Repérages énonciatifs et pronoms personnels
p. 111-128
Remerciements
Pour Michel Brossard
Texte intégral
1Cet article a pour objectif de mettre en évidence les rapports entre traitement linguistique et prise en compte de la dimension cognitive de l’activité de langage, sur un point précis, celui des pronoms (nous nous limiterons ici au français). Nous partirons de l’analyse des pronoms par Benveniste et nous dissocierons d’une part la double bipartition qu’il opère entre les pronoms et d’autre part l’assimilation qu’il fait entre énoncer et manifester sa subjectivité. Nous conserverons le premier point et nous abandonnerons le second. Nous verrons alors comment investir cette répartition des pronoms dans une théorie des repérages énonciatifs dont nous fournirons une esquisse et qui repose sur l’opposition entre égocentration et allocentrations (termes remplaçant ceux de nynégocentrisme et d’allocentrismes de Damourette et Pichon1)• Cette théorie des repérages permet d’envisager non plus un sujet qui manifeste sa subjectivité comme chez Benveniste mais un sujet socialisé et plongé dans des situations déterminées. Elle permet aussi de considérer l’énonciation comme une combinatoire d’égocentration et d’allocentrations. Nous terminerons par quelques considérations sur la socialisation du sujet manifestée par ces/ses repérages.
2Donnons tout d’abord deux précisions quant à la conception de la linguistique mobilisée ici. D’une part, nous voyons deux grands paradigmes à l’œuvre tout au cours de l’histoire de la grammaire (fondée sur l’étude des grammata et donc des mots qu’ils soient considérés en tant que tels ou mobilisés par l’oratio perfecta, la phrase) puis de la linguistique (fondée sur l’étude des linguae) 2. L’un de ces deux paradigmes est de type anthropologique. Il regroupe bien évidemment les approches de type sociolinguistique mais aussi – bien qu’elle ne soit en rien sociolinguistique – la conception de l’énonciation qui sera défendue ici. L’autre est de type formaliste et recourt fréquemment à la métaphore informatique pour comprendre l’esprit humain. Toutefois, malgré notre position « anthropologisante », nous ne récuserons pas totalement la métaphore informatique qui nous paraît partiellement fondée mais insuffisante.
3D’autre part, nous considérons qu’il y a opposition – au sein des théories de l’énonciation existantes – entre une conception subjectiviste (représentée notamment par Kerbrat Orecchioni 1980 et, dans une moindre mesure, par Benveniste) et une conception socialisante de l’énonciation (qui était celle de Damourette et Pichon et qui est probablement celle de Culioli) que nous ferons nôtre. Nous allons tout d’abord essayer de mettre en évidence le fait que Benveniste3 a fourni une analyse doublement binaire qui est fort utile mais qui n’empêche pas certaines confusions.
4On voit souvent dans l’analyse de Benveniste une analyse ternaire du type de celle de la figure 1. Une lecture attentive de l’article de 1946 montre que cette lecture est erronée et qu’il faut lui substituer une analyse doublement binaire qui oppose je à tu (première opposition binaire) et le couple – au sens mathématique – (je, tu) à il (deuxième opposition binaire) comme dans la figure 2.
5Cependant, le texte de Benveniste comporte certaines ambiguïtés qui ne rendent pas aisée la reconnaissance immédiate de la figure 2. Il s’agit des emplois du terme « personne ». D’une part, le pronom il est un pronom personnel et correspond donc à une « personne grammaticale ». D’autre part, le pronom il est une « non personne de la communication ». Malheureusement, Benveniste n’adopte jamais une position aussi claire. On trouve ainsi : « la 3e personne est, en vertu de sa structure même, la forme non-personnelle de la flexion verbale » (1966, p. 230). Que peut être cette personne qui est une non personne ? Benveniste utilise successivement « 3e personne » et « non personne », répétant qu’il faut la distinguer des deux autres personnes qu’elle soit la seule marquée, la seule non marquée ou marquée différemment des deux autres. Une formule semble cependant se dégager à la lecture attentive de l’article de 1946 : « personne verbale » qui présente deux occurrences (1966, pp. 229,235) dont la première doit être reprise ici car elle contient une caractérisation par « véritable » : « [...] la troisième [personne] [...] est toujours traitée différemment et non comme une véritable “personne” verbale »4 (1966, p. 229). Le terme verbale est lui aussi ambigu. S’agit-il de verbal au sens de parole et donc de communication (premier sens de verbum) ? S’agit-il de verbal au sens de verbe (deuxième sens de verbum choisi par les grammairiens latins pour traduire le grec rhêma) ?
Figure n° 1 – Lecture erronée de Benveniste 1946

Figure n° 2 – Lecture correcte de Benveniste 1946

6Pour nous ces ambiguïtés sont importantes car elles mettent en évidence ce que Benveniste dit ailleurs, dans l’article de 1956 où il lie « je-tu » à l’« ici-maintenant » (sans aucune mention de Damourette et Pichon qui sont pourtant à l’origine du « moi-ici-maintenant » en linguistique, cf. Portine, 1992) et dans l’article de 1958 qui lie personne et subjectivité. C’est très exactement sur ces deux points que nous nous séparerons de Benveniste, d’une part parce qu’on ne saurait limiter la question du « moi-ici-maintenant » à l’opposition « je-tu », d’autre part parce que le pronom je ne signifie pas la subjectivité mais le repérage égocentré (ce qui est très différent) et que ce pronom peut aussi bien signifier la position d’un je socialisé qu’une position subjective (« je trace un triangle rectangle » n’a rien de subjectif alors que « moi, je persiste à penser que j’ai raison » est l’expression d’une subjectivité). Notre position sera la suivante : le pronom je exprime un sujet contextualisé socio-situationnellement et les paramètres de cette contextualisation (qui peuvent être ou non linguistiquement lisibles) déterminent le degré de subjectivité et d’objectivation du sujet.
7La question des repérages égocentrés ou allocentrés viendra un peu plus loin, lorsque nous reprendrons la position de Damourette et Pichon. Avant de poursuivre, nous voudrions clairement préciser l’opposition entre « personne grammaticale » et « personne de la communication » (formule qui n’est d’ailleurs guère heureuse, peut-être faudrait-il parler d’actant ou d’acteur de la communication) qui est la seule opposition qui nous semble devoir être conservée des analyses de Benveniste sur les pronoms. Pour ce faire, nous recourrons à une littérature peu présente en linguistique ou en psychologie, Astérix. La bande dessinée « Le domaine des dieux » commence par les vignettes suivantes :
8Les vignettes 1 et 2 posent le cadre.
Vignette 3 : | Jules César annonce (en utilisant le pronom je) qu’il va rappeler sa conquête de la Gaule. |
Vignette 4 : | Jules César rappelle sa conquête de la Gaule (en utilisant le pronom il). |
Vignette 5 : | Un jeune homme à un ancien : « De qui parle-t-il ? » |
Vignette 6 : | Le jeune homme à Jules César : « Il est formidable ! » |
9Analysons rapidement cet échange. Jules César parle, devant une assemblée, de lui à la troisième personne, ce qui signifie qu’il traite cette assemblée comme un objet du monde indistinct (l’entourage mondain) et qu’il se situe lui aussi comme un objet du monde (du monde de l’Histoire). Le jeune homme s’adresse à lui en utilisant, par déférence, cette troisième personne, mais il installe en même temps avec Jules César un rapport de communication,
10ce qui rend incompréhensible cette troisième personne et qui provoque la réaction d’incompréhension de Jules César (« Qui ça ? »). Le jeune homme rectifie alors en précisant « Ben... Vous ! ». Jules César se rend compte alors qu’il est en train d’entrer en communication avec le jeune homme et réinstaure aussitôt une distance qui coupe toute communication en disant « Ah !... Lui ! ». Nous avons la succession représentée à la figure 3.
Figure n° 3

11La figure 3 correspond à une conception de la communication et de l’emploi des pronoms qui est représentée par la figure 4. Dans cette dernière, l’ellipse représente la « sphère de la communication » qui associe je et tu (tu étant construit par je) et dont sont exclus les objets du monde et les individus désignés par il. Cette sphère de la communication n’est pas un espace physique mais définit un rapport construit par l’énonciateur. En effet, si je suis avec Jacques et avec Marie et si je dis à Marie, en parlant de Jacques, « il vient d’arriver », Jacques est présent dans l’espace physique partagé par nous trois, Marie, lui et moi-même, mais il est absent de la sphère de communication que je construis en énonçant « il vient d’arriver » et que ne partagent que Marie et moi-même.
Figure n° 4

12Pour reprendre une formulation sur laquelle nous allons revenir, les repérages opérés à partir de je sont des repérages égocentrés (il ne faut pas confondre égocentré et subjectif) et les repérages opérés à partir de il sont des repérages allocentrés. Lorsque ces repérages seront marqués par la subjectivité, on pourra les appeler autocentrés. Remarquons qu’il ne peut y avoir de repérages opérés à partir de tu.
13Il faut prendre garde au fait que l’emploi de il opère une a-distinction5 qui n’est pas toujours positive (exemple de valeur positive : Jules César parlant de lui-même en il et signifiant ainsi « vous n’êtes pas digne de converser avec moi »). L’emploi de il peut être neutre. C’est le cas lorsque nous disons « Tiens, Paul n’est pas venu ; il aura eu un empêchement ». L’emploi de il peut aussi avoir une valeur péjorative. La vie courante nous en offre de nombreux exemples. Quelqu’un nous bouscule et nous disons « qu’est-ce qui lui prend (à) celui-là ? ». En parlant ainsi nous excluons celui qui nous bouscule de la sphère de communication : il n’est pas digne d’être notre interlocuteur. Mais ce faisant nous lui signalons notre mécontentement. Il peut alors réagir par un brutal « t’es pas content ? » auquel nous pouvons répondre par « je ne t’ai pas parlé » autorisé par l’emploi du pronom il dans notre première réplique.
14La distinction de je dans le rapport « je-tu » et la distinction du couple (je/tu) dans le rapport « (je/tu)-il » nous amènent à une opposition faite par Damourette et Pichon, celle entre nynégocentrisme (que nous remplacerons par égocentration) et allocentrisme (que nous remplacerons par allocentration)6.
15« Le langage est naturellement centré sur le moi-ici-maintenant, c’est-à-dire sur la personne qui parle s’envisageant au moment même où elle parle ; c’est ce qu’on peut appeler le nynégocentrisme naturel du langage. Néanmoins, nous avons déjà vu et nous verrons que, dans diverses provinces de la pensée-langage, l’esprit fait effort pour s’évader de ce centrage, pour se référer à un autre centre : il tend ainsi à se créer des allocentrismes. » Dans ce passage, Damourette et Pichon (1936, § 1604) posent les principes du repérage par le langage. Donnons quelques exemples :
(1) Je parle à Paul, pas à toi
(2) Hier, Jacques a mangé de bon appétit
(3) L’an dernier, je vivais à la montagne
(4) L’an dernier, Jacques faisait une promenade chaque jour (5) Quand je l’ai vu, Paul lisait
16En (1), on a une véritable égocentration : le locuteur se pense et se présente comme le repère premier à la fois sur le plan de la personne (je) et du temps (le « maintenant » de sa parole), mais aussi implicitement sur le plan spatial (le lieu de la parole). En (2), nous avons allocentration à la fois du point de vue temporel (le repère choisi est hier) et du point de vue personnel (le repère choisi est Jacques). En (3), l’énoncé mêle égocentration (plan personnel avec je) et allocentration (plan temporel avec l’an dernier). L’exemple (4) ne diffère de l’exemple (3) que par l’itération présente dans l’emploi de l’imparfait et par l’emploi de chaque (jour). Précisons ce point avant de traiter l’exemple (5).
17Dans le commentaire qui précède, nous avons laissé de côté les repères liés aux temps verbaux (en ne mentionnant que ceux qui étaient construits lexicalement). Or l’emploi du passé composé en (2) implique un double repérage croisant égocentration et allocentration : l’énoncé implique un « et aujourd’hui ? », autrement dit un état résultant (représenté par des hachures dans la figure 5) qui est égocentré (repéré par rapport au « maintenant » de la locution) ; le passé composé parle d’hier et de ce fait est aussi allocentré7.
Figure n° 5 – Représentation de l’exemple 2

18En revanche, l’imparfait ne présente pas cette double centration possible avec le passé composé. Il est uniquement allocentré. Les imparfaits de (3), « l’an dernier, je vivais à la montagne », et de (4), « l’an dernier, Jacques faisait une promenade chaque jour », sont uniquement centrés sur « l’an dernier ». En (4), l’itération du procès ne doit pas nous aveugler. Elle ne divise pas la représentation de ce procès mais elle morcelle l’intervalle représentant le procès. Toutes les manifestations du procès sont reliées en un ensemble centré sur « l’an dernier ». C’est pourquoi l’imparfait itératif n’est pas une des valeurs de l’imparfait : l’itération se greffe sur l’imparfait. La seule différence entre les imparfaits de (3) et de (4), c’est la subdivision de l’imparfait de (4) en une itération indéfinie (même si l’on a « chaque jour »), d’où l’impossibilité de « *l’an dernier, Jacques faisait une promenade 365 fois ». En fait, il faudrait affiner cette analyse et montrer pourquoi la possibilité de « il s’asseyait et se levait trois ou quatre fois puis il allait à la fenêtre » ne contredit pas ce qui vient d’être dit (mais cet article n’est pas un article sur l’imparfait).
19Venons-en à (5), « quand je l’ai vu, Paul lisait ». Avant d’en proposer une représentation géométrique (que nous reprenons de Portine 1996a, p. 19), remarquons que cet énoncé peut s’intégrer au dialogue suivant :
(6) A : Tu sais ce que fait Paul ?
B : Quand je l’ai vu il lisait
20Dans le mini-dialogue (6), il n’est pas dit ce que fait Paul au moment de l’interlocution. Trois solutions sont possibles : (a) il a terminé de lire, (b) il est en train de terminer de lire, (c) il n’a pas terminé de lire. En fait, on ne peut savoir s’il a terminé de lire que si des précisions sont données sur le réel. Premier exemple : « Hier, quand je l’ai vu, Paul lisait ». Tout porte à croire qu’il a terminé de lire (il peut avoir recommencé) : rares sont les individus pouvant lire d’une traite pendant deux journées consécutives. Deuxième exemple : « Quand je l’ai vu, il y a un instant, Paul lisait ». Tout porte à croire que Paul lit encore (sauf s’il est instable chronique). On voit donc que l’énoncé « Quand je l’ai vu, Paul lisait » ne porte en lui-même aucune indication sur l’instant d’arrêt de la lecture de Paul, que – littéralement – cet instant est passé sous silence par l’énonciateur. Autrement dit, la fin de la lecture de Paul n’est pas repérée dans l’énonciation de « Quand je l’ai vu, Paul lisait ». Si nous représentons cet énoncé sur un seul axe, nous allons être très ennuyé : nous devrons soit positionner la fin de la lecture avant t0, soit positionner la fin de la lecture après t0. Le seul moyen d’éviter de prendre une décision qui modifie la signification de l’énoncé est de recourir à deux axes comme dans la figure 6. Les crochets, tels qu’ils sont disposés dans « ] b1, b2 [ » (« b » se lit « borne »), indiquent un intervalle ouvert, c’est-à-dire un procès dont le début et la fin ne sont pas précisés, comme c’est le cas avec l’imparfait. Dans la figure 6, « ]b1 b2 [ » correspond à « Paul lisait ». L’instant t() correspond au « maintenant » de l’énonciation. L’instant t correspond au moment de la vue de Paul par le locuteur. Les deux axes coïncident en t. Comme dans un système d’inéquations, le fait que t0 et b2 soient localisés tous deux après t a pour conséquence de ne pouvoir dire dans quel ordre t0 et b2 ont lieu.
Figure n° 6 – Représentation de « Quand je l’ai vu, Paul lisait »

21Remarquons rapidement que la figure 6 a une double lecture : géométrique et cognitive. Du point de vue cognitif, elle suppose que l’esprit humain (mind) peut manipuler en parallèle des repérages temporels.
22Le fait que l’imparfait en français permette de ne pas ordonner b2 (la fin de l’action de lire) et t0 va rendre possibles les emplois futuraux de l’imparfait, comme dans « Et s’il pleuvait demain, qu’est-ce qu’on ferait ? » ou dans « T’arrêtais tes études l’an prochain, tu faisais une sacrée erreur » (dit par un étudiant à un camarade qui a d’abord pensé arrêter ses études puis qui est revenu sur sa décision) ou encore dans « Je suis invité chez Georges ce soir, dommage, il y avait Arsenic et vieilles dentelles à la télé ». On peut voir ainsi comment les temps verbaux offrent des repérages assez fins, à la fois dans ce qu’ils précisent et dans ce qu’ils passent sous silence (non parce qu’ils sont inadéquats mais parce que, parfois, une stratégie discursive donnée nécessite de passer sous silence tel ou tel aspect du réel que l’énoncé représente).
23Avant de poursuivre sur une esquisse d’une théorie des repérages énonciatifs, il nous faut apporter quelques précisions sur cette métaphore du repérage. Une vision erronée en serait un calque du repère cartésien dans une géométrie euclidienne à trois dimensions comme c’est le cas dans la figure 7. À cette représentation, nous préférerons celle de la figure 8. En effet, une représentation telle que celle de la figure 7 entraîne une vision numérique de l’allocentration. Un axe d’un repère cartésien correspond à une échelle de 0 à n avec une unité déterminée. Par exemple, je peux utiliser ce repère pour préciser la position d’un point dans l’espace. Je définirai d’abord mon repère puis je lui attribuerai une unité de longueur (le centimètre pour un espace de petites dimensions, le kilomètre pour un espace de plus grande dimension, etc.). Je pourrai alors dire que tel point de cet espace a pour coordonnées x = 3 cm, y = 5 cm, z = 4 cm, par exemple. Ce point repéré peut devenir à sont tour l’origine d’un nouveau repère cartésien.
Figure n° 7 – Un modèle erroné, le repère cartésien

24Ce type de structuration de l’espace ne correspond absolument pas au couple (égocentration, allocentration). Il n’y a pas à chaque fois n cas possibles ordonnés correspondant à une échelle numérique. Il n’y a à chaque fois que deux possibilités. Nous dirons que la distance entre repère égocentré et repère allocentré est (0, 1) (et non [0, 1] qui permettrait tous les nombres réels intermédiaires entre 0 et 1). C’est pourquoi, à la suite de Culioli, nous préférerons la représentation métaphorique de la figure 8 (utilisée par Culioli dans ses séminaires).
Figure n° 8 – Un modèle métaphorique pour les repérages énonciatifs

25Ce qui va différencier deux allocentrations, ce n’est absolument pas sa plus ou moins grande distance de l’égocentration. Par exemple, dans « L’an dernier, je faisais du vélo » et dans « Il y a deux ans, je faisais du vélo », le fait que « il y a deux ans » soit plus éloigné dans le temps que « l’an dernier » par rapport au « maintenant » de l’énonciation, n’a aucun intérêt du point de vue des repérages énonciatifs (cela aura toutefois de l’importance et de l’intérêt pour la chronologie de ma vie). Dans les deux cas, la distance de l’allocentration est de 1 (c’est-à-dire « différent de ») par rapport au 0 de l’égocentration. Ce qui va opposer les repères « l’an dernier » et « il y a deux ans », autrement dit ce qui va différencier deux allocentrations, ce sont leurs modes de référenciation (comment le référent du repère est construit).
26Faisons une petite précision terminologique : un repère énonciatif, qu’il soit égocentré ou allocentré, est constitué de trois repérages : un repérage personnel, un repérage spatial, un repérage temporel. Autrement dit, un repère égocentré se définit par les référenciations du < moi – ici – maintenant >. Un repère allocentré se définit par au moins une référenciation différente. On aura ainsi les différents cas de la figure 9, c’est-à-dire un repère égocentré et sept méta-repères allocentrés. Pourquoi parle-t-on de « repère » dans le cas de l’égocentration et de « méta-repères »8 dans le cas de l’allocentration ? Le singulier et l’absence de « méta- » pour l’égocentration s’expliquent par l’unicité des repérages égocentrés : il n’y a qu’un « je parlant », qu’un « maintenant » de l’énonciation, qu’un « ici » de l’énonciation. En revanche, l’allocentration est marquée par son caractère multiple. Il y a sept modes de distanciation (distance 1) et chaque mode correspond, nous l’avons déjà vu et nous allons en reparler, à une infinité de référenciations possibles. Reprenons l’exemple donné ci-dessus : « l’an dernier » et « il y a deux ans » sont deux référenciations différentes (parmi une infinité) de la distance temporelle énonciative notée par le nombre 1.
27Il ressort de ce qui vient d’être dit que, dans la figure 9, « je », « il », « ici », « là », « maintenant » et « t différent de t0 » ne sont pas des mots de la langue française, mais des métatermes. Ils désignent l’ensemble (fini) des réalisations nominales, pronominales, adverbiales, verbales possibles et l’ensemble (infini) des référenciations possibles. Les composants du triplet < moi – ici – maintenant > correspondent donc chacun à un binôme dont la distance entre l’élément distingué et l’élément non distingué est 1. Ainsi, le couple (je, il) correspond à (0, 1). On remarquera l’absence de tu dans la figure 9. Il en est ainsi parce que le pronom tu ne fonde pas un repérage particulier mais est le doublet inhérent au repérage par je (cf. tu est construit par je). On le voit bien dans la figure 4. Cela est bien évidemment lié au fait que l’ensemble {je, tu, il} n’est pas un triplet mais un couple dont l’un des éléments est lui-même un couple : ((je, tu), il), ce qui n’est qu’une autre façon de dire ce que nous avons vu au début (le fait que Benveniste ne procède pas à une opposition ternaire mais à une double opposition binaire). C’est pourquoi – si la formule < il – ici – maintenant > est bien une instanciation du triplet < moi – ici – maintenant > – la formule < tu – ici – maintenant > ne voudrait strictement rien dire et donc ne peut avoir d’existence. Le pronom tu ne correspond pas à une allocentration mais à une décentration par rapport à je (ce qui signifie que le pronom tu ne peut se penser sans référence directe à je).
Figure n° 9

28L’énonciation repose sur une combinatoire d’égocentration et d’allocentrations. Cette combinatoire est directement lisible dans le jeu des déictiques et de certains anaphoriques. Elle est indirectement lisible dans certaines anaphores (comme l’anaphore associative) et dans le jeu temporalo-modal (lorsque la temporalité n’est pas construite déictiquement).
29La théorie des repérages énonciatifs que nous venons d’esquisser (et que nous avions évoquée dans notre introduction à Portine 1996b) est-elle celle de Damourette et Pichon ? Oui et non. Oui, parce qu’elle est fondée à la fois sur leur opposition – qui n’est jamais radicale, ce qui est très important – entre nynégocentrisme (notre égocentration) et allocentrismes (nos allocentrations), et sur la conception qu’ils se font des allocentrations. Cette absence de coupure radicale entre égocentration et allocentrations revient à nier toute coupure radicale entre deixis et anaphore (nous allons y revenir). Non, cette théorie des repérages énonciatifs n’est plus tout à fait celle de Damourette et Pichon, pour trois raisons. D’abord, ils ne font pas de différence entre décentration et allocentration, alors que pour nous il y a allocentration énonciative entre je et il et décentration (non énonciative) entre je et tu. Ensuite, pour eux, les repérages forment un mode d’envisagement de la matière pensable et non un véritable mode de construction d’une représentation du monde et de l’action sur le monde (ce qui englobe leur point de vue). Enfin, leur division des pronoms est termaire (je, le locutif – tu, l’allocutif – il, le délocutif) et non doublement binaire : cette division ternaire attribue la même position à tu qu’à je et à il. S’ajoute bien évidemment à ces trois raisons le fait qu’ils n’emploient jamais le terme énonciation. Mais ceci ne nous semblerait pas une bonne raison par elle-même parce que la notion peut se rencontrer sous une autre terminologie.
30Cette théorie des repérages énonciatifs est-elle celle de Culioli ? Cette question est beaucoup plus complexe que la précédente. Vraisemblablement, oui et non. Oui, parce qu’elle correspond assez bien à ce que développait Culioli dans ses séminaires dans les années 1974-1977 (du moins dans nos notes d’alors et dans notre souvenir). Non, parce que Culioli a vraisemblablement renoncé à l’élaboration d’une théorie précise des repérages au début des années 80 lorsqu’il s’est tourné vers un modèle plus structural9 fondé sur le mouvement entre I (intériorité) et E (extériorité), la difficulté à mettre en place une théorie précise de l’opérateur epsilonn ayant sans doute déjà joué un rôle dans ce renoncement à la fin des années 70. On remarquera simplement que :
l’article de 1973 voyait dans le discours rapporté l’un des fondements d’une théorie des repérages, ce qui correspond assez bien à ce que l’on a ici ;
la communication de 1982 (dans un colloque au Japon) fonde une conception des repérages uniquement sur l’opérateur epsilonn ;
la transcription du séminaire de DEA de 1975-1976 fait une grande place aux repérages (notamment aux pages 65, 219 et 240) et le terme repérage se trouve dans l’index ;
les notes du séminaire de DEA de 1983-1984 ne comportent plus le terme repérage dans l’index mais un chapitre est consacré aux repères fictifs en utilisant les plans que nous avons repris dans la figure 8.
31Résumons les positions défendues ici :
Benveniste nous offre une opposition doublement binaire que nous conserverons mais présente deux défauts (a) le fait d’associer étroitement je et subjectivité, (b) une coupure radicale entre je et il (nous allons revenir sur ce point) ;
Damourette et Pichon nous proposent une véritable théorie des repérages notamment en associant je et mode de repérage (et non subjectivité) et en voyant une discontinuité qui n’est pas radicale entre nynégocentrisme et allocentrisme, c’est-à-dire une opposition entre deux modes de repérages, mais ils mettent tu sur le même plan que je et il ;
Culioli a fourni un cadre métaphorique (les plans) et a montré les liens entre repère premier et repère second dans le discours rapporté (1973).
32Revenons sur les rapports entre deixis et anaphore. Y a-t-il coupure radicale, comme le soutient la vulgate en la matière (à laquelle adhérait Benveniste), ou deux pôles dans un rapport discontinu ? Les allocentrismes de Damourette et Pichon ne sont pas en rupture avec le nynégocentrisme mais proposent des actualités différentes de celle du nynégocentrisme. On trouve une certaine parenté entre cette conception et l’opposition entre exophore et endophore des linguistes anglo-saxons (par exemple Halliday et Hasan, 1976) qui ne partent pas des mots mais de l’opération de référenciation. Notons que la division entre deixis et anaphore repose souvent sur des oppositions du type hier/la veille. Or si l’opposition est effectivement nette dans ce cas, on rencontre aussi beaucoup d’exemples pour lesquels la distinction radicale s’estompe. Ainsi – et bien que Benveniste ait vu dans le couple (je, il) l’opposition entre deixis (repérage purement situationnel) et anaphore (repérage co-verbal) – la stricte anaphoricité co-textuelle de il paraît remise en cause par des exemples comme (7) et (8) et donc ne plus avoir cette propriété comme caractère définitoire, même si je n’est bien que déictique.
(7) Attention ! Ne t’approche pas. Il est dangereux (emploi de il sans antécédent prononcé par le père dans la situation où le fils s’approche trop près d’un chien) (Kleiber, 1994, p. 24, ex. 8)
(8) à Paris, ils roulent comme des fous .
Kleiber, 1994, p. 163 et suiv
33Les exemples tels que (7) ont d’ailleurs fourni un argument pour le remplacement d’une conception textuelle de l’anaphore par une conception « mémorielle » ou « cognitive ». L’opposition faite par Benveniste entre il et je-tu repose sur une conception textuelle et se voit opposer les exemples (7) et (8) comme contre arguments. La différence entre je et il n’est pas une différence explicitable par l’opposition entre situation et co-texte (comme le faisait Benveniste) mais repose sur une différence de degré entre situation et co-texte10, un peu comme s’il existait des co-textes virtuels. Cela implique qu’il n’y a pas coupure radicale entre deixis et anaphore mais une sorte de continuum avec discontinuités.
34Cette absence de coupure radicale entre deixis et anaphore, même s’il y a discontinuité, a une conséquence : l’importance des données cognitives, et donc des facteurs pragmatiques, dans l’interprétation des marques déictiques et anaphoriques. Cette affirmation semble aller de soi pour la deixis. Elle paraît moins évidente pour l’anaphore mais est tout à fait cohérente avec les exemples de Kleiber, (7) et (8), et avec des reprises comme « La sentinelle [...] il », à distinguer de la séquence « La sentinelle, elle [...] » dans laquelle la proximité entre « sentinelle » et le pronom va entraîner le respect du genre « formel » de « sentinelle ».
35Il faudrait aussi mettre en parallèle la théorie des repérages énonciatifs présentée ici et les études sur l’acquisition des pronoms (voir Charney, 1980 ; Tanz, 1980 ; Kail, 1983 ; Tfouni et Klatzki, 1983 ; Rabain-Jamin et Sabeau-Jouannet, 1989 ; Eisele et Lust, 1996 ; Jakubowicz et al., 1996 ; Oshima-Tanake, Tanake et Shultz, 1999 ; Campbell, Brooks et Tomasello, 2000). Il faudrait aussi mettre l’appareillage énonciatif en rapport avec les études sur la résolutiondes pronoms (cf.M. K. Kertoy, 1991 ;Greene,McKoonetRatcliff, 1992), en prenant en compte les paramètres textuels et discursifs.
36Construire une théorie des repérages, c’est aussi construire une théorie de la socialisation du sujet11. C’est sans doute pour cette raison que M. Yaguello a traduit le russe vyskazyvanje (qui signifie opinion, déclaration) par énonciation dans Le marxisme et la philosophie du langage de Bakhtine (Volosinov – Bakhtine 1929). Cette traduction est-elle bonne ? Elle permet de comprendre le refus de Bakhtine d’associer systématiquement acte de parole d’un sujet et subjectivité (cf. notamment le chapitre 6 de l’ouvrage de Bakhtine). Mais elle ne correspond sans doute pas à l’emploi de vyskazyvanje à l’époque de Bakhtine.
37Il y a interaction entre moi et le monde. Comme l’écrit Piaget, « l’intelligence ne débute [...] ni par la connaissance du moi ni par celle des choses comme telles, mais par celle de leur interaction » (1937, p. 311). Mais ce que néglige Piaget, par sa conception de l’égocentrisme12 enfantin, comme le montre Vygotski (1934), c’est que les choses c’est aussi mon entourage social. Je me constitue en repère vis-à-vis de l’autre que je peux soit dégager de mon entourage mondain pour en faire un tu soit englober dans le monde par un il. Il y a là deux manifestations différentes de mon altérité. Cette altérité à l’autre je peux la construire sur le mode du tu et en faire mon « partenaire » dans la communication, je peux aussi la construire sur le mode de l’altérité radicale avec il ou on, comme dans le cas où quelqu’un me bouscule (cf. plus haut) ou lorsqu’un garçon de café s’approche d’un client en disant « alors, on veut payer ! ». Il existe même des manifestations très fortes de cette altérité radicale, comme lorsqu’un schizophrène utilise le conditionnel pour « couper » tout rapport au monde et donc pour « se désocialiser » (Portine, 2000).
38Il nous semble qu’une véritable théorie des repérages énonciatifs – qui ne se limiterait pas à la double opposition « (je-tu)-il » mais qui la réinscrirait dans le travail du sujet pour exprimer ses rapports au monde et au social – permettrait de mieux penser le rôle du sujet dans le développement en collaboration avec l’adulte (ou avec l’expert dans le cas de la formation d’adultes), ce que nous désignerons par « collaboration verticale », et en collaboration avec les « co-apprenants », ce que nous désignerons par « collaboration transversale » lorsque l’un des apprenants peut jouer le rôle d’expert et « collaboration conjointe » lorsque les apprenants s’épaulent mutuellement sans que l’un ou l’autre puisse assumer à un moment ou à un autre le rôle d’expert. L’étude des apprentissages linguistiques et de la formation des concepts quotidiens et scientifiques, comme la formation du self, font très certainement intervenir des repérages énonciatifs dans l’interaction du sujet avec le monde.
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Notes de bas de page
1 Les analyses présentées ici ont été développées à partir d’un cours sur le discours rapporté donné à l’Université Paris 3 au milieu des années 80. Elles doivent beaucoup à J. Authier, à A. Culioli, et à G. Kleiber. Qu’ils soient tous chaleureusement remerciés.
2 Rappelons que le terme linguistique apparaît en 1820, c’est-à-dire à l’époque où l’analyse du français, du grec, du latin et de l’hébreu a cessé de passer pour suffisante pour la compréhension du langage humain au profit d’une conception qui prône l’analyse de la diversité des langues.
3 Pour Benveniste nous avons procédé ainsi : lorsque nous renvoyons à la globalité d’une étude, nous donnons la date originelle qui est celle indiquée en bibliographie afin de respecter la genèse de la problématique ; lorsque nous citons un passage, nous donnons les références dans les rééditions de 1966 et de 1974, que l’on trouvera également en bibliographie, seules éditions aisément consultables.
4 Cette formulation est vraiment curieuse : véritable indique que l’on est au haut degré, il s’agit de ce que l’on peut vraiment appeler personne verbale ; les guillemets mis par Benveniste autour de personne indiquent qu’il faut prendre personne en un certain sens qui n’est pas le véritable sens de personne (il s’agit de ce que J. Rey-Debove a appelé connotation autonymique). Cette rhétorique benvenistienne est vraiment très étrange.
5 Distingué est employé ici au sens des logiciens. En ce sens, l’élément distingué est bien évidemment je.
6 Le terme nynégocentrisme vient du grec nun, maintenant, et ego, je. Le terme allocentrisme vient du grec allos, autre. Nous préférons le suffixe « -tion » qui permet d’évoquer un processus au suffixe « -isme » qui évoque un état.
7 En français, le passé composé peut avoir plusieurs valeurs. Ce qui est dit ici ne caractérise qu’une valeur de type présent perfect. Pour d’autres valeurs, on n’aura qu’allocentration.
8 Nous avons hésité entre « méta-repère » et « schéma de repères » (sur le modèle de la logique qui appelle « schéma d’axiome » un axiome du type « A ⸦D (B ⸧ A) » parce qu’il donne lieu à une infinité d’axiomes particuliers, comme « p ⸦ (q D⸧ p) » ou « (p v q) ⸦ ((r ʌ p) ⸧ (p v q)) » par exemple, dès lors que A et B sont bien toujours remplacés chacun par la même séquence. De la même façon, un « méta-repère » donne une infinité de repères par remplacement d’un métaterme par des référenciations déterminées. Nous avons cependant préféré « méta-repère » pour bien mettre en évidence le caractère métalangagier de ces repères.
9 Toute théorisation combine des aspects structuraux (l’organisation des objets) et des aspects fonctionnels (le rôle des structures d’objets) mais chaque théorisation associe un rôle prédominant soit à ses aspects structuraux, soit à ses aspects fonctionnels. Il nous semble qu’une théorie énonciative doive privilégier ses aspects fonctionnels.
10 Culioli avait bien vu ce continuum : dans les premières versions de sa théorie, il considérait que certains paramètres de l’extralinguistique donnaient Sit0 puis que l’échange verbal modifiait ce Sit0 en Sit1, et ainsi de suite. Cela présuppose que l’on considère le co-texte (terme que n’a presque jamais employé Culioli) comme fournissant des appuis pour la construction de la signification, au même titre que la situation extralinguistique.
11 Ce point ne sera pas développé ici pour deux raisons. Premièrement, l’enjeu de cet article était plus d’opposer, d’une part, Benveniste et sa conception subjectiviste du sujet et, d’autre part, Damourette, Pichon et Culioli qui voient dans le sujet un repère de l’activité discursive, travail préalable à la description de la socialisation du sujet par le langage. Deuxièmement, montrer que cette socialisation supposerait une collaboration entre linguiste et psychologue.
12 Égocentrisme ne doit être confondu ni avec nynégocentrisme ni avec égocentration.
Auteur
TELANCO – Université de Bordeaux 3.
Professeur de Sciences du Langage à l’Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3. Il a consacré de nombreux travaux au rapport entre logique et langage, ainsi qu’à une analyse des temps verbaux qui l’a amené à revisiter des linguistes comme Damourette et Pichon. Dans le cadre de l’équipe TELANCO, qu’il a fondée, il s’intéresse aussi bien au langage des signes en direction des sourds qu’au rôle de l’informatique en linguistique.
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