Pour une philosophie de l’ennui
L’ennui en tant que préalable ou que rempart face aux contradictions de la culture de masse
p. 235-252
Texte intégral
1La culture de masse se définit chez Adorno, par rapport à la conception hégélienne de la culture dont elle est aujourd’hui une figure et une défiguration. D’après Hegel, la culture dans toutes ses « déterminations », c’est la vie même de l’universel, qui se montre capable de baigner, d’animer, de mobiliser et de rassembler le multiple des connaissances, des représentations, des activités et des injonctions morales d’un monde donné, le nôtre, et de l’élever, jusqu’à la totalité en laquelle sa force d’universel s’apaise dans la plénitude du vrai. Le vrai est le tout dit Hegel1. C’est ce que, depuis toujours, tout au moins depuis Aristote, on appelle la téléologie ; et Hegel, s’inspirant du christianisme de l’Incarnation reprend et redouble d’une vaste redescente rationnelle et circulaire vers l’inégalité du multiple, cette mobilisation provenue de l’Égal, alors qu’elle restait enfermée chez Aristote dans l’immobilité inquiète de la Physis.
2Une pareille analyse, tout inspirée des ardeurs spéculatives du romantisme allemand, ne sont pas si obsolètes, ni si abstraites qu’il y paraît. C’est ce que montre bien Adorno lorsqu’il colle l’idée de masse sur l’idée du culture, dans une sorte d’oxymore rageur. Il signifie par là qu’aujourd’hui, le tout déroge de ses prétentions éducatrices, (comme Adorno le dit non sans humeur, le tout est le non-vrai), tandis qu’en qu’en même temps, il est en train de s’effectuer dans une universalité mondiale, celle du fric et de la marchandise, la honte des Lumières, qui règne aujourd’hui, quoi qu’on fasse, sur l’ensemble de nos représentations, de nos désirs et de nos pratiques, même religieuses. En ces dernières parfois, la domination du pouvoir et de l’argent s’affirme jusque dans la pratique d’un droit devenant « religieux »..., là où d’un point de vue moral, le bien culmine dans un mal, la liberté dans un esclavage, au sein d’un mensonge universel et d’une objective dérision de la vérité.
3Depuis Michel Foucault, Pierre Bourdieu, Alain Badiou, et plusieurs autres, de telles analyses aujourd’hui courent les rues. Il n’est plus besoin de lire pour y accéder. Il suffit de tenter de vivre. L’objet de la présente étude n’est autre que de placer l’ennui à côté du monstre, à la façon d’un petit cailloux, d’un scrupule, pour faire valoir une valeur nouvelle, une valeur de santé, de grande santé dirait Nietzsche, dans cet ennui, dont la réputation, confirmée par les longues heures de nos classes enfantines, apparaît d’abord triste et négative.
4C’est qu’en effet l’ennui n’est pas le simple fait d’un état de désoccupation, il n’est pas non plus seulement l’effet d’une mode qu’on pourrait qualifier de postromantique. Bref on ne peut pas se borner à le décrire, même savamment. Ici la phénoménologie n’est certes pas impuissante. Mais elle ne suffit pas. Dans l’ennui, il n’y a pas que de l’horizontal, de la passivité matinée de réflexif, il n’y a pas qu’un affect que pourrait circonscrire un cogito husserlien soucieux d’essences exhaustives, par delà toute psychologie. L’ennui, si petit et si gris soit-il, est traversé par la verticalité de l’universel, il est en ce sens comme le doute. Et l’on aurait tort, sous prétexte qu’il appartient au monde des affects, de le placer hors du champ de la vérité, conformément à toute une tradition qui passe par Descartes et qui, malgré Schopenhauer et Nietzsche, se prolonge jusqu’à nos jours. Si l’on doit quelque chose à la pensée lacanienne, c’est précisément d’avoir déplacé et installé l’ensemble de la vie affective à la suite de la morale, entre certitude et vérité, comme naguère le fit Descartes pour les pensées. C’est tout le sens de ce mot de désir que sans y réfléchir, on emploie de préférence aujourd’hui à celui de volonté, précisément à une époque où la faculté de désirer n’est plus coupée en deux de la même façon que chez Kant entre catégorique et pathologique. Ceci non pas au détriment de la moralité, mais au contraire, par l’expansion de cette dernière, par sa pénétration jusque dans le registre de « l’impur » comme le dit Lacan2, par allusion à Kant. C’est ainsi que s’agissant des affects, Lacan les met cette fois du côté de la vérité, et de ses exigences, tout comme la morale et non pas du côté de la certitude qui est la place des pensées chez Descartes. Il les met sur le versant de la vérité qui nous regarde, c’est-à-dire en dehors et au delà des idéalités du sens. Mais c’est à la condition que le lieu de cette vérité soit celui d’une impossibilité dont la valeur universelle et téléologique frappe de toute sa détermination négative, l’ensemble de la vie morale, afin de la délivrer des fascinations d’un objet dont l’absoluité trompeuse, vient aujourd’hui grimacer à l’horizon du désir, à travers les faux semblants de la culture de masse.
5Ce regard de la vérité, sauf cas de mélancolie ou de paranoia, ne concerne l’ennui qu’à travers de nombreux filtres. Mais il existe une voie sûre pour en recueillir le rayonnement et en vérifier la verticalité, au croisement même du plan phénoménologique. Il suffit pour cela d’examiner le type de négativité qui caractérise l’ennui en tant qu’affect. On s’aperçoit en effet que la passivité, du doute ou celle de la réceptivité kantienne par exemple, est une dimension de l’expérience humaine que bien des philosophies ont simplifiée et réduite à une seule dimension, chaque fois différente d’ailleurs, mais toujours suspendue à la guise réflexive des auteurs. Hegel est le premier à ouvrir la négativité vers un au delà de la réflexion et sur une pluralité possible de ses modes d’impact à l’intérieur de l’homme ; c’est une pluralité qui varie, en fonction des déterminations qu’elle reçoit de l’absolu même de la vérité par delà toute intervention réflexive de la conscience et dès lors que sous telle figure, cet absolu de vérité meurt et nous abandonne. C’est ainsi que grâce à leur disparition déterminée, des figures variées de la vérité provoquent celles de la négativité et s’en font la mesure. Et ceci pour autant que la vérité chaque fois est perdue, sous telle ou telle de ses figures. C’est ce que Hegel dans la Phénoménologie de l’Esprit, appelle le chemin du désespoir de la conscience. C’est un chemin orienté par la vérité et par son devenir que vient accomplir à la fin l’Esprit.
6Quitte à scandaliser un hégélien fondamental, on peut utiliser cette belle conception du négatif comme un outil au service d’une remarque simple. Le négatif au cœur de l’homme n’est pas univoque. Il comporte de très nombreux et très différents modes d’impact sur la réalité humaine. Ceci convient encore à Hegel. Mais ce qui ne lui convient pas c’est d’affirmer que le négatif ne se borne pas à étaler ses différences le long d’un temps supposé de l’histoire humaine. Désormais, c’est à l’intérieur du même homme que le négatif multiplie et varie ses modes d’impact. Et l’analyse de ses différences n’est plus de l’ordre de la furia descriptive, elle tient à des métamorphoses de l’objet qui déterminent les diverses façons dont ce que l’on appelle abstraitement le négatif vient fouailler la réalité humaine, ou la capacité de désirer. L’objet est cause de cet impact selon que lui-même meurt ou se déplace ou pénètre dans la réalité humaine ou se défigure ou se transforme. On s’aperçoit alors que le négatif n’est pas un terme suffisant ; tout au moins il est trop générique pour désigner ce qui touche si profondément la réalité humaine hors de la portée de n’importe quel effort réflexif et même dialectique cherchant à le ressaisir, « comme un oiseau pris à la glu » dit Hegel3. Et c’est du côté de l’objet qu’il faut chercher un guide.
7L’objet, mais de quelle sorte et comment le repérer s’il se transforme ? Ici l’on retrouve comme point de repère, la notion kantienne de l’Objekt, le Souverain Bien (suprême chez Kant et qui se dédouble du Souverain Bien parfait). Celui-ci n’est pas le Gegenstand, objet de la connaissance ; mais à l’horizon de la volonté bonne, il se postule comme le point virtuel et téléologique d’une direction et d’un apaisement de l’universel, dans une perfection accomplie, dont le rêve chez Hegel se trouve constamment remis en question jusqu’au moment où l’Esprit absolu retraverse et rassemble les diverses inégalités effectives qui ont scandé son propre chemin.
8Parvenu à ce tournant il convient de laisser un certain jeu entre les rapprochements. Mais même en respectant les différences, on est tout de même frappé que Freud, et Lacan à sa suite, en passant par la découverte majeure du narcissisme, prennent la même voie de l’objet pour analyser la mélancolie. Car la mélancolie, peut-être comme l’ennui, et comme le doute, apparaît à la description comme un certain impact du non, du négatif que la réflexion peut ressaisir dans le cas du doute, alors qu’elle ne le peut plus dans la mélancolie dont l’énigme la dépasse. Ici entre l’objet et le négatif, la solidarité si commode à traiter pour le philosophe, est rompue. Comme si l’objet lui-même, parfois visible et parfois caché était délogé du lieu téléologique d’une vérité qui se refuse. Et comme si la distance entre l’objet et les modes de souffrance et d’attrait qu’il suscite dans le désir humain se redoublait d’une seconde distance entre lui et la vérité. Cette seconde distance fait de l’objet quelque chose d’énigmatique, à la fois désirable et impossible, ou bien désirable en tant que cruel et parfois le plus proche dans son altérité. Il y a là des chemins bien différents de ceux de la dialectique. L’un d’entre eux est celui que Lacan s’est efforcé de baliser après bien d’autres auteurs qui l’avaient pratiqué et même déjà dessiné. C’est celui au terme duquel l’objet derrière sa trompeuse figure d’objet absolument bon, vire à la méchanceté la plus crue4. C’est un virage que la génération de nos parents a découvert avec les méfaits du totalitarisme et qui se donne encore aujourd’hui en spectacle dans les sectes et même dans ce que certains, malgré l’évidence, continuent d’appeler une religion. On comprend un peu mieux Adorno disant contre l’hégélianisme : le tout est le non vrai.
9Que vient donc faire l’ennui dans cette galère ? Nous dirons qu’il n’est pas une mélancolie moindre et d’effet plus léger. Mais de façon positive et à la différence de la mélancolie, il est le témoin longtemps insoupçonné d’une grande santé capable d’être affectée sans frémir, par certaines vicissitudes de l’objet. En cela, il se maintient pour ainsi dire au-dessus de la mélancolie, comme une force de résistance. Et s’il est vrai que la culture de masse constitue une ultime et décisive défiguration de cet objet qu’elle actualise en même temps dans une fallacieuse promesse de jouissance, l’ennui dans une telle situation, témoigne d’une capacité tout au moins subjective, de faire obstacle à ce singe de l’universel. Il réagit contre l’universelle unidimensionnalité des besoins qui désormais façonnent l’homme au service de la marchandise. Il se fait l’un des modestes gardiens d’un reste d’humanité, face aux diverses fascinations économiques, ludiques, utilitaristes et même religieuses qui comme autant d’objets parfaits font de l’homme un esclave sous prétexte de le libérer. Et face à l’universel affairement de la culture de masse, il est au moins un préalable et peut-être peut-il, dans le cadre d’une éducation digne de ce nom, jouer le rôle d’un rempart. Tel sera notre point de chute.
10En effet s’il est vrai que la mélancolie est plus proche de la philosophie, comme on le pense depuis Héraclite, et comme le confirme Hegel, l’ennui de son côté est plus proche de l’expression littéraire. Alors dans le cas de l’ennui, ce n’est pas la psychiatrie qui remonte jusqu’à l’objet, mais la littérature, et notamment la poésie qui en chantant certains méfaits du négatif, en découvre l’objet. On s’efforcera donc « d’herboriser » parmi quelques unes de ses variations historiques et culturelles, toujours à partir de l’objet, en partant pour cela de certaines œuvres littéraires qui l’ont exprimé en chantant. Et puis on en viendra à la culture de masse.
I. Ennui, musique et mélancolie
11Il est permis de penser que l’ennui fait partie de toute expérience humaine et qu’il ne tient ni à des modes ni à des époques qui pourtant le font varier dans ses nuances diverses. Cette combinaison de la permanence et de la variété dans l’expérience est un des problèmes de l’ennui, comme de toute la vie affective. Elle fait corps avec le temps du sujet humain, dont l’ennui est une certaine tonalité qui à son tour se transforme.
12Dans son fond tout d’abord, l’ennui est une interruption, ou du moins une certaine froideur subie dans le passage vers le futur ou vers le souvenir, une sorte de piétinement d’un présent qui se répète et revient au même, avec la monotonie qui pas à pas s’empare de ce même. En ce sens-là, il est le fait d’une répétition qui ne sort pas de soi vers un passé ou un futur, et en souffre, mais pas à la façon de la mélancolie. Car l’ennui est plus externe que la mélancolie. Il est de l’ordre d’un empêchement qui tient souvent à des causes étrangères. C’est ainsi qu’à l’horizon de la répétition affaiblie qui le déploie, quelque chose d’un objet désirable mais empêché, demeure, alors qu’à l’horizon de la mélancolie, cet objet disparaît ou plus exactement se vide ou se dévitalise pour ne ressusciter que sous les espèces de la méchanceté.
13La répétition ainsi conçue sous l’aspect d’un retour au même, paraît être un repère majeur du plan horizontal sur lequel une phénoménologie de l’ennui peut se développer, avec ses différences par rapport à la joie tout comme par rapport à la mélancolie. Au fond de l’ennui en effet, chaque moment de la vie se répète sans nouveauté ni ouverture.
14Pour entrer dans la nuance exacte de cette monotonie, plaçons à côté d’elle par contraste, l’alacrité de la musique. On s’aperçoit que dans le rythme et dans la danse, un semblable retour au même s’exerce, mais que s’y creusent une inégalité, une inadéquation, une nouveauté impalpables mais sensibles de chaque temps de la répétition vis-à-vis de son autre, et par l’ouverture desquelles la joie se glisse. Comme si la répétition rythmée mettait en scène une lutte du même et de l’autre avec la victoire de l’autre au sein du même, en produisant ainsi l’un des charmes de la musique, tandis que pointe à l’horizon de ce charme, comme une menace, la monotonie de l’ennui d’un retour au même. Il est amusant de penser que cette différence entre deux successions de moments soit hétérogènes soit homogènes mène tout droit jusqu’à la distinction bergsonienne de la durée et du temps.
15Et pourtant, sans vouloir manquer de respect à l’auteur de l’Essai sur les données immédiates de la conscience, c’est pour ainsi dire de travers que nous abordons sa pensée. Car nous découvrons en chantant que la répétition musicale de l’inégal au sein du même est foncièrement matérielle, non pas spirituelle au contraire de notre auteur. C’est parce qu’il est matériel que le brin d’herbe existe différent à côté de son autre pourtant identique. Sur ce point, Aristote paraît avoir raison contre Thomas d’Aquin. Et c’est parce que le son musical est physiquement un bruit que la répétition du même parvient à l’enrichir, jusqu’à y insérer la nouveauté d’un inégal capable de faire chanter la contingence dans ce même et de faire danser l’être humain. Comme si l’opposition bergsonienne entre durée et simultanéité cessait de confronter l’esprit à la matière et transportait ses deux membres à l’intérieur de la matière.
16Dans ces conditions, comment comprendre la différence entre l’ennui et le bonheur de la musique ? Peut-être faut-il prendre les choses à la racine physique du bruit. Celui-ci peut être répété dans sa matérialité comme le coup de marteau chez le forgeron, lequel peut être si ennuyeux qu’on peut supposer qu’il revient au même, en se déployant dans le temps d’une répétition mécanique. Mais qu’est-ce qui dans l’écoute d’un son musical peut expliquer sa séduction alors que lui aussi se reproduit à l’identique ? Ce qui le distingue du bruit c’est une sorte d’écho intime qui résonne dans la façon dont il s ’entend. Un écho, c’est-à-dire la contingence de ce qui aurait pu ne pas se produire. Avec l’écho, dans le son, c’est la contingence du bruit qui se fait entendre, et c’est le silence à sa source ; et avec le silence, c’est l’intervention de l’humain ou de l’autre, qui résonne jusque dans le cœur de la physique du bruit. C’est ainsi que le coup de marteau lui-même peut être quelque chose de musical.
17De cette affirmation hasardeuse ou risquée, on peut donner une formule développée, qui l’assure, si peu que ce soit, en la plaçant du même coup à la racine même de l’expérience sensible ou de ce que Kant, usant, malgré toutes ses précautions5, d’un noble ton philosophique, appelle l’esthétique transcendantale dans la Critique de la Raison Pure. Dans la nouvelle occurrence d’ailleurs, celle que nous évoquons, l’esthétique en question sera plutôt nihiliste que transcendantale, Car le donné qui s’impose à la réceptivité sensible ne s’y présentera pas sous les conditions nécessaires et universelles d’une unité formelle a priori réceptive du multiple ou du donné, mais sous celle d’une alterité dont la contingence est à ce point foncière que le redoublement qui la compose peut ne pas se produire aux sources mêmes de nos facultés de connaître. Supposons en effet le vagissement du nourrisson dans sa pure réalité physique. Merleau Ponty dans son cours de Sorbonne sur la naissance du langage chez l’enfant6, montre que peu à peu ce gargouillement se fait écho à lui-même et s’organise, par un tri et par un choix dans son propre magma, des sons de la langue qui l’environne. Comme si le vagissement, dès les origines, s’organisait par degrés, de façon différente chez le nourrisson, en fonction de son environnement culturel, selon qu’il est anglais, arabe ou japonais. C’est sur cette première remarque que se fonde globalement la phonologie, comme la science d’un système de sons, propres à une langue donnée. Mais la phonologie ne saisit dans la parole que le moment physique du son.
18Du point de vue de la musique en effet, quelque chose de plus se produit qui fait virer la direction horizontale d’une analytique du son, hors de la perspective phénoménologique, pour l’orienter vers une verticalité, au terme de laquelle se cache une certaine transcendance ou plus exactement une position en face et une altérité de l’objet. Dans le son, la ligne verticale croise l’horizontal, grâce à l’écho du bruit qu’il redouble et grâce à l’enfouissement de la contingence qu’il provoque par ce moyen au cœur du bruit. S’il est vrai en effet que chez le nourrisson, le gargouillement du vagir se mue en une répétition déjà ludique et déjà sensible à celui qui prête l’oreille, c’est par l’intermédiaire d’une médiation qui très précisément peut ne pas se produire. Telle est sa contingence nourricière. Il s’agit d’un écho, venu de l’extérieur, venu d’autrui et qui, en reprenant le vagissement, le redouble, le renvoie à sa source et le fait sortir ainsi de sa pure matérialité physique pour le transformer en quelque chose de ludique caractéristique du son, à travers une sorte d’interpellation informelle. Cette délivrance de la contingence à l’origine du sensible, (et du son en l’occurrence), constitue l’un des premiers pas de l’éducation humaine, Or elle peut ne pas se produire ; (après tout, certaines gens « élèvent » bien dans des poulaillers leurs nourrissons, afin d’en éviter les cris et ainsi l’on n’est pas très loin des imaginations d’Orwell). Or, comme le souligne Françoise Dolto avant plusieurs autres, on se trouve ici à la croisée de deux chemins qui mènent à l’humanisation d’une part et à tous ses empêchements de l’autre. Évidemment, lorsque le violoncelliste prête l’oreille afin de régler au plus juste la tension des cordes de son instrument, il écrase cette fonction d’écho par quoi le son redouble le bruit dont il procède. Il réduit ce redoublement à une simultanéité dont l’épaisseur vivante, s’entend tout de même au sein d’une jouissance et d’un charme, originaires de toute musique. De ce redoublement originaire, certains compositeurs ne cessent de jouer, comme Mozart, en multipliant et en variant les instruments de musique dans leurs compositions.
19Mais qu’en est-il de l’objet à l’horizon de la musique ainsi proposée ? On remarquera sur ce point que la prééminence de l’Un ou de l’Égal s’affirme chez Kant dès l’Esthétique transcendantale à travers la notion d’intuition et de la distinction qu’elle motive entre l’humain et le divin, selon que l’Un est immédiatement créateur du multiple ou qu’il est seulement, mais a priori, réceptif ou sensible chez l’homme. Cette prééminence de l’Un traverse l’ensemble de l’oeuvre critique pour culminer dans la postulation pratique et ultime d’un Souverain Bien parfait. Or, quoique en sens inverse, il en est de même pour cet inégal qui inaugure semble-t-il, la réception sensible de la musique. On peut dire qu’il hante aujourd’hui l’ensemble de la vie affective et morale, pour culminer dans un horizon de vérité où ce n’est plus l’Égal qui se veut substantiel, mais où son impossibilité culmine. De cette façon, la vérité s’impose encore une fois à la faculté de désirer. Mais elle s’impose non plus par le fait d’une absence, que maintient dans la réflexion sceptique un regret de l’Un, mais précisément et immédiatement, par une sévérité de l’inégal et du pluriel qui nourrissent le nihilisme libérateur d’une vérité effective en tant que celle d’une impossibilité de l’Un. L’effort de la musique (son esprit dirait Nietzsche), ne cesse de tourner autour de cette sévérité cruelle et de l’humaniser en la mettant en scène, Car il y a dans le Beau, cette conversion de la bonté en une cruauté7 que le spectacle parvient à mettre en scène en la rendant du même coup familière, à travers des objets ambigus, à la fois séducteurs et inaccessibles, comme l’Aphrodite des anciens grecs8.
20De cette ambiguïté, l’ennui, à sa façon témoigne, ce que permet d’entrevoir une brève confrontation avec la mélancolie. Dans la mélancolie, on retrouve la répétition, mais sous l’aspect d’un ressassement dont l’objet est encore une fois le motif. Et l’on pourrait penser que par rapport à l’ennui, la mélancolie n’est rien qu’un degré de plus d’une absence d’objet qui confine avec la mort. Et c’est vrai que dans la mélancolie, l’objet se vide et se dévitalise. Il se comporte semble-t-il comme dans la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel, lorsque l’absolu meurt à l’horizon de la conscience non philosophique en provoquant son désespoir.
21Tout tendrait donc à faire croire que le sérieux des négativités philosophiques est plus proche de la mélancolie que de l’ennui, plus « littéraire » en ce sens qu’il se chante, et pas seulement depuis Baudelaire. Et c’est vrai qu’une phénoménologie de la mélancolie, colle à cette différence. Si pour plus de sûreté, nous en cherchons le dessin chez les psychiatres, nous assistons à ce qui paraît une aggravation de ce qu’on appelle couramment des symptômes. De ces derniers, les prémisses du côté de l’ennui s’appellent depuis l’antiquité latine, le taedium vitae, le dégoût de la vie, tandis que dans la mélancolie, la situation se dramatise jusqu’à devenir un blocage des fonctions corporelles et un vide de l’esprit9, face à ce qui ressemble à une proximité de la mort. C’est ce que confirme le processus inverse d’une « guérison » de la mélancolie au cours de laquelle le corps se vide tandis que l’esprit de nouveau foisonne dans une sorte de retour à la vie. Quant à l’objet on peut se borner à penser que du côté de l’ennui, il s’est affadi jusqu’à s’estomper, tandis que du côté de la mélancolie, sa disparition serait en cause. C’est précisément contre l’insuffisance de cette conception que s’élève en pleine guerre, Deuil et mélancolie, le texte de Freud de 1915. Pour bien la repérer revenons un instant à la philosophie.
22Le négatif en philosophie ressemble à cette pièce d’or dont parle Bergson et dont on pouvait supposer naguère que la monnaie de billon peut la rembourser entièrement. Il y a chez Hegel cette conviction qui se réalise à la fin quitte à monnayer le négatif en négativités successives. Chez Descartes, il se présente au contraire en entier d’un seul coup sous l’aspect de ce doute qui, pour plus de sûreté, se fait hyperbolique. Dans les deux cas, la conscience commence par le subir, comme s’il venait du dehors, tandis que la philosophie prétend le ressaisir et le rembourser dans son état de pièce d’or. En ce sens très précis, la philosophie serait une mélancolie ratée, et dont le ratage constitue sa réussite d’œuvre philosophique, comme le dit Lacan en évoquant de préférence à ce propos, l’indépendance de l’objet persécuteur dans la paranoia. Quel est donc ce ratage et de quelle lumière éclaire-t-il la mélancolie ?
23S’il est vrai que la mélancolie cotoie le gouffre du désespoir et de la maladie, c’est que l’objet, au sens générique du terme, celui qui investit aussi bien un amour absolu que l’idéal de la création chez un artiste, a disparu après avoir pénétré et illuminé le cœur de la personnalité humaine et permis à cette dernière de s’édifier, de s’unifier et de s’éduquer autour de lui. Or sans doute il a disparu en face, mais c’est qu’il est passé à l’intérieur du sujet. Le mal qu’il y introduit dévoile bien par rétrospection que le narcissisme découvert par Freud10, et repris par Lacan11 étend le rapport du moi à sa propre figure jusqu’à l’objet devenu idéal. Cependant pour que l’objet ainsi conçu, cesse de jouer son rôle satisfaisant et proprement « ravissant » et transmute en un mal sadique ce bien qu’il faisait rayonner à l’horizon du désir et de la pensée, il faut que de façon énigmatique, il devienne un tyran. Ceci se produit à la faveur d’un événement, un décès par exemple, et qui révèle ce qu’avait d’appauvrissant l’amour narcissique de cet objet qui en faisait l’incarnation fascinante du bien absolu. Son absoluité, sa fermeture sur soi, sa jouissance intime et son absence de manque ainsi placées en face dans une sorte de narcissisme à deux (le moi et son objet, mais ce peut être aussi bien quelqu’un d’autre), constituent sa nocivité. Et s’il y a un ratage en philosophie, c’est que sans accéder à cette dimension de la cruauté, la réflexion parvient à la sursumer comme le dit Hegel. Au contraire, c’est cette mutation de l’objet désirable en tant que tout puissant et devenu mauvais, c’est ce virage fatal bien caractéristique de la modernité, que révèle le monde des sectes. Et c’est là notamment un processus que déploie pas à pas le roman Belle du Seigneur12, tout au long d’un dessèchement de l’amour ponctué par diverses dissociations dans le langage, des dissociations créatives d’ailleurs dans l’écriture de Cohen, et qui font penser à Ulysse de Joyce. Tout se passe dans ce roman, comme si l’objet d’un amour dont l’excès narcissique s’environne de solitude, perdait pas à pas le regard d’autrui, et cette ouverture sur le monde, sur le relatif et sur le pluriel qui font du narcissisme un moment et un soubassement nourriciers. On s’aperçoit alors que la perte dans la mélancolie n’est pas celle de l’objet, qui pénètre au contraire à l’intérieur, avec toute sa force devenue nocive. Mais la perte correspond plutôt à la sécheresse d’une plénitude qui expulse le regard d’autrui, qui rejette toute altérité, toute relativité. C’est ce qui se produit lorsque le regard venu du dehors cesse de l’illuminer. Alors il perd son rôle éducateur et il devient tyrannique. Plus rien ne vient éclairer le Soleil noir de la mélancolie que dévoile sa cruauté nue.
24Peut-être n’en est-il pas de même pour l’ennui dont la position est moindre que celle de la mélancolie, en ce qui concerne la profondeur destructrice et éprouvante du négatif. Cette profondeur est moindre en ce sens que l’ennui n’accède pas directement à l’universel par les chemins phénoménologiques du désespoir, de la perte ou de la négation qui vus depuis la mélancolie, semblent inévitables. L’ennui utilise d’autres chemins pour parvenir à la source nourricière et « tuante » à la fois de l’universel, là où ce dernier n’a plus rien à voir avec le commun, le général, l’habituel de la mode et des contraintes sociales. Il lui faut certes pour cela, lui aussi « puiser des pleurs au Styx » si toutefois il doit vraiment éclore dans la sévérité joyeuse d’une écriture ou de tout autre moyen d’expression. Et il lui faut aussi mesurer son épreuve à l’aune de l’objet. Mais il n’en demeure pas moins dans la sphère de la conscience. Comme si sa fonction dans l’expérience intérieure était tout autre que celle de la mélancolie.
25En effet s’il est vrai malgré tout que l’ennui est dans l’ordre du négatif un état qu’on pourrait appeler moindre, en profondeur et en intensité que celui de la mélancolie, il ne faut pas s’en tenir au versant de cette comparaison. L’ennui a un rôle positif de rempart. Il exerce une sorte de résistance capable de maintenir la personnalité pour ainsi dire au dessus du gouffre de la mélancolie. C’est ce que montre bien, non plus l’ennui, un peu bête ou un peu intelligent selon les cas, de l’élève en classe, mais celui du prisonnier qui l’enrichit d’un objet d’amour à moitié réel et à moitié imaginaire et marqué d’un interdit qui en tranche le mi-partisme si bien décrit par Stendhal dans La chartreuse de Parme. L’ennui en ce sens et alors même qu’il est coupé de la vie, parvient à demeurer en relation avec l’objet au sens générique du terme. La perte qu’il en subit n’en détruit pas la relation, qu’elle transforme, en deçà des catastrophes inhérentes aux objets de la mélancolie. C’est peut être ce que signifie cette grande santé du dernier homme dont parle Nietzsche, cette capacité d’être affecté sans faiblir. Et c’est de toutes façons ce que révèle, ou ce que relève, l’esprit de la musique dans la poésie.
26On en trouve un exemple assez proche du sublime dans le poème de Jean de la Croix, dont la traduction signalée par Paul Valéry montre qu’en surgissant de l’akédia de la nuit obscure, l’épreuve si terrible des cénobites, il s’adosse à la mélancolie, mais sans y perdre son objet dont il exprime à travers la musique du chant, une certaine proximité marquée par la distance13. Il en en résulte que l’espace du manque, en lequel l’ennui s’approfondit, transfigure la méchanceté de l’objet en la sévérité heureuse d’une écriture qui lui donne corps et l’illumine sans le rejoindre. En écho à cette expérience on trouve chez Jacques Lacan, qu’on peut s’étonner ou s’amuser de rencontrer dans ce contexte, une remarque ponctuant un long commentaire du Père humilié de Paul Claudel et venant à propos du dernier dialogue entre Pensée de Coûfontaine et Orian. Il s’agit à ce propos pour Lacan, d’une conversion et d’une transfiguration de l’objet impossible du regard en celui d’une écoute. Mais une expérience nouvelle correspond à cette métamorphose. Je suis aveugle dit Pensée à Orian qu’elle aime. Et Lacan commente : « Je suis aveugle a la force d’un je t’aime, de ce qu ’il évite toute conscience en l’autre de ce que Je t’aime soit dit, pour aller droit à se placer en lui comme parole. Qui saurait dire Je suis aveugle, sinon d ’où la parole crée la nuit ? Qui à l’entendre, ne sentirait en lui, naître cette profondeur de la nuit ? »14 Ici dans la prose poétique de Caudel, l’objet perdu hors de tout contenu capable de le donner sous les yeux, se retrouve comme transfiguré par la pure musique de la parole, de même que la métaphore détruit elle aussi la présence prosaïque de l’objet et le transfigure. Tout se passe un peu mais sur un autre ton, à la manière de « cette faucille d’or dans le champ des étoiles évoquée par Victor Hugo et qui finit par exploser tel un feu d’artifice à la fin du poème, au terme d’une épreuve de l’impuissance cernée par la vieillesse, mais longuement rythmée et comme apprivoisée par la musique des vers.
27Évidemment on est loin de l’ennui scolaire. Et pourtant celui-ci est sa première éducation, Il est l’apprentissage de cette négativité inhérente à la fuite du temps qui passe et dont la fugitivité se noue autours d’un objet que l’écolier ne soupçonne même pas mais qui l’éduque à la rudesse de la création et le protège contre les précipices de la mélancolie. C’est la possibilité même de cette éducation que détruit aujourd’hui la culture de masse, on le perçoit précisément à travers les problèmes de l’école actuelle.
II. Figures de l’ennui
28Il se peut que cette nouvelle fonction, cette nouvelle profondeur de l’ennui aujourd’hui en péril, (presque à l’instant où on les découvre), ne s’affirment qu’à travers une certaine généalogie de la conscience humaine et de ses objets, en Occident tout au moins.
29Cette affirmation se résout en quelques remarques concernant la teneur de certains textes qui au-dessus de la noire mélancolie traduisent plus superficiellement semble-t-il un sentiment qu’on n’appelle pas forcément l’ennui, mais qui en participe en ce sens qu’il se présente comme négatif selon des tonalité diverses que déterminent les variations culturelles de son objet. On voit par exemple chez un écrivain singulier, à la fois tendre et mondain, chez Ovide dans les Tristes et les Pontiques15, que l’ennui passe directement à la plainte, dans un rapport dont la quasi immédiateté, n’interdit pas de soupçonner la douleur du poète. C’est un caractère que pour ma part, qui ne suis pas spécialiste, je retrouve chez Villon, mais dans un contexte social et psychologique bien différent, car ce qu’il chante, c’est un temps simultanément passé et mythique, ou plus exactement enluminé et perdu, que la chanson bien connue de Brassens exprime assez justement. Car étant orphelin exilé, ou escholier très pauvre, toujours fréquentant les tavernes il ne l’a pas connu ce temps-là, autrement qu’à travers les brumes de l’ivresse ou les souffrances de la pauvreté, alors qu’Ovide qui lui aussi l’avait perdu, y avait baigné dans l’atmosphère de luxe de l’empereur. De plus l’objet perdu est de nature civique chez Ovide, il est mystique chez Villon. Dans les deux cas pourtant la luminescence de l’objet y apparaît primordiale sous l’aspect d’une perte que traduit une plainte lyrique et musicale, et que le poème recueille en passant par dessus l’ennui, auquel par ailleurs Ovide dans ses lettres ne manque pas de céder avec angoisse.
30Il est une toute autre façon plus combattive de passer par dessus l’ennui. On peut s’amuser en effet par contraste de la réflexion de Thomas d’Aquin dans la Somme théologique16 : « le concupiscible a pour objet à la fois ce qui convient et ce qui ne convient pas. Mais l’irascible est là pour résister aux inconvénients qui passent à l’attaque ». Cette remarque implique le primat de l’intelligence et de la volonté sur les sens par l’intermédiaire d’un partage de la sensibilité entre l’irascible capable de se mettre au service de la volonté en corrigeant les entraînements du concupiscible toujours séduit. Si l’on cherche l’ennui dans ce partage, on voit qu’il se situe au carrefour, dans une espèce très proche de la honte et du repentir. Comme si l’absolu primat de l’objet se faisait sentir dans cette conception qui fut aussi bien une façon historiquement effective de vivre l’ennui. Cet absolu primat de vêture royale ou féodale au Moyen Âge est d’essence théologique. L’ennui ne parvient à s’y glisser qu’à travers les interstices de la société verticale, en passant notamment par les malheurs et par la poésie de Villon. Celui-ci, du fait de son extrême pauvreté l’a vécu au point le plus rude et l’a transfiguré et chanté. Tout se passe comme si des expériences vécues comme celle de l’ennui se comportaient par rapport à l’objet dont elles souffrent les effets d’exil ou de regret, comme des oiseaux perchés sur l’arbre dont elles creusent le tronc. elles n’ont pas pour s’installer l’espace de subjectivité que va libérer le scepticisme de la Renaissance, qui depuis l’époque du libre examen dissocie le monde subjectif des certitudes et celui de la vérité.
31Dans cette dissociation s’installe l’ennui avec ce que Spinoza appelle les passions tristes. Ces passions obéissent aux lois de la nature tout comme les passions joyeuses qui les unes comme les autres sont inhérentes aux artifices de l’imagination. On peut certes négocier entre elles. Mais en définitive il n’y a nul autre moyen de lutter vraiment que par la juste connaissance des lois de la nature. On voit avec quel courage et quelle détermination, Spinoza, sans analyser autrement l’ennui qu’à travers l’imagination de l’inadéquat et de la fluctuatio animi qui en résulte, barre courageusement la route à tout retour sur soi. Car il distingue sévèrement de toute passion joyeuse ou triste, la joie de la connaissance, la seule digne de ce nom. De sorte que s’il est vrai qu’en ce printemps de la subjectivité, l’ennui comme une primevère, commence à percer dans son acception moderne, il est aussi tôt piétiné par la pensée d’une Nature ou d’un Dieu (Deus sive Naturel) absolument bons et vrais.
32Pour que l’ennui surgisse véritablement tel que nous le vivons, il faut qu’une transformation qu’on ne repère pas toujours se place dans l’objet. II faut qu’en ce dernier, l’absolue bonté se transforme en cette méchanceté que Lacan signale dans le fameux texte des Écrits, Kant avec Sade17 Comme si l’Objet souverainement bon comportait sur sa face nocturne un souveraine méchanceté. C’est ce que Lacan souligne en se référant non plus à l’histoire du sentiment religieux, mais à la forme kantienne du commandement moral indifférent à notre bonheur. Or pour rendre compte de cette véritable révolution, contemporaine de la naissance de la République en France, il n’est pas besoin d’invoquer la mort nietzschéenne de Dieu. Il suffit qu’à l’horizon de la volonté, et quoi qu’il en soit de la véracité divine, une méchanceté soit désormais capable de s’incarner dans des objets d’ordre idéal. Cette méchanceté est évidemment très ancienne ; elle était notamment présente sous d’autres atours que l’ennui, dans l’amour courtois. Car dans la bel amor, la maîtresse toujours aimable, peut devenir exigeante à l’égard de son chevalier, jusqu’au point d’en être cruelle. On trouve dans cette relation amoureuse, tous les ingrédients de l’ennui, notamment l’attente triste et parfois désespérée, mais ceux-ci bien campés et bien cachés dans le miroitement d’un objet dominateur qui colore l’attente d’une autre nuance que celle de l’ennui et dont l’amour de Fabrice dans la Chartreuse de Parme, conserve au fond de sa prison certains traits et notamment cette ambiguïté de l’objet que la prison rend à la foi cruel et lumineux.
33Ce pas une fois franchi, de la cruauté de l’objet, nous entrons dans le règne moderne de l’ennui tels que l’ont vécu et chanté nos grands poètes et prosateurs, depuis le romantisme. On y trouve la double polarité de l’idéal et de sa dimension quasi satanique, comme chez Baudelaire, ou encore la protestation de Rimbaud secouant les dépouilles de l’ennui avec celles de ses objets.
34Quant à la cruauté, il est remarquable qu’avant de prendre la forme extrême du sadisme, qu’ont servi les bourreaux des totalitarismes ou des sectes, avec l’aide d’un idéal fascinant mais impossible, l’objet pour devenir celui qui façonne l’ennui à la façon récente est surtout marqué par la perte, la mort et l’indifférence. C’est ce qu montrent aussi bien l’époque romantique avec la tristesse d’Olympio, et celle de l’existentialisme dans le compte sartrien L’enfance d’un chef. L’une et l’autre de ces modes culturelles ont été marquées par la perte des certitudes antérieures, après la grande Révolution et après la défaite de 1940. De part et d’autre, la conscience noble et la conscience bourgeoise, chacune à leur façon perdent cœur en même temps qu’à l’horizon, leur objet se dissout. Chacune d’entre elles gémit et l’on retombe sur le versant phénoménologique, avec toutes les différences qu’implique dans le romantisme la perte de l’objet dont le sacré se réfugie au fond des grands bois, et dans l’existentialisme vers la solitude et le décalage intimes du sujet vis-à-vis de soi-même, du monde et d’autrui.
35C’est ici qu’on peut être frappé par la santé, la grande santé qui sous-tend l’expression de la tristesse romantique. Lorsque cette expression devient explicitement celle de l’ennui chez Flaubert par exemple, et plus tardivement au fond des solitudes de la lande gasconne, chez Thérèse Desqueyroux, on s’aperçoit que c’est précisément un certain vouloir vivre qui s’affirme plus ou moins fortement face à l’absence désormais irrémissible de l’objet.
36L’ennui dès lors, n’est plus un état simplement négatif, il comporte cette fonction que désignent les termes de rempart et de préalable, vis-à-vis de la culture de masse. Bref il y a dans l’ennui, même à l’école, quelque chose de formateur, comme une éducation qui correspond à la sagesse du retard inhérent aux espèces animales les plus évoluées et qui fait que chez l’homme (selon la théorie de la néoténie) la sexualité apparaît plus tard le long de la courbe de vie. Et ce qui la retarde est un gage d’évolution, comme le remarquent aujourd’hui certains bons auteurs comme Boris Cyrulnik. Pour cela il faut que l’école, et que l’éducation sans renoncer à intéresser et à ouvrir les enfants à la modernité, sache les engager sur les chemins d’un approfondissement de soi que seules apportent une certaine solitude et une certaine capacité chez l’enfant de supporter l’ennui puis de le maîtriser en jouant, et pas seulement de le fuir. Le seul moyen d’affronter la culture de masse.
III. Face à la culture de masse, l’ennui préalable ou rempart
37La culture de masse, c’est le fait qu’au principe même du lien social, le règne de la Raison (tel que Kant le définit : « L’usage public de notre raison doit toujours être libre, et lui seul peut répandre les lumières parmi les hommes18 ») garantit au principe de toute culture, l’omnipotence de notre espèce. La technique est un des moyens de cette omnipotence. Elle accompagne le progrès que célèbre le Manifeste communiste, à travers les succès de la bourgeoisie et dont elle occupe la phase apparemment ultime.
38Or ce mariage des Lumières et de la technique est aussi bien le point de départ de la crise actuelle et le point initial d’une révolution manquée. La technique peut se définir par cette notion d’arraisonnement dont parle Heidegger19 et qui désigne son pouvoir de plier la nature à la raison technicienne et par la même à nos besoins, ce qui la transforme en un réservoir d’énergie dont on s’aperçoit d’ailleurs aujourd’hui qu’un tel réservoir est fragile et qu’il n’est pas inépuisable. L’expression de gisement touristique par exemple, met en pleine clarté ce que veut dire cet arraisonnement par la technique. Il vise la beauté même de ces paysages célébrés par Hugo ou par Chateaubriand et que l’industrie du tourisme asservit et même détruit en s’efforçant de l’exploiter pour la façonner à l’agrément d’une certaine masse d’individus suffisamment cossus pour qu’une telle entreprise rapporte de l’argent. L’arraisonnement c’est le fait de réduire à la raison technicienne ce qui dans la réalité est autonome, ne serait-ce que par sa libre beauté. Et comme la toute puissance de l’argent est au bout de cette prise de pouvoir, on peut évoquer à ce propos la barbarie et la prostitution. La barbarie dont l’emprise désormais partout visible jusque sur les océans s’inspire uniquement d’une volonté de maîtriser pour vendre, et la prostitution qui étend cette volonté de vendre à ce qui est vivant et humain. Simultanément on voit ce que signifie la culture de masse du fait qu’en façonnant les besoins de tous, autant que les objets de ces besoins au service commun de la finance et du pouvoir, elle ravale la liberté de l’homme à la dimension la plus commune et collective de ses besoins aussi bien que la réalité libre du monde et celle d’autrui à cette même mesure de la quantité et de la quantité d’argent.
39De ces remarques par où nous avons commencé, la nouveauté tient au fait que leurs objets désormais pénètrent aujourd’hui nos manières d’être les plus courantes. C’est bien là ce que signifie l’expression de culture de masse, dont l’oxymore intime devient de plus en plus apparent.
40L’oxymore tient au fait que pour s’imposer aux individus et pour les éduquer comme c’est l’ambition et la fonction de toute culture, la culture de masse les façonne. Mais au lieu de les élever jusqu’à la capacité d’introduire les humains à la rationalité, à la beauté et à l’amour, cette tripartiton d’un fondement du lien social aux sources mêmes du travail, de la production et des échanges, la culture de masse ne relie les individus qu’en les réduisant à la dimension de leur besoins et au souci technique de l’efficacité. Pour cela elle doit les occuper et les distraire de tout autre préoccupation. Il y a dans la culture de masse un façonnement par les objets que l’on offre au désir d’aimer et de posséder. Ces objets en tant que techniques, exigent de ceux qui les possèdent ou qui les inventent un certain type d’attention fascinée de l’ordre du calcul, de la performance et de l’habileté, et une mobilisation exclusive au service de leur production et de leur acquisition. Ainsi l’individu n’est sollicité que par cette zone des besoins à satisfaire. Cela implique une certaine unidimensionnalité de l’homme et de l’enfant constamment occupés à manipuler des objets techniques et incapables de prêter attention à autrui, à la beauté et à la liberté des choses, sinon pour s’en emparer.
41Cette transformation de l’objet a de nombreux effets. Notamment elle chasse l’ennui. Elle introduit l’image d’un enfant et celle d’un adulte constamment occupés, constamment fascinés par des tâches techniques, incapables de prêter l’oreille aux bruits, aux expressions et aux malheurs tout autant qu’aux bonheurs d’autrui. Dans ce monde de l’objet qui est aussi le monde du spectacle (grâce à une jointure essentielle du faire et du voir), il n’y a plus de place pour l’ennui, pas plus que pour la culpabilité que l’on assimilait naguère à des passions tristes, des passions à exclure de tout le champ de l’expérience et de l’éducation. Or justement à l’heure où leur exclusion apparaît effective et enfin réussie du fait de la culture de masse, on découvre soudain qu’en tant que passions, la part de douleur et de négativité qu’elles comportent, possède une valeur éthique que méconnaît le projet de les épurer.
42Ainsi se découvre dans l’ennui, jusqu’au sein de son amertume, une fécondité imprévue à laquelle nous font aspirer les excès mêmes de la culture de masse aujourd’hui. Dans le texte d’Adorno cité en note20, on voit soudain, l’ennui resurgir du perpétuel affairement moderne qui l’avait fait disparaître. On le voit renaître sous la forme d’une nouvelle espèce de désenchantement. Désormais, ce dernier n’est plus aussi noble que celui que chantaient nos anciens romantiques et leurs successeurs et dont ils déployaient les charmes en élevant la subjectivité jusqu’aux cimes sublimes et universelles de la création. Ici le désenchantement s’est inversé, il est décidément populaire, il touche jusqu’aux plus pauvres qu’objectivement il déconstruit et décultive. Car il a cessé de jouer au plus malin, à cause de la nouvelle effigie qu’il transporte sur son revers, comme l’annonce d’une mort sans phrases de notre culture et de l’univers qui l’environne. C’est une mort dont on peut penser qu’il est peut-être bien tard pour l’éviter. Il n’est plus question d’en jouer, avec le courage, avec la grande santé de l’aristocrate ou même du fond de l’ivrognerie d’un Verlaine21 par exemple. Ici et là, l’expression d’un pareil ennui chantait naguère dans les poèmes tout comme le vin dans les bouteilles, alors que désormais elle se restreint, tout comme la poésie d’aujourd’hui qui chante de moins en moins, étant comme pétrifiée par le visage de Gorgone que désormais lui présente la culture de masse.
43Adorno, pour cette critique, prend appui sur Hegel. Il retient dans l’œuvre de ce dernier, ce dynamisme de la rationalité capable de dépasser dialectiquement la détermination de tous ses objets, par un effort qui, en franchissant les limites de la conscience individuelle des humains, tend à culminer tel qu’en lui-même dans un certain retour à soi que Hegel appelle l’absolu, et que la Phénoménologie, cette « propédeutique à l’ensemble de l’œuvre », introduit sous l’aspect de l’Esprit.
44Or d’après Adorno, la Raison, capable d’un tel dépassement est aujourd’hui le lieu même et l’enjeu d’une intime contradiction très caractéristique de notre modernité et qui constitue l’hypocrisie foncière de la culture de masse. En effet l’absolu est Esprit, c’est dire qu’il est désormais aux mains de l’homme, qui s’en empare au point de ravaler l’objectivité souveraine de la Raison à la dimension subjective de l’humain qui la défigure. Ainsi l’objet dont nous étions partis à l’occasion de la mélancolie, se referme. Il perd cette ouverture vers un regard venu d’ailleurs. Et c’est vis-à-vis de cette dégradation que l’ennui sert de préalable et de rempart.
45Hegel distingue dès le début de son œuvre22, le sujet objet subjectif et le sujet objet objectif. Cette distinction correspond chez Kant à celle de deux versants du Souverain Bien, le Souverain Bien suprême dans lequel l’absolu du rapport entre vertu et bonheur regarde du côté de l’homme, tandis que le Souverain Bien parfait qui constitue la synthèse ultime de la réalité en soi et de la réalité pour l’homme, regarde au delà de ce dernier. Dans la culture de masse il n’y a plus que le premier versant de l’objet que la technique ravale à la toute puissance des besoins. Et il y a dans l’ennui quelque chose qui a sa façon ressuscite dans l’objet une certaine part d’altérité en même temps que quelque chose du désir dans l’appétit humain.
Conclusion
46La moderne leçon de l’ennui tient à son double rôle de préalable et de rempart vis-à-vis des méfaits d’une culture de masse. Il implique ce que j’entendais dire l’autre jour à la radio de la part d’un intéressant commentateur de Rousseau23. Rousseau disait-il, introduit la musique comme un intermédiaire entre le langage et le sentiment, sur le chemin vers la pensée. Il ne fait pas comme les l’empirisme anglais pour ainsi dire ouvert comme par avance à la modernité technicienne. Il ne considère pas le passage des impressions jusqu’aux idées comme quelque chose de direct, simplement produit par l’habitude. Tout se passe au contraire, comme si par un nouvel aspect de la répétition, la pensée, d’une autre façon d’ailleurs que chez Nietzsche, naissait de l’esprit de la musique, et insérait la contingence entre le sentir et le sentiment avec cette sorte d’invocation d’autrui qu’implique la musique. Entre les sens et le sentiment, et du fait du langage, il s’agit là de la médiation de l’Autre comme on dit aujourd’hui. De cette médiation, résulte dans la pensée une ouverture de la raison, à laquelle fait écho cette affirmation d’Adorno en forme d’une injure quasiment enfantine et comme crachée à la face de Hegel : « Le tout est non-vrai ». Le Tout comme non-vrai insère de l’inégal au sein de la vérité, et il implique dans l’ennui, à l’occasion d’une certaine souffrance inhérente à l’impossibilité ou à l’éloignement de l’objet, l’épreuve d’une ouverture qui donne à cet objet la capacité de représenter ne serait-ce qu’in absentia, un être pour autrui une singularité que la culture de masse réduit à la sérialité de l’usage.
47Il se trouve qu’une certaine privation, une certaine sévérité tutélaire, une certaine éducation patiente et soucieuse d’autrui, introduisent l’ennui à la juste mesure d’un rempart et d’un préalable capable de protéger le désir humain contre son ravalement à la dimension du besoin, capable de protéger aussi l’imagination créatrice contre un affairement qui la met en péril, et de compléter le pur égoïsme de l’échange, par la capacité généreuse du don.
Notes de bas de page
1 Hegel, Phénoménologie de l’Esprit, préface, n° I, 1807.
2 Jacques Lacan, Kant avec Sade, 1963, in Écrits, Seuil, 1966, p. 775.
3 Hegel, op. cit., Introduction.
4 Jacques Lacan, op. cit., p. 773.
5 Kant, Sur un ton supérieur nouvellement pris en philosophie, 1795, AK VIII, 389, trad. A. Renaut, La Pléiade, t. III, Gallimard, 1986, p. 395.
6 Ce cours fut prononcé et recopié sur stencyls, entre 1949 et 1952, Merleau Ponty ayant été nommé à la Sorbonne à la chaire de Psychologie de l’enfant et de la Pédagogie.
7 Nous rencontrons ici une pensée familière de Jacques Lacan pour qui l’architecture notamment est un barrage placé par l’œuvre au bord le plus extrême des abîmes de la cruauté.
8 Cf. Walter F. Otto (Otto fut un opposant au nazisme), Les dieux de la Grèce, 1934, préface de Marcel Détienne, trad. C.-N. Grimbert et A. Morgant, Payot, 1981, p. 111 et sq.
9 Cf. Marie-Claude Lambotte, Le discours mélancolique. De la phénoménologie à la métapsychologie, Éditions Anthropos-Economica, 1993, p. 25-27.
10 Freud Passim, Pour introduire le narcissisme, 1914, et Deuil et mélancolie, 1915-1917.
11 Jacques Lacan, Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Jeu, 1949, in Écrits, Seuil, 1966, p. 93.
12 Albert Cohen, Belle du seigneur, Gallimard, 1938.
13 À l’ombre d’une obscure Nuit/ D’angoisseux amour embrasée, / Ô l’heureux sort qui me conduit... Cité par Paul Valéry, in Variété, sous le titre Cantiques spirituels, Les Œuvres spirituelles du B. Père Jean de la Croix... Le tout traduit en Français par le R.-P. Cyprien de la Nativité de la Vierge, 1641. Cf. Œuvres de Paul Valéry, Éd. Gallimard, La Pléiade, 1957, t. 1, p. 445.
14 Jacques Lacan, Le Séminaire, n° VIII, 1960-1961, Le transfert, Édition J.A. Miller, Gallimard, 1991, p. 360.
15 Ovide, Tristes Pontiques, trad. Marie Darrieussec, POL, octobre 2008.
16 Somme théologique I, question 81, article 2, solutions 1.
17 Lacan, Écrits, Seuil, 1966, p. 765, cf. notamment p. 772-773.
18 Kant, Réponse à la question : qu’est-ce que les Lumières ?, Ak VIIII, 17, trad. Heinz Wismann, Emmanuel Kant Œuvres philosophiques, La Pléiade, Gallimard, 1985, t. II, p. 211.
19 Heidegger, La question de la technique, 1954, in Essais et conférences, trad. Préau, préface de Beaufret, Gallimard, Essais, 1958, p. 9.
20 Adornon, Minima moralia réflexions sur la vie mutilée, 1951, trad. Éliane Kaufholz et J.-R. Ladmiral, Petite bibliothèque Payot, p. 305 : « Nos organes ne saisissent pas un objet sensible isolé, mais perçoivent à la couleur, au ton, au mouvement s ’il est là pour lui-même ou pour autre chose ; ils se fatiguent de la fausse diversité et laissent tout sombrer dans le gris, déçus qu’ils sont par la prétention trompeuse des qualités à exister encore, alors qu’en vérité elles sont orientées par les finalités de l’appropriation... Le désenchantement du monde sensible est la réaction de nos sens devant ce qui le détermine en tant que “monde de marchandises” ».
21 « Votre âme est un paysage choisi, / Que vont charmant masques et bergamasques, /Jouant du luth et dansant et quasi/ tristes sous leurs déguisement fantasques// Tout en chantant sur le mode mineur, / l’amour vainqueur et la vie opportune/ Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur/ Et leur chanson se mêle au clair de lune// Au calme clair de lune triste et beau, / Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres, / Et sangloter d’extase les jets d’eau/ Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres ».
22 Cf. Hegel, Différence entre les philosophies de Fichte et de Schelling. Foi et savoir, 1801-1802, in Premières publications de G.W.F. Hegel, trad. M. Méry, Vrin, 1952.
23 Jean-François Perrin, professeur de littérature du XVIIIe siècle, sur France Culture le 30 janvier 2012 à 10h30 du matin : La musique chez Jean-Jacques Rousseau, d’après L’origine des langues.
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