Répétition existentielle et reproduction poétique
p. 67-85
Texte intégral
1Kierkegaard et Pessoa considèrent l'existence comme négativité, outre celle d'être un perpétuel devenir ; en effet, elle est atteinte, dès qu'elle survient, par un évènement qui la dénature essentiellement, la chute dans le péché pour l'un, et pour l'autre la scission engendrée par une conscience qui, posant l'individu à la fois comme sujet et comme objet de l'existence, rompt tout accès direct à soi-même et au monde. Cette rupture et cette fracture nimbent l'être de non-être – frange de mystère que Campos discerne en toute chose – en ce que sa réalisation exige constante actualisation : il lui incombe sans cesse de se re-prendre et de réinvestir le monde. Cette tâche éminemment dialectique se meut dans une contradiction : c'est dans l'existence conçue comme négativité que doit être recouvrée une positivité, l'existence étant la seule chose dont l'individu dispose et qui en fasse un existant. Pour s'accomplir, l'existant est constamment renvoyé à un ex-sister, à un élément extérieur à l'existence, tapi au-dedans de lui-même, immanent, (l'élément dialectique est « à l'intérieur », selon les termes de Climacus), ou transcendant (élément dialectique à « l'extérieur »), auquel conformer la totalité de l'existence.
1. L’existence comme division
2 Surmonter l'existence par une profonde rénovation du rapport à soi et au monde – « Ma vertigineuse aspiration à dépasser l'univers » écrit Campos291 fut la tâche de Kierkegaard et Pessoa. Nous appellerons répétition – au sens large – cet effort de l'existence à se porter vers un ex-sister, à accentuer l'existence au sein de l'existence elle-même. Un tel mouvement, que nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer, est pour Caeiro et Climacus celui de la primitivité. Il suppose que l'existence soit déterminée par la « catégorie de répétition » qui seule, estime Campos, « libère du poids de l'Actuel »292, et en un sens éminent, lave de la non-vérité par le saut dans le religieux ainsi que le rappelle Constantin Constantius dans son essai de psychologie expérimentale, La Répétition – car toute approche qui se déploie dans le concept et non dans l'existence est assurée d'en éluder les caractéristiques.
3Parce que l'existence est liberté – liberté qui se réalise pleinement dans la répétition pour Kierkegaard – elle est essentiellement ouverture. Les deux auteurs se défient de toute conception qui la fige dans les prédéterminations de l'être. Hormis pour Caeiro qui est immédiateté pure, qui est commencement et fin de la philosophie de l'existence, il y a pour tout individu deux sphères, « celle de l'abstraction et celle de la réalité »293 ; l'existence ne peut se suffire exclusivement ni de la première qui en ferait un fantôme, ni de la seconde car il est un sujet pensant. Elle est éminemment intéressée à elle-même en ce qu'elle porte un intérêt suprême au fait d'exister, lui-même défini comme interesse, un entre-deux entre la pensée et l'être. C'est cet interesse que revendique Campos lorsqu'il clame « Que je sois… l'intervalle dans l'Être afin de cesser d'être de l'Être »294. L'existence est ouverture, division qui prévient de toute division car elle préserve le dynamisme de la vie et autorise tout effort d'accomplissement – Campos ajoute : « Frontières sur rien ! / Divisions de rien ! / Seulement Moi »295… « Ouvrez toutes les portes ! / Cassez les vitres des fenêtres ! / Supprimez les fermetures de la vie trop fermée »296. En même temps, l'existence est une réalité contradictoire : elle se précède toujours et déborde toute tâche qui la prendrait pour objet. Climacus observe que « l'existence est le moment dialectique d'une trilogie297 dont le début et la fin ne peuvent pas être pour un existant qui, comme tel, se trouve dans le moment dialectique »298. L'existence est à la fois medium dans lequel l'existant est toujours déjà pris et moment dialectique de la tâche. Mais cette contradiction qui instaure une division dans l'être, une distance à parcourir et assure un dynamisme que rien ne saurait limiter – « Que s'arrêter soit le nom ingénu de continuer, / Que la fin soit toujours une chose abstraite »… s'écrie Campos299, garantit la tâche et sa pérennité. Dans cette mesure, l'existence authentique est par essence reprise, répétition, bien que celle-ci soit sans cesse menacée d'une certaine inertie, d'une pesanteur qui la fait sombrer dans l'habitude et la routine. Comme si ce mouvement de reprise anthropologiquement inscrit dans la nature de l'existant comportait en lui ses propres résistances. Kierkegaard concède que la répétition n'est véritablement réalisée que dans l'éternité, tandis que dans Salut… Campos implore « Déshabillez-moi du poids de mon corps ! Remplacez mon âme par des ailes abstraites, attachées à rien ! Des ailes non, mais l'Aile énorme du Grand Vol ! »300.
2. Sens de la répétition : vie et individuation
4C'est cet intervalle, cet inter-esse entre pensée et être qui ménage l'espace de la répétition. Surmonter l'existence, « avoir une vie meilleure »301, suppose un mouvement de reprise. Sujet pensant, l'individu a oublié qu'il est d'abord un être vivant. Il faut donc partir de la vie pour amorcer cette œuvre de régénération à laquelle il aspire. Pour Pessoa, la vie est vérité (1) et la modernité n'a eu de cesse de l'obscurcir : avant de s'appréhender comme pensant, l'individu s'éprouve comme vivant et participe à la vie du monde. À cette assertion, Kierkegaard en ajoute une seconde qui donne une orientation différente et décisive à sa pensée et au statut de la répétition, à savoir que la vérité est vie (2). Il reste ainsi fidèle à la doctrine chrétienne de la vérité telle qu'elle est énoncée en Jean 14, 6-7 : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi ». Par sa faute, l'homme a perdu la vérité et l'assertion (1) est impraticable sans l'adjonction de la proposition (2) : la vie est d'abord donnée comme non-vérité et seule l'imitation du Christ indique la voie de la vérité et donc la vie. L'ambition kierkegaardienne ne se limite pas à affirmer la nature de l'individu comme être vivant (ce qui est le cas de tous les êtres animés) mais comme être individué dont la tâche est de réaliser la synthèse de fini et d'infini qu'il est, portant ainsi sa nature de vivant à son acception plénière.
5Les deux auteurs ont conscience que s'éprouver comme individu ou simplement comme être vivant ne peut faire l'objet d'une appréhension directe. À cet égard, Michel Henry, dans son étude phénoménologique de la vie, C'est moi la vérité302, fournit un éclairage intéressant. Il note, à l'instar des deux auteurs qui se défient de toute approche exclusivement conceptuelle de l'existence, qu'« il est impossible de découvrir, de trouver ou de retrouver la Vie absolue dans la vérité du monde par la voie d'une connaissance »303. Il relève en outre que « cette vie est incapable de se donner dans une perception, de devenir visible dans la vérité du monde »304. Aussi ont-ils recours à la répétition que Kierkegaard nomme aussi redoublement dans Les Œuvres de l'amour : redoubler la pensée dans l'existence pour Kierkegaard ou redoubler la sensation par la pensée pour Pessoa. Campos l'affirme explicitement dans Salut à Walt Whitman : « car derrière le délire, je construis, / car derrière les sensations, je pense »305. Ce que la pensée seule, divise, oppose, en détruisant la concaténation naturelle des choses, le redoublement de la sensation par la pensée l'unifie : « Je ne veux pas d'intervalles dans le monde ! / Je veux la contiguïté matérielle et pénétrée des objets ! / Je veux que les corps physiques s'appartiennent les uns aux autres comme les âmes… »306 En ce redoublement, Campos re-produit le souffle vital, « ligne divine » qui anime de la même façon tous les êtres et en fait des vivants, qui les unit en un tout dont ils ne sont que les facettes de la même réalité, chacun étant l'expression du contenu de la vie : « … Car tout est une seule vitesse, une seule énergie, une seule ligne divine / … Ave, salve, vive la véloce unité de tout !... / Ave, salve, vive la grande machine univers ! / Ave car vous êtes un seul même, arbres, machines, lois… / La même sève vous remplit, la même sève vous varie, / Vous êtes une seule et même chose, et le reste est en dehors et faux307… » Si le redoublement (du type de celui de Campos) n'est possible qu'en raison de la qualité commune à tous d'êtres vivants, il s'impose en revanche dès lors que l'individu veut se saisir comme vivant. Parce que la vie n'a aucune intentionnalité qu'elle-même, aucun objectum, elle ne peut s'appréhender comme telle ; elle ne peut s'éprouver que par le truchement d'autre chose, d'un objet, que l'individu s'assimile par la sensation, et qui, ressenti, produit des modifications à l'intérieur du sujet. Cette différence sensorielle produit l'impression de la vie, comme passage d'un état à un autre, et appréhension de ce passage. C'est ce qu'affirme Campos dans Le Passage des heures : « Je me suis multiplié pour me sentir308, / Pour me sentir, j'ai eu besoin de tout sentir, / J'ai débordé, je n'ai fait que me répandre… »309 Campos ne risque-t-il pas dans cette tentative, de parvenir à une complète dépersonnalisation, en faisant de la vie exclusivement une transition – entre des mois modifiés et toujours différents – plutôt qu'une synthèse de permanence et de devenir ?
6Que signifie « se sentir » ? Le phénoménologue Michel Henry avance cette interprétation : « S'éprouvant soi-même dans l'Ipséité de la Vie, [le moi] entre en possession de lui-même en même temps que de chacun des pouvoirs qui le traversent »310, qu'il s'agisse des pouvoirs du corps (pouvoir de se mouvoir, de toucher..) ou de ceux de l'esprit (pouvoir de former des idées…). Ce pouvoir, le moi les trouve en lui, ils lui sont octroyés sans qu'il soit leur cause. Aussi, à chacun de ces pouvoirs, doit-on faire correspondre un non-pouvoir qui est « l'impuissance absolue du Je à l'égard du fait qu'il se trouve en possession de ce pouvoir311, en mesure de l'exercer » et qu'il n'a pas lui-même voulu. Ainsi Campos affirme-t-il à la fois sa frénésie d'action, fût-elle la plus insensée – « J'étreins sur ma poitrine haletante, en accolade émue / … Le soldat qui meurt pour la patrie… / Et le matricide, le fratricide, l'incestueux, le violeur d'enfants, le bandit de grand chemin… »312 – sa passivité extrême comme si elle n'émanait pas de lui, mais d'une puissance extérieure qui en aurait été l'auteur-« Ma passivité se couche aux pieds de tous les assassins »313 – et une position de retrait, allant jusqu'à l'effacement (au point de n'être personne), signe de cette ambivalence : observateur et instrument de ceux qu'il a lui-même créés : « J'ai commis tous les crimes, / J'ai vécu au-dedans de tous les crimes / (Moi-même j'ai été non l'un ou l'autre dans le vice, / Mais le vice-personne lui-même pratiqué entre eux… »)314. Ce non-pouvoir tient au fait que l'individu n'est pas la cause des pouvoirs qu'il trouve en lui mais il est néanmoins capable de les déployer quand il le veut et de s'affirmer comme libre. Et voilà le poète qui accueille par le biais de la sensation démultipliée, un monde qu'il laisse advenir en lui – c'est le se-sentir-le-monde de Campos : « Je me suis dénudé, je me suis donné »315… « Mon cœur rendez-vous de toute l'humanité, / Mon cœur banc de jardin public, auberge, geôle numéro tant / Mon cœur club, salon, parterre, paillasson, guichet, écoutille… / Holà, holà, holà quel bazar que mon cœur ! »316. Occupé à façonner le monde au fil de son imagination, le poète s'en exclut, comme le créateur par rapport à la chose créée. « Cette incompétence pour l'action » que pointe Campos317 marque la radicale scission avec le monde dont il se détache dans le geste même qui le suscite318. Ne trouvant pas d'exutoire extérieur, il reste dans sa pensée dont il devient le captif ; aussi est-ce un vœu pieux dont il fait part dans Le Départ : « Ah me voici libre ! / Ah j'ai brisé toutes / les chaînes de la pensée »319.
7Pour Campos, la donation du monde est contemporaine de son retrait. Dans son refus de toute transcendance, il est conduit à méconnaître que la vie est plus que le vivant. De chaque être qu'il s'emploie à saisir par la sensation, ce n'est pas la Vie qu'il en retient, mais les caractères par lesquels il se donne comme vivant320. Or « la vie est plus que l'homme compris de façon adéquate en tant que vivant »321. Parce qu'il se donne la possibilité de la transcendance, Kierkegaard se comprend non seulement comme être vivant mais comme individu en ce qu'il se rapporte à la source de toute vie. Dans La Maladie à la mort, Kierkegaard précise bien que le moi est « un rapport qui se rapporte à lui-même, et se rapportant à lui-même, se rapporte à autre chose »322. Se rapportant « à ce qui a posé le rapport », l'individu, dans un acte de liberté, se donne un moi et le monde, ancrage de ce rapport. Faute d'accomplir cette tâche de fondation323, Campos suscite un monde dont il s'exclut324, victime à la fois de son impuissance à le faire accéder à la réalité325 et de l'excès de puissance que lui confère son acte de « création ». Ainsi son attitude oscille-t-elle entre ce que M. Henry appelle l'illusion transcendantale par laquelle « l'ego se prend pour le fondement de son être » et croit trouver en lui la ressource pour se bâtir un moi326 et la déception de ne pas être lui-même ce Dieu qui fait advenir à l'être : « Ce n'est pas seulement tout cela que j'aimerais être, s'exclame-t-il dans l'Ode maritime327, c'est plus que cela, le Dieu-cela ! » ou dans Salut à Walt Whitman, de façon plus virulente : « Qu'elle aille se faire mettre, la faute qui nous fait ne pas être Dieu »328.
3. Nature du redoublement
8Le redoublement pessoen consiste à s'éprouver comme vivant et recouvrer la primitivité oblitérée par des siècles d'histoire. Les odes de Campos montrent suffisamment, par l'amertume qu'elles exhalent, que ce ne peut être un but ultime : seul W. Whitman aura su réunir ce à quoi échoue Campos, santé psychique et santé spirituelle, car une vie éloignée de l'esprit est toute proche de la mort. W. Whitman joue à ce titre le rôle de paradigme, pareillement au Christ pour le chrétien – peut-être Christ lui-même mais inimitable : à peine peut-on le révérer dans une ode. Le redoublement kierkegaardien consiste à devenir un individu (à savoir une synthèse de temporel et d'éternel rapportée à ce qui l'a posé c'est-à-dire un être vivant au sens plénier, spirituellement vivant, qui s'abreuve aux sources de la Vie en vertu de sa dimension éternelle et y puise « la force vitale requise pour tuer la mort » qu'il trouve en lui et « la changer en vie »329. Utilisant plutôt le terme de répétition ou de réduplication ailleurs dans son œuvre (La Répétition, ou le Post-scriptum), Kierkegaard explicite dans Les Œuvres de l'amour ce qu'il entend par redoublement :
Quand l'éternel est dans un homme, cet éternel se redouble en lui de telle sorte qu'à tout moment où il est en lui, il agit d'une double façon : en se portant vers l'extérieur et en se retirant vers l'intérieur en lui-même, mais de telle façon qu'il reste une seule et même chose sinon il n'y a pas de redoublement… Il en est ainsi de l'amour… Quand nous disons que l'amour sauve de la mort, nous avons aussitôt le redoublement de la pensée : en aimant on sauve un autre de la mort et… on se sauve soi-même de la mort ; on le fait en même temps et il s'agit d'une seule et même chose : au moment où on sauve autrui de la mort, on se sauve soi-même330.
9L'individu redoublé effectue une action vers l'intérieur parce qu'il la déploie vers l'extérieur et vice versa. Pour se constituer en moi – Campos dit plutôt pour me sentir – l'individu va selon les termes du Passage, « de soi jusqu'à soi »331 en se redoublant. La structure du redoublement est donc la même chez Kierkegaard et Pessoa, mais chez Pessoa l'action se développe exclusivement de l'extérieur (le je saisit l'objet) vers l'intérieur. Campos s'assimile le monde pour se sentir. Une action vers l'intérieur a certes autant de validité qu'une action vers l'extérieur comme l'observe Kierkegaard : « prétendre que l'action dans l'extérieur serait supérieure à une action vers l'intérieur, c'est le misérable propos des faibles »332, mais s'en tenir à cette dernière et se priver du détour par la transcendance – quelle qu'elle soit – clôt la boucle de l'immanence chez Pessoa. La vision pessoenne du redoublement comme façonnement de l'individu apparaît être en quelque sorte le négatif immanent de la conception kierkegaardienne. Et Kierkegaard l'envisage précisément.
10Dans La Répétition, en effet, Kierkegaard évoque le cas du jeune homme, qui, à la suite d'une déception amoureuse cherche un nouveau départ dans la vie, n'osant pas toutefois s'aventurer jusqu'au religieux. Mais le jeune homme, tout comme Campos, a pour visée de s'en tenir au poétique. Campos, par le moyen du poétique, cherche à révéler la vérité de la vie qui s'est perdue par le poids des traditions et le mauvais usage de la raison. Le jeune homme, quant à lui, utilise l'idée (celle de l'amour) – « sans cet enthousiasme de l'idée, on est banni de la poésie » fait observer Constantin Constantius, auteur de La Répétition – pour accéder au poétique. En fait, pour lui, « la jeune fille n'était pas la bien-aimée mais l'occasion qui éveillait en lui le génie poétique et faisait de lui un poète… Elle avait joué un grand rôle dans sa vie en le rendant poète ; mais par là même elle avait signé son propre arrêt de mort »333 car sa véritable fin n'était point la jeune fille, mais l'élément poétique qu'elle faisait surgir. « En perpétuelle contradiction avec lui-même »334, tout le conduit à une attitude éminemment ambiguë : « expliquer poétiquement la réalité » ou s'appliquer à vivre une réalité poétique qu'il aurait lui-même suscitée. La véritable méprise est celle du poète qui lui fait rechercher l'Idée plutôt que l'idée dans l'existence : le jeune homme écrit l'auteur de La Répétition, ne pouvait convertir cette méprise en réalité : il ne pouvait révéler « le quiproquo en lui disant qu'elle était simplement la figure sensible alors que sa pensée et son âme cherchaient autre chose qu'il reportait sur elle »335 : en fait l'idée lui suffit, il peut « devenir heureux sans la jeune fille »336… « Pour l'aimer réellement, il lui fallait d'abord sortir de la confusion où la poésie l'avait jeté »337. Campos et le jeune homme entraperçoivent la signification de la répétition, cette seconde puissance de la conscience qui fait passer l'idée dans l'existence. Kierkegaard explique : « la répétition est à mes yeux une évolution, car la seconde puissance de la conscience n'est pas une vaine répétition, mais une répétition telle que la nouvelle a une importance absolue par rapport à l'état précédent dont elle diffère qualitativement »338. La primitivité par exemple, n'est pas le retour pur et simple à un état de nature antérieur illusoire et que ne permettraient même pas l'évolution socio-historique de l'individu, ni le présupposé dogmatique du péché, mais la conquête d'une seconde immédiateté – post-lapsaire – fondée en Dieu (ou en autre chose), radicalement différente de la première en ce qu'elle est voulue et rendue possible par la décision de croire. « Ce qui a été répété, ajoute Kierkegaard, a été sinon il ne pourrait être répété, mais c'est justement le fait d'avoir été qui donne à la répétition son caractère de chose nouvelle… Quand on dit que la vie est une répétition, l'on entend : les choses qui ont été de fait deviennent maintenant actuelles »339. Mais au moment où cette seconde puissance de la conscience s'apprête à se déployer dans le concret de la réalité, la répétition est éludée, dirigée vers l'immanence et absorbée par l'imagination. L'idée ne parvient pas à s'extérioriser dans l'existence : son amour ne peut se traduire dans le mariage. « L'épouser, c'est la briser » constate le jeune homme340 avec lucidité ; tout comme Campos, il ne risque pas la transcendance, il ne croit pas vraiment en la répétition, il ne la veut pas avec force341 car il n'en aperçoit pas l'élément salvateur – ne s'esquivent-ils pas de toute décision concrète, de la seule décision qui importe ?342 « S'il avait eu une assise religieuse plus ferme, le jeune homme ne serait pas devenu poète. Tout aurait pris un sens religieux… Il aurait acquis un fait de conscience auquel s'en tenir constamment, qui n'aurait jamais été ambigu pour lui, mais pur sérieux, parce que posé par lui en vertu d'un rapport avec Dieu »343. S'il avait su accomplir un tel acte de fondation, le jeune homme aurait recouvré la bien-aimée, et comme Job, reçu tout au double ; Campos n'aurait pas succombé au désespoir car il aurait retrouvé un moi. Faute d'un tel mouvement, le jeune homme et Campos sont condamnés au ressouvenir. Si en poètes ils glorifient l'idéalité de toute chose – peu importait au jeune homme que sa bienaimée « fût en réalité vivante ou non »344 – ils pointent avec mélancolie le naufrage de celle-ci et l'inéluctabilité de sa perte, et cela à deux titres : séparée de tout contact avec la réalité, l'idée reste prisonnière de son idéalité ; réactivée de surcroît, répétée dans le souvenir, elle se rapporte au révolu, à ce qui est déjà perdu avant d'être évoqué. Kierkegaard et Pessoa qui ressentaient l'urgence d'un mouvement de reprise susceptible de régénérer l'individu, en confièrent l'initiative à des pseudonymes soit parce qu'ils n'avaient pas les moyens théoriques de le faire aboutir (cas de Campos), soit parce que cette tentative n'avait d'autre fin qu'expérimentale et exploratoire et qu'au surplus, en pratique, la répétition n'est jamais parfaitement réalisée dans la temporalité mais dans l'éternité « qui est la vraie répétition »345. Aussi, tant Campos que le jeune homme, (Kierkegaard réserve à Anti-climacus, pseudonyme de La Maladie à la mort et de L'École du christianisme, le rôle d'auteur chrétien – preuve qu'il ne peut être tenu par aucune personnalité existante) ne pouvaient adopter qu'une solution de repli, la réminiscence, consolation de la liberté. L'idée du primitif que Campos voulait insuffler à son existence s'est épuisée dans le pli de son immanence : « J'ai trop senti pour pouvoir continuer à sentir. / Mon âme s'est épuisée, il ne reste en moi qu'un écho »346. Lorsque la sensation s'épuise, le primitif surgit au sein de cette « béance », de cette « mer nocturne », dans un cri, un « vaste cri », un « cri très ancien », gros de « l'énorme mystère très humain des vives eaux nocturnes ». Le primitif surgit comme réminiscence : « Et voici tout en moi soudain devant une nuit sur la mer… / Et mon enfance heureuse au fond de moi s'éveille, telle une larme. / Mon passé resurgit comme si ce cri maritime / Était un parfum, une voix, l'écho d'une chanson / Qui viendrait réclamer à mon passé / Ce très lointain bonheur qui plus jamais ne sera »347. Le redoublement de la sensation a pour conséquence ultime et paradoxale le tarissement de toute sensation externe, la coupure totale avec le monde et la plongée, par le ressouvenir, dans l'espace-temps du révolu – le bonheur perdu.
4. Répétition et réminiscence
11Ce mouvement, essentiellement intro-jectif – et non pro-jectif – évide la chose redoublée de tout contenu pour n'en garder que la forme, l'Idée, épurée de tout repère spatio-temporel – « Autant qu'il est possible hors de l'Espace et hors du Temps »348 – et coupée de toute conceptualisation rationnelle, dans sa manifestation la plus intérieure, la plus intime. Elle est résonance en l'âme du poète « de cet énorme mystère », mystère dont l'élucidation ne peut être opérée qu'au lieu où il se noue : au commencement de la vie, à l'aube des temps. Pour Campos, l'écoulement du temps éloigne toujours plus du primitif ; il faut donc le rechercher en arrière par le ressouvenir : la réminiscence est une voie praticable en raison de la réversibilité des instances du temps du seul point de vue de l'Idée (« Tout navire éloigné vu maintenant est un navire aux temps passés vu de tout près »349). Pour Kierkegaard en revanche toute démarche régressive était interdite en vertu du péché : l'homme s'est coupé de la vérité et ne peut revenir sur ses pas. L'éternité – et donc le primitif – doit être recherchée en avant : « la conception moderne doit apercevoir l'éternité, [ceci] vu à partir de l'instant, à travers l'avenir. Quand donc ici encore le bonheur s'arrête, quand la crise éclate, cela signifie que la liberté doit se frayer sa voie en avant et non reculer en arrière »350. La répétition est projection de l'idée dans l'à-venir, conformation de l'existence à celle-ci – ressouvenir en avant. « Répétition et ressouvenir sont le même mouvement, mais en sens opposé, car ce dont on se ressouvient a été ; c'est une répétition en arrière ; la répétition proprement dite est un ressouvenir en avant »351.
12La vie en effet est spontanéité et épanouissement : elle procède d'elle-même et retourne à elle-même. L'immédiateté que possède le croyant dans la foi est l'union de ces deux mouvements : il la réalise dans la répétition. L'immanence ne connaît que le premier moment352 et l'individu ne parvient donc pas à l'immédiateté comme le reconnaît Campos : « Je ne pourrais être content que si mon corps était mon âme »353. L'individu peut échouer devant le second moment, celui de la réduplication proprement dite, qui le met aux prises avec le concret de la réalité : il ne peut surmonter l'existence pour la plier à l'exigence de l'idée. C'est ce qu'avoue Constantin : « La répétition aussi est trop transcendante pour moi. Je peux bien faire le tour de moi-même, mais je ne peux m'élever au-dessus de moi-même »354. Dans le redoublement de la sensation, Campos n'éprouve que la mêmeté du moi, d'un moi vivant (et non d'un moi rapporté à sa source, la Vie) : il reste en lui-même tout en étant autre (et non en devenant autre, comme le sont les êtres rédupliqués selon la transcendance). Le redoublement de Campos est un redoublement du même à l'intérieur du même qui le maintient toujours plus prisonnier de lui-même ; aussi doit-il convenir de l'échec de son entreprise : « Mais être universel – je ne le peux pas car je suis particulier. / Je ne peux être tous car je suis Un, un seul, moi seul »355. Ainsi, de façon paradoxale pour Campos, la « répétition en arrière » l'aura coupé de la vie en l'isolant en lui-même356. Son échec n'était-il pas secrètement prémédité et ne recelait-il pas ce que Kierkegaard croyait discerner, à savoir « une angoisse indicible du monde, de la vie, des hommes et de tout »357. Et de fait Campos et le jeune homme, dans un geste de désespoir, finirent par se rebeller contre la vie. Campos : « Et tombons d'accord pour envoyer se faire foutre et le monde et la vie »358 ; Constantin, à propos du jeune homme : « il maudit la vie, son amour et sa bien-aimée dans les apostrophes les plus véhémentes »359.
13 L'Ode maritime offre l'illustration d'une reprise qui devait bien aboutir à une méprise. Car le projet de Campos était de remonter au primitif, à ce qui précède toute mémoire d'homme. S'il atteint l'Immémorial et entend le cri de la vie, ce cri archi-ancien – « le vaste cri, le cri très ancien » – c'est parce qu'il y bute et ne peut répondre à cet appel. Il découvre dans le temps, le paradoxe (non chrétien) de la vie qui excède les limites du temps, paradoxe dont il ne peut percer le sens et qui est donné sous la forme du mystère. À l'instar de Climacus, il arrive au point où « il comprend qu'il ne peut comprendre ». Mais plutôt que d'accomplir un pas de plus, de risquer l'absurde de la foi, d'effectuer la réduplication stricte qui est imitation du Christ (solution de Climacus-Kierkegaard), Campos, dans sa quête du Passé Absolu, se résout en la reprise (réminiscence) du passé historique, biographique (« Mon passé resurgit »). L'Idée aperçue dans la brièveté de l'éclair360 – c'est dans l'Instant dit Kierkegaard que le temporel se hisse vers l'éternel – manque à se réincarner dans l'acte (répétition) qui lui donne sens : ne parvient à Campos que l'idée sous sa forme acoustique voire olfactive – « un parfum, une voix, l'écho… » – par laquelle elle signale sa présence tout en se soustrayant à toute vision. Mais Campos convient de l'inanité de sa démarche : « Mais tout ça c'était le Passé… la faim me saisit d'une chose hors d'atteinte »361, et conclut pareillement dans Le Départ : « Il n'y a ni mystère, ni vérité ! / Il n'y a pas de Dieu, ni de vie, ni d'âme distincte de la vie »362.
14L'antithèse concept / réalité est la marque distinctive de la modernité. Kierkegaard essaie de la résoudre dans la répétition (l'Instant est synthèse de fini et d'infini). L'héritage socratique de l'unité de la pensée et de l'être fut mis à mal par Platon, même s'il proposait une théorie de la participation c'est-à-dire de communication du sensible et de l'intelligible. Caeiro reprend le fragment parménidien « Être et penser sont le même » ; Campos semble y faire écho : « Je ne veux pas de serrure aux portes… Je veux que les corps physiques s'appartiennent les uns aux autres comme les âmes »363. Mais alors que le christianisme est la coexistence du fini et de l'infini (à laquelle parvient, du moins de droit, le croyant dans l'imitation) en la personne de l'Homme-Dieu, Campos suggère socratiquement une présence de l'infini en l'homme, dont l'appréhension ne peut se faire directement mais par l'assimilation préalable (re-production poétique364) de la substance du monde, « Tout ressentir de toutes les manières », pour se recevoir soi-même (aller « de soi jusqu'à soi »). Mais ce chemin, il ne pourra l'accomplir car il est infini (« Mon chemin remonte l'infini… ») ; il ne possède pas de terme (« terme sans terme »365). Pis, il est impraticable (« chemin du sans chemin »366) car Campos ne s'en donnera pas les moyens : « ça me regarde, ça regarde Dieu, ça regarde le sens-moi du mot Infini »367.
5. Projet poétique et projet existentiel
15Dans La Répétition, Kierkegaard tente de cerner avec le plus de précision ce qu'est l'existence d'un poète. Il observe : « La vie d'un poète commence par une lutte avec la réalité tout entière : il s'agit pour lui de trouver l'apaisement ou la justification »368. De justification, il ne pouvait en être question pour Pessoa : Campos est une protestation contre l'existence telle qu'elle est et une tentative pour la dépasser. Pour faire aboutir cette dernière, Kierkegaard et Pessoa font surgir deux figures, celle du poète et celle du pseudonyme. Le premier a pour tâche de hisser par son lyrisme et fictivement, la réalité au stade de l'idéalité, le second d'en offrir une expérimentation par le biais de personnalités existantes, elles aussi fictives, et de procurer ainsi à l'idéalité le maximum de réalité possible.369 Le pseudonymique et le poétique conjuguent leurs effets pour une autre pratique de l'existence : projet littéraire et projet existentiel coïncident. En ce sens, le poétique chez Pessoa n'est pas un choix indifférent, mais il résulte d'une nécessité existentielle profonde, celle de procurer au poète une autre réalité dans laquelle il pourrait vivre. Le lien avec le monde s'est coupé, tout l'indique dans les textes de Pessoa ; toute immédiateté lui est interdite et tout est médiatisé par l'imagination et la réflexion. En ce qu'il restitue (idéalement certes) à l'individu un monde auquel il s'est rendu étranger, le poétique représente chez Pessoa, la forme du redoublement, redoublement primordial et originel où s'inscrit l'autre redoublement (cf. ci-dessus) par lequel il se constitue comme existant.
16Il importe tout d'abord de se forger un monde : l'existence est conçue comme lieu d'expérience poétique. L'univers qui l'entoure ayant perdu toute visibilité – « Mais mon âme à moi se tient avec ce qui se voit le moins »370 – dépourvu de tout exutoire, Campos se porte non pas vers l'avant dont l'horizon est bouché, mais se replie en arrière, vers ce qu'il connaît parce qu'il l'a perdu. Ce mouvement d'intériorisation, de remontée vers l'Idée – « Tout quai est une saudade en pierre »371 – est réminiscence de l'enfance, « centre de pulsion poétique »372. Il est remarquable de noter – Pessoa l'explicite clairement dans l'Ode maritime – que la contemplation de la vie maritime, le voyage onirique auquel elle donne lieu, sont sans cesse alimentés par ce réservoir de sensations qu'est l'enfance : « pendant ce temps, je n'ai fixé mon attention sur rien. /.../ Tout ce temps je n'ai pas quitté des yeux mon rêve lointain, / Ma maison au bord du fleuve, / Mon enfance au bord du fleuve, / Les fenêtres de ma chambre donnant sur le fleuve la nuit… »373. La vie maritime s'offre au poète sous un autre jour, moins hostile, à la lumière familière de l'enfance et selon ses déterminations, enfance qui est la jeunesse de l'Idée.
17Si l'existence s'accomplit comme trame poétique, en retour la poésie est comprise véritablement comme expérience existentielle, preuve de l'intrication des deux projets, littéraire et existentiel : « Et vous, choses navales, s'exclame Campos, vieux jouets de mes rêves ! Composez hors de moi ma vie intérieure »374. La rupture avec le monde extérieur est consommée – « mes sensations sont un bateau la quille en l'air, / Mon imagination, une ancre à moitié immergée, / Mon élan une rame brisée… »375 – et il revient au poétique de le réamorcer esthétiquement – « le lien qui m'unit au dehors par l'esthétique » – de lui donner une chair, un contenu – » Pourvoyez moi en métaphores, en images, en littérature » – sans quoi toute existence s'avèrerait impossible.
18Comme le remarquait Kierkegaard, le poétique constitue un medium ambigu : dans la glorification de l'idéal, il peut inciter à faire le pas en direction de celui-ci ; le jeune homme était parvenu aux lisières du religieux ; il peut aussi inviter à la contemplation et l'inaction, selon le propre aveu de Campos : « [Moi qui] préfère penser à fumer de l'opium plutôt que d'en fumer / Et trouve plus digne de lui de regarder l'absinthe à boire que de la boire »376.
19Le poétique, s'il vise en premier lieu à remonter à l'originaire, maintient le poète dans une zone d'indécision – sans doute visée inconsciente de F. Pessoa – qui lui permet de satisfaire à ses deux tentations contradictoires : il est un moyen, selon les termes de R. Bréchon, « de se fuir en tant qu'âme sensible, trop vulnérable, et… de s'accomplir en tant que conscience corporelle »377. Cette impossibilité de coexister avec lui-même, sens profond de l'hétéronymie, Campos la traduit de façon percutante : « Moi enfin, littéralement moi, / Et moi métaphoriquement aussi »378. Il mène, comme à plaisir, un véritable jeu d'esquive avec lui-même, ce dont il convient aisément : « [moi] Qui porte monocle pour ne pas ressembler à l'idée réelle que je me fais de moi »379, et ce jeu est amplifié par le dédoublement hétéronymique. Pessoa y est perdant dans tous les cas : ce que Campos pense acquérir avec certitude, Pessoa le perd en distance hétéronymique. Alors que chez Kierkegaard, le poétique mis en œuvre par les pseudonymes sert à évacuer l'élément poétique (cf. ci-dessus), il est utilisé par Pessoa pour tenter de donner quelque consistance à sa recherche ontologique. Il appartient au poète d'éclairer le mystère de la vie à partir du mystère de l'enfance qui pourrait en fournir une clé : « destinataire de missives scellées », le poète Campos se fait en quelque sorte herméneuticien : il a pour tâche d'indiquer la liaison intime entre la vie d'hier certes révolue et le moment présent qui s'origine en elle :… » Moi le destinataire des missives scellées, / La malle aux initiales effacées,/ L'intonation des voix que nous n'entendrons plus jamais – / Dieu garde tout cela dans le Mystère, et quelquefois nous le sentons/ Et la vie pèse tout soudain et il fait très froid… »380. Mais le pseudonyme Campos, l'expérimentateur, volatilise ce que Campos le poète lui tend. Il se dit « sans archives dans son âme »381, lui à qui Campos le poète a donné à entendre « l'intonation des voix » de ceux qui lui ont été proches ; il se voit aussi sans perspective. Le souvenir le fige, le souvenir le glace (« il fait très froid ») : il le prive de tout élan et lui ôte tout appui. Car ces voix familières sont l'écho de quelque chose d'antérieur à tout souvenir et à toute mémoire et nimbent de leur mystère toute tentative d'accomplissement. Campos ne parvient à échapper à sa condition ni par une échappée en avant par la réminiscence, ni en aval par la projection dans l'avenir : le poète entrave le pseudonyme et enraye le projet existentiel.
20À cet égard, le Salut à W. W. apporte des indications éclairantes, car derrière l'éloge que Pessoa dresse à ce poète, se dessine le sens de sa démarche. W. Whitman offre selon Campos le rare exemple d'une totale symbiose entre le littéraire et le biographique et d'un accomplissement mutuel de l'un par l'autre : « Tu chantais tout, écrit-il, et en toi tout chantait »382. Par contraste, Campos convient de son impossibilité à vivre, en même temps que de l'épuisement progressif d'une veine poétique qui se proposait de suppléer à la carence de son projet existentiel : « Qu'est-ce que faire des vers sinon confesser que la vie ne suffit pas ? »383 ; cependant ces derniers ne fournissent pas l'élan escomptés : « Toujours la vermine la plus vermine, la plus chimique des cellules vivantes/ Aura plus de vie, plus de Dieu que toute la vie de mes vers »384 et ne sont en fin de compte que l'expression de la dépossession de soi : « Toujours m'échappe la chose à quoi je pense./…/ Toujours me manquent dans chaque cube, six faces,/ Quatre côtés dans chaque carré que je veux exprimer »385. Car ce « poème suprême » auquel aspire Campos et que sait si bien écrire W. Whitman, exprime la substance même de la vie dans son dynamisme et sa persévérance ; il sculpte « la sculpture en Mouvant et en Éternel »386.
21Il dit l'humain qui se dit en elle. Plus, il est la vie, la « forme des formes »387, la totalité. W. Whitman embrassa la totalité par l'écriture, il atteignit ce point qui embrasse tout l'univers : « Tolérance magnifique que celle de tes sensations… aux contours du système de l'univers »388… « Ah le poème qui te chanterait bien,/ Ce serait le poème qui tout entier chanterait tout./ Le poème où se trouveraient tous les tissus, toutes les soies-/ Tous les parfums, toutes les saveurs/ Et le contact, dans tous les sens du toucher, de toutes les choses tangibles »389. Car toute chose est animée de la même vie qui les anime toutes – « Toutes les choses qui, ensemble, forment la synthèse univers,/ Toutes les choses qui, séparées, valent la synthèse-Univers »390 – et toute sensation d'une chose aussi particulière et partielle qu'elle soit, est l'écho de la vie qui est en lui, une et indivisible : « qui comme toi a senti la vie individuelle de tout ? »391. Entre le poème suprême et la vie, il n'y a pas chez W. W. parallélisme ni antithèse, mais identité : le poème résume la vie, « il rend superflue la vie », il la rend « caduque »392, mais la vie est elle-même poème qui contient tous les poèmes393 : « Qui comme toi [W. W.] tient toujours le duplicata [i. e. le poème] pour un original [i. e. la vie] ». Et c'est parce que le poème et la vie ont partie liée que la création littéraire s'avère impossible chez Campos et toute tentative de substitution de l'un par l'autre achoppe : « Nous faisons de l'art et ce qu'en vérité nous voulons faire, c'est la vie./ Ce que nous voulons faire est déjà fait et nous n'avons nul pouvoir de le faire »394. Si le poème est la vie, la vie est déjà là et elle s'écrit quoi que nous voulions. Or sa vie est chétive, retenue, repliée en elle-même tels ses vers qui, jamais lus, ne sortent pas du papier395. La poésie ne peut sauver Campos : « Je veux te chanter et je ne peux pas te chanter, Walt »396 : il ne dispose pas du souffle vital nécessaire à en faire une force propulsive. Seul subsiste en lui un lien ténu aux choses, celui d'un « sourd-muet », d'un « aveugle » dont « tout dans la sensibilité » est mort. Le poème ne résume pas la vie, il n'en accomplit pas l'essence comme la Forme rassemble la multiplicité du divers, il n'est chez Campos que la duplication de son impuissance : « Je ne ferai jamais rien d'autre que de copier un écho des choses,/ Le reflet des choses réelles dans le miroir terni de moi-même »397.
22De fait, à la lecture du poète absolu, Walt Whitman, Campos s'exclamera : « je ne sais plus si je lis ou si je vis »398, et de façon corrélative le concernant, déplorera : « Et mes vers sont ceci : ne pas pouvoir, moi, éclater de vivre »399. Chanter la vie suppose qu'on sache en accueillir l'influx ; le mot, le vers, n'en est que la vibration dans l'âme du poète. Et cela n'est possible qu'en vertu de la conaturalité des êtres et des choses. Campos assimile même dans son lyrisme cette parenté à une identité : « Ne pas écrire des vers, des vers et des vers au sujet de l'acier,/ mais voir, avoir, être l'acier et que cela même soit mes vers, / Des vers – de l'acier – des vers, cercle naturel-psychique-moi »400. Walt Whitman a retrouvé en lui (en cela il accomplit Caeiro), tapie sous les accumulations de la culture et de l'histoire, cette communauté de nature qui le relie au tout : il participe à la vie qui est semblable à elle-même où qu'elle soit ; en cette mesure, « il a tout senti »401 et a « plus de sensations que les sensations à venir »402. Nous retrouvons là, sous les traits que Campos prête à Walt Whitman, l'idée stoïcienne de la sympathie universelle que les Grecs nommaient sympatheia et les Latins naturae contagio ou consensus naturae. Tout conspire, tout se répond. La sympathie universelle exprime que le tout est symphuès, conaturel, et à ce titre, pour Walt Whitman, « chaque herbe, chaque pierre, chaque homme, était l'univers même »403 ; elle pose en outre qu'il n'y a qu'une matière commune disséminée en une pluralité d'êtres particuliers, une vie unique partagée par tous les êtres. Dans les Pensées, Marc-Aurèle écrit :
Une est la lumière du soleil, bien qu'elle se disperse sur les mers, sur les montagnes et mille autres obstacles. Une est la substance universelle, bien qu'elle se disperse en mille corps individuels. Une est l'âme, bien qu'elle se disperse dans des milliers de natures qui ont leur limites propres… Mais les parties des unités dont j'ai parlé, par exemple les forces vitales et les corps s'ignorent en général les unes les autres et restent sans liaison »404. Comme en écho, Campos chante celui qui sut « être la totalité éparse de ce qui intéresse le monde405.
23La conaturalité des êtres et des choses repose sur l'idée antique de pars totalis, de partie totale406, particulièrement présente chez les Stoïciens (et que développera Leibniz) : le sage stoïcien comme le « héros en univers », individus particuliers, embrassèrent dans l'existence et/ou l'écriture, la totalité, avec laquelle ils rétablirent l'harmonie préexistante, au point de concentrer en chacun d'eux suffisamment de vie « pour être tous »407. Et à sa façon, l'individu total qu'est Walt Whitman reproduit l'identité stoïcienne de Dieu et du monde : sa présence au monde est totale ; ce monde vit en lui et est ramené à l'unité par lui : « seul Dieu [lui] conviendrait [d'] être »408. Pour exprimer ce que les théologiens nomment son omniprésence, Campos utilise la métaphore traditionnelle du cercle : « Ici et là-bas, de tout côté toi partout, / Cercle renfermant toutes les possibilités de sentir »409. Le poème total (ou suprême) est le lieu de la donation du monde et d'un moi à la mesure de ce monde – « être l'acier et que cela soit mes vers… ». Il réalise l'alchimie entre le matériel et le psychique et donne une cohésion, une âme pourrions-nous dire, au Tout et au moi comme partie de ce tout exprimant le Tout. À l'instar de la nature à laquelle il appartient le plus naturellement possible (il y a accord avec les préceptes de Caeiro), W. Whitman est tout entier contemporain à lui-même : passé et avenir convergent dans l'instant de la sensation où se condense l'essence de la vie. La nature est toute là en germe ; elle est présence totale : mémoire de ce qu'elle fut et épanouissement de ce qu'elle est. De même, W. Whitman concentre en l'instant présent la totalité du temps : chaque moment, aussi bref soit-il (« Heure, Minute… Seconde ») est lourd du passé et de l'avenir. Toute chose est contemporaine à toute autre et n'existe pour lui qu'un présent total – notion également familière aux Stoïciens : la succession temporelle ne fait que déployer un ensemble initialement donné, selon les termes de Cicéron : « traductio temporis… primum quidque replicantis »410.
24La poésie est le medium le mieux à même de restituer cette notion de totalité. Parce qu'elle se fonde uniquement sur le mot, elle est la suprême abstraction : elle ne « conserve rien du monde extérieur »411. À ce titre, sauf à sombrer dans le fantastique, a-t-elle pour charge d'en dessiner la trame et de le constituer comme un tout unifié par le même geste créateur et animé par le même souffle. Le poète est donc créateur du monde, mais il ne l'est véritablement et en un sens plus profond, que s'il en partage la vie et en assimile l'âme (« Pour te saluer comme on doit te saluer / J'ai besoin de rendre mes vers chevaux, / J'ai besoin de rendre mes vers train-express, / J'ai besoin de rendre mes vers flèche… »412), que s'il vibre au gré des êtres qu'il suscite413 et des sons que ses vers scandent – que s'il se crée dans cet acte de sensation. Activité littéraire et existence se répondent dans leur réversibilité, chacune étant le moyen de l'autre et impuissante sans l'autre. C'est là, en dernière analyse que réside le sens de ce « poème suprême » : poème total – le détour stoïcien nous en a montré certaines implications – poème des poèmes certes, mais surtout poème de poème, création qui s'engendre.
25Pareille préoccupation, celle d'un engendrement de soi comme moi (ou ici comme partie totale), anima S. Kierkegaard autant que F. Pessoa. Dans un passage du Journal414, Kierkegaard rappelle sa qualité de poète et son projet d'écrivain :
Maintenant paraît La Maladie à la mort, mais sous pseudonyme avec moi comme éditeur. Cela s'appelle « pour l'édification » qui est plus que ma catégorie, la catégorie du poète : l'édifiant. Comme le fleuve Guadalquivir… se précipite quelque part sous la terre, de même, il y a un parcours : l'édifiant qui porte mon nom. Il y a quelque chose d'inférieur (l'esthétique) qui est pseudonyme et quelque chose de supérieur qui est aussi pseudonyme, parce que ma personnalité n'y correspond pas.
26Ainsi Kierkegaard s'assigne une place bien particulière intermédiaire entre Climacus qui « disait ne pas être chrétien » et Anti-climacus, « chrétien à un degré extraordinaire » : l'édifiant est la catégorie du poète et le religieux le sens de son parcours. L'œuvre de Kierkegaard, et bien plus les Discours édifiants, sont une philosophie de l'édification, de la constitution de soi ; ils visent à prendre le lecteur là où il est et à le mener à écouter la parole biblique. En déclinant son nom – les Discours édifiants sont autonymes – et sa qualité de « poète du religieux », Kierkegaard met en lumière non un état – il n'est pas vraiment chrétien – mais la voie à emprunter pour le devenir. Bien qu'il mène une existence aux confins de la foi, il ne vit pas religieusement stricto sensu : celle-ci reste de l'ordre de l'imaginaire. Il se tient à distance de ce qu'il dépeint. Poète du religieux, il l'est en un double sens : son discours porte sur le religieux dont il accueille la parole (génitif objectif de l'expression), il en est le messager bien qu'il en demeure éloigné dans l'existence. En un sens subjectif, « c'est le religieux qui se dit lui-même par la parole du poète qui n'est plus alors qu'une parole seconde et servante ; elle est une parole qui dit une autre parole, qui traduit ou transpose ou rappelle une parole extérieure et transcendante »415. Messager ou interprète, il demeure en retrait, incapable de porter dans son existence le poids de l'exigence suprême ; il n'est que poète, et seul Dieu l'est de façon éminente : « Dieu est comme un poète… En poète il permet que tout le possible advienne, lui-même est partout présent, il regarde, il continue à être poète… »416. Messager, Campos l'est – et il rappelle le message de W. Whitman pour que ses compatriotes puissent en être édifiés. « Portugal infini, onze juin mille neuf cent quinze… »417. Interprète, il prétend l'être aussi : « Je suis des tiens, tu le sais bien, et je te comprends et je t'aime »… « Tu sais que je suis Toi, et tu en es content »418. Mais seul W. Whitman présente la figure exemplaire du poète : « Ah, toi… qui a plus de sensations que les sensations à venir… Cercle refermant toutes les possibilités de sentir »419. Et seul W. Whitman est à même d'écrire le poème suprême, le poème de poème dans lequel de façon croisée s'écrit son existence et se vivent ses vers. Campos y peine : « Je ne peux jamais lire tes vers d'une traite… Il y a là un trop plein de sentir », et doit déclarer forfait : « Qu'on déclare la faillite de notre vitalité ! / nous écrivons des vers, nous chantons les choses faillites ; nous ne les vivons pas »… « Je sais que dire que je ne peux pas te chanter, c'est te chanter, Walt, encore… »420 Mais alors que la position de retrait de Kierkegaard visait à ménager un chemin à parcourir pour lui-même (et en cela la nature autonyme des Discours édifiants indique bien que la tâche s'impose à lui aussi) et pour ses lecteurs, l'engagement fervent de l'hétéronyme Campos – « En avant ! / Je donne de l'éperon ! / Je sens les éperons, je suis le cheval même que je monte »421 – dissimule mal l'impraticabilité du chemin. Campos aspire à faire descendre l'idéalité dans la réalité, à « rendre les vers aux choses du monde »422 ou, selon les mots de F. Pessoa, faire que la beauté soit empreinte de vie.423 Proclamant la divinité du monde à l'instar de W. Whitman, « souteneur de tout l'Univers »424, il entend reconstituer la totalité brisée et rétablir la continuité entre le divin et l'humain. Mais sa tentative tourne court : elle achoppe sur « l'absurde immense du monde, la dure ineptie des choses »425. La démarche de Campos est une religiosité avortée : alors que pour Kierkegaard, l'absurde est le signal de la foi et l'imitation, le chemin, Campos refuse toute échappée vers la transcendance et s'enferme dans les contradictions de son immanence : « Je suis Moi, un univers pensant en chair et en os, qui veut passer, / Et qui passera bien évidemment, parce que lorsque je veux passer, je suis Dieu »426. Tandis que le poète orthonyme des Discours édifiants, S. Kierkegaard, conserve son nom et se désigne une tâche, l'imitation (l'un implique l'autre), le poète hétéronyme Campos se désagrège jusqu'à perdre toute identité – et son nom : « Attends-moi sur le parvis, Walt ; j'y arriverai »…/ J'y arriverai sans l'univers, sans la vie, sans moi-même, sans rien »427. Campos se déshétéronymise et devient F. Pessoa, seul devant le Paradigme, le soleil W. Whitman. La pensée kierkegaardienne fournit en quelque sorte une issue par anticipation au souci de Campos : la recherche de la tierce chose : « Ah que n'obtenons-nous, Walt, / La tierce chose, la moyenne entre l'art et la vie, / La chose que tu as sentie, sans qu'elle soit statique ni dynamique, / Ni réelle ni irréelle… »428 Campos n'a pas de réponse et sans doute n'y en a-t-il pas. Nous pouvons seulement avancer une solution de type kierkegaardien issue ou non de la parole biblique : la tierce chose ne réside ni dans l'idéalité, ni dans la réalité, mais dans le redoublement de l'idéalité dans la réalité, selon l'injonction de l'apôtre Jacques : « Et cette parole, mettez-la en pratique. L'écouter seulement serait abuser » (Jc I, 22). Mais pour l'heure, pour F. Pessoa, « la tragédie de la création impossible prolonge et renouvelle celle de l'existence absente »429. Et la confirme.
Notes de bas de page
291 Le Passage des heures, Édition La Pléiade p. 290.
292 Ode maritime, Éd. La Pléiade p. 219.
293 Post-scriptum… OC XI p. 14 / SVVII 301.
294 Salut à Walt Whitman, Éd. La Pléiade p. 270.
295 Ibid.
296 Ibid. p. 269.
297 C'est-à-dire la réalité, l'abstraction et la possibilité : « C'est seulement en supprimant la réalité que l'abstraction peut avoir prise sur elle ; mais la supprimer c'est exactement la transformer en possibilité » (Post-scriptum, OC XI P. 14 / SV VII 302).
298 Ibid.
299 Salut à Walt Whitman p. 269.
300 Ibid.
301 Ode maritime p. 219.
302 Seuil, Paris 1996.
303 Ibid. p. 193.
304 Ibid. p. 156.
305 Salut à Walt Whitman, p. 264.
306 Ibid. p. 265.
307 Le Passage des heures, p. 288.
308 Souligné par nous.
309 Les Passages des heures, p. 284.
310 C'est moi la vérité, Seuil 1996, Paris, p. 171.
311 Ibid. p. 173.
312 Le Passage des heures p. 284.
313 Ibid.
314 Ibid.
315 Ibid. p. 284.
316 Ibid. p. 285.
317 Salut à Walt Whitman p. 272.
318 Dans son essai sur l'imaginaire baudelairien (Image vagabonde, Éditions de la transparence, Paris 2008), Rémi Brague note : « Notre présence au monde est la discontinuité dernière… Le monde peut me toucher parce qu'il ne me touche pas » (p. 85).
319 Le Départ, p. 318.
320 … « tout est Être, tout est Vie » (Le Départ p. 318), ou ce qui revient au même comme nous le soulignons, « Il n'y a pas… de vie, ni d'âme distincte de la vie » (ibid.).
321 M. Henry, op. cit. p. 68.
322 La Maladie à la mort, OC 16 p. 172 / SV XI, 144.
323 « … parce que je n'ai pas comme un arbre de racine… » (Le Passage, p. 291) « J'ai la fureur d'être racine » (ibid. p. 300).
324 « Moi je sens que tout ce que j'ai désiré est resté en dehors de ce que j'ai imaginé, Car bien que j'ai tout désiré, tout m'a manqué » (Le Passage p. 290).
325 « Toutes les sensations me saisissent et aucune ne reste » (ibid. p. 295).
326 « Je peux être tout et je peux n'être rien, ou être quelque chose » (Salut à W. W. p. 26).
327 Ode maritime, p. 229.
328 Salut à Walt Whitman, p. 282.
329 La Répétition, OC 5 p. 9 / SV III, 200.
330 Les Œuvres de l'amour, OC 14 p. 259 sq. / SV IX, 318.
331 Passage, p. 288.
332 Post-scriptum, OC 11 p. 41 / SV VII, 330.
333 La Répétition 0C 5 p. 10 / SV III, 200.
334 ibid. p. 48 / SV III, 241.
335 ibid. p. 13 / SV III, 204.
336 ibid. p. 53 / SV III, 246.
337 ibid. p. 17 / SV III, 208.
338 Une Petite annexe OC 5 p. 219 / Pap. IV B 116 p. 287.
339 La Répétition p. 21 / SV III, 212.
340 Ibid. p. 69 / SV III, 262.
341 Ibid. p. 17 / SV III, 208.
342 Le jeune homme « ne pouvait alors se résoudre à la décision » (ibid. p. 50 / SV III 243) ; Campos de son côté fait observer que « la Poésie aura été celle de notre incompétence pour l'action » (Salut à W. W. p. 272).
343 Souligné par nous, La Répétition p. 95 / SV III, 292.
344 Ibid. p. 10 / SV III, 201.
345 Ibid. p. 87 / SV III, 283.
346 Ode maritime p. 233.
347 Ibid.
348 Ode maritime p. 214.
349 Ibid. p. 219.
350 Une Petite annexe OC 5 p. 229 / Pap. IV B 117 p. 298.
351 La Répétition p. 3 / SV III, 193.
352 Cette réflexion de Kierkegaard convient parfaitement à Campos : « La philosophie moderne… ne fait aucun mouvement… et si d'aventure elle risque un mouvement, c'est toujours dans l'immanence » (La Répétition p. 54 / SV III, 248).
353 Le Passage des heures p. 300.
354 La Répétition p. 55 / SV III, 248.
355 Salut à W. W. p. 270.
356 « Ce jeune homme était épris au plus profond de son être, c'était clair et pourtant dès les premiers jours, il en était à se ressouvenir de son amour. Au fond, il en avait déjà fini. Dès le début, il avait fait un bond si terrible qu'il avait sauté par dessus la vie ». (La Répétition, p. 8 / SV III, 198).
357 La Répétition p. 73 / SV III, 268.
358 Salut à W. W. p. 272.
359 La Répétition p. 11 / SV III, 202.
360 « Tout d'un coup, tel l'éclair d'un son… » in Ode maritime p. 233.
361 Ode maritime p. 236.
362 Le Départ p. 318.
363 Salut à Walt Whitman p. 265.
364 Voir plus loin.
365 Salut à Walt Whitman p. 261.
366 Ibid. p. 271.
367 Ibid. p. 260.
368 p. 94 / SV III, 291.
369 R. Bréchon écrit : « son existence bloquée dans sa relation au monde extérieur, il l'avait, dit Lourenço, mise à l'épreuve de ce champ idéal de l'existence humaine qu'est la poésie » in L'Innombrable, Un tombeau pour F. Pessoa, p. 57 (Christian Bourgois Éditeur, avril 2001)
370 Ode maritime p. 213.
371 Ibid. p. 214.
372 E. Lourenço, Pessoa, l'étranger absolu, p. 84 (Métailié Paris 1994).
373 Ode maritime p. 234-5.
374 Ibid. p. 218.
375 Ibid.
376 Le Passage des heures p. 291.
377 L'Innombrable p. 98.
378 Le Passage… p. 291.
379 Ibid. p. 293.
380 Ibid.
381 Ibid. p. 291.
382 Salut à Walt Whitman p. 276.
383 Ibid. p. 274.
384 Ibid. p. 279.
385 Ibid. p. 278.
386 Ibid.
387 Ibid. p. 274.
388 Ibid. p. 276.
389 Ibid. p. 277.
390 Ibid.
391 Ibid. p. 280.
392 Ibid. p. 278 et 277.
393 Ibid. p. 278.
394 Ibid. p. 279.
395 Cf. ibid. p. 275.
396 Ibid. p. 279.
397 Ibid.
398 Ibid. p. 260.
399 Ibid. p. 264.
400 Ibid. p. 274.
401 Ibid. p. 259.
402 Ibid. p. 266.
403 Ibid. p. 259.
404 XII, 30 in Les Stoïciens, Éditions La Pléiade p. 1246.
405 Salut à W. W. p. 263.
406 C'est sans doute à la lumière du concept de partie totale qu'il faut comprendre la remarque de Caeiro : « la nature est parties sans un tout », ce en quoi, il se révèle, selon le jugement de Reis, « plus grec que les Grecs eux-mêmes » (in Le Chemin du serpent, p. 195).
407 Ibid. p. 266.
408 Ibid.
409 Ibid. p. 267.
410 Cicéron, De Divinatione, I, 16-17.
411 Le Chemin du serpent, p. 87.
412 Salut à W. Whitman p. 276.
413 « L'art n'est tout simplement que l'expression d'une émotion » in Le Chemin… p. 85.
414 Journal III p. 56-7 / Pap. X 1A 510.
415 Cf. l'étude d'André Clair, Kierkegaard et Lequier, (Cerf, juin 2008), p. 43.
416 Journal V p. 233 / Pap. XI, 2A 98.
417 Salut à W. W. p. 257.
418 Ibid. p. 258 et 259.
419 Ibid. p. 266 et 267.
420 Ibid. p. 259, 274 et 275.
421 Ibid. p. 260.
422 Ibid.
423 Cf. Le Chemin… p. 88.
424 Salut à W. W. p. 258.
425 Ibid. p. 273.
426 Ibid. p. 260.
427 Ibid. p. 273.
428 Ibid. p. 277.
429 R. Bréchon, L'Innombrable, p. 57.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Kierkegaard et la philosophie française
Figures et réceptions
Joaquim Hernandez-Dispaux, Grégori Jean et Jean Leclercq (dir.)
2014
La Vie et les vivants
(Re-)lire Michel Henry
Grégori Jean, Jean Leclercq et Nicolas Monseu (dir.)
2013