Avant-Propos
p. 7-8
Texte intégral
1Écrivain inclassable, auteur de nombreuses pièces de théâtre, romans, poèmes, articles, préfaces et traductions (près de 750 références au total)1, Jacques Audiberti est cette figure emblématique qui s’illustre dans ce premier XXe siècle comme un cavalier seul2.
2Tour à tour s’inspirant de sa destinée personnelle (Dimanche m’attend, Talent, Cent jours), d’œuvres et d’auteurs littéraires (Molière pour Les Jardins et les Fleuves et Shakespeare pour La Mégère apprivoisée), ou de figures historiques (Jésus dans Cavalier seul, Jeanne d’Arc dans Pucelle, Jacques Cœur dans Cœur à cuir(e), Napoléon dans L’Ampélour), Audiberti est un mythographe et un polygraphe3 qui recherche dans le passé la matière à une résurgence anhistorique. Tel est le paradoxe de cette production si foisonnante et aux références multiples : parvenir à créer l’illusion que « les distances s’effacent, [que] le passé, le présent, l’avenir se rassemblent » (Cavalier seul, p. 221).
3Nourrie au creuset de Dante et Zola, Villon et Mallarmé, Hugo et Molière, sa poétique témoigne d’un éclectisme certes salué par la critique mais pourtant peu interrogé. Valery Larbaud lui sert de protecteur, Jean Paulhan lui ouvre la publication chez Gallimard, Gaston Bachelard lui consacre les plus belles pages de ses rêveries : Jacques Audiberti n’en reste pas moins cet inconnu de la littérature française.
4Le colloque L’imaginaire de l’éclectique : Audiberti (1899-1965), qui s’est tenu les 29-30 novembre et 1er décembre 2007 à Bordeaux4, a voulu rendre hommage à Jacques Audiberti en retraçant son travail sur les figures de l’imaginaire. L’originalité de cette rencontre (et celle d’Audiberti lui-même) a consisté à réunir, sous une même problématique, diverses disciplines et méthodologies associées aux études sur l’imaginaire. « L’imaginaire de l’éclectique » a permis de questionner trois axes : les processus de création et d’interprétation prenant part à l’élaboration d’un imaginaire (examen des pratiques d’écriture du point de vue des processus créateurs, des constructions identitaires ; modalités d’accès à l’imaginaire ; imagination comme travail et principe d’écriture) ; les figures de l’imaginaire (analyse de figures concrètes et de multiples modalités de représentation ; représentation et perception du corps et de la subjectivité, de l’espace et de ses projections et mécanismes d’appropriation ; rapports au monde, de ses origines à sa fin ; lieux, espaces, frontières ; figures du temps et de l’histoire) ; le rapport du texte et de sa création dans la construction du contemporain (nouvelles formes de textualité ; mise en scène du texte au théâtre).
5Si « le langage est, par excellence, le lieu de l’équivoque », c’est qu’il invite, chez Audiberti non pas à une procession mais à une promenade aux limites du dicible. Qu’il s’agisse de questionner les identités textuelles, le langage théâtral et ses manifestations scéniques, qu’il s’agisse encore de diffraction des totalités romanesques ou des rythmes sonores, le langage et ses performances apparaissent bien comme ce paradoxal centre à la marge. Entre images et imaginaires, de Quoat-Quoat à Pomme-Pomme-Pomme, des versions scéniques, filmiques et écrites de la Poupée en passant par les machines à remonter l’imagination de l’Effet Glappion et celles à remonter le temps de Cœur à cuir(e)5, le théâtre d’Audiberti est bien ce centre spectaculaire de la marge littéraire qui demande pourtant à questionner ses frontières et ses limites textuelles.
6S’il rencontre les problématiques de l’abhumanisme, s’il se nourrit à la mamelle de l’oc qui pousse sa corne sexuée, s’il s’enchante et se déchante au gré des insertions lyriques, c’est qu’il dit avant tout, comme le chante Claude Nougaro, un autre des amis d’Audiberti, le bonheur du mot qui « roule comme un torrent de cailloux dans son accent ».
7Le fils du maçon a construit bien des remparts textuels ouverts à la récriture du Tasse, de Hugo, faisant résonner les échos médiévaux des voix sonores de Jacques Cœur, de Jeanne d’Arc et de Mélusine et celles, plus sourdes, des oubliés de la littérature, de ces chiens écrasés ressuscités avec amitié dans l’espace d’« un livre où tout soit ».
8Ce livre, celui que nous écrivons aujourd’hui en l’honneur de celui qui fut, Jacques Audiberti, est porteur de cette rencontre de l’amitié6. Que ce colloque Jacques Audiberti, loin d’être un mémorial érigé à la faveur des temps, reste ce foyer de la mémoire, chaud et vibrant.
Notes de bas de page
1 Nous renvoyons à la bibliographie des écrits d’Audiberti établie par Jeanyves Guérin dans Audiberti. Cent ans de solitude, Paris, Champion, 1999, p. 161-199.
2 Jacques Audiberti, Cavalier seul, Paris, Gallimard, 1955.
3 Jeanyves Guérin, Audiberti. Cent ans de solitude, op. cit., chap. IV, p. 95-107.
4 Nous remercions le lapril (Littérature, Arts, Pluridisciplinarité, Représentations, Imaginaire, Langages), équipe de recherche de l’Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, de nous avoir donné les moyens d’organiser cette rencontre ainsi que pour son aide à la publication.
5 La compagnie du Campagnol a ouvert le colloque par une lecture-spectacle de Cœur à cuir(e) de Jacques Audiberti.
6 Nous remercions l’Association des Amis de Jacques Audiberti, et en particulier Marie-Louise Audiberti, Josiane Fournier et Claude Lehman, de leur amicale participation à ce colloque.
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