie phénoménologique » dans M. Henry, « Archi-christologie », Communio, 1997 (XXII/2-3), p. 195-212, repris dans PV-IV, p. 113-129.
122 « Ce Soi singulier dans lequel la vie s’étreint elle-même, ce Soi qui est le seul mode possible selon lequel cette étreinte s’accomplit, est le Premier Vivant » (CMV, p. 76).
123 Cf. ibid., p. 141.
124 Cf. ibid., chap. VI.
125 Cf. ibid., chap. VII. Sur la nécessité de cette médiation entre la « Vie » absolue et tout « Soi » singulier, ainsi que sur l’évolution toute implicite par rapport à L’essence de la manifestation — ces deux aspects vont bien entendu de pair —, on se réfèrera avec intérêt aux p. 139-141 de C’est moi la vérité. En particulier à ce passage, où nous nous risquons à lire entre les lignes pour stigmatiser ces glissements : « Se déploie alors cette évidence décisive [non aperçue dans L’essence de la manifestation ] : si nous considérons un vivant, en l’occurrence ce Soi transcendantal que je suis, ce n’est pas simplement à partir de l’essence de la Vie et parce qu’il porte en lui cette essence que nous pouvons le comprendre [ce n’est pas simplement avec les éléments développés dans L’essence de la manifestation que nous arriverons à sa compréhension]. Seule l’analyse de cette essence de la Vie, pour autant qu’elle implique l’Ipséité d’un premier Soi, permet de saisir comment et pourquoi la place est ouverte en elle, dans l’Ipséité de ce Premier Soi, pour tout vivant concevable [comment et pourquoi il y a un rapport entre cette “Vie” absolue et tout “Soi” transcendantal, ce qui n’avait pas été aperçu dans L’essence de la manifestation] » (p. 139 ; nous soulignons).
126 La vie « advient et ne cesse d’advenir. Cette venue incessante de la vie, c’est son éternel parvenir en soi, lequel est un procès sans fin, un mouvement » (Ibid., p. 74).
127 « La genèse du Je Peux fondamental que je suis et qui peut seul agir, c’est la naissance transcendantale de l’ego » (ibid., p. 300).
128 Ibid., p. 78.
129 Cf. ibid., p. 132-133 et p. 214.
130 Pr. 76, A. H. 3, p. 113, L. J. 3, p. 134 ; DW III, p. 325, 3-4.
131 Pr. 39, A. H. 2, p. 59, L. J. 2, p. 71 ; DW II, p. 264, 3-4.
132 Pr. 11, AdL, p. 229 ; DW I, p. 177, 3-4. Une voie pour pousser plus loin ce rapport à peine esquissé entre C’est moi la vérité et Maître Eckhart, serait, sans nul doute, de partir du commentaire eckhartien de l’évangile de saint Jean. C’est là, en effet, l’évangéliste privilégié par Henry.
133 E. Zum Brunn, « Dieu n’est pas être », dans Maître Eckhart à Paris, Une critique médiévale de l’ontothéologie, Les Questions parisiennes N° 1 et N° 2 d’Eckhart, Etudes, textes et introductions par E. Zum Brunn, Z. Kaluza, A. de Libera, P. Vignaux et E. Weber, Paris, P. U. F., « Bibliothèque de l’Ecole des Hautes Etudes, Section des science religieuses, LXXXVI », 1984, p. 103. On trouve cette même idée exprimée de manière sensiblement différente chez R. Schürmann : « Pareille malléabilité des formules est trop fréquente dans sa prédication pour qu’un tel procédé doive nous surprendre » (Maître Eckhart ou la joie errante, op. cit., p. 135).
134 A. de Libera et E. Zum Brunn, Maître Eckhart. Métaphysique du verbe et théologie négative, Paris, Beauchesne, 1984, p. 129 ; nous soulignons.
135 A. de Libera, « L’Un ou la Trinité ? », art. cit., p. 46.
136 Ibid., p. 46 ; nous soulignons. Pour donner une compréhension de cette idée, A. de Libera se tourne vers le Pseudo-Denys. Il rappelle que l’expression d’einunge (union ou unition) qui exprime chez Eckhart « à la fois l’unité divine et l’union à Dieu » sert chez Denys « à penser la subsistance des hypostases dans l’Unité, la “résidence” ou “fixation” des Personnes (mansio personarum) “totalement unie de façon transcendante” » (p. 47).
137 Pr. 28, AdL, p. 326 ; DW II, p. 68, 1-4 ; nous soulignons.
138 R. Schürmann, Maître Eckhart ou la joie errante, op. cit., p. 54 et 67. Cf. également, qui s’inspirent de cette solution, G. Jarczyk et P. -J. Labarrière, Maître Eckhart ou l’empreinte du désert, Paris, Albin Michel, 1995, p. 185.
139 R. Schürmann, Maître Eckhart ou la joie errante, op. cit., p. 54.
140 Ibid., p. 170. Rappelons, pour éviter tout malentendu, que parler de pérégrination ou d’errance, n’a rien à voir pour Schürmann avec un itinéraire spirituel ou une ascèse quelconque.
141 Ibid., p. 54. Pour une analyse concise et limpide de cette compréhension verbale de l’identité chez Maître Eckhart, qui signifie tout autant une compréhension verbale de l’étant mais dans un sens spécifique par rapport à la tradition, cf. R. Schürmann, « Meister Eckhart’s “Verbal” Understanding of Being as a ground for Destruction of Practical Teleology », Miscellanea Medievalia, 1981 (13), p. 803-809. Schurmänn, qui reprend de la sorte une distinction établie par Heidegger, développe la même interprétation à propos de l’Un plotinien. À ce sujet, cf. R. Schürmann, « L’hénologie comme dépassement de la métaphysique », Les Etudes philosophiques, 1982 (3), p. 331-350. Sur cette interprétation, cf. le travail de J.-M. Narbonne, « “Henôsis” et “Ereignis” : Remarques sur une interprétation heideggérienne de l’Un plotinien », Les Etudes philosophiques, 1999 (1), p. 105-121, avec une furtive allusion à Maître Eckhart p. 106, n. 3.
142 Nous avons tenté de mettre en œuvre, dans un autre travail, une même interprétation à propos du problème d’autrui. Cf. S. Laoureux, « De l’auto-affection à l’auto-affection. Remarques sur l’expérience d’autrui dans la phénoménologie de Michel Henry », art. cit.
143 Cf. CMV, p. 133, n. 3 : « C’est à la lumière de ce concept [celui d’auto-affection] que l’intelligence de la vie a été conduite dans L’essence de la manifestation ».
144 Cf. ibid., p. 132-133, et notamment : « La Vie s’auto-engendre comme moi-même. Si avec Maître Eckhart — et avec le christianisme — on appelle la Vie Dieu, on dira : “Dieu s’engendre comme moi-même” ».
145 EM, § 40, p. 415 ; nous soulignons.
146 Pr 28, T, p. 231, AdL, p. 326 ; DW II, p. 68, 2-3 : « Cet Abîme, Il l’engendre ici dans son Fils unique, pour que nous soyons aussi le même Fils » ; EM, § 40, p. 415.
147 EM, § 52, p. 583. Cf. supra.
148 CMV, p. 202 ; nous soulignons.
149 M. Henry, « Art et phénoménologie de la vie. Entretien avec Michel Henry », art. cit., p. 307.
150 Cf. ibid. : « Le temps phénoménologique, le temps qu’ont étudié Husserl et Heidegger, est encore un temps ek-statique, c’est-à-dire un temps éclaté ».
151 Ibid. ; nous soulignons.
152 M. Henry, « Phénoménologie de la naissance », art. cit., p. 311. Passage qui énumère deux « propriétés étonnantes » de cette auto-temporalisation : « D’une part, à la différence de l’irréversibilité constamment affirmée du temps objectif […] la temporalité de la vie absolue est réversible pour autant que cette temporalité se temporalise comme souffrir et comme jouir et que, entre ces tonalités phénoménologiques fondamentales le passage se fait dans les deux sens, de telle façon qu’en ce passage chacune de ces deux tonalités demeure en l’autre comme sa condition phénoménologique et ainsi comme sa substance même. D’autre part, dans cette auto-temporalisation pathétique de la vie absolue rien d’irréel n’advient jamais mais seulement l’auto-mouvement d’un s’éprouver soi-même sans fin dans la réversibilité du souffrir et du jouir ».
153 M. Henry, « Art et phénoménologie de la vie. Entretien avec Michel Henry », art. cit., p. 15. Nous soulignons. M. Henry cite apparemment de mémoire cette formule eckhartienne. On en trouve un écho fort proche dans le sermon 26 : « Tout ce qui advint il y a mille ans, le jour qui a été il y a mille ans, n’est pas dans l’éternité plus éloigné que cette heure où je me tiens maintenant, ou le jour qui doit venir dans mille ans ou si loin que tu puisses compter, il n’est pas dans l’éternité plus éloigné que cette heure où je me tiens maintenant » (Pr. 26, A. H. 1, p. 219, L. J. 1, p. 236 ; DW II, p. 24, 4-8). Ou encore dans le sermon 10 : « Les jours qui furent il y a six ou sept jours et ceux qui furent il y a six mille ans sont aussi près d’aujourd’hui que le jour qui fut hier. Pourquoi ? Parce que le temps est toujours dans l’instant présent » (Pr. 10, AdL, p. 284 ; DW I, p. 166, 3-5).
154 Cf. R. Schürmann, Maître Eckhart ou la joie errante, op. cit., p. 37 : « L’homme attaché aux choses est distendu entre un avant et un après, il habite la durée ».
155 Ibid., p. 39.
156 R. Schürmann, Maître Eckhart ou la joie errante, op. cit., p. 73 ; nous soulignons.
157 Pr. 2, AdL, p. 233 ; DW I, p. 34, 2-5. Cité par Schürmann, Maître Eckhart ou la joie errante, op. cit., p. 72. Notons que l’on retrouve chez Eckhart à propos de cet « instant » ou de ce « maintenant » (nû) la même équivocité qui frappe d’autres termes. Il convient donc de ne pas le confondre avec le maintenant qui caractérise dans d’autres textes le maintenant de la durée, de la temporalité ek-statique. Par exemple dans ce passage : « “Maintenant” c’est le plus petit laps de temps ; ce n’est ni un bout de temps, ni une partie de temps, mais un goût de temps. Il faut néanmoins, si minime soit-il, qu’il disparaisse » (Pr. 69, AdL, p. 372, DW III, p. 170, 2-4).
158 Cf. R. Schürmann, « L’hénologie comme dépassement de la métaphysique », art. cit.
159 PM, p. 54.
160 EM, § 70, p. 843.
161 Ibid., p. 842. Notons en outre que dans un texte de 1978, éclairant à bien des égards, M. Henry développait déjà cette conception d’une temporalité originelle immanente que l’on retrouve explicitement dans les derniers écrits. Cf. M. Henry, « Qu’est-ce que cela que nous appelons la vie ? », art. cit. p. 53-54 : « Le présent réel, le présent vivant est l’effectuation phénoménologique de l’auto-affection, l’impression, si l’on veut, mais saisie dans son essence et sa possibilité la plus intérieure, dans l’immanence radicale de son affectivité ».
162 M. Henry, « Art et phénoménologie de la vie. Entretien avec Michel Henry », art. cit., p. 308.
Auteur
Université de Namur
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