Comment mieux intégrer des acquis scolaire dans une situation d'intégration
p. 13-30
Texte intégral
1L’accompagnement pédagogique, conformément au décret du 08 mai 2007, est assuré par des conseillers pédagogiques qui constituent la Cellule de conseil et de soutien pédagogiques. Les conseillers pédagogiques en charge des disciplines, des options groupées, de l’alternance ou encore de l’enseignement spécialisé sont organisés en équipes.
2L’une des richesses de notre institution est qu’elle offre bon nombre d’espaces de réflexion et de travail qui sont autant de lieux qui nous permettent de transcender quelque peu nos disciplines. Deux de ces espaces privilégiés me semblent essentiels pour la mise en place de stratégies d’accompagnement en école pédagogiquement pertinentes : il s’agit des commissions de secteur et des réunions d’équipe où l’occasion nous est donnée d'évaluer la portée pédagogique de l'action des enseignants et de développer des démarches et des attitudes d'interdisciplinarité pour proposer alors des accompagnements qui répondent aux demandes et aux préoccupations tant des directions que des équipes pédagogiques.
3Il est évident que la planification au sens large du terme est une des préoccupations majeures de l’acteur pédagogique et, au-delà de la planification, c’est tout le curriculum d’apprentissage qui est concerné.
4Comme accompagnateurs des enseignants, au sein d’une institution telle que la nôtre, nous sommes des témoins privilégiés des pratiques pédagogiques exercées au sein de nos disciplines et partant de là, nous essayons, par nos réflexions, par nos lectures et par notre travail, de proposer, entre autres, des outils concrets pour accompagner, autant que faire se peut, les enseignants dans leur cheminement vers de nouveaux horizons pédagogiques.
5La réflexion de ce jour sera axée sur un projet pilote que nous menons concrètement au sein de notre équipe en partenariat avec certaines écoles qui ont accepté de s’inscrire dans cette dynamique. L’équipe Sciences humaines de la FESeC regroupe six disciplines : l’étude du milieu, la formation géographique et sociale, l’histoire, les sciences humaines, le latin et le grec. Ce projet s’inscrit bien dans les missions de l’accompagnement pédagogique telles qu’elles sont définies par le décret de 2007 et particulièrement :
[…] mettre notre savoir et notre expérience pédagogiques au service des équipes éducatives et pédagogiques dans une perspective d'amélioration de la qualité de la formation assurée aux élèves, accompagner des groupes d'enseignants qui construisent collectivement des démarches pédagogiques, des outils pour leurs cours, conseiller et accompagner les enseignants, les équipes pédagogiques et les écoles pour lesquels soit le Service général de l'Inspection, soit l'organe de représentation et de coordination, soit le pouvoir organisateur concerné a constaté des faiblesses ou des manquements1.
1. Premiers constats
6Force est de constater que plusieurs enseignants déplorent de ne plus avoir le temps d’installer les savoirs de base et de devoir faire face à une série de contingences qui les perturbent dans la mise au point d’une planification adaptée. Partant de là, nous ne pouvons ignorer les constats établis par le Service général de l’inspection suite à l’audit réalisé à propos de la mise en œuvre des programmes. Ainsi le rapport 2008-2009 pointe, pour un certain nombre de domaines :
[…] l’incohérence et l’absence de continuité des apprentissages, visés et construits qui peuvent conduire à une inégalité de maitrise : des exemples concrets viennent illustrer ce constat : mêmes matières vues avec les mêmes élèves, réinstallation de savoirs et de savoir-faire à des moments inopportuns, difficulté de coordination entre les enseignants des degrés inférieur et supérieur.
7En termes de planification, l’Inspection générale relevait que la mise en place d’une planification coordonnée, au premier degré par exemple, était assez rare, tout comme d’ailleurs une planification de l’exercice des compétences autour d’un apprentissage progressif et spiralaire.
8Notre équipe a donc réfléchi à un canevas qui doit permettre d’installer, au sein des équipes pédagogiques, davantage de cohérence verticale et horizontale dans les apprentissages à initier pour une approche efficiente des compétences.
9En effet, comme le constatent certains responsables de secteur, les enseignants conçoivent souvent leur travail de manière individuelle alors qu’une meilleure collaboration en équipe pourrait non seulement ouvrir le champ d’action pédagogique, mais aussi assurer plus de cohérence dans la formation des élèves. Il est vrai que l’organisation quotidienne du travail des enseignants ne leur donne pas toujours la possibilité de se réunir, mais il est certain aussi que les directions sont de plus en plus sensibles aux demandes qui visent à établir véritablement des collaborations plus importantes.
2. Présentation de l'atelier
10L’atelier que nous avons intitulé « Une pierre à l’édifice de l’intégration » est articulé autour d’une mise en situation que nous qualifierons de situation d’intégration et libellée ainsi « Face au projet d’extension de la carrière de Merlemont, un collectif de citoyens propose un projet de préservation du site ».
11Merlemont est un petit village de la province de Namur, dépendant de la commune de Philippeville. Il est étiré au sommet d’un promontoire. Depuis le XIXe siècle, le village vit de l’agriculture, de l’élevage, de l’extraction de sable et de l’exploitation de carrières de marbre, de pierres à bâtir et à chaux. Depuis les années 1930, on extrait surtout du gravier de dolomie. L’exploitant actuel de la carrière, le groupe Lhoist, souhaite étendre sa carrière d’une superficie de soixante-quatre ha. Ce plan remonte à 2004 et permettrait au groupe de ne pas tomber à court de matière première. C’est ainsi que l’entreprise désire inscrire six nouvelles zones d’extraction pour une superficie totale de 27,63 ha dans le prolongement des zones actuelles d’activité, de même que deux autres nouvelles zones pour une superficie totale de 37,81 ha et qui se trouvent, elles, à plusieurs centaines de mètres des actuelles zones d’exploitation. L’ensemble de ces huit sites est inscrit en zones agricoles et en zones forestières, d'intérêt paysager ou non. Pour une exploitation potentielle de ces sites, il faut donc une révision du plan de secteur. L'enquête publique relative à cette modification a débuté le 5 avril 2013.
12Face au groupe Lhoist, une association de riverains s’est constituée. Ils entendent dénoncer ce qu’ils appellent « un désastre écologique annoncé ». Mais ils ne souhaitent pas se contenter de refuser le projet. Leur objectif est de développer un projet écotouristique : développement de sentiers sensoriels ouverts à tous (touristes, élèves ou étudiants), intégration de logements naturels en bois sur pilotis, balades de découverte, etc. Voilà pour le contexte.
13Il s’agira, pour les enseignants, d’amener leurs élèves à participer, dans leur école, à un débat citoyen : ils devront établir un argumentaire dont l’objectif sera de convaincre un jury. Il s’agit donc bien de placer les élèves dans une position d’acteurs sociaux et de leur apprendre, à partir de documents à exploiter, à mobiliser des arguments dans un contexte qui n’a pratiquement plus rien de scolaire. Ce sont précisément ces documents qui, pour nous, détermineront le contexte d’intégration. Les élèves devront prendre une part active dans leurs apprentissages. Mais ici, leur autonomie est particulièrement sollicitée. Des attitudes particulières de curiosité, d’audace et de créativité sont donc attendues d’eux, ainsi qu’une plus grande responsabilité par rapport à leurs apprentissages, responsabilité notamment consacrée par le caractère contractuel que doit revêtir leur engagement dans un projet. La part dévolue au partage, à la coopération et à la communication est également considérable. Le groupe des pairs constitue ici une ressource importante à laquelle il faut contribuer en retour. C’est ainsi que les élèves se verront regroupés en équipes auxquelles on attribuera des rôles bien définis en fonction du contexte de notre situation. Nous en avons retenu cinq : habitants, exploitants agricoles, décideurs politiques, experts scientifiques. Les équipes disposeront de trente minutes pour préparer leur argumentaire et organiser les temps de parole. À l’entame du débat, le modérateur – l’enseignant en l’occurrence – invitera les participants à introduire la thèse qu’ils défendront, à avancer leurs arguments, à respecter le temps de parole attribué. À la fin de cette « confrontation », un court temps sera réservé à la conclusion de l’argumentaire.
14Au début de l’atelier et après avoir présenté la situation, nous proposerons aux enseignants de se mettre dans la posture d’apprenants pour s’approprier d’abord la base documentaire et pour échanger ensuite sur l’exploitation adéquate des documents proposés. Les documents ont deux fonctions : aider les élèves à mieux cerner les rôles qui leur sont dévolus et donner l’orientation des apprentissages à mettre en place en amont. L’analyse collective et guidée nécessaire pour l’argumentaire final est un moment essentiel de l’apprentissage parce qu’elle permettra aux enseignants d’identifier des zones d’intersection entre les disciplines et les apports propres à chacune de nos branches pour envisager alors la réalisation d’un modèle multidisciplinaire ou à tout le moins interdisciplinaire.
3. Les modèles de Fogarty
15Nous constatons souvent que les enseignants adoptent leur curriculum à ce que Robin Fogarty appelle modèle fragmenté et modèle parallèle : dans le premier, l’organisation des connaissances est faite de divisions discrètes et distinctes ; les notions, les habiletés et les points de vue propres à chacune de nos branches sont enseignés séparément. Mais ce modèle, comme le note encore Fogarty, ne permet pas de mettre souvent l’apprenant en contact avec les diverses perspectives reliées aux réalités du monde. Dans le second modèle, les enseignants essaient de poser un regard global sur le contenu de leurs matières et décident du moment favorable à l’enseignement de ce contenu. Par exemple, on pourrait enseigner autour du Journal d’Anne Frank, en français et en néerlandais, pendant que l’on étudie les enjeux de la Deuxième Guerre mondiale en histoire. Le contenu de chaque matière est encore enseigné de manière assez isolée, mais l’élève peut, consciemment ou non, relier l’étude d’une matière scolaire à une autre. La difficulté de l’adaptation du curriculum à ce modèle est de s’assurer que l’élève fera bien lui-même les liens adéquats avec toutes les matières puisque l’enseignant, intrinsèquement, ne les fera pas nécessairement.
16Le recueil documentaire tel que nous l’avons conçu, en fonction de la discipline et du degré, doit permettre, dans un premier temps, d’ajuster le contenu de chaque matière afin de pouvoir répondre au questionnement suscité par le document et, dans un deuxième temps, de démontrer les liens entre nos différentes disciplines qui ont plus de points communs qu’on ne pourrait le penser. Il s’agira d’encourager la mise en évidence de liens d’apprentissage entre les disciplines scolaires, la collaboration en équipe et la mise en commun des ressources pédagogiques nécessaires et suffisantes pour l’exploitation des documents. À travers des documents similaires à ceux qui serviront de support à l’argumentaire et que les enseignants soumettront tout au long de l’apprentissage, la classe recueillera les informations indispensables à l’éclairage de son avis sur la problématique posée.
17Au-delà de la stricte prise d’informations, les documents seront un appui indispensable pour l’expression orale à venir. En finale, l’apprentissage aura comme objectif unifié d’apporter aux élèves tous les savoirs disciplinaires, mais aussi linguistiques nécessaires à l’élaboration de l’argumentaire : vous comprendrez aisément que les appuis disciplinaires du cours de français, voire du cours de langues modernes si l’on envisage un argumentaire à développer dans une langue étrangère, se justifieront parfaitement et élargiront le champ d’intégration.
18C’est donc autour de cette élaboration que se fera l’apprentissage auquel contribueront toutes nos disciplines. Les thèmes abordés pourront émerger du curriculum scolaire pour glisser progressivement vers une expérience épistémologique complète et globale : en effet, les enseignants seront amenés à apprendre à leurs élèves à faire des liens explicites entre les différentes matières pour comprendre et exploiter au mieux tous les documents afin d’établir une solide argumentation. L’idée est de faire comprendre aux élèves l’intérêt qu’ils ont à prendre du recul, à découvrir comment leurs apprentissages sont reliés et complémentaires, à déterminer lesquelles de leurs habiletés s’avèrent les plus utiles ou efficaces dans certaines circonstances, et à réaliser ce qu’ils pourraient avoir avantage à mieux maitriser.
19Nous développons là le modèle multidisciplinaire tel qu’il est défini par Fogarty.
20La situation telle qu'elle est présentée et objet de notre atelier inter-écoles, permet, nous semble-t-il, de travailler efficacement l’acquisition de compétences disciplinaires bien sûr, mais aussi transversales transférables à d’autres disciplines et à d’autres situations (Morlaix, 2009 : 47-48) :
- des savoir-faire tout d’abord puisqu’il s’agira de structurer une pensée, d’ordonner un propos, d’utiliser des connecteurs logiques indispensables à la clarté des enchainements ou encore de construire un raisonnement et de l’étayer par des illustrations ;
- des savoir-être ensuite nécessaires à une communication orale de qualité comme adapter sa posture à la situation d’échange, maitriser le volume et le débit de sa parole ou de sa gestuelle, veiller à son regard, à sa capacité d’écoute, à respecter son interlocuteur ;
- des savoirs enfin puisqu’il s’agira d’acquérir et de rassembler des connaissances culturelles au sens large du terme et faire appel à des savoirs puisés dans les différentes disciplines.
21Le dernier temps de cette première journée sera consacré à une première structuration qui cherchera à établir les enjeux méthodologiques, pédagogiques et didactiques de la situation que nous proposons et sa typologie. Cette phase est importante à nos yeux parce que, comme l’écrit Xavier Roegiers, elle permet aux différents acteurs de réfléchir à une diversification des pratiques et de partager autour de situations construites dans un état d’esprit pluriel.
22Ici, nous poserons la question de savoir comment les participants à notre atelier ont perçu la situation comme apprenants bien sûr, mais surtout comme experts de leur discipline. Ils seront en effet les principaux concepteurs et pilotes des situations d’apprentissage et d’évaluation destinées à soutenir les élèves dans leur parcours et dans le développement de leur compétence à intégrer leurs apprentissages. Certaines situations devront nécessairement porter sur l’appropriation des démarches de réalisation et d’intégration en lien avec le contenu des programmes.
4. Les variables d'identification
23La réponse que nous attendons est liée à ce que Roegiers appelle des variables d’identification, bien entendu transposables pour la mise en place d’autres situations. Ces variables permettront d’identifier précisément la catégorie de situations à laquelle elle appartient.
- La première variable porte sur le caractère même de la situation. La nôtre n'est pas une situation didactique, au sens socratique du terme, dont l'objectif est une résolution individuelle ou collective au travers d'un jeu de questions/réponses. Il s'agit bien d'une situation « cible » à fonction intégratoire au travers de laquelle l'élève apprendra à s'approprier des savoirs et des savoir-faire acquis ou en voie d'acquisition et dans laquelle il sera invité à résoudre un « problème » dans le cadre de sa classe ou de son école, mais qu'il pourrait être amené à rencontrer dans le cadre de sa vie quotidienne. Nous parlons ici d'une situation construite puisqu'elle ne répond pas à un besoin réel par comparaison à une situation naturelle, avec une résolution simulée puisqu'elle ne débouchera pas sur une utilisation effective à des fins fonctionnelles.
- La deuxième variable porte sur le caractère disciplinaire. Notre situation est multidisciplinaire, pour reprendre la terminologie de Fogarty : elle fait appel à disciplines dont nous aurons clairement identifié les apports lors du choix de nos documents.
- La troisième variable porte sur la fonction pédagogique recherchée. La nôtre a clairement une fonction d'apprentissage à l'intégration puisqu'elle vise à apprendre à l'élève à intégrer un ensemble de ressources.
- La quatrième variable vise le profil de l'élève que l'on cherche à former à travers la situation. Ce choix d'attribuer ces rôles, comme de proposer une typologie détaillée, s'est opéré suite à la réflexion que nous avons menée en équipe depuis maintenant un an avant la concrétisation de l'atelier présenté et par la lecture de l'ouvrage que Roegiers a consacré à l'intégration des acquis scolaires. On ne peut effectivement faire l'impasse sur la question du profil d'élève que l'on veut avoir au terme du cursus, en fonction des finalités telles qu'elles sont définies dans le décret « Missions ». Concrètement, nous avons identifié cinq profils que nous allons chercher à développer :
- pour le côté communicationnel de la langue, nous pointons le profil d'une personne autonome et responsable dans la vie sociale et professionnelle ;
- pour l'aspect positionnel argumentatif, nous visons le profil d'un citoyen équilibré et responsable ;
- pour l'aspect environnemental, nous envisageons le profil d'un agent ou d'un défenseur de l'environnement pour privilégier la mobilisation des connaissances, savoir-faire et savoir-être afin d'interagir sur l'environnement et sur sa protection ;
- nous ciblons également les profils d'une personne critique et avisée puisqu'il s'agira de retirer des documents des éléments du passé pour réagir à une situation présente et celui d'un(e) futur(e) décideur(e) qui doit prendre des décisions en fonction de données qu'il ou elle aura exploitées judicieusement.
24Un des avantages de travailler avec des profils est de pouvoir développer chez les apprenants des attitudes essentielles telles que celles citées par Roegiers, à savoir la tolérance, l'éducation à la citoyenneté ou encore la défense de l'environnement.
- La cinquième variable détermine le produit attendu : nous attendons des élèves qu'ils bâtissent un argumentaire destiné à convaincre un jury assisté d'un modérateur. Il s'agira donc d'une proposition d'action.
- La sixième variable touche aux données fournies à l'élève. Les nôtres sont incluses dans le portefeuille documentaire et au sein même des documents à analyser. Elles sont numériques et non numériques, authentiques et collectives puisque notre situation est construite pour être présentée à l'ensemble d'un groupe classe.
- La septième variable porte sur la transférabilité : ainsi, nous pouvons proposer aux équipes pédagogiques des contextes similaires à Merlemont, par exemple la réaffectation du Square Léopold à Namur ou la construction d'un Colruyt à Wemmel.
- La dernière variable d'identification mesure le degré d'ouverture de la situation puisqu'il existera plusieurs argumentaires tous aussi valables les uns que les autres.
25Nous pourrons donc conclure cette première journée de l'atelier par une synthèse collective de la typologie de la situation : elle est axée sur un contexte dicté par les sciences humaines, elle doit être résolue dans un cadre scolaire. Elle est supposée intervenir après un processus de formation pour lequel l'enseignant aura le choix de la démarche, dont la fonction est d'apprendre à intégrer des acquis à partir d'un contexte bien précis dans un processus d'intégration et dont la résolution sera simulée. Nos documents, quant à eux, détermineront bien évidemment le contexte d'intégration enrichi par une dimension spatio-temporelle (à Merlemont, de nos jours) et par une problématique (que faire ?).
5. Les variables de contenu
26La deuxième journée de l'atelier sera consacrée à déterminer nos variables de contenu. Elles sont fondamentales puisqu'elles vont nous permettre de traduire les apprentissages visés en termes d'acquisition et de mobilisation.
27Parmi les principaux paramètres proposés par Roegiers, nous avons retenu les objectifs visés, les savoirs/savoir-faire/savoir agir et enfin les processus mis en œuvre.
28À titre d'illustration, voici les variables de contenu que nous avons précisées en géographie, en histoire et en latin :
- en géographie, l'objectif sera de développer une intelligence territoriale. Pour ce faire, les élèves devront être capables de formaliser, de se familiariser à des modèles d'organisation de l'espace, d'identifier les interactions nature/société, de prendre position par rapport à un projet d'aménagement du territoire. Les processus engagés seront essentiellement la conceptualisation et la mise en relation ;
- en histoire, les objectifs seront les suivants : confronter différentes tendances politiques belges et étudier leur évolution dans le temps. Pour ce faire, les élèves devront être capables de questionner les enjeux politiques de notre temps, analyser de façon critique des discours politiques, croiser le double concept de croissance/crise, d'une part, avec les concepts de démocratie, de libéralisme et de socialisme, d'autre part. Les processus engagés seront essentiellement le questionnement, le jugement critique, la conceptualisation et la mise en relation. Ceci suppose des choix conscients et délibérés, choix visant le travail et l’appropriation par les élèves d’outils conceptuels, réinvestis et progressivement élargis dans différents moments-clés de l’histoire. Désormais, le cours d’histoire se détache du récit historique qui doterait l’élève d’une « culture » liée à une civilisation donnée pour devenir un cours qui place l’élève dans la position active d’interroger un passé complexe pour mieux comprendre notre présent multiforme ;
- en latin, l'objectif sera de comprendre, dans un esprit épicurien, les rapports prévalant entre l'homme et son environnement dans le monde romain, les implications territoriales, paysagères et environnementales dans une volonté politique d'organiser et de transformer le monde. Pour ce faire, les élèves devront être capables de lire et de comprendre le sens global d'un texte latin, d’ébaucher une traduction orale ou écrite avec l'aide du professeur, de rapprocher et comparer textes et documents de nature variée pour étudier un motif. Les processus engagés seront essentiellement la conceptualisation, la mise en relation, le questionnement et la synthèse.
29Cette seconde structuration sera un moment privilégié pour identifier les apprentissages à mettre en place en amont et, partant de là, les outils disciplinaires nécessaires pour développer auprès des élèves une meilleure compréhension du contenu et une meilleure maitrise des processus cognitifs. Il s'agira bien de rencontrer les contenus et de donner la prévalence à des savoirs pertinents.
30La réflexion globale tant sur la typologie de la situation que sur les variables de contenus permet de déterminer, du côté des enseignants, les paliers de compétence visés dans chacune de nos disciplines et, du côté des élèves qui doivent construire et organiser leurs acquis, un savoir agir en situation. La logique est en quelque sorte inversée : ce ne sont pas les compétences qui légitiment les savoirs, mais les savoirs qui sont adaptés pour rencontrer des moments d'intégration. Dans nos accompagnements, il nous arrive souvent de constater que les enseignants, habitués à développer ou à légitimer des savoirs que des cadres de référence, programmes/référentiels ou encore manuels ont promus ou promeuvent encore, éprouvent beaucoup de difficultés à inverser cette logique.
31À ce propos, il est intéressant, me semble-t-il, de vous donner un bref écho d'un court exemple d'une situation d'intégration dont la fonction est clairement l'évaluation : le schéma de passation en puériculture.
6. Le schéma de passation
32Comme le rappelle la note sur le schéma de passation des épreuves de qualification publié par la FESeC en février dernier (document interne 6912), le schéma de passation devient la référence à partir de laquelle les équipes d'enseignants vont élaborer les épreuves de qualification. Ces épreuves intégrées, tout comme les différents travaux de recherche ou de questionnement par exemple, devront remplacer tous les examens disciplinaires des Options de base groupées. L'une des difficultés rencontrées par les conseillères pédagogiques du Secteur service aux personnes est qu'il n'est pas facile, quand le cours a été « pensé » et conçu pendant un certain nombre d'années selon une logique interne à la discipline (citons, par exemple, le développement de l'enfant de 0 à 6 ans) de demander aux enseignants de se mettre « au service » des compétences du Profil de formation, selon une logique du métier qui seront évaluées non plus en fin de parcours, mais à différents moments de celui-ci. Le danger est, comme le constate la responsable du secteur, l'émiettage des apprentissages liés à un cours. C'est ainsi, conclut-elle, qu'il serait judicieux de penser le cours en fonction de la planification des situations professionnellement significatives tout en veillant à respecter une certaine logique de la discipline.
33Le secteur Service aux personnes, pour le cours de psychologie en puériculture, a donc établi des propositions de travail en sous-groupes autour de questions clés : il s'agira, en regard de chaque SIPS (signification de ce sigle ?) de déterminer quels pourraient être les grands axes à développer en psychologie appliquée et à planifier sur trois années et, en regard d'une situation bien particulière, de déterminer quelles pourraient être les consignes plus spécifiques liées au cours de psychologie appliquée.
34Comme vous l'aurez compris, ces ateliers menés avec et pour les enseignants sont un moyen pour nous, accompagnateurs/formateurs pédagogiques et responsables de secteur, d'amener les équipes pédagogiques à organiser différemment les apprentissages qu'il faudra privilégier à un moment plutôt qu'à un autre en adoptant, comme l'écrit Jacques Tardiff, une logique de l'intégration des savoirs plutôt que d'un cumul de connaissances, ce qui correspond bien à l'un des principes de base de l'approche par compétences et de leur évaluation.
35Dans cette logique d'intégration des acquis, comme le rappelait Roegiers dans son ouvrage sur les curricula et dans la mesure où le développement des compétences demande d'effectuer différentes opérations liées à l'apprentissage, à la remédiation et à l'évaluation, la planification est évidemment indispensable.
7. D'autres constats
36Planifier reste une démarche difficile. Les directions comme les équipes pédagogiques sont bien conscientes de ces difficultés : les demandes qui parviennent à la Cellule de conseil et de soutien pédagogiques et qui portent explicitement sur ce thème étaient au nombre de vingt-six pour l'année scolaire 2011-2012 et de vingt-huit pour 2012-2013 ventilées ainsi : deux pour le spécialisé, une pour l'agronomie, trois pour les arts, deux pour les bois construction, sept pour les sciences économiques et sociales, quatre pour l'éducation physique, six pour le français, une pour l'hôtellerie, deux pour les langues modernes, quatre pour les maths, trois pour les sciences, dix pour les sciences humaines et langues anciennes, quatre pour les services aux personnes. Mais en nombre de documents qui circulent en interne (entendez les demandes, les analyses et les rapports d'inspection), ce ne sont pas moins de deux-cents textes qui font référence à la planification. Cette porte d'entrée de nos interventions en écoles permet également de confirmer certains des constats de l'inspection : des dépassements dans les contenus de matière, ainsi que des recoupements et des redondances des apprentissages. Nous constatons également que certaines planifications sont rédigées, mais pas toujours intégrées dans la pratique et qu'elles sont considérées comme du travail administratif.
37Dans le qualifiant, la planification se fait le plus souvent sur une plus longue période avec un aboutissement plus clairement exprimé au niveau de l'évaluation. La référence aux SIPS, aux stages et/ou aux activités multidisciplinaires induit la rédaction d'une mise en situation d'intégration finale qui permettra l'évaluation de la ou les compétences visées.
38En transition, les constats sont variables :
- en français, les programmes et outils invitent les enseignants à planifier leurs cours en répartissant les tâches ou les objets communicationnels sur le degré et sur l'année. Seul le programme du deuxième degré de transition donne des indications de répartition sur la troisième et la quatrième année. Comme le constatent les conseillers pédagogiques, les enseignants ne voient pas très clairement la progression entre les objets. Et comme il n'y a pas d'évidence démontrée à voir telle chose avant telle autre, les choix d'ordre et de planification deviennent assez arbitraires et sans négociation collégiale efficiente. La seconde difficulté rencontrée par de nombreux enseignants est d’avoir une vision claire des objets prescrits, des niveaux de maitrise attendus et, dès lors, du temps nécessaire pour équiper les élèves. L’accord sur un objet n’est pas toujours synonyme d’accord sur des niveaux de maitrise très explicites. Bon nombre de professeurs n’ont pas non plus une vision claire de leur « budget temps » et pilotent leurs parcours à l’aveuglette, s’attardant à des détails, pour s’apercevoir en fin d’année qu’ils n’ont plus assez de temps pour tout voir. Comme le cours est peu cumulatif, les effets sont moins perceptibles que dans des cours à continuité plus forte. Enfin, une difficulté importante, surtout au premier degré dans lequel la culture du manuel est plus forte, c’est l’absence de tout manuel permettant de mettre en œuvre le programme. Quand les manuels respectent la philosophie d’une approche par compétence et donc par tâche complexe/objet communicationnel, ils ne couvrent pas tous les objets du programme, proposent des objets non prescrits, des séquences très longues ; et quand les équipes de professeurs s’accordent sur un manuel, ils en viennent souvent à considérer que la table des matières dudit manuel remplace leur planification, ce qui fait qu’ils déchantent très vite, confrontés à l’impossibilité de mettre en œuvre tout ce qui est proposé (et jamais hiérarchisé), et qu’ils se sentent bloqués devant les prescrits non rencontrés ;
- pour la planification en histoire, notre réseau présente la particularité du cours d’EDM (Étude du milieu) au premier degré, cours qui initie les élèves à la chronologie en visitant les différentes périodes de l’histoire, mais uniquement à travers des thèmes liés aux modes de vie comme l'habitat ou la consommation. Les deux derniers degrés ont pour tâche de reprendre plus systématiquement le fil de l’histoire à partir des héritages de l’Antiquité méditerranéenne. La démarche cette fois, met l’accent sur le questionnement et l’enquête historique ainsi que sur la dimension interprétative et critique de l’histoire. L’approche par compétences y contribue. Le défi de planification pour les enseignants devient dès lors, la couverture chronologique de contenus historiques de la période celtique au temps présent. Ceci suppose des choix conscients et délibérés, choix visant le travail et l’appropriation par les élèves d’outils conceptuels, réinvestis et progressivement élargis dans différents moments-clés de l’histoire ;
- en sciences humaines, le programme actuel est très « libre » et les enseignants éprouvent des difficultés à planifier parce qu'ils comprennent mal le programme. En outre, ils planifient peu en équipe. La planification, quand elle existe, reste alors très basique, centrée sur des thématiques ou des concepts, alors que les deux doivent être croisés, et pratiquement jamais au niveau des attendus, des apprentissages ;
- en langues modernes, les conseillers pédagogiques mettent en évidence que le manque de coordination et l'utilisation de manuels pas toujours adaptés aux thèmes peuvent être la source d'une planification déficiente qui entraine des lacunes dans l'apprentissage ;
- en langues anciennes, la planification reste également très basique, correspond grosso modo au journal de classe de l'enseignant et est axée autour des savoirs disciplinaires à maitriser en fin de deuxième degré. Ici aussi, le manque de coordination et l'utilisation de manuels privilégiant l'aspect purement grammatical de la langue induisent bien souvent une planification déficiente.
39Il est clair, pour nous, qu'il faut favoriser des dispositifs qui renforcent le dialogue mono et multidisciplinaire et qui encouragent les coordinations horizontale et verticale pour amener les équipes pédagogiques à élaborer des éléments de planification qui permettent d'articuler efficacement les apprentissages.
40Et c'est dans ce but que nous consacrerons la dernière journée de notre atelier à la planification d'une situation intégratrice, en partant bien entendu de notre situation et autour de trois points : les moyens pour organiser le projet, la manière de former les équipes et le moment d'intégration.
8. Une autre manière de planifier
41En lien avec les objectifs visés, le projet s'oriente vers un produit concret qui comprend un ensemble de tâches. Il sera donc important que les enseignants établissent la planification détaillée en fonction des ressources allouées et des échéances à respecter.
42Pour former les groupes d'élèves, nous avons opté pour une stratégie particulière : le pariage selon les profils détaillés ci-dessus.
43Enfin, comme le travail en équipe ne s'improvise pas, il faudra aussi planifier des activités de formation au travail d'équipe, l'occasion peut-être de revaloriser de manière efficiente les travaux de groupe.
44La situation que nous proposons dans notre atelier est à planifier entre le congé de carnaval et les vacances de Pâques. Ce moment a été choisi en fonction des programmes respectifs, mais aussi des paliers de compétences que les enseignants seront invités à établir en amont sur base de différentes variables telles qu'elles sont évoquées par Roegiers et qui nous paraissent pertinentes comme le nombre de ressources à intégrer, la nature des informations à extraire de la base documentaire, le nombre de démarches à coordonner, le niveau de difficulté des notions disciplinaires à intégrer, des supports à traiter ou encore le niveau d'autonomie de l'élève exigé. Il faudra également avoir à l'esprit qu'aux variables relatives au niveau de complexité et de difficulté, il faudra lier des variables de nature organisationnelles. En effet, la nature même de notre projet entrainera inévitablement des modalités pédagogiques particulières.
45Cette structuration a pour objet une planification essentiellement orientée sur des éléments organisationnels et mettra en évidence le caractère prospectif : les enseignants pourront établir une projection de ce qui doit être entrepris pour mettre en relation les actions à amorcer et les résultats escomptés tout en ayant réalisé un plan détaillé des moyens à mobiliser. Par le biais de ce premier travail, nous espérons amener de la manière la plus aisée possible la planification des éléments pédagogiques et scientifiques nécessaires pour atteindre les objectifs fixés. Cette planification pourra alors répondre aux exigences disciplinaires et privilégiera l'entrée par la matière et clarifiera les attendus.
46Dans nos accompagnements, nous constatons régulièrement qu'il est difficile pour les enseignants de fixer leurs attendus ; en d'autres termes, de préciser ce que l'élève devra être capable de faire en fin de parcours et qui sera évaluable. Pourtant, il nous semble que, partant de ces attendus, nous pourrions établir de manière plus homogène la progression des apprentissages et l'articulation de la ou des compétences, les critères de performance, le niveau taxonomique des habiletés à développer et les contenus essentiels sur lesquels elles s'appuient, d’où l'importance de bien travailler en équipe la typologie de la situation. La planification devra être opérante pour que l'enseignement soit efficace en ciblant ce qui est attendu, pour que l'élève puisse vraiment prendre part à ses apprentissages en sachant ce qu'il doit apprendre et ce sur quoi il sera évalué.
47La dernière activité de ce troisième jour sera consacrée au modèle développé par Jay Mc Tighe, enseignant et coordonnateur de programme au district Prince George's County : l'Understanding by Design ou « Planification à Rebours » (PAR).
48De manière générale, ce modèle de planification a comme objectif principal l'harmonisation des connaissances et des habiletés visées, des stratégies d'évaluation, des stratégies d'enseignement et des stratégies d'apprentissage.
49De nombreux enseignants commencent la planification d’une unité ou d’une série d’activités d’apprentissage en choisissant un sujet, les leçons et des activités privilégiées qui exploitent mieux les ressources dont ils disposent déjà, pour passer ensuite à l’enseignement proprement dit. Quelque part au bout de ce processus, ils évaluent ce que les élèves ont appris, pour découvrir en fin de compte que les leçons ou les outils d’évaluation ne correspondaient pas très bien à ce qu'ils attendaient.
50En retournant le processus, la planification à rebours permet, quant à elle, l’harmonisation des résultats d’apprentissage, des outils d’évaluation et des stratégies d’enseignement. Elle force à commencer par « la fin » avec les objectifs et les résultats que nous souhaitons atteindre. Après avoir répondu à la question « Où faut-il arriver ? », nous pouvons aborder les questions suivantes : « Comment pouvons-nous y arriver au mieux ? » et « Comment saurai-je que nous sommes arrivés au but ? » La planification à rebours oblige non seulement à réfléchir aux résultats d’apprentissage que nous voulons que les élèves atteignent, mais aussi à décomposer les processus complexes qui y sont reliés pour déterminer les étapes de l’enseignement. Elle exige également que nous tenions compte des conceptions erronées et des malentendus qui sont susceptibles de se présenter pendant l'apprentissage et que nous décidions de la façon dont nous allons déterminer si les élèves se rapprochent de nos attendus. C’est seulement après cela que nous pouvons commencer à envisager quelles stratégies d’évaluation et d’enseignement seraient les plus appropriées pour aider les élèves à atteindre les résultats souhaités. Par ce type de planification, on peut éviter deux problèmes : une planification qui soit axée sur des activités engageantes, pratiques et conviviales, mais pauvres en termes d'acquis d'apprentissage, ou une planification centrée sur la nécessité de voir l'ensemble de la matière incluse, par exemple, dans un manuel qui doit rester une excellente ressource didactique, mais qui ne doit pas faire office de plan de cours.
51La planification à rebours se fait en trois étapes (Tomlinson, Mc Tighe, 2006 : 27-30) :
- les participants se poseront d'abord les questions : « pour exploiter au mieux nos documents et les utiliser à bon escient pour leur argumentaire et leur prestation orale, qu'est-ce que les élèves doivent savoir, comprendre et être en mesure de faire ? » ; « quelles connaissances durables doivent être comprises ? » ; « quelles questions essentielles doivent être explorées ? ». Ils détermineront ainsi les attentes et les contenus qui feront prioritairement l'objet de l'apprentissage et cibleront les habiletés qui seront visées par la situation ;
- ils se poseront ensuite la question : « comment allons-nous savoir si nos élèves ont acquis les connaissances et les habiletés visées ? ». À ce stade, ils réfléchiront à l'évaluation et cibleront les paliers de compétence. En outre, ils pourront arrêter les stratégies à développer, tenant compte des résultats escomptés ;
- ils se demanderont enfin : « de quelles connaissances préalables les élèves auront-ils besoin pour atteindre les résultats escomptés ? » ; « quelles activités, quelles tâches et quelles ressources conviennent le mieux pour atteindre les objectifs ? » ; « dans quel ordre les activités doivent-elles être planifiées ? ». En ayant à l'esprit les attendus fixés à la première étape et les preuves valables de la compréhension des élèves établies à l'étape 2, il faut planifier les activités pédagogiques avec comme objectif de rendre l'enseignement engageant et efficace pour les élèves tout en gardant à l'esprit les résultats escomptés.
52Après cette appropriation des étapes de la planification, nous envisageons de construire, avec nos enseignants, un gabarit pour les aider à sur concentrer sur l'essentiel tout en effectuant une PAR. En annexe de ce gabarit figurera la liste des contenus d'apprentissage.
53En synthèse de cette présentation de la PAR, nous pourrions dire, à l'instar de ce qu'écrivaient Lorna Earl et Steve Katz, tous deux membres du Protocole de l'Ouest et du Nord canadiens, que ce modèle nous incite non seulement à réfléchir aux objectifs d'apprentissage que nous souhaitons que nos élèves atteignent afin de définir de la manière la plus précise possible les attendus. Et si les enseignants les ont clairement définis, ils pourront d'autant plus facilement les partager avec leurs élèves qui sauront alors exactement ce sur quoi ils seront évalués. Car, comme le disait Rick Stiggins de l'Assesment Training Institue « Les élèves peuvent atteindre n'importe quelle cible, pourvu qu'ils la voient et qu'elle ne bouge pas ».
54Voilà donc brossé l'atelier sur lequel nous travaillons en équipe, de manière régulière, depuis maintenant une petite année et que nous allons bientôt proposer aux écoles participantes. Nous espérons offrir aux équipes pédagogiques un espace de réflexion et de collaboration multidisciplinaire et inter-école et une occasion de travailler sur la mise en place d'un projet intégrateur facilitateur d'un parcours de développement de compétences disciplinaires et transversales dont on peut connaître toutes les étapes et dont on sait que chacune d'elle est essentielle dans ce cheminement et qu'elle sera marquée par des changements significatifs dans la structure cognitive nécessaire à une réorganisation et une restructuration des connaissances et des savoirs au sens décrétal du terme.
55Comme le souligne Tardiff, il faut pouvoir circonscrire les étapes de ce développement pour rendre explicites les stades par lesquels les élèves vont pouvoir montrer la maîtrise qu'ils ont de la compétence visée. Pour lui, seul un modèle cognitif de l'apprentissage valide peut le faire.
9. Un modèle cognitif de l'apprentissage
56Un modèle cognitif de l'apprentissage prend quatre contraintes en considération : il détermine les étapes de développement d'une compétence qui seront délimitées par les apprentissages critiques ; il fixe également les obstacles au développement d'une compétence pour orienter alors judicieusement le choix de situations d'apprentissage et de situations d'évaluation appropriées ; il différencie des trajectoires de développement par une explicitation claire de la progression et par une prévision de tous les parcours et, enfin, il spécifie des niveaux de maitrise aux moyens d'échelles bien établies. Pour Tardiff, l'un des rôles essentiels d'un modèle cognitif de l'apprentissage est de circonscrire de manière explicite les apprentissages critiques, les apprentissages transitoires et l'intégration de nouveaux savoirs.
57Il faut bien convenir que cette représentation est très théorique et que la réflexion date du milieu des années 2000. Mais il nous semble qu'elle est toujours d'actualité. On ne peut que rejoindre les conclusions de Tardiff : la compétence s'appuie sur une mobilisation et une combinaison agissantes d'un certain nombre de ressources internes et externes au sein d'une famille de situations, et ce développement s'inscrit dans la durée. Il est jalonné par des étapes qui correspondent à des apprentissages critiques qui amènent l'élève à certaines performances et à l'intégration de nouveaux apprentissages vers une étape supplémentaire dans le développement.
58Il nous parait utile que les équipes pédagogiques puissent disposer de modèles cognitifs valides, pratiques et transférables pour baliser le parcours de formation de leurs élèves et pour évaluer correctement leur trajectoire de développement.
59Une réflexion plus large tant dans les équipes pédagogiques, soutenues par l'accompagnement et par la formation, que dans les unités de didactique autour de la validation de modèles cognitifs d'apprentissages et autour d'une planification de projets multidisciplinaires pourrait surement aider les enseignants et les étudiants qui se destinent à la profession à mettre en œuvre des situations d'apprentissage en lien étroit avec le développement des compétences, et des situations d'évaluation qui pourront documenter les apprentissages en lien avec les compétences.
10. Conclusion
60Au travers de la mise sur pied de notre atelier, nous avons voulu faire preuve d'une ouverture face à un rapport aux savoirs qui évolue de plus en plus vite : une réflexion sur un apprentissage plus adapté à un décloisonnement de nos disciplines même si la tâche n'est pas facile. En effet, comme l'écrit Jean-Pierre Astolfi, il est plus gratifiant de combiner, d'asseoir et de mettre en relation que de distinguer, séparer ou encore trancher.
61Le modèle imagé de la connaissance proposé par Jean-Louis le Moigne et cité par Astolfi qui n'y voit qu'une métaphore charmante, résume très bien la réflexion de notre équipe :
- la connaissance est une grande ile au milieu de la « mer de l'Empirie » dont les plages du Nord représentent les sciences de la matière, celles du Sud les sciences de la vie, celles de l'Est les sciences du mouvement et celles de l'ouest les sciences de l'ingénierie. L'explorateur qui fait le tour de l'ile laissera des grains de sable d'une plage lorsqu'il ira sur la suivante, ce qui provoquera des convergences disciplinaires et des évolutions. Mais l'ile est volcanique et le « cratère de l'épistémè » déverse en permanence un flux de lave. Ainsi, toutes les plages finissent par être faites du même sable et ne peuvent se distinguer que par des nuances colorées ;
- les disciplines doivent apporter leurs propres concepts et leurs propres ressources, mais il est essentiel qu'elles interagissent pour offrir à l'élève une même vision du monde au travers de leurs fenêtres ouvertes.
Bibliographie
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Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Décret relatif au service général de l'inspection, article 17, § 1.
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