La prévention cardiovasculaire au-delà de 75 ans : sens et non-sens
p. 72-81
Texte intégral
Et plus le temps nous fait cortège
Et plus le temps nous fait tourment (…)
Nous protégeons moins nos mystères
On laisse moins faire le hasard
On se méfie du fil de l’eau.
Jacques Brel, La chanson des vieux amants.
1Pour paraphraser Magritte, ceci n’est pas un article scientifique. Ces lignes reprennent l’essentiel d’une communication du professeur Benoît Boland en novembre 2008, résumant avec humour et conviction le paysage de la prévention cardiovasculaire chez la personne âgée. Corrélant le bon sens du clinicien aux données les plus récentes de la médecine fondée sur les données probantes (EBM, Evidence Based Medicine), ce cours magistral fut apprécié unanimement par le public de généralistes et de gériatres présents, séduits par la ligne claire de l’orateur. Une réécriture fidèle, complétant les intitulés d’études, précisant les chiffres et les pourcentages cités de mémoire, et structurant la démonstration de manière à la rendre lisible, en permet ici la communication à tous ceux qui n’ont pas eu la chance d’assister à cet exposé. Le choix délibéré de privilégier le style oral alerte de l’orateur peut être contesté, mais en rendra sans aucun doute la lecture plus attrayante. Carl Vanwelde
Santé, morbidité et mortalité au quatrième âge
2Comment intégrer le risque cardiovasculaire dans un concept de santé globale au quatrième âge, à un moment où le patient a dépassé l’espérance de vie moyenne ? Si la recherche de données scientifiques a un sens, notre expérience de médecin en a un aussi, et les préférences du patient plus encore. C’est l’intégration de ces trois dimensions qui fonde la démarche de l’EBM.
3Les objectifs de santé à atteindre ne sont guère similaires pour l’adulte dans la force de l’âge ou pour ses parents âgés de 75 ans ou plus. Chez les personnes âgées (75+), le « simple » fait de bouger, de bien manger et d’interagir socialement constitue déjà une forme de plénitude.
4En termes de mortalité et de morbidité au quatrième âge, le paradoxe est qu’on meurt plus que ce dont on souffre. En effet, si la première cause de mortalité demeure cardiovasculaire, la morbidité est essentiellement due aux pathologies dégénératives, aux cancers, aux infections et à tout le reste. Fautil être grand clerc et avoir lu tout Framingham pour savoir qu’audelà de 75 ans on est tous dans le rouge du risque, et que notre espérance de vie est plus courte à 80 ans qu’à 50, surtout si on est un homme ? Les problèmes cardiovasculaires commencent quelque dix ans plus tôt, tant chez les hommes que chez les femmes, ce qui explique la différence en espérance de vie et en occupation de nos maisons de repos.
5La question impertinente à se poser est « Que sait-on exactement de la prévention cardiovasculaire chez les octogénaires ? » Pas grand-chose, n’en fait, la plupart des études sur le vieillissement des artères et ses facteurs pathogènes ayant été faits chez des adultes d’âge moyen, puis transposées sur des courbes de vieillissement. Dame, quel que soit l’âge, une artère est une artère, le cholestérol du cholestérol, le glucose du glucose, et la pression artérielle se mesure avec les mêmes tensiomètres. Une nuance néanmoins, et de taille : comme en épidémiologie, il est un moment où il faut se poser la question du problème majeur. Si l’athéromatose (infiltration graisseuse des parois des moyennes artères) – maladie pernicieuse par excellence parce que fréquente, grave et silencieuse – occupe tout le champ de la prévention cardiovasculaire pendant le deuxième ou troisième âge, ce sont l’athérosclérose (cicatrisation sténosant la lumière), l’artériosclérose (fibrose du média) et surtout la fibrillation auriculaire qui occupent l’essentiel du terrain au quatrième âge. On admet que ces trois dernières pathologies fréquentes chez nos patients sont liées à l’âge et à l’hypertension artérielle : s’il est difficile de traiter le premier, il peut être important de s’occuper de la deuxième pour autant qu’on juge utile de s’occuper d’un accident vasculaire cérébral (AVC) avant qu’il ne survienne. Le praticien avisé gardera en outre à l’esprit le souci de traiter sans induire pour autant plus de problèmes potentiels que la maladie qu’il redoute.
Une prévention centrée sur le patient
6En voiture Simone : cinq patients se succèdent dans votre salle d’attente ou vos visites. Vous allez sans aucun doute les reconnaître car ils forment l’essentiel de votre patientèle de seniors.
7L’hypertension. Léontine en est atteinte, sans symptôme ni autre affection cardiovasculaire. Problème, une méta-analyse publiée en 2000 dans le Lancet1nous révèle que si l’administration d’un traitement antihypertenseur de type diurétique possède un effet hautement significatif sur la diminution de la survenue des AVC qui se voit réduite d’un tiers, avec en outre un bénéfice non négligeable sur la prévention de la décompensation cardiaque, elle s’accompagne paradoxalement d’un surcroît de mortalité. Ce qu’on gagne en accidents cardiovasculaires serait en quelque sorte perdu en mortalité…
8Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain, en arguant que l’abstention thérapeutique est de mise au-delà de 80 ans chez les hypertendus ? Pas sûr la récente étude HYVET2(2008), une des rares études randomisées qui se soit attachée au risque vasculaire chez les hypertendus âgés, est éclairante à ce sujet. 3 845 patients âgés d’au moins 80 ans, présentant des chiffres tensionnels moyens de 173/91 mm Hg, sans anamnèse d’AVC hémorragique, sans insuffisance rénale ni démence (donc à profil peu gériatrique) y ont été recrutés dans le cadre d’une RCT en double aveugle. Une faible dose (1,5 mg) d’indapamide à libération prolongée leur a été administrée – avec éventuel ajout de périndopril – pour atteindre des valeurs tensionnelles cibles (150/80 mm Hg), versus placebo. L’étude fut arrêtée prématurément après deux ans pour raison éthique : plus d’événements cardiovasculaires ont été notés dans le groupe placebo (448) que dans le groupe traitement actif (358). Seuls 5 événements attribués aux médicaments (3 dans le groupe placebo, 2 dans le groupe traitement actif) furent relevés par les investigateurs, soulignant l’action bénéfique de ces derniers chez les octogénaires. Si les accidents vasculaires (30 %) et la décompensation cardiaque (64 %) diminuent comme espéré, et de façon statistiquement significative, on constate de plus que la mortalité diminue également (21 %, p =0,02). L’impact de ces constatations sur la pratique clinique n’est pas négligeable. Si on considère le risque absolu et qu’on calcule le NNT (nombre total de patients à traiter = inverse de la réduction absolue du risque), cela signifie qu’il faudra soigner par ce traitement antihypertenseur 200 personnes comme Léontine pendant un an (ou 100 personnes pendant 2 ans, 50 pendant 4 ans) pour qu’une personne comme Léontine ne fasse pas d’AVC. L’impact sur l’insuffisance cardiaque est encore plus impressionnant puisqu’on en rabote le risque de deux tiers (impact relatif) et de 1 % (impact absolu), d’où un NNT de 100 (1/1 %), puisque le risque annuel de faire une insuffisance cardiaque diminue de 1,5 % à 0,5 %. Une conclusion s’impose à ce stade : il existe effectivement une prévention efficace simple, bien tolérée, d’un premier accident cardiovasculaire mortel ou non, en visant une cible tensionnelle accessible (150/80 mmHg) chez des personnes du quatrième âge qui sont non institutionnalisées, non démentes, et sans insuffisance rénale. Un simple diurétique fait donc l’affaire en première intention pour des gens âgés en bonne santé, qui constituent l’essentiel d’une patientèle de première ligne. Si le résultat s’avère insuffisant, l’ajout d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion peut s’envisager. Résumons pour Léontine. Elle est hypertendue. Si vous lui prescrivez un antihypertenseur, le bénéfice est double, sur la prévention de l’AVC et sur la prévention de l’insuffisance cardiaque. Si vous traitez 1.000 personnes comme Léontine pendant un an, 5 AVC auront été prévenus, 10 insuffisances cardiaques et 12 décès.
9La fibrillation auriculaire. Germaine en est atteinte. Elle a 93 ans, est en bon état général, et une intervention thérapeutique simple et sûre (Tildiem® retard) permet de ralentir son rythme cardiaque aux alentours de 90 bpm. Le bénéfice clinique est immédiat, sa dyspnée est améliorée, lui permettant les sorties à l’extérieur. Tout est-il pour autant résolu en termes de risque ? La fibrillation auriculaire joue à la roulette russe avec environ une chance annuelle sur dix de présenter un AVC massif. Le risque s’accroît encore si la personne est en insuffisance cardiaque, hypertendue ou diabétique, etc. Vous pourriez hésiter à entamer une anticoagulation coumarinique (AVK) en raison d’un risque d’hémorragie sévère de l’ordre du pourcent par an. Mais, en intégrant que le simple fait de stabiliser un INR entre 2 et 3 réduit le risque d’AVC de deux tiers, hésiteriez-vous encore ? Pour éclairer ce calcul, revenons à Germaine qui présente, disons, un risque thromboembolique de 9 % l’an, vous lui retirez 2/3 de ce risque soit 6 %, votre NNT (nombre total de patients à traiter durant un an) n’est plus que de 16 personnes (1/0,06). Et le risque hémorragique ? Il est quintuplé ou sextuplé certes, mais assez rare : il passe de 0.2 à 1.2 % par an, et est donc grosso modo majoré de 1 %. Le nombre de personnes à traiter pour provoquer une hémorragie est de l’ordre de 100 (1/0,01). La conclusion lumineuse, à contresens d’une opinion communément établie, est que la balance bénéfice/risque chez la personne âgée va absolument dans le sens d’un traitement par les AVK, et que le bénéfice s’accroît avec l’âge. En anticoagulant 100 personnes âgées en FA, on prévient 6 AVC et on induit 1 hémorragie importante. Et c’est cette dernière qui nous impressionne, pour deux raisons au moins : elle seule est visible (les AVC empêchés étant par définition invisibles ; « la prévention étant l’art d’attendre ce qui n’arrive pas ») ; de plus, l’hémorragie sous AVK est vécue comme iatrogène, alors que c’est la (mauvaise) nature qui est responsable de l’AVC par cardio-embolie.
10On est loin du compte. Une récente étude présentée à la Société belge de gérontologie (C. Almpanis & B. Boland, 10.2008) révèle ainsi que sur 100 patients âgés consécutifs avec FA, sans contre-indication au Sintrom®, seule la moitié bénéficiait d’une anti-coagulation par leur médecin généraliste. Les facteurs prédictifs pour ne pas être anticoagulants étaient d’être en maison de repos, d’être dénutri ou d’avoir une démence modérée. Alors que ces indices gériatriques sont non pas des contre-indications mais bien des arguments en faveur d’un traitement par AVK.
QUELQUES MESSAGES SIMPLES CONCERNANT L’ANTICOAGULATION PAR VOIE ORALE
1. Si vous travaillez en maison de repos, dépistez la FA (pouls irrégulièrement irrégulier, confirmé par ECG).
2. Instaurez en douceur un traitement par AVK (pas de dose de charge) et visez un INR entre 2 et 3.
3. Attention aux antibiotiques. La vitamine K provient en grande partie de la flore intestinale que les antibiotiques détruisent : une cure d’antibiotique à large spectre (dérivés de la pénicilline, quinolones…) induit rapidement une carence en vitamine K et donc un excès d’anti-coagulation.
4. Certains patients n’ont besoin que de faibles doses de Sintrom® pour être équilibrés.
5. Si la sensibilité au Sintrom® est grande (besoin parfois inférieur à 1 mg/jour), prescrivez de la vitamine K en magistrale, de 100 à 150 µg par jour. Cette dose permet d’équilibrer des patients instables, moyennant une augmentation modérée de la dose quotidienne de coumarine.
Quand simplicité rime avec efficacité : la prévention des AVC et efficacité médicamenteuse
11Un calcul simple remplace parfois de longs discours. Imaginez que vous avez un millier de patients âgés de 75 ans et plus. Combien sont hypertendus ? Trois sur dix, certainement. Quel est le risque qu’un hypertendu fasse un AVC dans l’année qui vient ? Un pourcent. Combien de ces 300 patients hypertendus feront donc un AVC ? Trois. Si je donne un diurétique à des personnes comme Léontine, de combien est-ce que j’infléchis le risque d’AVC ? Je le rabote d’1/3 : sur 3 AVC, j’en préviens 1. Et sur ce millier de personnes âgées, combien sont en FA ? Certainement 10 %. Quel est le risque annuel d’AVC en cas de FA en gériatrie ? 9 % environ.
12Si je donne un Sintrom® à des personnes comme Germaine, je diminue leur risque d’AVC de 2/3 : sur 9 AVC, j’en préviens 6. Excellent résultat !
13Ne gardons que ces deux messages : on dit que l’hypertension est le facteur de risque principal d’AVC au quatrième âge. C’est faux. C’en est un majeur, mais c’est la FA qui constitue le risque principal d’AVC. La FA cause dans la population plus d’AVC sévères de type hémiplégique. Considérons par ailleurs nos NTT (nombre total de personnes à traiter) : en anticoagulant la FA chez 1 000 personnes, on prévient 60 AVC alors qu’en prescrivant un diurétique chez 1 000 personnes hypertendues, on prévient 3 AVC. Vous serez donc 20 fois plus efficaces en prescrivant du Sintrom® à vos patients en FA qu’en donnant un diurétique à vos hypertendus, ce qui ne signifie évidemment pas qu’il faille les négliger pour autant. D’autant que la première cause de FA est l’hypertension.
14L’artérite des membres inférieurs. Albert, lui, conte fleurette, mais sur un banc parce qu’il claudique. Il est peut-être aussi impuissant, mais il ne s’en formalise pas. Il présente un problème d’irrigation des (trois) membres inférieurs et vous souhaitez lui prescrire un traitement efficace. Là c’est la déception si on s’en réfère à PROSPER3, qui a inclus 5 800 personnes de 70 ans et plus. 2 500 d’entre elles avaient déjà fait un gros pépin cardiovasculaire (prévention dite secondaire), 3 300 n’ont fait ni AVC ni infarctus (prévention dite primaire).
15Publiée dans le Lancet du 23 novembre 2002, cette importante étude prospective réalisée en Écosse (PROspective Study of Pravastatin in the Elderly at Risk) fut menée en double aveugle pendant plus de 3 ans, chez 6 000 personnes environ, hommes et femmes à égalité, âgées de 70 à 82 ans, ayant déjà présenté des accidents vasculaires ou ayant des facteurs de risque importants et dont le cholestérol total était banal. Elles étaient réparties en deux groupes, l’un recevant de la pravastatine 40 mg par jour et l’autre un placebo.
16Les résultats posent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses. En effet, dans le groupe pravastatine par rapport au groupe placebo, la fréquence des accidents coronariens a été réduite (20 % environ), celle des accidents vasculaires cérébraux est restée inchangée, celle des cancers a augmenté, la mortalité globale restant inchangée.
17Par randomisation, les deux bras de l’étude ont été rendus identiques. La réduction du risque coronarien de 20 % ne saurait être attribuée au seul hasard (p<0,01 : c’est-à-dire que la probabilité que le hasard ait donné une telle diminution du risque si la statine était inefficace est inférieure à 1 %). Dans ces conditions, faut-il en attribuer le bénéfice à la seule pravastatine, et la généraliser à toute notre population de seniors ? Cela mérite quelques nuances. Quand on regarde par-delà l’abstract et qu’on s’aventure dans la lecture de l’étude, on note que tout le bénéfice se concentre en prévention secondaire (post-accident cardiovasculaire), chez des hommes, et de surcroît avec un HDL cholestérol bas (<50mg/dl). La statine malheureusement, chez nos gens âgés qui ont des plaques et des sténoses et qui ont un risque vasculaire très élevé, a été inefficace chez les gens en prévention primaire, inefficace chez les femmes, inefficace chez les gens qui au départ avait un HDL au-dessus de 50 et inefficace contre la survenue des AVC. En d’autres mots, gardez une statine uniquement chez vos patients de plus de 70 ans qui ont déjà fait un infarctus et qui ont un HDL bas en dessous de 50 mg/dl. Et soyez conscients que vous ne diminuerez que la fréquence des accidents cardiaques, pas celle des AVC. Ce qui signifie que pour Albert, vous ne lui administrerez pas de statine. Mais bien de l’aspirine, en vous rappelant que les bêtabloquants sont vasoconstricteurs et aggravent l’ischémie périphérique
18Alors, sans hésitation aucune, de l’aspirine pour tous ? Il reste malheureusement une faille dans les grandes méta-analyses : elles n’ont pas stratifié les populations selon l’âge. S’il est vrai que les gens à haut risque bénéficient de 80 ou 160 mg d’acide acétylsalicylique, chez les patients de 80 ans et plus, il n’existe pas d’analyse (même l’étude HOT4, qui fait autorité sur ce sujet) permettant de préciser le bénéfice réel de l’aspirine et surtout le rapport bénéfice/inconvénient au grand âge.
19L’hémiplégie post AVC. Maurice, quant à lui, a eu moins de chance. Sans doute Maurice avait-il une FA qu’on a banalisé. Il a maintenant 88 ans et vous le visitez dans sa MRS, crapahutant comme il peut parce qu’il garde les séquelles d’une hémiplégie droite survenue il y a 3 ans. À ce stade-ci, que peut-on faire ? D’abord s’inquiéter de la cause de son AVC. Si c’était une FA, regretter au passage de ne pas l’avoir anti-coagulée plus tôt, et le mettre sans plus attendre sous Sintrom® (voir encart, plus haut). S’il n’était pas en FA, et que le contexte plaide pour une athérosclérose, de l’aspirine s’avère utile. Et le cholestérol, docteur ? L’étude PROSPER, en prévention post-événementielle, n’a pas démontré qu’une statine a un impact positif sur la prévention d’une récidive d’AVC, même si elle peut théoriquement diminuer d’un chouia le petit risque qu’il fasse en outre un infarctus. Souvent, rappelons-nous, la survenue d’un AVC est aussi liée à l’hypertension : sans doute cet homme bénéficierai-t-il statistiquement de l’adjonction d’un diurétique pour autant qu’il soit hypertendu, voire d’un bêtabloquant, d’un bloqueur des canaux calciques ou d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion.
20La séquelle myocardique post infarctus. Élise, elle, a fait un infarctus il y a trois ans. Elle est en maison de repos mais elle va bien, bon pied, bon œil. Entamera-t-on cette fameuse trithérapie associant un antihypertenseur, un antiagrégant et une statine ? Si je lui donne de l’aspirine, je diminuerai le risque d’une récidive infarctus, mais aussi vraisemblablement celui d’un AVC dans la mesure où une prévention cardiovasculaire globale protège autant ses carotides que ses coronaires. Une statine ? Voyons ce qu’a montré PROSPER. En disant qu’une statine est indiquée je ne suis pas cohérent : Élise est une femme, et il n’y a pas eu de bénéfice chez les femmes en prévention secondaire. Itou pour la prescription d’une statine. Pour la pression artérielle, c’est moins sûr. Si elle a fait un infarctus sans être hypertendue, on peut se poser des questions. Bien sûr, on lui donnera un bêtabloquant qui diminue le risque myocardique, et qui diminuera aussi dans la foulée le risque qu’un jour elle décompense.
21Pour résumer, on pourrait conseiller à Élise un bêtabloquant pour diminuer son risque myocardique, l’aspirine pour celui d’athérothrombose. Et une statine, ce n’est pas prouvé utile ? Qui plus est, le hasard de recherches sur Pub-Med m’a fait découvrir qu’une étude finlandaise, DEBATE5, a enrôlé une population générale vue en médecine générale au domicile, faite de patients âgés entre 75 et 90 ans, qui tous ont fait un infarctus et y ont survécu. Que faire d’utile pour eux si ce n’est d’augmenter la compliance à l’aspirine, de freiner l’éventuelle consommation de tabac (plutôt rare à cet âge) et d’administrer un antihypertenseur et une statine. Dans le groupe intervention, le médecin insiste pour que toutes ces cibles soient atteintes, dans l’autre on se contente d’une approche minimaliste et du traitement usuel antérieur. Les résultats collectés sont en mi-teinte. L’intervention maximaliste se révèle uniquement utile en termes de chiffres, normalisant les valeurs sanguines, accentuant la prise de médications, les doses, la compliance. Mais en termes d’événements cardiovasculaires, les auteurs soulignent l’absence d’influence sur les infarctus, les AVC ou les décès (17 % vs 18 % de décès à 3,4 ans).
Du sens et du non-sens
22Évitons de tout mettre sens dessus dessous.
23Qu’est-ce qui serait non-sens ? Non-sens ou sens inverse, ce serait banaliser l’hypertension, ou oublier la FA silencieuse, ou accorder trop d’importance au cholestérol qui n’en a pas. Ne le mesurez pas chez les personnes de plus de 75 ans, et s’il est un peu élevé, réjouissez-vous.
24Par contre, le sens, et ce sera notre conclusion, est de combattre la survenue d’un premier accident cardiovasculaire critique principalement par trois stratégies : en maîtrisant l’hypertension par un diurétique (bien supporté, ne coûtant presque rien et pouvant rapporter gros), en minimisant les conséquences néfastes de la FA par du Sintrom®, et celles de l’athérothrombose par de l’aspirine.
25Si l’incident est déjà survenu, ne pas baisser sa garde pour autant : prévenir la récidive d’un AVC soit par un AVK (Sintrom®) s’il est dû à une FA, soit par de l’aspirine dans le cadre d’une athérosclérose des gros troncs (crosse aortique et carotides). La même sera aussi utile pour prévenir un infarctus du myocarde.
26Pour la population des 75+, on ne peut pas préconiser la généralisation de la fameuse trithérapie « aspirine + statine + antihypertenseur » que nous réserverons à nos patients d’âge moyen à haut risque cardiovasculaire. À l’heure des réseaux de communication, on remarquera avec amusement que les médicaments eux aussi travaillent en réseaux, en faisant d’une pierre plusieurs coups.
- Le diurétique diminue les chiffres tensionnels et la volémie, d’où les risques de FA et d’insuffisance cardiaque.
- Le bêtabloquant se révèle utile après un infarctus ou un AVC, il diminue la tension artérielle, facilite la fonction cardiaque, et ralentit la FA.
- L’AVK (Sintrom®) possède la vertu majeure de liquéfier le sang et d’empêcher une majorité des embolies cardio-systémiques et donc de nombreux AVC.
- Quant à l’aspirine après l’âge de 80 ans, on la garde mais on mesure le rapport bénéfice/risque individuel. En cas de traitement par AVK, la poursuite de l’aspirine n’offre aucun bénéfice et triple la fréquence des saignements, surtout digestifs.
Tips for oldies
Ne faites pas du cholestérol votre priorité. Recherchez l’hypertension, et diminuezla avec modération. Dépistez la FA, et en sa présence, liquéfiez le sang sans trop hésiter. En cas de resinusalisation du rythme, liquéfiez encore car elle récidivera.
Notes de bas de page
1 Brown M. J., Palmer C. R., Castaigne A., de Leeuw P. W., Mancia G., Rosenthal T., et al., “Morbidity and mortality in patients randomised to doubleblind treatment with a longacting calciumchannel blocker or diuretic in the International Nifedipine GITS study : Intervention as a Goal in Hypertension Treatment (INSIGHT)”. Lancet 2000 ; 356 : 366372.
2 Beckett N. S., Peters R., Fletcher A. E., et al. ; “HYVET Study Group. Treatment of hypertension in patients 80 years of age or older”. N Engl J Med 2008 ;358 :188798.
3 PROSPER. The Prospective Study of Pravastatin in the Elderly at Risk. Luis Gruberg, MD, FACC. Authors and Disclosures. Published : 11/21/2002 ; Updated : 11/20/2002
4 Hypertension Optimal Treatment (HOT) Study. Home Blood Pressure in Treated
Hypertensive Subjects.
Sverre E. Kjeldsen ; Thomas Hedner ; Kenneth Jamerson ; Stevo Julius ; William E.
Haley ; Miguel Zabalgoitia ; Amir R. Butt ; S. Noor Rahman ; Lennart Hansson ; for the HOT Study Group. Hypertension. 1998 ;31 :1014-1020.
5 DEBATE. Am J Hear 2006 ; 152 : 585-592
Chronic Coronary Heart Disease and Atheroma. 30 April 1999
Auteur
Benoît Boland est médecin interniste spécialisé en gériatrie. Il travaille aux Cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles (activités de clinique, de recherche et d’enseignement).
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