Qui maîtrise l’ouvrage ?
L’accompagnement d’un groupe d’histoire locale
p. 193-214
Texte intégral
1Cet écrit relate l’accompagnement du groupe d’histoire locale du Mesnil-en-Vallée, réalisé avec une collègue du GREA1 (Groupe de Recherches Ethnologiques de l’Anjou), pour aider le groupe à rédiger un ouvrage à caractère ethnographique sur la commune. Cette collaboration était pour nous l’occasion d’approfondir sous un angle singulier un thème de recherche engagé dans le cadre du GREA sur l’engouement associatif pour l’histoire locale dans le Maine et Loire. L’action s’est déroulée sur un peu plus de 2 ans, de février 2000 à mai 2002, l’ouvrage qui en émane a été publié en décembre 20022.
2La collaboration avec le groupe d’histoire locale a impliqué des phases de travail commun en intégrant le débat et une participation active du groupe au cours de réunions mensuelles. Selon les étapes du travail, ces réunions ont permis de faire le point sur les informations à disposition, solliciter des recherches complémentaires, demander des précisions, relire et corriger les chapitres que nous rédigions. Les réunions ont souvent été houleuses et sources de tensions entre les rédacteurs et les membres du groupe d’histoire locale. De par les débats auxquels elles ont donné lieu, ces réunions ont été le support d’observations et de réflexions, sur la dynamique du groupe d’histoire locale, sur les décalages entre les intervenants et les membres du groupe, sur les ressorts de l’investissement des uns et des autres dans la recherche et la mise en valeur du passé communal3.
3Point de départ de la présente réflexion, la situation s’est avérée en effet rapidement complexifiée par le fait que la commande positionnait les ethnologues et les membres du groupe d’histoire locale sur un terrain concurrentiel. L’ethnologie appliquée place habituellement le chercheur en position de seul spécialiste, expert reconnu à qui on laisse au moins la maîtrise du cadre méthodologique et de l’analyse des données. Ici, les membres du groupe d’histoire locale étaient eux-mêmes en position de chercheurs. Ce groupe a malgré tout sollicité l’université pour plusieurs raisons : recherche d’une caution scientifique, sentiment d’être submergé par l’ampleur d’un projet déjà entamé depuis plusieurs années, sentiment dominant de ne pas disposer des compétences nécessaires pour rédiger un ouvrage, régler le problème de la direction du groupe4 face aux objectifs individuels et aux désaccords entre les membres. Mais ces motifs plus ou moins explicités n’ont pas ôté les ambiguïtés et sources de divergences relevant du fait que les membres du groupe comme les ethnologues venaient avec leurs propres visions de la recherche et de l’ouvrage, lesquelles se sont révélées au fil du travail en commun. La légitimité des choix opérés par les rédacteurs n’était jamais acquise, si les membres du groupe avaient accepté de s’en remettre à des intervenants universitaires, ils entendaient bien façonner l’ouvrage à leur manière, ou du moins selon différentes tendances qui s’imposaient dans le groupe.
4Au cours des séances, les décalages ainsi apparus entre les rédacteurs-intervenants et les membres du groupe avaient traits alternativement à la façon d’avancer et d’animer le groupe, au contenu traité pour l’ouvrage et à la manière de le rédiger (respecter le thème central ou s’en affranchir, approfondir ou non la collecte, ce qu’on pouvait dire et ne pas dire et le choix des mots à employer...). Une source importante de divergences touche en définitive à l’opposition entre une recherche se référant aux critères académiques et professionnellement revendiqués par les rédacteurs-intervenants (objet délimité, mise à distance, précision des informations, sources authentifiées...) et des acteurs animés par des ambitions plus larges et diversifiées dans leur volonté de faire l’histoire de la commune (délivrer un message sur un passé qui a été une partie de leur existence, susciter le sentiment d’une histoire collective, rendre hommage à des prédécesseurs, donner une image consensuelle de la commune...). L’intervention fait apparaître un contraste, pour ne pas dire la contradiction entre deux visées de la recherche en ethnographie/histoire locale : l’une opérant à la production de connaissances authentifiées, détaillées et objectivées, l’autre s’inscrivant dans une continuité : celle d’un projet de société et de la recherche du sens d’un parcours de vie. Deux visées qui renvoient à deux catégories de chercheurs : professionnels d’un côté, amateurs passionnés de l’histoire locale de l’autre, plutôt concurrents sur des terrains communs et ne se rencontrant habituellement que de manière ponctuelle et limitée.
5La question des relations entre l’ethnologie et l’histoire locale a fait l’objet de toute une série de recherches, que ce soit par la réflexion sur les liens entre disciplines universitaires et travaux amateurs (Croix, Guyvarc’h, 1990, Percot, 2000), par l’approfondissement des pratiques et enjeux de l’histoire locale (Martin, Suaud, 1992 et 1996, Guyonnet, 1998, Fabre, 2000, Fabre, Bensa, 2001, L’Estoile, 2001, Sagnes, 2002b), ou plus largement à travers l’examen des formes contemporaines d’élaboration de mémoires socialement inscrites (voir entre autres Barthélémy, Pingaud, 1997, Candau, 1998, Sagnes, 1995 et 2002a). Dans tous les cas cependant, le chercheur est observateur des pratiques de l’Autre-amateur dans un rapport de suspicion, même si il est souligné ça et là une participation des ethnologues et historiens à travers leurs recherches et publications aux mouvements de patrimonialisation et de recréation d’identités locales. A cet égard, l’originalité de l’expérience menée au Mesnil-en-Vallée est double : d’une part il ne s’agit pas d’une recherche ethnologique, la matière du livre ayant été recueillie avant l’intervention5 ; d’autre part le travail d’écriture a été mené en lien étroit avec le groupe d’histoire locale, nous conduisant à une négociation permanente du contenu et de l’expression.
6Si l’expérience même de la collaboration, confrontant les uns et les autres dans leurs pratiques et leurs représentations, présente un angle original permettant d’approcher au plus près les rapports professionnels-amateurs, elle interroge également la position de l’ethnologue non plus en tant que chercheur mais comme intervenant aux prises avec des demandes sociales par lesquelles il médiatise un savoir et des compétences. Ainsi, une question posée est celle de savoir ce qu’apporte la collaboration dans un contexte comme celui-ci ? Si ce n’est pour des raisons de nécessité alimentaire ou de reconnaissance (d’une utilité sociale, d’une expertise...), la collaboration répond-elle à un projet heuristique ou d’action qui en vaille la peine, notamment de contribuer à définir une ethnologie d’intervention ? Si l’activité engagée ne faisait pas appel au cœur de métier d’ethnologue, conçu avant tout comme un métier de chercheur (que cette recherche soit académique ou « hors les mûrs », fondamentale ou appliquée), elle mobilisait des compétences connexes, supposait la reconnaissance d’une expertise et des attentes spécifiques. Comment dans ce cadre se distinguer d’autres interlocuteurs susceptibles de répondre à la demande : écrivain public, journaliste, intellectuel inséré dans la société locale...? Pour avancer dans ces questions, il s’agit d’abord de décrire le déroulement de l’intervention, rechercher les significations des questions posées par la collaboration avec le groupe et expliciter nos choix de positionnement.
Composition et histoire du groupe
7La constitution du groupe d’histoire locale remonte à 1994. Cette année là, un artisan retraité a obtenu l’autorisation de fouiller le grenier d’une vieille demeure châtelaine de la commune alors mise en vente. Il a découvert dans une malle un manuscrit du seigneur des lieux exposant au fil des jours la guerre contre-révolutionnaire de 1793-94 telle qu’il l’a vécue. Un petit groupe d’amis, retraités pour la plupart, s’est alors rassemblé autour de cette découverte inaugurale pour décider de sauvegarder et rassembler les documents anciens ayant trait à l’histoire de la commune. Une de leur première tâche a consisté à déchiffrer le manuscrit et le publier par extraits dans le bulletin municipal.
812 personnes ont fait partie du groupe, elles étaient 9 à 10 présentes simultanément durant les années de collaboration avec le GREA. Tous les membres du groupe étaient des retraités. Hormis deux personnes revenues au Mesnil après avoir poursuivi une carrière professionnelle en dehors de la commune, toutes les autres vivaient sur place.
9Même s’il ne s’était donné aucune existence juridique, le groupe disposait d’une légitimité assurée dans la commune. Sa caractéristique principale étant d’être composé d’une majorité d’élus ou anciens élus municipaux. Ainsi ont fait partie du groupe l’ancien maire, l’ancien secrétaire de mairie et cinq conseillers ou anciens conseillers. Tous les autres membres du groupe ont été des responsables associatifs et ponctuellement membres de commissions extra-municipales. Deux personnes étaient toujours membres du conseil durant la rédaction de l’ouvrage. Une femme dont le mari faisait déjà partie du groupe a attendu quant à elle de mettre fin à sa carrière de conseillère et adjointe au maire pour rejoindre le groupe en 2001. Les réunions du groupe avait toujours lieu en mairie, dans la salle du conseil ou celle des commissions. Ils accédaient le plus naturellement du monde aux archives municipales et pouvaient sans indisposer obtenir différents services du secrétariat de mairie : photocopies, recherche de données chiffrées, frappe de documents...
10Trois personnes sont d’emblée à signaler pour leur place singulière. Deux ont été les véritables leaders du groupe : l’ancien maire, dont nous verrons l’importance dans la thématique choisie pour le livre ; un ancien adjoint, ayant été également et entre autres conseiller régional, président national de la JAC, président d’une importante coopérative agricole. L’animateur du groupe était un adjoint au maire de la commune, en fonction jusqu’en 2001. Membre le plus actif dans la production et jouant un rôle facilitateur, il assurait de plus le lien avec le maire et le conseil municipal, contribuant ainsi à la légitimation du groupe et de son projet d’ouvrage. Il était notre interlocuteur principal et dénouait les situations conflictuelles émanant des discordances entre les membres du groupe ou entre le groupe et les rédacteurs.
11Hormis l’ancien maire, notaire d’origine bourgeoise, les membres du groupe étaient issus des couches moyennes et modestes de la société locale. On trouve parmi leurs professions : deux instituteurs (dont l’animateur-responsable du groupe, ancien directeur de l’école primaire privée), deux artisans, un chauffeur, deux agriculteurs, un comptable, un employé de banque, une infirmière.
12Décédé en 1999, l’ancien maire n’a pas participé à l’élaboration de l’ouvrage. Déjà il ne résidait plus dans la commune et, du fait de son grand âge, ne participait pas directement aux recherches. Cela n’a pas empêché qu’il exerce un fort ascendant sur l’ensemble du groupe tant qu’il a été parmi eux, considérant également l’ouvrage sur l’action municipale durant ses 44 ans de mandat comme un hommage rendu à sa mémoire.
Le choix du thème
13Commune du bord de Loire, à cheval entre la vallée fluviale et le bocage, Le Mesnil-en-Vallée fait partie du pays des Mauges dont elle borde la limite septentrionale. Les Mauges foisonnant d’associations communales et cantonales s’intéressant à l’histoire des lieux, singulièrement la mémoire orale du passé paysan, une structure fédérative de pays, le Carrefour Culturel des Mauges, a décidé en 1997 d’apporter un soutien à l’ensemble des initiatives en proposant des aides méthodologiques à la recherche, à la publication et aux expositions. Une ethnologue contractuelle a alors été chargée de conduire l’opération intitulée « Collecte de la mémoire vivante du Pays », centrée sur la collecte de témoignages oraux concernant le XXe siècle.
14Le groupe du Mesnil-en-Vallée avait alors pour objectif d’écrire un livre sur la commune. Mais si les idées foisonnaient, les recherches stagnaient et l’écriture paraissait une tâche insurmontable. Les membres du groupe ont donc accueilli très favorablement l’accompagnement proposé par le Carrefour Culturel des Mauges. Dans un souci de rigueur scientifique, l’ethnologue en charge du dossier a incité les groupes à se fixer des objectifs limités de recherche, classer et indexer les documents, délimiter des thèmes précis pour la publication.
15Les rencontres de l’ethnologue du Carrefour avec le groupe du Mesnil ont abouti ainsi à déterminer comme thème : « l’histoire de l’action municipale depuis la seconde guerre mondiale ». Ce thème pouvait séduire à plusieurs titres :
il partait d’une originalité de la commune d’avoir gardé le même maire entre 1945 à 1989, leader charismatique autant approuvé dans son action qu’admiré pour ses talents d’orateur, d’homme de culture et de dialogue ;
le thème ne manquait pas de pertinence vis à vis d’un groupe composé en majeure partie d’anciens élus municipaux. Le thème de l’action municipale permettait de retrouver le vécu et l’action transformatrice des membres du groupe, durant une période où la commune a été marquée par des changements considérables ;
du point de vue ethnologique, le thème présentait l’avantage d’être peu traité, permettant dans une perspective de publication de donner à la recherche une portée plus générale et éclairant un aspect des modes de vie dans la région à travers l’exemple d’une commune.
16Les centres d’intérêt des différents membres du groupe étant éclatés, chacun pouvait retrouver ses objets de prédilection derrière un même fil conducteur. Même si le thème était présenté comme devant donner lieu à un premier ouvrage, le regret de ne pas s’intéresser à une période plus vaste (notamment la vie rurale avant la seconde guerre mondiale) et de s’en tenir à un objet somme toute trop banal pour eux, n’a cependant jamais quitté les membres du groupe.
Les premiers temps de l’intervention
17Le souci principal restait dans un premier temps pour le groupe d’organiser leurs recherches et de se lancer dans une rédaction, cette dernière leur paraissant une tâche insurmontable malgré le désir, présent dès la création du groupe, de faire un livre. Le groupe s’est tourné alors vers le GREA en 1998 sur les conseils de l’ethnologue du Carrefour Culturel pour être épaulé dans sa démarche. Ce premier contact s’est concrétisé par un stage d’une étudiante de maîtrise de sociologie durant l’année 1998-99. Sa mission consistait à réaliser des entretiens auprès d’élus et anciens élus de la commune (dont les membres du groupe d’histoire locale), effectuer des recherches documentaires, classer et archiver les données. Elle présentait ensuite au groupe les informations classées par rubriques thématiques à échéance régulière et recueillait alors les données complémentaires émanant des discussions.
18A la suite de ce stage, la rédaction est demeurée un point problématique et les membres du groupe ont préféré de nouveau se tourner vers le GREA pour la prendre en charge. C’est la partie de l’intervention dont il est question ici, qui avait comme objectif de rédiger l’ouvrage dans son intégralité à partir des collectes effectuées par le groupe, l’étudiante stagiaire et les compléments que nous solliciterions.
19L’ancien maire est décédé peu de temps avant que commence la rédaction. Du fait de son ascendant sur le groupe, on pouvait espérer que les membres du groupe lèvent leur réserve habituelle à son égard et acceptent d’aborder de front des aspects contestables de son mode d’action6.
20Les premières réunions ont constitué une étape de plusieurs mois durant lesquels notre rapport avec le groupe a été tendu et incertain. En effet, nous n’étions pas en mesure de commencer d’emblée la rédaction, faute de s’être suffisamment plongés dans les sources et avant d’avoir déterminé les axes importants. Notre mode d’intervention consistait alors à solliciter les membres du groupe pour obtenir des recherches complémentaires sur les points peu approfondis, ainsi qu’à les interroger sur les faits manquant de précision. Mais nous intervenions auprès d’un groupe déjà démobilisé après plusieurs années de réunions sans productions concrètes. De plus, nous étions perçus comme des « sauveurs » qui allaient mettre en forme rapidement le produit de leurs collectes.
21Non seulement nous ne répondions pas à cette attente de travail rapide, mais les pressions exercées en termes de questionnements et de recherches complémentaires leur étaient exaspérantes. Le point d’orgue de cette phase est intervenu en avril 2000, à la troisième réunion, quand les questions ont porté sur les faits de Résistance dans la commune, puis sur la double position de maire et notaire chez l’ancien maire (lui ayant permis d’intervenir de manière ambiguë dans des conflits impliquant les propriétés communales). L’ancien adjoint, suivi d’autres membres du groupe, a alors haussé le ton, nous reprochant de trop insister sur l’ancien maire ou sur des événements de la seconde guerre mondiale qu’ils ne souhaitaient pas aborder. La période choisie a de plus été remise en cause, les membres du groupe réaffirmant leur volonté de faire l’histoire des modes de vie et des coutumes anciennes plutôt que d’aborder une période plus récente.
22L’incident et les mises au point qui ont suivi ont cependant eu un effet positif. Constatant leur propre démobilisation, les membres du groupe se sont revus sans notre présence et ont décidé de se lancer dans la collecte de photos anciennes auprès des habitants ; avec pour objectif premier de mettre sur pied une exposition et, secondairement, apporter des illustrations au livre.
23La proposition d’un plan pour l’ouvrage à la réunion suivante a aussi permis de rassurer le groupe. Ce plan intégrait en effet dans un premier chapitre le Mesnil d’avant la seconde guerre mondiale avant d’aborder l’action municipale depuis 1945. Malgré son côté éclectique, ce premier chapitre a permis d’intégrer une partie de ce que les membres du groupe tenaient à voir figurer des temps de leur petite enfance : l’agriculture traditionnelle, l’artisanat ancien, la paroisse, les écoles, les fêtes religieuses, les familles nobles...7
La phase de rédaction
24La seconde phase, l’examen des textes par le groupe et leur correction, s’est étalée sur plus d’un an. La production écrite a d’emblée rassuré les membres du groupe, matérialisant enfin leurs travaux de recherche. Le fait de se donner une méthode de travail désormais balisée remplissait aussi cette fonction de rassurement : lecture des projets de texte entre les séances par les membres du groupe, mise en commun des réactions, corrections et compléments à apporter durant les séances de travail.
25L’exposition photos, en novembre 2001, a aussi permis aux membres du groupe de reprendre confiance dans leur action. Pour une commune d’à peine 1 500 habitants, le succès a été important : 1 100 visiteurs auxquels s’ajoutent les enfants des écoles. Des articles ont relaté l’événement dans la presse locale. Les photos récoltées avaient été organisées en panneaux sur différents thèmes. L’exposition était aussi prétexte à exposer des pièces archéologiques collectées par un membre du groupe, ainsi que des oeuvres artistiques et artisanales d’habitants de la commune. A travers les encouragements et les manifestations d’intérêt, les membres du groupe se sont sentis appuyés dans leur initiative par les habitants. Suite à l’exposition, le maire a décidé de faire plastifier les panneaux et de les conserver en mairie « pour la postérité ». Les membres du groupe se sont en quelque sorte décomplexés suite à cette exposition, sentant qu’ils étaient en mesure de rivaliser avec deux communes voisines qui avaient déjà organisé des manifestations analogues et publié leur propre livre d’histoire locale.
26Les débats durant la phase de rédaction ont surtout tourné autour de l’expression orale, jugée incorrecte dans les citations extraites d’entretiens, si on pouvait ou non citer nommément les personnes, des passages censurés même si ils étaient jugés respectueux de la vérité, du vocabulaire souvent corrigé dans le sens de l’euphémisation. Autant d’aspects que nous reprendrons dans le point suivant. Si l’écrit final ne le traduit pas directement, du fait de la censure exercée, la parole est par contre devenue beaucoup plus libre en réunion et les discussions se sont animées sans avoir autant qu’auparavant le sentiment de ne pas avancer. Ainsi, un an après la réunion où ces aspects avaient été rejetés, le thème de la résistance et de la collaboration au Mesnil a été jugé intéressant et important à aborder. De même, nous avons pu revenir sur les modes d’action de l’ancien maire, essayer de comprendre pourquoi par exemple les positions de notaire et maire entraînaient de la confusion ou la difficulté pour les conseillers d’interférer dans les décisions du maire7.
27A partir de janvier 2002, les réunions se sont espacées, car les différents chapitres n’attendaient plus que quelques compléments liés à des informations restant à collecter. Avant la publication, le maire actuel est cependant intervenu auprès du groupe pour lui demander d’introduire des éléments plus contemporains. L’action municipale s’arrêtait en effet surtout à celle de l’ancien maire et les réalisations des municipalités depuis 1989 étaient peu prises en compte.
Histoire large et temps reculés
28Après avoir brossé les caractéristiques du groupe et les grandes étapes de l’intervention, il s’agit de reprendre les différents points qui, dans la collaboration, ont manifesté un décalage entre les rédacteurs-intervenants et les membres du groupe. Ces décalages, autour de la conception du travail de recherche et la mise en forme des informations, peuvent se regrouper dans trois thématiques que nous allons examiner : inscrire l’ouvrage dans une certaine idée de l’histoire, ménager la cohésion sociale, remodeler l’identité communale à travers la quête mémorielle.
29La volonté de tout livrer de l’histoire de la commune est une constante des monographies amateures. Le Mesnil ne fait pas exception. Dans la première version d’un plan d’ouvrage, avant notre intervention, les membres du groupe partaient des temps préhistoriques, les thèmes abordés suivaient les centres d’intérêt de chacun sans souci de cohérence et d’unité temporelle. Une place de choix était faite aux deux grandes figures traditionnelles de l’autorité : nobles (par la reconstitution de leurs généalogies) et religieux (par les biographies de ceux ayant officié dans la commune ou de ceux natifs du lieu ayant brillé en dehors du Mesnil).
30S’habituer à l’idée d’un thème délimité qui, de plus, ne fasse pas référence à la « grande histoire » (celle des guerres de Vendée ou des événements nationaux tels qu’ils se sont répercutés au Mesnil) a été difficile à accepter par les membres du groupe. La vie quotidienne, la mémoire orale et l’histoire récente leurs paraissaient sans intérêt. Autant d’éléments qui renvoient à leur propre modestie, au sentiment de n’avoir eux-mêmes qu’une expérience banale ou qui n’est en tout cas pas digne d’être mise en valeur.
31Les résistances engendrées de la part du groupe face à la période choisie et à un thème renvoyant à une certaine banalité des rapports sociaux quotidiens se sont manifestées tout au long de l’intervention. Plusieurs fois, des membres du groupe ont exprimé leur désintérêt pour le thème traité et le côté restrictif de l’étude. Ce qui nous imposait de réexpliquer régulièrement les raisons du choix effectué et donc d’intervenir auprès du groupe sous le mode d’une persuasion dont on connaît les limites (cf. Lewin, 1965). Déjà le thème de l’exposition avait été centré sur 100 ans d’histoire locale. Jusqu’à sa parution, il a été difficile pour les membres du groupe d’assumer le livre comme relatant l’action municipale après la seconde guerre mondiale. Le titre, objet de la dernière négociation entre nous et le groupe, met en exergue Le Mesnil-en-Vallée au XXe siècle et renvoie en sous-titre et en petits caractères l’action municipale. Les articles de journaux qu’ont fait publier les membres du groupe parlent des 100 ans d’histoire locale et 100 ans de vie de la paroisse, des écoles, des associations, du syndicat agricole, des loisirs, en insistant sur des faits singuliers comme une inondation catastrophique causée par la rupture de la digue en 1910 ou la grande fontaine ayant tenu lieu de prémisses d’un réseau de distribution d’eau. Un article insiste sur les photos grâce auxquelles chacun pourra s’y reconnaître ou reconnaître ses ancêtres8.
32Comme le traduisent le nombre et l’importance accordée aux photos dans l’ouvrage, cette histoire doit permettre a chacun de revivre le passé ou le vivre intimement à travers d’autres. L’histoire doit renvoyer à du sensible, susciter de l’émotion. C’est une histoire mise en scène, dont chacun se sent partie prenante, incitant ceux qui ne l’ont pas directement vécue à y adhérer. Une plaquette distribuée pour la souscription rappelle ainsi qu’à l’exposition « les nombreux visiteurs étaient enchantés de retrouver l’évocation d’activités oubliées, des physionomies familières ou des regards sur la vie de tous les jours ». Plus loin, à propos du livre à paraître, il est dit aux futurs lecteurs : vous revivrez les transformations qui se dessinent après la seconde guerre mondiale Vous revivrez tout cela grâce aux témoignages des acteurs de cette période, aux anecdotes... et aux photos qui rendent vivant ce texte.
33Paradoxalement, si certains aspects de l’histoire de la commune ou l’approche par les témoignages oraux pouvaient paraître banals aux membres du groupe, ce sont finalement les aspects les plus quotidiens et singuliers des souvenirs partagés par les uns et les autres qui les ont motivés. Il n’y avait pas alors de souci de rapporter ces souvenirs à une connaissance plus générale les expliquant, ou de considérer que ces souvenirs et ce vécu sont analogues à de multiples communes rurales. L’essentiel étant que les faits relatés se soient passés ici et que les habitants, ou une partie d’entre eux, les aient vécus, au sein de cette « petite patrie » du Mesnil-en-Vallée (qualificatif donné par l’ancien maire à la commune).
34Comme dans bien d’autres cas, la production d’un livre s’est accompagnée ici d’une volonté de transmission aux jeunes générations et d’une sensibilisation des nouveaux habitants à l’histoire de la commune. Le souci de cohésion sociale n’est pas explicite mais il est présent dans l’entreprise. L’ouvrage délivrant un message du passé qui, à l’instar des traditions réinventées, répond aux soucis du présent : provoquer des rencontres, maintenir la vitalité de la commune, faire en sorte que les habitants, anciens et nouveaux, vivent en harmonie... On peut reprendre à ce propos la distinction entre histoire et mémoire (cf Candau, 1998) : au détachement objectif et froid du projet historique s’oppose le travail mémoriel visant à l’instauration immanente (mémorisation en acte), modelant le passé, cherchant la fusion avec lui, une histoire traversée par les émotions, plus vraisemblable que strictement exacte.
35Comme nous l’avons évoqué, l’exposition de photos, qui se présentait comme un avant-goût de l’ouvrage, était elle-même couplée avec celle d’œuvres artisanales ou artistiques d’habitants. La municipalité a saisi l’occasion de cette exposition pour effectuer la cérémonie d’accueil des nouveaux arrivants. La municipalité a également décidé d’offrir le livre aux nouveaux arrivants et aux époux à chaque mariage. L’histoire de la commune prend sens parce qu’elle est éprouvée intimement tout en étant partagée dans l’émotion qu’elle suscite. Pour conserver ce caractère elle doit être régulièrement actualisée à travers les activités collectives.
36La multiplicité des centres d’intérêt des membres du groupe, et a contrario leur difficulté à adhérer à la seule perspective d’une histoire de l’action municipale après la seconde guerre mondiale, peut se comprendre à travers l’idée que ces anciens responsables se sont fait de l’évolution de leur commune, elle-même liée à leur action transformatrice. Comme l’indique Sylvie Sagnes, on exagérerait cependant à prétendre que longue durée et éclectisme thématique et chronologique ne peuvent générer que confusion et non-sens. Nombre d’expériences historiographiques prouvent au contraire combien ces choix sont judicieux dès lors que l’on cherche à signifier la permanence, à fonder la tradition, à illustrer les vertus de la fidélité, ou à faire la démonstration d’un Eternel (2002b). Pour le passionné d’archéologie du groupe, ses découvertes sur le territoire prouvent que la commune a été un lieu de passage dès l’époque romaine. La volonté insistante des membres du groupe de consacrer une importante première partie du livre à l’avant-seconde guerre mondiale ne s’inscrivait pas uniquement dans une nostalgie du passé, mais aussi dans le souci d’opposer la tradition au changement et de bien faire prendre ainsi la mesure des progrès réalisés.
Rendre hommage aux ancêtres
37Le souci de la cohésion, de l’évitement du conflit, a été constamment présent chez les membres du groupe, avant tout inquiets de l’impression qu’allait laisser l’écrit aux habitants. Ce souci de cohésion s’est d’abord traduit par la citation de nombreuses personnes dans l’ouvrage : religieux, maires, instituteurs, châtelains. Les collaborateurs de l’ouvrage ont tous également été cités : membres du groupe, informateurs, personne ayant effectué des tâches de secrétariat. Toutes ces listes figurant en annexes. Les photos de groupes (classes d’école, conscrits, équipes de foot...) prolongeaient ce souci que chaque habitant « s’y retrouve » en se reconnaissant ou en retrouvant un parent. Comme le disait un membre influent du groupe lors du refus de voir accorder trop d’importance à l’ancien maire : les vieux paroissiens, les familles qui ont aidé à construire l’église, on veut que ça reste, faisant de l’ouvrage un hommage à tous les habitants.
38A ce niveau, l’équilibre entre le nominatif et l’anonymat s’est présenté comme un problème récurrent. Comme il leur était difficilement acceptable de trop centrer l’ouvrage sur un seul homme, les membres du groupe ont également refusé que leurs noms apparaissent comme auteurs de citations, acceptant aussi difficilement d’être cités comme auteurs des textes encadrés. Il y avait volonté de faire œuvre à travers le livre tout en craignant de se mettre trop en valeur au regard de leurs concitoyens.
Le contrôle et la censure
39Dans un ouvrage se devant de positiver l’image de la commune et rendre hommage à tous ses habitants, tout ce qui était écrit faisait l’objet d’un examen attentif : l’importance accordée aux différents faits relatés et l’impact des termes employés. Ce contrôle s’accompagnait d’une censure, non pas comme refus d’admettre des faits, mais comme sélection de ce qu’on pouvait décemment mettre à disposition du public dans le souci omniprésent de ne pas activer de discordes.
40Le contrôle de l’écrit avant publication dépassait le cadre du groupe. L’ouvrage étant soutenu financièrement par la municipalité, le maire a lui aussi exercé un droit de contrôle. Ainsi, il a censuré un entretien remettant trop en cause l’action de son prédécesseur. Au fur et à mesure du travail de rédaction, chaque chapitre lui était remis pour lecture. Il n’est intervenu qu’une seule fois dans ce cadre : pour faire corriger des chiffres sur l’emploi (en faisant adjoindre les emplois de service aux emplois industriels, relativement peu importants dans la commune vis à vis des voisines plus industrialisées). C’est surtout une fois le manuscrit terminé qu’il est intervenu, en faisant ajouter des éléments sur l’action du conseil durant ses mandats, c’est à dire depuis 1989 et le départ de l’ancien maire.
41Avec les membres du groupe d’histoire locale, le choix des termes a été tout au long de la rédaction un objet de vifs débats. Certaines tournures, pourtant évoquées oralement en réunion, ont dû êtres euphémisées : par exemple le terme « redoutable » remplacé par celui d’« austère » (p. 41) à propos d’un curé de la paroisse particulièrement rigide avant la seconde guerre mondiale. Généralement, tout ce qui pouvait être susceptible de provoquer dans l’esprit des membres du groupe une contestation des habitants ou froisser les descendants d’une personne évoquée dans le livre, était souligné et parfois reformulé dans un sens plus consensuel. Cette tentation constante chez les membres du groupe d’amoindrir le propos nous a demandé de rester vigilants à ce qu’ils ne modifient plus le texte après les phases de concertation, surtout au moment des corrections orthographiques. Pour cela, nous avons nous-mêmes répercuté les corrections et conservé le texte original jusqu’à sa remise à l’imprimeur.
42La disjonction entre ce qu’on évoquait dans le cercle fermé des réunions et la parole rendue publique était d’ailleurs considérée comme nécessaire par les membres du groupe. A propos de la somme qui a du être versée à un héritier par la commune en raison d’un legs dont elle était bénéficiaire, quelqu’un a reconnu : il y a des choses qu’on peut dire ici mais pas dans le livre. Un autre exemple concernait une famille de nobles-châtelains ayant du vendre leur domaine parce qu’il ont fait faillite suite à des placements ruineux. On ne pouvait pas évoquer le fait en tant que tel par peur que les descendants fassent un procès, alors que c’est la stricte vérité disait un membre du groupe. On s’est alors contenté d’indiquer que le château et ses terres ont été vendus suite à des déboires financiers (p. 22), en supprimant le fait que le baron était plus attiré par la fête et les jeux qu’attentif à la gestion de son patrimoine et qu’une caution dans une affaire immobilière parisienne a contraint les Champrel à la faillite. De même que l’assertion Par l’activité procurée et en raison des factures non honorées, les artisans locaux ont souffert également de la faillite des Champrel est devenue : Les artisans locaux ont souffert du départ de de Champrel et plusieurs fermiers ont dû quitter l’exploitation qu’ils louaient (ibid.). Un membre du groupe, ancien artisan dont le père avait été touché par ce manque à gagner s’est pourtant insurgé, disant qu’il faut l’avoir vécu, vous ne l’avez pas vécu !, mais reconnaissant en même temps qu’il faut y mettre les formes.
43Les motifs d’opposition de l’ancien maire avec son rival lors de sa première élection à la tête de la commune ont été également source de tergiversations. La phrase suivante : A l’opposé du beau langage de Joseph Meignan, des jurons truffaient les propos de François Chaignon était mise en question, par crainte d’indisposer les descendants du candidat perdant. La phrase est restée, mais en ajoutant l’assertion suivante, soigneusement travaillée par un membre du groupe et justifiée par le fait que la réalité n’était ni noire ni blanche : Chaignon était un homme passionné et dévoué, ne comptant pas son temps passé pour les affaires publiques ; mais par manque d’autorité et son langage châtié, provoquait un manque de respect à son endroit (p. 61). Evoquer les sympathies de cet ancien concurrent du maire pour le maréchal Pétain n’a pas été non plus chose facile. Mais ici, comme pour d’autres passages, le débat à l’intérieur du groupe a permis par une volonté majoritaire de faire reconnaître une vérité connue de tous mais restée dans le domaine du secret.
Le problème des citations orales
44Les citations orales ont été également une source importante de décalages entre rédacteurs et membres du groupe. Pour nous, les extraits d’entretiens valaient autant pour leur forme que pour leur contenu : citer les personnes sans modifier leur propos, c’est respecter l’authenticité du parler local. La perception des membres du groupe, eux-mêmes interviewés, était radicalement différente de la notre. Ils n’acceptaient pas que les propos tenus en entretien apparaissent en tant que tels dans l’écrit : sur la forme, l’expression orale leur paraissait dégradante, sur le fond, ils considéraient régulièrement leurs propos comme ayant dépassé leur pensée, invoquant le fait de ne pas être en état de bien réfléchir durant l’entretien. Si bien que la plupart des citations étaient raturées lors des relectures, soit pour les rendre conformes aux règles de l’expression écrite, soit pour modifier un point de vue jugé inacceptable. Il a donc fallu trouver un terrain d’entente entre rédacteurs et membres du groupe : chacun pouvait réécrire une citation le concernant, puisque ce sont ses paroles et qu’il peut revenir dessus, mais il n’était pas permis de toucher aux propos des autres, à fortiori quand il s’agissait d’extraits d’entretiens de personnes ne faisant pas partie du groupe d’histoire locale. Pour le reste, modifier le moins possible l’expression orale, ne pas trop écarter les citations extraites d’entretiens, était un objet de négociations constantes entre nous et le groupe d’histoire locale.
45L’oral renvoyait pour eux à l’inculte et une face négative d’eux-mêmes qui ne pouvait pas être livrée en tant que telle. Un ancien instituteur du groupe voulait ainsi ne « pas passer pour un couillon dans la profession qu’il exerçait ». Un autre membre du groupe parlait de la nécessité de « tirer le texte vers le haut ». Ils justifiaient aussi la réécriture des citations en évoquant l’image laissée aux enfants quand à la maîtrise de l’expression française. Un membre du groupe a accepté qu’on laisse son langage oral tel quel à condition que son nom n’apparaisse pas. Le problème des citations orales dévoilait une certaine idée de la culture chez les membres du groupe, celle de l’excellence scolaire et du livre comme réalisation prestigieuse supposant la parfaite maîtrise de l’expression écrite. Dans la même veine, des membres du groupe prenaient plaisir à souligner nos fautes d’orthographe ou nos défauts d’expression écrite dans les textes que nous proposions à la relecture.
46L’oral n’est accepté que si il reste oral. Si il est porté à l’écrit, il acquiert un nouveau statut : celui d’une parole présentée comme vraie. Si bien même que pour les membres du groupe, la limite était floue entre un commentaire rédigé par nous et les citations incluses à titre d’illustrations, de compléments ou d’expression du vécu. Quand une citation était portée à l’écrit, nous (les rédacteurs) en devenions les auteurs, donc elle faisait autorité. C’est vous qui l’écrivez, donc c’est vrai nous a dit un membre du groupe en parlant d’une citation comme si elle était notre propre version des faits. Corriger les citations n’était parfois pour eux que reprendre notre écrit au même titre que le reste du texte.
47La discussion autour des citations n’a cependant pas toujours été de nature à déformer des propos, elle a aussi permis de préciser des faits, comme le montre l’extrait suivant d’entretien, repris par l’informateur cité. La citation originale était : Comme instruments, il n’y avait rien, tout au moins cela ressemblait étrangement à ce que les paysans du moyen-âge devaient avoir : c’est à dire une simple charrue traînée par un cheval, laquelle charrue allait plus ou moins droit suivant l’humeur du cheval. On faisait ce qu’on appelait des raises, c’est à dire des raies entre les sillons. Certains fermiers, j’en ai vus, avaient un brabant double. Elle est devenue : Comme matériel agricole, c’était plutôt rudimentaire, cela faisait penser à ce que possédaient les paysans des siècles passés : une simple charrue traînée par un cheval, laquelle charrue allant plus ou moins droit selon l’humeur de l’animal. Le labour consistait à tracer des sillons de façon à faire des « planches » espacées par des « raises », raises plus ou moins profondes qui facilitaient l’écoulement des eaux de pluie. Certains paysans avaient un Brabant double, (p. 26)
Une identité à remodeler
48Comme je l’ai déjà souligné, les membres du groupe réagissaient aux écrits en s’identifiant au lectorat futur : qu’en penseront les habitants, les élus, les futures générations ? Renforçant en permanence un cadre normatif ou se redessinait l’image de la commune au fil de l’avancée de la rédaction de l’ouvrage. Cette image est prédéfinie par l’histoire et des héritages : ainsi le Mesnil est perçu comme n’ayant rien de particulièrement attractif. Le bourg était décrit dans un ouvrage géographique du siècle dernier comme un petit groupe d’aspect triste et confus {...} en décroissance constante9. Tout en étant une commune de bord de Loire, Le Mesnil se distingue de ses voisines par un bourg retiré dans les terres, alors que les voisines présentent une physionomie de bourgs implantés sur des escarpements rocheux dominants la Loire, dotés de plus d’abbaye ou église monumentale qui en font la beauté.
49La population du Mesnil était partagée entre une partie vivant des ressources de la Loire et sa vallée et une autre partie implantée dans les collines relevant des Mauges. Cette situation empêchait que domine une appartenance soit à la Vallée soit aux Mauges, deux entités distinctes historiquement par leurs ressources et les façons de vivre et de penser des habitants. Tout en se rattachant aux Mauges, le Mesnil n’en portait pas de plus le caractère de dynamisme industriel, des implantations ayant échoué au début dans la première moitié du XXe siècle par hostilité de la population. C’est cette image de manque d’attrait patrimonial et économique qui aux yeux des habitants caractérise la commune.
50Aussi tout ce qui dans le livre rappelle ces manques n’est évoqué qu’à mimot, car il faut au contraire imposer une autre idée. Le titre que nous avions proposé pour l’introduction : « une commune sans patrimoine ? » se voulait une interrogation sur cet héritage en vue justement d’aller à l’encontre de la réputation négative de la commune, mais même la simple évocation de cette image n’était pas acceptée par le groupe et le titre a été supprimé.
51Les deux facettes de l’identité, personnelle et collective, sont en jeu ici. Identité personnelle par la quête personnelle et l’image de soi laissée aux autres par les membres du groupe d’histoire locale. Identité collective en oeuvrant à l’identification des habitants à leur commune, en renforçant le sentiment d’appartenance à la collectivité locale, rejoignant le souci de préserver la cohésion dans la manière de traduire le passé. Appel à cette identification par le lien unificateur de la mémoire, le maire de la commune a ainsi titré sa préface : « Si tu ne sais pas où aller, regarde d’où tu viens ».
52Un des membres du groupe d’histoire locale, non originaire de la commune, a pris une place de révélateur de l’identité cachée du Mesnil. Face à nous, il s’est également mis en position de recul vis à vis du groupe d’histoire locale en se considérant plus objectif et capable d’exprimer ce que les autres ne s’autorisent pas à dire10. Passionné d’archéologie, il s’attèle depuis de nombreuses années à faire remonter le passé le plus lointain du Mesnil. En participant à l’inventaire du patrimoine bâti pour une publication, il estime avoir aidé les habitants à prendre conscience de la richesse de leur « petit patrimoine ». Ayant un discours très structuré et explicite sur la question même de l’identité communale (mais mêlant allègrement les registres et les époques : de la géologie aux mentalités, de la préhistoire à aujourd’hui en passant par les guerres de Vendée), il n’a pour autant pas conscience d’inventer cette identité mesniloise. Ainsi en est-il de ce passage d’un entretien où il relate comment il a fait comprendre à des agriculteurs des « hauts » (la partie des collines s’opposant aux « bas » de la Vallée), que leurs façons de faire et de penser étaient caractéristiques des Mauges alors qu’ils n’avaient pas conscience de cette filiation : « il a fallu que je dise à 3 ou 4 personnes qu’ils pensaient comme les gens des Mauges et que les gens d’en haut se rapprochaient plus des Mauges que les gens de la Vallée. Eh bien maintenant vous pouvez leur demander qui c’est qui leur a dit, ils le savent de tout temps ». Au sein du groupe d’histoire locale pourtant, ses propos n’étaient pas toujours pris au sérieux. Même s’il s’agissait d’un groupe d’« anciens », revenir de façon insistante sur les rivalités haut/bas d’autrefois paraissait à plusieurs de l’ordre de l’anecdote révolue et la volonté d’en faire état a été peu présente.
L’accompagnement du groupe : de l’expertise à l’intervention
53L’objectif premier a été atteint : il s’agissait de rédiger un ouvrage pour un groupe d’histoire locale qui ne se sentait pas à la hauteur du défi. Rédacteurs comme membres du groupe se retrouvent dans le compromis que constitue l’ouvrage dans sa forme et son contenu : le fil directeur de l’action municipale depuis la seconde guerre mondiale a pu être tenu, de nombreux ajouts sous forme d’encadrés et d’annexes sont l’œuvre directe des membres du groupe et ont permis de satisfaire leurs divers centres d’intérêts historiques, les illustrations photographiques sont également nombreuses tout en collant pour une bonne part au plus près du thème central.
54L’expérience a cependant dévoilé des divergences importantes entre les ethnologues et les acteurs locaux sur les critères utilisés pour rendre compte valablement de la réalité sociale. A tel point qu’on peut se demander quelle différenciation s’opère aux yeux du public entre une production universitaire et d’autres formes d’écrits : autobiographies, romans, ouvrages photographiques ? Ce qui met aussi en cause la reconnaissance de la recherche ethnologique dans ses critères de validité scientifique au-delà des clichés dont la discipline est porteuse.
55La démarche de se tourner vers l’extérieur pour achever la rédaction d’un ouvrage est plutôt rare. Chez ceux qui la font, l’histoire locale tire plutôt son intérêt de ce qu’elle devient une production propre, renforçant d’autant plus l’identification au passé. Et quand un expert (journaliste, enseignant, historien...) prend en charge la phase d’écriture c’est le plus souvent parce qu’il est déjà intégré à la collectivité. Minoritaires certes, quelques uns dans le groupe d’histoire locale du Mesnil pensent qu’ils auraient dû se débrouiller par eux-même et le choix du recours à l’aide extérieure s’est plus imposé comme solution de secours que comme une démarche raisonnée sur la complémentarité acteurs locaux/ethnologues intervenants.
56Formellement, nous étions appelés comme experts : culture ethnologique sur le monde rural, maîtrise de l’exploitation des témoignages oraux et des archives communales, capacité à analyser les informations et rédiger le livre. En arrière plan, plusieurs motifs sous-jacents ont été évoqués quant au choix du groupe de recourir à une aide extérieure : complexe vis à vis de la culture lettrée (au sens du beau langage qu’incarnait si bien l’ancien maire), apporter une caution universitaire à l’ouvrage, s’appuyer sur les rédacteurs pour faire expliciter et exprimer ce qu’ils ont vécu de façon trop proche et impliquée, régler la question de l’autorité dans le groupe... Aussi, d’une position initiale de conseiller-experts et de chercheurs autonomes (même s’il ne s’agissait que de prendre en charge la phase finale d’une recherche), l’action a ensuite été placée du côté de l’intervention telle qu’elle est définie dans les sciences humaines et sociales (cf. Dubost, 1987, Vrancken et Kuty, 2001) : positionnement au cœur d’une situation, mise en place d’un démarche participative, fonction de médiation, élucidation et transformation des représentations, co-production de l’écrit final...
57L’aide qu’attendaient les interlocuteurs : dénouer une situation bloquée dont les répercussions individuelles et collectives n’étaient pas anodines, justifiait singulièrement l’intervention. Les membres du groupe avaient notamment beaucoup de difficulté à accorder leurs points de vue dans un groupe où aucun individu ne pouvait imposer sa manière de voir aux autres. Pour autant la situation ne se restreint pas à une analyse de relations interindividuelles et à une animation de groupe relevant uniquement d’une dimension psychosociologique. La lecture ethnologique nous montre aussi qu’il s’agissait d’une situation d’affrontements mémoriels : du fait de la pluralité des appartenances, des expériences et des divergences de points de vue, notre présence a permis par l’animation des débats autour de la rédaction que soient trouvés des points d’accord sur les contenus et leur expression. L’intervention a contribué en ce sens à la construction d’une mémoire unifiée à minima par une interpénétration des mémoires individuelles, leur conférant cette dimension collective qui est souvent loin d’être donnée d’avance (cf. Candau, 1998, Ciarcia, 2001).
58D’un côté, ce n’est pas le rôle de l’ethnologue-chercheur de participer ainsi à une mise en ordre identitaire du passé. Pourquoi se mêler à ces entreprises quand il s’agirait plutôt de dévoiler la part d’illusions, d’effets de sens et de filiations reconstruites entre le présent le passé ? Par notre intervention d’un autre côté, au sein d’un groupe qui aurait quoi qu’il en soit cherché à atteindre le but qu’il s’était fixé, nous avons assumé d’autres fonctions ressortissant aussi des applications de l’ethnologie (cf. Bachman, 1988, Rautenberg, 1998), avec une orientation plutôt de l’ordre de l’analyse des aspects implicites de l’expérience du groupe11 (émergence de faits passés sous silence, expression et reconnaissance des divergences de points de vue, description d’une partie banalisée de la vie collective locale...).
59La conclusion est plus personnelle que théorique. Lors de la communication orale, une question a concerné la tonalité négative se dégageant du rapport ethnologues/membres du groupe dans cette expérience. En effet, la participation des différents ethnologues à la recherche du groupe du Mesnil en Vallée s’est engagée à partir de critères académiques à garantir. De là, on ne peut que relever les dérivations successives et les compromissions. Mais, outre tout l’enseignement retiré de la confrontation ethnologues/amateurs, la frustration qu’auraient pu engendrer les « manques à la recherche » a été largement compensée par la satisaction de l’aide apportée à un groupe d’histoire locale engagé dans un processus de relecture du passé de ses membres. Ce travail m’a donc motivé et passionné pour ce caractère propre et complémentaire de la recherche.
Bibliographie
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Références bibliographiques
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Annexe
Annexe : Extrait de la convention de collaboration
Convention de collaboration pour la rédaction de l’ouvrage sur « L’action municipale au Mesnil-en-Vallée depuis la guerre »
entre :
La commune du Mesnil, Mairie, 49410 Le Mesnil en Vallée, représenté par le maire, Monsieur C. R,
et :
L’I.P.S.A., Groupe de Recherche Ethnologique de l’Anjou, représenté par le responsable Benoît Carteron.
[…]
Objectifs et modalités de travail
L’intervention a pour objectif principal d’effectuer la rédaction de l’ouvrage sur l’action municipale au Mesnil en Vallée en aboutissant à une forme achevée : texte complet et apport des illustrations (les modalités exactes seront à définir selon l’éditeur de l’ouvrage).
Les objectifs intermédiaires et complémentaires seront les suivants :
détermination du plan et des éléments de contenu de l’ouvrage, en prenant soin, tout en restant dans la ligne conductrice de l’action municipale, d’inclure des éléments d’ethnographie locale (vie quotidienne et coutumes traditionnelles) et de situer l’action municipale dans les évolutions économiques et sociales qui ont affecté la commune et la région,
compléter avec le Groupe d’histoire locale les points qui resteraient à approfondir,
collecter et choisir avec le Groupe les documents iconographiques qui illustreront l’ouvrage,
inciter le Groupe à recueillir et archiver les faits d’ethnographie et d’histoire locale, y compris les informations qui ne seront pas directement utilisées pour la rédaction de l’ouvrage,
rechercher un éditeur avec le Groupe d’histoire locale et préciser en lien avec l’éditeur la forme définitive de l’ouvrage.
Le travail de rédaction sera mené par Benoît Carteron et Maryline Chassaing, chercheurs au G.R.E.A. Les recherches complémentaires d’informations et de documents illustratifs seront menées par les membres du Groupe d’histoire locale. Une répartition différente des rôles pourra cependant être envisagée de manière ponctuelle.
La rédaction de l’ouvrage s’échelonnera sur deux années et s’achèvera fin 2001 / début 2002 pour une publication courant 2002
Pour faciliter l’avancée du travail et la collaboration avec le Groupe d’histoire locale, des réunions auront lieu environ une fois par mois entre le Groupe d’histoire locale et les rédacteurs de l’ouvrage.
Engagements concernant l’intervention
Benoît Carteron et Maryline Chassaing seront garants de la cohérence et du respect de la ligne directrice de l’ouvrage mais acceptent de soumettre leur rédaction à l’approbation et à la correction du Groupe d’histoire locale du Mesnil.
La municipalité du Mesnil-en-Vallée accepte que les informations ethnographiques concernant la commune et le Groupe d’histoire locale soient secondairement utilisées pour les recherches du G.R.E.A., notamment dans le cadre d’une recherche en cours portant sur l’engouement pour l’histoire locale en Anjou.
{...}
Notes de bas de page
1 Maryline Chassaing, co-intervenante, que je remercie pour avoir contribué à la réflexion élaborée pour cet article à travers ses propres analyses et les temps de « débriefing » que nous nous sommes donnés à l’issue des rencontres avec le groupe d’histoire locale.
2 CARTERON B., CHASSAING M.-L., en collaboration avec le Groupe d’histoire locale du Mesnil-en-Vallée, Le Mesnil-en-Vallée au XXe siècle. Vie locale, action municipale, La Pommeraye (49), Recto-Verso, 2002.
3 Des entretiens ont, suite à l’intervention, été menés auprès de plusieurs membres du groupe d’histoire locale pour approfondir ces questions.
4 L’acte même d’écrire n’est pas anodin et touche à la question du pouvoir. Charger de l’écriture de l’ouvrage ou d’une mise en forme d’écrits (co-écriture), une personne extérieure c’est assurer une certaine cohésion en réduisant les différends autour de l’écriture.
5 La dimension de la recherche était cependant bien présente en arrière plan et les membres du groupe ont donné leur accord, figurant dans le contrat de l’intervention, pour que l’expérience menée avec eux alimente la recherche menée en parallèle sur l’engouement collectif pour l’histoire locale en Anjou (voir le contrat en annexe).
6 Venant d’un autre département, l’ancien maire s’était installé dans l’étude notariale du Mesnil au début de sa carrière sans penser y rester. Juste à la sortie de la seconde guerre mondiale, il est apparu cependant comme un homme providentiel que les administrés souhaitaient mettre à la tête de la commune (il a été élu la première fois comme maire sans avoir été conseiller municipal au préalable et sans avoir fait acte de candidature). L’admiration que lui vouaient les autres membres du groupe (et les habitants) tenait du respect des hiérarchies sociales anciennes mais aussi d’une considération pour un membre d’une élite mettant ses atouts culturels et son ascendant au service de l’adaptation de la commune à la modernité. On retrouve dans le rapport des habitants à son maire cette tendance propre à la région bocagère, que nous avons essayé de reprendre dans l’ouvrage, à reproduire des rapports sociaux anciens tout en les adaptant à un contexte nouveau. Tout en gardant une place de leader « naturel » et incontesté, son cheminement à la tête de la mairie a été sur le plan de son mode de gestion et de la coopération avec les membres du conseil celui du passage d’une autorité unique à la prise en compte progressive du point de vue des conseillers. Ce que les membres du groupe ont analysé au fil des séances dans leur regard rétrospectif sur l’évolution des rapports entre eux et le maire.
7 Les annexes ont aussi en partie rempli cette fonction. Y compris dans le dévoilement du nom de l’auteur d’un graffiti (membre du conseil municipal) dénonçant de manière humoristique une affaire de donation de propriété bloquée, mais ayant mis le maire en position inconfortable lors de la venue de personnalités dans la commune, d’autant que la presse s’en était mêlée. Le nom de l’auteur restant officiellement secret puisque ce dernier n’a jamais rien avoué « à confesse » selon ses propres mots.
8 Articles de Ouest France du 05 août 2002 : « Un livre raconte cent ans d’histoire locale » et « La Grande Fontaine mesnilaise a son histoire ».
9 Célestin Port, Dictionnaire historique, géographique et biographique de Maine et Loire, Angers, 1875.
10 Plus jeune de ses membres, il n’a jamais accepté que le groupe ne rédige pas lui-même l’ouvrage. Il analyse ainsi l’incapacité des autres membres du groupe comme une reproduction du rapport qu’ils ont toujours eu avec l’autorité et le monde de la culture légitime : ayant besoin d’aller chercher à l’extérieur des gens qui les représentent et qui expriment les choses à leur place. Il fait ainsi le parallèle entre le fait d’aller chercher des rédacteurs à l’université et celui d’avoir élu depuis 60 ans des maires qui ne sont pas originaires de la commune.
11 Maryline Chassaing comme moi-même avons été formés initialement à la psychosociologie et avons ou avons eu un exercice professionnel dans ce domaine. On aurait tort cependant de considérer que l’ethnologue jouerait aux apprentis sorciers en s’aventurant dans l’animation des groupes. Il est reconnu que l’intervention en sciences sociales suppose des compétences diverses et d’autres savoirs disciplinaires (droit, économie, informatique, psychologie sociale... Cf Legrand, 2001), le problème est plutôt celui de leur apprentissage, leur reconnaissance et leur supervision.
Auteur
Est maître de conférences en anthropologie/ethnologie à l’institut de Psychologie et de Sociologie Appliquée (IPSA), Université Catholique de l’Ouest, Angers. Ses derniers travaux portent sur la transmission des patrimoines fonciers dans le bocage vendéen et sur l’engouement associatif pour l’histoire locale dans le Maine-et-Loire.
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