Événements de vie, personnalité et vulnérabilité
p. 64-67
Texte intégral
J’aime la lumière du soir
qui réchauffe le sable,
effleure les contours,
caresse les sommets,
et laisse aux ombres
la part du doute.
Cette lumière douce,
aux multiples nuances,
pénètre sans violence,
et je peux regarder.
Toi qui me soignes,
quand tu me parles
de ce mal
que je ne peux pas nommer,
s’il te plaît,
fais-toi lumière du soir.
Christiane Gleize, Vers l’autre rive
Le modèle bio-psycho-social
1Une dernière réflexion. D’aucuns considèrent actuellement que l’étiopathogénie des démences et de la dépression relève dans les deux cas d’un déterminisme multiple1qui implique différents facteurs de vulnérabilité d’ordre génétique, biologique et psychopathologique. Ce modèle bio-psycho-social, bien documenté à l’heure actuelle dans le domaine médical comme dans celui des sciences humaines, fournirait-il un terreau commun à deux affections commensales ? Ni le déprimé, ni le dément ne répondraient plus dans ce cas à une fatalité commune d’origine organique ou génétique univoque. L’implication de facteurs multiples de vulnérabilité, liés autant à son histoire qu’à son bagage génétique, fournit une explication intellectuellement satisfaisante à la complexité des situations cliniques rencontrées, préservant le patient à la fois de la tentation déterministe (« tout est écrit d’avance, c’est dans les gènes ») et d’un discours médical inutilement culpabilisant et moralisateur (« mens sana in corpore sano, une meilleure hygiène de vie vous aurait préservé de la démence ») qui sous-tendent encore le discours médical.
Vieillissement et vulnérabilité
2Le vieillissement se caractérise par une perte progressive des capacités adaptatives du sujet, altérant sa résistance aux agressions socio-environnementales diverses. Chez la personne âgée, les événements de vie et affections intercurrentes représentent un choc bouleversant le sujet et son entourage, rompant un équilibre homéostatique fragile. Ces événements de vie traumatiques peuvent précéder ou précipiter l’apparition tant d’un syndrome démentiel que d’un épisode dépressif.
3Si la causalité d’un déclin cognitif sur l’apparition d’une dépression transparaît des données des précédents chapitres alors que l’inverse ne se confirme guère, est-il exclu pour autant de manière définitive que la dépression puisse constituer un des multiples facteurs de vulnérabilité pour la démence, comme pour toute autre pathologie ? L’apparition rationnellement inexpliquée d’affections organiques dégénératives, cancéreuses, infectieuses, voire d’accidents domestiques (chutes), au décours d’épreuves personnelles ou familiales déstructurantes a intrigué plus d’un clinicien, et s’inscrit bien dans cette théorie. Rien n’est anodin dans le parcours d’une vie touchant à son terme, nécessitant une attention accrue des proches et des soignants ainsi qu’une différenciation rapide de la prise en charge, avec des stratégies thérapeutiques adaptées, visent à restaurer aussi rapidement que possible un état d’équilibre. Chaque souffrance est personnelle, même les plus modestes en apparence, et l’art du praticien est d’y trouver une réponse adéquate et proportionnée, préservant de la sorte l’apparition de nouveaux déséquilibres. Le quotidien de nos vieux s’apparente aux chariots de foin stationnés en pente dans les champs : nul ne sait ce qui peut ôter la petite cale en bois qui en empêche la dégringolade.
Vulnérabilité des proches et soignants2
4Les proches, familiers et soignants s’intègrent évidemment dans ce modèle bio-psycho-social dont ils sont à la fois sujets et objets. Une santé précaire des aidants, le grand âge, la solitude et une charge en soin excessive auprès du dément les place eux-mêmes en situation de vulnérabilité, potentialisant celle du patient. Comme on peut s’y attendre, la population des aidants fragiles associe mauvaise qualité de vie et vulnérabilité, quand elle ne présente pas elle-même des problèmes de santé. La satisfaction que procure une légitime reconnaissance de ses efforts peut être absente dans cette relation avec un patient dément qui n’en mesure aucunement l’investissement. Pour qu’une prise en charge thérapeutique pluridisciplinaire de la démence soit bénéfique, on estime qu’elle doit englober la cellule familiale et le malade.
5Un malade, c’est toute une famille qui a besoin d’aide. La famille comprend les enfants, les frères et sœurs, nièces et neveux, etc. En considérant une moyenne de trois cellules familiales autour d’un malade, on mesure le nombre de personnes qui sont concernées plus ou moins directement par l’accompagnement de patients déments séniles. Dans les pays occidentaux, la famille a des ressources limitées en temps pour offrir à la personne malade le soutien dont elle a besoin de façon de plus en plus continue au fur et à mesure de l’évolution de la maladie. Pourtant, dans 70 % des cas, c’est la famille qui prend en charge la personne malade et lui permet de rester à domicile. L’apport considérable de ces aidants naturels doit être reconnu à sa juste mesure, et accompagné. La reconnaissance comme partenaires de soins à part entière se double d’un devoir de créativité des pouvoirs publics pour imaginer des incitants financiers et professionnels équivalents à l’investissement personnel de ces précieux auxiliaires. Par ailleurs, la prise en charge de leur propre vulnérabilité passe par une information adéquate, des possibilités de formation ou de participation à des groupes d’entraide, l’organisation de périodes de répit (relais temporaire à domicile comme dans l’expérience Baluchon, accueils en centre de jour) qui permettront aux proches de se ressourcer et de faire face à leur tâche avec efficacité et humanité.
6Que retenir ?
- La dépression, comme tout événement de vie traumatique, participe à la vulnérabilité du patient âgé, laquelle est susceptible de précipiter l’évolution spontanée de pathologies dégénératives.
- La vulnérabilité est toujours multifactorielle, comme doit l’être sa prise en charge. Elle doit être individualisée et utiliser des stratégies thérapeutiques adaptées.
- La reconnaissance du rôle essentiel des aidants proches est primordiale dans la prise en charge du patient, et constitue la meilleure prévention à ne pas voir s’accroître leur propre vulnérabilité.
7Questions
- Quelles alternatives complémentaires à la prise en charge pharmacologique proposer au patient en déclin et à sa famille pour retarder son institutionnalisation ?
Notes de bas de page
1 Clément, J-P., Darthout, N., Nubukpo, P., Psychologie et NeuroPsychiatrie du vieillissement,. Volume 1, Numéro 2, 129-38, Juin 2003, Article original
2 Thomas, P., Hazif-Thomas, C., Delagnes V., Bonduelle P., Clement J-P., La vulnérabilité de l’aidant principal des malades déments à domicile. The Pixel study. Psychologie & neuropsychiatrie du vieillissement, 2005 (France), N° 3, vol. 3, 14 pages.
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