Chapitre I. Quelle histoire pour l’ethnicité des Malgaches de l’Imerina ?
p. 161-186
Texte intégral
L’origine « asiatique » surinvestie
1Immigrés à Bordeaux, Paris ou Toulouse, les Malgaches sont aussi et d’abord des émigrants. Ils sont à la croisée de deux espaces sociaux séparés et inégaux : le pays d’origine (Madagascar) et le pays d’installation (la France). Les habitants de Madagascar (qui a bâti son unité nationale à travers des années de lutte anti-coloniale mais aussi en intégrant des apports culturels occidentaux) posséderaient, selon certains Malgaches, une « mentalité » propre. Selon les individus, les époques et les circonstances mais aussi en fonction du lieu d’où elle émane, la définition de « la mentalité malgache »98 varie. En ce qui concerne l’achèvement de la période coloniale, les Malgaches de l’Imerina diront, pour justifier son issue victorieuse, qu’elle est due à leur opiniâtreté, leur patience, leur ingéniosité. Pour les Français, le Hova99 ou le Merina de la période coloniale possède un caractère fourbe et son intelligence relative ne serait due qu’à sa capacité à imiter100 (on évoque alors sa face simiesque).
2En ce qui nous concerne, nous rejetons d’emblée la notion de « mentalité malgache » ou « d’âme malgache », expressions supposant une essence malgache existant de toute éternité. C’est plutôt sous un angle dynamique que nous aborderons l’usage de l’histoire dans la construction sociale de l’ethnicité merina. Appréhendée dans une perspective en mouvement, l’historicité de la migration malgache est un moyen pour comprendre la dynamique des identités ethniques malgaches contemporaines. Nous invoquerons ici l’histoire malgache à travers la manifestation contemporaine qu’en donnent nos interlocuteurs, dans le remaniement des formes d’organisation sociale, et particulièrement dans le réagencement de la production sociale de la différence ethnique et culturelle. Grâce à la manière dont l’histoire est convoquée dans la conversation avec l’anthropologue, nous prenons en compte un aspect essentiel des rapports sociaux qui nous permet d’analyser, aujourd’hui, les processus d’identification et de différenciation des Malgaches de France et de Madagascar. C’est là que nous situons notre place face aux historiens, et c’est là que réside la principale difficulté. Nous allons donc nous pencher sur la manière dont « l’origine » des Malgaches nous est présentée par les Merina (on perçoit ici immédiatement la dimension contextuelle de l’ethnicité tantôt Merina, tantôt Malgache) que nous avons rencontrés en France et à Madagascar. Lorsque nous présentons notre enquête101 à nos interlocuteurs, ils entament le plus souvent « un récit historique » sur « leur origine » justifiant ainsi leur identité particulière par rapport aux autres Malgaches (sous-entendu aux « Côtiers »). « En France, on nous prend pour des Indonésiens, pour des Tahitiens ou des Japonais... » disent-ils fièrement. Le plus souvent essentialistes, les explications de nos interlocuteurs tentent de nous faire comprendre les différences identitaires entre Malgaches. Ainsi, se définissent-ils pour la plupart comme « d’origine purement indonésienne » et descendants directs des vazimba, les premiers, selon eux, à fouler le sol malgache. Il est implicitement question d’opposer l’origine africaine à l’origine asiatique, et ce aux dépens de la première. Les propos tenus par nos interlocuteurs s’appuient, disent-ils, sur les travaux historiques qui ont tenté d’appréhender la provenance des Malgaches contemporains.
3En effet, dans les travaux102 auxquels certains de nos interlocuteurs font référence, la dichotomie asiatique/africain reste implicite. Ils renforcent ainsi, puisqu’ils ne l’interrogent pas, l’opposition Merina/Côtiers et les catégories Asiatiques/Merina et Africains/Côtiers, catégories largement réutilisées par le sens commun à Madagascar et en France pour tracer, de manière hiérarchisée, la frontière sociale entre « eux » les Côtiers et « nous » les Merina. Pour les Malgaches rencontrés à Madagascar, le nusantara103s’applique aux origines et correspond à l’âge d’or de l’histoire merina. Ainsi, face à nous, en situation d’entretien, le but premier est de mettre en avant les racines dites « asiatiques »104 des Malgaches et plus spécifiquement les leurs (Merina). Léon (70 ans, Tananarive, Février 1995), affirmant s’appuyer sur une chronologie ancienne, nous explique que l’existence de Madagascar aurait pour origine « des marins indonésiens venus d’Asie sur des pirogues... », ce qui invite l’interlocutrice que nous sommes à lier l’Asie et l’Imerina. En insistant dans leur récit historique sur la primeur de « leur » arrivée d’Indonésie, ils minimisent l’influence de la culture « africaine » sur la culture merina. Dans tous les entretiens105 effectués entre 1990 et 1995, la question de l’africanité de la culture merina reste sous-entendue (par le double apport démographique) mais n’est surtout pas mise en avant par nos interlocuteurs. À l’époque, nous avons constaté une dérive raciale106 dans les propos de quelques Malgaches, les plus nostalgiques de la période ante-coloniale et les plus fragilisés par la migration, la pauvreté économique actuelle du pays ou encore par leur éviction du pouvoir après la malgachisation.
4L’origine asiatique des Merina reste donc aujourd’hui largement instrumentalisée, à Madagascar et en France. Nos interlocuteurs nous ont montré comment, en se référant à leur histoire, ils peuvent selon le moment et la situation sociale (hiérarchisation blanc/non-blanc), se différencier, en tant qu’Asiatiques, des Malgaches « Côtiers » dits d’origine africaine en France. À Madagascar, la question de l’origine asiatique107 joue dans un autre registre lié aux vicissitudes de la politique nationale, mais aussi au souhait, d’un point de vue international, de se dégager de l’appartenance à l’Afrique, perçue en Occident comme une éternelle « arriérée », en sous-développement. Nous reviendrons plus loin sur les enjeux sociaux du processus d’identification et de différenciation autour de l’usage des catégories « Africain » et « Asiatique ».
Andrianampoinimerina, l’emblème de la « merinité »
5Nombre de nos interlocuteurs prétendent avoir des liens généalogiques avec le célèbre roi ou au moins avec l’un de ses collaborateurs. Les plus âgés se souviennent des récits de leurs « grands-parents » qui participaient aux réceptions royales. D’autres évoquent avec admiration la splendeur du Rova108 (ou palais de la Reine), visible depuis leur maison d’enfance mais inaccessible dans la réalité... Andrianampoinimerina est le souverain qui a laissé le plus de traces dans la mémoire de nos interlocuteurs. Il a laissé le souvenir « d’un roi conquérant ». Certains nous ont récité solennellement la célèbre phrase qui lui est attribuée : « la mer est la limite de ma rizière ». Cette phrase sous-entend, selon les plus documentés, un programme de conquête afin de procéder à l’unification politique de l’île. Sa politique expansionniste, son système généralisé de la corvée109, le développement de l’irrigation (Raison-Jourde 1991 : 53-56), n’en constituent pas moins des éléments totalement réinvestis par les Merina contemporains dans l’élaboration de leur ethnicité face à l’anthropologue. Dans leurs propos, il est présenté comme un roi unificateur, ingénieux et totalement indépendant de l’Europe. Il aura donc fallu que l’anthropologue visite plusieurs fois, en compagnie de ses hôtes, la hutte de ce roi à Tananarive. Pour les Merina qui nous ont hébergée, cette visite guidée leur permettait de nous affirmer leur appartenance à cette histoire « glorieuse » pour l’Imerina et qui a, en son temps, « ébloui les Occidentaux » (qui devait nous éblouir nous aussi ?). L’un d’eux nous dira, adossé à la rambarde du Rova surplombant Tananarive, en 1991 : « De toutes ces merveilles, j’en suis l’héritier » (Thierry, 21 ans).
6Les plus érudits, tel Henry (50 ans), iront jusqu’à nous présenter Andrianampoinimerina comme un roi rassembleur, faisant fi des différences ethniques. Pour cela ils s’appuient, disent-ils, sur les propos mêmes d’Andrianampoinimerina qui « compare ses sujets à une pintade aux couleurs variées ». Il évoque même, me disent-ils, « l’unité dans la diversité110 » de ses sujets.
7Ainsi, le renforcement du royaume merina constitue-t-il un élément important dans l’édification de l’ethnicité merina d’aujourd’hui. Andrinampoinimerina a servi d’emblème à différents moments de l’histoire malgache et notamment au moment des réveils nationalistes, ce dont nos interlocuteurs ont parfaitement conscience. Ce roi a donc été plusieurs fois convoqué dans l’élaboration du « nous merina » au cours de l’histoire et encore aujourd’hui face à l’anthropologue. L’intérêt, (l’admiration même) porté à ce roi par les voyageurs européens au XVIIIe siècle (Clesse 2002) est également réutilisé aujourd’hui, en migration surtout, pour constituer « l’ingéniosité » en trait positif de la merinité. Les plus érudits en histoire de nos interlocuteurs, ayant eu entre les mains les textes des voyageurs européens du XVIIIe ou XIXe siècles, informent l’anthropologue de l’admiration des Français ou des Britanniques à l’égard de leur peuple. Mieux encore, la référence au roi Andrianampoinimerina leur permet d’évoquer la richesse d’une Imerina autonome vis-à-vis de l’Occident (est-ce le renversement dans l’imaginaire d’une situation de dépendance économique totale lorsqu’ils sont obligés de s’installer en France ?). Ces connaissances personnelles (peu de nos interlocuteurs âgés ont eu des cours d’histoire malgache, ils se sont donc documentés depuis) concernant l’histoire de Madagascar, régulièrement affirmées, sont spécifiques de la redéfinition d’une ethnicité collective merina dénuée de toute idée négative en France. L’appartenance royale de nos interlocuteurs est chargée d’assurer l’expression symbolique de l’ethnicité merina en France, mais aussi à Madagascar.
D’un christianisme « choisi » par « leurs ancêtres » à l’héritage d’une « culture lettrée »
8Les Merina rencontrés en France et à Madagascar pratiquent la religion protestante ou catholique ; c’est, comme nous l’avons vu de manière détaillée, un domaine de la vie sociale que l’on peut estimer partagé avec les Français. Pourtant, cette pratique n’échappe pas à la complexe articulation « eux »/ « nous ». En effet, dans la construction de leur histoire telle qu’ils nous la racontent, la conversion de la reine Ranavalona II au christianisme, ainsi que la présence des missionnaires de la London Missionary Society avant que les colons français s’installent, sont perçus comme des éléments distinctifs. Ces « choix », effectués par ceux qu’ils appellent « leurs souverains », témoigneraient du fait que les Merina auraient été choisis par Dieu, à l’égal des Occidentaux, pour recevoir la parole divine. Pourtant, cet héritage chrétien nous est raconté par Odette111 (60 ans) comme une rencontre personnelle de la reine Ranavalona II avec Dieu.
9En effet, l’adoption de la religion des Vazaha112 par la royauté au pouvoir à l’époque mérite, dans le cadre qui est le nôtre, qu’on s’y attarde. Aujourd’hui, cette partie de l’histoire du royaume merina nécessite, selon les Merina rencontrés, des explications : d’une part, selon eux, la conversation royale n’a pas été imposée par la colonisation française mais elle était un acte choisi avant son arrivée. D’autre part, « il ne s’agissait pas d’une trahison vis-à-vis des ancêtres malgaches, ni d’adorer les ancêtres des Occidentaux, mais de reconnaître Dieu qui a créé tous les être humains sur cette terre » (Léon, 70 ans). Cet héritage chrétien signifie leur appartenance à la communauté chrétienne universelle. Pour nos interlocuteurs protestants, la capacité donnée – par la formation à l’orthographe latine avec l’aide des missionnaires dès le XIXe siècle – de lire la Bible, de la discuter, fonde également leur supériorité par rapport aux autres religions et particulièrement par rapport aux catholiques malgaches. Nos interlocuteurs estiment que leurs ancêtres ont été « éclairés » par la fréquentation « des missionnaires anglais ». Cette appartenance au monde chrétien leur permet de se distinguer et d’affirmer positivement cette distinction en migration.
Franchement, on voit bien la différence entre les Malgaches catholiques et protestants. Nous autres, on a été habitués à lire intelligemment la Bible, les Anglais ne nous ont jamais rien imposé. C’est à notre intelligence qu’ils se sont adressés, tandis que les Français avec leur religion catholique, ils ont fait des moutons de nos compatriotes malgaches. (Odette, 60 ans)
10On s’aperçoit qu’ici l’analyse de la présence britannique113 est effectuée pour pouvoir prétendre assumer leur responsabilité de « guide » vis-à-vis des autres Malgaches en général et des catholiques en particulier, en France surtout (on peut parler à ce sujet de la construction d’un leadership ethnique). Mais on peut déceler aussi dans cette interprétation une manière de se libérer du joug français en migration et d’affirmer leur spécificité dans l’égalité. À Madagascar, dans le discours de Joary114 (70 ans) « le christianisme historique » associé à l’excellence de la royauté merina valide d’un côté une légitimité internationale (participation aux nations dites « civilisées ») et d’un autre côté il permet aussi d’assurer leur supériorité d’élite vis-à-vis du peuple malgache en général. Cet enracinement historique dans le christianisme offre également à nos interlocuteurs la possibilité de se distancier, dans l’imaginaire, des Karana ou Indiens de Madagascar, de religion musulmane. Arrivée sans le sou au XIXe siècle, cette minorité (au sens sociologique et numérique) indienne détient aujourd’hui un réel pouvoir économique. Leur ascension sociale et économique ainsi que « leur islam militant » ont contribué à leur rejet par l’élite merina traditionnellement dominante. En France, comme on l’a vu, cette référence historique chrétienne, fréquemment rappelée lors de nos échanges, permet aux Malgaches interviewés de se rapprocher de l’anthropologue supposée chrétienne115 (de diminuer la distance ethnoculturelle avec elle). Ces conversations leur permettent également de rejoindre les modèles culturels chrétiens dominants en Occident tout en rejetant les catégories d’« immigrés », « maghrébins », « musulmans », du côté de l’intégrisme islamique médiatisé et utilisé dans la sphère politique. Elles leur permettent également de rester, à travers leur vision hiérarchisée du monde social, au sommet de la pyramide.
Résoudre, aujourd’hui, le sentiment de culpabilité
11La première génération116 de migrants rencontrée dans cette recherche est celle des étudiants venus après la Deuxième Guerre Mondiale et l’insurrection de 1947, événements majeurs dans la suite des relations entre les deux pays. Comment évoquer alors l’immigration malgache en France sans saisir la manière dont mes interlocuteurs ont vécu cet événement ? En effet, la colonisation française nous est présentée par nos interlocuteurs comme une des étapes importantes de leur construction identitaire. Plusieurs récits mettent en évidence la position ambiguë dans laquelle nos interlocuteurs ou leurs parents se sont trouvés au cours de cette période, tantôt rejetés par l’école coloniale, comme Joary, tantôt non recrutée pour des critères physiques (couleur de peau, taille) à un poste d’hôtesse de l’air comme Gaby, ou participant à la société coloniale en occupant des responsabilités dans l’administration, lors de réceptions ou lors d’échanges sportifs... La présence des Français a contribué, à travers les emprunts, les échanges et les adversités, à une redéfinition qui participera à l’acculturation et à l’élaboration de l’ethnicité malgache contemporaine en situation de relations interethniques hiérarchisées. Saisir les manières dont ces migrants ont vécu la colonisation117 et cet événement majeur de 1947 nous éclaire sur la manière dont ils dialoguent avec l’anthropologue française que nous sommes, puisqu’il s’agit d’une « Française dont la figure contient implicitement le passé colonial » (Althabe intra).
12Comme le souligne Aïna (67 ans, pilote à la retraite et ami de Joary), à travers son propre parcours familial – où tout est mis en œuvre par son père pour ressembler aux « Français » – cette ressemblance (Bouillon 1981 : 81) avec les Européens n’ira pas sans leur poser problème ; tout est fait alors pour les dévaloriser. À travers le récit d’Aïna concernant les relations ambiguës de son père avec ses collègues de l’administration coloniale, on saisit qu’il s’agit pour lui d’être à la « bonne distance » pour que la différence hiérarchique ne s’estompe pas, puisqu’elle est au fondement même de l’entreprise coloniale. Dès lors, souligne Emmanuelle Saada, « tous les individus qui imitent trop bien les dominants sont perçus comme menaçants pour l’ordre colonial en ce que leur existence souligne l’arbitraire des catégories sur lesquelles il repose » (Saada 2005 : 32). Avoir de l’initiative au bureau, gagner plusieurs fois des matchs de tennis, s’exprimer en français de manière soutenue, ont pu avoir, selon Aïna, des conséquences sur les relations professionnelles de son père accusé de nationalisme, alors que celui-ci était « malheureusement un collaborateur ».
13Toutefois, comme le rappelle Gérard Althabe : « la fonction publique coloniale ne formait pas un ensemble homogène et, malgré la volonté de contrôler ceux qu’elle recrutait, l’administration coloniale était confrontée, dans ses services, à une grande majorité de Merina nationalistes qui participaient officiellement ou clandestinement à la lutte contre l’oppression coloniale. » (1970 : 10). La cohabitation colon/élite merina nous est alors racontée par nombre de migrants âgés comme une entrave à l’épanouissement de leur distinction sociale et de leur sentiment national118.
14Dans les récits familiaux recueillis, collaborer avec les dominants afin de se replacer socialement et économiquement, tout en organisant ou non une résistance politique plus ou moins discrète mais réelle contre les vazahas, ou s’opposer farouchement et refuser totalement le système colonial, sont des attitudes tantôt valorisées au regard de l’indépendance obtenue par Madagascar, tantôt minorisées face à l’anthropologue ; cependant aujourd’hui, en France, ces migrants âgés souhaitent apparaître comme des « migrants modèles », se rapprochant au maximum des élites locales bordelaises. Ce rapport ambigu à la présence française est aussi gouverné par la situation économique et politique actuelle de Madagascar, où les enfants de ces migrants âgés ne sont d’ailleurs pas installés, optant, comme vous l’avez lu tout au long de cet ouvrage, pour des carrières professionnelles en France.
15À propos de cette ambiguïté, nous nous attarderons sur un événement autour duquel va se construire leur récit et qui a été vécu par certains d’entre eux : l’insurrection de 1947. Ce mouvement de lutte pour retrouver l’indépendance jalonne de manière centrale les récits des Malgaches les plus âgés. Tous ces récits autour de 1947 ont eux aussi illustré, d’une manière ou d’une autre, l’hétérogénéité des attitudes pendant la présence française, variant en fonction de la position sociale qu’ils ou elles, ou leurs pères et mères, ont occupée pendant la colonisation, se revendiquant comme « Merina » ou « Côtiers », comme « intellectuels » ou « paysans »... Il nous a paru important de retracer les différentes positions afin de mieux saisir la multiplicité des discours tenus à l’anthropologue, alors que toute la lumière historique n’a pas été faite sur ces évènements.
L’insurrection de 1947...
16Cette partie de l’ouvrage interroge avec acuité la situation d’enquête où l’ethnicité malgache se trouve particulièrement construite dans la relation à nous, Française. Nombre d’interlocuteurs rencontrés entre 1991 et 1995 sont directement concernés par ces événements, soit en tant que spectateurs, soit en tant qu’acteurs, soit enfin en tant que se considérant comme héritiers d’une histoire familiale et nationale. Face à cette période de l’histoire, chacun va donc réagir différemment en situation d’entretien face à l’anthropologue. La réflexivité provoquée par la situation de recherche au sujet de cette situation de hiérarchisation119 sociale forte permet d’éclairer les relations contemporaines entre Malgaches, mais aussi leurs rapports avec les Français d’hier et d’aujourd’hui. L’analyse de ces relations zébrées ou complexes devient productrice de connaissance sur les relations interethniques contemporaines entre Malgaches et Français.
17Dans les récits recueillis à Bordeaux dans les années 1990, les anciens soldats malgaches de l’armée française auraient occupé une place très importante durant les événements de 1947. Ayant combattu pendant sept ans dans les bataillons de tirailleurs sénégalais et oubliés rapidement, leur mémoire a retenu l’ingratitude française. Mais selon eux, ce fut aussi la défaite120 et l’humiliation de 1940121 qui influença leurs esprits, les poussant à agir contre l’oppression coloniale : « La France n’était pas aussi invincible qu’elle en avait l’air », nous confie le commandant R.122 qui complète :
Quand j’ai vu tous ces Français qui étaient encore moins bien lotis que moi... Je me suis dit, ça n’est pas possible... Ces gens avaient tellement rien à voir avec les Français que je connaissais moi, à Madagascar, qui étaient riches, bien habillés, donnaient des ordres...
18Selon le commandant R., la notion de tody123 germa dans son esprit : si la France avait perdu en 1940, c’est parce qu’elle avait semé le mal à Madagascar ; elle payait en retour le poids de sa dette. L’idée est aussi avouée du bout des lèvres par le neveu d’un autre ancien gradé de l’armée française, le commandant A.124 :
Il a bien fallu que mon oncle admette qu’ils avaient perdu. La France avait donc des antécédents qui expliquaient une punition ? Je crois que oui ! Et le proverbe « qui sème le vent récolte la tempête » avait trouvé sa réalisation concrète en 1940 !
19L’heure est venue pour le commandant A. de « faire sonner l’heure de la révolte armée » qui se déclenche durant la nuit du 29 au 30 mars 1947125.
20À Moramanga, le commandant A. se souvient qu’autour de lui les voisins, les amis, disaient que « le dimanche 30 Mars avait été sanglant ». Les historiens, tel Yves Benot, assurent que « les tirailleurs sénégalais », en représailles, massacrèrent la population restée au village. « Le massacre de Moramanga fut qualifié ‘d’Oradour malgache’ par Pierre Boiteau, agronome et haut fonctionnaire présent à Madagascar à cette date » (Benot 1994 : 119). Joary, Aïna ou André se souviennent que dans la région de Moramanga, les plantations européennes étaient assaillies par les insurgés. Le commandant R. se souvient que, dans sa famille, il se disait que les routes n’étaient pas sûres et étaient constamment sujettes à des attaques. À Tananarive, Joary se remémore avec émotion que dès le lendemain, la répression s’abattait sur le MDRM126, considéré par l’administration coloniale comme le responsable de l’insurrection du 29 Mars « et cela, malgré la volonté des parlementaires127 de se désolidariser publiquement de la lutte armée ». (Benot 1994 : 173)
21La police coloniale, alors dirigée selon Joary par « le fameux Baron », dont les services logeaient à deux pas de chez lui, faute de preuves, mit tout en oeuvre pour extorquer128 des aveux129 aux dirigeants du MDRM, permettant leur arrestation et rejetant ainsi toute la faute sur un parti « dérangeant ». À la même époque, Joary se souvient que les mouvements anticolonialistes français et malgaches avancèrent l’idée que l’insurrection du 29 mars aurait été impulsée par l’administration coloniale, soucieuse de reprendre les rênes du pouvoir. À ce moment-là, Joary a 19 ans et « découvre » que Madagascar pourrait être indépendante, tout en étant plutôt en accord la position du député Raymond W. Rabemanajara130.
22Pour Joary, « il est trop jeune dit-il et pas assez politisé à l’époque pour savoir ce qui s’est passé réellement ». Il assistait à ces événements en tant que « témoin lambda ». Difficile aussi de se faire une opinion car il est impossible d’en parler avec son père, farouche défenseur de la présence française. À plusieurs décennies d’intervalle, ce que Joary appelle « le traumatisme de 1947 » reste à la recherche de ses instigateurs. Cette partie de l’histoire malgache est encore douloureuse aujourd’hui. « Les reproches faits par les insurgés survivants de l’Est aux Merina (du Centre), de n’avoir pas (ou très peu) participé au soulèvement, de les avoir, en certains secteurs manipulés, aggravèrent des ambiguïtés jamais levées concernant le rôle réel des députés malgaches. (...) Faut-il oublier ? » (Raison-Jourde, Randrianja, 2002 : 31)
23Dans la construction identitaire contemporaine malgache, quelle place va occuper cet événement131 (très sommairement décrit ici) ? Bien entendu, la dimension hiérarchique est présente dans toute enquête, mais elle se pose d’autant plus lorsque celle-ci a pour objet l’étude des rapports sociaux et des relations inter-ethniques.
24Evoquer cette période de l’histoire provoque des discussions virulentes entre certains Malgaches. C’est dans la région de Tuléar en 1993, alors que nous rendions visite à Pierre, oncle de Vohangy132, étudiante en architecture à Bordeaux, que la question fut abordée avec beaucoup de tension. Pierre133, anthropologue à l’IRD134 (ex-ORSTOM) de Tuléar, se présente d’emblée à nous comme un « Merina » et comme le fils d’un homme qui a été arrêté au moment de l’insurrection de 1947 par les forces de l’ordre. Il souhaite débattre de ce moment de l’histoire avec nous et ses amis qu’il appelle « Côtiers ». Il nous fait rencontrer Jean-François, enseignant-chercheur en géographie (45 ans). Ce dernier est indigné que nous puissions nous intéresser d’un point de vue scientifique à cet événement historique qui, selon lui, est « une affaire privée nationale ; moi je suis géographe de formation, je n’arrête pas de proposer à mes collègues historiens d’écrire quelque chose sur l’histoire de 1947, mais personne ne bouge. C’est aux Malgaches d’écrire là-dessus, pas à vous ! ». Pour Jean-François, il est clair que ce n’est pas à nous, Française, d’évoquer le sujet. Pour lui, nous sommes venue (il est très agressif) encore une fois déposséder les Malgaches de « leur » histoire. Que nous écrivions avant « eux » sur l’insurrection de 1947 ne serait qu’une violence (symbolique celle-là) supplémentaire.
25La passion que suscite le récit des événements de 1947 chez135 l’oncle de Vohangy est telle qu’elle nous renseigne sur la mémoire collective en construction de nos interlocuteurs et sur la manière dont ils ont vécu la domination (et dont cette expérience a été transmise). Si le colonialisme n’a pas totalement modifié la manière de vivre au quotidien des Malgaches dans leur totalité, il a transformé les relations inter-ethniques internes mais aussi leurs relations à « l’étranger », et ceci en fonction de la place qu’ils ont occupée pendant leur longue expérience de colonisation française. Jean-François, issu d’une famille installée -selon ses dires- depuis toujours sur la côte Ouest malgache, se qualifiant lui-même comme appartenant au groupe des Mahafaly, ne garde comme souvenir de la présence française que la violence de l’insurrection et sa répression. Par association d’idées, il réinterprète également la colonisation merina (qu’il n’a pas vécue) sur la côte à travers l’extrême violence de la répression coloniale française de 1947. Alors qu’il est géographe et qu’il officie au sein de l’Université de Tuléar, en collaboration avec des collègues français et merina (dont Pierre) au sein de l’antenne de l’IRD, il se moque ostensiblement devant nous des prétendus effets civilisateurs de la colonisation française, et pointe sa domination, son régime de terreur. À la fin de l’une de nos entrevues, il renvoie dos à dos l’Etat136 malgache contemporain, (qualifié de « merina », même si le président est à l’époque Zafy Albert né à Diégo-Suarez) et l’Etat colonial français. À l’époque de cette entrevue avec Jean-François et Pierre, Madagascar sortait d’une période de violences, d’émeutes, de grèves, sous l’impulsion des Forces Vives137, ou Heri’velona, qui souhaitaient contraindre le président Didier Ratsiraka à quitter le pouvoir qu’il occupait depuis 1975.
26Comme le montrent nos propres entretiens, les événements de 1947 servent de filtre explicatif aux événements contemporains. Comme les paysans betsimisaraka rencontrés par Gérard Althabe ou Jennifer Cote, lors de notre échange, Jean-François s’appuie sur ce traumatisme antérieur pour gérer la relation d’enquête. Cet événement fut tellement violent qu’il s’impose comme système de référence pour la compréhension d’une nouvelle expérience avec une Française et donne à notre rencontre l’allure d’un règlement de comptes. Jean Frémigacci138 (2002 : 326) éclaire également l’association qui est faite entre Merina et Vazaha par les Malgaches rencontrés à Tuléar (comme l’a fait Jean-François). Association dont Pierre139, qui se dit presque désespéré d’être « merina », estime souffrir encore aujourd’hui, alors que son père s’est engagé dans la lutte contre l’occupant en 1947. Il avoue avoir mis du temps à accepter de travailler avec les chercheurs français présents à l’ORTSOM de Tuléar. Le récit de cette période met en évidence toute la complexité de la gestion individuelle et collective contemporaine de cette partie de l’histoire malgache. À Tuléar, la figure du « merina traître », « dominant », a encore du sens dans les rapports sociaux et inter-ethniques contemporains. En période de tension politique, Pierre « accusé d’être Merina » dans les années 1990, subit au quotidien l’hostilité générale rencontrée par les Merina, alors qu’il n’a jamais vécu à Tananarive.
Pierre : Pour moi, tout ça c’est très compliqué. Ici, en tant que Merina, quand ça va mal, on me reproche mon appartenance à Tananarive... On dit que mon père travaillait pour les Français. Pourtant il s’est battu contre les Français en 1947... C’est vrai, quand j’étais jeune, mon père avait des amis français. Un officier français qui a pris beaucoup de place dans sa vie et qui est intervenu dans sa vie. Non seulement ils étaient très copains mais en plus, il lui a sauvé la vie pendant les événements de 1947. L’officier a vu dans un journal que mon père était condamné à mort ! Il ne pouvait pas supporter que mon père puisse être condamné à mort, alors il était descendu de Diego pour aller voir mon père à Fort Dauphin. Il était allé demander la révision de son procès. Sa peine était passée à cinq ans et dix ans d’interdiction de séjour à Tananarive et à Fort Dauphin. Donc, ce monsieur a voulu m’emmener en France déjà quand j’étais petit pour des études et mon père a voulu que j’aille avec son ami. Seulement, la coutume malgache ne permet pas qu’un fils grandisse auprès de son ami, un ami qui est en quelque sorte l’ennemi de la nation ! Il était Français et il représentait le colonisateur et mon père était militant dans le camp contre le colonialisme. Alors, quand ils étaient amis, ils étaient intimes, mais quand on parlait de politique, ils étaient dans les camps adverses. Mais cela n’a pas empêché qu’ils s’aimaient vraiment et du fond de leur cœur. Et mon père avant sa mort m’a dit : « il faut que je voie son fils ou son petit-fils avant même que moi je meure... » Disons que la France représente pour moi quelque chose de complexe et d’ambigu, mais j’aime bien la France. J’ai quelque chose en moi, un morceau de moi en tant qu’homme de la France, parce qu’une partie de ma culture est française.
Chantal : Donc à aucun moment pour ta famille, les relations avec les Français n’ont été difficiles ?
Pierre : Si. C’était le problème de tous les indépendantistes avec tous les Blancs et les Français en particulier. Je disais à mon père : « Pourquoi tu es allé en prison au moment où nous avions besoin de toi ! » Il m’a dit : « Je ne peux pas t’expliquer mais c’est quelque chose, comme il dit, pour la patrie et on milite pour la patrie et moi je préfère aller dans le camp où j’ai risqué la prison. », il m’a dit ça. Mais je lui ai dit : « mais tu avais beaucoup d’amis français, des chefs de postes, le commandant de la caserne, les responsables ! » Je lui ai demandé : « Pourquoi tu t’es rangé dans le camp où tu étais ? »« Je t’ai dit qu’il y a quelque chose qui s’appelle la patrie » et je lui ai dit « maintenant, il faut que je comprenne, il faut que tu m’expliques, parce que moi j’en veux aux Français, aux Sénégalais, les Africains qui étaient miliciens dans le temps et qui te frappaient quand tu montais dans la voiture qui est allée te prendre à la prison de Fort Dauphin. » Il a dit « bon, ben les Sénégalais sont des colonisés comme toi et moi et ils sont là par la force des choses et ils sont là pour frapper les gens ! Ils sont là par la force des choses » alors j’ai dit « ce sont donc les Français qui les ont poussés à te frapper ? » Il dit oui. Je dis « donc il faut en vouloir aux Français ? Mais comme c’est un Français qui t’est venu en aide, qui t’a sauvé la vie, qui a réduit ta peine à cinq ans de prison, qu’est ce que ça veut dire pour moi ? » Alors, il m’a dit « Il ne faut pas en vouloir non plus aux Français, ils défendaient leur cause en tant que Français, et moi en tant que Malgache ». Alors moi, je lui dis, « ça ne me satisfait pas ce que tu dis-là ». Il me dit : « va à l’école pour apprendre parce que moi je ne peux pas te donner plus d’explications ». Je suis allé à l’école et je suis devenu chercheur dans un centre de recherche à l’Orstom. Mais il m’a fallu des années pour supporter les Français. Il y a quelque chose qui fait... dans ma peau, qui fait que je ne peux m’empêcher de rentrer en conflit avec un Français. A force de me bagarrer avec eux, j’ai fini par comprendre...
Chantal : Par comprendre quoi ?
Pierre : Je suis guéri ! Je suis guéri du mal qui était en moi. A force d’exemples, ils ont réussi à me guérir. À faire la différence entre les Français de l’époque coloniale, ceux qui étaient à Madagascar, et les Français de France et surtout ceux de maintenant. C’est ce que j’essaie de faire ici aussi quand on me pointe du doigt, parce que je suis Merina. Tu vois avec les émeutes à Tana, ici c’est l’insécurité pour quelqu’un comme moi. Je reste chez moi ou je pars en brousse faire du terrain. J’essaie d’expliquer à ceux qui m’agressent que ceux d’avant étaient différents de ceux d’aujourd’hui. Maintenant, on est tous Malgaches, mais c’est difficile à faire entendre... surtout parce que je travaille avec des Français... des vazahas... tu vois ? Des gens comme toi...
27Dans le Sud-ouest de Madagascar, la catégorisation de l’Autre est étroitement liée à l’ancienneté d’implantation sur un territoire. Les ancêtres de Pierre ne sont pas enterrés à Tuléar et cette absence constitue un élément marquant de son identité sociale. Le degré d’autochtonie de Pierre est donc fonction de l’ancienneté d’implantation locale de sa famille et on perçoit, dans la manière dont il construit son récit, sa fragilité. Mais c’est particulièrement en période d’élection ou de mouvements sociaux que Pierre est renvoyé à sa prétendue merinité originelle, même si, comme il le dit, son père s’est battu contre la présence coloniale française en 1947. Dans cet entretien, l’anthropologue malgache tente de faire comprendre à l’anthropologue française que la suspicion de trahison qui plane autour des Merina est réactivée et ce d’autant plus qu’il fréquente des vazaha. Tout au long de son récit, Pierre explique comment, dans le contexte de la côte Sud-ouest, il lui a été difficile d’accepter son héritage paternel et culturel français tout en l’utilisant dans sa carrière professionnelle. Comment être pleinement Malgache, ou gasy, alors qu’il travaille avec les Vazaha ? Notre présence réactive l’ambiguïté de sa position mais il espère aussi pouvoir se servir d’elle pour provoquer la discussion avec ses collègues en cette période difficile.
28Nous partageons l’insécurité vécue par Pierre. Au moment où à Tananarive des manifestations contre Didier Ratsiraka ont lieu, nous rencontrons des barricades dans Tuléar avant d’atteindre la demeure de Pierre. Lorsque nous nous déplaçons, « notre couple » n’est pas sans susciter des réactions. Jets de pierres et terme Vazaha fusent parfois. Cette dénomination va servir à manifester l’exclusion symbolique de Pierre de la collectivité nationale malgache. Pierre a été profondément affecté par cette catégorisation qui le désignait comme étranger. On voit comment le terme de vazaha – au-delà d’une identification basée sur l’apparence physique de Pierre qui devrait l’associer à l’Imerina – le renvoie à un statut social de dominant (il travaille pour les étrangers, l’ORSTOM, actuel Institut de Recherche pour le Développement), et de traître aussi ; ses manières de faire (en circulant avec nous) dérogent aux normes en vigueur à Tuléar au moment de ces tensions politiques. (À d’autres époques, on peut supposer que ce processus de catégorisation ethnique est moindre). Durant cette période trouble où les Forces Vives situées à Tananarive souhaitaient contraindre Didier Ratsiraka à quitter le pouvoir, l’association Merina-vazaha renvoie Pierre à la prétendue « trahison » de son groupe d’appartenance pendant la période coloniale, et particulièrement pendant l’insurrection de 1947, et lui signifie encore une fois son exclusion symbolique des Gasy ou Malgaches.
29De son côté, l’analyse du récit de Jean-François révèle l’exacerbation de l’antagonisme Côtiers/Merina alimenté entre autres par les colons, et ses effets jusqu’à aujourd’hui perceptibles dans les relations interethniques à Madagascar, surtout en période de manifestations politiques. Dans ce cadre, il est également intéressant de saisir la place que le géographe Jean-François nous octroie pendant nos échanges. Il estime avoir seul la légitimité à parler de cette période d’oppression coloniale. L’interprétation de cette situation d’entretien nous renseigne sur une autre facette de l’ethnicité malgache contemporaine et révèle la complexité de la situation. Elle confirme que notre altérité est une relation sociale qui se tisse dans le cours de l’enquête. Notre position de Française, alors que nous essayions selon eux de nous « immiscer » dans les rapports internes d’un groupe social, nous ont placée en position de médiatiser à la fois les contradictions internes et leur articulation aux champs sociaux externes. Grâce aux entretiens réalisés dans le Sud-ouest et dans le centre de Madagascar, on s’aperçoit que les conditions mêmes dans lesquelles l’insurrection s’est déroulée ont participé à une construction identitaire nationale s’appuyant sur un fait historique encore difficilement évoqué et réactivé dans les années 1990 au moment des manifestations contre Ratsiraka et au moment de l’élection de Zafy Albert en février 1993. Ceci est renforcé par les disparités régionales en matière d’infrastructures scolaires, médicales, routières, mais également par un imaginaire faisant de Tananarive une capitale flamboyante. Non seulement le discours de Jean-François assimile la Française que nous sommes à la France coloniale et à l’Occident contemporain dominateur, mais il est également structuré sur le clivage Côtiers/Merina140. Nous l’avons vu avec plusieurs de nos interlocuteurs, en cette période trouble, la région actuelle de l’Imerina est qualifiée « d’Etat merina »...
30Nous assimilant une fois encore à la France « d’avant », Henri, professeur de philosophie à l’Université de Tuléar (43 ans), venu lui aussi renforcer la discussion sur invitation de Pierre, n’hésite guère à employer le vous inclusif en nous parlant : « Vous, les Français, les vazahas, pendant la colonisation, vous... ». Ce « vous » accusateur est très prégnant dans son discours ; son père, très actif selon lui en 1947, fut emprisonné et torturé. Il s’insurge contre le silence dans lequel est enfermée la région de Tuléar au sujet de 1947. Il revendique pour son père et pour le Sud-ouest le droit à la mémoire, celui d’apparaître comme un lieu important de révolte. Il estime qu’une fois encore sa région est laissée pour compte, qu’aucun historien « côtier » contemporain n’évoque la place importante de Maratandrana où il y a eu des répressions, où des « gens ont été amenés jusqu’à la ville de Manajary et ont été exécutés sommairement » (Henri, février 1993 à Tuléar). Jean-François et Henri ont effectué quelques séjours en France pour finir leurs études. Selon eux, les études françaises ne leur ont rien apporté. De plus, ils nous font remarquer que le rapport de domination politique et économique est toujours le même entre « le Nord » et « le Sud ». D’ailleurs, notre présence en tant qu’anthropologue pour traiter de « leur » histoire à Madagascar en témoigne... Alors que c’est sous l’impulsion de Pierre que nos rencontres ont été organisées et que cet aspect de leur histoire a été évoqué. La notion « d’ethnicité-frontière » est utile ici pour décrypter la situation. Pierre et l’anthropologue française sont rejetés hors du « nous », en tant que vazaha, dans le contexte de l’enquête anthropologique. Notre identification est établie sur notre apparence physique mais aussi sur notre provenance, sans chercher à en savoir plus sur nos positions politiques. Cette identification en tant que Vazaha/Française nous renvoie à un statut social dominant contenant implicitement l’idée de supériorité, idée à laquelle Pierre en tant que Merina (mais aussi en tant que notre hôte) est associé. Pourquoi Pierre a-t-il souhaité provoquer ces rencontres ? Il serait aventureux de se risquer à plus d’explications. Le seul constat que nous puissions établir est la fluidité de la catégorisation et association Français/Vazaha/Merina qui est forcément liée à celle de gasy dans une relation dialectique avec elle. Comme on le voit, cette catégorie est instrumentalisée lors de notre enquête, au début des années 1990, années d’extrême tension politique où des mouvements de contestation avaient émergé à Tananarive, réactivant, en fonction d’une mémoire toute sélective, une période douloureuse de leur histoire.
31Joary (universitaire, médecin à la retraite)141 et André (ancien diplomate), comme bien d’autres Merina de leur génération, établissent une lecture contemporaine de la guerre de 1947 différente de celles de Pierre, Jean-François ou Henri. Ils évoquent leur attachement à la France et ce, dès leur plus jeune âge. Malgré la répression de 1947, le procès de 1948, malgré la colonisation, Joary et André se disent être restés de « fervents amoureux » (selon leurs propres termes). Face à l’anthropologue, Joary effectue une nette différence entre les Français de France et les administrateurs coloniaux de l’époque. Le souvenir qui blesse encore Joary est associé à un échec scolaire où il a été considéré par les enseignants du lycée Gallieni comme trop faible en langue française pour poursuivre l’année. L’affront suprême, dit-il, était de ne pas avoir été reconnu par le système scolaire dominant tellement convoité !
Chantal : Avez-vous de mauvais souvenirs de la colonisation ?
Joary : « Non, c’était tellement courant à cette époque. Mais le souvenir qui me revient, c’est quand même quand je fus mis à la porte du lycée. Après un mois et demi, vous êtes viré ! Surtout dans des circonstances très dures. Ça n’était pas comme maintenant où les gosses parlent français depuis la classe de 11e. Nous, on parlait un français très primaire ! Et puis, d’un coup, on est plongé dans un milieu qui ne parle que français. Notre prof disait : « Parlez français entre vous ! » Là, c’est un très mauvais souvenir parce que là, on vous évalue au bout d’un mois et demi alors que vous commencez à peine à parler français. Cela n’était pas une question de place, parce qu’au début on était trente et là, on n’était déjà plus que cinq, c’était vraiment une mesure gratuite, ça c’était mauvais, mais moi, je fais toujours la part des choses. »
32Comme beaucoup d’autres Malgaches en France, la réaction de Joary est vive après la diffusion du documentaire142 de Danièle Rousselier et Corinne Godeau, L’insurrection de l’île rouge. À notre grand étonnement, ça n’est pas uniquement le contenu qui le gêne. Le seul fait d’évoquer ce moment historique malgache sur une chaîne française lui paraît déplacé. Pourquoi évoquer dans ce documentaire, aux yeux de tous (des Français), le problème de Razafindrabé (un des leaders assassiné du Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache) ? Dans ce documentaire, la réaction de l’ancien député Rabemananjara lui semble incompréhensible, tant d’années après l’insurrection : « Moi, ce que je n’ai pas compris, c’est l’attitude de Rabemananjara ! Pourquoi continuer ce mystère autour de Razafindrabé ? Pourquoi dire que le MDRM n’était pas impliqué dans l’insurrection ? » Pour lui, cette polémique est inconvenante parce qu’elle salit l’image des Merina et de Madagascar aux yeux des Français. Elle continue à poser son groupe d’appartenance « en traître à la nation ». « Qu’est ce que tu vas penser de nous avec un film pareil ! C’est un problème à résoudre entre Malgaches », commente-t-il. Cette réaction spontanée face à nous permet de mieux comprendre le rapport ambigu de cette génération d’intellectuels à la France. Joary se sent obligé de se positionner face à un pan de son histoire qui le renvoie à l’ambiguïté de son groupe (de lui-même, de son père ?) face aux colonisateurs et ce, dans un contexte français contemporain qui commence seulement à être favorable à l’examen historique des exactions coloniales143. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’à aucun moment Joary ne nous renverra la culpabilité des horreurs commises par les Français de l’époque. Centré sur la sienne propre, Joary nous expliquera à demi-mot comment la migration vers la France, associée aux événements de 1947, va faire naître en lui « sa conscience politique de la nécessaire indépendance de Madagascar »... nécessaire indépendance, selon lui, jusque-là mal évaluée par lui. Ecoutons son récit alors qu’il est âgé de 19 ans (en 1948) au moment du procès des événements du « 29 mars 1947 » et qu’il effectuera quelques mois plus tard la traversée en bateau pour Marseille. Il nous renseigne sur la manière dont a posteriori il perçoit le climat ambiant144 dans la capitale malgache.
Joary : Moi j’ai assisté à ce procès. Et je peux te dire que c’est les gens des sociétés secrètes qui ont été condamnés. C’était en 1948, je me souviens très bien de ce procès, c’est gravé là... J’avais 19 ans. Je me souviens de Andriamaromanana, c’était notre héros, il était le chef, celui qui avait préparé le plan d’attaque de Tana, il s’est rendu compte que ça n’était pas très sérieux cette histoire là... C’est pour ça qu’à Tana, il n’y avait rien. Il n’y avait rien ! Le jour de l’attaque de Moramanga, je me souviens très bien, on avait l’habitude d’aller avec mes deux cousins jouer au foot à la campagne et de rentrer par le train, il y a une gare sur la route de Tamatave qui s’appelle Andriavo. Mais au moment de prendre le train, on apprend qu’il n’y aurait pas de train parce qu’une bagarre avait éclaté à Moramanga. Mes cousins travaillaient déjà et ils se demandaient comment ils allaient faire pour rentrer. Puis finalement un train est arrivé et nous sommes rentrés vers onze heures. J’habitais alors dans la rue qui monte vers Andohalo, et là, on a constaté qu’il n’y avait personne dans les rues. Et alors on blaguait, on ne se rendait pas compte et ça n’est que le lendemain qu’on a appris qu’il y avait vraiment eu une insurrection à Moramanga et qu’on aurait pu se faire interpeller le soir, s’il y avait eu une patrouille. Forcément, nous blaguions et tatatatatatata nous faisions du bruit inconsciemment...
Chantal : Mais toi, as-tu vécu des choses très désagréables ?
Joary : Vécu, non, mais si tu savais, j’en ai vu et entendu des choses terribles. Parce que figure-toi qu’on avait comme voisin le chef de la sûreté, le fameux Baron. On a vu des gens raflés pendant je ne sais pas combien de temps. On supposait qu’ils étaient tor... Il y a les Français qui font la patrouille et les militaires aussi ! Je me souviens qu’une association de Français voulait qu’on exécute les suspects à Analakely ! C’était dur tout ça, toute cette ambiance !
33Quelques cinquante années plus tard, la « désolidarisation » des intellectuels du MDRM présentée dans le documentaire de Danièle Rousselier paraît insoutenable à Joary (elle lui renvoie son propre manque de conscience politique et la culpabilité de son père). Il lui apparaît fondamental de reconnaître non seulement l’implication des intellectuels du MDRM, mais aussi la souffrance des « Côtiers ».
Joary : Ce sont les Côtiers qui ont vécu les pires choses. J’ai assisté au procès des parlementaires mais aussi au procès des insurgés de Mananjary. C’était terrible.
Chantal : Et toi au moment de ce procès, tu as eu le sentiment d’une injustice insoutenable ?
Joary : Non, écoute, il faut être honnête, il faut dire que moi, j’étais parmi les privilégiés de la colonisation. Parce que mon père était à un poste assez important et je n’ai pas souffert de la colonisation, sauf peut-être, au point de vue scolaire.
Chantal : As-tu vu des gens massacrés ?
Joary : Non, à Tananarive, on n’a pas vu qu’il y avait des gens massacrés mais on a entendu dire. Moi, j’avais un copain qui était dans l’armée française, c’était un métis. Il faisait partie de la pacification et il est allé en forêt, ce qu’il a dit... ça correspondait bien à ce qui s’est raconté par la suite. Les gens qu’on tue, les gens qu’on balance d’avion. C’était pas des histoires, (silence)
34Dans les années 1990, les récits des Malgaches rencontrés à Madagascar restent partagés : d’un côté, ceux qui ont connu les travaux forcés et dont les pères furent emprisonnés, battus, condamnés à mort ; de l’autre, ceux qui partageaient le mode de vie des colons, qui étaient pour un changement pacifique et vécurent la colonisation comme une lutte intellectualisée. Près de cinquante ans après, les Merina rencontrés comme Joary, qui ont vécu la colonisation et les événements de 1947 développent un fort sentiment de culpabilité. Ils ont conscience du fait qu’en 1947, la révolte paysanne fut plus sévèrement réprimée que celle des intellectuels. Tueries en masse ou exil en France, les colonisateurs se sont appuyés là encore sur la « politique des races » (Boëtsch 2002, Valency 1999) pour semer le trouble dans la population malgache. La répression inégale entre ceux que l’on désignait « Côtiers » et « Hova » laissera une trace encore présente dans la mémoire des Malgaches (en témoigne l’amertume de Jean-François ou Paul, le malaise de Joary au moment de la projection du documentaire qui confirme, selon lui, « le désaveu des leaders nationalistes du MDRM145 »...). En ce début de XXIe siècle, les effets de l’échec de 1947 se font toujours sentir, par exemple (comme l’a montré Jennifer Cole) dans les groupes de paysans de la façade orientale, Betismisaraka, Tanala, Antemoro, qui vivent entre eux sans avoir de liens avec l’Etat. Finalement, ce que remarquent Cole et Fremigacci, c’est que le repli sur les solidarités concrètes anciennes ont empêché l’émergence de « la communauté nationale imaginée », abstraite, dont parle Benedict Anderson (1983) faute de pouvoir s’appuyer sur cet événement concret.
35Si les Malgaches plus jeunes rencontrés en France estiment que ce fut une étape difficile et importante dans la construction nationale de leur pays, ils ne mesurent pas, disent-ils, les enjeux historiques réels de cette page de leur histoire. Cette difficulté à en parler témoigne bien du fait que ce moment de leur histoire n’est abordé de manière approfondie ni en famille ni de manière publique en France ou à Madagascar. Henri (38 ans), Francis (40 ans), Dina (37 ans)146, en France depuis presque vingt ans, ne comprennent pas les non-dits, les secrets qui entourent ces événements. Ils nous avouent découvrir, en compagnie des « anciens » et par le documentaire de Danièle Rousselier, la complexité des enjeux historiques. D’un point de vue discursif, ils nous affirment leur souhait de clarifier la situation en rendant hommage aux « Côtiers » et brandissent surtout une identité nationale malgache unique. La fête de l’indépendance de Madagascar, qui peut donner lieu en France à des réunion festives tous les 26 juin, leur semble correspondre à ce que représente pour eux « leur malgachité » : leur capacité de résistance collective à toute forme d’oppression. Leurs sœurs, frères ou cousin(e)s resté(e)s en Imerina nous en ont parlé avec la même difficulté, mais en insistant aussi sur l’aspect « résistance face à l’occupant français », adoptant par ailleurs un discours très évasif. Du point de vue de l’identité nationale, l’insurrection de 1947 reste une mémoire éclatée et fragmentaire difficilement mobilisable.
L’une des raisons du mutisme observé par les différentes populations sur cet événement majeur est probablement à chercher dans leur conviction que c’est là, pour elles, une histoire pour ainsi dire « privée » dont elles ont leur version propre. Cette dispersion des forces et des faibles moyens disponibles, sauf pendant quelques semaines d’avril à juin 1947, a aussi rendu impossible tout succès d’envergure susceptible de rentrer dans la mémoire nationale. (Fremigacci : 331).
36Les seules victoires, explique Fremigacci (Ibid : 333) « sont amères puisqu’elles ont été remportées sur d’autres Malgaches... » Il s’agit de combats de « Malgaches partisans » contre des « Malgaches engagés pour la libération » qui, souvent, seront instrumentalisés lorsque leur issue est à l’avantage des colonisateurs. En France, au moment de l’enquête, le récent lever de voile autour des massacres coloniaux n’est pas pour simplifier la tâche aux migrants malgaches dans la rencontre avec l’anthropologue. Face à ce sujet épineux, tant pour « eux » que pour « nous », ils préfèrent, pour répondre au majoritaire français, choisir comme marqueurs identificatoires des généalogies familiales autour d’un héritage royal ou d’un pasteur célèbre... Comme on le voit, les marques identificatoires utilisées sont loin d’être définitives. Les contours qui les séparent des Français ne suivent pas les mêmes limites que celles des plus âgés.
37Après avoir montré comment nos interlocuteurs se sont approprié leur histoire dans la construction de leur ethnicité, nous allons dans un premier temps effectuer un rapide rappel des différentes vagues migratoires malgaches en Occident. Puis, nous allons, dans le chapitre qui suit, reconstruire l’historicité du mouvement d’installation des Merina depuis les années 1950, puisqu’il concerne les anciens étudiants exilés ou « favorisés » que nous avons croisés à Bordeaux, et qu’à partir de ce moment-là d’autres suivront.
Notes de bas de page
98 Nous reprenons une expression fort utilisée par nos interlocuteurs pour décrire ce qu’ils estiment être « proprement malgache » dans le comportement d’une personne désignée comme telle.
99 Pour comprendre l’utilisation du terme « Hova » par les colons français, nous nous référons à l’explication donnée par Françoise Raison-Jourde (2002 : 48) : « Le terme hova désigne un des trois groupes statutaires, ou castes, propres aux Merina (andriana, hova, mainty), avec le sens d’homme libre. Ceci est l’acceptation normale du terme. Mais la diplomatie française l’utilise, au XIXe siècle, pour désigner l’ensemble de la population de l’Imerina, au grand déplaisir de Ranavalona Ire. Le terme ‘merina’ étant d’usage général du côté anglais, l’usage français obligé du mot hova paraît comme un indice de la rivalité latente avec la Grande-Bretagne à propos du royaume de Madagascar ».
100 Cette imitation n’est pas d’ailleurs sans poser problème. Si elle est souvent qualifiée de singerie, l’imitation des Merina est perçue comme une menace pour l’ordre colonial. Il est sans cesse question de « la bonne distance » à respecter entre l’imitateur et le modèle !
101 On peut à ce sujet se référer à l’article (Crenn 1993) que nous avons rédigé pour le Journal des Anthropologues, interrogeant la place de l’anthropologue dans les hiérarchies sociales de l’enquête. Ici la situation spécifique de l’enquête tient au fait que nos interlocuteurs, souvent des intellectuels, tiennent à maîtriser la recherche et l’analyse du chercheur. Ne pouvant imaginer qu’ils puissent être « objet de recherche anthropologique », car cela les ramènerait à la position du colonisé, ils ont très souvent commencé leurs récits de vie par une rétrospective historique de l’arrivée des premiers Malgaches à Madagascar, feignant de croire que ce qui nous intéressait n’était pas leur propre parcours mais leurs connaissances historiques sur les migrations malgaches. D’autres, après s’être documentés, ébaucheront un début d’analyse sociologique sur les différentes vagues migratoires malgaches en France.
102 De fait, nombre de recherches, constatent Françoise Raison-Jourde et Solofo Randrianja (2002 : 14) (qu’ils qualifient eux aussi d’essentialistes) expliquent les différences identitaires entre Malgaches en remontant aux origines géographiques des premiers arrivants. Ils font référence aux travaux de l’américain J.W. Yount qui présenta une communication au colloque Sur le langage, premier outil del du développement (Tananarive en juillet 1992).
103 Le terme nusantara signifie archipel en malais et désigne ce que l’on appelait autrefois l’Insulinde de manière approximative, soit l’Indonésie contemporaine. L’adjectif nusantarien est utilisé par les linguistes pour désigner un groupe de langues (indonésien, malais, tagalog) auquel appartient également la langue malgache et par les plus érudits des Malgaches rencontrés.
104 Ces travaux alimentent une histoire mythique qui permet de perpétuer un ordre hiérarchisé du monde où les « Asiatiques/Merina » occuperaient le sommet de la pyramide. En migration, cette catégorisation possède une efficacité symbolique certaine car elle permet d’échapper à la catégorie africain-musulman.
105 Ce constat est d’autant plus intéressant que, nous l’avons dit, les Merina concernés par cet ouvrage nous ont fréquemment accueillie au début de l’enquête par un « discours historique » sur « les protos-malgaches », c’est-à-dire « leurs ancêtres » disent-ils, les enracinant en Indonésie.
106 L’article de Dominique Dumont (2002 : 384) offre à ce sujet une analyse historique tout à fait lumineuse sur la construction sociale de la prétendue « race malaise » dans un contexte historique d’échanges, de migrations et de rencontres aux Comores avant de pénétrer Madagascar par ceux qui deviendront les futurs Malgaches de la Grande île. L’auteur précise bien qu’il ne remet pas en question le fait que le clivage côtier/ merina existe d’un point de vue social mais, d’un point de vue « historique », la prétendue « pureté » des Merina, exempte de tout héritage africain, apparaît comme une supercherie.
107 Les découvertes de la socio-linguistique ont également permis, il y a plus de vingt ans, de mettre en évidence non pas seulement deux provenances lointaines, mais les apports divers du peuplement de Madagascar. Si l’île a accueilli des hommes et des femmes en provenance de tout l’Océan Indien, ces recherches ont mis en évidence une triple composante : « indonésienne profondément indianisée avant d’être autour du XIIIe siècle, teintée d’un islam très particulier d’obédience chiite, arabo-persane, africaine, surtout bantou, la troisième étant dans la plupart des cas indépendante de la précédente ». (Ottino 1983 : 71) La socio-linguistique a le mérite de mettre en évidence la multiplicité des origines et la divergence de groupes qui se seraient constitués avant de pénétrer la Grande Ile. Bref, inutile d’épiloguer, les différentes versions du peuplement laissent encore place à l’imaginaire et à de nouvelles découvertes.
108 Palais qui a brûlé lorsque nous étions à Tananarive le 6 novembre 1995. Selon la rumeur de l’époque, il aurait brûlé pour des raisons politiques. Entre autres, certains de nos interlocuteurs nous ont rapporté qu’il s’agissait d’un acte criminel destiné à amoindrir la force des Merina.
109 Selon Françoise Raison-Jourde (1991 : 54), la corvée ou Fanompoana « était le travail dû en reconnaissance de la souveraineté du maître royal ». Il était traditionnellement plutôt ponctuel et avait une dimension rituelle et sacrée.
110 Pourtant c’est sur le fonctionnement interne de la société merina, profondément inégalitaire, que les historiens et socio-linguistes ont tenté d’attirer notre attention. Paul Ottino par exemple montre combien, à l’intérieur même de la société merina, les hiérarchies entre pseudo-castes sont autrement plus imperméables que les distinctions horizontales entre lignages. Jean-Pierre Raison (1992), évoquant l’existence des noirs et des blancs mainty et fotsy au sujet des textes de Flacourt (il est au XVIIIe l’un des premiers Européens à établir une description des Malgaches de l’époque), estime lui aussi que ces termes n’avaient pas uniquement une signification purement sociale et symbolique. Ils témoignent de la pérennité de l’idéal endogamique, renforçant les hiérarchies à l’intérieur de la société merina.
111 Odette est arrivée en France pendant les années Ratsiraka, en compagnie de son époux.
112 Difficile de donner une définition simple du terme « Vazaha » et ce d’autant plus qu’étant nous même qualifiée de Vazaha à certains moments et de Tsy (pas ou plus) Vazaha à d’autres, nous nous sommes aperçue que celui-ci ne définissait pas uniquement un étranger blanc, d’origine européenne, et qu’un Malgache émigré pouvait l’être aussi... Cela nous a amenée à replacer l’analyse des effets de la situation d’observation au centre de la construction de notre objet anthropologique.
113 L’histoire de l’implantation du catholicisme est bien plus complexe qu’Odette veut bien le dire !
114 On l’aura compris à la lecture des pages précédentes, Joary est un personnage central dans cet ouvrage du fait de l’amitié que nous avons l’un pour l’autre. Médecin, il a effectué sa formation à Bordeaux dans les années 1950-1960 ; tous ses enfants habitent dans le Sud Ouest de la France. Il est ce que nous avons appelé un grand-père « go-between ».
115 Ils supposeront également, au départ, que nous sommes protestante, puisque nous habitons une région à forte tradition protestante, près de Bordeaux.
116 L’expression « première génération » est utilisée dans le sens donné par Abdel Malek Sayad in « Le mode de génération des générations immigrées », 1994.
117 Madagascar constitue, dans l’histoire coloniale française, un cas de colonisation particulier. Comme le met en évidence Gilles Boëtsch (2000), dans les colonies françaises, l’utilisation de la différence ethnique est là pour alimenter l’idéal républicain universaliste et assimilationniste. La diversité raciale et son exploitation n’ont de sens que pour témoigner des vertus de l’entreprise coloniale : l’uniformisation culturelle. La destruction de la place prépondérante de la « race conquérante » ou « race merina », l’élimination de l’influence anglaise (via la London Missionary Society), ont amené à une exploitation anthropo-ethnographique des différences ethniques afin de modifier les agencements de pouvoir entre populations. Des inventaires humains sont établis et destinés, dans un premier temps, à constituer une sorte de panorama ethnographique de la Grande île et sont, à partir de 1896, utilisés par les agents de l’administration coloniale pour classer, hiérarchiser la population malgache et sont réappropriés encore aujourd’hui par certains. Cette manière de faire a entraîné la consolidation d’une singularité merina au sein même de la Grande île, et ce encore aujourd’hui.
118 Déchus de leurs droits civiques et de toute décision politique, les Merina s’organisèrent rapidement en sociétés secrètes afin de lutter contre l’oppression française. A la fin du XIXe et au début du XXe siècles, leur but est de retrouver l’indépendance. Plusieurs mouvements nationalistes vont voir le jour dès la fin du XIX’ siècle.
119 Le lycée Gallieni ne s’était qu’à peine entrouvert aux citoyens malgaches et le décret de 1938 sur la naturalisation était toujours considéré comme une faveur au lieu d’un droit. « Cependant, hormis une minorité de citoyens français bénéficiaires du décret de naturalisation du 3 mars 1909, l’ensemble des Malgaches n’est guère associé au ‘miracle colonial’ : subalternes dans le système colonial, ils ont un statut de ‘sujets’, rigoureusement défini par le code de l’indigénat. Mais, par le biais de l’enseignement, les idées de nation, de patriotisme se diffusent peu à peu. Ce n’est pas un hasard si, après l’affaire de la V.V.S (Vato et Sakelika ou Pierre, Fer et Ramification, groupe de réflexion nationale au début du XXe siècle), l’Histoire est supprimée des programmes indigènes » (Tronchon 1990 : 137)
120 En 1939, bien peu de droits sont accordés aux Malgaches et l’indigénat est toujours aussi lourd à supporter. À la veille de la Deuxième Guerre Mondiale, les milieux nationalistes ne parlent plus d’égalité des droits mais, catégoriquement, d’indépendance. Toutefois, un paradoxe est à noter : au lieu de profiter des problèmes de la France mobilisée contre l’Allemagne, les Malgaches s’enrôlent par milliers dans l’armée française. Selon Pierre Vérin, anthropologue et linguiste, si la France n’avait pas subi sa défaite de juin 1940, les Malgaches n’auraient pas été 34 000 mais le triple à aller défendre la métropole. Il est peut-être nécessaire de mettre un bémol à ces propos fort optimistes. Les Malgaches étaient-ils en mesure de refuser de partir défendre la France ? On peut se le demander. Malgré tout, une telle implication (même si elle nous semble exagérée) a le mérite de mettre en évidence le sentiment ambigu des Malgaches pour la France : colonisatrice et « mère-patrie ».
121 Sur « le terrain », Maurice Rives (1992 : 18), colonel à la retraite, se souvient que plus de 5000 tirailleurs sénégalais et malgaches, déserteurs ou évadés des camps de prisonniers après l’armistice de 1940, ont « choisi » (là encore, avaient-ils le choix ?) de rejoindre les rangs de la Résistance.
122 Le commandant R. (78 ans) est un ancien gradé de l’armée française, dont presque tous les enfants (sauf l’aîné) sont installés à Bordeaux.
123 Le tody exprime l’idée que le mal qu’on a fait ne reste jamais sans retour.
124 Monsieur A. (80 ans), célibataire, dont tous les neveux sont à Bordeaux.
125 C’est dans la région de Moramanga que les insurgés passent à l’action, le samedi 29 Mars 1947, vers 22 heures. Selon l’historien Yves Benot (1994 : 117) : « ces derniers, au nombre d’environ 2000, tuent les officiers français qui dorment au village de Moramanga puis se ruent sur le camp militaire qui abrite un bataillon de tirailleurs sénégalais, destiné à partir pour l’Indochine. Le combat durera toute la nuit et les tirailleurs, bien mieux armés, résistent et repoussent l’attaque. Si les insurgés ont échoué militairement, puisqu’ils n’ont pas réussi à s’emparer des munitions qui leur font défaut, il est clair qu’au niveau populaire, ils ont remporté un succès très important. Certains paysans de Moramanga se laissent alors entraîner... ». Gérard Althabe estime lui aussi que « l’insurrection a touché plus de 1,5 million de villageois qui vont se répandre dans les régions orientales et centrales de l’île » (1972 : 408).
126 MDRM : Mouvement pour la Rénovation Malgache.
127 Déplorons douloureux événements dont Moramanga, Manakara, certaines parties de l’île viennent être le théâtre ; nous nous inclinons profondément devant victimes innocentes et présentons condoléances émues, respectueuses à leurs familles ; réprouvons formellement ces actes de barbarie et de violence, espérons justice, toute vérité déterminera responsabilité ces crimes ; tenons à protester énergiquement avec indignation contre accusations faites ou insinuées par une certaine presse à notre endroit au bureau politique de notre parti ; affirmons solennellement que bureau politique MDRM n’a jamais participé à machination et à réalisation de ces actes odieux ; en attendant verdict tribunal, demandons à population demeurer calme : notre idéal politique reste absolument le même et se base sur entente franco-malgache au sein de l’Union Française. (Proclamation télégraphique des députés Ravohangy et Rabemananjara, Histoire de la nation malgache, Paris, Ed RW Rabemananjara, 1952 : 194)
128 Selon Joary, sous forme de tortures diverses. Joary se souvient entendre les cris des personnes interpellées.
129 Gérard Althabe (Ibid) note que des milliers de Tananariviens sont arrêtés, torturés, déportés, au bagne de Nosy Lava, une île au large des côtes du nord-ouest.
130 Cinq ans après l’insurrection, le député Raymond W. Rabemanajara témoigne de son incompréhension. Selon lui, tout avait été mis en place pour éviter un conflit direct avec les autorités coloniales. Les députés malgaches avaient choisi la voie légale de l’assemblée constituante pour arriver à leurs fins : l’indépendance dans l’Union française. « La position de Madagascar était sans fissure. La Mission parlementaire malgache ne voulait agir que dans les seules limites contractuelles et entendait ménager toutes les appréhensions et les susceptibilités françaises. À Madagascar même, l’opinion espérait beaucoup de la réussite de la mission parlementaire ; elle était fortement persuadée que la constituante française accueillerait avec sympathie les aspirations exprimées par la voix de ses élus. » (Benot 1994 : 165)
131 S’interroger sur ces relations, c’est être soi-même impliqué dans les enjeux de classement des individus et des groupes sociaux (en tant que Française appartenant au groupe qui, à l’époque, a réprimé sévèrement, et qui est aujourd’hui citoyenne d’un des pays d’Occident encore riches économiquement). Ces relations « zébrées » éclairent la compréhension des relations inter-ethniques contemporaines. Nos interlocuteurs (qui ont tous migré en France soit pour finir des études, soit pour trouver un emploi, ou dont l’emploi dépend des subsides français) tiennent à nous témoigner qu’ils ne sont plus dominés comme du temps de la colonisation et tentent de « rétablir les faits ». Ecrire sur cette période de l’histoire malgache nous renseigne sur les marqueurs identificatoires choisis pour construire les ethnicités malgaches aujourd’hui de manière interne et externe.
132 Vohangy nous incite à rencontrer son oncle car il est aussi anthropologue et pourra, selon elle, nous aider à mieux comprendre la société malgache.
133 Pierre souhaite nous faire rencontrer ses collègues côtiers afin que nous puissions nous faire un avis sur ce qu’il appelle « la question de 1947 ».
134 IRD : Institut Français de Recherche Scientifique pour le Développement en Coopération.
135 Contrairement à la plupart de nos interlocuteurs tananariviens, la demeure de Pierre est modeste, faite de briques et de tôles. Les pièces sont séparées par de simples tissus. Pierre nous reçoit la première fois étendu sur son lit car il souffre d’une crise de paludisme qu’il n’a pas les moyens de soigner.
136 Jennifer Cole (1997) établit un constat assez similaire à celui de Gérard Althabe (1969) (avec toutes les précautions qu’une comparaison suggère) au sujet des paysans Betsimisaraka. Arrivée en août 1992 à Ambodiharina, au moment d’une très grande agitation politique (nous venions de quitter Tananarive), elle souhaite étudier la relation entre les élections d’alors et l’insurrection de 1947. Toujours selon elle, ces élections sont perçues par les paysans betsimisaraka en fonction d’une mémoire toute sélective : « Les hommes et les femmes de la génération qui avait vécu l’insurrection associaient invariablement révolte et élections. » (Cole 1997 : 14).
137 Le mouvement de contestation est issu de la région de Tananarive. Le 10 août 1991, des centaines de milliers de personnes, sous la houlette des Forces Vives Rasalama, avaient tenté de rejoindre le palais d’Etat, Iavoloha, en vue de déloger Didier Ratsiraka. Mais les manifestants furent dispersés par des militaires armés de kalachnikov et de grenades. La « Marche de la Liberté » fut sévèrement réprimée, entraînant des morts et des blessés.
138 Pour plus de renseignements, nous vous renvoyons à l’article de Jean Frémigacci « échec de l’insurrection de 1947 » (Frémigacci 2002).
139 Le père de Pierre était un agent de l’administration coloniale. La famille est restée depuis dans la région de Tuléar sans y avoir le tombeau familial mais, dès qu’il y a des manifestations, Pierre est désigné comme « Merina », sous-entendu comme « traître » potentiel. Il craint pour la sécurité de sa famille.
140 Au regard des enquêtes menées ces dernières années sur l’ethnicité à Madagascar (2002), nous tenons à signaler que la colonisation française a certes produit des catégories ethniques figées (Althabe, Douville, Selim : 2003) mais que l’usage de la dimension ethnique en tant que rapport social n’est pas limité à cette période.
141 Fils d’un gouverneur merina, il est arrivé dans le flot de ces jeunes intellectuels malgaches exilés et soupçonnés d’avoir participé à l’insurrection de 1947. Il participera aux mouvements étudiants anti-colonialistes que partagera également Gérard Althabe.
142 Danièle Rousselier et Corinne Godeau, L’insurrection de l’île rouge, La sept-Arte, 1994, 55mn.
143 Jacques Tronchon estime que la répression française en 1947 à Madagascar est celle qui provoquera le plus de morts pendant la période coloniale.
144 L’évolution du « mouvement d’émancipation », mise en évidence par Solofo Randrianja (1983 : 411) est arrêtée à la veille de la Deuxième Guerre Mondiale. Selon cet historien, la cause de cet échec est due aux différentes façons de concevoir l’action au sein de ce mouvement. D’un côté subsiste l’idéologie des nationalistes de la V.V.S, de l’autre celle marquée par le Parti Communiste Français. À cela s’ajoutent, selon cet historien, la guerre et les persécutions de l’administration vichyste. Mais « à partir de 1944, nous rappelle Gérard Althabe (1972 : 408), Tananarive est le centre d’un puissant mouvement nationaliste qui, sous la bannière du Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache, gagne tout le pays ». En effet, malgré l’acceptation des réformes depuis longtemps réclamées par Jean Ralaimongo (abolition de l’indigénat et du travail forcé, citoyenneté accordée à tous les Malgaches), l’objectif de bon nombre de Malgaches, note Gérard Althabe (1972) était l’indépendance. « Les réformes étaient d’ailleurs portées au crédit des parlementaires par la population malgache, et les différentes élections furent un succès renouvelé et amplifié pour le MDRM qui obtint trois sièges de députés, autant de sièges de sénateurs et la majorité dans les assemblées de l’île et des provinces. » (Vérin 1990 : 170). Cette situation nouvelle (où triomphaient des députés qui critiquaient les abus coloniaux) était, pour l’administration coloniale, difficile à supporter : les forces de l’ordre inspiraient moins de crainte, les plantations des colons étaient désertées par la main-d’oeuvre... Ce climat d’agitation et de tension laisse présager ce qui suivra. Tout ceci n’est pas seulement le résultat d’une politisation engagée par les campagnes électorales, mais est également dû, selon Jacques Tronchon, aux actions souterraines des sociétés secrètes situées en dehors de Tananarive, comme le Jiny et le Panama (Tronchon 1990). Ces sociétés secrètes ont alors radicalisé leurs positions et sont désormais fermement décidées à enlever le pouvoir à la France par la lutte armée. Dans ces groupements clandestins qui agissaient sous le couvert du MDRM se retrouvaient des anciens gradés malgaches de l’armée française.
145 Ses membres souhaitaient plutôt l’indépendance dans l’Union française. Plusieurs députés malgaches siégeaient à l’Assemblée Nationale à Paris. Après l’insurrection, le gouvernement français les a accusés de l’avoir fomentée, ce qu’ils ont toujours réfuté et, on l’aura compris, ce qui jeta le trouble au sein même du pays. Si pour Jean Fremigacci (2002 : 334) il est difficile à l’époque de parler d’antagonisme inter-ethnique durable, la réalité au moment des événements de 1947 est plus complexe. Les conflits locaux ont une dimension ethnique limitée même si le discours dominant de l’époque avait pour objectif de hiérarchiser des groupes dits « primitifs » face à des groupes dits plutôt « pacifiques » et qu’ils ont certainement été intériorisés. Les groupes en question n’étaient pas unanimement engagés dans l’insurrection : il existait des résistances internes alors que d’autres avaient conscience de mener une lutte nationale. Par contre après 1947, selon lui, – et c’est aussi ce qu’exprime Joary – l’hostilité générale exprimée face aux Merina « rendus responsables de tout » est très tenace et s’est d’abord manifestée par le rejet des chefs merina à l’échelon local, du fait du sentiment persistant d’avoir été trahi par eux (ce dont témoignent aussi les entretiens avec Jean-François et Henri à Tuléar).
146 Nous les avons suivis pendant plusieurs années à Bordeaux, à la fin de leurs études, puis durant leur installation dans la vie active et enfin comme parents.
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Entre Tananarive et Bordeaux. Les migrations malgaches en France
Approche anthropologique des ethnicités malgaches dans le monde contemporain (1990-1995)
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