Didon à Carthage : un sacrifice de fondation
p. 13-21
Texte intégral
1À la suite d’Augustin pleurant dans sa jeunesse sur les malheurs de Didon1, qui ne s’est pas ému au plus profond du cœur en lisant les pages bouleversantes de Virgile sur son héroïne préférée, ou en écoutant les ultimes et sublimes accents déchirants de sa voix dans l’opéra de Purcell, ou celui de Berlioz ?
2Or – sans que cela nous empêche de nous émouvoir –, nous n’ignorons pas que la fondation de Carthage est généralement datée de 814 av. notre ère ; Énée, personnage surgi de la légende troyenne, est censé s’être enfui de Troie en flammes, dans les années 1215 av. notre ère, selon la chronologie « haute » traditionnelle. La rencontre entre ces deux figures d’exception et leurs amours contrariées – telles qu’elles nous sont rapportées par Virgile, dans l’Énéide – ne sauraient donc nullement reposer sur quelque légende, encore moins sur quelque élément historique quelconque.
3Mais précisément quelles sont donc les données historiques dont nous disposons ?
*
De la Phénicie à Carthage
Les Cités-États phéniciennes2
4Il nous faut remonter quelques siècles en arrière, pour considérer cette civilisation extrêmement brillante, cette culture très spécifique – en religion, droit, administration, diplomatie – : c’est ainsi que nous apparaissent ces Cités-États phéniciennes florissantes, tout entières tournées vers la mer en raison même de la configuration du relief, civilisation de navigateurs par excellence, civilisation de commerçants, qui a essaimé dans toute la Méditerranée3.
5Si nous devions évoquer rapidement quelques dates, rappelons la fondation de Gadès / Gadir, en 1110 ; celle du comptoir de Lixus4 sur la côte atlantique du Maroc ; celle de la célèbre Tarsis - Tarshish - Tartessos, que l’on situe aujourd’hui en Bétique, près de l’embouchure du Guadalquivir ; celle de Kittion, sur l’île de Chypre ; celle d’Utique, en 1101. Des premières années du XIIe siècle datent les premiers contacts avec la civilisation mycénienne qui lui emprunte son alphabet. Les siècles suivants virent la domination assyrienne : 678, c’est le sac de Sidon par Assarhadon (680-669). Mais cela n’empêche pas ces Cités-États de développer, dès le VIIIe siècle, des colonies en Sardaigne (Tharos, Sulcis, Cagliari, puis Bithia), Malte, Sicile (Motyé). Puis, peu à peu, cette brillante civilisation s’effacera et, pour finir, c’est en 332 qu’Alexandre le Grand s’empara de Tyr et la détruisit.
6Mais, entre-temps, Tyr avait vu grandir sa « Fille » : Carthage.
La Fondation : Elissa entre Légende et Histoire5
7Le Départ en Exil. Nous sommes en 814 av. notre ère6. La tradition nous rapporte qu’une Princesse tyrienne du nom d’Elissa – dont le nom est largement attesté sur des stèles puniques –, fille du Roi de Tyr, Mutto/Matan, avait épousé son oncle Sicharbas ; or ce nom théophore – comme dans les civilisations sémitiques, en particulier – est la transcription grecque (dont Virgile a fait « Sychæus ») du punique « Zi-Ker-Ba’al » – c’est Servius lui-même qui nous le rappelle7 – ; il était Grand-Prêtre de Milk-Kart. Le frère d’Elissa, Pygmalion, fomenta une révolution de palais, assassina Zi-Ker-Ba’al, ce qui contraignit Elissa à l’exil8. Elle s’embarqua avec l’élite de l’aristocratie tyrienne, et s’enfuit des rivages de Phénicie. Elle fit escale en route, sur les rivages de Chypre, rendit hommage à la déesse qu’elle y trouva – que les Grecs nommèrent Héra –, puis repartit, non sans avoir emmené, pour se mettre sous sa protection, la statuette de la déesse.
8La Fondation. C’est ainsi qu’elle accosta, un jour de l’année 814, à des rivages inconnus, décidée à fonder la « Nouvelle Tyr », la « Ville-Neuve » - qrt-hdst Kart-Hadasht9. Ici, les récits de fondation mêlent allègrement légendes et Histoire10. D’abord très mal accueillie par les populations locales qui l’affublèrent du sobriquet « l’Errante » - Dido11, elle fut, par la suite, demandée en mariage par Hiarbas (selon Justin), ou Iopas (selon d’autres traditions), tous deux rois de royaumes libyens – rappelons que les Anciens nommaient « Libye » toute l’Afrique du Nord actuelle – ; elle feignit d’accéder à leur désir, mais, par fidélité à Tyr et son époux, elle se sacrifia12.
9Telles sont donc les quelques données historiques dont nous disposons.
10Mais voici un témoignage récurrent chez les Anciens eux-mêmes qui appelle des éclaircissements :
« Tant que Carthage demeura invaincue, <Elissa> fut honorée comme une déesse »,
nous dit Justin13. Une confrontation avec l’histoire religieuse du Proche-Orient s’impose donc.
Dieux et Rites : Le Sacrifice du Premier-né
De la Phénicie…
11Les grandes Cités-États étaient Tyr – fondée en 2750 av. notre ère, en même temps que le Temple de Milk-kart14 –, Ugarit (la plus brillante civilisation, si l’on en juge d’après les données archéologiques et l’un des lieux emblématiques de la naissance de l’Écriture), Sidon – qui a pour divinité tutélaire Eshmoun –, Byblos, Arwad – qui a pour divinité tutélaire Dagon, dieu du blé –.
12Du rite central connu sous le nom de « Sacrifice du Premier-né », qui remonte à une époque bien plus ancienne15 – rite de fondation, qui doit marquer le début d’une nouvelle ère, d’une nouvelle page de l’Histoire –, les textes des Écritures Juives conservent des traces16. En tout état de cause, il n’est pas douteux que la « Ligature d’Isaac »17 – improprement appelée « Sacrifice d’Isaac » – relève de ce rite très ancien18. Le Prophète Jérémie reprochait amèrement au peuple de Jérusalem d’avoir
« construit des hauts-lieux de Ba’al dans la vallée de Ben-Hinnom pour faire passer par le feu ses fils et filles selon le rite du Molek »19.
13Mais, assez vite, semble-t-il, apparut le rite du Sacrifice de substitution : le Molchomor « Sacrifice de l’Agneau ». Il n’est pas douteux que la « substitution » du bélier à Isaac soit un écho de ce rite. Il n’est pas non plus douteux que ce double rite ait donné naissance à la double version du « Sacrifice d’Iphigénie », rite fondateur de l’installation des Mycéniens sur la côte W. de l’Anatolie.
… à Carthage
14Du sacrifice rituel d’enfants, hérité de l’ancienne Tyr – mais ce terme de Molek - Molk20 a servi à désigner spécifiquement le rite carthaginois21 –, nous possédons plusieurs témoignages, littéraires et archéologiques. Battu à Himère, en Sicile, en 480, par Gélon, tyran de Syracuse, Hamilcar se précipita, en victime sacrificielle, dans le brasier de Ba’al Hammon et Tanit Péné Ba’al, pour expier sa défaite22. En 409, trois mille prisonniers furent offerts en holocauste par Hannibal23. Le document littéraire le plus explicite à cet égard est celui de Diodore de Sicile, évoquant le siège de Carthage, en 310, par le tyran de Syracuse, Agathocle24. Il convient de lui adjoindre les témoignages laissés par de nombreuses inscriptions, ainsi que par des textes de Tertullien25 et de Plutarque, et surtout par les vestiges d’un « cimetière - Tophet26 » à Carthage27 et à Hadrumète28. Le sacrifice avait lieu pendant la nuit, accompagné par des joueurs de flûte et de tambourin : les parents ne devaient pas pleurer et, au contraire, chercher à apaiser l’angoisse de l’enfant29. Le rite (la victime était d’abord égorgée, puis jetée dans la fournaise) était directement calqué sur le modèle tyrien ; les cendres des victimes étaient ensuite recueillies dans des urnes et conservées dans un sanctuaire de plein air, le Tophet, justement.
15L’évolution avait, en fait, commencé à se produire dès le VIe siècle ; le Molk avait cédé la place au Molchomor - sacrifice de l’Agneau30. On sait en tout cas que, depuis la dynastie des Barcides (ca 230 av. notre ère), les immolations d’enfants étaient remplacées par des sacrifices d’oiseaux. Mais les documents archéologiques – le Tophet de Carthage, par exemple – montrent que les sacrifices d’enfants (ou d’adultes31) subsistèrent, même plus sporadiquement, jusqu’à la chute de la Carthage Punique, voire clandestinement dans la Carthage Romaine.
La mort d’Elissa, Rituel de Fondation
16À la lumière de ces documents, aucun doute, semble-t-il, ne serait permis à propos de la mort d’Elissa-Didon.
Elissa-Didon, la victime sacrificielle
17Tel est bien le témoignage rendu par les Anciens : c’est exactement selon le rite phénicien antique que Elissa-Didon-la-Fondatrice se sacrifia, selon le fer, puis selon le feu32. Mais qui préside au sacrifice ?
Elissa-Didon, la Prêtresse
18Il se trouve, très opportunément pour nos analyses, que les épitaphes et les ex-voto puniques nous apprennent que le sacerdoce était souvent aux mains des grandes familles de l’aristocratie ; de plus, le Chef des Prêtres - « Rab Kohenin » pouvait très bien être une femme33. Femme du Grand-Prêtre, Elissa n’aurait-elle pas, après l’assassinat de son époux, été investie, au sein de la colonie tyrienne en exil, de la fonction sacerdotale suprême ? D’autre part, la « première-née » de Kart-Hadasht « La Ville-Neuve », c’est bien elle aussi. Ne serait-elle pas, pour la tradition antique, à la fois la Prêtresse et la victime de ce « sacrifice de fondation » dans la plus pure tradition cananéenne / phénicienne ?
Elissa-Didon divinisée
19Les deux divinités centrales du panthéon carthaginois étaient Ba’al Hammon – « le Maître du Brasier » (ou « autel à parfum » ?) et Tanit Péné Ba’al – « Tanit, Face de Ba’al » (?). Nous ne saurions résoudre le difficile problème de savoir si Tanit est un nom d’origine (proto-) libyque34 ou non35. Toujours est-il que la figure de Tanit – qui a assumé dans la Tyr de l’Occident les fonctions de l’Ashtart de la mère-patrie36, Ashtart, déesse de la Fécondité –, n’est assurément pas étrangère à celle d’Elissa37. On connaît le très beau « Signe de Tanit », représenté, tantôt comme un triangle – figurant un corps humain – avec les bras d’un(e) orant(e), surmonté du croissant lunaire ; tantôt comme un « signe-bouteille » : un triangle (ou trapèze), avec (ou sans) coins élevés, au-dessus d’un rectangle avec le « Signe de Tanit » ; tantôt comme un bétyle38 isolé, ou une triade de bétyles - piliers.
Des traces dans le poème virgilien
20Nous ne pouvons qu’évoquer très rapidement certaines « traces » de ce rituel dans le Chant IV de l’Énéide. Il nous semble, en effet, que plusieurs des vers pourraient bien prendre un relief tout autre si on les mettait en « correspondances » avec les fonctions religieuses d’Elissa.
21Ainsi, la frange (limbo39) du vêtement de Didon ne pourrait-elle pas évoquer cette épitoge frangée que portaient les membres du clergé punique40 ? On comprend plus simplement aussi qu’elle accomplisse elle-même (ipsa41) les sacrifices, offrant en holocauste une vache (candentis uaccæ42) selon le mode prescrit par exemple par le Tarif sacrificiel dit « de Marseille »43, et aussi qu’elle soit la seule (hoc uisum nulli44) à avoir vu
« lorsqu’elle chargeait d’offrandes l’autel où brûlait l’encens – prodige horrible à dire –, se noircir l’onde sacrée et en un sang impur se changer le vin sacrificiel »45.
22L’expression « instaurat diem »46, si difficile à interpréter47 peut, me semble-t-il, s’éclairer d’un jour nouveau si l’on pense à cette formule rituelle que l’on trouve, par exemple, sur une stèle de Teboursouk (en Tunisie), en latin48 et en néo-punique : « Par ce Jour béni et heureux… », formule qui inaugure les sacrifices rituels49. Elissa-Didon ne voudrait-elle pas, dans son délire, réitérer rituellement le « Jour béni et heureux » de la Première rencontre ?
23De même, le vers :
« Hélas ! Que les devins sont ignorants ! »50
24pourrait revêtir un sens plus riche et plus tragique que ne le laisseraient supposer des parallèles textuels avec des textes postérieurs51 : les devins, ce sont Elissa la Prêtresse et son auxiliaire Anna. Ce vers n’est pas une parole que l’on pourrait croire de scepticisme religieux, mais une admirable parole tragique : Didon et Anna ne savent pas que la vraie victime de ce sacrifice-ci est Didon elle même, brûlée par la flamme de la passion52. Femmes-Devins, hélas ! doublement aveugles, car elles ne savent pas non plus que ce sacrifice est la figure tragiquement anticipatrice du sacrifice final53. En effet, chez Virgile, exactement comme dans la tradition historique, Didon apparaît comme victime et prêtresse d’un Molk : de Regina Dido - « l’Errante », elle va devenir moriens Elissa54, Elissa mettant fin à l’errance de son peuple par ce sacrifice fondateur55.
25Pour terminer, puis-je ajouter (c’est une notation un peu « impressionniste », je le reconnais) que la coiffure de Didon (nodantur in aurum)56 me fait singulièrement penser au profil de Tanit sur les monnaies carthaginoises ?
26Tous ces éléments nous invitent donc à nous représenter cette scène avec les caractères propres de la fondation sacralisée de la « Tyr de l’Occident ».
*
27Voilà donc plusieurs indices récurrents qui nous invitent très fortement à considérer la mort d’Elissa-Didon comme un sacrifice de Fondation, suivi de la divinisation de la victime. Quelle belle illustration de la conjonction entre la Violence et le Sacré !
28Mais pourquoi faut-il donc que, pour tourner une page de l’Histoire, il faille une victime consacrée ? Pourquoi ce sang versé ? Pourquoi « le premier-né »/ « la première-née » ? Assurément, le Molchomor – ce « sacrifice de substitution » – apparaît-il comme une forme « adoucie » – encore que, comme nous l’avons rappelé, lors du siège de Syracuse, en 310, on en soit revenu au « vrai » sacrifice –.
29Autant de questions délicates que l’on ne saurait, me semble-t-il résoudre par le seul recours au désir de sacraliser les (nouvelles) origines.
30Peut-on tenter de recourir à une (des) hypothèse(s) fondée(s) sur une anthropologie générale ? Rien n’est moins sûr, me semble-t-il…
31Nous nous sommes volontairement limités à une sphère culturelle (relativement) restreinte, celle de la tradition cananéenne et ses rémanences et résonances dans le Proche-Orient antique.
32Cela nous suffit pour nous donner le vertige devant le mystère insondable de la sacralisation de la Violence humaine…
Notes de bas de page
1 Augustin, Les Confessions, I, XIII. 20.
2 Voir Michel Gras, Pierre Rouillard & J. Teixidor, L’Univers phénicien, Paris, Arthaud, 1989.
3 Voir Ez 27, 1-33. Une question délicate s’est posée : on a, en effet, longtemps pensé que le nom grec de la pourpre (phœnix) avait été à l’origine du nom du peuple phénicien ; selon une autre étymologie, le terme grec signifierait « Peuple des palmiers » ; autant d’analyses curieuses à laquelle il convient, semble-t-il, de préférer une interprétation plus récente : phœnix serait bien un mot sémitique, à l’origine du nom de « Phénicie » ; ce peuple étant commercialement réputé pour l’art d’extraire un colorant d’un coquillage à chair violacée (le murex), c’est bien ce dernier qui a pris le nom du peuple et non l’inverse – notons en passant que, à la suite des Écritures juives (voir Dt 3, 9 ; Jg 10, 12 ; 1 R 5, 20 ; etc.), les historiens grecs appelleront « Sidonienne » la civilisation phénicienne –. Sur les ateliers de teinturerie à Carthage, Djerba, Mogador, voir Strabon, XVII, 3, 18 ; Pline, Histoire naturelle, IX, 127 ; Horace, Odes, II, 16, 35 ; Tibulle, II, 3, 59.
4 Voir Pline, Histoire naturelle, XIX, 63.
5 Nous avions déjà développé quelques points dans « Didon et Énée. Essai d’interprétation d’une fresque (Virgile, Énéide, IV, 129-168) », Eidôlon, 28, Bordeaux 3, 1986, p. 15-57.
6 Selon les Annales tyriennes et assyriennes, nous serions dans les années 825-819. Timée de Tauromenion la situe trente-huit ans avant la première Olympiade (= 814 av. notre ère).
7 Servius, ad Æn., I, 343.
8 Ce drame familial n’est guère attesté en dehors de nos sources énoncées ; est-il compatible avec les liens constants attestés entre Carthage et Tyr, jusqu’à la chute de cette dernière ?
9 Voir Servius, ad Æn., I, 366 : « Carthage signifie, en langue punique, “Cité-Neuve”, comme l’enseigne Tite-Live (Carthago est lingua Pœnorum Noua Ciuitas, ut docet Livius) ».
10
On connaît au moins deux légendes d’origine grecque, rapportées par Justin, XVIII, touchant à la fondation de Carthage par Elissa :
• La première concerne le nom de Byrsa (la colline-Acropole du site), à rattacher à un terme d’origine punique qui pourrait signifier « citadelle » ; à partir d’un jeu sur les signifiants, on inventa que le Roi des populations locales, Hiarbas, autorisait Elissa à installer son peuple sur un territoire correspondant à la surface qu’occuperait la peau d’un bœuf (en grec : byrsa) ; Elissa fit découper la peau en très fines lanières jointes bout à bout (vingt-deux stades, soit quatre mille soixante-dix-sept mètres de pourtour, selon Servius)…
• La seconde concerne un crâne de cheval qui aurait été découvert au moment où se creusaient les fondations de la ville ; on y aurait vu le présage que Carthage était appelée à dominer le monde ; on sait, en tout état de cause, que le cheval était un thème récurrent sur les monnaies puniques.
C’est bien de cet ensemble de récits que fait état Virgile, Énéide, I, 338-370, pour narrer la fondation de Carthage.
11 Voir Timée de Tauromenion, fr. 23 (= F.G.H., ed. Müller, I, p. 197) : « [Elissa] aborda la Libye, où elle fut appelée Didon par les indigènes, en raison de ses nombreuses pérégrinations ».
12 Voir Timée de Tauromenion, fr. 23 (= F.G.H., ed. Müller, I, p. 197) : « Lorsqu’elle eut fondé la ville, le roi des Libyens voulut l’épouser. Elle s’y refusa. mais comme des concitoyens prétendaient l’y contraindre, elle feignit d’accomplir une cérémonie destinées à la dégager de ses serments : elle fit dresser et allumer un très grand bûcher près de sa demeure, puis, de sa maison elle se jeta dans le feu ».
13 Justin, XVIII, 6.
14 Voir Hérodote, II, 44.
15 En fait, nous sommes assez mal renseignés sur ce rite antique de fondation : sacrifice du « Premier-né » ou de « l’Enfant Royal » ? Le « Sacrifice de substitution » remonterait-il déjà à cette époque ?
16 Voir 2 R 23, 10 : les sacrifices en Judée dureront jusqu’à Josias (au VIIe siècle) ; Lv 18, 21 : le nom de Moloch-Melek évoque celui de Milkom, roi des Ammonites ; Jg 11, 20-39 : l’épisode de la Fille de Jephté ; etc. Voir R. Dussaud, Les origines cananéennes du sacrifice chez les Israélites et les Phéniciens, Paris, E. Leroux, 1914.
17 Voir Gn 22.
18
Voir 1 R 16, 34 : la fondation de Jéricho, citadelle fortifiée ; voir 1 R 11, 15.
« L’étude des textes d’Ugarit a permis l’élargissement et même le renouvellement total de notre savoir sur la religion phénicienne et sur celle de sa sœur punique d’Occident. Ce sont, en particulier, les poèmes mythologiques et les textes religieux datant du XIVe et du XIIe siècles, trouvés parmi les ruines de la résidence du Grand-Prêtre à Ras-Shamra entre le temple de Ba’al et celui de Dagon, qui nous ont éclairés sur les grandes lignes de la religion ugaritique, elle-même reflet de celle des autres cités phéniciennes et puniques, ou, plus exactement, représentant le tronc commun dont devaient émerger les divers rameaux qui devaient s’épanouir en Phénicie et à Carthage.
« Elle souligne elle-même l’étroite parenté qui lie le fond cananéen à la religion israélite (antérieure à Moïse) et à celle des Phéniciens et des Puniques, qui surent préserver dans la “Tyr de l’Occident” durant des siècles, par un farouche conservatisme, les rites, les croyances et les pratiques religieuses en même temps que les traditions commerciales de la mère-patrie » (S. E. Tlatli, La Carthage Punique, Paris, Maisonneuve, 1978, p. 173).
19 Jr 32, 35.
20 Ce terme se retrouve dans la Bible en Jr 32, 35, décrivant les sacrifices d’enfants premiers-nés à Ba’al-Hammon. Il apparaît aussi sur les inscriptions les plus anciennes du Tophet (dès le VIe siècle) : « Nesib Molk Ba’al ».
21 Voir J.-G. Février, « Essai de reconstitution du sacrifice molek », Journal Asiatique, ccxlviii, 1960, p. 167-187.
22 Voir Hérodote, VII, 166-167.
23 Voir Diodore de Sicile, Bibliothèque Historique, XIII, 4.
24 Diodore de Sicile, Bibliothèque Historique, XX, 14, 4 : « <Les Carthaginois>, estimèrent que Kronos [= Ba’al-Hammon] leur était hostile. En effet, eux qui auparavant sacrifiaient à ce dieu les meilleurs de leurs fils*, s’étaient mis à acheter secrètement des enfants qu’ils nourrissaient, puis envoyaient au sacrifice. Après enquête, on s’aperçut que certains des enfants immolés avaient été sacrifiés à la place d’autres. En considérant ces choses, et en voyant l’ennemi campé devant leurs murs, ils éprouvèrent une crainte religieuse, à l’idée d’avoir ruiné les honneurs traditionnels dus aux dieux. Brûlant du désir de réparer leurs errements, ils choisirent deux cents enfants des plus considérés, et les sacrifièrent au nom de l’État ; d’autres, qui étaient accusés, se livrèrent d’eux-mêmes ; leur nombre atteignit trois cents. Il y avait à Carthage une statue de Kronos en bronze, les mains étendues – la paume en haut – et penchées vers le sol, en sorte que l’enfant qui y était placé roulait et tombait dans une fosse pleine de feu ». {* Rien ne laisse supposer que ce rite était obligatoirement imposé à chaque famille ; cf. J.-G. Février, « Essai de reconstitution du sacrifice molek », art. cit., p. 177 et suiv.}.
25 Tertullien, Apologétique, IX, 2 ; ad Nationes, II, 12, 17.
26 Le terme n’existe pas dans les inscriptions puniques ; il a été repris, par analogie, aux textes bibliques (ainsi Jr 7, 31 ; 19, 11 ; 2R 23, 10 ; etc.) désignant la fosse funéraire où reposaient les cendres des victimes du Molk Cananéen.
27 Ce Tophet fut découvert en 1921, non loin du centre même de Carthage, sur la plage de Salammbô, où Elissa-Didon avait débarqué. D’après les dépôts archéologiques (céramiques grecques accompagnant les offrandes sacrificielles), on peut dater la partie la plus ancienne des environs de 725 av. notre ère jusqu’à 600, puis la deuxième strate de 600 à 300, enfin la dernière de 350 à 146. Il est de dimensions imposantes (environ 150 m x 60 m) ; les fouilles s’étendent à ce jour à sept mètres de profondeur sur certains points. Des milliers d’urnes ont été découvertes, contenant des restes d’enfants calcinés – pour la plupart âgés d’environ deux ans, ou moins, et, à titre exceptionnel, âgés d’une douzaine d’années –. On connaît aussi d’autres Tophet dans l’Empire carthaginois : à Hadrumète (Sousse), à Motyé (Sicile), en Sardaigne surtout, à Nora, Cagliari, Sulcis, Monte Sirai, et Tharros (le plus grand de tous les Tophet).
28 Ce Tophet remonte aux années 530 av. notre ère.
29 Voir Tertullien, Apologétique, IX, 2 : « <illos> quidem parentes sui offerebant ; et libenter respondebant et infantibus blandiebantur, ne lacrimantes immolarentur ». Voir l’une des stèles du Tophet de Carthage-Salammbô représentant l’officiant tenant dans ses bras un enfant destiné au sacrifice (Ve-IVe siècles av. notre ère).
30 Quelquefois on sacrifiait des fœtus avortés.
31 Voir Diodore de Sicile, Bibliothèque Historique, XIII, 4, cité supra.
32 Voir Timée de Tauromenion, F.H.G., fr. 23, cité supra. Justin, XVIII, 6, donnera plus de détails : « Elle fit dresser un bûcher dans la partie la plus reculée de la ville, comme si elle avait l’intention d’offrir un sacrifice […] ; elle immola beaucoup de victimes, puis elle prit une épée, monta sur le bûcher, et […] mit fin à sa vie avec son épée ». Est-ce utile de rappeler, à l’appui de notre hypothèse, que, dans le Molk phénicien déjà, la victime était égorgée avant d’être précipitée dans la fournaise (par les mains- ?-de la statue) de Ba’al-Hammon, « le Maître du Brasier » ?
33 Les inscriptions nous révèlent le nom d’une femme « Grand Pontife », Mattanba’al.
34 C’est la thèse de S.E. Tlatli, La Carthage Punique, op. cit., p. 176 ; d’après les « Notes de lexicographie berbère » de R. Basset, il rapproche le nom de Tanit d’un vieux mot africain « Tanet-Tanit-Tamit », signifiant « femme ».
35 « Il n’y a aucune raison qui permette d’attribuer une origine libyque à la Dame (Rabbat) de Carthage » (F. Decret, Carthage ou l’Empire de la mer, op. cit., p. 135).
36 Voir S.E. Tlatli, La Carthage Punique, op. cit., p. 173, cité supra.
37 On connaît aussi ce magnifique profil de Tanit sur les monnaies carthaginoises.
38 On sait que l’on désigne sous ce nom une pierre dressée ; le terme dérive de Beth-El - « demeure de Dieu ».
39 Énéide, IV, 137.
40 Pensant à ce magnifique sarcophage, dit « de la Prêtresse » (Musée de Carthage), nous sommes très tentés de suivre le P. Delattre, « Les grands sarcophages anthropoïdes du Musée Lavigerie », Cosmos, 1903, p. 17 : « Serait-ce Tanit, ou, mieux encore, Didon, qui, d’après les auteurs anciens, fut honorée comme déesse tant que dura Carthage ? On reconnaîtra peut-être un jour que la déesse Tanit n’est autre que Didon déifiée par les Carthaginois ».
41 Énéide, IV, 60.
42 Énéide, IV, 61.
43 Ce « Tarif sacrificiel », découvert sous la Cathédrale de Marseille en 1847, date du IIIe siècle ; il était affiché à la porte du temple de Ba’al-Çaphon à Carthage. Voir J.G. Février, « Remarque sur le tarif des sacrifices de Marseille », Cahiers de Byrsa, 1959.
44 Énéide, IV, 456
45
Énéide, IV, 453 et suiv. :
« Visit, turicremis cum dona imponeret aris,
(horrendum dictu) latices nigrescere sacros
Fusaque in obscenum se uertere uina cruorem ».
46 Énéide, IV, 62.
47 Voir Michel Martin, « La rencontre du deuxième jour a-t-elle eu lieu ? », Orphea Voce, 2, Bordeaux, PUB, 1985, p. 197-216.
48 Le latin deviendra la langue liturgique à partir du IIIe siècle ap. J.-C. Voir F. Decret - M. Fantar, L’Afrique du Nord dans l’Antiquité, Paris, Payot, 1981, p. 271.
49 F. Decret - M. Fantar, L’Afrique du Nord dans l’Antiquité, op. cit., p. 271.
50
Énéide, IV, 65 :
« Heu uatum ignaræ mentes ! ».
51
Voir :
• Silius Italicus, Punica, VIII, 100 :
« Heu ! sacri uatum errores » ;
• Apulée, Métamorphoses, X, 2 :
« Heu medicorum ignaræ mentes ! ».
52
Énéide, IV, 66 :
« Est mollis flamma medullas ».
53 On voit bien ici que Virgile a suivi la tradition rapportée par Timée de Tauromenion, F.H.G., fr. 23 (voir supra).
54 Énéide, IV, 610. « Moriens - mourante » et non pas : « mortua - morte ».
55 C’est cette superposition de personnages qui, selon nous, justifie, dans le merveilleux passage d’Énéide, IV, 584-629, la différence de ton : c’est d’abord Didon, la victime, qui parle (v. 590-604), puis Elissa, la prêtresse (v. 605-629).
56 Énéide, IV, 133.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les Dieux cachés de la science fiction française et francophone (1950- 2010)
Natacha Vas-Deyres, Patrick Bergeron, Patrick Guay et al. (dir.)
2014
C’était demain : anticiper la science-fiction en France et au Québec (1880-1950)
Patrick Bergeron, Patrick Guay et Natacha Vas-Deyres (dir.)
2018
Ahmadou Kourouma : mémoire vivante de la géopolitique en Afrique
Jean-Fernand Bédia et Jean-Francis Ekoungoun (dir.)
2015
Littérature du moi, autofiction et hétérographie dans la littérature française et en français du xxe et du xxie siècles
Jean-Michel Devésa (dir.)
2015
Rhétorique, poétique et stylistique
(Moyen Âge - Renaissance)
Danièle James-Raoul et Anne Bouscharain (dir.)
2015