« Le temps, on le sait, est irréversible. Et pourtant […] » : le temps aux sources du fantastique dans l’œuvre de Buzzati
p. 129-140
Texte intégral
1Le temps est dans l’œuvre de Buzzati un motif plus que récurrent, une dimension fondamentale autour de laquelle se bâtit l’ensemble de la production littéraire, tous genres confondus (romans, nouvelles, théâtre, poésie, carnets…). Dans les entretiens qu’il a accordés peu de temps avant sa disparition1, Buzzati se dit depuis l’enfance poursuivi par l’idée du temps qui passe, en proie depuis « toujours » à ce qu’il appelle le « sentiment du temps »2. La lecture des recueils les plus proches du journal intime, du carnet, que sont En ce moment précis et Nous sommes au regret de…3 montre combien la question du temps appartient au domaine de l’intime, combien elle structure le rapport que l’homme, avant même l’écrivain, entretient avec le monde qui l’entoure. Mais, de manière plus large, cette sensibilité à la question du temps informe toute l’œuvre de Buzzati et plus particulièrement cette grande partie de sa production qui se trouve sur les versants du fantastique.
2Nous voudrions donc ici nous intéresser à la manière dont le temps peut devenir un ressort du fantastique, apte à susciter la production d’un « effet fantastique », notamment dans le récit bref, et ceci tant au niveau thématique que narratif et stylistique.
3Nous ferons volontairement table rase de la résurgence fantastique du passé pourtant largement exploitée par Buzzati car celle-ci appartient à un fantastique « classique » quand nous souhaiterions montrer ici que le motif du temps peut être à l’origine d’un fantastique plus personnel, d’un fantastique plus « moderne » aussi. Nous nous attacherons donc à examiner les rapports qu’entretiennent présent et futur dans la mise en place du fantastique buzzatien.
1. Le temps linéaire
4Comment rendre perceptible ce qui ne l’est pas, ce qui ne l’est doublement pas car le temps comme l’angoisse résistent à être conçus et plus encore à être énoncés ? Dire l’angoisse du temps relève donc d’un défi que le recours à la littérature et, au sein de celle-ci, au genre fantastique permet de relever. Pour donner forme à l’informe, pour saisir l’insaisissable, pour donner consistance à ce qui est par essence fluide, imperceptible, Buzzati utilise pour évoquer ce qui échappe à nos sens des catégories qui relèvent de la perception, qui matérialisent le temps en le donnant à voir et/ou à entendre. Ainsi la catégorie du temps rejoint-elle celle de l’espace : la spatialisation du temps permet la figuration de celui-ci.
5Le temps qui passe devient alors trajet, déplacement vers un horizon dont la caractéristique dans l’œuvre buzzatienne est qu’il se dérobe sans cesse à celui qui cherche à l’atteindre. Autour de cette conception se construit un nombre important de nouvelles, dont la première publiée est « Les sept messagers »4. Dans ce récit, en apparence plus proche du conte que de la nouvelle fantastique, le narrateur est un prince « parti explorer le royaume de [son] père » ; depuis « plus de huit ans » il s’éloigne de la capitale, avance « toujours vers le sud » sans parvenir à atteindre les frontières du pays : « je me sens plus souvent taraudé par l’idée que ces frontières n’existent pas, que le royaume s’étend sans aucune limite et que, malgré ce voyage incessant, jamais je n’en verrai la fin »5. Les émissaires, les « sept messagers », qu’il envoie vers son point de départ reviennent de plus en plus tard, porteurs de nouvelles de plus en plus lointaines, de « lettres jaunies par les années, emplies de nouvelles absurdes d’un temps déjà révolu ». Les messagers qui font le trait d’union entre le prince et son royaume au niveau narratif mettent en relation, au niveau méta-narratif, via les « lettres jaunies », l’espace et le temps : ils suggèrent donc que le trajet du prince exilé pourrait être lu comme une métaphore de l’existence, comme une métaphore du vieillissement qui nous éloigne toujours plus du « royaume de l’enfance ». Mais Buzzati se garde bien d’aller plus loin dans la suggestion d’une lecture allégorique : rien dans le récit, si ce n’est que l’œuvre reste ouverte à une telle interprétation, ne permet de réduire celui-ci à une interprétation allégorique « mirabilisante »6, qui atténuerait le sentiment de fantastique né du malaise diffus émanant des propos du personnage-narrateur.
6En quatre pages seulement, l’espace d’un elzeviro7, Buzzati réussit à donner le sentiment d’un temps indéfiniment prolongé : l’anamorphose de l’espace, au niveau thématique, l’abondance des chiffres et des calculs du nombre de jours, puis de mois, puis d’années nécessaires aux messagers pour accomplir leur trajet, au niveau narratif, sont les deux procédés permettant de rendre perceptible le passage, ici lent et inexorable, du temps.
7Le trajet, dans sa dimension dynamique, sert donc de métaphore temporelle : si dans « Les Sept messagers », on voyage à cheval – et donc lentement –, le moyen de transport le plus récurrent dans les nouvelles de Buzzati est le train. Ces trains lancés à toute vitesse sur leurs rails, qui traversent dans une course folle des gares étrangement désertes, laissant entrevoir au malheureux voyageur des scènes qu’il ne peut fixer, font du train un monde à part, un espace fantastique car régi par des lois qui lui sont propres. Ainsi dans « Il était arrivé quelque chose »8, le voyage au départ ordinaire tourne au cauchemar, le train accélère sa course, ne marque plus aucun arrêt. Derrière la vitre, il semble que le monde soit victime de quelque catastrophe, mais les scènes muettes que la vitesse dérobe aussitôt aux yeux du narrateur rendent impossible toute compréhension, toute interprétation ; dans le wagon, l’angoisse atteint à son paroxysme et le narrateur, arrachant au passage une feuille de journal qui se déchire entre ses doigts ne fera qu’épaissir le mystère : du nom de la catastrophe on ne connaît que les dernières lettres « ion ».
8Le fantastique alors réside moins dans le trajet parcouru que dans la vitesse mise à le parcourir : la vitesse, à l’origine de la vision empêchée, de la communication impossible, fait du train un monde autonome, radicalement coupé de l’univers de la normalité quotidienne. Comme le train, le temps s’emballe et ce dérèglement fait basculer le récit.
9Le train est en cela emblématique de ce fantastique buzzatien. Dans le monde du quotidien, le train conjugue l’organisation de l’espace et du temps : nous prenons un train à une heure donnée pour une durée donnée et en direction d’un lieu donné. Dans l’univers fantastique de Buzzati seuls restent sûrs le lieu et l’heure du départ : pour combien de temps partent les protagonistes ? Dans quel lieu les mènera le train ? Autant de questions qui restent, à la clôture du récit, sans réponse.
10Le présent, dans sa fuite panique, ne se laisse pas appréhender, il ne permet pas à l’individu de donner un sens à sa vie à travers la construction structurée d’une histoire individuelle.
11Dans d’autres récits, la relation métaphorique entre train et vie est plus explicite. Ainsi dans « Express »9, où le narrateur, emporté par un train, ne peut que regretter de ne pas avoir le temps de s’arrêter à ces « gares » que sont les moments importants de l’existence : pas de temps pour s’arrêter signer un contrat important, embrasser sa vieille mère, courtiser la fille qu’il aime. Dans « Partir »10, les voyageurs, assis dans la « salle d’attente » se disent contraints de « partir » : ils n’ont pas choisi leur départ, ils se refusent à admettre leur destination… mais pour tout le monde, la locomotive un jour part vers d’autres horizons. Mais quels sont-ils, ces horizons ? Que découvrira-t-on à l’arrivée du train ?… Toutes les nouvelles débouchent sur cette interrogation qui mine les personnages et à laquelle aucun d’entre eux ne saurait donner une réponse.
12Les nouvelles mettant en scène des trains, faisant jouer le ressort fantastique du dérèglement de la machine, spatialise le temps et interroge celui-ci moins sur sa durée, sur son écoulement que sur son terme : la mort se profile à l’horizon des rails se perdant dans le lointain.
13La nouvelle « Chasseurs de vieux », en revanche, peut se lire comme une illustration de l’absurdité de la condition humaine, assujettie au caractère inéluctable du temps qui passe et qui entraîne chacun d’entre nous vers sa vieillesse, avant que ce ne soit vers sa mort. Dans cette nouvelle, Buzzati dénonce le caractère insolent et agressif d’une jeunesse sûre d’elle-même, intolérante : les jeunes de la ville se sont organisés en bandes qui, la nuit, donnent la chasse aux « vieux » (les « vieux » sont toutes les personnes de plus de quarante ans) qui sortent imprudemment en ville. Le protagoniste Roberto Saggini a commis l’imprudence de s’arrêter à deux heures du matin pour acheter des cigarettes : il est pris en chasse par les « jeunes racailles ». L’essentiel du récit, mené à la troisième personne, se focalise sur Saggini et sa fuite éperdue… mais une fois la chasse achevée, le regard se tourne vers le jeune chef de bande et son amie… approchant d’un éclairage public, ils s’aperçoivent que leur cheveux ont blanchi.
Maintenant, c’était lui le vieux. Et son tour était arrivé. […] La jeunesse, cette saison, fanfaronne et sans pitié qui semblait devoir durer toujours, qui semblait ne jamais devoir finir. Et une nuit avait suffi à la brûler ? Maintenant il ne restait plus rien à dépenser.11
14Concentrer en une nuit le travail que le temps accomplit en une vie. Inscrit dans la durée d’une vie, au jour le jour, le vieillissement est imperceptible, et pour cela, sauf aux difficiles moments de prise de conscience, moins douloureux. La concentration de la durée met le phénomène à nu, le dépouille des oripeaux protecteurs sous lesquels la durée indolore le voulait cacher.
15Réalité cruelle, donc, et rendue d’autant plus cruelle par le procédé narratif utilisé par Buzzati. Il ne s’agit pas d’avertir le personnage en lui décrivant son futur mais de le mettre brutalement en face d’un autre et de réduire aussitôt cette altérité : l’autre n’est pas un autre, il est une projection du moi sur l’axe temporel, il est un autre moi auquel le temps va me conduire.
16Figure de l’arroseur arrosé, le « chasseur de vieux » est lui aussi une proie, la proie du temps ; et sa course forcenée pour attraper sa victime est aussi fuite autant éperdue que vaine. À cette matérialisation horizontale de la fuite du temps12 fait écho dans l’imaginaire buzzatien son correspondant vertical : le schème de la chute est omniprésent dans l’œuvre narrative, comme par ailleurs dans la peinture, de notre auteur.
17Écho des titres, par exemple, entre « Les sept messagers » et « Sept étages », récit que structure, étage après étage, la descente inéluctable du malade hospitalisé pour une affection légère et qui ne ressortira pas vivant de cet hôpital-existence. Aux déplacements horizontaux des trains correspondent les déplacements verticaux des ascenseurs, dont certains s’écrasent au sol quand d’autres, lentement, continuent à descendre en deçà des étages repérés (« L’ascenseur »)13. Enfin « jeune fille qui tombe… tombe » est la transposition verticale de cette thématique du temps qui passe et de la vieillesse au centre de « Chasseurs de vieux » : Marta, 19 ans, fascinée par la ville qu’elle voit tout en bas, se laisse tomber du haut d’un gratte-ciel… elle n’a qu’une hâte, arriver au pied de l’immeuble où il lui semble que se prépare une fête magnifique. Les habitants des différents étages la voient passer… en autant d’étapes qui s’achèvent au dernier étage où un couple, blasé, commente le passage d’une « vieille, une pauvre vieille toute décrépite ».
18En mettant ainsi en scène un fantastique du temps vécu, Buzzati s’éloigne d’un fantastique classique, auquel pourtant une large partie de sa production se rattache, qui exploite le matériau fantastique traditionnel de la résurgence, de la réminiscence, du retour du passé dans le présent. Dans les nouvelles que nous avons étudiées, les distorsions fantastiques du temps sont l’expression d’une angoisse intime, qui, bien que commune à nombre d’entre nous, appartient par essence à la sphère privée, au rapport singulier que chacun entretient avec le monde qui l’entoure et qui se vit au jour le jour14. De cette angoisse du temps qui passe, Buzzati fait le matériau de son fantastique, transformant l’angoisse du temps en temps de l’angoisse : un présent dont l’homme est impuissant à maîtriser le cours, un présent impossible à « habiter » car il est littéralement aimanté par le futur. Le temps de l’angoisse buzzatien est par essence un anti carpe diem. Ne pouvoir s’inscrire dans le présent interdit de concevoir le futur autrement que sous le signe d’une menace vague et indéterminée, en cela génératrice non de la peur qui implique l’identification du danger, mais de l’angoisse, qui est, elle, du côté de l’attente intranquille. Pour exprimer ces éléments ineffables que sont le temps et l’angoisse, Buzzati utilise le procédé le plus ancien, le plus courant : la spatialisation du temps. Mais il le fait d’une manière tout personnelle, originale et moderne. Le mouvement, le déplacement induisant la durée redonne à l’espace une dimension temporelle, le renversement au sens propre du terme de la figuration usuelle de la ligne horizontale du temps en devenant verticalité, chute, catabase introduit une dimension métaphysique.
19Le recours à la fiction fantastique permet de mettre à distance la le caractère profondément intime de cette angoisse et de lui donner corps, à travers un sentiment de fantastique communicable au lecteur.
20Mais il arrive aussi que chez Buzzati la ligne du temps se révèle malléable, subisse des distorsions : ce sont ce que l’auteur appelle les « smagliature del tempo »15, accrocs dans la trame temporelle du quotidien. La nouvelle homonyme commence par ces considérations :
Le temps, on le sait, est irréversible. Et pourtant, de même que le cours fatal des fleuves permet çà et là des bouillonnements, des tourbillons, des contre-courants qui pourraient presque faire croire à des exceptions à la loi de la pesanteur, de même sur la peau démesurée du temps se produisent parfois de petites crevasses, des verrues, des vergetures qui pour de brefs instants, nous laissent suspendus dans une dimension arcane, aux extrêmes confins de l’existence.16
21Le modèle newtonien est remis en question. Sans y faire référence explicite, Buzzati exploite là les possibilités nouvelles données à l’imaginaire littéraire les théories sur la relativité d’Einstein qui ont, à l’entrée du XXe siècle, bouleversé la conception de l’espace et du temps qui était la nôtre depuis des temps immémoriaux. Le fantastique, et c’est là ce qui le définit, s’attache lui aussi à ébranler nos certitudes sur l’organisation du monde qui nous entoure, à remettre en question les lois qui régissent l’univers, les frontières qui le structurent : ainsi dans « Un goutte d’eau », Buzzati met en œuvre un phénomène fantastique nouveau. La transgression fantastique remet en question la loi de la pesanteur : dans un immeuble de Milan, tous les soirs, les locataires entendent le bruit d’une goutte d’eau… mais cette goutte d’eau « grimpe les marches de l’escalier ». Comment interpréter cela ? Le narrateur convoque toutes les explications possibles (« une image »« une allégorie »« quelque chose de poétique », etc.) pour finalement laisser le lecteur face à l’inadmissible :
Il ne faut pas chercher de double sens, il s’agit malheureusement tout bonnement d’une goutte d’eau, à ce que l’on peut présumer, qui grimpe les escaliers la nuit. Tic, tic, mystérieusement, de marche en marche. Et c’est pour cela que nous avons peur.17
22Parodiant l’incipit de « Vergetures du temps » on pourrait résumer cette nouvelle ainsi : « La chute des corps, on le sait, est irréversible. Et pourtant… » : le caractère irréversible du mouvement engendré par l’attraction terrestre, le « tic tic » de la goutte d’eau, si proche du « tic tac »18 du temps qui passe, omniprésent dans l’œuvre de Buzzati rapproche cette nouvelle de l’interrogation sur le temps. Et Buzzati voit dans Einstein et sa théorie de la relativité un « potentiel fantastique » dont il va se saisir.
23L’incipit de « Vergetures du temps » est suivi de trois courts textes dans lesquels le narrateur nous fait part, à la première personne, de trois expériences étranges et qui ne peuvent s’expliquer que si l’on « croi[t] à des exceptions à la loi de la pesanteur ». Au sein d’un même espace, sur un même lieu se superposent simultanément plusieurs strates temporelles : incursion dans le futur, retour dans le passé… le narrateur chaque fois participe d’un seul espace mais de plusieurs temps différents.
24Ainsi de la première de ces brèves nouvelles « Le martyr » où de nouveau la spatialité du trajet est indissociable des replis de la trame temporelle : le narrateur se rend en voiture de Milan à Erba, mais « juste au sommet du premier tournant », dans lequel on peut bien sûr lire une figuration des « courbures de l’espace-temps », il aperçoit un jeune homme qui fait des signes désespérés. Le narrateur s’arrête, avec un peu de retard, et parcourt à pieds les 300 mètres qui le séparent du jeune homme. Revenant en arrière dans l’espace, il avance au contraire dans le temps, puisqu’il retrouve le jeune homme mort, assassiné, entouré de policiers. Il préfère prendre la fuite… Mais sur le trajet du retour, il s’arrête à l’endroit donné : là encore s’il a rebroussé chemin, il a simultanément fait un saut encore plus important dans le temps puisqu’il découvre une dalle funéraire, portant la date de la mort du jeune homme. Or la date est postérieure de 16 ans au présent de la narration, (et de l’écriture) ! Repartant vers sa voiture chercher un appareil photo et revenant au lieu de l’aberration temporelle, il réintègre le présent et ne trouve plus que « l’herbe courte et rare du bord, c’est tout. »
25Dans « La grand-mère », l’histoire se déroule dans un château : lorsque le narrateur se trouve en haut, il remonte le temps de 50 ans, quand il descend au jardin il réintègre le présent.
26Considérant les nouvelles de Buzzati qui exploitent cette thématique, le lecteur est frappé d’abord par le nombre peu élevé de textes, par la brièveté de ceux-ci et surtout par la nécessité qu’éprouve l’auteur de « théoriser » ses récits ; attitude que l’on ne trouve pas chez Buzzati dans d’autres circonstances. Le récit fantastique autour des aberrations temporelles, en effet, se double d’un appareil critique : incipit théorique ou commentaire. Ainsi de la série de textes regroupés sous le titre général de « Étranges déformations de ce que l’on appelle le temps » : ces textes ont d’abord été publiés dans l’édition italienne de la revue Planète19, revue fondée et dirigée par l’auteur de Matin des magiciens, Louis Pauwels. Trois d’entre eux ont été repris dans le volume posthume Nouvelles inquiètes, et leurs titres affirment d’emblée leur parenté puisqu’ils sont construits sur le même modèle syntaxique : « Le cas Mastorna », « Le cas Hedda Lennon »« Le cas Skoerri ». Dans « le cas Mastorna » on retrouve sur une route, à la fin d’une portion rectiligne, une voiture encastrée dans un platane et contenant les trois corps de la famille Mastorna. Sept mois plus tard, au même endroit, on retrouve la même voiture, contenant les mêmes corps. Mais ceux-ci, à peine découverts, se décomposent d’horrible façon en quelques secondes. La référence à « La vérité sur le cas de M Valdemar » d’Edgar Poe, implicite dans le titre ou dans la durée de sept mois qui sépare une mort de l’autre, est explicitement revendiquée par le narrateur20 qui crée ainsi le lien entre des découvertes scientifiques ayant, chacune à leur époque, ébranlé la science. Dans « Le cas Hedda Lenon », la protagoniste, qui habite au Caire reçoit l’annonce du décès de sa fille qui vit à Londres. Elle part aussitôt pour Londres où elle trouve sa fille en pleine forme, elle rentre au Caire et, trois mois après, elle reçoit la même lettre l’informant du décès, cette fois confirmé, de sa fille. Enfin « Le cas Skoerri » est celui d’un homme qui a tué sa femme : tandis qu’ils faisaient l’amour et approchaient de l’extase, M. Skoerri s’est senti brusquement « tiré en arrière », et contraint à recommencer depuis les prémices ses ébats amoureux… et ceci un nombre épuisant de fois, dont il a rendu sa jeune épouse responsable !
27Chacun de ces textes a donc la particularité d’être suivi d’un commentaire, assez long, par lequel le narrateur se détache de son récit et envisage les événements qui viennent d’être contés. À la façon dont pourrait le faire une commission d’experts, de scientifiques, jugeant le « cas » à partir des témoignages recueillis. Dans le « Cas Mastorna » premier de ces textes, le commentaire en arrive même à excéder le récit (2 pages de récit pour 3,5 de commentaire) : Buzzati « pose » ainsi les fondements théoriques sur lesquels se bâtit l’ensemble des textes et qu’il ne reprendra que rapidement dans les commentaires suivants21. Une autre distanciation s’opère alors : le texte emprunte tout d’abord les apparences d’un texte scientifique mais se donne très vite à lire comme un pastiche ironique : les expressions latines qui émaillent le discours en sont autant d’indices. Un tel procédé permet alors d’amener et de justifier une figure de style moins propre au scientifique qu’à l’homme de lettres : la métaphore.
Et puisque le temps ne peut être conçu comme une substance ni comme une entité en soi, mesurable sans que l’on prenne des points de repères dans divers cadres paramétriques, il est nécessaire d’avoir recours, au moins dans ce cas de figure qui n’appartient pas au cadre scientifique stricto sensu, à une métaphore assez pertinente.
Imaginons donc le temps sous la forme d’une couverture [… ]22
28Le commentaire qui précède ou suit le texte (qui, nous le répétons, est spécifique aux textes mettant en scène les théories de la relativité) assume plusieurs fonctions : il permet à la fois de donner des explications sur la genèse du texte, en décalage par rapport aux habituels ressorts de la création chez Buzzati qui tire de son expérience, de ses rêves mais aussi de son métier de journaliste la matière première de ses récits. À l’origine du récit, donc, la volonté d’illustrer la théorie donnée dans le commentaire, d’en donner un exemple concret. Mais le commentaire dit aussi la difficile position de Buzzati par rapport à des théories qui, pour fascinantes qu’elles soient, n’en restent pas moins difficiles d’accès : d’où cette distanciation ironique par le biais desquels l’auteur signifie son refus d’« usurper » la place du scientifique et s’identifie à son lecteur (au lecteur, en l’occurrence de la revue Planète), non-spécialiste mais intéressé par ce type de sujets. Ainsi le commentaire peut-il se faire le relais des questions que le commun des mortels se posent, sans pour autant que le narrateur les assume à la première personne (« Il est naturel de poser la question suivante […] »« on peut se demander si […] »).
29Ces questionnements permettent aussi de formuler l’aveu d’un échec, l’impossibilité à concevoir abstraitement ces aberrations temporelles : le narrateur semble le concéder à son lecteur mais l’on sent bien que ces hésitations sont celles de l’auteur lui-même !
30« Bien sûr l’explication n’est pas claire et en vérité notre esprit se perd dans les labyrinthes ouverts par cette extraordinaire histoire », « il faut également reconnaître que le cas Mastorna semble, sur le plan conceptuel, excessivement difficile », « c’est une énigme décourageante »« d’autres déformations du continuum-tempus sont beaucoup plus fréquentes et soyons francs, plus concevables »23.
31Ces considérations nous amènent donc à penser l’incipit ou le commentaire non pas comme le lieu d’une explication du phénomène surnaturel ayant pour conséquence de dissiper l’effet de fantastique produit par le récit, mais comme le lieu d’exposition d’une théorie qui loin d’éclaircir le mystère le redouble, loin de fournir une réponse soulève des interrogations infinies… Einstein, en découvrant la théorie de la relativité, bouleverse la conception de l’espace et du temps ; ce bouleversement, à l’égal de la théorie copernicienne, nécessite pour être admis une révolution des mentalités. La réalité rejoint et dépasse les fictions fantastiques. Mais alors que la fiction fantastique n’est qu’un « jeu avec la peur », une parenthèse qui s’ouvre et se referme avec le livre, les théories d’Einstein, si l’esprit humain arrive à les concevoir et à les admettre, menacent la cohésion de notre rapport à l’univers. Séduisantes pour l’imaginaire, ces théories apparaissent également à Buzzati effrayantes pour la raison.
32Et celui qui en est à l’origine devient alors rien moins qu’un allié du Diable. Dans « Rendez-vous avec Einstein », nous rencontrons Einstein précisément où, par un beau matin d’octobre à Princeton, il parvient « à concevoir la courbure de l’espace, longueur, largeur, profondeur, sans oublier cette mystérieuse quatrième dimension dont l’existence est démontrée mais qui demeure interdite au genre humain »24. Mais l’Ange de la Mort, incarné par un « homme de couleur » vient à sa rencontre, il a pour mission de « prendre son âme ». Einstein demande un délai d’un mois pour « terminer un travail important ». Il faudra trois mois à Einstein pour achever son travail, lorsqu’enfin il se rend au rendez-vous que lui a donné l’Ange de la Mort, celui ci le congédie : le rendez-vous différé n’avait qu’un but, qu’Einstein finisse ses recherches :
« - […] ce sont les chefs en bas, les grands démons. Ils prétendent que tes premières découvertes leur ont déjà été très utiles. Ce n’est pas de ta faute mais c’est ainsi. Que cela te plaise ou non, cher professeur, l’enfer s’en est beaucoup réjoui… […]
- Balivernes ! s’irrita Einstein. Qu’y a t-il de plus innocent au monde. Ce sont de petites formules, de pures abstractions, inoffensives, désintéressées… […]
- oh, non tu as bien travaillé, les miens, en bas, seront contents de toi… oh ! si tu savais ! »25
33Qu’en est-il alors de l’écrivain qui se fait complice et lui aussi s’acoquine avec les forces du mal en exploitant les pistes que les théories d’Einstein ouvrent à son imagination ?
34Le fantastique de Buzzati fait du temps un de ses matériaux de prédilection : temps linéaire ou temps malléable, les deux types de temps, les deux conceptions du temps, l’une déjà ancienne l’autre plus radicalement moderne peuvent l’une comme l’autre être des éléments générateurs d’un effet de fantastique, de manières très différentes voire opposées dans l’œuvre de Buzzati. Dans le cas du temps linéaire, nous sommes du côté de l’intime, de l’angoisse du temps ressenti par l’auteur et qui trouve à s’exprimer, à s’« objectiver » dans la fiction fantastique. Les nouvelles de Buzzati, alors, ont des récits à forte charge émotionnelle, d’où émane une vibration particulière. En revanche quand Buzzati exploite les possibilités fantastiques qu’ouvrent les théories d’Einstein, les textes se situent moins du côté de l’affectif que de l’intellectuel. Cette donnée influence la forme même du récit puisqu’alors l’effet fantastique que l’auteur cherche à produire est celui d’un « scandale de la raison », qui butte sur ce qu’elle ne peut concevoir : l’adjonction d’un commentaire vise justement à sortir de la dimension émotive, pathétique véhiculé par le récit d’une histoire affectant des protagonistes très/trop proches de chacun d’entre nous pour analyser cette dernière à l’aune de la raison scientifique. Nous nous trouvons donc face à un fantastique moins personnel, qui s’apparentent davantage, comme le souligne les titres, à des études de « cas ».
35Ces récits qui, par leur contenu, leur forme et leur structure se trouvent certes un peu en marge du reste de la production fantastique de Buzzati mais sans toutefois qu’il y ait solution de continuité. Si Buzzati s’est montré sensible à ces questions scientifiques, c’est également parce qu’elles font écho à des préoccupations qui sont les siennes. En témoignent toute une série de nouvelles, pour certaines liées à la thématique du temps, et dont les titres sont forgés autour du mot « cas » : « Un cas mystérieux », « Un cas intéressant », « Le cas Aziz Maio »« Un cas sans précédent »« Un cas stupéfiant »26 et bien sûr la pièce de théâtre Un caso clinico qu’Albert Camus adapta pour le théâtre français sous le titre Un cas intéressant27. Or cette pièce de théâtre est une réécriture de la nouvelle que nous avons citée plus haut « Sept étages » dans laquelle la progressive catabase de Giuseppe Corte, contraint à descendre un à un les étages de la clinique, pouvait être lue comme la spatialisation, sur le mode vertical, du temps linéaire.
36Temps linéaire ou temps malléable, le temps est générateur d’autant de « cas » sur lesquels l’écrivain Buzzati ne cessera de se pencher !
Notes de bas de page
1 Mes Déserts, entretiens avec Y. Panafieu. Paris : Laffont, 1973.
2 Ibid., p. 117.
3
In quel preciso momento, Milano, Mondadori, 1963 (3e ed.) [En ce moment précis, Laffont, 1965 puis in Œuvres, t. 2, Laffont, 2006 (coll. Bouquins). Traduction J. Remillet.]
Siamo spiacenti di… Milano, Mondadori 1975 (2e ed.) (Nous sommes au regret de… Paris, Laffont, 1982 puis in Œuvres, t. 2, op. cit., trad. Y. Panafieu.)
Nous citons le texte dans sa traduction française. Toutes nos références de pages correspondent aux deux volumes des Œuvres.
4 « I sette messageri » in I sette messaggeri, Milano, Mondadori, 1942 (« Les sept messagers » in Les Sept Messagers, Laffont, 1969 puis in Œuvres, t. 1, op. cit., p. 343-345, trad. M. Breitman.)
5 Ibid., p. 343.
6 Selon la terminologie de J. Fabre in Le Miroir de sorcières, Paris, Corti, 1992.
7 Elzeviro se réfère d’abord aux caractères d’imprimerie créés par le typographe et éditeur hollandais Elzevier. Puis il désigne un texte, imprimé dans ce caractère, qui figure sur la page culturelle (Terza pagina) des journaux italiens, et notamment le Corriere della Sera qui lui donna ses lettres de noblesse. Ce texte pouvait être une critique, littéraire, théâtrale, une réflexion de type philosophique ou un texte de fiction, régi par une contrainte formelle : celle des deux colonnes de la page.
8 « Qualcosa era successo », Il crollo della Baliverna, Milano, Mondadori, 1954 (« Il était arrivé quelque chose », L’Écroulement de la Baliverna, Paris, Laffont, 1960, puis in Œuvres, t. 1, op. cit., p. 229-232, trad. M. Breitman.)
9 « Direttissimo », Sessanta racconti, Milano, Mondadori, 1958 (« Express », Les Sept Messagers, op. cit., puis in Œuvres, t. 1, op. cit., p. 416-420.)
10 « Partire », Le cronache fantastiche di Dino Buzzati, Milano, Mondadori, 2003 (« Partir », Nouvelles inquiètes, Paris, Laffont, 2006, p. 382-388, trad. D. Gachet.)
11 « Cacciatori di vecchi », Il Colombre, Milano, Mondadori, 1966 (« Chasseurs de vieux », Le K, Paris, Laffont, 1972 puis in Œuvres, t. 2, op. cit., p. 794-799, trad. J. Remillet.)
12 « Mais alors que nous nous sommes arrêtés sur le bord du chemin rêvant à des choses étranges, les heures, les jours, les années nous rejoignent un à un, et, avec leur abominable lenteur ils nous dépassent, disparaissant au coin de la rue. Et puis, le matin, nous nous apercevons que nous sommes restés en arrière, et nous nous lançons à leur poursuite. À ce moment précis, pour parler simplement, finit la jeunesse. » (« En ce moment précis », En ce moment précis, in Œuvres, t. 2, op. cit., p. 41.)
13 « L’ascensore » in Il Colombre, op. cit. (« L’ascenseur », Le K, in Œuvres, t. 2, op. cit., p. 816-821.)
14
La nouvelle « Gens de l’angoisse », qui ne relève pas du fantastique, dit l’impuissance du « philosophe » à communiquer au « passant ordinaire » au « bourgeois » l’angoisse existentielle qui le ronge :
« il y a aussi le cauchemar du temps. – Du temps ? – Du temps qui passe, nous voulons dire, qui court, qui file, hier matin il nous semblait avoir tellement d’espace devant nous… hier matin ? il y a une demi-heure, oui ! Mais nous avons fait quelques pas, nous avons regardé autour de nous, juste le strict nécessaire, une fraction de seconde pas plus, et voilà que l’intervalle disponible est déjà entièrement consommé, nous sommes déjà vieux, et cette horrible petite plaisanterie, croyez-le bien, arrive fréquemment et à tout le monde sans exception : à nous, à eux, à vous aussi, monsieur… Et cela vous paraît peu de chose ? - Non, non, je ne le nie pas. Le temps, on le sait bien, est un traître… » (in Nouvelles oubliées, Paris : Laffont, 2009, p. 377.)
15 « Smagliature del tempo », Le Notti difficili, Milan, Mondadori, 1971 (« Vergetures du temps », Les nuits difficiles, Paris, Laffont, 1972, puis in Œuvres, t. 2, op. cit., p. 1096-1099, traduit par M. Sager.) Ces textes ont d’abord paru dans le Corriere della Sera, 7 janvier 1971.
16 Ibid., p. 1096.
17 « Una goccia », Paura alla Scala, Milano, Mondadori, 1949 (« Une goutte », Les sept messagers, in Œuvres, t. 1, op. cit., p. 397.)
18 Dans le Désert des Tartares, Giovanni Drogo entend, la nuit, une goutte d’eau qui tombe et scande le temps qui passe. « Tic tac » est aussi le titre d’une nouvelle (Les nuits difficiles, in Œuvres, t. 2, op. cit., p. 1054-1057.)
19 Planète était une revue bimestrielle éditée entre 1961 et 1971 qui reprenait les différents thèmes abordés dans l’ouvrage de Jacques Bergier et Louis Pauwels, Le Matin des Magiciens, et qui se présentait comme le porte-parole du mouvement du réalisme fantastique. La revue Planète, dont le slogan était « Rien de ce qui est étrange ne nous est étranger ! », était « destinée aux masses les plus larges » selon Louis Pauwels. Les ambitions de la revue, qui rassemblait des textes de science-fiction, des articles ésotériques et insolites et des essais d’écrivains, visaient plus à un objectif de remue-méninges qu’à empiéter sur les plates-bandes de revues classiques de vulgarisation scientifique, même si un sondage révéla que 44 % des lecteurs de Planète étaient aussi lecteurs de Science & Vie. Planète sera éditée dans une douzaine de langues étrangères avec des déclinaisons en Europe et en Amérique du Sud (Pianeta, Horizonte, Planeta, Bres, Planet, etc.), ainsi qu’une édition en langue arabe en 1969. http://www.recherche.fr/encyclopedie/Plan%C3%A8te_%28revue%29.
20 « Exactement ce qui était arrivé au personnage imaginaire de M. Valdemar dans une nouvelle de Poe, mais pour de tout autres raisons, comme on le comprit plus tard », « Le cas Mastorna », Nouvelles inquiètes, op. cit., p. 326.
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« Ici aussi il paraît avéré que l’on se trouve devant une déformation du temps. Lequel, pour Hedda Lennon, prit un rythme bien plus rapide que pour le reste du monde », « Le cas Hedda Lennon », ibid., p. 78.
« Cette nuit-là, dans la chambre à coucher de la maison Skoerri, le tissu-temps s’était froncé de minuscules plis, de telle sorte que le temps lui-même avançait et retournait en arrière en des vagues successives, conduisant à la folie homicide un parfait gentilhomme », « Le cas Skoerri », ibid., p. 81.
22 « Le cas Mastorna », ibid., p. 329.
23 Ibid., p. 329-330.
24 « Appuntamento con Einstein », Il crollo della Baliverna, op. cit. (« Rendez-vous avec Einstein », L’écroulement de la Baliverna, in Œuvres, t. 1, op. cit., p. 266.)
25 Ibid., p. 270.
26 « Un cas mystérieux », Nouvelles inquiètes, op. cit., p. 162-169, « Un cas intéressant », En ce moment précis, op. cit., p. 38-39 « Le cas Aziz Maio », Nouvelles oubliées, Paris, Laffont, 2009, p. 339-355 (cette nouvelle a été choisie par R. Caillois pour figurer dans son anthologie du fantastique), « Un cas sans précédent », Nous sommes au regret de…, op. cit., p. 520-521, « Un cas stupéfiant », En ce moment précis, op. cit., p. 181.
27 Un caso clinico, Milano, Mondadori, 1953 (Un cas intéressant, in L’avant scène, 1945. Et puis in Théâtre, Récits et Nouvelles d’Albert Camus, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1962, puis in Dino Buzzati, Œuvres, t. 1, p. 697-760.
Auteur
Université Michel de Montaigne Bordeaux 3
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