Préface
Parce que nos vieux le valent bien
p. 8-12
Texte intégral
J’ai appris tant de choses de vous, vous les hommes. J’ai appris que tout le monde veut vivre au sommet de la montagne, sans savoir que le véritable bonheur réside dans la manière de l’escalader. J’ai appris que quand un nouveau-né serre fort de son petit poing, pour la première fois, la main de son père, il le retient pour toujours. J’ai appris qu’un homme n’a le droit d’en regarder un autre de haut que pour l’aider à se lever.
Gabriel Garcia Marquez
1Si le monde était un jardin, les médecins en seraient les jardiniers. Des jardiniers du vivant, les yeux vers le ciel, les mains dans la terre, soucieux de sauvegarder les équilibres. Scrutant l’horizon pour prendre de la distance, arrosant la fleur pour garder la proximité, ce fragile tableau mérite qu’on s’y attarde. Nos vieux, comme les désigne affectueusement le langage populaire, font partie de ce jardin, vulnérables et néanmoins si nécessaires. L’attention qui leur est apportée constitue un indice de la santé de l’ensemble de la société, à l’image des mineurs qui s’inquiétaient du silence de leur canari annonçant le grisou.
La personne âgée dans son environnement
2La Chaire de médecine générale de l’UCL fête ses deux ans. Centrée sur la problématique de la personne âgée dans son environnement, elle pose de manière paradigmatique la question du « vivre ensemble » dans une société de plus en plus dominée par l’individualisme (14 % des personnes vivent seules en Belgique) et le consumérisme. L’État-Providence est-il le seul pourvoyeur d’aide pour ceux qui ne sont plus des acteurs économiques rentables mais porteurs d’une histoire familiale construite dans un monde qui change de plus en plus vite ? La croissance des coûts de la santé, le développement des technologies biomédicales et celles de l’information ont fait évoluer notre société vers la satisfaction de besoins individuels à travers une offre médicale pléthorique exigeant de plus en plus une capacité de discernement. L’autonomie de la personne âgée concerne sa capacité d’être acteur de son devenir mais aussi les possibilités d’un entourage soumis aux contraintes multiples d’une société dite de « consommation. » Elle cumule souvent de nombreuses pathologies intriquées avec des problèmes sociaux, financiers, familiaux. Les réponses ne peuvent être que contextuelles, proches du patient et de son entourage. Le médecin généraliste est avec les autres soignants de proximité un témoin privilégié du vécu des personnes âgées à domicile et de leur problématique de santé.
3La Chaire veut solliciter son expérience et développer une collaboration avec le terrain. La gestion de problèmes complexes, l’intégration de nombreux éléments souvent divergents, la hiérarchisation des priorités et l’adaptation des recommandations à la réalité concrète du patient constituent le champ d’expertise particulier du médecin de famille. Nous avons donc créé des liens avec plusieurs cercles de médecine générale avec lesquels nous voulons réfléchir aux questions qui se posent aux acteurs de terrain concernés par l’accompagnement des personnes âgées. Celles-ci vivent pour plus de 80 % d’entre elles dans leur environnement habituel. Une enquête a été réalisée sur le patient âgé et sur les soignants de proximité. Nous en avons retiré des hypothèses de travail sur les difficultés rencontrées par les soignants, les possibilités offertes par l’indispensable interdisciplinarité et les besoins des patients âgés pour préserver leur qualité de vie dans un environnement changeant. Nous espérons ainsi développer des outils permettant une réflexion et une amélioration de la prise en charge de ces problèmes.
Trois axes d’activité
4La recherche est la priorité de la Chaire. Côté des projets mis en place avec les cercles de médecine générale, deux autres recherches sont en cours avec la collaboration des universités de Leiden et de la KUL (Leuven) : l’insuffisance cardiaque et les échelles d’évaluation de la personne âgée dans un contexte de fragilité. La recherche comprend également un volet éthique interuniversitaire qui construit une réflexion autour de l’éthique narrative. Celle-ci est indispensable pour analyser les nombreuses questions qui se posent au quotidien des patients et pour évaluer les stratégies de maintien à domicile.
5La réalisation d’événements plus médiatisés sur les problèmes de santé des personnes âgées dans leur milieu de vie sera notre deuxième axe de développement. Des réunions de travail ont eu lieu avec d’autres centres universitaires et la notion de fragilité a été le thème d’un premier colloque en novembre 2007. Un nouveau colloque, centré sur la pertinence de la prévention et des guidelines chez les personnes très âgées se tiendront en 2008. Ces événements veulent susciter une réflexion plus large et attirer l’attention des médias, des professionnels de la santé et des décideurs sur les problèmes de santé actuels des personnes âgées. Le rôle particulier de la relation entre la personne âgée et son médecin généraliste devra y être pris en compte.
6Troisième axe pour la Chaire : la diffusion d’information et d’outils de travail et de réflexion dans le domaine de la santé des seniors. Cette monographie en est la première production. Vouloir concilier une analyse scientifique de haut niveau avec une réflexion de terrain est le défi que nous voulons relever dans ces publications. Cette mise en confrontation de données plus théoriques, voire politiques ou sociologiques, avec une applicabilité dans la pratique quotidienne est la réalité à laquelle le généraliste est confronté et la volonté de la Chaire est d’avancer dans cet environnement difficile.
7En définitive, n’est-ce pas la capacité d’être ensemble qui est en jeu pour nos aînés ? Pour nous qui cherchons un sens à notre projet universitaire dans le cadre de la Chaire, comment ne pas reprendre ce qui résume notre action : Comte-Sponville écrit dans un de ses livres qu’« aimer, c’est laisser être. » Quelle plus belle définition trouver pour l’acte de soigner ? Paraphrasant avec une certaine liberté Christian Bobin, on y ajoutera qu’il « convient sans cesse de faire l’effort de penser à celui qui est devant soi, lui apporter une attention réelle, soutenue, ne pas oublier une seconde que celui avec qui nous parlons vient d’ailleurs, que ses goûts, ses pensées et ses gestes ont été façonnés par une longue histoire, peuplée de beaucoup de choses et de gens que nous ne connaîtrons jamais ». Cet exercice mental est quelque peu austère mais procure la plus grande satisfaction qui soit : aider quelqu’un que la maladie ou la perte d’autonomie affecte à demeurer ou redevenir ce qu’il est et non ce que nous croyons, craignons ou attendons qu’il devienne. Gageons que les monographies seront le lien entre tous : personnes âgées, donateurs, soignants, décideurs.
8Que retenir ?
- L’attention apportée à la personne âgée constitue un indice de la santé de l’ensemble de la société.
- Le respect de son autonomie doit être au cœur de toute démarche de soins.
9Questions
- Quelle est l’importance du déclin cognitif et des symptômes dépressifs dans la perte d’autonomie ? Sont-ils associés ?
- Dans l’affirmative, le lien qui les unit est-il un simple hasard ?
- Existe-t-il d’autres hypothèses pour expliquer cette corrélation ?
Auteurs
Centre académique de médecine générale, UCL
Chaire de médecine générale, UCL
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Des échelles pour prendre soin
Cailloux pour santé fragile
Isabelle Dagneaux, Marie-Pierre Vercruysse, Jean-Marie Degryse et al.
2009
Le vieillissement actif dans tous ses éclats
Laurent Nisen, Sylvie Carbonnelle et Thibauld Moulaert (dir.)
2014