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    Plan détaillé Texte intégral Introduction De Elkonine à Davydov La théorie de l’apprentissage développemental La filiation avec Vygotski Conclusion Notes de bas de page Auteurs

    Vygotski et l’école

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    L’école, lieu de transmission des savoirs ? Réflexions sur l’héritage vygotskien en Union soviétique : le cas de V.V. Davydov

    Frédéric Yvon et Ludmila Chaiguerova

    p. 35-44

    Texte intégral Introduction De Elkonine à Davydov La théorie de l’apprentissage développemental La filiation avec Vygotski Conclusion Notes de bas de page Auteurs

    Texte intégral

    Introduction

    1Qu’on le déplore ou que l’on s’en réjouisse, on se trouve actuellement devant deux interprétations diamétralement opposées des travaux de Lev S. Vygotski (1896-1934), convoqué pour servir de caution scientifique avec certaines réformes dites socio-constructivistes, et alors que d’autres travaux (Brossard, 2004 ; Schneuwly, 2008) nous amènent sur d’autres voies.

    2Une première tradition interprétative initiée par les travaux de James Wertsch (1985), Michael Cole (1985), Barbara Rogoff (1995) et Jerome Bruner (1983) s’est développée dans les pays anglo-saxons et privilégie une lecture sociale des écrits de Vygotski. La thèse de la complémentarité entre Piaget et Vygotski est souvent rapidement adoptée (Rogoff, 1991). Si Piaget a posé les bases théoriques de la construction progressive et cumulative des structures mentales de la connaissance en interaction avec le monde des objets, Vygotski, grâce au concept de zone de développement le plus proche, a permis d’intégrer autrui dans la construction des connaissances et de théoriser l’activité de l’éducateur grâce au concept d’étayage (scaffolding) : en guidant l’élève, l’adulte permet d’explorer les potentialités imminentes de son développement, il active le développement de l’enfant, le soutien dans la conquête de ses apprentissages, accélérant ses conquêtes futures ou imminentes (Bruner, 1983). Cette interprétation ne se base que sur une seule citation, une notion (la zone de proche développement) et un ouvrage (Mind in Society). Tout Vygotski tiendrait en ces quelques pages, bien rapidement lues. Cette lecture peut néanmoins être discutée, voire contestée, sur la base de la lecture des Œuvres Choisies (en l’absence d’une édition des œuvres complètes de Vygotski1). On a pu prendre à cette occasion la mesure de l’ampleur des travaux de Vygotski, la diversité des thèmes, leur caractère inachevé.

    3Sur la base de ces textes, une autre interprétation a commencé à se faire jour, insistant sur l’importance de la transmission des concepts scientifiques à l’école, mettant donc au centre, non pas les interactions entre l’élève et le maître ou ses pairs, mais l’intériorisation des contenus académiques, non pas donc le cadre social de l’apprentissage, mais le devenir interne des contenus didactiques (Schneuwly, 2008 ; Brassard, 1999). S’est donc dégagée d’une lecture attentive et chronologique (Brassard, 2004), une autre interprétation du travail mené par Vygotski.

    4On se retrouve par conséquent devant deux lectures opposées des travaux menés par Vygotski. Cette controverse est saine et stimulante. Elle illustre le débat entre deux conceptions de l’école : une école qui transmet des connaissances ou une école qui cherche à aménager des situations d’apprentissage pour permettre à l’élève d’apprendre par lui-même en collaboration avec ses pairs et l’enseignement à partir de problèmes les plus authentiques possible qui sont un défi à son intelligence. Les protagonistes de ce conflit des interprétations de Vygotski travaillent dans des aires géographiques différentes et dans des langues différentes. Cette opposition un peu simplificatrice entre études anglo-saxonnes et études francophones (Brassard & Fijalkow, 2008) mérite un arbitre. Pourquoi ce malentendu qui consiste à faire de Vygotski un interactionniste social ? Il est tentant de déplacer ce débat stimulant dans les terres vygotskiennes et de le replacer dans son contexte d’élaboration : en URSS. Quelle interprétation de Vygotski y a-t-il eu, notamment dans le domaine des études pédagogiques ? Un premier indice peut être immédiatement convoqué : les textes qui composent le recueil Mind in Society sur lesquels se fonde principalement la première interprétation ont été sélectionnés par Alexander Luria (1902-1977), considéré comme l’un des deux disciples « officiels » avec Alexei Léontiev (1902-1979), formant ce que l’on a pris l’habitude d’appeler la « Troïka », dont l’existence même est contestée par certains historiens (Yaroshevski, 1995). Luria avait une connaissance intime des textes de son « maître » et a choisi avec soin les textes publiés en 1978. L’interprétation socio-culturelle a donc, sinon été cautionnée par Luria, au moins préparée, voire anticipée par ce dernier. À la lumière de cet indice, le conflit des interprétations entre deux traditions scientifiques se déplace au sein de la même famille théorique, au sein de l’école vygotskienne de psychologie qui a pris le nom d’école culturelle-historique en Russie. Si on intègre au débat les textes de Stetsenko (2002) qui prolongent la discussion sur la complémentarité entre Piaget et Vygotski et ceux de Zuckerman (2007), ancienne collaboratrice de Davydov, qui proposent une lecture interactionniste de la zone du développement prochain, on alimente le débat en donnant un avantage certain à une lecture socio-culturelle de Vygotski soutenue et développée en Russie également. Aurait-on vraiment mal lu Vygotski ? Un détour par la généalogie des idées s’impose en tentant de nous rapprocher au plus près de la postérité immédiate des idées vygotskiennes touchant l’éducation et la pédagogie.

    5Il ne s’agit ici que d’une investigation historique tout à fait partielle composante d’un programme de recherche plus large dont on trouvera des jalons dans différents textes : Chaiguerova (2010) sur la filiation entre Vygotski et Léontiev, Chaiguerova & Zinchenko (2012) sur l’évolution de la pensée de Vygotski et Chaiguerova, Zinchenko & Yvon (2012) sur l’héritage vygotskien dans les travaux d’Elkonine et de Galpérine. Ce texte s’inscrit dans cette réflexion et pourrait être considéré comme la troisième étape d’un travail plus large.

    6Quatre courants pédagogiques, se réclamant de la tradition vygotskienne peuvent être facilement identifiés : La théorie de l’apprentissage développemental (le système Elkonine-Davydov) (Davydov, 1986/2008) ; la théorie de la formation des concepts par Menchinskaya (Menchinskaya, 1966) ; lav base d’orientation et l’enseignement programmé (Galpérine, 1966 ; Talyzina, 1980) ; 4) Le système d’enseignement de L.V. Zankov (Zankov (1975/77, 1977). Nous nous arrêterons spécifiquement sur la première théorie.

    De Elkonine à Davydov

    7Davydov et Elkonine ont élaboré ensemble un programme d’éducation dans les années 60 qui a le statut de programme officiel (avec d’autres) encore actuellement en Russie (Elkonine, 1989/1999). Des écoles dans le monde se réclament de cette orientation curriculaire. Dans différents textes, Davydov présente ce système d’enseignement comme la traduction pratique des conceptions de Vygotski : « Ce fut Vygotski qui a formulé l’hypothèse originelle qu’il y avait une relation entre l’apprentissage et le développement mental de l’enfant, et la confirmation expérimentale de cette hypothèse a permis à ses successeurs de créer une théorie entièrement originale de l’apprentissage développemental » (Davydov, 1995, p. 8). Cette théorie est donc un produit de l’école vygotskienne et l’on doit au groupe de recherche dirigé par Elkonine, que Davydov rejoint en 1959, de s’être donné pour principale tâche d’« utiliser les méthodes de Vygotski pour créer des méthodes d’éducation des enfants en âge scolaire qui promeuvent le développement de leur activité, de leur conscience et de leur personnalité » (Davydov, 1994/98, p. 101).

    8D.-B. Elkonine (1904-1984) a travaillé directement avec Vygotski qu’il a connu à l’Institut pédagogique Herzen de Leningrad. Ses travaux les plus connus portent sur la psychologie du jeu (Elkonine, 1977/2005) dans lesquels il s’appuie fortement sur la piste de recherche dessinée par Vygotski dans une conférence donnée à l’Institut pédagogique en 1933 : Le jeu et son rôle dans le développement intellectuel de l’enfant. Vygotski y développe la notion d’activité directrice qui sera amplement utilisée par Léontiev dans Le développement du psychisme (1959/1976). Par activité directrice, Vygotski désigne non pas l’activité prédominante, mais celle qui donne son orientation au développement psychologique de l’enfant : « il me semble que du point de vue du développement, le jeu n’est pas la forme d’activité prédominante, mais, dans un certain sens, la source directrice du développement à l’âge préscolaire » (Vygotski, 1933/1967, p. 6). Dans le jeu, l’enfant imagine et crée, ce qui lui permet d’explorer des potentialités qui ne sont qu’à l’état naissant, c’est comme s’il était une tête plus haute que lui-même (Vygotski, 1933/1967, p. 16.). Le jeu tient donc à l’âge préscolaire la fonction des concepts à l’âge scolaire : il ouvre l’espace du développement le plus proche : « L’enfant progresse essentiellement grâce à l’activité de jeu. Dans ce sens seulement, le jeu peut être considéré comme l’activité directrice qui détermine le développement de l’enfant ». (Vygotski, 1933/1967, p. 16).

    9Sur la base de ce critère, Elkonine a poursuivi l’élaboration d’une périodisation du développement que Vygotski avait initiée à la fin de sa vie (Vygotski, 1934/2012). Cette périodisation a servi ensuite de base pour l’élaboration du programme de formation connu sous le nom de Elkonine-Davydov (Davydov, 1998). Dans cette périodisation, l’activité scolaire joue le rôle majeur pour le développement intellectuel de l’enfant (Chaiguerova & Zinchenko, 2012). Cette centralité des savoirs scolaires pour le développement des fonctions psychiques supérieures de l’enfant est donc assumée et reprise de Vygotski.

    10V.-V. Davydov (1930-1998) n’a évidemment ni connu ni travaillé avec Vygotski puisqu’il a quatre ans quand ce dernier décède. Il commence ses recherches sous la direction de P.-Y. Galpérine puis occupe divers postes de recherche avec Elkonin et de responsabilité au sein du Laboratoire de psychologie des enfants de l’école primaire puis du Laboratoire sur l’éducation intellectuelle des enfants d’âge préscolaire à l’Institut de recherche d’éducation préscolaire. En 1986, il publie « Problèmes de l’apprentissage développemental ». Il fonde avec D.B. Elkonine, un établissement éducatif unique, l’école expérimentale n° 91 à Moscou et l’école n° 17 à Kharkov (Ukraine). Les expérimentations sont constraites avec un aller-retour constant entre la théorie et la pratique de classe. Les recherches ont commencé à l’école primaire (1960-80). C’est seulement dans les années 80 que le programme a été étudié pour le secondaire. En 1996, le programme devient en Russie une alternative officielle des programmes traditionnels. Kudriavtsev (2011) propose une périodisation de l’élaboration de ce programme en trois étapes. Ces trois étapes reprennent des objets successifs dont le suivant est l’élargissement du précédent : développer la pensée (1960-70), développer l’individu (1980-90) et développer la personnalité (2000-). Le développement de ce programme suit les développements théoriques de travaux de Davydov dont en quatre périodes : une période sur la formation des actions idéelles (1955- 60) (Davydov & Andronov, 1981) une deuxième qui prend pour objet les types de généralisation et la pensée théorique (1960-75) (Davydov, 1972/1990), une troisième qui se centre sur la réflexion et la conscience théorique (1975-85) et enfin une quatrième période qui va de 1985 jusqu’à sa mort en 1998 qui a pour objet l’apprenant, sa personnalité et son potentiel créatif et l’apprentissage. Ainsi, ses derniers travaux visaient « la formation véritable d’une capacité à apprendre seul » qui est « une caractéristique intégrale du développement de la pensée créatrice et, dans l’ensemble, d’une conscience réflexive, critique et constructive » (Kudriavtsev & Urazalieva, 2011, p. 67). Le système d’enseignement de Elkonine-Davydov, dans sa dernière version, se donne donc pour projet d’aménager les conditions pour le développement d’une personne libre et acteur de son propre apprentissage (Lampert-Shepel, 2003), ce que Dusavitskii (2003) propose d’appeler auto-éducation ou auto-développement.

    La théorie de l’apprentissage développemental

    11Comme le signale Zuckerman (2011), « la conception initiale du système d’éducation de Elkonine-Davydov était construite en opposition à l’école traditionnelle » (p. 55), école centrée sur la transmission des connaissances (Kudriavtsev & Urazalieva, 2011). Apprendre est bien souvent dans l’école traditionnelle une activité imposée à l’enfant. C’est une activité contrainte dans laquelle l’enfant est aliéné, rendu étranger à lui-même dans une activité qui ne répond pas à ses besoins immédiats. Dans le meilleur des cas, l’enfant se conforme à la planification qui lui est proposée. Au pire, il ruse avec les apprentissages imposés et ne répond qu’aux attentes de l’examen. Il n’y a pas d’apprentissage véritable. Le problème est formulé de la manière suivante par Repkin (2003, p. 20) : « Il est nécessaire d’organiser le processus d’apprentissage de telle manière que l’agentivité apprenante, le véritable processus d’apprentissage acquière le statut d’activité ». Le cas du jeu peut servir d’étalon, puisque, comme pour l’âge scolaire, il s’agit de l’activité directrice mais à l’âge préscolaire. L’analogie est donc parfaite. L’enfant joue naturellement : « Personne ne peut forcer un jeune enfant à jouer » (Davydov, 1999, p. 127). Cette activité est une conquête sur son développement : il explore, développe son imagination et sa créativité. Il avance sur le chemin de son agentivité et réalise sa liberté. L’activité d’apprentissage doit répondre aux mêmes caractéristiques : l’élève, qui est avant tout un enfant, doit continuer d’être l’agent de ses propres apprentissages. Le programme de Davydov propose donc de s’appuyer sur l’activité spontanée de l’enfant : il est curieux et peut apprendre par lui-même. Il précise « Les enfants peuvent s’approprier seulement des connaissances et des habiletés par l’activité d’apprentissage, quand ils ont un besoin interne et une motivation à le faire » (Davydov, 1999, p. 125). Une telle auto-activité comporte certaines contraintes. Dans l’activité d’apprentissage, l’enfant se prend lui-même pour objet. Il ne cherche pas à transformer des objets du monde mais à se transformer lui-même : « L’activité d’apprentissage doit être comprise comme une activité pour l’auto-changement de l’agent » (Repkin, 2003, p. 14).

    12Cette activité d’apprentissage spontanée doit donc répondre à ses besoins immédiats. La structure de l’activité des théories de Léontiev sert de modèle pour analyser et décrire cette activité : le but doit attirer naturellement l’enfant puisqu’il répond à ses besoins vitaux. Les activités proposées à l’enfant ne le sont donc pas en fonction de leur pertinence, selon une logique interne au savoir. Elles sont en écho avec les intérêts naturels et immédiats de l’enfant. Cela suppose que l’on puisse déterminer les objets d’intérêt de l’enfant au fur et à mesure de son parcours scolaire.

    13L’activité naturelle a néanmoins une forme typique, celle de la résolution de problème : l’enfant est curieux et les activités proposées consistent à le mettre en présence d’un problème qui met en difficulté ses acquis. Parce qu’il cherche à comprendre, à résoudre la difficulté, il se met en activité et explore les solutions possibles. L’éducateur ne prescrit pas un savoir à intérioriser. Il propose des activités problèmes dans lesquelles l’enfant puisse être l’agent de ses apprentissages. Ces tâches d’apprentissage prennent la forme de problèmes concrets qui renvoient l’enfant à ses propres limites.

    14La deuxième contrainte est que les activités de résolution de problème ne doivent pas disparaître dans leur résolution. Confronté à une situation, l’enfant en induit un principe universel qui peut lui servir pour résoudre une série de problèmes similaires. « Pendant qu’ils résolvent des tâches d’apprentissage, les écoliers découvrent des relations originales et adéquates inhérentes au matériau respectif » (Davydov, 1999, p. 128). En cela l’activité d’apprentissage est très proche d’une activité scientifique. En résumé, « la principale caractéristique d’une tâche d’apprentissage est que, en la résolvant, l’enfant cherche et trouve une méthode générale (ou un principe) qui lui permette d’aborder de nombreuses tâches particulières d’un certain type » (Davydov, 1998, p. 28).

    15Le défi est considérable : reconstruire le système d’apprentissage en concevant des situations d’apprentissage (Davydov, 1999), qui 1) répondent aux besoins de l’enfant (il doit rester agent de ses apprentissages qui ne peuvent lui être imposés ; 2) le problème doit être adapté et permettre à l’enfant de se saisir d’un principe explicatif qu’il doit être capable d’appliquer ; 3) l’enfant, en réalisant une telle activité doit être en mesure de généraliser à partir de la résolution d’un problème concret et singulier un principe de résolution universel. Dans ses travaux datant des années 70 et qui concluent une première période de sa productivité, Davydov distingue à ce sujet deux formes de pensée qui sont chacune marquée par un type de généralisation. La pensée empirique est une pensée inductive qui passe d’un objet à l’autre en tentant de dégager les traits communs. Ce type de généralisation se fait par le retrait de certaines qualités pour n’en conserver qu’une spécifique. Si on place l’enfant devant une série d’objets, il pourra n’en retenir que la couleur au lieu de construire une série algébrique. La généralisation empirique est accidentelle et échoue souvent à découvrir dans les objets du monde le principe directeur et central. La pensée théorique est de nature scientifique : elle met en évidence les lois sous-jacentes aux objets du monde. L’enfant ne doit donc pas construire des activités de comparaison avec des généralisations hâtives. Le type d’activité d’apprentissage consiste à résoudre des problèmes qui lui permettent d’identifier et de formaliser des principes mathématiques et scientifiques, les vrais principes qui régissent l’ordre du monde. L’enseignant guide l’enfant et soumet à l’élève des problèmes qui lui permettent de redécouvrir ces principes de résolution universels.

    16Matusov (2001), dans une orientation bakhtinienne, revient sur cette conception de l’activité d’apprentissage. C’est le professeur qui établit quelles sont les caractéristiques essentielles des objets. Davydov pratique une épistémologie réaliste : les lois de la physique et des mathématiques sont inscrites dans les phénomènes du monde et l’élève ne fait que les redécouvrir par des exercices aménagés. Il y a une possible analogie avec la conception culturelle-historique du développement de Léontiev : l’enfant s’approprie les produits du développement historique en manipulant les objets culturels (Léontiev, 1959/1976). Le principe pédagogique est le même ici, mais ce sont les lois scientifiques que retrouve l’enfant en manipulant le réel, en résolvant des problèmes qui supposent l’usage d’outils culturels. La compréhension scientifique du monde est privilégiée au lieu d’être une modalité de description du monde qui permet de le manipuler, écartant ainsi toutes les autres interprétations possibles de la nature.

    17L’activité de l’élève est au fondement de la démarche. L’activité d’apprentissage est donc une activité portée par la subjectivité de l’enfant puisqu’elle trouve sa source dans les mobiles internes de l’enfant, et qu’elle vise la transformation du sujet, mais cette activité est orientée vers la résolution de problème qui place l’enfant dans une recherche scientifique au bout de laquelle il reconstruit les produits de la culture. La transformation de soi par l’explicitation des principes essentiels dans les objets est une conquête propre qui fait de lui un agent libre et affranchi. C’est donc la méthode même qui est importante : l’enfant apprend en s’ouvrant au monde et construit une compréhension du monde qui le libère des aléas et de l’asservissement au monde. L’enfant n’est pas un étudiant mais un « auto-enseignant », « le rôle de l’enseignant tient en une seule chose : aider l’enfant à s’enseigner lui-même » (Repkin, 2003, p. 16).

    La filiation avec Vygotski

    18Dans des textes tardifs, Davydov (1995, 1994/1998) tente de retracer la filiation entre Vygotski et lui, tout en avouant qu’il n’est pas forcément le mieux placé. La chose est claire : il redécouvre tardivement ce que sa pensée devait à Vygotski à travers la réédition en 1991 d’un ouvrage écrit par Vygotski en 1926, Educational Psychology. Cette lecture lui permet de retrouver plusieurs principes pédagogiques qu’il partage, la collaboration en classe et la notion de zone de développement le plus proche : « Selon Vygotski, un enseignant peut intentionnellement éduquer et enseigner les enfants seulement à travers une collaboration continue avec eux et avec leur milieu social, avec leurs désirs et leur empressement à agir conjointement avec l’enseignant » (Davydov, 1995, p. 17). La collaboration entre un adulte et un enfant est un facteur de développement. Une telle interprétation de Vygotski est très proche du courant socio-culturel.

    19Or, plusieurs éléments sont importants à souligner : la filiation avec Vygotski passe d’abord par Elkonine. Ce dernier a développé des recherches en collaboration avec Vygotski sur le jeu à l’âge préscolaire (Elkonine, 1989/1999). Le système Elkonine-Davydov exploite ses travaux en analysant l’activité d’apprentissage sur le modèle du jeu. Dans le jeu, l’enfant rivalise d’imagination, suit ses désirs et semble jouir d’une totale liberté (Davydov, 1986/2008, p. 64). Ce système d’enseignement utilise le jeu comme patron de l’activité. Ce faisant, Davydov et ses collègues transposent à l’âge scolaire un processus d’apprentissage que Vygotski réserve à l’âge préscolaire (Vygotski, 1933/2012). L’apprentissage scolaire est aligné sur le jeu où l’enfant suit son propre programme. Le système d’enseignement Elkonine-Davydov consiste à donner l’illusion que l’enfant suit son propre programme quand il suit de fait le programme aménagé au sein de ce curriculum spécifique. La référence à Vygotski se fait au prix de l’effacement de la spécificité des apprentissages à l’âge scolaire.

    20Puis, dans une discussion très serrée, Davydov (1972/1990, p. 81-88) analyse le chapitre 6 de Pensée et Langage et conteste la portée de la distinction entre concepts scientifiques et concepts quotidiens. Les concepts scientifiques ne sont pas « réellement » scientifiques : ce sont les concepts enseignés, formalisés pour l’enseignement. Ce ne sont pas de vrais concepts puisqu’ils n’existent que dans le langage. À l’inverse, les concepts quotidiens peuvent être systématiques. Il y a deux formes de généralisation : par induction versus par systématisation et mise en cohérence logique de l’expérience (théorie scientifique). Mais la généralisation scientifique, le concept académique chez Vygotski, est une définition, un concept, alors que le type de généralisation que recherche Davydov est une généralisation dans l’activité : il faut trouver la « bonne » activité qui permet de mettre l’élève sur la voie de cette généralisation spontanée. Davydov reproche à Vygotski son nominalisme et écarte donc une conception de la transmission des concepts académiques qui permette à l’enfant d’accéder à l’étape suivante de son développement proche. Cette position lui paraît incompatible avec sa théorie de l’activité héritée de Léontiev via Galpérine. Il se tourne vers Piaget pour proposer une théorie opératoire de l’apprentissage.

    21Enfin, il semble tardivement redécouvrir Vygotski à travers ses « écrits de jeunesse » (Vygotski, 1926) et peut revendiquer une filiation directe entre le psychologue qui a imaginé en théorie ce que lui et Elkonine ont traduit sous forme de programme d’enseignement. Or, il insiste alors sur les aspects collaboratifs qui sont compatibles avec l’élargissement de son programme de formation, mais qui n’en sont pas à la source. Or, dans les années 90, ce thème recevait une attention particulière en Russie (Koshmanova, 2007).

    Conclusion

    22Le travail de Davydov sur l’enseignement et la conception d’un curriculum alternatif s’appuie sur une théorie de l’activité spécifique à l’apprentissage. Il s’inscrit de fait dans l’école de Kharkov et les travaux de Léontiev. Tardivement, il tente de bénéficier du regain d’intérêt pour le travail de Vygotski en s’en proclamant le successeur du point de vue des thématiques éducatives (Davydov, 1995). On l’a cru. Un examen attentif de son itinéraire intellectuel, de ses travaux et de sa théorie nous en montre pourtant tout l’écart. Ce même procédé a été utilisé par Léontiev (Chaiguerova, 2010 ; Yaroshevski, 1995). En 1956, lorsqu’il devient possible de publier à nouveau les textes de Vygotski, Léontiev et Luria expliquent dans un texte que leurs travaux s’inscrivent dans la continuité des textes de leur ami, qui, néanmoins, avait fait fausse route en ne voyant pas le potentiel épistémologique du concept d’activité, qu’il n’avait pas utilisé, mais qui permettait à présent de reconstruire la psychologie non classique sur de solides bases (Léontiev & Luria, 1956/2012). Cette base sera néanmoins interrogée par Léontiev lui-même à la fin de sa carrière (Kozulin, 1986).

    23La rencontre entre les travaux russes et anglo-saxons se fait donc par-dessus le chapitre 6 de Pensée et Langage sur la base d’une interprétation décontextualisée de la zone de développement le plus proche, déconnectée de la question de l’apprentissage – transmission des savoirs académiques – pour en faire un espace social où l’action du professeur et des pairs est interprétée comme une activité d’étayage de guide dans la découverte par l’élève des objets de connaissances. Cette lecture est tout à fait possible sur la base de Mind in Society (page 26), mais ne résiste pas à la lecture chronologique des Œuvres et de Pensée et Langage.

    24Qu’un auteur puisse faire l’objet de multiples interprétations est tout à fait légitime et nécessaire. La littérature atteste d’une pensée prolifique autour des écrits de Vygotski et nul ne saurait le déplorer. Elle est source de créativité et d’idée novatrices. Ce qui est évidemment plus problématique est de s’emparer d’un auteur pour lui faire assumer des positions que lui-même aurait récusées.

    Notes de bas de page

    1 Les six volumes sont parus en anglais entre 1987 et 1999, et en russe entre 1982 et 1984. On attend toujours la traduction en français.

    Auteurs

    Frédéric Yvon

    Université de Genève

    Ludmila Chaiguerova

    Université d’État de Moscou Lomonossov

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    Table des matières

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    1 Les six volumes sont parus en anglais entre 1987 et 1999, et en russe entre 1982 et 1984. On attend toujours la traduction en français.

    Vygotski et l’école

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    Ce livre est cité par

    • Lhoste, Yann. (2017) Épistémologie et didactique des SVT. DOI: 10.4000/books.pub.37358
    • Schneuwly, Bernard. Ronveaux, Christophe. (2021) Une approche instrumentale de la transposition didactique. Pratiques. DOI: 10.4000/pratiques.9515
    • Chabanne, Jean-Charles. (2016) Reaction to Prof. Mercer’s paper: Education and the social brain: linking language, thinking, teaching and learning. Éducation et didactique, 10. DOI: 10.4000/educationdidactique.2524

    Vygotski et l’école

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    Yvon, F., & Chaiguerova, L. (2013). L’école, lieu de transmission des savoirs ? Réflexions sur l’héritage vygotskien en Union soviétique : le cas de V.V. Davydov. In J.-P. Bernié & M. Brossard (éds.), Vygotski et l’école (1‑). Presses Universitaires de Bordeaux. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pub.47757
    Yvon, Frédéric, et Ludmila Chaiguerova. « L’école, lieu de transmission des savoirs ? Réflexions sur l’héritage vygotskien en Union soviétique : le cas de V.V. Davydov ». In Vygotski et l’école, édité par Jean-Paul Bernié et Michel Brossard. Pessac: Presses Universitaires de Bordeaux, 2013. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pub.47757.
    Yvon, Frédéric, et Ludmila Chaiguerova. « L’école, lieu de transmission des savoirs ? Réflexions sur l’héritage vygotskien en Union soviétique : le cas de V.V. Davydov ». Vygotski et l’école, édité par Jean-Paul Bernié et Michel Brossard, Presses Universitaires de Bordeaux, 2013, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pub.47757.

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    Bernié, J.-P., & Brossard, M. (éds.). (2013). Vygotski et l’école (1‑). Presses Universitaires de Bordeaux. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pub.47607
    Bernié, Jean-Paul, et Michel Brossard, éd. Vygotski et l’école. Pessac: Presses Universitaires de Bordeaux, 2013. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pub.47607.
    Bernié, Jean-Paul, et Michel Brossard, éditeurs. Vygotski et l’école. Presses Universitaires de Bordeaux, 2013, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pub.47607.
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