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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral IntroductionI. Le refus de l’exil : un seul destin pour un vaincu, la mortII. La contrainte de l’exil accepté au nom de la pietasIII. Le temps de l’exil : les errances et les tentatives de fondationIV. En route vers la nouvelle patrie : interdictions et menacesV. Misère et grandeur : l’attitude du fondateur de la nation romaine Notes de bas de page Auteur

    Écritures de l’exil

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Énée en exil

    Quelle sorte d’exil pour un héros épique ?

    Françoise Daspet

    p. 65-90

    Texte intégral IntroductionL’originalité du thème : le retour dans la patrieLe récit de l’exilExil matériel, exil moralI. Le refus de l’exil : un seul destin pour un vaincu, la mortA. Les avertissements d’HectorB. La décision de se battreC. L’appel au sacrificeII. La contrainte de l’exil accepté au nom de la pietasA. L’exil accepté par piété filialeB. Un exil imposé, sans signification pour ÉnéeC. L’exil acceptéIII. Le temps de l’exil : les errances et les tentatives de fondationA. Les errancesB. Les installations interdites : une autre forme d’exilIV. En route vers la nouvelle patrie : interdictions et menacesA. Une tentation interdite : reconstruire TroieB. La tempête menace la mission d’ÉnéeV. Misère et grandeur : l’attitude du fondateur de la nation romaineA. La vertu d’espéranceB. La gloire de l’exiléConclusion Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    Introduction

    1Dans les chants II et III de l’Enéide, Énée raconte successivement à Didon et aux princes tyriens de Carthage les derniers combats qu’il a livrés en vain pour sauver Troie, puis le long exode des Troyens de l’est vers l’ouest de la Méditerranée1.

    L’originalité du thème : le retour dans la patrie

    2Après leur départ de Phrygie, le petit groupe des Troyens survivants que conduit Énée a connu, après la défaite, le sort de bien des exilés : les risques, les incertitudes et les souffrances qu’ils ont supportées donnent une image assez complète de cette misérable condition. Ces hommes valeureux, princes ou chefs de guerre, ont perdu tous leurs biens et la mort ou la captivité les ont également privés des êtres qui leur étaient chers. A ces pertes douloureuses s’ajoutent les aléas d’un périple qui les expose aux dangers de la navigation et des haltes en des pays inconnus. Ils ne reviendront jamais dans leur patrie qui n’existe plus et ne peuvent espérer au mieux qu’une vie médiocre auprès d’autres Troyens de la diaspora ou en des terres inhabitées, donc vraisemblablement désolées, où leur présence sera tolérée. A la souffrance que provoque la perte du bonheur et de la sécurité qu’ils connaissaient dans le passé s’ajoute la perspective d’un avenir incertain.

    3Mais, du moment où leurs errances en Méditerranée se transforment en un voyage de retour dans la patrie, les Troyens ne sont plus des exilés. Car les dieux réservent à Énée un pays où ils pourront s’installer. Cette « terre promise » n’est pas, comme pour les Hébreux, un pays promis à leurs pères, mais il s’agit véritablement du pays d’un des ancêtres d’Énée, Dardanus, qui compte parmi les fondateurs de Troie ; c’est en effet de l’Italie, que partit Dardanus pour accomplir un voyage à travers la Méditerranée qu’il parcourut d’ouest en est, à l’inverse d’Énée, avant d’arriver à Troie où il épousa la fille du roi Teucer. Lorsqu’Énée a clairement compris les intentions des dieux et qu’il les a fait connaître à ses Troyens, tous s’appliquent à atteindre la terre italienne.

    4Cette navigation s’apparente alors aux voyages de retour des princes grecs qui, après la guerre de Troie, s’efforcent de regagner leurs royaumes : l’Odyssée, dans laquelle Homère raconte longuement les errances et le périple d’Ulysse à la recherche de sa chère Ithaque, a servi de modèle à Virgile.

    5On peut s’attendre à ce que Virgile, dans une épopée dont le titre fait d’Énée le protagoniste, accorde plus d’attention au parcours de son héros, même s’il partage bien des vicissitudes avec ses compagnons d’infortune. Mais sa condition initiale et sa mission font le plus grand contraste avec son état d’exilé. Son histoire illustre le lieu commun maintes fois répété par les moralistes selon lequel plus le sort a favorisé un homme, plus il peut le rabaisser : cousin du roi Priam et d’Hector, son fils, qui aurait dû lui succéder, descendant de Dardanus, fondateur de la nation romaine, il est aussi un malheureux exilé sans ressources, sans patrie, sans espoir. Cependant les dangers et les souffrances, les deuils et les malheurs imposés à Énée sont des épreuves destinées à affermir sa volonté. Ce sont les étapes d’un cheminement qui permet à un prince oriental, accoutumé au luxe et à la richesse, de devenir le fondateur du peuple romain dans un Latium sauvage et pauvre.

    Le récit de l’exil

    6La façon dont Virgile conçoit le thème de l’exil en renouvelle le schéma habituel. Et en outre, le thème de l’exil d’Énée est mis en valeur dans l’Énéide parce que Virgile fait jouer deux rôles à Énée : celui du héros exilé et celui du narrateur qui rappelle ses souvenirs quelques années plus tard. Par la mise en abîme de ces deux moments qui s’entrecroisent, le poète augmente les résonances des deux thèmes de la défaite et de l’exil. On pourrait à coup sûr détacher de l’épopée les chants II et III qui forment un tout par eux-mêmes. On plongerait ainsi dans le passé qu’Énée a tant de peine à résigner. Mais ces aventures sont l’objet d’un récit fait après coup à Carthage. Paradoxalement, Énée, en se replongeant dans ses souvenirs, prend une distance par rapport à un passé dont il ne pouvait se détacher jusque là : en fait, en revivant ces événements une deuxième fois, il en retient et en fixe la mémoire. Au moment où il les vivait, il se comportait avec le courage d’un héros épique encore engagé dans la guerre et il pensait qu’il pouvait librement choisir son destin. Son devoir lui semblait clair : il devait défendre Troie jusqu’au bout et accepter de mourir, comme tant de ses compagnons, dans cette tâche héroïque. Et Énée, dans sa narration, peut souligner l’opposition entre les avertissements des dieux qui à plusieurs reprises l’invitent à fuir et son acharnement à défendre Troie et à poursuivre son destin de guerrier. Mais, au moment où il raconte cet épisode fatal, il a compris que la chute de Troie était inscrite dans l’ordre des choses, que les dieux lui ont imposé l’exil et qu’ils lui réservent une autre destinée que celle qu’il pouvait imaginer lors de la dernière nuit de Troie. Par la rupture que la narration établit avec les événements vécus, grâce à ces deux rôles de narrateur et d’acteur, Énée donne un sens à son action passée qu’il raconte aux autres, mais peut-être surtout à lui-même, fixant ainsi une mémoire qui fondera son action future.

    7Par ce moyen, Virgile explique également à son lecteur de façon symbolique l’orientation de son épopée : il a refusé à Énée d’être le héros d’une nouvelle Iliade qui aurait chanté ses exploits et sa mort glorieuse lors de la chute de Troie. Si son personnage avait été voué à la mort, il serait resté enfermé dans l’histoire de Troie, et d’une certaine façon il serait mort aussi littérairement, puisqu’il n’aurait fait que s’ajouter à toute une série de héros épiques : l’Énéide ne serait qu’une imitation de l’épopée homérique, Énée un autre Hector.2

    Exil matériel, exil moral

    8Nous nous proposons de suivre l’itinéraire moral et mental d’Énée, cheminement spirituel dont le voyage des Troyens donne une image emblématique : longtemps désespéré à cause de la défaite et de l’exil, Énée doit comprendre, accepter sa mission et trouver le courage de l’accomplir. Il ne pourrait, sans avoir parcouru un long itinéraire psychologique et moral, affronter, trop tôt, après la guerre de Troie, les guerres qu’il doit conduire dans le Latium avant de fonder Lavinium et le nouveau peuple qui unit les Troyens et les Latins.

    9Tout au long de son voyage matériel et mental, le héros adopte successivement trois attitudes en face d’une condition qui lui apparaît toujours comme le plus grand des malheurs. Tant qu’il ne comprend pas les intentions des dieux, il refuse l’exil auquel il préfère la mort. Ensuite des raisons religieuses et morales lui imposent de le subir : mais, hanté par le modèle troyen, il est sans cesse préoccupé de trouver un pays et de construire une ville. Quand il a pris connaissance de sa mission, il s’engage dans un nouveau devoir et s’efforce d’atteindre l’Italie. Son séjour à Buthrote auprès des Troyens exilés, regroupés autour d’Hélénus et d’Andromaque, lui montre clairement ce qu’il sait déjà, c’est qu’il est vain de vouloir reconstruire Troie. Et de fait, cet épisode confirme la mort de Troie, c’est-à-dire la fin de la cité, détruite dans ses murs et sa civilisation. Cependant, les aléas de son voyage confrontent Énée à des dangers qui, comme la tempête, symbolisent l’exil et il éprouve alors un sentiment de désespoir et d’amertume en songeant qu’ils risquent de compromettre sa mission.

    I. Le refus de l’exil : un seul destin pour un vaincu, la mort

    10Lors de la dernière nuit de Troie, bien qu’il ait eu l’occasion de se rendre compte que tout était perdu, qu’il devait à la fois renoncer à mourir et décider de partir en exil, Énée n’a pas compris les avertissements que lui envoyaient les dieux et n’en a pas tenu compte : en premier lieu ceux d’Hector.

    A. Les avertissements d’Hector

    11Pendant que les Troyens, qui pensent que la guerre est finie, profitent d’un sommeil paisible, les Grecs pillent et incendient la ville. Énée, encore plongé dans le sommeil, voit Hector, l’illustre défenseur de Troie mort sous les coups d’Achille, lui apparaître en songe et s’adresser à lui. Il l’informe que les Grecs sont en train de détruire Troie qu’il était le seul à pouvoir défendre et qu’Énée doit quitter la ville :

    « Ah ! Fuis, me dit-il, fils d’une déesse, sauve-toi de ces flammes. L’ennemi tient nos murs ; du faîte de sa grandeur Troie s’écroule. C’est assez donné à la patrie et à Priam ; si Pergame pouvait être défendue par un bras, le mien encore l’aurait défendue. » (Aen. II, 289-292, J. Perret)3

    12En insistant, sur l’origine divine d’Énée qui est un héros, c’est-à-dire un demi-dieu, fils d’une déesse, Hector suggère que la fuite, mentionnée ici pour la première fois, la fuite qui symbolise l’exil, n’est pas la solution facile qui s’offre aux lâches et aux faibles. Qu’un héros mort au combat exhorte à fuir un guerrier valeureux serait assez paradoxal et scandaleux ; aussi faut-il bien que la fuite porte une autre signification. Hector en éclaire le sens : il rappelle à Énée qu’il était, lui, Hector, le bras de Troie, qu’Énée ne peut jouer ce rôle et que toute action militaire est vaine. Virgile fait allusion ici à une tradition qui rapportait que, selon certains oracles, la mort d’Hector devait être suivie de près par la chute de Troie. Puis, Hector achève son discours en donnant à Énée une autre raison de partir : le héros qui a sacrifié sa vie pour Troie remet à Énée des objets sacrés qui symbolisent Vesta et les Pénates de Troie et il explique à Énée que sa mission consiste à sauver Troie en transférant dans une nouvelle ville les dieux qui la protégeaient.

    « Troie te confie ses objets sacrés et ses Pénates ; prends ces derniers comme compagnons de tes destins, cherche pour eux des remparts qu’enfin, après de longues errances sur la mer, tu construiras d’une haute taille. » (Aen. II, 293-295)

    13Seul, le fils d’une déesse peut conduire les Pénates troyens en exil et leur trouver une nouvelle patrie. Hector annonce les deux aspects du voyage d’Énée : c’est une errance et un exil du point de vue d’un Troyen, mais pour l’ancêtre des Romains, c’est aussi la quête de la patrie où une ville sera construite pour les dieux de Troie. Le nom de cette ville dont Hector suggère la vocation militaire n’est pas précisé, mais la dimension de ses murailles invite à penser qu’il s’agit de Rome, qu’Énée ne fondera pas lui-même ; plus subtilement, Virgile fait allusion à Rome en orientant le lecteur vers la vocation militaire de la ville, sans lui interdire de penser aussi à Lavinium dont l’importance fut grande dans la Ligue latine et dont les Romains vénéraient le caractère sacré puisque, disait-on, là se trouvaient les reliques des dieux qu’Énée avait rapportées de Troie.

    B. La décision de se battre

    14Hector a laissé entendre que la mort d’Énée ne servirait à rien et qu’elle lui est refusée puisqu’il est promis à un autre destin. La suite de cette partie du chant II, qui développe les derniers combats des Troyens, va le prouver. Mais Énée n’a pas vraiment compris le sens du message d’Hector, puisqu’à son réveil il n’en tient aucun compte et part vers le centre de la cité, accompagné d’un groupe de guerriers dont il prend la tête, tout prêt à se battre et à mourir pour Troie :

    Je prends mes armes, hors de moi ; envisager de se servir des armes n’était pas raisonnable, mais mon cœur brûle de rassembler une troupe pour le combat et de courir vers la citadelle avec des compagnons ; la fureur et la colère emportent ma raison ; et il me vient à l’esprit qu’il est beau de mourir sous les armes. (Aen. II, 314-317)

    15Énée, après coup, a conscience de l’état de folie qui s’empara de lui lorsqu’il fut réveillé par le bruits des armes qui annonçaient la reprise des combats. Il ne réfléchit pas longuement à ce moment-là et il lui parut normal de se précipiter dans la guerre, mais il sait maintenant qu’il était emporté par un délire qui l’aveuglait et lui donnait l’illusion que son action pouvait être utile. La menace de la guerre qui s’étend jusqu’à sa maison, en périphérie de Troie, l’a empêché d’analyser le sens des avertissements d’Hector et a annulé en lui toute aptitude à raisonner, ce que signifie, en latin, amens, tandis que furor décrit l’état second qui permet au guerrier d’affronter des situations exceptionnelles ; en dernier lieu, une sentence patriotique, en accord avec la morale héroïque, porte Énée à rechercher la mort pour défendre sa patrie.

    16Dans son désir de se battre, Énée ne tient pas compte non plus du rapport sur la situation de la ville que lui fait le troyen Panthus qui a quitté le centre de Troie pour rallier la maison d’Énée :

    « Le voici arrivé le dernier jour de la Dardanie, le voici arrivé le moment inéluctable. Nous avons cessé d’exister, nous les Troyens, Ilion a cessé d’exister ainsi que la gloire si grande des descendants de Teucer ; le cruel Jupiter a tout transporté dans Argos. » (Aen. II, 324-327)

    17Ces propos annoncent ceux de Vénus montrant à son fils les dieux acharnés à perdre Troie et disent clairement que les efforts qu’ils vont déployer dans la bataille seront totalement vains. Ils complètent ceux d’Hector et pourraient influencer Énée puisque Panthus n’est pas une apparition envoyée par les dieux dans le sommeil et dont la réalité paraît incertaine au réveil, mais un compagnon bien vivant, qui va se battre à ses côtés et mourir sous les coups des Grecs. Il est en outre un prêtre d’Apollon, ce qui confère une certaine autorité à ses paroles. Énée, narrateur, insiste sur ce point en présentant Panthus et il montre ainsi qu’il n’a tenu aucun compte de certains éléments qui auraient dû le convaincre de la vanité de ses tentatives :

    ... Panthus, fils d’Othrys, prêtre de la citadelle et de Phébus, portant les objets sacrés et nos dieux vaincus, traîne lui-même par la main un enfant, son petit-fils, et accourt hors de lui, vers notre demeure. (Aen. II, 319-321)

    18Ce groupe préfigure celui que composera, à la fin du chant II, Ascagne en compagnie d’Énée et d’Anchise4, avec une ambiguïté dramatique puisque Panthus fait penser à Anchise par son rôle de grand-père, mais à Énée par son engagement de guerrier qui le voue à la mort. Le même adjectif amens le qualifie, non que son analyse de la situation soit fausse, mais parce qu’il n’en tire aucune conséquence et accepte d’aller se battre.

    C. L’appel au sacrifice

    19Il est tellement invraisemblable qu’un guerrier courageux, qui de surccroît est un prince troyen, survive à la destruction de Troie, que Virgile prend soin de démontrer qu’Énée échappe à la mort non par lâcheté, mais parce que les dieux le réservent pour un autre destin. Son comportement atteste qu’il n’a pas compris les avertissements des dieux dont il peut maintenant dégager la signification. Aussi, au moment où il se trouve entouré d’un petit groupe de Troyens déterminés à se battre, prend-il leur tête et leur adresse-t-il un discours témoignant d’aptitudes à commander qui le prédisposent à devenir le chef ou le roi des Troyens en exil. Mais les exhortations d’Énée ne suffiront pas à conduire les Troyens à une victoire désormais impossible. Énée en a clairement conscience et ne cache pas la vérité à ses compagnons qu’il engage à mourir dans les combats :

    « Guerriers, cœurs en vain valeureux entre tous, si vous voulez vraiment aller jusqu’aux extrêmes de l’audace, vous voyez ce que nous offre la Fortune : ils sont tous partis, laissant leurs temples et leurs autels, les dieux qui tenaient debout cet empire ; vous portez secours à une ville en flammes. Mourons et jetons-nous au milieu des armes. Un seul salut pour des vaincus : n’espérer aucun salut. » (Aen. II, 348-354, J. Perret)

    20Ses paroles révèlent déjà les qualités futures du guide qu’Énée sera plus tard : le courage, l’engagement, le sens du devoir, et surtout cette autorité morale que lui reconnaissent les hommes qui lui obéissent. Énée revient donc au combat malgré les avertissements d’Hector et de Panthus qui lui ont clairement dit qu’il ne pouvait plus rien faire pour Troie, parce que l’urgence de la situation enferme Énée dans l’action immédiate et dans le présent, si bien qu’il n’est pas encore capable d’imaginer un avenir au-delà de son rôle de guerrier.

    21Très habilement, Virgile a démontré le courage d’Énée avant que le héros lui-même ne le mentionne, après avoir raconté leurs combats et le sacrifice de la plupart d’entre eux, si bien que nous sommes disposés à croire ce qu’il affirme, d’autant plus que sa remarque prend la forme d’un serment solennel fait dans le présent du récit. En jurant devant Didon, les Tyriens et ses compagnons troyens sur ce qu’il a de plus sacré, c’est-à-dire Troie, maintenant en ruines, il transforme un récit informatif en une sorte de plaidoyer :

    Cendres d’Ilion, dernier bûcher des miens, je vous prends à témoin que dans votre ruine je n’ai évité ni les traits, ni les hasards du combat : si les destins l’avaient permis, j’avais tout fait pour tomber sous les coups des Danaens. (Aen. II, 431-434)

    22Énée par ce serment ne lève pas seulement les doutes que pourrait avoir le lecteur sur sa vaillance, mais surtout, en exprimant sa souffrance, causée par son échec à sauver sa patrie, Énée la maîtrise, en limite les excès, la rend supportable, ce qui va lui permettre de s’engager dans sa mission, chargé de souvenirs, mais délivré de tout remords. La solennité du serment vient de ce que les ruines incendiées de Troie sont assimilées à un bûcher funéraire sur lequel ont péri tous ceux qu’Énée aimait : « les miens » sert à désigner les membres de sa famille (Énée est apparenté à Priam dont la famille est presque entièrement anéantie), mais peut-être aussi ceux qu’il connaissait et chérissait, compagnons d’armes et amis troyens. Ces vers qui interrompent la narration composent une invocation aux chers disparus qui établit malgré le chagrin du deuil une distance entre eux et les vivants. Énée n’avait pu jusque là faire son deuil de la ruine de Troie et de la disparition des siens. À Troie, il a supporté le départ en exil comme une contrainte cruelle, mais à Carthage il accomplit ce deuil, et se libère enfin d’une sorte de culpabilité, celle de n’avoir pas trouvé son destin lors des combats. Il sait maintenant que la mort qu’il recherchait en combattant pour Troie lui était refusée. Mais avant de connaître cette forme de libération, Énée a dû subir les misères de l’exil.

    23L’exil ne peut être une alternative à la mort pour un héros épique : Virgile a dû démontrer que son personnage avait été contraint de s’exiler malgré ses efforts pour respecter les valeurs de la morale héroïque qui le conduisait à sacrifier sa vie.

    II. La contrainte de l’exil accepté au nom de la pietas

    24Le poète amène son héros à accepter de quitter la Phrygie et de partir en exil. Énée lui-même remarque qu’il échappe miraculeusement à la mort au cours de ses multiples circuits et trajets dans la ville. Mais c’est une qualité personnelle à caractère moral et religieux qui le détermine à partir : la pietas, c’est-à-dire le sens et le respect de son devoir.

    A. L’exil accepté par piété filiale

    25Après les derniers combats des Troyens qui causent la mort de la plupart d’entre eux, Énée assiste impuissant à la mort de Priam et, mystérieusement protégé, il revient vers sa maison, inquiet du sort de sa famille.

    26Sur son chemin, il aperçoit Hélène qui s’est réfugiée sur le seuil du temple de Vesta. Énée se souvient d’avoir éprouvé alors un si violent désir de vengeance qu’il l’assimile à une sorte de délire. Pour calmer cet élan furieux, sa mère Vénus lui apparaît ; la scène est exceptionnelle parce que Vénus ne prend pas une forme humaine, comme le font habituellement les dieux, mais se montre sous son apparence divine dont les êtres humains supportent difficilement l’éclat. Elle dévoile à Énée pour le pousser à partir en exil les véritables causes de la défaite ; les dieux s’acharnent à détruire Troie : Neptune, Junon, Pallas Athéna, Jupiter lui-même. Elle l’engage à revenir chez lui voir si les siens ne sont pas en difficulté. Puis, en quelques mots, elle lui enjoint de renoncer à son inutile tentative guerrière et de partir en exil. Elle lui promet de l’aider à s’installer dans la patrie de ses ancêtres :

    « Sauve-toi, mon fils, fuis, mets un terme à tes efforts. Nulle part je ne te manquerai et je t’établirai en sûreté sur le seuil de tes pères. » (Aen. II, 619-620, J. Perret)

    27Le début de ce passage rappelle les exhortations d’Hector : le même verbe eripe à l’impératif suggère la force du mouvement nécessaire pour arracher Énée à la ville en flammes et fugam, qui appartient à la famille du verbe fugere, évoque de la même façon la fuite. Dans les deux cas, Énée est défini par sa filiation divine, car c’est la raison majeure pour laquelle sa mission lui est confiée. Un point nouveau est abordé par Vénus, celui de la nouvelle patrie, mais le sens de son propos reste caché : patrio… limine (« le seuil de tes pères ») peut désigner le seuil de la demeure d’Anchise vers laquelle Vénus renvoie son fils, mais peut aussi faire allusion au Latium, patrie de l’italien Dardanus. La suite du passage montre bien qu’Énée n’a pensé qu’à la première signification à cause du contexte funeste de la ruine de Troie : aussi ne songe-t-il qu’à se hâter pour rejoindre les siens. Il a entendu sans la comprendre l’information sur sa mission future, mais elle n’avait aucun sens au moment où Vénus l’a énoncée ; il a cependant retenu ses propos ainsi que ceux d’Hector puisqu’il peut rappeler dans son récit toutes ces prédictions et en faire ressortir la cohérence et l’insistance.

    28Vénus réussit à convaincre son fils de revenir dans la demeure familiale pour défendre les siens : cette injonction le touche dans l’amour qu’il porte à sa famille et, en particulier, dans son amour filial. Elle renforce les angoisses qu’avait fait naître en lui le spectacle de la mort de Priam. Le héros retient une partie des propos de sa mère qui lui assigne un nouveau devoir, celui de venir en aide à son père, à Créüse et à Ascagne qui dépendent de lui. Après s’être battu pour Troie, il doit défendre ses proches : c’est pour accomplir ce devoir qu’il accepte l’exil.

    29Cependant lorsqu’Énée arrive chez lui, il se heurte à l’obstination d’Anchise à qui il propose en vain la fuite et l’exil :

    Mais dès que je fus arrivé au seuil de la maison paternelle, à notre antique demeure, mon père que je souhaitais en premier lieu emmener dans les hauteurs des montagnes et que je cherchais en premier lieu, refuse, alors que Troie est anéantie, de prolonger sa vie et de supporter l’exil. (Aen. II, 634-638).

    30Pour la première fois, le mot exsilium5 est prononcé et il est associé au verbe pati (« supporter ») qui montre qu’il constitue une souffrance que l’on subit de force. L’analyse qu’en fait ici Anchise ne contredit en rien l’opinion d’Énée qui n’accepte l’exil que pour sauver les siens. L’exil n’est pas une solution qu’il a souhaitée et choisie personnellement, car il ne pense en aucune façon à sauver sa vie. Virgile montre bien que son désir de mourir pour Troie l’emporte sur son instinct de vie. En effet, devant le refus d’Anchise, Énée décide de repartir au combat, lorsqu’un prodige renouvelle les injonctions des dieux et réussit à convaincre Anchise de quitter Troie avec les siens. Virgile a voulu souligner la force des réticences d’Énée et la détermination des dieux. Le héros dit clairement en commentant ces événements dramatiques qu’au moment où il les vivait il ne songeait qu’à mourir :

    Je me sens de nouveau entraîné au combat, dans l’excès de ma douleur je souhaite la mort. (Aen. II, 655, J. Perret)

    31Et plus loin, Énée conclut les propos qu’il adresse à Anchise en montrant sa détermination :

    Mes armes, compagnons, apportez-moi mes armes ; le dernier jour appelle les vaincus. Rendez-moi aux Danaens : laissez-moi reprendre un nouveau combat. Nous ne mourrons jamais tous aujourd’hui sans vengeance. (Aen. II, 668-670, J. Perret)

    32Mais un prodige l’empêche de repousser Créüse qui le supplie de rester et peut-être de commettre un sacrilège en refusant de protéger sa femme, son père et son fils. Les dieux, en entourant de flammes la tête du petit Ascagne, ont ébranlé la résolution d’Anchise qui obtient de Jupiter une confirmation du prodige : le dieu envoie une étoile qui suit une route vers les hauteurs du mont Ida et trace ainsi le chemin de la fuite et de l’exil. On notera toutefois l’élan de piété que manifeste Anchise lorsqu’il accepte de suivre son fils. Il ne désigne pas, en effet, ce voyage comme un exil, parce qu’il est convaincu que, si les dieux leur ordonnent de fuir, ils vont aussi les conduire :

    Non, non, plus de retard ; je vous suis et où que vous me conduisiez, je suis prêt, dieux de nos pères ; conservez cette maison, conservez mon petit-fils. (Aen. II, 701-702, J. Perret)

    33La destination est encore inconnue, mais la piété d’Anchise qui entraîne celle d’Énée, le conduit à s’en remettre entièrement à la volonté des dieux : les Troyens pourront avoir l’impression que leurs voyages ne sont que des errances, mais c’est pour la seule raison que les êtres humains ignorent les intentions des dieux.

    34Dès ce moment, au moins dans l’esprit d’Anchise dont l’autorité morale conduit les Troyens dans une partie de leur voyage, l’exil n’est pas considéré comme un malheur sans fin et sans espoir.

    B. Un exil imposé, sans signification pour Énée

    35Au moment où Anchise décide de partir, le lecteur connaît l’essentiel de la mission d’Énée grâce aux informations données par Hector et Vénus. Virgile cependant a ajouté une dernière prophétie tout à la fin du chant II : celle de Créüse. Par ce moyen, le poète ajoute encore quelques précisions et montre qu’il était difficile de vaincre la résistance d’Énée : la mort de Créüse, qui lui enlève toute raison de rester à Troie, le détermine enfin à partir en exil et d’une certaine façon le condamne à vivre.

    36Le petit groupe des fugitifs, conduit par Énée, a atteint les murailles de la ville, lorsqu’il s’aperçoit que Créüse n’a pu les suivre, il revient sur ses pas et va la rechercher jusque dans la maison, puis jusqu’au palais de Priam, au cœur même de Troie. Elle lui apparaît alors, telle un fantôme, et, en lui dévoilant une partie de sa destinée, complète le message d’Hector reçu en rêve cette nuit-là. Les prédictions de deux personnages humains que la mort a instruits du destin de Troie et d’Énée encadrent la prophétie de Vénus et les prodiges de Jupiter.

    37Créüse prédit à Énée qu’il se rendra en Hespérie, sur les bords du Tibre et que là-bas il aura un royaume et une épouse italienne :

    Tu as devant toi de longs exils, la vaste plaine de la mer à labourer, tu viendras enfin à la terre d’Hespérie où le Thybris lydien coule d’un flot paisible entre les gras labours des hommes ; là-bas l’éclat de la puissance, un royaume, une épouse royale te sont réservés. (Aen. II, 780-784, J. Perret)

    38On peut s’étonner qu’après avoir entendu ces propos Énée ne sache toujours pas que les dieux lui ont promis un pays bien déterminé et qu’il se demande où aller, mais il faut tenir compte de l’angoisse qu’il éprouve lorsqu’il cherche son épouse, de sa douleur lorsqu’il apprend qu’elle est morte, de son désespoir lorsqu’il assiste aux scènes de pillage répandues dans toute la ville et enfin de son ignorance totale de la géographie et des noms de ces lointains pays de l’ouest. D’ailleurs, ces perspectives sont aussi éloignées dans le temps que dans l’espace et, dans le désespoir qui a envahi le cœur d’Énée, seul l’exil prend pour lui un sens. C’est Créüse elle-même qui désigne l’exode des Troyens par l’expression longa exsilia, donc la connaissance du terme de leur voyage ne l’empêche pas de parler d’exil parce que les Troyens connaîtront les mêmes conditions de vie que des exilés : incertitude du lendemain, accueil parfois hostiles dans les pays étrangers et inconnus où ils vont s’arrêter, dénuement matériel et moral. La terre promise est si lointaine, si mal située qu’ils perdent souvent l’espoir d’y arriver devant les dangers qui les menacent. Longa, qui peut suggérer l’éloignement dans l’espace et dans le temps, laisse entendre que la mission d’Énée ne s’accomplira que dans des pays lointains et dans un lointain avenir qui la rend incertaine.

    C. L’exil accepté

    39À la fin du chant II, Énée accepte de quitter à jamais la Phrygie et de conduire l’exode de ses compagnons. Divers événements l’ont décidé à partir en exil : le revirement et la détermination d’Anchise, l’annonce d’un destin exceptionnel pour Ascagne, la disparition de Créüse et sa prophétie qui lui redit une fois de plus qu’il doit partir, la fin de la nuit qui symbolise la fin de la guerre, la fin de l’espoir, la fin de Troie.

    40Énée avait donné rendez-vous près du temple de Cérès à quelques compagnons à qui il confie son père et Ascagne lorsqu’il repart chercher Créüse. Il s’étonne à son retour de voir qu’un grand nombre de survivants s’est joint au petit groupe initial. Son sens du devoir, qui lui imposait de protéger les siens, s’applique désormais à un groupe plus large : voyant que ces Troyens s’en remettent à lui, Énée accepte de prendre la tête des fugitifs, tout comme il avait conduit certains de ses compagnons au combat :

    ... des femmes, des hommes, une jeunesse rassemblée pour l’exil, foule bien digne de pitié. Ils se sont ralliés de partout, avec leur courage et leurs biens, tout prêts, quels que fussent les pays où je voudrais les conduire par la mer. (Aen. II, 797-800, J. Perret)

    41La situation est pour le moins inhabituelle et les propos d’Énée, emplis de contradiction, montrent qu’une petite place est faite à l’espoir dans le malheur et l’incertitude de l’exil. Car à côté du mot exsilium qui représente pour les Troyens les errances sans terme défini, Énée mentionne la confiance que les Troyens lui témoignent en le considérant comme leur guide et leur chef, en imaginant qu’il va pouvoir manifester une volonté assez assurée pour les conduire en un pays où ils pourront s’installer. Énée fait apparaître, par le verbe deducere « conduire », le paradoxe qui lui est imposé : sa fonction de chef suppose une certaine autorité, de la détermination, un plan défini d’avance, mais il est le chef d’une troupe misérable et les Troyens qui tentent d’emporter quelques biens pour sauver un peu de leur passé ne semblent pas pouvoir constituer un peuple sur lequel il trouve l’occasion d’exercer son pouvoir de roi. L’expression miserabile uolgus, « foule bien digne de pitié », est empreinte d’une ironie tragique : amer et désespéré, Énée peut confirmer après coup sa réaction au moment du départ ; il songe à leur pauvre rassemblement et à la contradiction qui oppose la confiance des Troyens et son propre doute.

    42Seul son sens du devoir, qui l’a d’abord conduit à risquer la mort – l’amour de la patrie est une composante du devoir du héros épique – oblige Énée à partir en exil poussé par sa piété envers les dieux, son amour pour son fils et son père et par la confiance qu’ont mise en lui ses compagnons troyens.

    43Énée doit renoncer au destin habituel d’un héros d’épopée : la victoire ou la mort. Aussi peut-on comprendre qu’il mette tant de temps à accepter de partir en exil : la condition misérable de l’exilé anéantit tout ce qu’il était auparavant. C’est cette condition que Virgile a choisie pour montrer que les valeurs et les repères d’un héros, issu de l’univers épique d’Homère, sont mis en péril. Mais le poète laisse entendre que, si le prince Énée, en tant que guerrier valeureux, a vu s’écrouler le monde dans lequel il pouvait s’illustrer et acquérir la gloire, qui est une forme d’immortalité, l’homme Énée peut survivre à cette défaite, c’est-à-dire redonner un sens à son action par cette qualité qui le définit, la pietas. Aussi successivement Énée prend-il sous sa protection et sa responsabilité le destin de son père, d’Ascagne et des Troyens qui lui reconnaissent l’autorité morale d’un chef.

    III. Le temps de l’exil : les errances et les tentatives de fondation

    44Au moment où il prépare leur départ, Énée n’a pas encore compris en quoi consistait sa mission. Il retire des combats qu’il a livrés lors de la dernière nuit de Troie l’impression que les dieux lui ont interdit de mourir et qu’ils l’ont condamné à l’exil. Ne pouvant entrevoir les lointaines perspectives qu’ils lui réservent, il assimile cette fuite à un misérable exode dans lequel il s’engage, contraint par son devoir envers les siens et par son respect des ordres divins.

    A. Les errances

    45Comme s’il donnait un titre au chant III, Énée résume, en mentionnant des exils (exsilia) et des terres désertes (desertas terras), les aventures qu’il va rapporter ensuite, ces épisodes de navigations entrecoupées de haltes sans lendemain :

    Après que les puissances d’en haut eurent décidé la perte de l’Asie, la perte aussi, malgré son innocence, du peuple de Priam, après que fut tombée la fière Ilion et que Troie tout entière, la ville de Neptune, fait monter du sol sa fumée, les signes des dieux nous pressent de chercher au loin nos exils et des terres désertes. (Aen. III, 1-4, J. Perret)

    46Sans doute Énée rapporte-t-il là ce qu’il prévoyait au moment de partir, mais il précise aussi qu’il tient encore, au moment de son récit, à identifier leurs voyages à des errances d’exilés. C’est sous cette forme qu’il veut en fixer le souvenir. Aussi n’évoque-t-il l’exil que par les images négatives tout à fait habituelles de l’éloignement et de l’abandon. La patrie6 est le plus souvent représentée par des images rassurantes de familiarité et d’intimité, de richesse et d’abondance. Mais l’exil7 engendre les images opposées qui nous sont présentées ici : loin de la patrie, qui dans le cas des Troyens est définitivement perdue, il semble que les terres inconnues soient toutes hostiles ; elles sont désertes ce qui signifie qu’elles sont impropres à accueillir et nourrir les Troyens. Virgile reprend ici un thème traditionnel dont il éclaire le côté négatif : il n’est de civilisation que dans sa propre patrie et l’image des pays étrangers est inquiétante est décevante.

    47Au moment du départ8, Énée ne peut parler tant son émotion est forte et il est envahi par les larmes ; aussi peut-on penser que c’est au moment où il raconte cet épisode, qu’il peut, tout en revivant cette scène, prendre assez de distance avec le souvenir qu’il en garde pour se définir lui-même comme un exilé. C’est un exemple curieux où Énée se regarde lui-même à travers la lunette grossissante de la mémoire, définissant sa condition malheureuse sur un ton qui semble montrer qu’il la revendique :

    48Exilé, je suis emporté vers la haute mer avec mes compagnons, mon fils, les Pénates et les Grands Dieux. (Aen. III, 11-12, d’après A. Bellessort)

    49Dans cette phrase sont regroupés les éléments qui composent l’image symbolique de leur exode. Énée fait allusion au bateau qui transporte vers une destination qu’ils ignorent quelques survivants démunis. Et pourtant la foi d’Énée est assez forte pour qu’il mentionne la présence à ses côtés des Pénates et des Grands Dieux dont il emporte les reliques. Dès son départ, il semble conduit par deux destins contradictoires, étant à la fois un exilé misérable et un homme que les dieux protègent, et sur lequel ils comptent.

    50Lorsqu’il reconstruit cette image au moment où il raconte ses aventures, Énée insiste sur cette opposition entre sa situation présente et les potentialités qu’elle laisse supposer. L’ordre des groupes de mots rend compte d’une gradation dans la mission d’Énée du plus évident au plus secret : il doit tout d’abord tenter de sauver ses compagnons, auxquels l’unissent la guerre et le souvenir de la patrie perdue, puis son fils, lié à ce passé troyen, mais promis à un avenir italien, enfin les dieux de Troie à qui il va donner une autre patrie assurant ainsi la survie de Troie. Il cite d’abord les Pénates dont Hector lui a confié les statuettes, qui symbolisent la vie de cette cité : ils vont le guider et Énée va les transporter sur son bateau avec ses compagnons humains. La mention des Grands Dieux n’est pas aussi facile à préciser, mais elle implique un devoir à la fois plus élevé et plus mystérieux. Même si, à Carthage, Énée ne l’a pas encore accomplie, il comprend, plus clairement sans doute qu’au moment où il quittait la Phrygie, l’importance de sa mission qui divise encore les dieux, mais sur laquelle ils vont bientôt s’accorder. Il est conscient qu’au moment du départ ses plus grandes richesses résidaient dans les êtres humains qu’il protège et les dieux qu’il transporte. Cette charge morale, cette forme de piété fait la grandeur d’Énée qui n’est pas totalement perdu dans un monde inconnu, puisqu’il emporte avec lui ses repères et ses valeurs.

    B. Les installations interdites : une autre forme d’exil

    51Tout au long de sept années, les Troyens connaissent la condition même des exilés, contraints de se contenter de haltes provisoires et de passer une grande partie de leur temps sur la mer, le lieu d’exil par excellence puisqu’on ne peut s’y installer et que la vie y est fréquemment menacée. S’il accepte l’exil que lui imposent les dieux, Énée le conçoit d’abord comme une errance à laquelle il s’efforce de donner un terme. Car un voyage sans fin et sans but impose aux humains une angoisse insupportable. Donc, même avant de savoir qu’il fondera une nation en Italie, il se comporte comme un chef de peuple. Mais tant qu’il ne connaît pas sa mission, il reste en son cœur un prince troyen et tente en quelque sorte de reconstruire une nouvelle Troie. Bien sûr l’échec de ces installations accroît l’impression d’un exil sans fin, d’une sorte de condamnation fatale à l’errance.

    52En fait cette interdiction est ambiguë. Énée la considère comme un malheur qui renforce et symbolise sa condition d’exilé : définitivement déraciné, chassé de partout, il ne peut s’installer nulle part. Mais en même temps, si Énée ne peut reconstruire Troie, c’est que les dieux lui réservent une terre bien définie où il doit fonder un nouveau peuple. Ce sont là deux points qu’il n’a pas encore compris, à la différence du lecteur. Virgile en effet a bousculé l’ordre chronologique, et le chant I rapporte des événements postérieurs à ceux que contiennent les récits d’Énée ; or à ce moment-là nous ne pouvons douter de la mission d’Énée clairement énoncée par Virgile dans son prologue :

    Je chante les armes et le héros qui, le premier, depuis les bords de Troie, banni par le destin, vint en Italie et sur les rivages de Lavinium, lui qui fut tellement ballotté et sur les continents et en pleine mer par la puissance des dieux d’en haut à cause de la colère tenace de la cruelle Junon, qui endura aussi bien des malheurs à cause de la guerre tandis qu’il s’efforçait de fonder sa ville et d’apporter ses dieux dans le Latium : de là naquirent la race latine, nos pères albains et les murailles de la haute Rome. (Aen. I, 1-7)

    53Enfin tout au long du chant II, nous avons entendu les avertissements d’Hector et de Créüse qui parlent d’un lieu défini qu’Énée doit chercher à atteindre. Créüse a même parlé plus précisément des Œnotres et du Tibre, et, bien que ces indications géographiques et ethnographiques soient données en termes archaïques, le lecteur comprend où se situe la terre promise, alors que de telles informations sont totalement obscures pour le troyen Énée. Aussi va-t-il chercher tout au long de son périple à s’installer là où il pense trouver un lieu accueillant pour ses Troyens et approprié à la fondation d’une ville.

    54Énée s’efforce, chaque fois qu’il s’arrête, de transformer la halte provisoire en une installation définitive, car les Troyens, contraints de quitter leur patrie, n’ont jamais envie de reprendre la mer, à l’inverse d’Ulysse qui est poussé par le désir de revenir à Ithaque. Ces tentatives vaines mettent à l’épreuve les qualités d’un chef de peuple et d’un prince, mais elles sont décourageantes, car elles s’inscrivent, du point de vue d’Énée, dans la suite de ses échecs répétés lorsqu’il s’efforçait de sauver Troie.

    55Arrivé en Thrace, Énée s’arrête sur une terre qui fut autrefois l’alliée de Troie. Il y fonde des murailles et donne à ses Troyens un nom de peuple : les Enéades, unis par leur identité troyenne et groupés sous l’autorité de leur chef. Mais après la chute de Troie, le roi de Thrace qui s’était rangé du côté des Grecs, avait assassiné pour lui voler son or Polydore, un des fils de Priam qui lui avait été confié pendant la guerre de Troie. Cet emplacement est donc maudit et les Troyens sont contraints de le quitter, après avoir accordé à leur malheureux compatriote, tué traîtreusement, des funérailles destinées à calmer son âme errante.

    56Si Énée, en arrivant à Délos, s’empresse de consulter le célèbre oracle d’Apollon, c’est pour lui demander quel sera le terme de leur exil. Ses questions prouvent qu’il n’a pas compris la signification de son voyage et qu’il l’assimile aux errances de l’exil :

    « Donne-nous, dieu de Thymbra, une demeure qui nous appartienne en propre ; donne des remparts à ceux qui sont recrus de fatigue, ainsi que des descendants et une ville destinée à durer ; garde, comme une seconde Pergame troyenne, les restes échappés aux Grecs et à l’impitoyable Achille. Quel est notre guide ? Où nous ordonnes-tu d’aller, de fixer notre séjour ? Donne-nous un signe, dieu vénérable, et descends dans nos cœurs. » (Aen. III, 85-89)

    57Il définit ici la condition même de l’exilé privé de maison et de cité, donc privé d’avenir. Pour Énée, Troie est encore la seule patrie puisque, même détruite, elle constitue la référence à partir de laquelle il organise sa vie et son système de valeurs. Le groupe qu’il compose avec ses Troyens est encore défini en termes militaires et par rapport à Troie : ils sont comme un rempart, une citadelle (Pergame était la citadelle de Troie). Il n’a pas encore compris clairement que les Pénates qui l’accompagnent sont aussi ses guides et il ne sait où il doit se diriger. S’il pose la question à Apollon, c’est parce qu’il est plongé dans un grand désarroi, ce n’est pas parce qu’il est sûr que les dieux ont établi pour lui un plan bien défini.

    58Le dieu lui fait savoir qu’il doit retrouver la terre de ses ancêtres où sa maisonnée et ses descendants exerceront un pouvoir apparemment sans fin. Lorsqu’il informe Anchise de cette réponse, celui-ci pense que le dieu a fait allusion à la Crète, patrie de Teucer qui émigra jusqu’à Troie. Énée, poursuivant son projet, entreprend très logiquement de construire en Crète une citadelle, car il pense avoir l’aval des dieux :

    Plein d’impatience, je dresse donc les murs de la ville souhaitée ; je l’appelle Pergamée etj’exhorte mon peuple, qui se réjouit de ce nom, à aimer ses foyers et à élever une citadelle protégeant leurs maisons. (Aen. III, 132-134)

    59Le nom de Pergamée rattache cette nouvelle fondation à la patrie troyenne en évoquant la force militaire de sa citadelle, Pergame. Énée croit faire ce qu’Apollon lui a prescrit, mais en fait il accomplit ce qu’il demandait lui-même au dieu dans sa prière : il édifie une citadelle qui protège les siens et symbolise la force militaire de Troie qu’ils peuvent encore représenter.

    60Mais, alors qu’Énée a donné des lois et des maisons à ses Troyens, une épidémie se déclare et les oblige à quitter la Crète. Anchise conseille de revenir à Délos pour demander au dieu des précisions sur le lieu qu’ils doivent rechercher.

    61Au plus fort du découragement, Énée voit les Pénates lui apparaître pendant la nuit, ces dieux Pénates dont il a emporté les statuettes et qui symbolisent la vie de Troie. Ils expliquent à Énée la prophétie d’Apollon et lui donnent une leçon de géographie et d’histoire, en lui parlant de l’Hespérie, terre des Œnotres, nommée également Italie. C’est là que les Troyens doivent s’installer et les Pénates renforcent cette contradiction qui caractérise le destin d’Énée : sa situation misérable de fugitif et d’exilé fait contraste avec la puissance future des descendants d’Énée et de leur ville, Rome évidemment, que les Pénates protègeront toujours :

    ... c’est nous encore qui élèverons tes descendants jusqu’aux astres et qui donnerons l’empire à ta ville. Toi, pour ces grands projets prépare de grandes murailles et n’envisage pas de renoncer à la longue épreuve de ton errance. (Aen. III, 158-160)

    62Ces vers montrent que les pérégrinations d’Énée en Méditerranée ne sont pas achevées, bien plus, ils en donnent la signification en les présentant comme une épreuve qu’Énée doit subir et traverser. C’est à nouveau le nom fuga (« la fuite, l’errance ») qui est employé par Virgile pour définir un héros d’un nouveau type qu’une partie de sa mission enferme dans la condition d’un fugitif et d’un exilé.

    63Les dieux rappellent à Énée que son ancêtre Dardanus venait d’Italie, ce que confirme ensuite Anchise, qui se remémore la descendance de Dardanus, gendre de Teucer, grand-père d’Ilos et d’Assaracos, tous deux respectivement grands-pères de Priam et d’Anchise lui-même. Dans cet épisode, Énée, attentif aux avertissements des dieux, en tire profit, tout comme il peut entendre, retenir et comprendre l’interprétation d’Anchise. Lajoie d’Énée et les cris enthousiastes des Troyens montrent leur élan vers la terre italienne. Ces perspectives donnent un sens à leurs errances qui deviennent un voyage de retour dans la patrie9.

    IV. En route vers la nouvelle patrie : interdictions et menaces

    64Après cette prophétie, Énée sait qu’il n’est plus un exilé, plus ou moins bien accueilli, enfermé dans le regret de la patrie perdue et condamné à vivre en un pays étranger.

    65Un épisode montre bien qu’Énée ne peut se contenter de rejoindre un des groupes de Troyens épars dans le monde : il s’aperçoit en effet que l’enfermement dans le souvenir de la patrie perdue n’est qu’une autre sorte d’exil qui condamne ces Troyens à une forme de mort, puisqu’ils ne peuvent espérer revenir à Troie : ainsi les Troyens de Buthrote sont-ils fixés et immobilisés dans la commémoration du passé.

    A. Une tentation interdite : reconstruire Troie

    66Malgré l’émotion très vive qu’Énée éprouve en retrouvant vivants des compagnons troyens installé à Buthrote, en Épire, il ne ressent pas la tentation de se joindre à eux. Énée s’arrête là pour revoir ses compatriotes et s’assurer que la renommée ne l’a pas trompé : car il a entendu dire qu’Hélénus, l’un des fils de Priam, vit en ces lieux avec Andromaque qu’il a épousée. C’est elle qu’il rencontre en arrivant. En la revoyant tout entière enfermée dans le souvenir d’Hector, il retrouve bien vivantes l’admiration et l’affection qu’il a toujours témoignées au héros troyen ; à ces sentiments se mêle la douleur d’avoir perdu sa compassion pour Andromaque.

    67Les Troyens ont aménagé à Buthrote une ville qui ressemble à Troie. Mais cette ville renvoie à Énée l’image de ce qu’il ne doit pas faire sous peine de perpétuer un exil qui ne se définit plus comme une errance dans l’espace, mais comme un enfermement dans le temps, en l’occurrence dans un passé révolu. Les dieux ne permettent pas de reconstruire Troie ; Énée doit donner naissance à un nouveau peuple qui fondera Rome. Celle-ci héritera de Troie puisqu’Énée apporte à Lavinium ses lois et ses cultes. Mais la nation romaine est mêlée : une composante troyenne s’unit à une composante indigène. Les Troyens de Buthrote sont installés en Épire, mais rien n’indique qu’ils communiquent avec la population indigène ; d’ailleurs, ils ont reconstruit à l’identique une petite Troie qui commémore la grande, ils ont fixé une image illusoire, établi une reconstitution fausse et artificielle, comme un décor de théâtre qui rappelle ce qui existait à Troie, mais qui ne peut avoir d’avenir parce que cette cité est isolée et coupée de l’histoire présente et du monde où elle se trouve. Les divers éléments qui composent cette reconstitution n’ont pour fonction que de rappeler la patrie perdue : un faux Simoïs10, une petite Troie, une Pergame, un Xanthe et des portes Scées composent une apparence :

    ... devant la ville, dans un bois sacré, près de l’onde d’un faux Simoïs, Andromaque faisait une libation pour ses cendres et appelait ses Mânes près d’un tombeau d’Hector, un tombeau vide, paré de gazon vert, qu’elle avait consacré ainsi que deux autels, pour y verser ses larmes. (Aen. III, 302-305)

    68Après avoir échangé avec Andromaque quelques paroles pleines d’émotion, scandées par le nom d’Hector, Énée entre dans la ville :

    Je m’avance et je reconnais une petite Troie, une Pergame qui a l’apparence de la grande, un ruisseau desséché portant le nom de Xanthe, puis je baise le seuil d’une porte Scée. (Aen. III 349-351)

    69Parmi cette énumération d’emplacements mythiques de la Troie homérique, figure la citadelle de Pergame qui en symbolise la puissance militaire et qu’Énée a voulu lui aussi reconstruire lors de ses haltes en Méditerranée, mais avec l’espoir qu’elle retrouverait sa fonction.

    70L’ensemble est dominé par l’image, immuable et figée, d’Andromaque, enfermée dans le passé. Elle a connu l’exil, subi l’esclavage et les assauts de Pyrrhus, elle a épousé Hélénus, mais Virgile la montre se recueillant près du cénotaphe d’Hector à qui elle ne cesse de penser, dont le nom emplit les propos qu’elle échange avec Énée et dont elle est pour toujours l’épouse. C’est ainsi d’ailleurs qu’elle se présente à Ascagne lorsqu’elle lui donne des étoffes brodées d’or et une chlamyde phrygienne :

    « Reçois aussi ces objets, qu’ils soient pour toi des souvenirs de mes mains, cher enfant, et qu’ils témoignent de la longue affection d’Andromaque, l’épouse d’Hector. Prends les derniers présents des tiens, toi, seule image qui me reste de mon Astyanax. Il avait tes yeux, tes mains, ton visage11 et maintenant, du même âge que toi, il deviendrait un adolescent. » (Aen. III, 486-491)

    71Le destin d’Ascagne ne peut se confondre avec celui d’Astyanax : Andromaque, en imaginant ce que serait son fils, compagnon d’âge d’Ascagne, est trop attachée à ce qu’elle a perdu pour pouvoir revivre : elle ne peut, ni ne veut quitter un passé dans lequel Hector et Astyanax sont vivants. Ascagne n’existe pour elle qu’en référence à ses chers disparus parce qu’il ravive l’image de ce que serait Astyanax. Il y a des cas où l’on peut se perdre dans le souvenir du passé, le prolonger par l’imagination et s’y trouver condamné à un éternel exil. Elle résume brièvement avec une simplicité poignante ce qu’elle a vécu, sans fausse pudeur, dans un passage où elle fait entendre à la fois sa plainte et sa résignation. L’exil est un malheur qui n’a pas de fin, car le passé ne peut revivre : Andromaque, témoin du passé, survit, mais ne vit plus. Elle est exilée d’un royaume qui n’existe plus ; elle continue d’exister, mais elle est enfermée dans son passé troyen et la reconstruction artificielle de la petite Troie rappelle que la ville a disparu à tout jamais.

    72Sans doute au moment de quitter les Troyens de Buthrote, Énée éprouve-t-il du regret en même temps que l’angoisse d’affronter à nouveau les dangers de la mer, la peur de ne pas arriver en Italie, l’accablement qui s’empare de celui qui n’est pas encore arrivé à bon port. Mais il anticipe déjà sur sa mission et envisage des liens entre l’Italie et l’Épire qui préfigurent ceux que son lointain descendant Auguste renforçait au moment où Virgile écrivait l’Énéide. Et il laisse entendre que les Troyens de Buthrote peuvent vivre en paix, mais qu’ils n’ont plus de destin nouveau qui s’offre à eux :

    « Vous avez sous les yeux l’image du Xanthe, une Troie que vos mains ont bâtie, sous de meilleurs auspices, je le souhaite, et puisse votre œuvre se garder mieux des Grecs. » (Aen. III, 497-499, J. Perret)

    73Ces vers fixent l’image de la petite Troie et limitent les dangers qui la menacent aux Grecs qui ont détruit la capitale phrygienne : il s’agit donc d’une image d’autrefois et de dangers appartenant au passé. Le rapprochement avec les Romains, au nom de leur parenté, s’inscrit dans un lointain avenir et s’effectuera sous l’autorité de Rome : Buthrote n’a pas d’avenir politique.

    74L’espace et le temps reprennent un sens pour Énée du moment où il connaît sa mission, mais ils ne lui sont pas pour autant favorables : les dangers de la mer, les risques rencontrés dans des pays inconnus sont de même nature que ceux qui menacent un exilé, et ils lui paraissent d’autant plus cruels qu’ils risquent de compromettre son entreprise : l’angoisse habituelle de l’exilé s’en trouve accrue.

    75L’espoir est entaché de tristesse lorsque Virgile présente son héros au chant I qui, dans l’ordre chronologique, succède au chant III. En effet, Énée, endeuillé par la mort de son père, quitte la Sicile où ce dernier a été enterré pour gagner le rivage de l’Italie, dans ce qu’il suppose être la dernière étape de sa navigation.

    B. La tempête menace la mission d’Énée

    76Au début du chant I, Énée connaît la route qu’il doit suivre et perçoit l’importance de sa mission ; mais une tempête, image emblématique de l’exil, le rejette sur les côtes de l’Afrique du nord. Elle est déclenchée par Junon, furieuse de découvrir que les Troyens s’approchent de l’Italie et que leurs errances vont prendre fin. Elle montre à Énée qu’il est menacé par des accidents de la fortune et lui rappelle qu’il est toujours un exilé. La tempête symbolise la fragilité du destin des hommes et rappelle au lecteur, en ouverture à l’Énéide, qu’Énée est protégé par certains dieux, mais détesté par d’autres, parce qu’un destin hors du commun semble toujours plus menacé qu’une condition moyenne. L’ampleur de la tempête traduit le déchaînement de la colère divine et montre que le sort s’acharne plus durement contre lui en raison même de sa grandeur. C’est l’importance de sa mission qui fait de lui un exilé exceptionnel.

    77La tempête cyclonique, déclenchée par Junon, lui fait perdre de vue six bateaux sur les vingt qui composent sa flotte : l’un d’eux est englouti sous ses yeux et les autres subissent des avaries importantes. Ce sont la colère et la haine de Junon qui se manifestent dans le déchaînement des éléments qui prend des proportions surnaturelles. Le motif de la tempête est souvent associé à l’exil parce que ce phénomène donne une réalité objective, inscrite dans l’espace, à l’acharnement et à l’injustice que ressentent tous les exilés qui ont l’impression que leur condition déclenche une série de malheurs. Au moment de la tempête, il n’est pas étonnant qu’Énée évoque à nouveau la guerre de Troie, parce que tous les deuils et tous les malheurs qui l’ont accablé, lui et ses Troyens, découlent du malheur originel qui provoqua leur exil : la destruction de Troie. Ils ont enchaîné pendant sept longues années les errances et les échecs ; Anchise qui portait avec lui la mémoire de Troie est mort, et une tempête d’une violence exceptionnelle s’acharne à détruire leur flotte. Suivant son modèle homérique, Virgile ne pouvait manquer de recourir à ce motif de la poésie épique : comme Ulysse sur son radeau, Énée, avec sa flotte, subit les assauts des vents qui déchaînent la mer et provoquent les orages.

    78La prière, exprimée par Énée au plus fort de la tempête, n’est pas si banale qu’on pourrait le croire : ce n’est ni un appel à la pitié, ni un appel au secours, mais une vraie prière prononcée dans l’attitude de l’orant, qui tourne les paumes de ses mains vers le ciel :

    ... « O trois et quatre fois heureux ceux à qui il fut donné de trouver la mort sous les regards de leurs pères au pied des hautes muraille de Troie ! O fils de Tydée le plus vaillant de la race des Danaens, que n’ai-je pu tomber dans les plaines d’Ilion et rendre cette âme sous les coups de ton bras, là où gît le farouche Hector frappé par le fer de l’Eacide, là où gît l’immense Sarpédon, là où le Simois entraîne et roule dans ses eaux en si grand nombre les boucliers des héros, leurs casques et leurs corps puissants. » (Aen. I, 94-101)

    79Énée ne demande rien, mais rapproche cette menace de mort de celle qui l’a pressé sept ans plus tôt lors des combats menés pour défendre Troie. Il compare alors deux façons de mourir, l’une glorieuse et utile pour sauver sa patrie, l’autre misérable et vaine, au cours du naufrage qui les menace. Ce passage fait référence au désir de se battre jusqu’à la mort qu’il éprouvait lors de la dernière nuit de Troie. Cependant malgré l’évocation des grands héros grecs et troyens que leur vaillance immortalise, la prière d’Énée s’achève sur une évocation de la mort totalement dépourvue d’espoir et de sens. L’élan initial qui lui faisait regretter de ne pas être mort devant les murs de Troie se brise en une série d’images pitoyables qui font apparaître la mort comme totalement destructrice et vaine : les images des boucliers, des casques et des cadavres emportés pêle-mêle par le Simois. L’angoisse de mourir s’ajoute au désepoir d’être oublié de tous, l’une des souffrances des exilés. Junon enferme à nouveau Énée dans cette misérable condition en le plongeant dans le désespoir que provoque le sentiment d’être seul et abandonné des dieux. La tempête n’est qu’une métaphore de l’exil, elle en dit la cruauté et donne raison à l’exilé qui désespère et se sent perdu dans un monde hostile. Énée a connu des difficultés et des échecs après avoir quitté Troie, mais c’est au moment de la tempête qu’il se sent de nouveau menacé par la mort et qu’il redoute de ne pouvoir accomplir la mission qui lui a été révélée tout au long de son périple en Méditerranée. La tempête renforce en lui son désir de vivre pour aller au bout du destin que les dieux lui ont proposé et qu’il a choisi.

    80Seul élément positif : la prière. Entre l’espoir et le désespoir, entre la toute puissance et l’impuissance, entre la gloire et l’oubli, Énée doit conquérir sa place, celle d’un homme que le destin conduit à travers des contradictions jusqu’à sa mission exceptionnelle. Il a conscience de cette condition que Virgile mentionne au début de son poème lorsqu’il en indique le sujet, car elle ne constitue pas un accident isolé, mais compose le destin d’Énée pendant de longues années.

    V. Misère et grandeur : l’attitude du fondateur de la nation romaine

    81Lorsque le danger du naufrage est écarté pour la plupart des Troyens, la situation des rescapés n’est pas très rassurante : ils sont perdus en un pays inconnu. Cependant, même si Énée se sent écartelé entre la misère de l’exil et la grandeur d’un nouveau rôle, il ne peut s’en ouvrir à ses compagnons, car il ne peut partager avec eux ses angoisses et son incertitude. La fonction de guide et de chef qu’il assume auprès d’eux lui impose à l’inverse de les soutenir dans les difficultés et de les encourager.

    A. La vertu d’espérance

    82Lorsque les Troyens débarquent sur le rivage inconnu de Carthage, ils sont encore bouleversés par l’angoisse qui les a étreints lors de la tempête et ressentent un grand épuisement. Évidemment, l’arrivée au port leur apporte quelque réconfort au moins physique : les malheureux rescapés ont trouvé un port accueillant12, à la fois paisible et mystérieux, ils ont pu sauver de la tempête des jarres de vin que leur avait offertes leur compatriote Aceste en Sicile, et surtout une chasse tout à fait exceptionnelle a permis à Énée de nourrir tout son peuple. En revanche, ils ne sont pas délivrés de tout souci et ils s’inquiètent du sort de leurs camarades dont ils ont été séparés. En outre, en débarquant sur le rivage de Carthage qui leur est inconnu, ils retrouvent la situation que l’exil leur a souvent fait connaître : la solitude et l’abandon.

    83Énée aussi ressent une grande inquiétude, peut-être même avec plus d’acuité qu’eux, car il se sent responsable de ses compagnons dont il est le guide. Malgré le souci qui va ensuite le tarauder durant la nuit, il s’adresse aux Troyens en essayant de faire renaître l’espoir en leur cœur. Il veut empêcher que le souvenir de la tempête n’en prolonge l’effet destructeur et que les Troyens épuisés ne retrouvent, après l’angoisse de mourir, celle d’être perdus en un pays inconnu et peut-être hostile. Pour éloigner la peur, le découragement et conjurer les forces destructrices du destin, il s’applique à convertir l’épisode dévastateur de la tempête en une épreuve sur laquelle les Troyens peuvent s’appuyer pour reprendre espoir :

    « Compagnons, nous ne pouvons ignorer nos malheurs passés, oh ! nous en avons subi de si lourds, mais un dieu donnera aussi un terme à ces derniers. Oui, vous avez vu de près la fureur de Scylla et les profondeurs de ses écueils retentissants, oui, vous avez fait l’expérience des rochers du Cyclope : rappelez votre courage et laissez la peur et l’affliction vous quitter ; peut-être même vous plairez-vous un jour à vous souvenir de ces moments. À travers des hasards divers, à travers tant de situations critiques nous nous dirigeons vers le Latium où les destins nous montrent des séjours pleins de paix ; c’est là que le destin nous permet de faire renaître le royaume de Troie. Persévérez et gardez-vous pour le bonheur. » (Aen. I, 198-207)

    84Par les mots, il conjure cet accident qu’il renvoie dans le passé et il minimise l’angoisse qui les a paralysés, en imposant la distance du souvenir comme une barrière qui les protège de la peur. Il apprivoise cet épisode surnaturel, le ramène aux dimensions de leurs aventures antérieures qui semblent constituer un catalogue des dangers mythiques de la navigation en Méditerranée depuis Ulysse : il ajoute aux dangers de Charybde et Scylla, aux menaces des Cyclopes les risques d’une tempête entre la Sicile et l’Afrique13. Le temps transforme le malheur en épreuve et donne sens à l’acharnement apparemment injuste, ou au moins injustifié, des dieux ou du destin contre des humains démunis : ainsi la colère de Junon elle-même n’est plus aussi absurde ou cruelle. L’avenir seul peut donner quelque douceur aux souvenirs ; il est le seul domaine dans lequel Énée puisse faire exister son espoir.

    85Énée semble doté de cette vertu d’espérance qui a pu apparaître aux yeux des Romains comme une vertu nationale, celle qui leur a souvent permis de poursuivre la lutte, par exemple lors de certaines années difficiles des guerres puniques. Énée n’exprime pas la fierté d’avoir triomphé des difficultés ou le soulagement d’être sauvé ou la certitude de pouvoir l’emporter encore, mais il évoque la nostalgie qui les envahira dans bien des années au souvenir de leurs malheurs.

    86Énée semble avoir enfin accepté sa condition d’exilé comme une composante de son destin. Sans doute s’oppose-t-elle à sa mission de fondateur, comme le malheur s’oppose au bonheur, mais l’exil est une épreuve qui le définit. Il réussit à métamorphoser les images négatives et destructrices de la guerre et de l’exil qui l’enferment dans le passé et la souffrance en une mémoire positive qui fait émerger la cohérence et l’harmonie continue de sa personnalité à travers les accidents dont le sort l’a accablé.

    87C’est devant le témoin qui compte le plus pour lui, sa mère, qui est aussi la déesse Vénus, qu’il revendique sans orgueil, mais avec fermeté, tout ce qui le définit : aussi bien la déréliction que les perspectives glorieuses.

    B. La gloire de l’exilé

    88Le poète imagine une scène dans laquelle Énée, parti pour explorer le pays inconnu où il vient d’aborder à cause de la tempête, rencontre sa mère Vénus qui a pris l’apparence d’une jeune fille tyrienne ; et il se présente à elle d’une façon qui rappelle les modes antiques tout en s’en démarquant :

    « Je suis le pieux Énée qui transporte avec moi sur ma flotte mes Pénates arrachés à l’ennemi, connu au-delà des cieux par la renommée. Je cherche l’Italie, la terre de mes pères, et ma race est issue du très grand Jupiter. Je me suis embarqué avec deux fois dix navires sur la mer de Phrygie, ma mère la déesse m’indiquant la route, j’ai suivi les oracles qui m’avaient été donnés ; c’est à peine s’il me reste sept bateaux, bousculés par les flots et l’Eurus. Quant à moi, inconnu, privé de tout, je parcours les déserts de la Libye, chassé de l’Europe et de l’Asie. » (Aen. I, 378-385)

    89On s’attend à ce qu’il dise son nom, celui de son père et de sa patrie pour répondre aux questions de la jeune fille qu’il prend déjà pour une déesse ; mais il renouvelle cette façon de se présenter en attachant à son nom sa mission qui déjà le définit. Il rappelle d’abord son voyage depuis Troie jusqu’en Libye, tenant compte des informations de Vénus qui vient de l’éclairer sur la migration des Tyriens et sur l’aventure de Didon. Il dit ensuite son nom et ses titres de noblesse qui sont constitués par des qualités morales ou religieuses et par la présence des dieux à ses côtés : sa piété, ses dieux Pénates. Il met en avant sa célébrité alors même qu’il en doute et affirme en un contraste amer et douloureux sa misère, celle d’un exilé, inconnu, étranger en tout lieu et chassé de partout. Les contradictions sont si fortes que J. Perret a parlé de « mobilité affective »14 pour rendre compte de l’état d’esprit d’Énée dans ce passage. Le personnage à coup sûr n’est pas tout d’une pièce, il est souvent hésitant et incertain, mais ici il analyse très précisément les contradictions que sa destinée lui a imposées. Certains éléments font sa gloire : il peut être connu à cause de son origine, de ses actions courageuses lors de la guerre de Troie, peut-être déjà à cause de sa mission annoncée par des oracles et des prédictions, mais paradoxalement aussi du fait des vicissitudes de l’exil. Objet d’admiration comme les autres héros épiques, il devient par son exil un objet de pitié comme les personnages de la tragédie. Selon les moments du temps, c’est la grandeur ou la misère qui l’emporte : or le temps présent, au début du chant I, est celui des incertitudes : en quel pays les Troyens ont-ils débarqué, pour quelle raison ont-ils été sauvés puisque se renouvelle apparemment la situation initiale qui semble les vouer à l’exil ? Ils n’ont échappé à la guerre et au naufrage que pour se trouver jetés dans l’exil.

    90C’est peut-être parce qu’il croit déjà s’adresser à une déesse qu’Énée s’exprime avec une véhémence qui traduit sa protestation contre la cruauté des dieux et du destin. Peut-être sa protestation est-elle d’autant plus amère et violente que, depuis la prophétie des Pénates, il sait qu’il doit accomplir une mission glorieuse. Et, s’il souffre des délais qui le retardent et des dangers qui risquent d’anéantir sa mission, c’est qu’il l’a acceptée. On peut expliquer les propos contradictoires qu’Énée adresse à sa mère : à la fois glorieux et misérable, il note ce paradoxe et cette contradiction que Virgile soutient dans l’ensemble de son poème et qui en fait le véritable sujet. Ceux qui sont les plus démunis vont accomplir l’œuvre la plus grande : fonder la nation romaine. C’est ce que pressent Énée en confrontant son expérience douloureuse d’exilé aux avertissements des dieux. Seule la piété lui permet de supporter ces épreuves. Virgile redéfinit le terme pietas : outre le respect des devoirs, le terme sert à désigner un sentiment plus profond, une forme de foi. Les propos d’Énée à Vénus traduisent à la fois sa souffrance et sa fierté. Ils ne sont que l’expression personnelle, presque lyrique, des analyses du poète au début de son œuvre. Dans le préambule de 11 vers tout le destin d’Énée est énoncé15 : aux malheurs de l’exilé s’oppose la grandeur de la mission. Le terme labores (« les épreuves ») est une autre clé importante pour comprendre la signification de l’exil d’Énée. Les événements qui semblent accabler le héros troyen sont autant d’épreuves qu’il doit subir pour devenir un autre homme. L’exil est une forme de mort, dont la tempête met en scène le simulacre, nécessaire pour une renaissance : Énée en parcourant la Méditerranée d’est en ouest parcourt également la distance qui sépare un prince troyen riche et puissant et l’ancêtre encore pauvre et méconnu des Romains. Il manifeste les qualités de ses descendants lointains : comme les Romains dans les situations qui mettaient en péril la vie de la cité, il se montre acharné, pieux et il ne désespère pas.

    91Virgile renouvelle ainsi les traits du héros épique.

    Conclusion

    92La construction de l’Énéide rend compte de l’évolution d’Énée. Lorsqu’il arrive à Carthage, au chant I, il a déjà erré en Méditerranée pendant six ans ; l’accueil de Didon lui redonne espoir et il raconte, dans les chants II et III, ses aventures passées : s’il peut les revivre en les racontant, c’est parce qu’enfin il prend quelque distance avec ces événements. La halte à Carthage établit une solution de continuité entre le présent et deux séries d’événements qui sont une fois pour toutes renvoyés dans le passé : la dernière nuit de Troie et les errances en Méditerranée. Le récit a le même effet que la représentation picturale des épisodes importants de la guerre de Troie sur les parois du temple de Junon à Carthage. Une distance s’établit entre Énée acteur de ces événements et Énée spectateur ou narrateur : l’œuvre d’art, picturale ou poétique offre un objet que l’artiste projette hors de lui et dont il est délivré. Virgile dans les récits des chants II et III imite Homère qui a imaginé la narration d’Ulysse chez les Phéaciens, mais il donne à cette partie de son poème une fonction dans l’évolution de son personnage.

    93Virgile nous permet de suivre l’évolution d’un héros épique de type homérique jusqu’à l’homme exceptionnel que ses aventures ont formé. Seule la mort pouvait convenir au prince troyen qui combattait courageusement pour sa patrie. Il lui sacrifierait sa vie qu’il expose sans prudence si le sort le permettait. Un nouveau devoir envers son fils, son père, ses compagnons l’oblige à accepter de partir en exil et à supporter les malheurs qui accompagnent habituellement cette condition : errances sur la mer, haltes provisoires, sentiment de solitude et d’abandon. Chef d’un groupe de Troyens, il ne peut imaginer d’autre issue à l’exil que l’installation dans un pays étranger où il donnera des murs et des lois à son peuple, à l’image de ce qu’il connaissait à Troie. Lorsqu’il prend connaissance de sa mission, il comprend à quel point ses tentatives étaient inutiles et vouées à l’échec. Mais les conditions matérielles difficiles, indissociables de l’exil, l’accablent encore et, dans la dernière partie de leur périple en Méditerranée, Junon, qui reste leur ennemie, déclenche contre les Troyens le dernier, mais aussi le plus terrible des dangers de l’exil : la tempête, qui les fait naufrager sur la côte libyenne. Par les propos désespérés et fermes à la fois qu’il met dans la bouche d’Énée s’adressant à Vénus, Virgile souligne l’évolution de son héros qui se définit lui-même dans les contradictions : la piété, la misère de l’exilé, la volonté du chef de peuple, le sentiment que sa gloire découle aussi bien de sa misère que de la grandeur de sa mission.

    94Nous avons limité notre étude à l’exil, reconnu comme tel, réel et matériel même si bien des éléments ont une fonction symbolique.

    95Un autre motif pourrait être approfondi : celui de l’exil intérieur, totalement symbolique. En effet au moment où il arrive à Carthage, Énée sait qu’il doit aller en Italie, où il trouvera sa patrie (patria, donc au sens propre : « la terre de ses pères »), comme il le dit lui-même à Vénus. Mais avant de devenir le fondateur de la nation romaine, il doit affronter une autre épreuve. Il va connaître la tentation de s’installer à Carthage, retenu par l’amour et l’admiration qu’il ressent à l’égard de Didon. Il arrive au moment où Didon édifie la ville et cette entreprise préfigure en partie la sienne qui sera à la fois plus grande (Rome a vaincu Carthage), mais moins apparemment glorieuse pour Énée (il ne fonde pas Rome). Après avoir supporté des épreuves sur terre et sur mer, il doit se retenir de céder à la tentation de s’installer à Carthage dans le rôle de prince consort. Il doit s’arracher à cette tentation qui le conduirait à oublier à la fois sa misère et sa grandeur. Pourtant Carthage le retient un long moment. S’il restait, il s’enfermerait dans une sorte d’exil symbolique en s’excluant lui-même de sa mission.

    96On a dit que Virgile décrivait le parcours de son héros en suivant les préceptes stoïciens bien connus : sustine et abstine (« supporte » et « abstiens-toi »). La première façon de vaincre l’exil conçu comme une épreuve initiatique consiste à supporter les difficultés et les dangers qu’il impose sans se décourager. La tempête exceptionnelle du chant I et l’arrivée sur une terre inconnue ont ramené les Troyens à leur condition d’exilés. Mais la foi d’Énée lui permet de supporter ces épreuves et de continuer à espérer en l’avenir. Si le danger de la tempête s’est imposé au héros avec une violence agressive, la tentation dont il doit se garder à Carthage est un autre danger beaucoup plus insidieux, une autre forme d’exil.

    Notes de bas de page

    1 L’ensemble de cette étude doit beaucoup aux analyses de M. Bonjour, Terre natale, études sur une composante affective du patriotisme romain, service de reproduction des thèses, Université de Lille III, 1976.

    2 Dans son ouvrage intitulé : Hector, éditions de Fallois, Paris, 1997, J. de Romilly rappelle, dans sa préface, les particularités de ce personnage dont l’Iliade raconte surtout la mort. Mais ce qui a peut-être touché Virgile dans le poème homérique, c’est l’attention portée à cet ennemi des Grecs ; ne serait-ce pas à l’imitation d’Hector que Virgile aurait conçu son héros comme un être dont l’humanité nous touche ?

    3 Dans cet exposé, nous emprunterons souvent les traductions des vers de Virgile à l’ensemble des trois volumes de l’Énéide éditée, traduite et annotée par J. Perret : volume 1 Énéide I-IV, 1977, volume 2, Énéide V-VIII, 1978 et volume 3, Énéide IX-XII, 1980, CUF, Les Belles Lettres, Paris. Nous indiquerons après la citation sa référence et le nom de J. Perret, comme ci-dessus. Il nous arrivera aussi de citer la traduction de A. Bellessort, proposée à partir du texte de l’Énéide édité par H. Goelzer dans la publication en deux volumes de la CUF, Les Belles Lettres, Paris, 1961 ; dans ce cas nous préciserons cet emprunt par le nom du traducteur : A. Bellessort. Quand il n’y a aucune indication, c’est que nous proposons une traduction personnelle.

    4 Cf. J. Perret, Énéide II, volume I, p. 161, note au vers 321. M. Bonjour, Terre natale…, p. 282, rappelle que l’image d’Énée portant son père chargé des objets sacrés et tenant son fils par la main « devenait l’image même de l’exilé emportant avec lui ses biens les plus chers. »

    5 Pour les anciens, ce mot serait formé de ex qui indique la provenance, l’éloignement et de solum le sol, donc, par son étymologie, il décrit l’arrachement au sol de la patrie.

    6 M. Bonjour, Terre natale p. 357 sqq, oppose l’image de la patrie à celle des pays d’exil.

    7 Idem, p. 441-442 : « ... s’il est apparu que pour les Romains la terre natale était avant tout une terre maternelle, s’il est vrai que souhaiter retourner à elle, c’était inconsciemment souhaiter le retour à la mère, le monde de l’exil, monde où l’on est exclu de la terre-mère, doit apparaître comme un ‘anti-monde maternel’, où thèmes et images seront inversés. »

    8 La scène est commentée par M. Bonjour, Terre natale …, p. 282-283. L’auteur fait remarquer que Virgile n’a pas mentionné le dernier regard du héros sur sa patrie, alors qu’Énée se retourne en quittant Carthage, et l’explique par le fait qu’Énée est pris entre le passé et l’avenir. « Il ressent en même temps le double appel. Aussi son regard est-il neutralisé. Il est réduit aux larmes. »

    9 M. Bonjour, Terre natale …, p. 481 sqq, montre clairement l’originalité du voyage d’Énée en Italie, voyage que l’on peut comparer à un nostos (« un retour »).

    10 Baudelaire a traduit l’expression de Virgile par : « ce Simoïs menteur », cf. Les Fleurs du mal, II Tableaux parisiens, Le Cygne, v. 4.

    11 Racine s’est souvenu de ces vers dans l’aveu de Phèdre à Hippolyte : « Il avait votre port, vos yeux, votre langage, / Cette noble pudeur colorait son visage, ... » (Phèdre, v. 641-642)

    12 M. Bonjour, Terre natale …, p. 292 sqq : « pour les Troyens errant sur les flots, la terre est toujours un refuge, le rivage est toujours hospitalier. »

    13 Les Romains avaient essuyé des tempêtes destructrices dans les parages où navigue Énée, lors de la première guerre punique : ils en gardaient un très mauvais souvenir.

    14 J. Perret, Énéide III, volume I, p. 147, note au vers 380.

    15 Nous avons cité les sept premiers vers p. 15. Voici les vers 8-11 : « Muse, rappelle-moi les causes : pour quelle blessure faite à sa puissance, pour quelle souffrance la reine des dieux a-t-elle poussé un héros si remarquable par sa piété à parcourir le cercle de tant de hasards, à affronter tant d’épreuves ? Les âmes célestes éprouvent-elles de si grandes colères ? »

    Auteur

    Françoise Daspet

    Université Michel de Montaigne
    Bordeaux 3

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    Table des matières

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    1 L’ensemble de cette étude doit beaucoup aux analyses de M. Bonjour, Terre natale, études sur une composante affective du patriotisme romain, service de reproduction des thèses, Université de Lille III, 1976.

    2 Dans son ouvrage intitulé : Hector, éditions de Fallois, Paris, 1997, J. de Romilly rappelle, dans sa préface, les particularités de ce personnage dont l’Iliade raconte surtout la mort. Mais ce qui a peut-être touché Virgile dans le poème homérique, c’est l’attention portée à cet ennemi des Grecs ; ne serait-ce pas à l’imitation d’Hector que Virgile aurait conçu son héros comme un être dont l’humanité nous touche ?

    3 Dans cet exposé, nous emprunterons souvent les traductions des vers de Virgile à l’ensemble des trois volumes de l’Énéide éditée, traduite et annotée par J. Perret : volume 1 Énéide I-IV, 1977, volume 2, Énéide V-VIII, 1978 et volume 3, Énéide IX-XII, 1980, CUF, Les Belles Lettres, Paris. Nous indiquerons après la citation sa référence et le nom de J. Perret, comme ci-dessus. Il nous arrivera aussi de citer la traduction de A. Bellessort, proposée à partir du texte de l’Énéide édité par H. Goelzer dans la publication en deux volumes de la CUF, Les Belles Lettres, Paris, 1961 ; dans ce cas nous préciserons cet emprunt par le nom du traducteur : A. Bellessort. Quand il n’y a aucune indication, c’est que nous proposons une traduction personnelle.

    4 Cf. J. Perret, Énéide II, volume I, p. 161, note au vers 321. M. Bonjour, Terre natale…, p. 282, rappelle que l’image d’Énée portant son père chargé des objets sacrés et tenant son fils par la main « devenait l’image même de l’exilé emportant avec lui ses biens les plus chers. »

    5 Pour les anciens, ce mot serait formé de ex qui indique la provenance, l’éloignement et de solum le sol, donc, par son étymologie, il décrit l’arrachement au sol de la patrie.

    6 M. Bonjour, Terre natale p. 357 sqq, oppose l’image de la patrie à celle des pays d’exil.

    7 Idem, p. 441-442 : « ... s’il est apparu que pour les Romains la terre natale était avant tout une terre maternelle, s’il est vrai que souhaiter retourner à elle, c’était inconsciemment souhaiter le retour à la mère, le monde de l’exil, monde où l’on est exclu de la terre-mère, doit apparaître comme un ‘anti-monde maternel’, où thèmes et images seront inversés. »

    8 La scène est commentée par M. Bonjour, Terre natale …, p. 282-283. L’auteur fait remarquer que Virgile n’a pas mentionné le dernier regard du héros sur sa patrie, alors qu’Énée se retourne en quittant Carthage, et l’explique par le fait qu’Énée est pris entre le passé et l’avenir. « Il ressent en même temps le double appel. Aussi son regard est-il neutralisé. Il est réduit aux larmes. »

    9 M. Bonjour, Terre natale …, p. 481 sqq, montre clairement l’originalité du voyage d’Énée en Italie, voyage que l’on peut comparer à un nostos (« un retour »).

    10 Baudelaire a traduit l’expression de Virgile par : « ce Simoïs menteur », cf. Les Fleurs du mal, II Tableaux parisiens, Le Cygne, v. 4.

    11 Racine s’est souvenu de ces vers dans l’aveu de Phèdre à Hippolyte : « Il avait votre port, vos yeux, votre langage, / Cette noble pudeur colorait son visage, ... » (Phèdre, v. 641-642)

    12 M. Bonjour, Terre natale …, p. 292 sqq : « pour les Troyens errant sur les flots, la terre est toujours un refuge, le rivage est toujours hospitalier. »

    13 Les Romains avaient essuyé des tempêtes destructrices dans les parages où navigue Énée, lors de la première guerre punique : ils en gardaient un très mauvais souvenir.

    14 J. Perret, Énéide III, volume I, p. 147, note au vers 380.

    15 Nous avons cité les sept premiers vers p. 15. Voici les vers 8-11 : « Muse, rappelle-moi les causes : pour quelle blessure faite à sa puissance, pour quelle souffrance la reine des dieux a-t-elle poussé un héros si remarquable par sa piété à parcourir le cercle de tant de hasards, à affronter tant d’épreuves ? Les âmes célestes éprouvent-elles de si grandes colères ? »

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    Ce livre est cité par

    • Nouss, Alexis. (2015) La condition de l’exilé. DOI: 10.4000/books.editionsmsh.5928

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    Daspet, F. (2009). Énée en exil. In D. Sabbah (éd.), Écritures de l’exil (1‑). Presses Universitaires de Bordeaux. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pub.39912
    Daspet, Françoise. « Énée en exil ». In Écritures de l’exil, édité par Danièle Sabbah. Pessac: Presses Universitaires de Bordeaux, 2009. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pub.39912.
    Daspet, Françoise. « Énée en exil ». Écritures de l’exil, édité par Danièle Sabbah, Presses Universitaires de Bordeaux, 2009, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pub.39912.

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    Sabbah, D. (éd.). (2009). Écritures de l’exil (1‑). Presses Universitaires de Bordeaux. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pub.39877
    Sabbah, Danièle, éd. Écritures de l’exil. Pessac: Presses Universitaires de Bordeaux, 2009. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pub.39877.
    Sabbah, Danièle, éditeur. Écritures de l’exil. Presses Universitaires de Bordeaux, 2009, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pub.39877.
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