« Qu’adviendra-t-il si... demain redevient avant-hier ? »
Expérimentations de politique-fiction dans Malevil (1972) de Robert Merle
p. 61-81
Texte intégral
Une poignée d’hommes. Gardés en vie, peut-être comme cobayes-témoins d’une expérience.1
1Lorsque Robert Merle publie Malevil, en 1972, il a soixante-quatre ans. C’est un romancier bien en course dans le domaine éditorial depuis 1949, année de son prix Goncourt pour Week-end à Zuydcoote. Ont suivi d’autres textes romanesques ouvrant sur des perspectives sociologiques comme La mort est mon métier (1953), L’Île (1962), Un animal doué de raison (1967), Derrière la vitre (1970). Des récurrences sont à chaque fois détectables, comme le choix de lieux clos ou fermés, le caractère cellulaire ou groupusculaire des phénomènes sociologiques étudiés ou illustrés, et un processus narratif de mise en observation des mêmes phénomènes comme vérification (par leur caractère de vraisemblance à l’intérieur d’une fiction narrative) d’hypothèses préalablement énoncées et que nous pouvons résumer sous la forme : « Que peut-il advenir si... ». Malevil reprend ces formules déjà éprouvées, que reconnaît volontiers l’auteur : « Malevil, dit-il, comme la plupart de mes romans, est un microcosme : j’entends par là l’étude d’un groupe restreint représentatif. »2
2Parallèlement à sa production d’écrivain, Robert Merle a mené une carrière universitaire : agrégé d’anglais, auteur d’une thèse sur Oscar Wilde, traducteur d’œuvres classiques ou contemporaines de littérature anglaise ou américaine, il connaît bien le courant anglophone qui, de Thomas More à Huxley et Orwell, par Defoe, Swift, Wells ou Bradbury, a conduit le genre littéraire utopique à s’intégrer, par la sociologie-fiction, dans ce groupe littéraire multiforme appelé aujourd’hui la science-fiction. Parmi les auteurs de langue française, Merle reconnaît sa dette à l’égard de René Barjavel qui, avec Ravage (1943), puis La Nuit des temps (1968), fondait et fécondait le roman d’expérimentation fictionnelle français du XXe siècle. On peut y joindre Pierre Boulle dont l’essai fécond de La Planète des singes (1963), lance une série filmographique à grand succès. Tout cela est d’ordre livresque. Dans l’ordre des réalités sociologiques, Robert Merle a exercé son métier d’enseignant d’anglais dans diverses universités, et pour dernière affectation, à Nanterre, où il a connu les événements de 1968 et dont il a tiré son dernier roman avant Malevil, Derrière la vitre, qu’il analyse en ces termes : « Derrière la vitre est l’étude d’un groupe nanterrien divisé en sous-groupes : l’étude du bidonville, l’étude du ghetto universitaire et, à l’intérieur, le ghetto des étudiants révolutionnaires »3. On retrouvera la même disposition groupusculaire et le même schéma de ghettoïsation dans Malevil, dans un décor où le château féodal a remplacé le campus, où la caverne des Troglodytes prend la place du bidonville, et la bande fasciste itinérante celle du groupe révolutionnaire.
3Malevil s’inscrit donc dans une tradition littéraire éprouvée et la trajectoire personnelle du romancier. Les racines puisent très profondément dans l’imaginaire collectif : il s’agit d’une réviviscence, d’une des multiples variations romanesques sur le mythe noachique, avec ses trois phases en rapport avec le Déluge universel (transposé dans Malevil en catastrophe atomique) : la menace inattendue et la catastrophe, la sauvegarde de quelques rescapés, le nouveau départ pour un repeuplement de l’univers. Ce ne sera pas la seule indication mythologique à référence biblique. On y reconnaitra parallèlement de ces « complexes » culturels à base mythologique et référencés à des types antiques, recensés par Bachelard. On y verra aussi des allusions, latentes ou manifestes, à quelques données historiques récentes ou contemporaines, comme les grandes guerres, les effets divers de l’affrontement des superpuissances (la « guerre froide ») et les conflits et actes de violence et de barbarie qui ont accompagné l’action menée dans le cadre de la « décolonisation ». Un critique parlait, à propos de Malevil, de « l’enchevêtrement bizarre du château féodal et de la science-fiction »4 ; on peut tout aussi bien parler de l’enchevêtrement de structures mythiques et de notations familières de quotidienneté. Mais il n’y a là rien de bizarre : l’enchevêtrement est en fait une imbrication heureuse ou un étagement productif de sens sur plusieurs niveaux de lecture.
4Dans un village de la France profonde, que l’on peut assez facilement situer en Périgord5, une petite communauté locale, conduite par un propriétaire terrien très actif, qui sera lui-même le narrateur sous le nom d’Emmanuel Comte, a fait restaurer le vieux château de Malevil, et y reçoit ses anciens camarades d’école en vue de la préparation des proches élections municipales. Un jour de réunion fortuite dans une grotte aménagée qui sert de cave, de réserve de vivres et d’étable pour les animaux en travail (elle porte de ce fait le nom de « Maternité » dont le symbolisme, enrichi, fécondera son sens premier), le groupe est surpris par un désastre nucléaire. Ils échappent à la destruction. Ils devront réapprendre à vivre, d’abord entre eux, puis avec les autres, lorsqu’ils découvriront l’existence d’autres cellules de rescapés, tous en quête de moyens de survie. Parmi les principaux noms de personnages, il convient de retenir celui d’Emmanuel, protagoniste, censé être le narrateur des événements, de Thomas, étudiant en géologie, qui apporte ses connaissances techniques au groupe et sera amené à prendre la succession d’Emmanuel après sa mort (il apparaît également, selon un astuce de narration par accolement des lectures, comme un relecteur critique du texte d’Emmanuel, en ajoutant au texte premier ses propres notations). Dans le groupe des « copains » (au sens où l’emploie Jules Romains, mais aussi Brassens avec « Les copains d’abord », qui entre en consonance avec le clan des « petits camarades », dans le vocabulaire de Sartre et Beauvoir) se détachent Meyssonier, ancien membre, comme Nizan, du P. C.F., le petit Colin à la bonne bouille, le grand Peyssou pas très fûté, mais ouvrier averti. Dans le quatuor de femmes, il y a les vieilles, la Menou et la Falvine, et les jeunes, la Miette et la Catie. Première de toutes, et seule au début, la Menou, la mère symbolique, parce que nourricière, de tous, bien qu’elle n’ait qu’un seul fils, Momo, retardé mental. C’est elle qui assure la survie au quotidien, par ses fonctions d’intendante et son souci d’économie domestique. Le groupe de la Menou, vieille paysanne traditionaliste et dévouée dans son rôle d’intendante, et de son fils Momo, le crucifié de la nature, adopte les mille postures d’une piétà au rôle unique – ecce homo et mater dolorosa – tantôt tragique, tantôt grotesque, dans un émouvant ou risible duo d’amour parental et filial. Ce groupe s’oppose à celui de la Falvine et de ses deux filles, qui ont vécu en d’autres mœurs sous d’autres règles, contestables aux yeux de la moralité et de la normalité, et qui portent pourtant en elles seules l’espoir du groupe, tout le poids de son futur, comme piliers et supports féconds de sa postérité.
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5Première rencontre avec le roman : la madeleine de Proust, conçue comme morceau de choix d’une anthologie scolaire, nous introduit dans un univers évoqué sur un ton qui pourrait être celui de Marcel Pagnol. Ce sont les mémoires d’un ancien instituteur qui se souvient des cours d’école : le certificat d’études, les leçons de l’École Normale d’Instituteurs, le Cercle, réunion de petits copains qui se rencontrent dans les ruines du château de Malevil pour jouer aux « guerres de religion » et profiter de la pause pour des autocritiques et évaluations du jeu. Autre rencontre obligatoire, le curé, obsédé (en pensée seulement) par la vie sexuelle des petits garçons, et qui profite des confessions pour entretenir ses fantasmes, la mère geignarde, le père trop faible et taciturne, les sœurs bavardes et chipies. Tout est réuni pour une fugue de l’enfant prodigue, qui trouve chez son oncle, protestant moderniste, libertin et anticonformiste, un refuge apprécié. Robert Merle exploite l’héritage d’une littérature pour pédagogues et adolescents. De La guerre des boutons aux Disparus de Saint-Agil, des Copains au Cercle des poètes disparus, le récit file sa toile, avec ses références bibliques et sa vie quotidienne, qui font d’Emmanuel le type réincarné de la promesse d’Isaïe6. Le Cercle est la cellule-souche du tissu embryonnaire qui donnera naissance à la future organisation du groupe d’adultes.
6Le temps s’écoule. L’enfant prodigue a réussi sa carrière, en se convertissant à la vie sédentaire du frère symbolique de la parabole, et en se fixant dans son nouveau domaine. Il a réussi à satisfaire, à titre posthume, le désir de l’oncle qui avait voulu vainement acquérir les terres et le château de Malevil7. Emmanuel a acquis et restauré les ruines, laissées à l’abandon par son propriétaire lointain, méritant par là son nom patronymique de Comte. Il a abandonné son poste de directeur d’école primaire de Malejac, pour s’installer en gentleman-farmer dans son château anglais.
7Les révélations d’Emmanuel dans son journal font également état de ses opinions sur le mariage, état qui ne lui convient pas. C’est un homme qui ne veut pas s’attacher à une seule femme, un célibataire partisan de l’union libre et temporaire, au gré des désirs de chacun des membres du couple. C’est ce qu’exprime son refus de mariage avec Birgitta, une aide de ferme bavaroise, qui était déjà la maitresse de l’oncle, et avec Agnès, malgré les récriminations de la Menou, une femme âgée du terroir dont l’oncle avait fait son associée et sa gouvernante. Emmanuel s’est lié d’amitié avec un jeune étudiant diplômé de physique et de géologie, venu examiner le sol de la région pour ses recherches : « Thomas est beau, et, ce qui est mieux, il ne le sait pas. Il a non seulement les traits, mais la physionomie sereine et sérieuse d’une statue grecque » (p. 56). Contrairement à ce que pourraient laisser supposer des impressions fugitives (il admire un instant son sommeil d’Adonis), on en restera là. Le rapport, purement platonique, s’établit comme de maître à disciple, de père à son fils spirituel, dans une connivence intellectuelle qui se découvre peu à peu. Ces diverses remarques ne sont pas gratuites : elles servent, par ce qu’elles peuvent contenir comme tolérance et liberté dans ce domaine, d’introduction aux problèmes relatifs à la sexualité, qui vont se poser ultérieurement dans le fonctionnement du groupe, sous l’effet de la nécessité.
8Une nouvelle rencontre, antérieure à la catastrophe dénommée désormais « l’événement »8, s’effectue dans la grande salle du château. C’est une réunion politique préparatoire à la constitution d’une liste électorale d’opposition à créer, face au parti du maire de Malejac, qui avantage abusivement son électorat catholique9. On y retrouve les anciens du Cercle, devenus adultes : outre Emmanuel et Thomas, Meyssonier, un ancien du P. C.F., le grand Peyssou et le petit Colin, ainsi que la Menou (la Menue ou la Madeleine, en langue périgourdine, servante et maitresse geignarde de la maison) avec Momo, son fils retardé mental. Une discussion spécieuse s’ensuit avec le nouvel instituteur, dont le cœur est de ce côté et la raison du côté des autorités en place, attentiste et opportuniste, chèvre et chou, qui connaît toutes les finesses des débats démocratiques pour profiter du vote sans s’engager10. On prépare une pétition et on la vote. Cette procédure d’action, à la fois directive et démocratique, est à prendre en considération pour la suite.
9Tels sont les lieux de naissance et les noyaux génératifs de la future organisation des rescapés de Malevil. L’aujourd’hui qui, suite au cataclysme, deviendra l’avant reste un moteur d’action pour l’après. Si l’histoire s’est interrompue, ses moteurs de fonctionnement demeurent au titre de souvenirs, comme Robinson utilise les siens pour la reconstruction d’une vie sociale dans son île déserte.
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10La catastrophe survient le jour de Pâques, paradoxalement le jour de la Résurrection, en avril 1977, L’effet d’une explosion atomique dévaste tout. Dans ce pays de falaises aux grottes creusées dans la pierre, il y aura quelques cellules de survivants. Malevil est l’une d’entre elles. Au début, ils se croient seuls, toutes les communications étant coupées : « La nuit commence ce jour de Pâques où l’Histoire cesse, faute d’objet : la civilisation, dont elle racontait la marche, a pris fin » (p. 75). Mais on découvre l’existence d’autres groupes, dont chacun a des caractéristiques différentes, en se voulant l’illustration de divers types d’organisation socio-politique et d’états de la civilisation. Tout recommence quand tout semble fini.
11Il va falloir inventer une manière de vivre, sous l’effet du seul stimulus biologique et vital, à défaut de civilisation, avec ce qui reste de vivres pour subsister, de bribes de souvenirs pour se forger une méthode, et d’ingéniosité pour contourner et vaincre les obstacles du présent. Ces obstacles sont de deux ordres : ils résident dans une adaptation des rapports humains, au sein du groupe, aux conditions nouvelles de l’existence (nous réservons cet aspect pour la fin) et dans la conduite à tenir face aux menaces venues de l’extérieur. C’est exactement ce qui s’appelle une robinsonnade, dans laquelle la première phase substitue au naufragé isolé un groupe dissocié du reste du monde.
12La menace la plus élémentaire, venue d’éléments humains extérieurs, est constituée par l’apparition d’un groupe qui pourrait illustrer l’état d’urgence d’un « prolétariat biologique »11. Une horde d’hommes et de femmes, ayant tout perdu, affamés, se précipite sur le champ de blé qui commence à former des épis, seul moyen de subsistance pour l’avenir du groupe de Malevil, qui l’a ensemencé, avec force travail et les instruments du bord, en son temps : « À une dizaine de mètres de nous, en contrebas, une vingtaine d’individus en loques, rendus au dernier degré de la cachexie /.../ sont accroupis ou couchés sur notre blé et dévorent, avec de petits jappements craintifs, les épis déjà mûrs » (p. 419).
13La faim est telle qu’aucune communication n’est possible. Avertissements et sommations ne sont même pas entendus. C’est comme un vol de criquets ou d’étourneaux, dont la nature redevenue animale, ne comporte plus aucun élément d’humanité. Pourtant, pourrait-on dire en parodiant La Bruyère, « ils sont des hommes »12. C’est pourquoi intervient un sentiment humain, non pas le désir objectif de destruction de l’animal nuisible, mais la haine, qui est humaine : « Pour ces étrangers, pour ces pillards, j’éprouve une haine folle parce qu’ils dévorent notre vie. Et aussi parce qu’ils sont ce que nous pourrions devenir, nous, à Malevil, si le pillage de nos ressources continuait » (p. 422).
14Le premier à réagir, en primitif, à cette humanité réduite à l’état primitif, à son statut biologique d’animalité, ayant perdu tout contrôle et toute conscience, est le plus attardé du groupe. Momo se précipite sur les prédateurs en ne prononçant que le mot magique et omnipotent de « blé ». Il reçoit un coup de fourche, mortel. Les fusils chargés partent alors tous ensemble : « Plus rien ne bouge, et pourtant nous tirons toujours, jusqu’à épuisement des cartouches » (p. 423).
15Cette réaction du groupe pose un problème à la fois psychologique et éthique. Fallait-il réagir de la sorte ? La question du devoir, « fallait-il ? », en fait ne se pose pas. Il s’agit d’une réaction instinctive et incontrôlée dont l’explication a déjà été fournie : c’était une question de survie, et aussi une confrontation avec la crainte de devenir comme eux. L’argument de raison est le résultat d’une élaboration secondaire, et sans doute hypocrite. Il y a eu un moment d’exspectative où toute communication a échoué. La destruction du bien vital continue. La tension augmente. L’explosion se produit à la première empoignade. Vie contre vie, survie pour survie. La mort des uns permet l’économie de la mort des autres. L’argumentation est imparable : c’était eux ou nous. Mais il y a plus : c’est que le groupe s’est tout entier uni pour la défense du plus faible d’entre eux, l’infirme Momo, parce qu’il est l’un d’entre eux, parce qu’il est tout entier eux. La petite société ne délaisse pas ses laissés pour compte. La place absente de Momo à la table commune sera vécue de manière shakespearienne, comme la place vide de Banqo à la table de Macbeth. Mais, contrairement à ce qui se passe dans Macbeth, le vrai meurtrier – ceux qui ont été cause première de la fusillade – n’est pas à table, il a déjà été expulsé : il ne fallait pas attendre les exactions nouvelles du monstre étranger pour s’en débarrasser. Le dramatique ne laisse place qu’au pathétique de la mère qui a perdu son fils.
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16Un autre incident (on découvre Peyssou assommé au milieu du champ et la jument de labour a disparu) manifeste l’existence d’une autre cellule de rescapés. Les auteurs du forfait sont assez facilement découverts. Il s’agit d’une famille qui vivait en marge de la communauté et dont on savait peu de choses, avant l’« événement ». On les appelait les « Troglodytes », « les Étrangers », ou les « Bohémiens », autant de termes qui évoquent à la fois une fracture de communication sociale et une interrogation sur leur mode de vie, qui de toute manière, ne peut être qu’« autre ». C’est en effet une nouvelle confrontation avec l’altérité qui se prépare.
17On se trouve en présence d’une micro-société de type archaïque, qui obéit néanmmoins à un type d’organisation supérieure au primitivisme biologique animal qui sévissait dans le groupe des miséreux affamés. Il s’agit d’une cellule régie par les règles de la horde primitive, antérieurement à l’invention de l’exogamie. Les références à Freud et à Lévi-Strauss s’imposent ici comme des modèles ethnologiques utilisés par le romancier comme instruments de littérature13. Cette première atteinte (car elle est première dans l’ordre chronologique du développement des événements) permet cette réflexion désabusée : « Nous avions prié en nous-mêmes pour qu’il y ait d’autres hommes que nous à avoir survécu. Eh bien, nous en étions sûrs maintenant : il y en avait » (p. 186).
18L’expédition menée contre le repaire de ces prédateurs nous ramène à un âge antérieur à la civilisation moderne : les visiteurs sont accueillis à coups de flèches maniées d’ailleurs avec une adresse d’experts. La capture du fils de la maison permet de remonter jusqu’au père, le seul armé d’un fusil qui ne le quitte pas. Le meurtre du père désorganise complètement la cellule dont le seul lien reposait sur l’autorité absolue et sacrée du chef.
19On a confirmation des rumeurs qui couraient sur cette tribu aussi mystérieuse qu’inabordable : « On racontait que le père, dont l’oncle m’avait dit qu’il ressemblait par l’allure et le faciès à l’homme de Cro-Magnon, avait "pris" deux fois de la prison : une première fois pour coups et blessures, une deuxième fois pour avoir violé sa fille » (p. 190). Ce que vont en fait découvrir ici les gens de Malevil, c’est une cellule humaine qui s’est volontairement enkystée, refusant tout contact extérieur et s’efforçant de vivre d’une manière si autarcique qu’elle confine à l’autisme. Tels sont les deux principes de vie : refus de tout contact avec l’extérieur, autre que de rapine et de violence, et pratique de l’économie refermée sur elle-même jusque dans l’endogamie, indice visible d’une introversion relationnelle systématique à l’intérieur du groupe. C’est le principe de la forteresse vide14, pas tout à fait vide cependant puisque la mainmise du chef sur l’ensemble des autres lui assure une liberté et un pouvoir auquel il tient. La stratégie consiste donc à éliminer le chef pour voir tomber tout le groupe. Toutefois les moyens archaïques de vie de ce groupe peuvent apparaître comme une supériorité pour l’adaptation à une situation qui rappelle la vie primitive. Le tir à ľ arc, l’acceptation d’une vie fruste par l’absence de tout confort, la mentalité résistante et belliqueuse pourraient être des atouts. La faiblesse réside dans la concentration du pouvoir aux mains d’un seul, l’impossibilité d’esprit critique puisqu’aucune alternative n’est proposée ni même visible, suite à l’enfermement et à la conformation de tous au même modèle, et à l’acceptation de la servitude de la part des autres membres du groupe auxquels n’est laissé aucun autre choix.
20Il n’empêche que cette mentalité xénophobe, qui consiste à considérer comme ennemie toute extériorité, est un danger pour le voisinage. La cellule, décapitée par l’élimination du chef, va montrer que les autres membres (le fils, Jacquet, la Miette et sa mère), transportés dans un autre environnement, sont tout à fait rééducables, et vont même être très utiles pour l’amélioration de vie et l’augmentation de puissance du groupe de Malevil. Quant aux ressources stockées, elles vont servir à prolonger la durée des réserves.
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21La troisième menace à laquelle sont confrontés les survivants de Malevil correspond à un état plus avancé de la société. C’est, schématiquement, celui qu’Auguste Comte, dans sa classification historique des mentalités sociales, appelle « l’état théologique ». C’est une sorte de micro-théocratie caricaturale, destinée à mettre en relief les dérives d’une société où l’Église devient l’instrument du pouvoir. Sont dénoncées en même temps ses insuffisances. Pour la réalisation d’un tel état, il convient que la mentalité de la population soit restée de type magique, accordant une totale confiance à un individu qui, dans les sociétés avancées, correspondrait à celui qui, dans les sociétés primitives bicéphales, tient le rôle du « sorcier » tout en s’arrogeant les pouvoirs du « chef ». C’est ce qui va se passer dans le village voisin de La Roque. Le problème est qu’une partie de la population de La Roque où s’est construit, par un abus de pouvoir d’une autorité ecclésiastique, ce type de système politique, a dépassé, par son expérience d’avant l’« événement », ce stade de la pensée théologique. Elle n’est donc maintenue en état de dépendance que par la contrainte matérielle et psychologique, une sorte de terreur rampante qui incite à la passivité. Le pouvoir s’ appuie sur cette forme de terreur en usant des bons offices de quelques individus qui acceptent de collaborer, par lâcheté ou contre l’espérance de bénéfices personnels ou de retombées de pouvoir, avec le tenant principal du régime. Parallèlement se forge un groupe de résistants clandestins, d’abord silencieux, puis de plus en plus actifs, en contact avec l’« étranger » (en l’occurrence, ceux de Malevil dans leur château anglais) qui utilisent les moindres failles du pouvoir pour en tirer parti pour eux. Lorsque la pression cessera, la libération se traduira par une révolte explosive, accompagnée d’actes de barbarie, la compression de la terreur engendrant une décompression par la fureur, selon des modèles dont on trouve l’exposé dans le Discours de la servitude volontaire15 de La Boétie (lequel, né à Sarlat, est un enfant du pays), et l’illustration dans les événements qui se sont passés en France dans la période de Vichy.
22Voici comment l’affaire s’est instituée, selon la relation d’Emmanuel : « À un mètre de moi environ, je vis un homme d’une quarantaine d’années à cheval sur un grand âne gris, le canon de son fusil en bandoulière émergeant de son épaule gauche. Il était tête nue, très brun de peau et de cheveu, vêtu d’un costume anthracite assez poussiéreux et, détail qui me frappa, il portait en sautoir sur sa poitrine, à la manière des évêques, un crucifix d’argent » (p. 252). Ce moine-soldat itinérant appelle la méfiance, mais son statut d’ecclésiastique le fait bien recevoir. Il s’appelle Fulbert, nom déjà chargé de symboles négatifs16 et, autre fait symbolique, est aperçu à travers le « judas » (p. 252). On apprendra en fait assez rapidement qu’il s’agit d’un faux prêtre, le type de l’« imposteur » assimilable à Tartuffe17. Fulbert Le Naud va utiliser l’autorité morale et intellectuelle dont jouit encore le clergé auprès d’une population rurale pour s’imposer à La Roque. L’« abbé », reçu favorablement par les villageois qui se cherchent un chef, s’installe dans le château qui surplombe la bourgade, et sous prétexte de mise en sécurité, emmagasine en ce lieu tous les vivres et toutes les armes de la commune. La redistribution ne se fera alors que selon la volonté du prêtre, en fonction du degré de confiance et de fidélité, pour les armes, et en fonction du degré de docilité de chacun, pour les vivres. Le chef a regard sur tout : il évalue le comportement de chacun selon son obéissance aux édits qu’il prononce unilatéralement (toute récrimination ou suspicion de résistance entraine aussitôt une réduction des vivres) ; il contrôle chaque présence aux prêches et aux cultes ; il utilise des informateurs à sa solde pour savoir ce qui se trame dans les maisons, et fait des confessions un moyen de mieux nourrir son régime inquisitorial et de mieux asseoir son pouvoir sur les esprits. L’auteur utilise ses connaissances sur les mini-sociétés d’essence théocratique qui se sont formés à la fin du Moyen-Âge et pendant la période des Réformes, comme le régime éphémère institué à Florence par Savonarole, ou la Commune théocratique de Paris sous la Ligue, dans une époque qu’il connaît et qu’il explorera romanesquement dans sa série future des « Figures de France ». Mais il utilise aussi des souvenirs d’une époque plus récente, notamment l’instauration du régime autoritaire s’appuyant sur des traditions militaires et religieuses – une restauration de l’Ordre Moral – dans la France de 1940 à 1944.
23La théocratie groupusculaire de l’Abbé Fulbert va se déliter pour deux raisons. La première est qu’il voudra coloniser Malevil pour y imposer son type de gouvernement. Mais il se heurte là à une population en grande partie éclairée, insensible à une autorité qu’elle sait en outre usurpée, et qui entre en lutte avec lui par des moyens en-core plus subtils que les arguments de sa rhétorique dévoyée et une stratégie de guerre plus rusée que les démonstrations primaires des mercenaires qui vont l’appuyer. Les gens de Malevil vaincront, tout simplement, parce qu’ils sont les plus forts, non par les armes, ce qui est de l’ordre de la force brute, mais par la manière d’utiliser celles dont ils disposent, ce qui est de l’ordre de l’intelligence. La seconde raison de l’échec de Fulbert est que ce faux prêtre, poussé par le seul souci du pouvoir sur les consciences et de l’asservissement des individus, est inapte à déceler les besoins prioritaires de la population et à organiser valablement l’économie de la cité. Ne songeant qu’à accroître ses réserves pour survivre, il se désintéresse de l’activité productive de ses ouailles redevenus des manants mal dirigés. C’est pourquoi il est condamné, à la manière d’un Pichrocole, à faire la guerre à ses voisins pour s’emparer de leurs propres richesses. Il néglige tout autant les problèmes, eux aussi prioritaires, de défense. La Roque va tomber aux mains d’une poignée de soldats perdus. Il redresse la situation, pour son compte propre, en s’alliant avec le chef de la bande pour une exploitation commune de la population. Dès lors le régime de La Roque fait un pas en avant dans la marche de l’histoire : c’est un réviviscence de la société, caricaturée, schématisée et réduite, de l’Ancien Régime, ayant à sa tête le Clergé et la Noblesse. L’union du sabre, qu’avait négligé Fulbert, et du goupillon, permet un système d’exploitation encore mieux organisé, mais tout aussi stérile, de la population laborieuse redevenue un Tiers État sans droits politiques. C’est tout de même une avancée par rapport à l’état social de l’âge de Cro-Magnon, ou de la horde primitive constituée par la tribu des Troglodytes. Cet état politique plus avancé va donc entraîner, chez ses adversaires de Malevil, un affinement des méthodes de résistance et une effort supérieur d’intelligence pour mieux le contrer.
24Emmanuel a eu, grâce à son oncle, un protestant libéral anticonformiste, quelques lumières sur les questions religieuses, qui l’ont plus marqué que le catholicisme inerte et conventionnel de sa famille biologique. Il propose à Malevil, pour occuper les soirées, une lecture critique du seul livre qui leur reste (avec un Larousse, qui permet de préciser les explications), la Bible, lue et expliquée selon le mode de lecture que lui a révélé l’oncle, comme recueil d’idées et de conseils utilisables pour le temps présent, en laissant de côté tout ce qui relève, historiquement, des mœurs du temps passé. Alors que Fulbert prône un christianisme dévoyé par son fonctionnement dogmatique, injonctif et autoritaire, avec un objectif de mainmise sur les esprits, Emmanuel conçoit le regard religieux comme une sorte de « sel » apporté à la terre, c’est-à-dire à la vie de tous les jours, et propose une lecture à finalité pédagogique, destinée à exercer l’esprit critique de chacun et à animer des débats sur les textes proposés, et jamais imposés. Face à l’utilisation de l’institution ecclésiastique comme instrument de pouvoir, il propose une culture de l’ordre social symbolique que constitue l’ensemble des croyances comme confort de l’ordre de la réalité sociale. Contre l’appropriation indue du gouvernement des consciences, telle qu’elle s’exprime à La Roque, contre l’hypocrisie dans les domaines du sexe et de l’apparence, il propose un respect de la liberté et la recherche, à partir du choix de chacun, des éléments de cohésion du groupe. On gardera aussi quelques rites, symboliques, lorsqu’ils sont destinés à souligner le caractère communiel de la communauté ou la fonte de chaque conscience individuelle dans la conscience collective. En somme, c’est un catholicisme très protestantisé, un protestantisme très libéralisé et laïcisé, un libéralisme très humanisé dans le sens de la tolérance pour les consciences individuelles et de la solidarité et du civisme dans la conduite sociale. Dans la compétition qui s’instaure sur ce plan entre La Roque et Malevil, les choix de Malevil renvoient à un état encore plus avancé, du moins aux yeux de ceux qui professent ces idées, de la mentalité sociale : la cellule socialisée tient aux symboles constitutifs de son unité et de son identité, (c’est ce qu’elle appelle sa religion) tout en se débarrassant des traditions anachroniques qui ont perdu leur sens et d’une mentalité qui n’atteste qu’un retard d’application sur l’état d’avancée de la conscience, au niveau des individus comme dans l’espace public. On peut voir dans ces considérations un écho des discussions qui ont accompagné et suivi le concile de Vatican II qui s’est clos en 1965. Le curé de La Roque utilise les méthodes auxquelles s’accrochent les intégristes du groupe dissident conduit par Mgr. Lefebvre, et les propositions de Malevil vont au-delà, bien au delà, des désirs prônés par les partisans de l’aggiornamento ecclésial. Toutes questions d’actualité récente qui trouvent place dans ce roman de politique-fiction.
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25Une nouvelle épreuve, en rapport direct avec la précédente, attend les rescapés de Malevil avec l’arrivée dans les parages d’un groupe militarisé, dont la seule supériorité réside dans la possession d’armes de guerre plus performantes, et d’une discipline militaire portée à son plus intense degré de rigidité. Un certain capitaine Vilmain (on apprendra plus tard qu’il n’est pas officier de carrière) a pu récupérer dans un dépot de l’armée un bazooka et des fusils de guerre, avec les munitions adéquates, Il a procédé sur le terrain au recrutement d’individus dont il fait immédiatement des soldats, qualifiés de « gonziers » qu’il hiérarchise entre « anciens » et « nouveaux ». Le personnage principal est traité sur un mode satirique, avec une utilisation du vocabulaire en usage dans les commandos, celui qu’employaient les romans de la vie militaire contemporaine (Les Centurions de Jean Lartéguy servent de base à un film américain diffusé en France en octobre 1966). Les principes d’organisation sont ceux de l’armée : pouvoir décisionnaire réservé au chef, soldats chargés de l’exécution, organisation hiérarchique d’une section de commandement, avec l’officier, son adjoint, son groupe d’anciens et les novices. Tout est dit en quelques phrases concises : « Une troupe forte de dix-sept hommes, commandés par un nommé Vilmain, qui se donne pour un ancien officier de paras. Très structurée, la bande, en anciens et en nouveaux, ceux-ci étant les esclaves de ceux-là. Discipline de fer » (p. 478). En inventant ce groupe, l’auteur a sans doute simultanément en tête plusieurs modèles : d’abord ces bandes de mercenaires sans solde et devenus pillards (« le reître noir », dont parle d’Aubigné, qui foudroie « au travers des masures de France ») de l’époque des guerres de religion ; plus présents sont les souvenirs des derniers avatars de la guerre d’Algérie, l’argot des postes et des commandos, les officiers putschistes aux vues politiques bornées, les milices clandestines de l’O.A.S. À travers cet épisode, on voit se profiler la silhouette miniaturisée des sociétés où l’armée s’est emparée du pouvoir politique. La force de Vilmain réside seulement dans la possession d’armes d’efficacité supérieure, et dans sa connaissance de quelques ruses de guerre. Sa faiblesse réside dans le peu d’enthousiasme de jeunes soldats recrutés de force, toujours prêts à déserter, et surtout dans l’incompétence du chef pour tout ce qui sort de son horizon strictement professionnel.
26L’existence de cette bande est révélée par un jeune soldat, envoyé en éclaireur par son chef à Malevil, qui se fait prendre. Le « nouveau », qui cherchait à déserter, informe les occupants de ce que la bande s’est emparée de La Roque. Le village, sans défense sérieuse, est tombé sous la dépendance de la troupe, suite à une ruse. L’adjoint s’est déguisé en femme pour se faire admettre dans la cité, a égorgé la seule sentinelle en veille, et toute la bande a pu ainsi pénétrer. C’est sans doute une ruse digne des Grecs de la guerre de Troie, mais c’est surtout une allégorie gullivérisée de la défaite de 1940. Le gouvernement en place, celui de l’Abbé Fulbert, collabore immédiatement avec les envahisseurs pour la constitution d’un gouvernement clérico-militariste qui va redoubler l’intensité de la menace pour les voisins. Vilmain et sa bande ne peuvent survivre que grâce à leurs pillages : il leur faut donc pratiquer une campagne permanente de guerres d’invasion. La riposte de Malevil consiste en un renforcement des défenses, en une ruse de guerre qui permet d’éliminer d’emblée le chef de cette micro-société aux pouvoirs hyperconcentrés en sa tête, digne héritière des principes de la « horde primitive ». Pour renforcer le parallèle, Vilmain est tué ironiquement par une flèche tirée à l’arc selon les méthodes empruntées aux « Troglodytes ». On peut voir là une allusion possible à ce qui se passe au Vietnam dans les années 1970-72 : la supériorité écrasante de la technologie de guerre américaine doit céder face à la volonté d’un peuple, qui n’a que de maigres moyens de défense, mais détient une immense force psychologique par son union (la même situation s’est présentée, antérieurement, avec la guerre d’Algérie). Mais surtout l’épisode sert d’exemple, à valeur générale, pour opposer deux types d’organisation et d’objectifs sociaux : « Le sens de ce que nous faisons à Malevil, c’est que nous essayons de survivre en tirant notre nourriture de la terre et des bêtes. À l’inverse, des gens comme Vilmain ont de l’existence une conception entièrement négative. Ils n’essaient pas de construire. Ils tuent, ils pillent, ils incendient » (p. 510).
27C’est opposer l’exploitation par les hommes des ressources naturelles (ce qui s’appelle le travail) à l’exploitation par des hommes du travail d’autres hommes sans contrepartie (ce qui s’appelle la rapine). C’est ainsi que s’opposent La Roque et Malevil : les deux chefs, le militaire et le religieux, profitent pendant un certain temps des effets de leur alliance. Ils vivent somptueusement aux frais d’une population asservie et terrorisée. La libération de La Roque s’opère dans des conditions analogues à celles de la France de 1945 : défaite du commando militaire, nouvelle ruse pour faire tomber le pouvoir de l’Abbé Fulbert et révéler ce qu’il est réellement (le procès fictif intenté contre Emmanuel qui fait semblant d’être vaincu, se retourne contre son accusateur), déchaînement de la foule (les plus lâches d’avant se trouvent être les plus excités). Un régime de violence qui enchaîne les consciences ne peut que déchaîner une violence de sens contraire, mais de même nature, lorsque les chaînes cèdent.
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28Il reste désormais à examiner les lignes principales du régime instauré à Malevil. Il s’agit d’une société qui obéit aux impératifs pressants d’une réalité redoutable : en ce sens, on peut parler de réalisme ; mais en même temps elle est soucieuse d’un modèle qui assure l’équilibre des relations dans le présent, et qui lui assure un lendemain. En somme, quel futur quand le présent est revenu à l’état d’avant-hier ? C’est par là qu’on peut parler d’idéalisme ou d’utopisme, toute apocalypse digne de ce nom, contrairement à ce que dit Malraux18, supposant un futur. Schématiquement, il s’agit d’un régime à gestion démocratique avec un gouvernement qui impulse les initiatives, fondé sur la compétence de l’élite gouvernante, avec la participation et l’acceptation raisonnée des gouvernés. En somme, on pourrait y voir un modèle gaulliste nuancé, sauf que la personnalité du chef reste profondément soucieuse du rapport avec l’assemblée, et qu’un plus jeune que lui, son double en cours de formation, vient apporter quelques nuances critiques à un régime qui pourrait engendrer un culte, sans contre-pouvoir, de la personnalité : « Emmanuel est un chef élu très soucieux de l’approbation de ceux qu’il commande. Thomas est le double juvénile d’Emmanuel, avec toutes les raideurs et les dogmatismes qu’Emmanuel a éliminés par la catharsis de l’action. Mais j’utilise aussi Thomas pour donner des ombres au caractère d’Emmanuel »19.
29Ce modèle avait déjà été élaboré dans le mode de fonctionnement du Cercle des adolescents et dans les réunions du comité électoral de ces mêmes adolescents devenus adultes. Emmanuel est le meneur – à la fois concepteur de la politique à suivre et directeur des travaux à accomplir –. L’assemblée est constituée d’éléments d’origine idéologique diverse : Meyssonier est un ancien du P. C.F., Thomas représente l’esprit scientiste et technocratique, dont la rigidité va évoluer au contact des réalités de gestion, Peyssou, Colin et Jacquet représentent le suivisme ou la majorité silencieuse et obéissante, dont la valeur première est le travail ; la Menou incarne l’esprit rural, fait d’ordre, de tradition et d’austérité économique, et Momo la part de handicap ou d’ingérable qu’enferme en son sein toute société. Si des différences d’opinion s’expriment lors des débats préparatoires, il n’y a plus de dissensions dans l’action une fois résolue. Tous sont réunis au nom de l’intérêt général et dans l’accord commun de résistance aux obstacles et de maintenance de leur système de gouvernement et de mode de vie, forme d’union sacrée, d’esprit d’équipe, forme primitive d’un patriotisme qui s’active lorsque « la patrie est en danger ».
30Cette société a gardé le souvenir de valeurs éthiques, qui vont être purifiées et adaptées à la situation : les principes essentiels en sont la préservation de la vie lorsque sa propre vie n’est pas en danger, et le maintien d’une forme d’honneur, un sentiment de dignité à l’égard de soi-même, dépouillé des attributs formels qu’il a dans la caste aristocratique, et universalisé dans la conduite collective. Emmanuel accorde également une certaine importance au rôle des symboles qui emblématisent l’unité et l’identité du groupe. Leur ensemble se concentre dans une religion minimale, rattachée à quelques traditions, mais débarrassée de ses dogmes et de ses survivances stériles. La base emprunte à la Bible sans en être prisonnière. Elle est aussi pragmatique et éclairée. L’autre référence culturelle est le Larousse, où se rassemble le savoir de l’humanité mis à la portée de tous, cette Bible de l’éducation du savoir. Il s’ensuit un exercice religieux, ramené à quelques rites symboliques et immédiatement significatifs, qui maintient la liberté de croyance et de différence au niveau individuel, et conforte la cohésion de la communauté, parce qu’elle s’exerce au niveau même des participants, sans être confisquée par un clergé érigé en caste et situé au-dessus d’eux.
31Un autre problème à régler (il est présent dans toutes les élaborations théoriques de société), concerne la régulation des rapports entre les sexes. Il n’y a au départ qu’une femme parmi les rescapés : la Menou, qui va jouer son rôle nourricier de mère, en prenant avec sérieux sa fonction de dispensatrice et de distributrice de la nourriture. Vient s’adjoindre à elle la Miette, rescapée de la ferme des Troglodytes, habituée à être la femme de tous les hommes, et sa mère, la Falvine, sorte de doublure et de négatif de la Menou, essentiellement destinée à entretenir des dialogues aigre-doux, source de comique, entre ces deux femmes. Un nouvelle jeune femme, la Catie, récupérée de la population de La Roque, dont Thomas tombe amoureux, va constituer le symétrique en négatif de la Miette, par la réinstitution dans le groupe du mariage et de la monogamie. En fait le couple marié ne pourra pas tenir. L’usage et la force des choses (il n’y a que deux femmes nubiles pour cinq hommes normaux) va aboutir à une répartition distributive des services féminins. L’objectif des relations passe progressivement de l’apaisement de la sexualité à la volonté d’assurer une postérité au groupe. Les femmes sont véritablement ici « l’avenir de l’homme ». Par rapport aux règles généralement inventées dans les sociétés utopiques, fondées sur une répartition autoritaire et programmée des rapports, cette société maintient le respect de liberté individuelle tout en marquant l’importance du devoir des femmes dans un esprit de juste répartition. C’est là un de ses caractères supplémentaires d’utopie qui se veut « à visage humain ».
32Si le gouvernement agit selon le principe de démocratie directe et un mode collectif de gestion des problèmes (c’est généralement autour d’une seule table où tous sont réunis que se déroulent les débats et se prennent les résolutions), le rôle du chef demeure essentiel. Mais son rôle est surtout celui d’un entraîneur d’équipe, d’un coach, pour reprendre un mot à la mode, qui procède par incitation et s’efforce d’obtenir l’adhésion sans contrainte. Lorsque des résistances se font jour, elles sont contournées et réduites par des moyens diplomatiques (c’est le fonctionnement même du « principe de réalité »)20. Les principes de précaution et de prévision sont les deux moteurs de la stratégie politique. Il n’empêche que l’entraîneur du groupe reste toujours une longueur en avance ou plusieurs degrés en surplomb sur le reste de la troupe. Guide ou conducteur, il ne peut certes se confondre avec un Conducador ou un Caudillo, ou autres locomotives, timoniers, guides de la révolution, et encore moins avec le Duce ou Führer des régimes autoritaires. Le meneur est en fait un directeur polyvalent, capable d’avoir une vision globale des problèmes et de tenir compte de l’élément humain, alors que les chefs des régimes d’autorité n’ont en général qu’une vue partielle des problèmes, parce qu’ils sont issus d’une caste ou détenteurs d’un rôle (chef de famille, homme d’église ou chef militaire) qui privilégie seulement une partie de la société et amène à imposer sa loi et son intérêt, au demeurant par la contrainte. Par rapport aux schémas utopiques, régis généralement par des règles mathématiques d’organisation, fondées sur les symétries et les hiérarchies, l’originalité de ce roman de politique-fiction est de tenir compte de la réalité, même si elle a disparu de fait et n’a plus qu’une existence potentielle dans la mémoire (c’est celle d’« avant »), d’extraire de ses cendres ce qui est encore utilisable en l’adaptant à la situation présente, et de transformer les souvenirs d’avant, intégrés dans les effets de la catastrophe en ce jour présent, en semence d’un futur désirable. Le pragmatisme réfrène l’hypothétique et le réel y exprime sa supériorité sur une rationalité théorique. C’est de la rationalité pratique ou un pragmatisme ordonnancé.
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33Le roman de Robert Merle appartient prioritairement au genre romanesque. En aucune manière, on ne peut le lire, au premier abord, comme un essai de sociologie théorique procédant par extrapolation. Ce qui reste de la vie simple d’une France profonde, provinciale, rurale donne lieu à des évocations où le pittoresque descriptif et verbal est le condiment de la banalité des situations. C’est d’abord la chronique d’un village de Dordogne, avec ses particularités de vie, de géographie et de langage.
34Il n’empêche que ce récit tient aussi du roman expérimental : on part d’un « événement », fictif, qui constitue le point de départ – l’hypothèse – d’une expérimentation en milieu de survie. C’est exactement ainsi que Raymond Ruyer définit l’utopie, comme expérimentation sur les limites du possible à partir d’une situation extraordinaire21. L’hypothèse est la suivante : comment se reconstitueraient des noyaux de socialité dans un retour à l’état zéro de la société globale. Ce n’est donc pas un retour purement romanesque, reconstitué imaginairement, à la situation de Cro-Magnon, comme dans La Guerre du feu ou autre fiction reconstitutive d’une civilisation perdue. Tous ont la mémoire d’avoir vécu une vie d’« avant ». Les nouveaux sauvages restent d’anciens civilisés, conscients de leur passé, auxquels ne manquent que les moyens matériels de le reconstruire. On ne construit pas sur le vide, on reconstruit à l’aide de ce qui est resté et avec le souvenir de ce qui a été perdu.
35Cette reconstruction prend forme pour l’auteur à partir d’éléments de réalité vécue et des fragments d’ordre livresque ou culturel. On y lit des indices géographiques, la Dordogne, qu’il connaît bien, et les crises d’histoire qu’il a vécues, la défaite de 40 et ses séquelles, la peur d’une explosion atomique en temps de guerre froide, les guerres de décolonisation, les événements de 1968 dans l’Université, mais aussi d’autres temps dont il a la fréquentation par voie des livres, comme la France des guerres de religion, dont il fera le cadre de la série qui suit la guerre de Cent Ans (Fortunes de France, 1977), et les temps de la préhistoire.
36Au delà du circonstanciel et de l’aléatoire qui servent à cadrer et à meubler le roman, celui-ci se fait porteur et messager de quelques idées et de quelques valeurs chères à l’auteur. À la question de politique-fiction : « Qu’adviendra-t-il si /.../? », il fournit des éléments de réponse. Ceux-ci ne vont pas dans le sens d’un thriller, dans l’exploitation de série noire d’une situation apocalyptique. L’objectif proposé est celui de la meilleure des reconstructions possibles dans la plus mauvaise des situations imaginables. C’est dire qu’à la base de l’expérimentation, avant tout recommencement, il y a l’hypothèse qu’un futur est possible. Cette hypothèse est un cri de résistance à la Mort : elle résulte d’une espérance, qui est objet de foi et non constat d’expérience. C’est ce que résume la dernière phrase : « Nous pouvons donc d’ores et déjà envisager l’avenir avec confiance » (p. 636). Les moyens mis en œuvre pour atteindre cet horizon relèvent de la reconnaissance, par la société, de chaque individu comme tel, et du respect de la liberté individuelle, associés à la nécessité d’obtenir un consentement, donc une délégation de cette liberté, dans un gouvernement représentatif. La nécessité gouvernementale suppose l’émergence d’une individualité ou d’un groupe de tête dont l’action soit d’initiative et d’entraînement. Son caractère représentatif suppose un retour continuel à la base autour d’une table, pour des débats d’ordre discursif, argumentatif et débouchant sur une action. On reconnaît ces principes, qui sont ceux d’une « démocratie avancée », ou d’une démocratie sociale « à visage humain » (pour reprendre les expressions de deux hommes politiques contemporains, Valéry Giscard d’Estaing, puis Michel Rocard qui emprunte la formule d’Alexandre Dubcek), volontariste sans être autoritaire, soucieuse de bonne gestion sécuritaire et économique tout autant que de co-gestion de la vie sociale et politique. On reconnaît aussi dans l’histoire passée de l’Europe, dans son histoire récente ou encore actuelle en 1972, les modèles qui inspirent les autres noyaux embryonnaires, rétrogrades, autoritaires ou totalitaires, qui se profilent à l’horizon et sont rejetés par le romancier. C’est ce que tous le protagonistes à rôle positif du roman souhaitent. Seule ombre, celle par laquelle Thomas More clôt son Utopia, « on le souhaite, nous aussi, plus qu’on l’espère », on l’espère plus qu’on y croit, mais ne pas y croire serait abolir toute espérance et tout vœu, et revenir vraiment en deçà de Cro-Magnon.
Notes de bas de page
1 Robert Merle, Malevil, Paris, Gallimard, 2004, coll. « folio », p. 131. Cette édition sera notre édition de référence dans cet article. L’ouvrage a paru pour la première fois en 1972, chez Gallimard, et est entré en 1983 dans la collection « folio ». Le roman de Robert Merle a servi de base au film réalisé par Christian de Chalonge (avec la collaboration de Pierre Dumayet), sorti en 1980 sous le même titre (avec, entre autres, Michel Serrault, Jean-Louis Trintignant, Jacques Villeret, Robert Dhéry dans les rôles principaux).
2 Robert Merle, « Mon livre ? Le contraire d’un ouvrage in vitro. », article paru dans Le Figaro Littéraire, n° 1286, et repris par Bernard Morvan, Les lieux clos dans les romans de Robert Merle, thèse de 3e Cycle, Rennes-II, 1985.
3 Ibid.
4 Claude Bonnefoy, Les Nouvelles littéraires, n° 2438, reproduit par Bernard Morvan, op. cit.
5 Le seul indice effectif de localisation est la petite ville de Fumel (citée p. 481), mais on reconnaît très facilement les lieux à travers les indications sur l’existence d’un parler local du nord du territoire occitan, la configuration géologique, avec falaises, grottes et habitations souterraines, l’usage qui est fait des noms propres (La Roque, abréviation de La Roque-Gageac, Lanouaille, / nom de lieu devenu nom de personne), les cultures agricoles (le tabac, les vignes), mais sont surtout significatifs les rapports entretenus par cette région avec l’époque médiévale et renaissante (comme à Sarlat) et avec la préhistoire, dont le symbolisme est omniprésent.
6 Rappelons que « le livre de l’Emmanuel », qui regroupe, dans le Livre d’Isaïe (Esaïe, si l’on adopte la graphie des bibles protestantes), « les oracles relatifs à la guerre syro-ephraïmite » et l’annonce d’un fils au roi Achaz, a été interprété (comme la quatrième églogue de Virgile) par les théologiens du christianisme, comme l’annonce du Sauveur. Si l’on veut extrapoler cette méthode des « correspondances », comme annonce de ce qui va se passer à Malevil, retenons ceci : « d’une vache et de deux brebis se nourriront les rescapés du pays » (Is. 7, 21). Toujours au titre des inscriptions bibliques anonymement inscrites dans le texte, on peut noter que l’oncle d’Emmanuel, initiateur de ce dernier à la vie politique, s’appelle Samuel, nom du prophète chargé de découvrir les futurs rois d’Israël, spécialement David.
7 Il faudra se souvenir que Malevil est une place forte construite par les Anglais. L’auteur insiste sur ce point : « Malevil est anglais. Il a été construit par nos envahisseurs pendant la guerre de Cent Ans. Malevil a été conçu comme une place forte inexpugnable, où une poignée d’hommes pouvait tenir en respect un grand pays » (p. 46). Certains interprètes en ont déduit une étymologie hybride du toponyme : mal deux fois répété, en français et en anglais (evil). Mais cette étymologie va à contre-sens de son symbolisme et de son histoire. Plus significative est l’affinité qui peut être relevée entre le lieu premier de la résistance, le Londres de 1940, par opposition à La Roque, dont les affinités avec le régime de Vichy, à la suite de la catastrophe originelle, sont tout aussi claires. Par ailleurs, le caractère anglais est parfaitement inséré dans le paysage : Malevil est le symétrique de Malejac, toponyme bien adapté au lexique du terroir périgourdin. Plutôt que de songer à « mal », il vaudrait mieux y voir la transcription de « le-mas-le », graphie médiévale de « le-mas-de », le mas de (la) ville, le mas de Jacques (ou des jacqueries des Croquants du lieu), comme dans Malemort (le mas du mort), ou Malaterre (le mas de la terre). C’est surtout l’emblème de la résistance pour préserver un ordre empreint d’humanité, face au retour au primitivisme des Troglodytes et des nomades affamés, et à l’alliance tyrannique du sabre et du goupillon qui va s’installer à La Roque.
8 Ce choix du terme n’est pas sans évoquer, sous forme de litote, la manière dont était officiellement dénommée la guerre de décolonisation (1954-1962) en Algérie : « les événements ». Le caractère de guerre ouverte ne sera reconnu que beaucoup plus tard, lorsque s’exprimeront les premières revendications des participants français au titre et à la pension d’« anciens combattants ».
9 Le maire veut établir un curé à demeure à Malejac. Il fait restaurer le presbytère et y installe l’eau courante, aux frais des contribuables, qui continuent à ne pas avoir l’eau chez eux. Le curé, une fois nommé, refuse de s’y établir et préfère La Roque, plus confortable.
10 L’instituteur utilise la formule pratique du « refus de vote », inconnue jusqu’ici de ses partenaires. Robert Merle se souvient vraisemblablement des débats d’assemblées universitaires des années 1968 et suivantes, de même qu’on peut voir dans la constitution de la liste politique une application des concepts, eux aussi universitaires, de « pluridisciplinarité » et de « regroupement transversal » utilisés par les technocrates de la recherche d’enseignement supérieur, comme le suggère Bernard Morvan.
11 Pour la rationalité de l’exposé, nous ne suivons pas l’ordre chronologique d’apparition des groupes, dans la trame de l’histoire romanesque. Nous recomposons un ordre sur des critères évoluant du simple au complexe, à partir du degré de dangerosité des adversaires, lesquels dépendent du degré d’organisation de leurs groupes.
12 Le texte classique de La Bruyère est certainement connu d’un professeur d’Université comme Robert Merle, qui en fournit dans son livre une reproduction adaptée aux temps nouveaux : « L’on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés de soleil /.../ ; ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine, et en effet ils sont des hommes » (Les Caractères, XI, 128).
13 Les concepts et vues théoriques exposés dans Totem et tabou de Freud, et la Pensée sauvage de Levi-Strauss sont repris par Merle au titre de moteurs romanesques : horde primitive, toute-puissance du chef sacralisé, collectivisation des femmes, meurtre du père, phase endogamique de la cellule familiale. Les faits évoqués, que l’on pouvait considérer comme des références purement théoriques et anachroniques dans le monde occidental moderne, ont montré qu’ils étaient plus que des survivances avec les affaires d’inceste collectif et d’exploitation des enfants révélées par les procès d’Outreau et d’Angers.
14 Suivant l’expression utilisée par Bruno Bettelheim, dans une étude psychanalytique qui concerne seulement un cas individuel. Le mécanisme autistique est ici extrapolé à un groupe. Les faits divers de l’actualité ont mis l’accent sur la permanence de ce type de relations et d’organisation, notamment dans les communautés organisées en sectes fermées.
15 Dans cet ouvrage tenu longtemps secret, publié seulement en partie sous le titre de Contr’Un, La Boétie s’interroge sur ce paradoxe des populations qui, soumises à un pouvoir dictatorial, intériorisent leur situation au point de la transformer en amour de la servitude. Il évoque également les moyens cauteleux par lesquels les tyrans arrivent à séduire les foules par des actes démagogiques, ainsi que la solitude fondamentale des dictateurs qui finissent généralement leur vie et leur carrière de manière violente. Peut-être faut-il également faire entrer en jeu Les Mouches de Jean-Paul Sartre, dans lequel le régime clérico-dictatorial d’Egisthe résonne (c’est en tout cas ainsi que le contenu de la pièce a été ressenti) en consonance avec l’état de la France en 1943.
16 Fulbert est le nom du chanoine, oncle d’Héloïse, qui fut l’instigateur de la mésaventure génitale d’Abélard. Ce rôle de castrateur symbolique de la population de La Roque sera confirmé par la nature de son gouvernement. On peut également songer à l’abbé Fulbert Youlou qui fut le premier président de la république du Congo (Brazzaville) de 1959 à 1963, dont les extravagances avaient défrayé la chronique en un temps pas très éloigné de la rédaction de Malevil.
17 Le rapport à Tartuffe est manifeste : Fulbert a la même sensualité irrépressible que l’imposteur de Molière, ce qui fera découvrir rapidement à Emmanuel la supercherie. En faisant de ce personnage un faux prêtre, l’auteur évite par là toute accusation de diffamation à l’égard d’un grand corps social. Il fera de même avec Vilmain, faux officier (mais on ne le découvrira que beaucoup plus tard), pour éviter toute accusation d’atteinte au moral et à la réputation de l’armée.
18 L’Apocalypse veut tout, et tout de suite ; la révolution obtient peu – lentement et durement. Le danger est que tout homme porte en soi-même le désir d’une Apocalypse. Et que, dans la lutte, ce désir, passé un temps assez court, est une défaite certaine, pour une raison très simple : l’Apocalypse n’a pas de futur », André Malraux, L’Espoir, Paris, Gallimard, 1937, p. 90 (cité par C.G. Dubois, Problèmes de l’utopie, Paris, Minard, 1968, coll. « Archives des Lettres Modernes », p. 60).
19 Interview de R. Merle par G. Le Clec’h, paru dans les Nouvelles Littéraires, n° 2341 (cité par B. Morvan qui commente en ces termes : « Emmanuel est le modèle du chef charismatique ; mais il n’y a pas d’idéologie du chef, d’où le rôle de Thomas »).
20 Dans la liste des concepts opératoires propres à la psychanalyse, le « principe de réalité » prend la suite du « principe de plaisir ». Le principe de plaisir, qui s’enracine dans le narcissisme, engendre une dynamique sans autre règle que sa volonté de satisfaction. Socialement, c’est le « bon plaisir » des princes. Le principe de réalité suppose une élaboration secondaire dans le choix des voies de réalisation, et par conséquent un exercice de l’intelligence pour peser les forces adverses, évaluer les faiblesses et contourner les résistances. C’est une stratégie qui diversifie la tactique dans son application.
21 « Une expérience mentale sur des possibles latéraux portant sur la totalité d’un monde », dans « Les problèmes sociaux et les problèmes humains d’après les utopies contemporaines », Nancy, Centre Européen Universitaire, 1953, fasc. 3. La définition est une reprise de L’utopie et les utopies, Paris, P.U.F. 1950 (cité par C.G. Dubois, Problèmes de l’utopie, op. cit., p. 11).
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