Le Recueil des Letres missives, Discours et Harangues familiaires de Jean de la Gessée (1579), un recueil exemplaire ?
p. 159-172
Texte intégral
1Au XVIe siècle, la production éditoriale française dans le domaine de l’épistolaire en vernaculaire, fortement influencée par la mode italienne, présente par rapport à son modèle d’outre-monts un fort décalage chronologique et des débuts sporadiques : rien à voir avec l’efflorescence, la prolifération recensée par Jeannine Basso1. Et ironie, ou logique, de l’histoire littéraire, le premier épistolier vernaculaire français fut bien en 1553 un Florentin condamné au bilinguisme par les hasards de sa vie, Gabriel Symeoni2. Il faudra d’ailleurs attendre 1586, année où paraissent les Lettres d’Étienne Pasquier chez Abel L’Angelier, pour voir consacrée l’entrée en littérature française du genre épistolaire3. Entre les vingt-quatre lettres de l’Epitomé de Symeoni (1553) et la première livraison des Lettres de Pasquier, soit durant plus d’une trentaine d’années, de très rares amateurs ou professionnels du genre ont porté leurs œuvres aux presses, ou, plus probablement, cédé aux sollicitations de libraires soucieux d’exploiter un filon fructueux. En 1569, Gaspard de Saillans, donne à lire dix-sept lettres rédigées par lui-même et son entourage4 dans son Premier livre de Gaspar de Saillans gentilhomme citoyen de Valance en Dauphiné, publié à Lyon par Jacques de La Planche. Contemporain de ce livre tout à fait original, destiné à un lectorat familial et amical, et, partant, faiblement diffusé5, paraît un « best seller » de l’épistolaire rédigé par un professionnel du secrétariat. Les deux cent trente-neuf Lettres missives et familieres d’Étienne Du Tronchet, soi-disant alors même qu’il ne l’est pas vraiment, « secretaire de la Royne mere du Roy »6, ont en effet connu, entre 1569 – date de leur sortie en librairie chez le Parisien Lucas Breyer associé à Nicolas du Chemin – et 1586, douze éditions, et vingt-sept entre 1569 et 1623. Beaucoup de facteurs expliquent le succès de ce livre : la personnalité du « secrétaire » ou du moins celle qu’il s’y construit, la diversité des genres abordés (de la lettre consolatoire à la lettre de sollicitation en passant par la lettre d’amour), l’hétérogénéité des destinataires (de sa propre fille à la reine-mère), la variété en conséquence des tons, le style orné à l’italienne, les nombreuses réflexions, voire les conseils, sur le métier, l’éthos du secrétaire et l’art épistolaire, et donc la possibilité d’utiliser l’ouvrage comme un trésor ou un traité, usage que les libraires pillards des périodes suivantes ne se gêneront pour exploiter. En 1572, Du Tronchet qui, sans aucun doute, n’a pas tiré grand bénéfice du succès du premier, donne un second ouvrage, Finances et Thresor de la plume françoise7, beaucoup plus technique, plus pédagogique, et qui resta confidentiel, même si plus tard les libraires avides de textes modèles y puiseront encore sans vergogne pour construire leur propres manuels épistolaires.
2Ce rapide tableau explique à quel point Les Lettres d’Étienne Pasquier constituent en 1586 un véritable événement littéraire8, tant par la personnalité de l’épistolier – qui n’est ni un exilé en quête de protection, ni un obscur gentilhomme de province, ni un secrétaire de métier – que par celle de ses destinataires, gens de la meilleure société avec lesquels il s’entretient sur un pied d’égalité, par la variété des sujets abordés ainsi que par l’ampleur de sa culture. Plus question du « service » et de ses contingences, pas de tribulations existentielles ni de problèmes d’éthos, autant de leitmotive obsessionnels chez Symeoni et Du Tronchet…
3Pourtant il manquait à l’histoire des débuts de l’épistolaire français un maillon disparu. On pouvait lire en effet Quelques lettres funebres rédigées en 1584 à l’occasion de la disparition de François d’Anjou9 par son « secretaire de la chambre », le Gascon Jean de la Gessée. Mais on n’avait pas retrouvé, comme l’avait encore souligné Jean-Philippe Labrousse en 199110, le Recueil des Letres missives, Discours et Harangues familiaires de Jean de la Gessée, paru en 1579 chez le libraire parisien Jean de Lastre11. Les investigations d’Alexandre Piffault ont fait ressurgir récemment ce recueil12, et sa rareté extrême permet d’emblée d’affirmer qu’il ne connut ni la diffusion des Lettres missives et familières de Du Tronchet, ni la réputation des Lettres d’Étienne Pasquier. Impossible pourtant d’en conclure que c’est son indignité qui lui a valu ce triste sort, puisque Guillaume Colletet, rédigeant un demi-siècle plus tard ses Vies des poètes français, en juge favorablement : « Ce petit recueil est certes d’autant plus agreable que dans son langage prosaïque, qui n’est pas mauvais pour le temps, on voit plusieurs particularitez de la court touchant les affaires de son siecle »13.
4Alors, entre le laborieux et méritant secrétaire Du Tronchet et le brillant avocat parisien Pasquier, historien et poète de loisir, quelle place y-eut-il, s’il y en eut une, dans l’histoire de l’épistolaire français pour un talentueux Gascon de bonne famille, né fin 1550, calviniste, qui, venu à la cour de France au service de Jeanne d’Albret, s’était retrouvé sans protection à sa mort à Paris en juin 1572, et avait été, après quelques pérégrinations, emprisonné pour des raisons obscures au Châtelet en 1575, puis libéré à la Paix de Beaulieu en mai 1576 où il était entré au service du duc d’Alençon, promu à l’occasion duc d’Anjou14 ? Cette existence heurtée, difficile, avait un temps contraint le jeune provincial à mettre sa plume au service des libraires15, en attendant des jours meilleurs16. Nul doute, à nos yeux, que les épreuves, la quête d’une situation stable, n’aient été les moteurs de l’exemplarité éthique et poétique revendiquée, pratiquée et étalée par nos premiers épistoliers de langue française, Gabriel Symeoni et Étienne Du Tronchet17. Qu’en est-il de Jean de La Gessée dans son Recueil des Letres missives, Discours et Harangues familiaires ?
5Il convient bien entendu, avant tout, de décrire rapidement cet objet que personne n’a plus vu depuis des siècles. Le Recueil des Letres missives, Discours et Harangues familiaires est un tout petit in-octavo de cent quarante-huit feuillets foliotés, ouvert sur une longue dédicace en alexandrins à une certaine Anne d’Alègre18, regroupant ensuite trente-deux lettres, mais aussi sept discours et seize harangues familières, mêlés les uns aux autres et précédés de leur titre (« Letres », « Discours », « Harangues ») en romain et d’un argument en italique. Les lettres se suivent dans un ordre qui n’est ni chronologique, ni protocolaire, et sont signées tantôt D. L. G., donc de La Gessée, tantôt d’un homme ou d’une femme anonymes19. Après deux chansons, pour et contre l’Amour20, les huit dernières pages présentent un « Indice des arguments des choses contenues dans ce recueil », autrement dit une table raisonnée des lettres, puis des discours, et enfin des harangues, classés par genre selon leur ordre d’apparition. Nous nous intéresserons ici bien sûr principalement aux trente-deux lettres identifiées comme telles, bien que les discours et les harangues, adressés à un destinataire, et pour cause, pourraient passer pour des lettres dont on aurait retranché l’en-tête et la valédiction21. L’ensemble présente beaucoup de fautes de foliotation, mais vu qu’on n’y note presque aucune faute typographique, on peut inférer qu’il a été relu avec grand soin par son auteur « fai[sant] icy […] d’un stile entremeslé/Le nouveau Secretaire, ou l’Amant simulé ».22
« Le nouveau Secretaire »
6Si l’on prétend à la gentilhommerie23, comme La Gessée, désormais sinon « secretaire de la chambre de Monseigneur » François d’Anjou, du moins en passe de le devenir24, il faut s’excuser d’écrire, et surtout de publier : « Il s’excuse en ce qu’il pourroit avoir failly, s’amusant à colliger et mettre au jour ses petis ouvrages »25. Il se trouve que le Recueil argumente sur ces deux points. Écrire, relire ses vers latins et français et même sa prose, c’est agir, fuir l’oisiveté mère de tout vice :
La principalle ocasion qui m’a incité à visiter, et à esclaircir mes vieus papiers, est une certaine facherie, et dedain, que je conçoy de moy-mesme : pour lesquels decevoir parfois, et m’otroyer quelque peu de repos, j’ay mieus aymé eslire un tel esbat, que m’abandonner comme plusieurs faineants au vituperable exercice de quelque insigne desbauche, et turpitude.26
Publier c’est aussi se mettre en mesure de récompenser ceux qu’on estime ou sert, essayer de gagner sur le temps, se faire connaître, voire gagner peut-être l’immortalité. L’épître en vers de dédicace à Anne d’Alègre, la première lettre, ainsi que le quatrième discours (« Il s’adresse à un sien Amy qui s’esmerveilloit de ce que laissant les autres professions, il s’adonnoit à la Poesie ») le ressassent suffisamment pour en persuader le lecteur27. Pour le jeune homme il s’agit d’une vocation incoercible, ressentie avec force dès l’enfance, qui l’a certes éloigné des ambitions conçues pour lui par son père, mais qui n’a pas fait de lui un de ces « injusticiers, et allongeurs de procès […] foulans eux-mesmes l’equité qu’ilz doivent rendre inviolablement aux autres », ni un « contempleur d’urine », ni un « traffiqueur d’offices », entendons ni avocat, ni médecin, ni détenteur d’un de ces nouveaux offices dont la royauté faisait commerce pour emplir les caisses28. Et « la brusque gaillardise de ses estudes [lui] reste entre beaucoup d’ennuis comme la seule medecine à laquelle [il] doi[t] la plus saine partie de [s]on honneste contantement et patience »29. La Gessée ne s’illusionne pas. L’activité littéraire, « delectable vocation mais de si peu de fruit qu’elle amuse trop plus qu’elle n’avance celuy qui en fait profession », n’enrichit personne30, mais tout plaide pour son innocuité morale en des temps dont le Recueil lamente la corruption.
7Bien plus, lui qui n’a cessé de publier de son propre chef, reprend dans la première lettre, programmatique, l’antienne bien connue depuis l’Antiquité de la pression amicale pour justifier la publication du Recueil :
Il adresse ceste Lettre à un gentilhomme sien amy, qui l’avoit souventes-fois pressé de faire ce recueil, et le mettre en lumiere.
Monsieur, vos honnestes sollicitations, ou plus-tost voz amiables prieres, ont finallement eu ce pouvoir, et autorité, sur ma negligence : que j’ay puis n’agueres reveu et feuilletté, une infinité de vieus papiers que j’avois tousjours separés d’avec mes Poësies, et lesquels je tenois comme enfans perdus, ou petits avortons de mon estude. Je ne pensois rien moins qu’à les commettre à la commune lecture d’un chacun, et rougissois à part moy quand le moindre de mes familiers, et amys, en voyoit quelque eschantillon, ou faisoit cas de ce que je ne pouvois nullement approuver. C’est une grande presomption, et hardiesse, à ceus qui s’ingerent trop legerement de jouër un tel personnage sur le Theatre du monde : où nous apercevons tant de milliers d’hommes si divers et de faire et d’avis, qui d’heure en heure jettent les yeus sur noz mœurs, et actions : et prestent attentivement l’oreille à noz parolles et discours : lesquels ne s’en vont guiere sans repliques, ou contradictions manifestes. Ces œuvres que nous avons une fois esvanté, ce sont des pierres qu’on rue, et qui ne se peuvent rappeler : ou des feuilles qui cheent des arbres quand l’Automne survient, et que le premier vent esparpille çà et là : ou bien ressemblent aus ames qui ne rentrent jamais dans les corps, (et n’en desplaise au bon Pythagore) depuis que la separation en est faitte par la mort. Et pourtant ce n’est pas tout aus Escrivains de rencherir le papier, et la sueur des ouvriers par une multitude de gros volumes, mais de tâcher que leurs beaus labeurs entre meslants le plaisir à l’utilité, impriment en la cervelle des personnes de meur jugement, une saine opinion de leur suffisance […]. On ne trouvera point de telz meubles, et Joyeaus dans mon livre : comme aussi le peu de temps, et de peine que j’ay employé au bastiment d’iceluy, me servira de quelque excuse envers ceux qui se contenteront de raison : j’entens s’ils n’ayment mieus decharger partie de ma faute sur vous mesmes, et quelques Damoislles de ma cognoissance : qui m’ont pressé à votre imitation d’oser, et entreprendre, ce que (peut estre) je ne devois avoir osé, ny entrepris31.
Ces aimables pirouettes rejettent donc la responsabilité de la publication du Recueil sur l’entourage amical, escouade chargée d’assumer les suites de la publication, cependant que la jeune dédicataire se voit confier le rôle de Mentor32. Partout dans le Recueil La Gessée cherche ainsi à donner de lui-même la représentation exemplaire d’un poète dès l’enfance33, « tresparesseux à copier [s]es propres œuvres », d’écrivain malgré lui, redoutant de paraître en public : « J’en suis de mesme, craignant d’esvanter mes escritz, et les exposer au jugement leger, ou plustost monstrueus, et testu, de ceus qui ne trouvent presque nul goust aus viandes qui ne sont preparées, et assaisonnées par eus mesmes »34.
8Un désaveu général des mœurs du temps parcourt le Recueil. Au-delà des traditionnelles doléances contre les zoïles, de la condamnation des troubles, la position personnelle de La Gessée dont il se garde bien de préciser la nature (est-il encore calviniste, ou converti, la chose reste obscure ?35), mais qui est celle d’un censeur, accentue le manichéisme : à la cour, en France, en amour ou en amitié, le bien et le mal s’excluent sans compromis. À Jean de Morel ou à Jean du Sin, il dit combien il déteste « plusieurs ministres de l’ambition, et convoitise des Tyrans : et encore vrays complices et executeurs de leurs desseins et vangences particulieres », proclame n’être aucunement « infecté de ceste peste commune de simulation et de fainte Courtisanne »36 et aimerait « [s]’apercevoi[r] un peu affranchi de la trop serve et odieuse subjection de la Court ». Ainsi, qu’il fût dans la suite de Jeanne d’Albret, auprès d’Henri III, au service de François d’Anjou ou des Navarre, le jeune épistolier, par ailleurs poète satirique, ne l’oublions pas, se donnait les airs de la Vertu mise en scène par d’Aubigné dans les Princes37. Cette rigueur morale, ce refus des compromissions font la trame du discours épistolaire, cependant que s’élabore au fil de la lecture des lettres le portrait d’un jeune homme exigeant envers lui-même et les autres. Non seulement il étudie quand ses contemporains se débauchent, mais son statut éthique l’autorise à conseiller. Il invite par exemple le capitaine de Gourgues, revenu ruiné de Floride, à la constance au cas où il n’aurait ni récompense royale pour ses exploits, ni compensation pour ses dépenses personnelles. À Madamoiselle de Boucherat, il rappelle comment elle doit veiller à conserver, même dans sa « defortune », grâce au choix judicieux de son entourage, son honneur :
Je louë grandement vostre douceur, et constance : et vous supplie de perseverer en ceste sagesse, et honnesteté, qui vous serviront d’une agreable satisfaction en toutes aflictions. Contre-gardez vous aussi des mauvaises conoissances, et hantises suspettes aus femes d’honneur, et de reputation. Vous savez ce que je vous suis, et combien de fois je vous ay familiairement exhortée à patience en vostre adversité, et à estre bien advisée en voz comportemens. Jamais les bouches ne furent si libres à parler, jamais aussi les vices n’eurent plus de vogue qu’ilz ont aujourd’huy. Et si les Dames de haut lieu ne sont maintesfois espargnées, vous pouvez inferer par là comment celles qui sont de moindre estoffe, et qualité, et qui se laissent inconsiderement pratiquer sans chois, ny difference aucune de ceus qui les frequentent : eviteront la poincte, et le venim des langues mesdisantes38.
La Gessée se fait aussi conseiller en matière d’honneur masculin, id est de duel39, et, en dépit de tout cela qui respire l’assurance, affiche une modestie d’auteur exemplaire. Il demande à Anne d’Alègre de le remettre sur la voie au cas où il errerait, présente toujours ses œuvres comme les coups d’essai d’un apprenti, et mesure la distance entre sa petitesse, son inexpérience et la grandeur des faits ou de leur acteurs dans les cinq dédicaces qu’il rassemble avec ses missives, ou dans des lettres d’accompagnement de ses ouvrages40. Il souhaite seulement que ses « petites œuvres », son « insuffisance defectueuse », son « demerite » son « imperfection » soient excusés par la « bassesse de [s]on age, et de [s]a capacité », ou défendues par ses amis41. Enfin, il refuse carrément, vu l’abîme cultuel qui les sépare, de montrer ses productions à Guillaume Postel :
Monsieur, quand je serois si asseuré de mon baston, que je peusse hardiment comparoistre devant les personnes de grave erudition, et lecture : je ne vous eusse si souvent refusé quelque monstre de ma jeune ignorance, ou plustost de mon ignorante jeunesse. Et vrayment je ne m’estonne point desormais si quelcun remarque parfois mes escritz par ceste tache si apparante, veu que moy mesme j’y trouve à redire de jour à autre, dès qu’ilz ont veu la commune lumiere […]. Si suivant mon infertille profession je fay chose qui merite la peine d’en parler : cela doibt estre reputé quelque accident42.
Difficile d’estimer la part de la coquetterie d’auteur dans toutes ces déclarations, renouvelées et encore accentuées à l’adresse de Madame de Nantouillet43, dans une lettre modèle de protestation d’indignité, véritable patron pour ceux qui seraient dans une telle situation et en panne d’inspiration épistolaire. On voit ainsi se dessiner la figure aimable d’un jeune homme à la moralité sans concession, de fort bonne compagnie, puisque, comme par hasard, les lettres qu’il a choisi d’éditer, le montrent s’adressant à Henri III du temps où il était duc d’Anjou, à la reine-mère, à celui qui allait devenir l’amiral de Coligny, à Madame de Nantouillet, épouse d’Antoine du Prat, au capitaine de Gourgues qui avait battu les Espagnols en Floride, à Jean de Morel qui avait été chancelier de Marguerite de Valois, mais aussi à Guillaume Postel et à l’apothicaire Rochelais Jean du Sin44. Constatons que, courage ou inconscience, La Gessée ne dissimule pas ses amitiés pour les Reformés même tragiquement disparus, mais qu’il ne se targue pas non plus de protections prestigieuses. L’épître à Catherine de Médicis est une dédicace de 1576, la lettre « À Monsieur frere du Roy, et maintenant Roy » date de 1573, et rappeler ses liens avec Coligny, en une période de paix forcément provisoire, ne manque pas de panache. Décidément on sent, dans ce Recueil, comme une stratégie de séduction sans concession, provocante, tout orientée vers un petit milieu, orientation que viennent confirmer des propos historiques et politiques de haute volée, qu’il s’agisse d’histoire ancienne ou contemporaine, de politique ou d’art militaire, et que l’on trouve dans les discours et harangues : « Il discourt de la grandeur, et generosité des Gauloys : puis tombe sur les troubles de la France, et sur les moyens d’y establir une bonne paix » ; « Il s’arreste sur le point de la Justice, et taxe la corruption de ceus qui en abusent » ; « Il descript sommairement le voyage dernier que la feuë Royne de Navarre fist à la Court. » ; « Un Chef d’armée encourage ses gens le jour de la bataille »45. Cela ne l’empêche pas de rappeler, même s’il faut déchiffrer les litotes et identifier la dédicataire, qu’il a connu la prison :
Il y a quelque temps […] ayant esté injustement calumnié, et à ceste occasion reduit en extrême facherie, j’employai dix ou douze jours sans plus, à traitter, et enrichir tellement quellement en rime Françoise l’Histoire de Tobie. Or ce desastre m’estant advenu par les fauz raportz, et menées d’un imposteur, je demeuray longuement comme banny de la familiarité de mes amis, privé de la lecture des livres, et qui pis est aliené du repos et tranquillité de mon esprit : occasions plus que suffisantes pour m’entretenir en tres facheux ennuy, et perplexité, et m’oster par maniere de dire le goust de Poëtiser Philosophiquement ou Philosopher Poêtiquement46.
Ni d’y faire figurer, la demande qu’il fit depuis sa geôle « À une Dame de la Court, pour parler en sa faveur à la Royne mere » :
Veu l’estat où je suis, il vous plairra considerer de quelle affection vous m’obligerez, si par votre moyen, et accez, la Royne mere du Roy, m’accorde une Requeste que je vous envoie, concernant quelques pointz qui servent à l’instruction de mon affaire. Il consiste en un soupçon que sa Majesté a conceu de moy par le sinistre rapport d’un calumniateur mon ennemy : lequel sous ombre de quelques rimes qu’on a frauduleusement extorquées d’entre les mains d’un sien adherant, les auroit malicieusement exhibées au Roy et à la dite Dame : leur faisant entendre qu’elles estoient sorties de ma forge, et de mon invention : ores qu’on trouve non plus de vray-semblance en son dire, que le feu approche de l’eau, ou la clarté du Soleil aus tenebres de la nuit. Et neanmoins jaçoit que mon integrité soit desormais conuë, tant par mes actions passées, que par l’equité de ma cause presente, et de mon propre Droit, et de l’assistance d’autruy47.
La Gessée pense-t-il par ces lignes convaincre les lecteurs encore soupçonneux de son innocence, et mieux asseoir sa réhabilitation ? A-t-il en tête la variété nécessaire à un recueil épistolaire exemplaire où cette lettre de requête tient en effet sa place auprès de lettres de dédicace, de conseil, de consolation ou simplement amicales48, voire d’amour. Car la lettre d’amour ou galante fait nombre dans ce petit corpus.
L’Amant simulé
9Le Recueil, ouvert, on l’a vu, sur une surprenante dédicace à une jeune héritière d’excellente famille réformée que l’auteur y courtise ouvertement, et clos sur deux chansons d’amour, rassemble, outre treize harangues – dont six à son nom – sur des sujets amoureux, une dizaine de lettres sur trente-deux traitant de sujets amoureux : cinq signées par lui-même, quatre par des anonymes masculins, une par une dame. Au milieu du Recueil, au feuillet 75, La Gessée a placé une lettre ainsi résumée dans l’argument : « Il rescrit à Madamoyselle d’Alaigre, et desire que ses beautez rencontrent une aussi belle louange qui dure après la mort ». Il y reprend en prose sa situation d’amant de la jeune fille qui fait le thème du poème liminaire :
Je vous exprimeray telle que vous serez,
Et selon qu’en voz las vous me captiverez :
Car outre vostre accez, vostre accueil, vostre face,
Qui les Deus mesme attrait, et les Nymfes surpasse,
Vous, et moy, gaignerons (peust estre) par mes vers
Un bruit qui volera parmy tout l’Univers :
Si que noz noms couplez bruiront de vous sans cesse.
La dédicace fait d’elle non seulement sa Muse, mais aussi son censeur moral et littéraire, en lui confiant le rôle critique de premier lecteur du livre imprimé :
Comportez-vous, Madame, en la mesme façon
Alors que vous fairez une franche leçon
De ce petit ouvrage, où sans art et sans peine,
Je coule en m’esgarant d’une assez gaye veine :
Mais jaçoit que je garde et raison, et respet,
S’il vous semble trop libre ou tant soit peu suspet,
Je changeray de stile, afin de vous complaire.
Et tantost studieus, tantost populaire […].49
La situation, inédite, séduit par son piquant, et on ne peut douter que le milieu cultivé dans lequel la jeune Anne avait grandi avec ses sœurs50 n’ait autorisé ce genre de galanterie :
Madamoiselle, en vous donnant encores ceste recharge je vous supplieray de m’entretenir tousjours en vos bonnes graces, et ne permettre qu’une oubliance efface de vostre memoire celluy qui vous est entierement dedié […]. Si voz yeus pouvoient bien penetrer au dedans de mon cœur qui est vostre, je m’asseure que vous jugeriez aisement de l’affection, et servitude à laquelle vous m’avez obligé par voz courtoisies et honnestetés : dignes vrayment que quelque gentil esprit de nostre age employe et sa peine, et son industrie, à traitter un aussi gaillard sujet en vostre faveur. […] Tel que je suis neanmoins je m’essayeray par quelque honneste labeur à vous faire paroistre entre celles de nostre siecle, en intention de continuer tousjours le service que je vous doibs, et rendray toute ma vie : j’entens s’il vous plaist m’honorer d’un tel commandement, et vous nommer ma Maistresse. Mais pour ce que j’espere bien tost entendre vostre volonté, j’embrasseray cependant ceste heureuse attante qui me fera persister en si bonne devotion, attendant voz lettres qui me seront autant agreables que vous-mesmes le sçauriez desirer. Surquoy je vous baiseray humblement les mains, priant Dieu, Madamoiselle, vous maintenir en sa sainte garde. De Fontainebleau, ce xix d’Octobre, 1578.
Vostre affectionné à vous servir De la Gessée.
En dépit de l’exagération voulue par le code courtois, ces aveux et offres de service respectent protocole et convenances. Il n’en va de même des lectures que le serviteur propose à la dame de ses pensées. Car si dans le Recueil certaines lettres traitent les thèmes amoureux canoniques – déclarations, demandes d’entretien ou de privautés, plaintes amoureuses, soupçons d’inconstance, déploration d’abandon, regret du déshonneur, voire congé, tout cela anonyme51 – la gaillardise de deux lettres signées par le jeune homme lui-même étonne. Gardent-elles « et raison, et respet », ces deux lettres, dont il est vrai l’argument signale le style facétieux, et qui évoquent, en prose et en vers truffés jusqu’à la signature de sous-entendus grivois, des soins cosmétiques intimes ?
Encores vous aurez (peust estre) des ciseaux, que je fairai expressement choisir, pour accommoder parfois à cachette vostre petit, qui est si gentil :
J’entend ce beau pourpris, le nic d’Amour volage,
Et qui jà dejà pousse un nouvellet herbage.
Vos belles parties
Me font ainsi rimer, en dépit de ma prose,
Et croy qu’auprez de vous je fairoy plus grand chose.
Je les accompagneray aussi de quelque remede, propre à chasser les puces des environs. Quoy qu’il en soit, asseurez vous qu’ilz vaudront bien qu’on les employe à quelque œuvre secretement ombrageuse, de peur de la peur. En attendant mieux après vous avoir gentiment baisé les joües, et le coral de ceste bouche si vermeille qui se repose seulement quand vous ne dites mot, je prierai le createur,
Madamoiselle, vous donner en tres bonne volonté le mesme desir et appetit que j’ay, me souvenant de vous. A Blois ce 4 Aoust 1572.
Vostre bien petitement humble valet. D.L.G.52
Il justifie à plusieurs reprises le caractère hétéroclite et la liberté de ses écrits, invoquant, à l’exemple de Socrate qui « tenoit une fleute sur ses genous, et jouait familairement avec les enfans », le plaisir de « [s’]esbat[re] dans [s] es jeunes escris » et de « [s]egaye[r] par fois à jetter quelque mot gaillard en passant »53. Dans la dédicace, il met aussi la gaieté, la bigarrure des voix plurielles et des sautes de ton, au compte de sa nationalité :
Si juste vous daignez gayement recevoir,
Et comme par esbat feuilleter, et revoir,
Ce Recueil recueilli de mes plus jeunes œuvres,
Où je fay le mestier de maints divers manœuvres,
Ensuivant ma coustume : apres avoir gousté
Ceus qui sans passion m’ont par fois escouté,
Et lisant mes escrits avec quelque louange,
En l’une et l’autre langue ayment l’air et le change :
Car nous sommes François, c’est à dire legers,
Cherchans les nouveautez, et les fards estrangers.
10Français, et exemplaire des productions de la société « de salons » qui s’épanouit en France dans la seconde moitié du XVIe siècle, ce Recueil des Letres missives, Discours et Harangues familiaires l’est sûrement puisqu’il revendique et pratique haut et clair la « libre et neanmoins respecteuse gayteté de converser parmy les bonnes compagnies »54. Et ses Letres, bigarrées de destinataires, de contenu et de langue, sont bien le chaînon jusqu’ici manquant, qui fait le pont entre le secrétariat gagé ou en quête de gages – celui de Du Tronchet voire celui de Symeoni – et des recueils de lettres en français composés par des hommes et des femmes de qualité : outre les dames des Roches, Pasquier, Urfé, Guez de Balzac. En cela le Recueil de La Gessée apparaît exemplaire, d’autant que, dédié à une jeune fille de bonne famille, il donne la parole à des femmes anonymes55, qu’il présente des lettres feintes, et qu’il proclame pour la première fois dès son titre la proximité générique, énonciative des trois genres, d’évidence au siècle suivant : voir le succès de François de Rosset avec ses Lettres amoureuses et morales des beaux esprits de ce Temps, enrichies de Discours, de Harangues, de Consolations, de Complaintes, et de rares devis et singuliers56, ou ce titre, même s’il s’agit d’un ouvrage d’érudition, de Harangues, Discours et Lettres de Messire Nicolas Fardoil57.
11Rien n’atteste pourtant que Le Recueil des Letres missives, Discours et Harangues familiaires de La Gessée ait rencontré succès ou lecteurs contemporains. En effet, contrairement à ce que nous avons constaté pour Symeoni, Du Tronchet ou Pasquier, on ne trouve pas trace de ses productions dans Le Secretaire des secretaires ou le Thresor de la Plume Françoise, contenant la maniere de composer et dicter toutes sortes de Lettres Missives. Avec quelques Lettres facetieuses. Reveu, corrigé, et augmenté d’une grande quantité de Lettres outre les precedentes impressions58 : bref les libraires n’ont pas exploité son volume pour composer le leur, sans doute parce qu’ils ne l’ont pas connu à cause de son faible tirage59. On peut ainsi conclure que la figure exemplaire de ce donneur de conseils désabusé des mœurs du temps, figure tout aussi singulière par son enjouement et son audace dans ses rapports avec la gent féminine, ne dut pas dépasser le cercle très étroit qui l’avait vue naître.
Notes de bas de page
1 Jeannine Basso, Le genre épistolaire en langue italienne (1538-1662) - Répertoire chronologique et analytique, Nancy-Rome, 1990, 2 vols : l’année 1569 y figure à la p. 253 du premier.
2 Sur ce premier épistolier de langue française, voir supra les articles de Silvia D’Amico et Monica Barsi.
3 Alors qu’un des deux premiers livres imprimés à la Sorbonne avait été, vers 1470, le recueil de lettres latines de Gasparino Barzizza, Gasparini Pergamensis Epistolae, édition Guillaume Fichet par U. Gering, M. Crantz et M. Friburger.
4 Neuf écrites par G. de Saillans, les huit autres signées de son épouse Louise de Bourges et de ses deux beaux-parents.
5 Il s’agit du seul livre édité par Jacques de La Planche, ordinairement imprimeur (voir Baudrier Henri, Bibliographie lyonnaise. Recherches sur les imprimeurs, libraires, relieurs et fondeurs de lettres de Lyon au XVIe siècle. Publiées et continuées par J. Baudrier, Lyon, Auguste Brun, 1895, vol. I, p. 228-230), et on n’en connaît aujourd’hui que quatre exemplaires (BnF, Sainte-Geneviève, Aix-en-Provence et Houghton à la Harvard University). Niceron (Jean-Pierre Niceron, Mémoires pour servir à l’histoire des hommes illustres, vol. XLI, Paris, 1740, p. 381) connaît l’ouvrage, mais Goujet ne le cite pas (Claude-Pierre Goujet, Bibliotheque françoise ou Histoire de la litterature françoise, Paris, Hippolyte Louis Guerin, P. G. Le Mercier, 1752, XIV, p. 433).
6 Entendons Catherine de Médicis et Charles IX. Du Tronchet, d’abord au service de la famille de Jean puis Jacques d’Albon, maréchal Saint-André, connut de graves difficultés financières, vit sa charge de trésorier du Forez supprimée. La reine-mère le réintégra et le prit parmi ses secrétaires, avant de le « céder » à François Rougier de Ferals, ambassadeur en Italie où le secrétaire finit sa vie à Rome vers 1580.
7 Paris, Nicolas du Chemin, 1572 (conservé à Anvers, Dijon, Édimbourg (University Library), Copenhague (Bib. Royale), Londres (BL), Lyon (BM) et Montbrison) : voir Andrew Pettegree, Malcolm Walsby and Alexander Wilkinson, French Vernacular Books. A Bibliography of Books Published in the French Language Before 1601, Leiden, Brill, 2007, t. 1, n° 17711.
8 Paris, Abel L’Angelier, 1586. Pour être complet, il faut rajouter Les Missives des dames des Roches, publiées quelques semaines avant Les Lettres de Pasquier et modèles de sociabilité littéraire féminine, chez le même L’Angelier.
9 Larmes, et Regretz, sur la maladie de Monseigneur François de France, Filz et Frere de Roys. Plus Quelques Lettres funebres, Paris, Fédéric Morel, 1584 : aux feuillets 10v°-14r° et disposé en dix paragraphes indiqués par des chiffres romains, un mince recueil de huit pages intitulé Lettres, ou Epistres funebres du mesme autheur. À ses amys, sous le titre courant Epistres, dont nous avions traité dans notre thèse d’ HDR citée, p. 119.
10 Jean de La Gessée, Les Jeunesses, édition de Guy Demerson et J.-Ph. Labrousse, Paris, STFM, 1991, p. cxii, n° 34 de la bibliographie. Édition à consulter pour l’ampleur de la biographie et le répertoire exhaustif des œuvres (y compris les liminaires) de La Gessée.
11 Jean de Lastre, libraire et relieur de 1569 à 1580, était spécialisé dans les occasionnels, voir Geneviève Guilleminot-Chrétien, « Les canards du XVIe siècle et leurs éditeurs à Paris et à Lyon », dans Marie-Therèse Jones-Davies (dir.), Rumeurs et nouvelles au temps de la Renaissance, Paris, Klincksieck, 1997, p. 47-55, à p. 53.
12 L’ouvrage n’est pas signalé au t. II, n° 31819 des French Vernacular Books, cités supra. Nous devons à la vigilance d’Alexandre Piffault la joie de cette redécouverte, qu’il nous a ensuite facilitée en nous procurant la reproduction du texte de l’unicum conservé à la Biblioteca Augusta de Pérouse, cote IP520. À Pérouse, Mariangela Miotti est allée enquêter pour nous. Je remercie également Alessandra Panzanelli, spécialiste du fonds Prospero Podiani, nom du collectionneur qui avait acquis ce livre et écrit à la plume sur sa tranche « Harengues », et non « Lettres », preuve de la proximité des genres et de la manière dont il conservait ce livre, à plat.
13 Guillaume Colletet, Vie de Jean de La Gessée, éd. par Ph. Tamizey de Larroque, Revue de Gascogne (1866), p. 214-216.
14 Dite aussi Paix de Monsieur, du 6 mai 1576. Mais peut-être avant d’entrer au service du duc d’Anjou, servit-il dans le secrétariat d’Henri III, comme le laissent entendre la lettre à Jean de Morel (49v°) où le « Secretaire du Roy [s]on maistre » parle de son peu de goût pour le « mestier de ceus qui gratent le parchemin », et le fait qu’il ait obtenu un privilège personnel pour ses « œuvres tant Latines que Françoises » à partir de 1578 (Les Odes-Satyres, Paris, Fédéric Morel, 1578). Cependant l’apostrophe à Marguerite de Valois, épouse d’Henri de Navarre, au premier vers de ces Odes-Satyres, laisse bien perplexe : « Princesse, épouse de mon maistre » (Paris, Fédéric Morel, 1578). La Gessée aurait-il été au service de Marguerite, dans la maison de Navarre, donc d’une certaine manière au service de Henri III de Navarre ?
15 Sans noter ni les pièces perdues, ni les pièces liminaires offertes à ses contemporains qui le lui rendent bien, on connaît de lui jusqu’à 1579 : Execration contre les infracteurs de la paix, Paris, Jean Borel, 1572 ; Henrias, Paris, Gilles Blaise, 1573 ; La Rochelleide, Paris, Gilles Blaise, 1573 ; Le tombeau de feu tres noble seigneur Henri de Foix, comte de Candale, Paris, Gilles Blaise, 1573 ; Le tombeau de feu tres noble et tres excellent Prince Claude de Lorraine, Paris, Denis Du Pré, 1573 ; Les soupirs de la France sur le depart du roi de Pologne, Paris, Gilles Blaise, 1573 ; Nouveau Discours sur le siege de Sanserre, Paris, Gilles Blaise, 1573 ; Discours en diverses poesies sur l’entiere Pacification des Troubles avenus en ce Royaume de France, Paris, Laurent Chancellier, 1573 ; Ode sur le retour et avant-venue du roy, Lyon, Benoît Rigaud, 1574 ; Epigrammaton pro Xeniis libri duo, Paris, Denis Du Pré, 1574 ; La Grasinde, Paris, Gilles Corrozet, 1578 ; Les odes-satyres et quelques sonnets, Paris, Fédéric Morel, 1578 et le Discours du temps de la Fortune et de la mort, Paris, Pierre Chevillot, 1579.
16 J.-Ph. Labrousse parle à juste titre pour ces années 1572-1575 d’une espèce de « journalisme » (Les Jeunesses, op. cit. p. xiv), en vers et en prose.
17 Pour l’exemplarité de Gabriele Symeoni voir les deux articles supra ; pour celle de Du Tronchet, notre HDR.
18 Anne d’Alègre, fille aînée de Christophe I d’Alègre et d’Antoinette Duprat, épouse en août 1583 Paul-Guy XIX comte de Laval, neveu de Coligny, dont elle se retrouve veuve en 1586, voir Pierre de Vaissière, Une famille, les D’Alègre, Paris, 1914, p. 234-236. Elle épousera en 1599 Guillaume de Hautemer, marquis de Fervaques. Sa personnalité de réformée convaincue (elle fit élever à Sedan son fils unique François-Guy XX de Laval), ambitieuse et séductrice (Tallemant des Réaux conte qu’elle voulait encore se remarier après son second veuvage) marqua ses contemporains. Elle mourut en 1619, voir Dictionnaire de biographie française, I, col. 1377-1378 ; J. Pannier, Bulletin de la Société de l’Histoire de Paris, 1925, p. 132-142. On conserve des lettres de sa plume voir Bernard de Broussillon, La Maison de Laval (1020-1605). Étude historique accompagnée de Cartulaire de Laval et de Vitré, Paris, Alphonse Picard, 1895-1900, 5 vols, t. IV et V.
19 Vingt-trois de sa plume (D. L. G.), neuf signées par une plume anonyme (amant, serviteur, gentilhomme), dont trois par des dames. Les siennes sont datées, de 1572 à 1579.
20 Trente-deux décasyllabes sur le refrain « Vive l’Amour », et trente-deux sur celui de « Périsse Amour » (Tiv°- Tiiir°).
21 Comme on l’a démontré pour Étienne Pasquier, voire pour Étienne Du Tronchet, le genre épistolaire qui peut recevoir toute matière, sert du coup à publier, en leur donnant forme épistolaire, des rédactions de toute sorte : plaidoyers, pages d’histoire, discussions juridiques ou linguistiques, traductions, méditations, vies, panégyriques, sans parler des productions poétiques. La Gessée prend un autre parti, en donnant des discours et harangues pour traiter certains sujets : voir en annexe la table des matières de son Recueil.
22 Dédicace « À Madamoiselle Anne d’Alaigre », 3v°.
23 La famille Gesse, originaire de Mauvezin, capitale de la vicomté de Fezenzaguet, était une famille notable, mais n’appartenait pas à la noblesse, en dépit de ce que laisse supposer le nom de plume choisi par le jeune auteur : La Gessée, alias de La Gessée ou Jessée (Jeunesses, citées, p. VIII), en latin Gesseus.
24 Il affichera ce titre au titre de ses Premières Œuvres françoises (Anvers, Plantin, 1583). Dans la lettre à Jean de Morel, il parle de ses « deus titres de Poëte, et Secretaire du Roy mon maistre », voir la note 14 supra.
25 123v°.
26 Respectivement 123v° et 124r°-v°. « À Monsieur le Marquis de Vilars, à present admiral de France », il dit être de « ceus qui écrivent aujourdhuy, et qui mesurans la capacité de leurs espris, se travaillent de faire conoistre aus siecles avenir qu’ils ont quelquefois vécu non engourdis en ocieuse paresse, ainçois preferables à la tourbe populaire » (113r°).
27 « À Madamoiselle Anne d’Alaigre », évoquant ses écrits et l’oubli mérité où il les laisse : « Je discours sans discours, sans subjet je compose/ Desseigne sans dessein, et laisse au coy sommeil/ Ce qui me peut vanger du temps et du cercueil/ J’entens le gros monceau de mes premiers ouvrages/Qui m’esgallent (indigne) aus vieus, et aus sages » ; « Je vous offre sans plus ce present que j’evante/ Comme un avant-coureur de ma voix survivante, / Si juste vous daignez gayement recevoir, / Et comme par esbat feuilleter, et revoir, / Ce Recueil recueilli de mes plus jeunes œuvres » (épître de dédicace 2v° et 6v°).
28 55 r°-v°.
29 132r°.
30 Sauf les professeurs, 52 r°.
31 [9]r°-10v°.
32 Voir les vers de la dédicace cités infra à l’appel de note 49.
33 « Delectable vocation, mais de si peu de fruit qu’elle amuse trop plus qu’elle n’avance celuy qui en fait profession » 53v°.
34 À Jean de Morel, 49v° et 50r°.
35 Il semble avoir appartenu à la famille de la Charité, ce qui expliquerait son irénisme, ou la distance qu’il prend par rapport aux deux partis (voir Les Jeunesses, op. cit. p. xxi), et que, s’adressant à un « nouveau réformé », il lui dise « Vostre religion » (100r°). Parlant des troubles, il évoque « l’Hydre repullulante de nos malheurtez, et dissensions intestines » (47v°).
36 À Jean de Morel 49r°, Paris, le 10 juin 1577 ; à Jean Du Sin 127v°, Paris, 10 novembre 1578 ; « à Monsieur le Marquis de Vilars, à present admiral de France », Périgueux 9 février 1572. Voir aussi : « Nous sommes en une saison où il y a une infinité de traistres Chiens jappereaus qui acrochent et mordent hardyment le lion dejà mort et qui n’osoient à peine aboyer quand il passoit devant eux. À leur imitation on voit courir une formilliere de mouchars, et delateurs, renforçans la hayne, et credulité des grands, par mille trahisons, et inimitiez particulieres ; qui leur servent comme d’eschelle pour monter où ilz veulent attaindre » 93v°.
37 Les Tragiques, II, vers 1319-1530. Dans la veine satirique, La Gessée a donné en 1578 Les Odes-satyres et quelques sonnets ; il a aussi en portefeuille Les Jeunesses dont beaucoup de pièces ressortissent à cette inspiration.
38 De Fontainebleau, le 15 octobre 1578, 105 r°-v°.
39 106v°-108r°, sous l’anonyme : « Un gentilhomme ayant receu quelque injure, pretend s’en vanger : et sur ce se conseille à un autre, et le prie de l’assister ».
40 À Monsieur d’Anville (Tombeau de feu tres-noble Seigneur Henri de Foix, Paris, Gilles Blaise, 1573), 42v° et sq. ; à Catherine de Médicis (sont-ce Les soupirs de la France, Paris, Gilles Blaise, 1573 ou ce qui deviendra en 1583 Le cinquieme livre des Jeunesses ou la France éplorée ?) 57 v° et sq. ; au Sieur de Sarrieu (Nouveau discours sur le siège de Sancerre, Rouen, Richard Petit, 1573) 69r° et sq. ; à une Princesse, « trois livres en vers françois sur Tobie » (jamais publiés que nous sachions), 72 v° et sq. ; au futur Amiral de Coligny (Execration sur les infracteurs de la paix, Paris, Jean Borel, 1572), 112v° et sq.
41 12[5]r°-126r°.
42 135v°.
43 60v°-61v° : la dame, Anne de Brabançon, épouse d’Antoine III Du Prat et tante d’Anne d’Alègre, cherche, se défend-il, en le flattant, à « reveiller ainsi son jeune esprit ».
44 Sur le personnage, voir notre « Jean du Sin, ou Achille de Harlay, d’Aubigné, Aristote, et l’apothicaire de La Rochelle », BHR, LIX (1997), n° 2, p. 241-262.
45 Respectivement 20r° et sq., 62r° et sq., 96v° et sq. et 36v° et sq.
46 « À une princesse » (Marguerite de Valois, reine de Navarre ?), le 1er juin 1576, 73r°.
47 [9]3r°-v°, lettre du 1er juillet 1574.
48 Deux lettres de consolation : « Il console une grande Dame, sur la mort de son mary », (139v°-142r°) ; et « Une gentile Damoyselle console une Dame, sur la mort de son pere », (129v°-131v) ; cinq lettres amicales qui précisent la définition de l’amitié : au gentilhomme en entrée de Recueil (6r°-12r°), à Jean de Morel (48v°-50v°) et à Jean du Sin (127v°-129r°) ; mais aussi « Une Damoyselle se plaint à une sienne Amye absente, de ce que depuis son partement elle n’a receu de ses lettres » (18r°-19v°) et « Un Amy emploie au besoing celluy qui autresfois s’est offert à luy » (33r°-v°).
49 Respectivement Aviii r° et Avii v°.
50 Anne figure encore dans les Joann. Gessei Epigrammata ad Nicolaum Baufremontium de 1580 chez Denis Du Pré, à côté des jeunes filles savantes Camille, Diane et Lucrèce de Morel (Mazarine Recueil 45666). Elle y est, après Dorat qui offre, en seconde position donc, trois distiques, l’auteur d’un distique Ad lectorem rappelant le mélange caractéristique de La Gessée, le sérieux avec la facétie, p. 5.
51 « Un seigneur fait entendre à une Damoiselle l’extreme amitié qu’il luy porte » 12v°- 15r° ; « Une Damoiselle abandonnée d’un Seigneur son Amy, lamente son mallheur » 34r°-3[6]r° ; « Un Serviteur se plaint dequoy sa Dame l’a mis en oubly, et ne daigne l’honorer de ses lettres » 56r°-57r° ; « Un Serviteur s’apercevant de l’inconstance, et legereté de sa Dame, la taxe et prend son congé » 67r°-69r° ; « Un Amant remontre à sa Dame les travaus qu’il endure pour elle » [90]v°-92r°.
52 Voici les arguments des deux lettres gaillardes : « Il respond à quelque jeune Dame de Paris qui l’avait un peu gaussé par sa lettre : et luy demandoit une paire de cizeaus » 38r°- 40r° et « Il se jouë avec une jeune Damoyselle qui luy avoit escrit une lettre pleine de petis mots assez gaillars » 65v°-66v°. Le passage cité figure au f. 66r°-v°. On peut ajouter à ce corpus la harangue « Estans esloigné de sa Dame, il entre en contemplation de ses beautez et gentillesses » (115v°-119r°), véritable blason en prose, fort suggestif.
53 « Il s’excuse d’estre par fois si libre et gaillard en ses escris » 40v°-41r°.
54 40v°.
55 Trois lettres « féminines » (une dame sans nouvelles d’une amie, une dame abandonnée de son ami et une consolatrice à l’occasion d’un deuil), et deux harangues (une dame importunée par son serviteur, une dame à marier fâchée contre son serviteur).
56 Première édition en 1618 ; en 1625, 7e édition suivie de nombreuses autres.
57 Paris, Sébastien Cramoisy, et Sébastien Mabre-Cramoisy, 1665.
58 Rouen, Adrian Ouyn, 1626 et Jacques Cailloué, 1624 et 1626. Mais déjà à Rouen, chez Manasses de Preaulx, en 1614 et 1619.
59 Était-ce une édition à l’essai, sorte de prototype alors en vogue, comme peut le faire entendre la mention, dans l’extrait du privilège, de « la premiere edition du Recueil de ses Lettres missives, Discours, et Harangues familiaires. » ?
Auteur
Université Michel de Montaigne Bordeaux 3
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