1
Cet article est issu d’une conférence non publiée donnée au séminaire de Claude Thomasset en 1995, à l’Université de Paris-Sorbonne (Paris IV), alors que les ouvrages de J.-M. Fritz, qui allaient devenir fondamentaux sur le sujet, Paysages sonores du Moyen Âge. Le versant épistémologique, Paris, Champion, 2000, et Le cloche et la lyre. Pour une poétique médiévale du paysage sonore, Genève, Droz, 2011, n’étaient pas encore parus.
Jean-Marie Fritz recense la culture patristique, la science galénique, la réflexion aristotélicienne et le platonisme (Paysages sonores du Moyen Âge, op. cit., p. 15-16).
2
G. Matoré, Le vocabulaire de la société médiévale, Paris, PUF, 1985, p. 131.
3
Les éditions utilisées dans cette étude sont les suivantes : Les Romans de Chrétien de Troyes édités d’après la copie de Guiot (Bibl. nat., fr. 794), I. Érec et Énide, éd. M. Roques, Paris, Champion, coll. « CFMA », 1978 ; II. Cligès, éd. A. Micha, Paris, Champion, coll. « CFMA », 1978 ; III. Le Chevalier de la Charrete, éd. M. Roques, Paris, Champion, coll. « CFMA », 1983 ; IV. Le Chevalier au Lion (Yvain), éd. M. Roques, Paris, Champion, coll. « CFMA », 1978 ; V et VI. Le Conte du Graal (Perceval), éd. F. Lecoy, Paris, Champion, coll. « CFMA », 1975, 2 t.
4
Lancelot, éd. A. Micha, Paris-Genève, Droz, coll. « TLF », 1978-1983, 9 t. ; je me suis aidée du glossaire proposé dans le tome IX.
5
La Queste del Saint Graal, éd. A. Pauphilet, Paris, Champion, coll. « CFMA », 1980.
6
La Mort le Roi Artu, éd. J. Frappier, Genève/Paris, Droz/Minard, coll. « TLF », 1964.
7
Marie de France, Lais, éd. J. Rychner, Paris, Champion, coll. « CFMA », 1978.
8
Lais féeriques des XIIe et XIIIe siècles, éd. P. M. O’Hara Tobin, trad. A. Micha, Paris, GF-Flammarion, 1992.
9
Renaut de Beaujeu, Le Bel Inconnu, éd. G. P. Williams, Paris, Champion, coll. « CFMA », 1983.
10
Wace, La partie arthurienne du Roman de Brut, éd. I. D. O. Arnold et M. M. Pelan, Paris, Klincksieck, 1962.
11
A. J. Greimas, Dictionnaire de l’ancien français, Paris, Larousse, 1992.
12
D. James-Raoul, La parole empêchée, Paris, Champion, 1997, en particulier p. 252-254.
13
L’expression en audience est parfaitement amphibologique, pouvant signifier selon les cotextes « à voix basse » (Cligès, v. 3825 ; Le Chevalier de la Charrette, v. 225) ou « à voix haute » (La Mort le Roi Artu, 104, 22). L’expression d’un sentiment peut aussi aider à caractériser la voix que l’on entend : tendrement, dolereusement, pleintif, esfreement, angoisseusement, etc.
14
Le nom noise apparaît toujours au singulier, seul ou en binôme, à 28 reprises dans les romans de Chrétien de Troyes : voir aussi, dans Érec et Énide, les vers 5130, 5652 pour noise et bruit, le vers 3701 pour noise et esfroi ; dans Cligès les vers 5652-53 pour noise et bruit, 5944 pour noise et assaut, 5813, 6434 pour cri et noise ; dans Le Chevalier de la Charrette, le vers 6389 pour noise et murmure ; dans Le Chevalier au Lion les vers 479, 1060 pour noise et bruit, 6025 pour noise et tençon ; dans Le Conte du Graal le vers 6503 pour noise et estor. (Données du Dictionnaire électronique de Chrétien de Troyes, <http: atilf.fr/dect/> ; consulté en ligne le 15 octobre 2012)
15
Le nom bruit apparaît, au singulier ou au pluriel, à 15 reprises dans les romans de Chrétien de Troyes : il est employé seul ou en binôme uniquement avec le nom noise. (Données du Dictionnaire électronique de Chrétien de Troyes, <http: atilf.fr/dect/> ; consulté en ligne le 15 octobre 2012)
16
Citons, par exemple, ce passage de La Mort le Roi Artu, qui établit explicitement, par le biais de la syntaxe consécutive, un lien entre le combat et son bruit : « il hurtent et boutent tant que la reïne l’entent » (90, 12-13).
17
Au plan philologique, il est intéressant de constater que nombreux sont les termes liés à la perception sonore qui possèdent une origine onomatopéique, surtout forgée autour de groupes consonantiques [consonne + liquide] donnant naissance à des radicaux expressifs, encore plus marqués à cette époque du fait de la prononciation apico-alvéolaire de la liquide [R]. Par la convocation de ces mots, le discours littéraire mime phonétiquement en lui-même ce qu’il énonce, et c’est peut-être pour cette raison même qu’il peut se permettre de ne pas être toujours très précis sur le choix des termes employés. On remarque ensuite pour les mots relevés la haute fréquence d’une dérivation lexicale opérée à l’aide du préfixe es-, dont l’origine latine (ex-) signifie bien « le fait de sortir », en la circonstance d’un état sonore neutre ou indifférent : escrever, escrier, escroissir, estormir, esgoler, esgargueter, etc. C’est dire que la perception sonore est fondamentalement considérée comme une rupture dans l’univers du sujet ou pour le sujet. Enfin, il convient de noter que de nombreux termes ont une racine germanique. L’utilisation de ce substrat est, on le sait, importante dans certains champs lexicaux comme celui de la féodalité, des armes. Il conviendrait ainsi de rajouter celui de la perception sonore, qui touche de près à celui des armes : apparemment, les Barbares germains auraient ainsi eu l’ouïe fine, comme tendrait à le prouver la richesse de leur lexique en ce domaine. Aujourd’hui encore, les termes traduisant un son en langue allemande sont en nombre bien supérieur aux termes français. La sonorisation peu précise du monde arthurien en langue vernaculaire française n’est donc peut-être pas seulement un fait littéraire.
18
Chrétien de Troyes, Érec et Énide, trad. R. Louis, Paris, Champion, coll. « Traductions », 1984, p. 57.
19
Cette leçon vient du manuscrit BnF fr. 1420. Voir Érec et Énide dans Chrétien de Troyes. Œuvres complètes, dir. D. Poirion, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de La Pléiade », 1994, p. 54.
20
ld., « Notes et variantes », p. 1087.
21
Par exemple, dans La Mort le Roi Artu, le verbe veoir est, avec 577 occurrences, le sixième verbe le plus employé (après estre, 2649 occurrences ; avoir, 1569 occurrences ; faire, 1438 occurrences ; dire, 968 occurrences ; pooir, 583 occurrences ; il est juste avant venir, 558 occurrences), tandis que le verbe oïr n’apparaît que très loin derrière lui, en vingt-troisième position, avec 108 occurrences (voir P. Kunstmann et M. Dubé, Concordance analytique de La Mort le Roi Artu, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa, 1982). Le Dictionnaire Électronique de Chrétien de Troyes confirme ces données avec 1212 occurrences de veoir et seulement 369 occurrences d’oïr ; voir <http: www.atilf.fr/dect/> ; consulté en ligne le 15 octobre 2012.
22
Citons, entre autres très nombreux exemples, ce passage de La Mort le Roi Artu (18, 1-15) : « Lors s’afiche Lancelos seur les estriés et se met enmi les rens et fiert un chevalier que il encontra premier en son venir si durement que il porta a terre et lui et le cheval ; il hurte outre por parfere son poindre, car ses glaives n’estoit pas encore brisiez ; si ataint un autre chevalier et le fiert si que li escuz ne li haubers nel garantist qu’il ne li face plaie grant et parfonde el costé senestre ; mes il ne l’a pas blecié a mort. Il l’empaint bien, si le porte jus del cheval a terre si durement que cil est touz estordiz au cheoir que il fist ; et lors vole li glaives en pieces. Por ce cop s’arresterent pluseur chevalier del tornoiement et distrent aucun qu’il avoient veü un biau coup fere au chevalier nouvel. »
23
Sur cette expression, voir N. Andrieux-Reix, « Lors veïssieẓ, histoire d’une marque de diction », Linx, 32, 1995, p. 133-145.
24
Voir par exemple, dans La partie arthurienne du Brut, les vers 3981, 4163.
25
Voir La Mort le Roi Artu, 181, 28 et 45, 49 pour le premier assaut entre les deux camps ; et, pour la confrontation finale mortelle entre le père et le fils, 188, 19, 22, 25.
26
Id., 81, 28 ; 93, 51 ; 185, 31-32 ; 185, 55 ; 202, 48. La saveur épique de cette expression n’est déjà plus goûtée par Chrétien de Troyes, qui ne l’emploie pas une seule fois, mais on la trouve encore, par exemple, dans Le Bel Inconnu, v. 1424-1426 dans une scène de combat : « Lors oïssiez elmes tentir, / L’un enforcier, l’autre pener, / Vasals ferir, cevals suër. »
27
Voir par ex. Exode, XX, 18 : « Or tout le peuple voyait les tonnerres et les feux, le son du cor et la montagne fumante. » La traduction par un verbe de vision, voir ou apercevoir, plutôt que par le verbe entendre, est le choix présenté par bon nombre de versions contemporaines (aussi Darby, Martin, King James), celle d’Osterwald, de Segond 1910 et de Segond avec Strong dissociant les verbes selon les compléments (entendre les tonnerres et le son des trompettes / voir les flammes de la montagne fumante), celle annotée de Neuchâtel présentant les deux verbes voir et entendre coordonnés devant tous les compléments. Voir <http://www.lueur.org/bible/bible-comparer.php> ; consulté en ligne le 15 octobre 2012.
28
Dans les cinq romans de Chrétien de Troyes, le terme musique apparaît une seule fois, au v. 6708 d’Érec et Énide, quand l’écrivain mentionne les arts libéraux représentés sous une forme personnifiée sur la robe qu’Érec revêt à son couronnement.
29
Il faut excepter oïssieẓ dans le premier vers, 1875, qui porte une assonance en [e] avec le verbe à la rime…
30
Voir par exemple La Queste del Saint Graal, 182, 22-23.
31
Voir La Queste del Saint Graal, 49, 29-30.
32
Voir l’arrivée d’Érec chez le roi Lac, son père, dans Érec et Énide, v. 2295 ; 1a Joie de la Cour dans Érec et Énide, v. 6155-6157 ; la présence d’un gîte accueillant pour Lunette dans Le Chevalier au Lion, v. 4854.
33
Voir F. Pomel (dir.), Cornes et plumes dans la littérature médiévale, Rennes, PUR, 2010, en particulier « Cinquième partie, Quand la corne se fait cor : souffle et signe », p. 283-390.
34
Voir par exemple Érec et Énide, v. 131-132, et, dans les Lais féeriques, le lai de Guingamor, v. 338, 352-353, 416.
35
Voir, de même, Érec et Énide, v. 402-442 et, dans les Lais féeriques, le lai de Guingamor, v. 427-435.
36
Voir Isaïe XXIX, 6 ; Jérémie XXV, 30 ; Samuel I, VII, 10 ; II, XXII, 8-9, 14 ; Exode IX, 23 ; XIX, 16 ; Psaumes XXVIII, 3 ; LXXX, 8, etc.
37
L’expression Dieu tonant est fréquente dans les textes médiévaux : on la rencontre aussi bien dans la Chanson d’Aspremont, la Chanson d’Antioche, le Roman de Thèbes, la première Continuation de Perceval, le Tornoiemenẓ Antecrit, le Roman de Renart, les Quatre fils Aymon, le Roman de Tristan en prose, Christine de Pizan, le Mystère du Vieil Testament que, dans notre corpus, dans Cligès et La Mort le Roi Artu. Voir Corpus de la Littérature médiévale des origines au XVe siècle, Classiques Garnier numérique, 2001 ; consulté en ligne le 15 octobre 2012.
38
Voir sur le sujet Ch. Connochie-Bourgne (dir.), Déduits d’oiseaux au Moyen Âge, Aix-en-Provence, Publications de l’Université d’Aix-en-Provence, coll. « Senefiance », 54, 2009.
39
Laüstic, dans Les Lais de Marie de France, v. 61-68.
40
Yonec, dans Les Lais de Marie de France, v. 51-52, 61-62.
41
Lai de Guingamor, dans les Lais féeriques, v. 334.
42
Lai de Désiré, dans les Lais féeriques, v. 120.
43
Lai du Trot, dans les Lais féeriques, v. 45-46.