Chapitre 5. Les programmes de français et d’histoire de l’art
Table ronde coordonnée par Jean-Louis Dufays et Marie-Émilie Ricker
p. 99-119
Texte intégral
1. Quels sont les difficultés et les acquis constatés chez les étudiants de 1re année de bachelier ?
1.1. En français : réponse de Sébastien Marlair
1Les étudiants présentent souvent deux acquis sur lesquels le cours58 s’appuie : une maitrise globale de la norme langagière et la prise de conscience d’un nouveau registre discursif à l’université. Formés au respect des règles du langage pendant le secondaire, ils sont généralement aptes à gérer par eux-mêmes leurs difficultés en la matière. L’enseignement secondaire leur a également appris à maitriser un discours rationnel standard (structuration textuelle, expression objectivante, explicitation causale) et ils perçoivent rapidement une différence de niveau au sein du « discours universitaire » (réseau notionnel disciplinaire exigeant, rapports à une communauté scientifique composée de références et de concepts signés), fût-ce avec l’impression d’être confrontés à un « emballage » intellectuel oiseux.
2Les principales difficultés rencontrées peuvent être résumées comme suit : l’incapacité à mesurer l’importance de ce nouveau registre discursif, à articuler les dimensions constitutives du discours scientifique et à mobiliser la transversalité des compétences discursives. Il s’agit de percevoir, par exemple, tout ce qui distingue l’expression « Bruges est une ville où il y a un port » de l’expression plus universitaire « Bruges offre un accès aux voies maritimes », par exemple au sein d’un cours d’histoire. Loin de n’être qu’un « emballage » formel, la seconde expression permet une structuration catégorielle du savoir (« voies maritimes » vs « voies terrestres » ou aujourd’hui « ferroviaires », « aériennes », etc. ; catégorie des voies de communication et de transport) aux implications fondamentales sur le savoir visé (atout de la ville de Bruges au Moyen Âge qui en fait un centre culturel et économique important). Il s’agit ainsi d’articuler le savoir au discours ainsi que les éléments phrastiques, textuels et discursifs dans une approche énonciative (prise en compte du contexte universitaire et de sa finalité scientifique).
3Enfin, la capacité à mobiliser transversalement les compétences entrainées demeure un problème majeur. Ainsi, certains étudiants réussissent les évaluations proposées sans pour autant mobiliser leurs acquis lors des tâches concernées dans d’autres cours (travail ou examen écrit). Le cours vise alors à développer la réflexivité des étudiants sur leurs pratiques langagières, afin de mieux en comprendre les mécanismes et d’en dégager le sens. Il s’agit là d’un défi qui concerne autant les étudiants que les enseignants qui s’efforcent de trouver les moyens de les impliquer dans une telle démarche.
1.2. En histoire de l’art : réponse de Laurent Verslype
4Quels sont les difficultés et les acquis constatés chez les étudiants de 1re année de bachelier en archéologie et histoire de l’art ? Nous formulons notre réponse sur la base d’une observation des attitudes et des résultats dans les enseignements d’histoire de l’art et d’archéologie en grand auditoire composite de 1re année de bachelier, de méthodologie disciplinaire spécifique en 2e et 3e années, ainsi que dans les pratiques d’auto-apprentissage et d’auto-évaluation d’un dispositif de type portfolio d’activités.
51. La première difficulté rencontrée par les étudiants dans les travaux pratiques est celle du choix et/ou de la définition des sujets ou des thèmes d’analyse, selon qu’ils soient imposés ou libres. De même dans l’étude des cours théoriques, il y a souvent des difficultés à distinguer l’information importante de l’accessoire, et donc à maitriser le volume d’informations. Le sens du discours de l’enseignant n’est pas toujours perçu, ou est mal transcrit. Ce constat est particulièrement flagrant dans sa restitution lors des examens oraux. Dans les pratiques à caractère réflexif, ces difficultés se manifestent dans les démarches d’auto-évaluation. D’un point de vue général, ces difficultés sont inhérentes au manque de méthode, de rigueur et de discernement sur le plan heuristique. Elles trahissent les difficultés de certains étudiants face aux exigences critiques et de qualité du niveau universitaire. D’un point de vue particulier, une difficulté nouvelle liée aux champs disciplinaires concernés est la nécessaire manipulation, compilation et présentation de documentations graphiques adéquates. La relation systématique à l’image dans un cadre rigoureux d’analyse et d’argumentation est inédite. Il s’agit d’une forme d’heuristique particulière qui sous-tend un traitement approprié dont les enseignements spécifiques de 1re année de bachelier apportent les rudiments et les enseignements de 2e et 3e années la maitrise.
62. Deux autres difficultés chez de nombreux étudiants concernent la maitrise rédactionnelle et celle de l’expression. La première est trahie par les lacunes en termes d’orthographe, de syntaxe, de précision et de pertinence du vocabulaire. Les capacités de synthèse, de formulation d’idées structurées et d’argumentation sont en réalité très contrastées. L’écriture s’avère donc être problématique chez de nombreux étudiants, ce qui ressort singulièrement des séries de corrections d’examens écrits en grands auditoires. Les pratiques d’auto-apprentissage avec tutorat et auto-évaluation combinée à l’apport des cours de méthodologie disciplinaire témoignent de progrès significatifs en 2e et 3e bacs chez les étudiants motivés et assidus. Sur le plan de la communication orale, les étudiants peinent à sélectionner d’une part les éléments significatifs à extraire d’un travail en vue de le présenter à un auditoire, en impliquant ce dernier, et d’autre part à choisir et à présenter des supports visuels pertinents et de qualité. En outre, l’éclatement de la sphère du groupe-classe du secondaire qui isole en quelque sorte les étudiants dans leur pratique de communication est un changement majeur par rapport au secondaire. La nouvelle échelle des auditoires et des groupes de travail modifie donc les points de repère des étudiants et nécessite un temps d’adaptation. En réalité, il existe de grands contrastes dans la capacité à s’exprimer correctement et à communiquer efficacement : un large fossé sépare un grand nombre d’étudiants et une minorité, qui se distingue par un discours très abouti et un vocabulaire choisi.
7La liberté relative qui s’offre aux étudiants est également perçue comme une difficulté en termes de discipline et de méthode. Ainsi certains dispositifs d’apprentissage offrent une certaine forme de souplesse et de liberté dont certains étudiants se félicitent – les plus compétents, appliqués, doués et/ou motivés – mais dont d’autres se plaignent, avouant préférer davantage de contraintes et l’établissement de délais stricts propres à les motiver quand ils le sont précisément moins.
83. Sur ces bases, nous pouvons également commenter l’état des acquis chez les nouveaux étudiants. Leur préparation à l’issue du secondaire est relativement inégale. Le type de cursus (filière, orientation) (1) et les exigences qualitatives (équipe pédagogique, établissement) (2) du secondaire interagissent naturellement avec les capacités individuelles (3) et les motivations personnelles (4) à entreprendre des études supérieures. Ces quatre éléments déterminent conjointement le bagage et les compétences de chaque étudiant entrant en 1re année de bachelier. La diversité des profils en termes d’acquis et de capacités est donc très grande. En 1re année de bachelier, la régularité, l’assiduité, voire l’opiniâtreté chez certains, ou une bonne méthode chez d’autres – facteurs non forcément combinés –, garantissent de bons apprentissages, quels que soient les acquis de départ. Aussi les démarches et outils pédagogiques à l’attention des étudiants en difficulté doivent-ils tenir compte des quatre facteurs cités plus haut. Mais c’est un fait notable que les étudiants qui assistent aux séances du monitorat facultaire sont souvent de bons étudiants qui confortent les conditions de leur réussite. Les étudiants en réelle difficulté ne bénéficient donc pas, souvent par défaut d’intérêt de leur part, de cette possibilité d’adaptation et de remédiation « sur mesure », voire « à la carte ». Ce sont les mêmes qui adoptent par ailleurs une position critique négative ou adoptent des stratégies d’évitement dans les travaux encadrés ou conduits en totale autonomie, ne tirant que peu de bénéfices – ou plus lentement que les autres – des pratiques réflexives, d’auto-apprentissage et d’auto-évaluation combinées.
9Nous associons donc à ces acquis la faculté d’adoption d’une posture adéquate ou non par rapport aux attentes de l’enseignement supérieur et l’ouverture d’esprit des étudiants.
10Nous conclurons par un constat sous-jacent bien réel pour ce qui concerne les acquis et les aptitudes en archéologie et histoire de l’art : au-delà de la personnalité de chaque étudiant, l’environnement familial et culturel conditionne souvent son ouverture et détermine pour une grande part ses acquis antérieurs dans ces champs disciplinaires. À cet égard, les champs de référence de chaque étudiant sont une nouvelle fois très contrastés, facilitant inégalement le suivi des enseignements et la réalisation des travaux.
2. Quelles spécificités et quelles potentialités les programmes actuels présentent-ils au regard de la transition secondaire-université ?
2.1. En français : réponse de Jean-Luc Van Schepdael
11Marc Romainville59 estime le taux d’échec dans le supérieur à 60 % et la sortie sans diplôme à 33 %. Ces chiffres montrent qu’il y a lieu de se poser la question de la transition secondaire-université. On ne peut guère parler d’un continuum…
12Un déficit de bagage intellectuel des étudiants à l’entrée en est-il la cause première ? Sans doute convient-il de se méfier de la rhétorique du déficit, tentation commode parce que déresponsabilisante.
13Faut-il incriminer la « réforme des compétences », qui aurait placé les élèves du secondaire dans un rapport au savoir plus instrumental qu’à l’université ? Il serait hâtif de prétendre observer des effets importants de cette approche tant « notre enseignement est encore largement caractérisé par une pédagogie de transmission des savoirs60».
14D’autres facteurs que la seule préparation intellectuelle conditionnent l’accès à l’université et à la réussite. Notamment l’origine sociale et culturelle des élèves, qui détermine en grande partie le parcours scolaire61.
15De puissants facteurs psychosociaux sont en jeu : sentiment de compétence, rapport au savoir, influence des pairs fréquentés à l’école, soutien et confiance de la famille dans les capacités de réussite du jeune… Ces paramètres déterminent pour une part le processus vocationnel et mettent en doute le dogme du « qui veut peut62 ».
16Il n’en reste pas moins que la préparation intellectuelle jouerait pour 25 % de la variance des performances en fin de 1re année de bachelier (Romainville). Il est donc indubitable que la formation reçue en secondaire peut en partie favoriser la transition secondaire-université.
17En effet, moins il y aura de prérequis63 à l’entrée de l’université, plus la transition sera facilitée. Il serait donc utile de mieux explorer ces prérequis universitaires. Ils pourraient ensuite être comparés au profil de sortie « promis » de la fin du secondaire défini dans les référentiels et les programmes. En cas de non-correspondance, des actions correctrices pourraient être mises en œuvre, l’idéal d’un prérequis étant de s’autodétruire. Où, quand effectuer ces réajustements ? La réponse est délicate…
18En l’absence d’un tel descriptif, je tenterai d’identifier des compétences des programmes de français des 2e et 3e degrés susceptibles de répondre à des situations du métier d’étudiant universitaire potentiellement prérequises.
19Conserver, traduire des informations
20Prendre des notes pour garder des traces, rendre compte (2e degré). Lire, comprendre des informations
21Lire, comprendre et interpréter des textes :
- argumentatifs (essai, presse d’opinion, textes littéraires, etc.) avec, au 3e degré, un accent porté sur les textes polémiques (à plusieurs voix ou points de vue) ;
- des textes informatifs notamment via la synthèse de texte et recherche documentaire (ci-après) ;
- des textes littéraires (2e et 3e degrés). Le texte littéraire est celui qui suscite le plus la collaboration du lecteur par ses implicites et indéterminations. En ce sens, il est sans doute le support pédagogique le plus efficace pour développer les compétences inférentielles et interprétatives qui font cruellement défaut aux étudiants. C’est aussi l’occasion d’apprendre des droits du lecteur et des droits du texte : on peut faire dire beaucoup de choses à un texte, mais on ne peut pas non plus en tirer n’importe quoi.
22Synthétiser des informations
23Synthèse écrite d’un seul document au 2e degré sous la forme de résumé, fiche documentaire, sommaire des notes de cours, index des notions… Synthèse écrite au 3e degré de plusieurs documents/sources, soit orales sous la forme de compte rendu de réunion, synthèse de débat, soit écrites sous la forme de dossier-outil, synthèse de textes, texte informatif/page web.
24Rechercher des informations
25Conduire une recherche documentaire et rédiger une synthèse de textes pour informer un destinataire d’une problématique littéraire ou non, en identifiant les sources et en élaborant une bibliographie rigoureuse (3e degré).
26Convaincre par écrit
27Critique, lettre d’opinion, dissertation, plaidoyer, réquisitoire (2e et 3e degrés).
28Écouter-prendre la parole dans 3 gammes de situations :
- dans un échange à deux (2e degré) en position d’expert (dialogue explicatif, entretien d’évaluation) ou non (interview d’expert), à égalité (dialogues argumentés) ;
- prendre sa place dans une discussion de groupe et rédiger un compte rendu : réunion de travail ou de décision, débat régulé (3e degré) ;
- produire un exposé informatif ou argumentatif en maitrisant le temps imparti et les supports de communication (3e degré).
29Adopter une posture réflexive, questionner un concept de manière systémique et pluridisciplinaire pour en tenter une définition complexe (3e degré).
30Aborder le concept de littérature sous différents éclairages qui permettent d’en construire une définition complexe en articulant les points de vue synchronique et diachronique.
31Ces compétences couvrent l’essentiel du programme de français. On peut donc estimer que la discipline contribue à préparer à l’entrée dans le supérieur.
32Sur le plan méthodologique enfin, je ne vois pas de rupture entre l’approche par compétence proposée par les programmes et la formation universitaire définie par François Ost64 en ces termes :
L’université […] avant d’être un lieu de transmission du savoir, est un espace de production de connaissances […]. Même les cours de première année sont déjà conçus et enseignés, non dans une perspective de communication de contenus de savoirs déjà donnés, mais plutôt dans une démarche de libre élaboration collective d’un savoir en voie de construction. Aussi est-ce dès la première année que les étudiants eux-mêmes sont invités, dans leurs travaux pratiques et séminaires, à s’initier à cette démarche qui caractérise le véritable esprit universitaire.
2.2. En français : réponse d’Anne-Françoise Jans
33Au regard de la transition secondaire-université, quelles sont les spécificités des actuels programmes de français dans le triangle didactique où le professeur et les élèves jouent un rôle déterminant ?
34Les potentialités de ces programmes s’articulent autour de quelques axes : l’accent sur les apprentissages en tant que tels, l’élargissement des domaines d’apprentissage, l’évaluation critériée, la liberté des contenus.
35Chaque professeur aime partager ses « dadas » : ses auteurs favoris, ses méthodes de lecture préférées… Les anciens programmes ne contraignaient pas le professeur à sortir de ses champs d’enseignement privilégiés qui, au 3e degré, se limitaient souvent à la lecture littéraire et à l’argumentation.
36Les nouveaux programmes élargissent les domaines d’apprentissage et incitent l’enseignant à explorer des voies qu’il ne développait pas en première ligne : l’exposé oral, le débat, la production d’écrits variés, la lecture de textes très diversifiés. Au cours de français, les élèves développent désormais davantage d’apprentissages transversaux qui leur seront utiles dans quelque faculté qu’ils fréquentent.
37Alors qu’auparavant les processus d’apprentissage étaient pratiquement considérés comme des prérequis, chaque production finale fait à présent l’objet d’apprentissages séquencés qui permettent aux élèves de maitriser progressivement une technique. Autrement dit, l’art de réussir une bonne argumentation n’est plus l’apanage de quelques élèves qui comprennent intuitivement ce que le professeur « attend », mais concerne tous les élèves qui s’entrainent à cet exercice par paliers.
38Dans le même esprit, la transparence de l’évaluation critériée permet aux élèves d’identifier avec précision leurs forces et leurs faiblesses dans la pratique des différentes fiches du programme et d’améliorer leurs performances au fil des épreuves.
39Enfin, les apprentissages très circonscrits dans les programmes peuvent s’exercer librement sur des contenus que les professeurs adaptent à leur public. Ainsi, dans une école dont les élèves se destinent majoritairement aux études universitaires, les enseignants pourront proposer des textes qui préparent aux exigences de leurs futures études.
40La mise en œuvre adéquate de toutes les fiches du programme peut favoriser la transition secondaire-université. Dans le domaine de l’argumentation (fiche 1) par exemple, le professeur qui ne se cantonne pas aux textes littéraires proposera la production de discours variés et travaillera la structure, l’esprit critique, la concision de l’expression écrite ou orale… Dans les exercices de recherche (fiche 2), le professeur accompagnera les élèves dans le travail de récolte et de critique des sources, apprentissage particulièrement délicat à l’ère du copier-coller.
41Les compétences de l’oral comme l’exposé et le débat (fiches 3 et 4) – qui requièrent un temps d’apprentissage considérable au regard des quatre heures de français hebdomadaires – seront sollicitées tout au long du cursus universitaire. Les deux dernières fiches, moins novatrices du point de vue de l’approche littéraire, apportent cependant un éclairage nouveau sur l’art et la littérature et s’inscrivent dans une réflexion et des enjeux sociétaux.
42Pourtant, les potentialités de ces programmes s’accompagnent d’un certain nombre de difficultés. Il existe en effet un hiatus entre les exigences de l’université et celles des humanités. Là où les programmes imposent l’appropriation des savoirs par les élèves ainsi que l’évaluation par tâches significatives, globales et contextualisées, l’université privilégie encore les cours magistraux, la prise de notes au vol, la mémorisation de vastes contenus précis et les questions à choix multiples. Alors que les programmes de français du secondaire laissent une part plus légère au travail systématique de la langue dès la première année (l’analyse, l’orthographe... ne peuvent plus être évaluées certificativement), l’université requiert la capacité de rédiger des textes structurés dans un langage précis et élaboré. Tandis que, pour les programmes, toute situation d’apprentissage doit avoir du sens pour les élèves, l’université met les étudiants dans des situations d’apprentissage non contextualisées. Enfin, là où les programmes accordent à la culture littéraire une part plus réduite dans l’ensemble des savoirs dispensés, l’université attend des étudiants dotés d’un solide bagage culturel.
2.3. En français : réponse de Jean-Louis Dufays
43En ce qui concerne le français, conformément à l’esprit de la réforme adoptée par la FESeC à la suite du décret « Missions », l’actuel programme du 3e degré de transition privilégie six « macrocompétences », dont quatre apparaissent comme des aptitudes fondamentales utiles, non seulement pour la discipline français, mais aussi pour l’ensemble des disciplines, et ce tant dans le secondaire que dans les études supérieures :
- lire-écrire le texte argumenté ;
- mener une recherche documentaire et en faire état ;
- présenter un exposé oral ;
- prendre sa place dans une discussion de groupe.
44Lorsque le programme a été publié, voici dix ans déjà, la mise en évidence de ces quatre compétences m’est apparue comme un progrès. Non parce que ces « matières » n’auraient pas été travaillées auparavant ou parce que les enseignants auraient massivement privilégié jusque là – comme on l’a parfois affirmé de manière polémique – l’enseignement de « savoirs morts », mais parce qu’il me semblait bon que, face à l’extrême diversité des objets travaillés en français, ceux-là soient présentés comme prioritaires. Et l’enjeu de ces « compétences transversales » pour la transition secondaire-supérieur semblait évident pour tout le monde. Le fait de les mettre en valeur contribuait en quelque sorte à affirmer l’importance du cours de français, son rôle-clé dans l’appropriation des outils de la communication et du travail intellectuel. J’ajoute que cette mise en évidence me semblait plus lisible dans le programme de la FESeC que dans celui de la Communauté française, où étaient envisagées une quinzaine de « tâches-problèmes », qui pouvaient donner l’impression de multiplier à l’excès les objectifs du cours de français.
45Cette clarification salutaire des objectifs prioritaires concerne aussi une cinquième « macro-compétence » qui était plus spécialement associée au programme du 2e degré, celle qui porte sur la lecture de l’image et des productions audio-scripto-visuelles.
46À côté de cela, au 3e degré, les objets plus spécifiquement disciplinaires du cours de français, à savoir l’étude des textes et la connaissance de la littérature, se voyaient attribuer deux « macro-compétences » :
- lire le texte littéraire ;
- s’approprier la littérature en croisant différents points de vue.
47Deux compétences sur six, ce n’était pas rien, mais, même si les différentes compétences ne sont pas censées toutes requérir le même nombre d’heures, cela représentait une diminution significative par rapport aux programmes antérieurs – et aussi aux pratiques dominantes telles qu’on a pu les observer –, où lecture et littérature se taillaient la part du lion. Et l’on n’a pas manqué de remarquer que cela allait de pair avec la quasi disparition dans les programmes de certaines activités proprement disciplinaires qui étaient volontiers pratiquées jusque là dans les classes, comme celles touchant à l’écriture créative et l’oral théâtral.
48Pour dire les choses simplement, je dirais que les programmes actuels du 3e degré de transition ont donné au cours de français une orientation à la fois :
- plus transversale (je viens de dire en quoi) ;
- mais aussi plus fonctionnelle, plus tournée vers le faire (en raison du système des compétences et de l’impératif de travailler en séquences en 3 temps, c’est-à-dire en partant toujours d’une situation-problème et d’une production initiale et en visant toujours une production finale) que vers le connaitre ou le penser ;
- et corollairement moins axées sur les savoirs.
49À ce propos, en effet, seule la fiche-compétence 6 privilégie explicitement les savoirs, mais elle le fait en préconisant davantage une posture épistémologique et réflexive à l’égard des savoirs littéraires (sur les courants, les genres, les auteurs, etc.) qu’une acquisition de connaissances stricto sensu. Certains enseignants m’ont même rapporté que des inspecteurs ou des conseillers pédagogiques leur enjoignaient explicitement de renoncer à tout enseignement « frontal » de connaissances historiques, par exemple. Il en résulte que les connaissances déclaratives, à dimension mémorielle, qui ont tant d’importance à l’université, tendent à être marginalisées ou en tout cas délégitimées. Cela me semble problématique, non seulement dans la perspective de la transition secondaire-université, mais aussi, plus globalement dans la perspective d’une formation équilibrée de l’intelligence.
50Un second problème me semble se poser et handicaper fortement le travail des professeurs, tout particulièrement dans l’enseignement catholique : il tient au caractère écrasant du cahier des charges du cours de français et à la charge très lourde que doivent assumer les enseignants lorsqu’ils ne disposent que de quatre heures par semaine à la fois pour enseigner tous les savoirs et les savoir-faire indispensables et pour évaluer ceux-ci d’une manière significative, susceptible de favoriser réellement la progression des élèves. Toutes les enquêtes qui sont menées à ce propos depuis longtemps auprès des professeurs de français, notamment celle qu’a menée l’Association belge des professeurs de français (ABPF) voici un peu plus d’un an, attestent que la cause principale de pénibilité du métier tient à ce poids des évaluations, qui est perçu comme injustement déséquilibré par rapport aux autres disciplines. Tous les enseignants de français que je connais se sentent à cet égard injustement traités et non reconnus dans ce déséquilibre, qu’ils perçoivent comme une régression. En effet, jusqu’au début des années 1980, le surpoids des corrections liées au cours de français était compensé par une heure dite « de bonus » qui permettait au professeur de français de prester une charge complète comportant une heure de moins que ses collègues des autres disciplines.
51Dans le même ordre d’idées, je continue à m’interroger sur la raison pour laquelle, alors que la Communauté française a fait le choix voici plus de quinze ans de faire passer à cinq heures semaine le nombre de plages horaires réservées au cours de français aux 2e et 3e degrés, ce nombre est toujours de quatre heures dans l’enseignement catholique. L’argument selon lequel accorder une heure de plus au français reviendrait à affaiblir une autre discipline ne me semble pas tenir la route : d’une part parce que cette situation ne semble guère faire problème dans le réseau officiel où le français dispose de cinq périodes hebdomadaires, d’autre part parce que toutes les disciplines bénéficient du renforcement accordé au français. Au risque donc d’ouvrir une boite de Pandore, je pense que l’heure est venue d’en finir avec le compromis bancal qui a figé pendant plusieurs décennies le rapport entre les disciplines : il est urgent de reposer la question de la place quantitative accordée au cours de français.
2.4. En histoire de l’art : réponse de Claire-Hélène Blanquet
52Le programme d’histoire de l’art et analyse esthétique exercé dans l’enseignement secondaire permet, me semble-t-il, à l’élève de développer des aptitudes et des acquis majeurs pour aborder l’enseignement supérieur.
53Vu l’ampleur de la matière, les auteurs du programme d’histoire de l’art ont voulu privilégier l’acquisition par les élèves d’un outil qui les rendra très rapidement autonomes. Cet outil c’est une méthode d’analyse qui porte sur l’image, l’œuvre à trois dimensions, l’architecture.
54Exercée depuis la troisième rénové, cette méthode est entretenue et développée au fil des années jusqu’en sixième. Elle permet à l’élève de prendre conscience de ses capacités dans la mesure où, dès le départ, il peut, par une observation attentive, repérer de manière autonome certains éléments plastiques. Le professeur intervient par la suite pour attiser l’observation, la synthétiser.
55Deux mots-clefs trouvent ici écho dans l’enseignement supérieur : confiance en soi et autonomie.
56Exercée régulièrement durant les cours, lors de travaux personnels, l’analyse s’affine dans sa formulation. L’élève acquiert peu à peu un vocabulaire spécifique à la matière qu’il doit utiliser avec rigueur et circonspection. La maitrise plus aigüe de la langue française, l’enrichissement au fil des années de son vocabulaire lui permet de développer une analyse de plus en plus nuancée.
57Trois mots-clefs trouvent ici écho dans l’enseignement supérieur : maitrise de la langue, rigueur, nuance.
58La méthode d’analyse démarre le plus souvent par une approche personnelle, un ressenti face à l’œuvre. Cependant, afin d’écarter au maximum une vision subjective, ce ressenti doit pouvoir être justifié, argumenté par l’analyse des éléments plastiques. Par ailleurs, l’œuvre doit être intégrée dans un contexte historique, ce qui oblige l’élève d’abord à multiplier ses sources, ensuite à les confronter. L’approche personnelle de l’œuvre sera donc canalisée par l’obligation d’une argumentation solide et la nécessité de relativiser son approche personnelle par la connaissance d’un contexte historique.
59Trois mots-clefs trouvent ici écho pour l’enseignement supérieur : argumenter, rechercher un contexte, relativiser une approche personnelle.
60Les références visuelles engrangées au fil des années constituent bien évidemment une base de données pour l’enseignement supérieur. Mais, bien au-delà de ce compendium d’images, c’est aussi et avant tout une ouverture à la diversité et, par là même, un accueil à la tolérance qui se cristallisent.
61Trois mots-clefs trouvent écho dans l’enseignement supérieur : base de données, ouverture, tolérance.
62Riche en capacités d’analyse, l’élève du secondaire qui passe dans l’enseignement supérieur doit cependant prendre conscience du fait que l’analyse des éléments plastiques dans l’enseignement universitaire est reléguée au second plan pour privilégier la contextualisation de l’œuvre, la multiplication des exemples. Il doit aussi humblement admettre que son approche personnelle de l’œuvre est minimisée au profit des celles d’historiens d’art dont l’opinion personnelle face à une production artistique a été étayée par un long travail de recherche.
2.5. En histoire de l’art : réponse de Marie-Émilie Ricker
63La première cohorte d’élèves qui aura suivi le nouveau programme d’histoire de l’art axé sur l’acquisition de compétences entrera dans les études supérieures en septembre 2010. En effet, le programme « Arts » de la FESeC (D/2005/7362/3/50) est entré en application lors de l’année scolaire 2006/07 et celui de la Communauté française (186/2008/248A) en 2009/10. Dès lors, il est fort prématuré de vouloir établir des constats relatifs aux résultats de l’enseignement par les compétences au regard de la transition humanité/université.
64Cependant, sur un plan assez théorique, on peut discuter des effets supposés de l’enseignement de l’histoire de l’art formaté autour des quatre compétences ciblées, qui sont, d’ailleurs, fort similaires dans les programmes de l’enseignement catholique et de la Communauté française. Ces quatre compétences consistent à pouvoir regarder, connaitre, faire et s’exprimer et, finalement, apprécier. Par ailleurs, les micro-compétences proposées par la FESeC pour préciser les compétences disciplinaires sont toutes adéquatement ciblées et les quelques recommandations liées au contenu et à la méthodologie sont très pertinentes.
65A côté de ces observations préalables fort positives, une grande question irrésolue interpelle tout professeur en charge de l’enseignement du cours d’histoire de l’art et d’analyse esthétique : les informations déployées dans le programme restent extrêmement vagues et susceptibles de donner lieu à des méthodologies d’enseignement fort différentes. La méthode d’analyse proposée est présentée de manière imprécise, la méthodologie évolutive de son enseignement n’est pas séquencée, les modalités de l’évaluation des compétences ne sont pas développées. En outre, aucune indication bibliographique n’est renseignée pour tout le programme d’histoire de l’art. Autant dire que le futur professeur qui n’aurait pas bénéficié d’un solide cours de didactique de l’histoire de l’art dispose de peu de balises. Par ailleurs, et ceci dépasse le seul cas du cours d’histoire de l’art, la méthodologie de l’enseignement par les compétences, telles qu’elles sont définies par le décret, reste globalement problématique. Par exemple, les rapports à entretenir entre les différents pôles de la compétence ne sont pas éclaircis. Quand et comment le professeur doit-il gérer l’acquisition de chacune des composantes que sont les savoirs, les savoir-faire et les attitudes ? Un ensemble organisé de ces différents paramètres ne peut pas être dominé par l’élève sans formalisation didactique structurée des étapes respectives de l’acquisition des sous-parties. À nier l’importance et la nécessité de préciser les étapes et les modalités de l’acquisition et de la vérification, notamment, des savoirs, on risque de manquer intégralement les buts louables de l’enseignement par les compétences.
3. Quelles pratiques didactiques concrètes peut-on préconiser en 6e secondaire pour favoriser la réussite à l’université ?
3.1. En français : réponse de Sébastien Marlair
66Bien conscient des limites propres à l’enseignement académique et des difficultés rencontrées dans l’enseignement secondaire, on ne peut qu’encourager ici quelques pratiques déjà présentes, mais sans doute trop faiblement représentées65. L’essentiel serait de favoriser une approche discursive et une explicitation des normes du discours enseigné. L’élève est ainsi, par exemple, souvent amené à produire des résumés d’œuvres littéraires, sans être introduit à la distinction fondamentale entre le discours narratif dont il a à rendre compte, et le discours rationnel par lequel il en rend compte66. La dissertation, par ailleurs, reste souvent centrée sur la structure textuelle, ou sur le développement uniquement cognitif (trouver des arguments) et est moins souvent vue comme une compétence discursive qui implique de construire un référent et un raisonnement par l’agencement du discours, ainsi que de construire une posture argumentative par la dimension énonciative.
67Dans cette optique, l’idéal est de favoriser la production de discours complets ; la mise en œuvre d’une « communauté » d’évaluation du discours rationnel au sein du groupe-classe, en valorisant l’idée d’un espace rationnel et discursif commun ; l’ancrage des discours dans des pratiques sociales, non pas via des projets mixtes (entre démarches scolaire et extrascolaire) qui présentent souvent une forte artificialité (comme écrire une lettre à la direction ou participer à un concours de nouvelles) mais, d’une part, via l’observation des pratiques sociales de référence (comme la critique littéraire, une argumentation politique, etc.) et, d’autre part, via des pratiques sociales propres à la classe (explicitation de la perception du discours des élèves par l’enseignant, appartenance de l’enseignant à une communauté d’experts, travail de la perception du groupe-classe en fonction de l’espace rationnel visé) ; et, enfin, l’écriture comme processus (en entrainant la reformulation), articulant le microtextuel à la globalité du texte, en favorisant la prise en compte des effets de lecture67.
68Même l’approche plus normative et plus systématique du langage, par laquelle l’enseignement du français doit pouvoir passer, comme les exercices de conjugaison, d’orthographe et de grammaire, doit permettre à l’élève de prendre conscience du statut normatif du langage68 et lui montrer la valeur des microcompétences au sein d’un contexte communicationnel69. Là encore, il s’agit d’aider l’élève à évaluer la complexité, la dynamique et l’exigence des pratiques langagières, en développant sa réflexivité pour donner sens à ses pratiques.
3.2. En histoire de l’art : réponse de Laurent Verslype
69Que favoriser en secondaire et singulièrement en année terminale pour remédier aux difficultés rencontrées ?
70Les attitudes et le bagage des étudiants en matière de pratiques culturelles sont contrastés. Et pourtant, certains thèmes enseignés en 1re année de bachelier sont redondants depuis l’enseignement primaire. Cela concerne l’histoire des civilisations par l’étude des arts et des modes de vie durant la préhistoire, à Rome, en Grèce, en Égypte... L’art n’est cependant que peu développé dans ces programmes et guère enseigné dans toutes les filières du secondaire (musique, peinture, sculpture, architecture) et les pratiques culturelles (visites de musée, voyages, musique, etc.) diffèrent d’un établissement, d’un groupe-classe et d’une famille à l’autre.
71Par ailleurs, nous avons vu précédemment que les difficultés majeures rencontrées ressortent de lacunes globales et non forcément spécifiques dans les disciplines en question (méthode, rédaction, expression, posture et motivation dans les études supérieures).
72Sur le plan des disciplines « archéologie et histoire de l’art », absentes des programmes généraux les plus courants, contrairement aux matières générales comme le français, l’histoire..., un sentiment de nouveauté prévaut souvent. Tout est à faire, tant sur le plan des connaissances que celui de la relation aux objets d’étude de la discipline (attitudes).
73Il convient donc de développer globalement les comportements adéquats :
- en favorisant les pratiques culturelles et en privilégiant une attitude adéquate envers les productions artistiques de natures diverses ;
- en inculquant l’adoption de positions critiques et de démarches pertinentes en termes de recherche documentaire (enseigner la rigueur des quêtes documentaires sur internet vs du bon usage d’une bibliothèque et du livre, par exemple).
74On visera aussi à faire de l’objet, de la démarche artistique, du vestige archéologique, et de leurs contextes, comme pour la littérature enseignée dans le secondaire supérieur, un support d’étude critique alimentant le discours historique touchant aux mentalités, aux cultures... Des approches transversales (histoire-littérature-arts-cultures) pourraient par exemple être développées à part entière. Celles-ci le sont par ailleurs souvent de manière naturelle lors des voyages d’étude ou selon la personnalité des enseignants. La fréquentation des sites patrimoniaux et des musées, souvent planifiée dans le cadre de parties spécifiques de cours particuliers, pourrait également bénéficier de ce type d’approche, dépassant le seul statut d’activité culturelle chronophage, détachée de l’ensemble de la formation.
3.3. En français : réponse d’Anne-Françoise Jans
75Lorsque les rhétoriciens arrivent à l’université, ils sont confrontés à un type d’enseignement et à des pratiques d’évaluation qui diffèrent parfois radicalement de leur expérience du secondaire pour les raisons déjà évoquées.
76Il semble qu’en ce qui concerne le cours de français, la transition serait plus harmonieuse si les élèves étaient mieux préparés à la rigueur (maitrise de la langue française, mémorisation de contenus précis, etc.), à la prise de notes ainsi qu’aux techniques d’évaluation particulièrement ciblées de la 1re année de bachelier.
77Quelques activités et pratiques très simples permettraient d’atteindre ces objectifs. Pour un travail plus rigoureux de la langue, les professeurs du secondaire devraient pouvoir évaluer certificativement, dès la première année, toutes les activités séquentielles qui permettent aux élèves d’étoffer leur bagage lexical, syntaxique et grammatical afin de les entrainer à une plus grande précision de l’expression écrite et orale. Les adolescents ne trouvent que rarement la motivation nécessaire si les exercices imposés par leurs professeurs ne sont pas cotés.
78Dès l’entrée en humanités, l’analyse de la phrase devrait constituer un apprentissage de base évalué certificativement et se prolonger par des exercices de rédaction de phrases complexes jusqu’en 6e année. Utile à l’apprentissage des langues étrangères modernes et anciennes, l’analyse permet aux élèves de structurer leurs phrases et leur pensée : comment penser et exprimer la réalité de façon complexe si on ne sait formuler que des phrases simples ou juxtaposées ?
79L’exercice de mémorisation pourrait se pratiquer à travers des activités comme la mise en scène de textes dramaturgiques ou poétiques, la reformulation précise d’exposés ou de cours magistraux d’une certaine épaisseur… Si le professeur méta-communiquait avec ses élèves sur la manière dont ils ont procédé pour mémoriser, ceux-ci aborderaient des matières plus vastes avec une méthode plus performante. Cet exercice est aussi un entrainement à répondre oralement aux questions.
80La prise de notes au vol constitue en général une difficulté pour les étudiants qui arrivent au stade supérieur des études : le professeur pourrait proposer à tour de rôle à chaque élève de la classe de soigner sa prise de notes pendant une petite série de cours magistraux. Les notes seraient ainsi supervisées par l’enseignant qui guiderait les élèves dans leur structuration. L’étape suivante consisterait à élaborer en classe des synthèses du cours, à dégager le fil conducteur d’un parcours, à imaginer ensemble les questions que le professeur poserait…
81Pour entrainer les élèves aux méthodes d’évaluation du bac, comme les questions à choix multiples, le professeur pourrait inviter ses élèves à imaginer des QCM à partir de la matière vue en classe, à en travailler les nuances en termes de contenus et de lexique, à se familiariser avec les stratégies de rédaction et de réponse à ce type de questionnaires.
82Enfin, en secondaire comme à l’université, les travaux de groupes sont de plus en plus souvent mis à l’honneur. Le professeur pourrait réaliser un vadémécum du travail de groupes avec ses élèves (cerner le sujet, baliser la recherche, établir des échéanciers, répartir les rôles, exploiter les compétences de chacun…) et méta-communiquer sur la manière dont le travail s’est effectué
83Travailler les nouveaux programmes, préparer la transition secondaire/université avec des activités plus spécifiques en quatre heures hebdomadaires : un sommet infranchissable ? Dans ce triangle didactique où élèves et programmes sont en perpétuelle mutation, l’angle du bon sens pédagogique ne reste-t-il pas un invariant ?
3.4. En histoire de l’art : réponse de Claire-Hélène Blanquet
84En ce qui concerne l’histoire de l’art, la maitrise de l’analyse étant supposée acquise par un élève qui entre en sixième secondaire, il est impératif de lui faire franchir une nouvelle étape en exerçant sa capacité d’analyse dans des domaines rarement explorés : les objets quotidiens, la destruction de l’environnement, l’art non européen…
85L’ensemble des analyses constitue un travail de fin d’année. Mais celles-ci impliquent d’office de nouvelles démarches : manipuler un objet, mesurer sa fonctionnalité, évaluer par comparaison sa qualité esthétique. Se rendre dans une administration communale, des lieux culturels pour trouver des informations. S’immerger dans les sociétés non européennes avant d’aborder l’analyse d’une œuvre qu’elles ont produite…
86Régulièrement évalué au cours de l’année, ce travail ne peut aboutir à l’échec si l’élève tient compte des remarques qui lui ont été adressées. Une sorte de no stress se développe alors, qui permet à l’élève de valoriser pleinement ses capacités, d’être pleinement lui-même : jeune adulte et futur citoyen.
87Il reste cependant un bémol : la gestion du calendrier. Même quand ils respectent l’échéance ultime, les élèves ont du mal à se fixer leurs propres étapes intermédiaires. Celles-ci doivent donc leur être indiquées, pour parer le risque d’obtenir un travail hâtif et peu révélateur de leurs capacités réelles.
88L’exploration de nouveaux domaines de recherches, l’audace d’entreprendre des démarches nouvelles et variées ne prépare-t-elle pas ce jeune adulte à son travail d’universitaire, de citoyen responsable ?
3.5. En français : réponse de Jean-Luc Van Schepdael
- Nous sommes dans un monde de la communication où les frontières s’abolissent, les règles s’estompent, les genres s’hybrident. Il est donc nécessaire de privilégier des dispositifs didactiques favorisant la conscience et la maitrise du fonctionnement social des discours dans leur spécificité. La méconnaissance de ces codes et un déficit de conscience pragmatique sont souvent sources de malentendus, de conflits et d’échecs de la communication. Il faudrait que les disciplines soient davantage perçues comme autant de communautés discursives qui ont leur propre manière d’examiner le monde, de le représenter et de lui donner sens.
- Il s’agit de profiter au maximum des opportunités offertes par les disciplines scientifiques pour s’approprier les caractéristiques du langage décontextualisé et scientifique plus proche du discours universitaire que le langage expressif fort mis en valeur au cours de français. Ce n’est pas vraiment au cours de français qu’on apprend à décrire un phénomène, à définir un concept, à bien comprendre un article scientifique…
- Il importe donc que l’enseignant questionne ses propres prérequis pour faciliter l’apprentissage des élèves. Tâche difficile pour l’expert de jouer au novice tant de telles réfétences sont inconscientes, automatisées et non questionnées.
3.6. En français : réponse de Jean-Louis Dufays
89Dans le cadre du cours français, je vois cinq nécessités complémentaires pour la préparation de l’entrée à l’université :
901. un réel travail d’équipe de la part des enseignants, ce qui suppose une gestion vraiment collective et politique des établissements scolaires. La préparation aux études supérieures requiert en effet un plan de formation concerté, où les différents professeurs de 6e année, non seulement pour le français, mais toutes disciplines confondues, s’accordent sur un certain nombre d’objectifs et de stratégies communes ;
912. un travail plus explicite avec les élèves sur la préparation disciplinaire aux études supérieures, et pas seulement sur la préparation « psychologique », « sociale » et « transversale ». Chaque discipline est en effet le lieu d’un rapport spécifique aux savoirs, lequel se construit et s’acquiert progressivement, par une longue et patiente fréquentation des objets et des activités qui en relèvent. Ainsi, pour bien préparer des élèves à des études de sciences humaines, il ne suffit pas de les exercer à lire et écrire des textes informatifs ; il est également indispensable de développer chez eux une conscience épistémologique des savoirs et des enjeux liés aux principaux genres littéraires et non littéraires, de leur construction historique et des débats passés et actuels les concernant ;
923. complémentairement, une accentuation du travail sur les compétences les plus « transversales » prescrites par le programme du 3e degré, à savoir l’écrit argumenté, la recherche documentaire et l’exposé oral. « Accentuation » signifie que, dans le cadre de ces compétences-là, il s’agirait de confronter les élèves à des travaux de longue haleine, qui les obligent à s’organiser, à faire preuve d’autonomie et de créativité. Il s’agirait ainsi d’amener davantage les élèves à présenter un examen oral qui soit l’exposé d’une recherche.
93Un autre exemple, plus spécifique, est celui de ce que j’ai appelé le face-à-face poétique70. Dans cette activité-cadre, l’élève est invité à choisir deux poètes modernes, puis à lire deux de leurs recueils, afin de pouvoir ensuite comparer leurs formes et leurs contenus, puis à confectionner une mini-anthologie et à rédiger deux analyses de textes. Un tel travail peut ensuite faire l’objet d’un exposé oral ou d’un montage poétique, individuel ou collectif. C’est là certes un projet qui prend du temps, mais qui apporte de la fierté et qui, par l’investissement qu’il suppose, laisse des traces,
944. Une place essentielle accordée à l’étude des savoirs, y compris sous l’angle de la mémorisation, dont on s’avise de plus en plus aujourd’hui qu’elle ne constitue nullement une habileté cognitive de bas niveau dont on pourrait faire l’économie, mais qu’elle est au contraire une dimension essentielle de tout apprentissage.
955. Un travail plus explicite sur la réflexivité et la métacognition, non pas comme démarche ponctuelle ni comme savoir-faire précis qu’il s’agirait d’évaluer, mais comme composante de toute activité : il s’agit d’inviter l’élève à dire ce qu’il fait, pourquoi et comment, et par là à interroger constamment le sens de ses activités71.
96À ce propos et pour finir, je voudrais souligner qu’à mon sens, pour qu’un tel travail puisse vraiment produire ses fruits, il devrait aller de pair avec une relativisation, voire un abandon de certains mots d’ordre qui prévalent depuis une dizaine d’années dans les programmes, en particulier celui qui concerne les situations-problèmes. Il est symptomatique en effet de constater que certains de ceux qui ont promu cette notion dans les années 1990 sont aujourd’hui parmi les plus farouches adversaires de son application mécanique. C’est le cas par exemple de Marcel Crahay, dont Benjamin Nizet résume ainsi l’évolution :
Selon lui, les fameuses situations-problèmes relèvent de ce qu’il appelle la complexité inédite : puisqu’il faut trouver des situations qui soient complexes et inédites afin d’exercer les compétences de l’élève, on exclut de ce fait les situations courantes, quotidiennes. On en arrive alors à une pédagogie de l’extrême en omettant les situations courantes. La métaphore utilisée par Crahay est à ce titre édifiante : d’après lui, la situation serait comparable à un chirurgien ne faisant pas preuve de compétence lorsqu’il réussit une opération pour la quarantième fois. A contrario d’une volonté de réussite pour tous, la pédagogie par compétences, en élevant les exigences pour des compétences extra-ordinaires, favoriserait un échec scolaire plus grand72.
97Crahay s’oppose ainsi à la tendance interdisciplinaire actuelle, en plaidant pour une restauration du disciplinaire, qu’il fonde sur une didactique en trois phases : 1° un apprentissage en contexte, 2° une transposition dans d’autres contextes, et 3° un retour réflexif sur les apprentissages.
98Je dirais volontiers que c’est là, à mes yeux aussi, le secret d’une préparation solide et porteuse de sens aux études universitaires.
3.7. En histoire de l’art : réponse de Marie-Émilie Ricker
- Dans le domaine de l’art, à la fin de la 6e année secondaire, les élèves doivent pouvoir utiliser de manière autonome et critique une méthode structurée d’analyse de l’œuvre d’art qui préconise l’induction et non la déduction. L’autonomie analytique vise à donner confiance dans la capacité à aborder personnellement les œuvres d’art de manière indépendante et proactive, en connaissant les spécificités du langage artistique. La rédaction organisée de l’analyse doit actualiser la maitrise du vocabulaire sensible et technique, la capacité à communiquer un propos nuancé, logique et raisonné.
- Il s’agit également de former les élèves à l’utilisation critique des sources disponibles sur internet et de les initier à l’utilisation critique des sources bibliographiques : ils doivent apprendre à discriminer l’essentiel de l’accessoire en sélectionnant de l’information pertinente et fiable.
- Tout au long des quatre années de la formation en histoire de l’art et en analyse esthétique, les élèves devraient gérer un portfolio personnel qui collationne, non seulement les travaux individuels d’analyse d’œuvres d’art, mais également, des rapports de visites et d’activités culturelles, de visites muséales et patrimoniales, de lectures, d’émissions télévisées, de films, de publicités, de concerts, de BD, de Webart/Netart, etc. Une partie des activités doit reposer sur des choix personnels argumentés et gagnerait à explorer l’actualité artistique, les arts non européens et les expressions artistiques novatrices. En fin de 6e, un travail de synthèse métacognitif avec une grille critériée vient clore le portfolio en permettant à l’élève de prendre explicitement conscience de son évolution, de l’analyser et de la discuter, notamment, en termes de savoirs et de savoir-faire cognitif, mais également en termes de développement des facultés sensibles, d’ouverture d’esprit, de sens critique, de sens social et d’intérêt pour l’art dans une esthétique pluraliste.
Notes de bas de page
58 « Analyse et pratiques du discours universitaire » (FLTR1540) donné par Francine Thyrion, Marielle Crahay et Sébastien Marlair. Le cours concerne tous les étudiants de première année en Faculté de Philosophie, Arts et Lettres, excepté les étudiants en langues germaniques et en langues modernes qui n’ont pas de français dans leur cursus.
59 Vieillevoye S., Wathelet V. & Romainville M. (2009), « Maitrise des prérequis et réussite à l’université », conférence prononcée le 1er décembre 2009 à l’occasion de la journée d’études Dialogues pour réussir la transition « secondaire-université, Namur, FUNDP.
60 Rapport général de l’inspection du secondaire (2009), p. 1.
61 « Même s’ils font un parcours scolaire qui le leur permettrait, les jeunes de milieux culturellement peu favorisés accèdent très peu à l’université » (Dupriez V. (2009), « La démocratisation de l’accès à l’université », conférence prononcée le 1er décembre 2009 à l’occasion de la journée d’études Dialogues pour réussir la transition « secondaire-université, Namur, FUNDP).
62 Nils F. (2009), « Qui veut peut ? À tester ! », conférence prononcée le 1er décembre 2009 à l’occasion de la journée d’études Dialogues pour réussir la transition « secondaire-université, Namur, FUNDP.
63 « Toute connaissance ou compétence qui s’avère cruciale pour la maitrise d’un cours, d’un programme… et considérée par les enseignants comme devant être acquise préalablement à l’entrée de l’université » (Wathelet V., Vieillevoye S. & Romainville M., op. cit.).
64 Conférence prononcée en avril 2009 lors de la remise des titres de docteurs honoris causa dans le cadre du 150e anniversaire des Facultés Saint-Louis (Bruxelles).
65 Cette assertion prudente s’appuie sur la fréquentation assidue des recherches récentes en didactique du français, incluant de nombreuses observations des pratiques enseignantes. Bien que ce ne soit pas ici le lieu d’y renvoyer plus explicitement, on peut néanmoins encourager le lecteur curieux à se diriger vers des collections comme Savoirs en pratiques aux éditions De Boeck, ou à parcourir les revues de didactique disponibles en ligne (comme Repères : http://www.inrp.fr/edition-electronique/archives/reperes/web/, et Lidil : http://lidil.revues.org/).
66 Sur ce sujet, cf. Marlair S. (2008), « Le “bon usage” ou le pouvoir du langage. Développer une “conscience pragmatique” pour favoriser la maitrise de l’écrit », Échanges, 16.
67 Cf. l’ouvrage de référence de Reuter Y. (2000), Enseigner et apprendre à écrire, Paris, ESF.
68 Cf. la notion de « Bon usage » notamment dans Marlair S. (2008), op. cit.
69 Ainsi, le célèbre et terrible « J’ai failli attendre » de Louis XIV au conducteur de son carrosse arrivé à l’heure précise, montre l’importance du passé composé et de l’usage de « falloir » comme auxiliaire modal introduisant « attendre », au sein d’une réplique d’une importance extrême dans son contexte. Cf. Marlair S. (2006), « Développer la maitrise du français transversal en situation scolaire au secondaire », Échanges, 9.
70 Cf. Dufays J.-L. & Rosier J.-M. (Éds.) (2000), Récit & Poésie – Manuel 5e-6e secondaires, Bruxelles, De Boeck, pp. 177-178 (Parcours et références).
71 Voir à ce propos les résultats éclairants d’une recherche collective qui s’est interrogée sur les enjeux de la réflexivité dans la transition secondaire-université : Bibauw S. & Dufays J.-L. (2010), « Les pratiques d’écriture réflexive en contexte de formation générale », Repères pédagogiques, 2 ; Slingeneyer M. (2010), « L’écriture réflexive dans le contexte de la transition secondaire université : enquête auprès des élèves et des étudiants », Échanges, 20.
72 Article en ligne posté en 2006 par B. Nizet sur www.enseignons.be.
Auteurs
Professeur retraitée de 6e secondaire en histoire de l’art et coauteur du programme de la FESeC
Professeur de littérature en 1re année de bachelier et de didactique du français à l’UCL
Ex-professeur de français de 6e secondaire et directrice de l’Institut Saint-André à Ixelles
Professeur de pratique du français en 1re année de bachelier à l’UCL
Professeur de didactique de l’histoire de l’art à l’UCL
Responsable du secteur français à la FESeC
Professeur d’histoire de l’art en 1re année de bachelier à l’UCL
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Identité professionnelle en éducation physique
Parcours des stagiaires et enseignants novices
Ghislain Carlier, Cecília Borges, Clerx Marie et al. (dir.)
2012
Progression et transversalité
Comment (mieux) articuler les apprentissages dans les disciplines scolaires ?
Ghislain Carlier, Myriam De Kesel, Jean-Louis Dufays et al. (dir.)
2012
La planification des apprentissages
Comment les enseignants préparent-ils leurs cours ?
Mathieu Bouhon, Myriam De Kesel, Jean-Louis Dufays et al. (dir.)
2013
Le plaisir de chercher en mathématiques
De la maternelle au supérieur, 40 problèmes
Laure Ninove et Thérèse Gilbert (dir.)
2017
La pratique de l’enseignant en sciences
Comment l’analyser et la modéliser ?
Manuel Bächtold, Jean-Marie Boilevin et Bernard Calmettes
2017
Vers l’interdisciplinarité
Croiser les regards et collaborer dans l’enseignement secondaire
Myriam De Kesel, Jean-Louis Dufays, Jim Plumat et al. (dir.)
2016
Didactiques et formation des enseignants
Nouveaux questionnements des didactiques des disciplines sur les pratiques et la formation des enseignants
Bernard Calmettes, Marie-France Carnus, Claudine Garcia-Debanc et al. (dir.)
2016
Donner du sens aux savoirs
Comment amener nos élèves à (mieux) réfléchir à leurs apprentissages ?
Jean-Louis Dufays, Myriam De Kesel, Ghislain Carlier et al.
2015
L’apprentissage en situation de travail
Itinéraires du développement professionnel des enseignants d’éducation physique
Ghislain Carlier (dir.)
2015
Le curriculum en questions
La progression et les ruptures des apprentissages disciplinaires de la maternelle à l’université
Myriam De Kesel, Jean-Louis Dufays et Alain Meurant (dir.)
2011
Les voies du discours
Recherches en sciences du langage et en didactique du français
Francine Thyrion
2011