Le code de Perelà – une utopie éphémère : Il Codice di Perelà de Palazzeschi
p. 109-121
Texte intégral
1Il Codice di Perelà d’Aldo Palazzeschi fait figure d’« antiroman » par excellence, son auteur lui-même le désigne comme un « romanzo futurista » dans le sous-titre de la première édition1, la critique y voit un conte, une œuvre allégorique, fantastique, ou encore un « Staatsroman » (« roman d’État2 »). Ces nombreux attributs montrent d’une part à quel point il est difficile, ou même qu’il est impossible de classer précisément cette œuvre, parue en 1911, puis remaniée plusieurs fois par son auteur, en fonction de son genre et de son contenu ; d’autre part, ils en soulignent la polysémie fascinante. Il reste toutefois très clair que, dans Il Codice di Perelà, Palazzeschi rompt avec les conventions du roman réaliste et crée un roman ayant sa forme propre, dans lequel on trouve néanmoins des références à des procédés, formes et concepts littéraires traditionnels, qu’il n’est pourtant guère possible de ranger dans une même catégorie ; aucune des lectures possibles ne semble être vraiment privilégiée, il semble que toute interprétation soit nécessairement amenée à être relativisée. Cette résistance du texte peut être considérée comme l’une des raisons pour lesquelles, dans un premier temps, il n’a pas attiré l’attention, jusqu’à sa redécouverte dans les années 50 et 60, avec l’intervention de changements profonds dans la manière d’envisager la littérature. Dès lors, il fut considéré comme le chef-d’œuvre de Palazzeschi.
I. Il Codice di Perelà, un « roman d’État » insolite
2Parmi toutes les perspectives d’interprétation seront abordés ici celle de l’œuvre comme un « Staatsroman » ainsi que ses aspects utopiques. Il Codice di Perelà n’est manifestement pas une utopie littéraire, ni une dystopie, ni une contre-utopie ; cependant, on y décèle sans difficultés des emprunts faits au monde de l’utopie, tant en ce qui concerne certaines caractéristiques du scénario traditionnel de l’utopie que dans sa médiation fictionnelle3 ainsi que, plus largement, au niveau de la pensée utopique. Cependant, ces points communs se manifestent chez Palazzeschi de façon distanciée et dans de nouvelles configurations et combinaisons, si bien que les composantes de l’utopie ainsi que de la pensée utopique semblent être revisitées et déconstruites.
3Avant d’étudier les références présentes dans ce roman à des scénarios d’utopies littéraires et, plus largement, à ce qui relève de l’utopie, il convient de présenter brièvement le texte dans sa singularité, tant sur le plan de la forme que du contenu.
4Perelà, le personnage principal du roman, est un « uomo di fumo », un homme de fumée, qui, trente-trois ans durant, vit dans une cheminée d’où il n’entend que les voix de trois vieilles femmes : Pena (Peine en français), Rete (Filet) et Lama (Lame). Après que celles-ci se sont tues, il descend de sa cheminée et trouve une paire de bottes luisantes, chaussé desquelles il s’aventure dans le monde qu’il ne connaissait jusqu’alors qu’au travers des discussions des trois vieilles femmes. Sur sa route, il rencontre les soldats du roi Torlindao qui règne sur le pays. Il leur raconte son histoire et est amené à la cour en tant que curiosité. Sa différence et sa légèreté fascinent la cour et lui confèrent aussitôt un statut d’exception. Non seulement il rencontre les personnalités les plus importantes du pays, un peintre, un photographe, un banquier, un poète, un critique, un philosophe, un médecin et un cardinal archevêque, mais se voit en outre choisi pour être le troisième membre d’une commission chargée d’établir le « Code », le nouveau recueil de lois attendu depuis longtemps. S’ensuivent une invitation à prendre le thé en compagnie des dames de cour, à l’occasion de laquelle elles font de Perelà leur confident et lui racontent leurs histoires de cœur, une audience auprès de la reine ainsi qu’un bal en l’honneur de Perelà. La mission qui lui a été confiée par le roi d’élaborer le nouveau recueil de lois conduit ensuite l’« homme de fumée » à visiter plusieurs institutions étatiques ainsi que les lieux les plus divers du royaume : un monastère, un cimetière, un pré d’amour, une prison, un asile ainsi que Delfo et Dori, deux villages voisins paisibles. La visite prévue à l’armée ne peut finalement pas avoir lieu suite à la découverte du corps carbonisé d’Alloro, le valet le plus fidèle de la cour, qui voulait, comme Perelà, être aussi léger que la fumée. Alors, les choses basculent pour Perelà : il est soupçonné d’être à l’origine de cette expérience malheureuse et est mis en accusation par le Conseil d’État. Perelà se tient en retrait et ne dit pas grand-chose pour sa défense. Il est condamné à la prison à vie et est enfermé dans un cachot situé sur une colline avoisinante ; alors, il se change en un petit nuage gris à forme humaine, s’évade en passant par la cheminée et s’élève vers l’infini.
II. Aspects utopiques : références et différences
5Un résumé comme celui-ci peut donner une idée de l’histoire peu commune du roman, mais ne renseigne pas sur la forme, encore moins commune. Au contraire d’une majorité de textes narratifs, Il Codice di Perelà est organisé pour l’essentiel sous forme de dialogue ; cependant, à la différence des textes dramatiques, le locuteur n’y est pas explicitement identifié, ce qui laisse le soin au lecteur de déduire des répliques qui sont les locuteurs et quelle est la situation dialogique, même s’il est vrai que les titres donnent tout du moins un point de repère4. À certains moments, rares mais décisifs, un narrateur apparaît brièvement5 avant que le dialogue ne reprenne. Deux formes de dialogue opposées sont identifiables : une alternance de répliques courtes, ne comportant parfois qu’un mot ou une syllabe, d’une part, et, de l’autre, un dialogue monologique en quelque sorte, au cours duquel l’un des interlocuteurs parle longuement tandis que l’autre ne répond que d’une syllabe ou bien ne parle pas6. La médiation sous forme de dialogue ne laisse guère de place à la description des lieux et des milieux au sein desquels se déroule l’action ainsi que des personnages qui en sont les agents. Sur l’arrière-plan du roman réaliste, cette forme atypique d’écriture romanesque est généralement considérée comme une provocation et comme un contre-pied volontaire aux formes de représentation du XIXe siècle, où le narrateur domine. En ce qui concerne l’utopie littéraire, cependant, on peut la voir comme une réminiscence de ses formes plus anciennes : Utopia de Thomas More (1516) au même titre que Città del Sole de Tommaso Campanella (1602) sont des textes dialogiques comportant de longs passages monologiques. Sans pour autant surévaluer l’importance de ce point commun, on pourrait interpréter le choix d’une structure essentiellement dialogique comme la première d’une longue série de parentés avec l’utopie. Ce constat doit néanmoins, comme annoncé ci-dessus, être nuancé : certes, ces trois textes se fondent sur une situation dialogique, mais celle du Codice di Perelà se distingue manifestement des deux autres. Chez Palazzeschi, il n’y a pas, comme chez More, de dialogue-cadre avec des interlocuteurs constants, au cours duquel le monde utopique est représenté, ni de situation dialogique avec une alternance entre répliques qui représentent et répliques qui commentent comme chez Campanella : ici, la situation dialogique tout comme les personnages changent d’un chapitre à l’autre et parfois même au sein d’un chapitre. Les dialogues qui s’établissent sont généralement le fruit du hasard, ils suivent leur cours comme des conversations quotidiennes et ne sont pas le support de l’explication, de l’argumentation ou du débat. Ainsi, la médiation entre le monde utopique et le monde présenté comme réel à l’intérieur de la fiction, rôle central dans le cadre de l’utopie, est absente chez Palazzeschi, si bien qu’il revient au lecteur de décider ce qu’il faut voir comme relevant de l’utopie, d’une part, et de la « réalité », de l’autre.
6Le monde fictionnel qui se construit au cours des dialogues dans Il Codice di Perelà présente lui aussi un nombre surprenant de similitudes et de points communs avec les scénarios d’utopies littéraires, mais il convient de noter que ceux-ci s’écartent souvent d’une façon infime mais déconcertante du modèle utopique7. L’une des principales caractéristiques du monde utopique est son insularité, et avec elle l’isolement et l’autonomie qui en découlent et contribuent à garantir et préserver sa particularité. Une conséquence de cette insularité est le voyage tout aussi typique du visiteur qui entre dans le monde utopique puis en sort. Perelà lui-aussi, après être descendu de sa cheminée, arrive plus ou moins en qualité de voyageur, les bottes aux pieds, dans les environs de la ville sans nom, où il rencontre une femme à qui il demande si ce qu’il voit au bout de la rue est bien la ville, et si le bâtiment qui se trouve plus loin est bien la maison du roi. Elle lui répond que la ville est entourée de remparts, et que le palais du roi se trouve au milieu de la ville. Les sentinelles lui font comprendre que l’accès à cette ville n’est pas ouvert à tous : ils arrivent en trombe, si bien qu’ils font disparaître l’homme de fumée dans la poussière qu’ils soulèvent. Après s’être accordés sur la nécessité de présenter cet homme au roi en tant que curiosité, ils lui ouvrent les portes de la ville, et il accède à un lieu qui lui est inconnu, où il se retrouve confronté à des choses entièrement nouvelles, où il découvre un monde étranger avant de le quitter.
7On retrouve ici l’une des situations typiques de l’utopie littéraire : un voyageur se retrouve – plus par le fait du hasard que suivant un projet défini – dans un décor inconnu et découvre la communauté (idéale) avant de s’en aller. Tout comme il déconstruit la structure dialogique, Palazzeschi modifie également cette caractéristique. Tandis que, traditionnellement, le voyageur vient d’un monde présenté comme connu et réel pour arriver dans un lieu idéal et – malgré le grand souci d’authenticité – manifestement fictif, le voyageur dans Il Codice di Perelà est un homme de fumée, un être clairement irréel, qui vivait dans une cheminée, endroit pour le moins inhabituel. Palazzeschi ne se contente pas d’inverser le rapport entre le monde réel à l’intérieur de la fiction et celui qui relève de l’invention ; il amplifie cette ambivalence en attribuant à la ville où se rend Perelà et à la communauté qui l’habite des traits utopiques aussi bien que des traits réalistes qui ont souvent une dimension satirique apparente. Aucune tentative n’est faite pour rendre la situation vraisemblable, au contraire : la fictionnalité du monde représenté est mise en exergue, ce qui rend vaine toute stratégie de réalisme du côté de l’auteur et coupe court à toute attente de réalisme du côté du lecteur.
8Ce jeu subversif de Palazzeschi sur l’élément constitutif de l’utopie qu’est la frontière entre le monde donné comme réel et le monde imaginaire de l’utopie est également pratiqué sur d’autres composantes caractéristiques de l’utopie, que l’on retrouve indéniablement dans le roman mais qui y sont modifiées de différentes manières. Ainsi, par exemple, la ville où se rend Perelà abrite une communauté reposant sur des structures politiques, économiques et morales qui laissent entrevoir une organisation sociale complexe8. Celle-ci n’est cependant pas décrite ni présentée comme exemplaire dans son fonctionnement ; elle n’est évoquée qu’indirectement, au travers des divers représentants de corps de métiers et fonctionnaires qui se rassemblent autour de Perelà. Un peintre, un photographe, un banquier, un poète, un critique, un philosophe, un médecin, un cardinal archevêque, font leur apparition l’un après l’autre et discutent brièvement avec ce curieux homme de fumée ; ils sont les représentants d’un ordre social supposé connu et familier pour le lecteur. Les récits étranges, parfois abstrus, des douze dames de cour qui racontent à Perelà leurs vies et leurs expériences amoureuses font clairement contraste avec ces discussions. Ils sont fantastiques et absurdes non seulement dans la mesure où, sur le plan du monde représenté, ils remettent en question la normalité sociale suggérée dans le chapitre précédent, mais ils semblent également être une parodie de l’utopie aux multiples facettes où la réglementation de la vie sexuelle que l’on peut y trouver est inversée.
9Palazzeschi reprend également la perfection géométrique qui caractérise un grand nombre de lieux utopiques. Même en l’absence de description de la ville, qui ne prend forme qu’au travers du discours des courtisans à propos de l’« entrée triomphale » de Perelà ainsi que de sa sortie dans la honte, on constate clairement que l’urbanisme y suit des règles qui s’apparentent à celles qui sont à l’œuvre dans les villes utopiques. Cette parenté est manifeste en ce qui concerne les villages Delfo et Dori, dont la symétrie est explicitement indiquée à Perelà. Delfo et Dori sont identiques en tout point, qu’il s’agisse du nombre de tuiles sur les toits ou de fenêtres sur les façades ; les deux villages constituent ainsi le cadre idéal pour que leurs habitants y vivent paisibles et sereins.
10Dans Il Codice di Perelà l’intemporalité caractéristique des lieux et des sociétés utopiques, qui « sont simplement là », est moins le résultat de l’absence d’indices inscrivant l’action dans un contexte temporel que de la présence d’éléments renvoyant à des époques historiques différentes : le roi et sa cour sont des éléments intemporels du conte ; le journaliste, le critique et le photographe y font leur apparition ; Perelà est conduit en carrosse dans une ville qui dispose d’un cinéma et où les gens téléphonent ; le recueil de lois dont Perelà est chargé de rédiger une nouvelle version est attendu depuis plus d’un siècle et devrait selon les dames de la cour accorder plus de libertés9. Le caractère hétérogène et disparate des références rend impossible aussi bien une mise en perspective historique, systématique, qu’une inscription en synchronie de l’histoire, si bien qu’une certaine intemporalité s’en dégage ; mais l’histoire n’est pourtant pas perçue comme hors du temps, car le fait que se côtoient le carrosse et le cinéma, les dames de cour et le téléphone, produit un décalage surprenant. Pour ce qui est du séjour de Perelà dans la ville, Palazzeschi conserve également l’indétermination temporelle qui caractérise la visite du voyageur dans le monde utopique, mais la déjoue en donnant des indications précises de temps et de lieu au moment du procès de Perelà10. Le monastère, le cimetière, la prison et l’asile que Perelà visite au cours de son voyage d’observation illustrent le troisième aspect d’un temps arrêté. C’est précisément dans ces lieux absolument non-idéaux, qui renvoient à une réalité hors de la fiction, que rien ne change ; ainsi, il semble difficile de distinguer une frontière entre l’intemporalité de l’idéal inaccessible et la temporalité de la réalité intra-fictionnelle : au contraire, une séparation se dessine à l’intérieur de la réalité représentée.
11Dans Il Codice de Perelà, le lecteur n’apprend que peu de choses sur le système social et économique ; mais un autre élément propre aux scénarios utopiques n’échappe pas : il s’agit de la présence d’une force organisatrice, garante de l’équilibre et de la stabilité. Ce « législateur », comme l’appelle Raymond Trousson11, n’est cependant pas le roi Torlindao, mais justement Perelà, comme l’annonce le titre du roman. La rédaction du recueil de lois revient dans un premier temps à un conseil de trois personnes dont il fait partie, puis finalement à lui seul. D’un côté, ce texte est censé amener des changements radicaux, mais de l’autre son élaboration est attendue depuis plus de cent ans. Cette mission vaut à Perelà le respect et la haute considération de l’ensemble de la société.
12C’est avec cet élément au plus tard que l’incompatibilité des fonctions de Perelà dans le cadre de la frontière traditionnellement univoque entre le monde de l’utopie et le monde hors de l’utopie devient manifeste. Perelà est d’un côté celui qui quitte le monde d’où il vient et s’aventure dans un monde nouveau et inconnu : il est donc dans une certaine mesure le voyageur qui pénètre dans le monde de l’utopie. Mais il est également celui sur lequel ce monde fonde tous ses espoirs dans un premier temps, à l’échelle de la société comme à l’échelle des individus. Ainsi, Perelà acquiert une dimension utopique qui est incompatible avec la première fonction évoquée ci-dessus. La seconde dimension proprement utopique est reconnaissable à la manière dont ses interlocuteurs se comportent vis-à-vis de l’altérité de Perelà. À la ville, Perelà fait figure d’exception, il est l’étranger qui fascine, l’idéal que les citadins tentent d’ancrer dans le monde qu’ils connaissent – recourant ainsi au procédé du récit utopique qui consiste à rendre compréhensible la relation de l’autre monde au monde connu et à faire la médiation entre les deux12. Ainsi, par exemple, l’apparition de Perelà est interprétée comme une naissance13, pour exprimer la sortie de la cheminée dans d’autres termes14, et la cheminée elle-même, que Perelà appelle « utérus noir » et « sein maternel », correspond au ventre de la mère où, dit-il, il fait noir et l’on ne voit rien15. Les bottes de Perelà, qu’il déclare avoir trouvées devant la cheminée, mais qui ne conviennent qu’assez mal à son corps de fumée, sont elles aussi un point d’ancrage permettant aux citadins d’intégrer Perelà dans un contexte qui leur est familier. Certains les comparent aux bottes brillantes des officiers, d’autres sont convaincus qu’elles ont été volées, d’autres encore les trouvent très semblables aux leurs et pensent qu’elles ont été confectionnées par un excellent cordonnier16. L’altérité à l’état pur de Perelà éveille lors de son apparition à la ville des espoirs de changement et de justice qui le positionnent comme la personne idéale pour rédiger le nouveau recueil de lois.
13Comme le montre cette contradiction manifeste entre les fonctions de Perelà dans le cadre de l’utopie littéraire, et comme l’ont fait apparaître certaines des parentés évoquées ci-dessus, Il Codice di Perelà ne suit pas le modèle du genre utopique mais le cite simplement, pour ensuite jeter sur ses composantes une lumière nouvelle et inhabituelle. Ainsi, les caractéristiques de l’utopie s’avèrent n’être que des recoupements ponctuels qui ne servent pas à construire un autre monde idéal et homogène comme celui de l’utopie littéraire, mais préservent les horizons d’attente liés au genre utopique. Comme Palazzeschi pratique ces emprunts au genre de l’utopie de manière très variable, la recherche d’un principe selon lequel il procéderait tout au long du roman – il pourrait s’agir de l’inversion systématique, du retrait ou de l’accentuation de certains éléments – tourne court. La seule constante dans ce jeu aux variantes multiples avec les éléments de l’utopie est l’esthétisation de ces derniers.
III. Déconstruction et esthétisation
14Celle-ci est particulièrement manifeste lorsque l’on considère l’utopique au sens large, soit d’une part les représentations idéales présentées ensemble dans le roman de Palazzeschi, et d’autre part Perelà et le « Code » en tant que représentants de l’utopie.
15Les passages où affleure le plus clairement une forme de pensée utopique sont, d’une part, celui concernant les deux villages voisins Delfo et Dori et, de l’autre, celui concernant l’idée que se fait Perelà de la guerre et de l’amour. Delfo et Dori sont deux villages que l’on montre à Perelà au cours de son voyage d’observation à travers le royaume, et qu’on lui présente comme les plus charmants et les plus paisibles de tous les villages des environs. Leur situation géographique, leur disposition symétrique de part et d’autre d’un fleuve, leur communauté paisible et sympathique ainsi que ses habitants vivant dans la sérénité et l’insouciance et recherchant chacun un partenaire dans l’autre village parfont l’image d’un endroit idéal. Cependant, cette sérénité exemplaire n’y a pas toujours régné, comme l’explique le guide de Perelà : l’envie et la jalousie avaient jadis conduit les habitants de Delfo à envahir et occuper Dori. Terrifiés, les Doriens en fuite s’étaient réfugiés dans les embarcations de leurs agresseurs et s’étaient enfuis vers l’autre rive où ils étaient tombés sur les maisons abandonnées de Delfo, dont ils avaient pris possession. « Che era successo ? » demande le guide avant de répondre à sa propre question : « Nulla. Avevano tutti e due conquistato il paese nemico, la guerra non poteva essere più vittoriosa, e per la prima volta i nemici vinsero insieme. Rimasero così perché nessuno potesse più invidiare l’altro. Le barche e le barchette servirono per i buoni rapporti d’affetto e d’interessi che fra i due paesi da quel giorno regnarono sempre. » (ICP, 16417) L’utopie d’un lieu quasi-paradisiaque et d’une communauté fonctionnant sans problème n’est donc pas mise en contradiction avec le monde réel, hors de l’utopie, mais elle est ici considérée dans une perspective historique non dénuée d’ironie, de sorte que l’opposition entre utopie et réalité bascule d’une dimension spatiale à une dimension temporelle. À la différence de ce que l’on a appelé utopie temporelle, l’utopie ne se déroule pas dans l’avenir mais dans le présent, et son pendant négatif est inscrit dans le passé. Une zone d’ombre persiste toutefois sur les questions de savoir comment et pourquoi la haine viscérale qui régissait les rapports entre les deux villages a pu se transformer en une paisible cohabitation18, et les détails de son fonctionnement demeurent obscurs. La problématique de la pérennité de cet état idéal de même que l’idée de l’étendre à d’autres domaines est tout aussi peu abordée, de sorte que l’utopie donne l’impression d’être un heureux accident, abstrait et opaque.
16L’idée que Perelà se fait de l’amour et de la guerre témoignent également d’une pensée utopique, caractérisée dans le texte par sa qualité fictionnelle et purement discursive, dans la mesure où les idées de Perelà se fondent uniquement sur ce qu’il a pu saisir des conversations des trois vieilles femmes, Pena, Rete et Lama, lorsqu’il était dans sa cheminée. Sa connaissance du monde est le fruit de ce qu’il a entendu, et non de sa propre expérience ; elle est théorique, dépourvue de toute opinion personnelle et de toute dimension pratique19. Lorsqu’il rencontre les sentinelles aux portes de la ville et qu’il observe leurs armes et leurs armures faites d’acier de fer et de plomb, Perelà réalise à quel point sa vision du monde est loin de la réalité. Les hommes ne courent pas faire la guerre nus et légers, d’un pas souple et feutré comme celui du léopard, mais lourdement chargés et immobiles à cause de leur équipement d’acier, de fer et de plomb. Manifestement ils ne combattent pas suivant l’idée que se faisait Perelà, en fondant les uns sur les autres tels des oiseaux, et les champs de bataille ne sont pas rougis du sang des guerriers qui les alourdit et dont ils ont voulu se débarrasser pour pouvoir filer d’autant plus légers vers la victoire : la légèreté, signe caractéristique de Perelà, est étrangère à la guerre telle que la font les hommes. Lorsque Perelà prend conscience de la nature de la guerre, gigantesque et infâme bouillie grisâtre20, une désillusion supplémentaire s’ensuit. Le mot amour évoquait jusqu’ici pour Perelà deux êtres à la chevelure blonde, vêtus de vêtements fins et légers, bleus et roses, se regardant l’un l’autre avec un sourire innocent et qui, enveloppés dans une aura d’ailes blanches, flottent à travers la pièce sur un nuage de fleurs. Or, maintenant, il apprend que dans la ville même où il se trouve, deux jeunes vénitiennes incroyablement belles se sont jetées dans un puits où elles se sont noyées, car elles aimaient le même homme qui, désespéré, pleure à même le sol. L’arrivée de l’homme de fumée dans le monde réel l’amène directement à prendre conscience – et ce dès le premier chapitre – que les idées qu’il a retirées des mots et des quelques bribes de conversation qu’il a pu saisir n’ont rien à voir avec cette réalité. En outre, la vision du monde de Perelà au même titre que les contre-exemples auxquels il se trouve confronté dans la ville sont tellement caricaturés et marqués d’invraisemblance qu’il n’en résulte pas une opposition entre une sphère réelle et imparfaite et une sphère utopique et idéale ; les deux variantes apparaissent bien plus teintées d’ironie, et la question de la possibilité et des modalités de la réalisation d’une pensée utopique ne se pose même pas.
17Le personnage qui donne son titre au roman lui-même est, comme démontré plus haut, impossible à positionner par rapport au monde réel comme par rapport au monde utopique, car les caractéristiques des deux domaines se mêlent en un ensemble paradoxal21. Perelà est un personnage auquel cette dénomination dans son sens réel ne s’applique pas, car l’homme de fumée n’agit guère de son propre chef, ne défend guère ses opinions, parle à peine ; il n’est là qu’en tant qu’interlocuteur dans des conversations ou comme sujet de conversation dans les conversations des autres. Il n’est pas un sujet, il est un être sans individualité, dépersonnalisé, enlevé à la terre par sa légèreté monstrueuse – une apparence utopique en deux sens. D’un côté, la perte de l’individualité est un trait caractéristique des sociétés utopiques, car elle rend possible une homogénéité sociale et intellectuelle ainsi qu’un fonctionnement sans accrocs de la communauté. Vu sous cet angle, Perelà est un représentant d’une société utopique. De l’autre, cependant, Perelà est tellement hors du commun sur le plan de son aspect extérieur ainsi que de ses attributs et qualités qu’il peut être qualifié d’utopique dans le sens d’inventé ou d’irréel. Lors de son arrivée à la ville, l’altérité de Perelà, son corps fait de fumée et sa légèreté sont interprétés comme des signes de pureté, faisant de lui un être privilégié, élu, idéal. Au bal, il est accueilli comme suit : « Evviva il grande Perelà ! – L’Unico. – Il solo. – Il divino. – Dio mio ! – Evviva ! Evviva ! » (ICP, 100-10122) et la rédaction du nouveau recueil de lois est confiée à « questa superiore, cavalleresca creatura, […] questa eccezionale, sovrumana natura che è Perelà » (IPC, 10123). Aux yeux de la société de la cour, Perelà n’est pas un être humain, ou il est plutôt l’être humain absolument unique « su cui la fiamma purificatrice passò ad annientare il torbido travaglio della materia… » (ICP, 10224). La libération de la matière par la flamme purificatrice de la cheminée fait de lui la sublimation du corps et de l’esprit humain et lui confère un autre statut ontologique : « Non viene per darci prova palpabile di altre vite, di altri tempi, di altri destini, vita e destini nei quali gli umani istinti non hanno più una loro parola ? » (ICP, 10225). L’espoir d’une autre vie, d’un autre destin, d’une nouvelle époque, où les instincts humains qui dominent seraient balayés, prend corps en la personne de Perelà et fait de lui la personne idéale pour rédiger un Code aux traits manifestement utopiques, « opera di purezza e di equilibrio, opera di assoluta giustizia sociale, materiale e spirituale » (ICP, 10326). Perelà lui-même ne s’exprime pas à ce propos. Sa fonction semble bien plus être celle d’un catalyseur et d’une surface de projection pour les espoirs, les souhaits et les conceptions des autres. Face à cet étrange homme de fumée, les fonctionnaires de la cour se confient quant à leurs activités, les dames de cour quant à leurs histoires de cœur, la reine quant aux questions qu’elle se pose sur sa survie, les nonnes quant à leurs histoires de foi, ainsi que les prisonniers, les fous, les amoureux, les gardiens des morts, etc. La simple présence de Perelà donne lieu à un panorama de la communauté, un processus inversé qui renvoie là encore aux mécanismes de l’utopie, dans le cadre de laquelle le récit qui présente la perfection fait ressortir l’imperfection de la réalité. En poussant l’analogie plus loin encore, on pourrait dire que l’essentiel n’est pas le scénario utopique en soi, mais bien l’accroissement de l’acuité dans la perception de soi et de la réalité qui en résulte ; celle-ci reste généralement inexprimée dans l’utopie, tandis qu’elle est abordée explicitement par les interlocuteurs de Perelà dans Il Codice di Perelà.
18Le fait qu’il ne s’agit clairement pas de réaliser l’utopie, de devenir comme Perelà – c’est-à-dire d’écrire le recueil de lois – est attesté, d’un côté, par la mort d’Alloro par le feu ainsi que les conséquences qui s’ensuivent, et, de l’autre, par la réinterprétation surprenante que fait Perelà de sa mission. L’échec de la tentative du valet Alloro, qui voulait réaliser lui-même l’utopie de la légèreté et de la pureté, aboutit au démantèlement de l’utopie avec la condamnation de Perelà. L’espoir que tous avaient placé en lui se change en mépris et en haine. D’abord appelé « l’unico », « il solo », « il divino » il devient « il figlio di Belzebù », « il Cristo del Diavolo » (ICP, 19427), et l’utopie se change en anti-utopie. Mais Perelà ne se laisse pas simplement enfermer dans un cachot pour oublier. Une fois laissé entièrement seul dans sa cellule de quatre mètres carré, il entame une sorte de monologue final. Il ne pourra pas laisser aux hommes le recueil de lois idéal qu’ils attendaient de lui ; à la place, cependant, il leur laissera un message d’une nature bien particulière, comme lui seul peut le faire : un petit nuage gris à forme humaine qui traverse l’horizon sous le soleil et monte vers l’infini28. Une utopie éphémère, à la recherche de laquelle les hommes se tournent vers le ciel au dernier chapitre : « Come è solcato oggi il cielo. Sembra un popolo nuovo di uomini nuovi, non è vero ? – No, di nuovi uccelli. […] – Fammi volare, amore ! – Quegli uomini vanno a consegnare di propria mano la loro anima a Dio. – Macché ! – Dove vanno ? – Vanno a cercare Perelà. – Perelà ? – Il signor Perelà ? – Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! » (ICP, 26729) En se changeant en nuage et en montant vers le ciel, Perelà se soustrait définitivement à l’emprise des hommes, mais s’assure par là également l’intégrité dans un lieu qui n’existe pas. Si Perelà ou l’utopie n’existent pas sous leur avatar concret parmi les hommes, ils sont, sous leur forme éphémère, le but de la recherche de l’homme, si petit et intangible que soit le nuage gris.
19Si l’on ne peut pas dire de ce roman qu’il est une utopie, il apparaît clairement que le modèle littéraire de l’utopie est constamment présent dans Il Codice di Perelà. Si l’on fait abstraction de toutes questions éthiques et pragmatiques, c’est l’esthétisation d’éléments les plus divers de la littérature utopique qui caractérise le roman de Palazzeschi. Il ne conçoit pas le pendant négatif idéal de la réalité ni ne montre un exemple réalisable ; le jeu esthétique sur les composantes de l’utopie semble bien plus renvoyer à l’imagination humaine en soi, au besoin et à la faculté de rendre l’inimaginable imaginable, qu’il s’agisse de l’idéal inaccessible comme du néant. C’est dans l’asile, qui fourmille de personnes dont l’imagination florissante échappe aux règles, que l’on dit à Perelà : « [Gli uomini] hanno bisogno di dare un corpo al nulla, che il nulla si possa vedere e anche toccare, almeno con l’immaginazione, che si possa dipingere sopra la tela, scolpire nel marmo e nella pietra, descrivere sulla carta » (IPC, 15230). La peinture, la sculpture, la littérature ont le pouvoir de rendre le fruit de l’imagination visible, audible, tangible, et de donner une forme au néant. Il Codice di Perelà fait apparaître qu’en 1911, dans le cadre du genre littéraire de l’utopie, cela n’est plus vraiment possible. Cependant, le roman exprime la conviction de Palazzeschi que l’utopie en tant que mode de pensée est une constante anthropologique, et qu’en cette qualité, elle est inéluctable.
Notes de bas de page
1 Cette indication ne figure pas sur l’édition de 1958 que nous prendrons ici comme texte de référence (abrégé en ICP, suivi du numéro des pages) : A. Palazzeschi, Il Codice di Perelà, Milano, Mondadori, 1977 ; par contre, elle figure dans la traduction française (abrégée en LCP, suivi du numéro des pages) : A. Palazzeschi, Le Code de Perelà (roman futuriste), trad. M. Baccelli, Paris, Éditions Allia, 1993.
2 V. Kapp (dir.), Italienische Literaturgeschichte, Stuttgart-Weimar, Metzler, 1992, p. 342. La notion de « Staatsroman » a été inventée par Robert von Mohl que l’on qualifie souvent de « fondateur de la recherche moderne sur l’utopie » ; voir P. Kuon, Utopischer Entwurf und fiktionale Vermittlung. Studien zum Gattungswandel der literarischen Utopie zwischen Humanismus und Frühaufklärung, Heidelberg, Klostermann, 1986, p. 6-7.
3 Peter Kuon introduit cette distinction fondamentale pour la recherche littéraire sur l’utopie dans Utopischer Entwurf und fiktionale Vermittlung, op. cit.
4 Le deuxième chapitre, « Il Thè », se distingue par le fait que les noms des dames de cour, qui engagent un « dialogue » monologique avec Perelà, y sont mentionnés dans des titres intermédiaires.
5 L’apparition d’un narrateur est toujours importante pour le déroulement de l’histoire : au chapitre 5 lorsqu’il introduit le voyage d’observation de Perelà comme au chapitre 12 qui est consacré à la mort d’Alloro ou encore au chapitre 14 qui porte le titre « Perché ? ». Ces trois chapitres sont décisifs pour la suite de l’histoire.
6 L’organisation variable de cette structure fondamentalement dialogique apparaît particulièrement bien dans le chapitre « Il Thè » mentionné plus haut – il contient des récits métadiégétiques quoique, par endroits, interrompus par du dialogue –, dans le chapitre « Il Codice di Perelà », dans le quel Palazzeschi intègre des passages composés d’onomatopées qui rappellent les paroles en liberté futuristes, ainsi que dans certains passages de différents chapitres qui s’apparentent à des poèmes, qui riment parfois, et qui renvoient à l’œuvre lyrique antérieure de Palazzeschi.
7 Pour ce qui est des caractéristiques générales qui sont celles des mondes utopiques, je me réfère ici à la classification que Raymond Trousson établit dans son ouvrage Voyages aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique [1975], Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1979, au chapitre intitulé : « Les caractéristiques générales du genre utopique », p. 19-24.
8 Pour R. Trousson, Voyages aux pays de nulle part, op. cit., p. 28, l’une des caractéristiques définissant l’utopie littéraire est la description d’une « communauté […] organisée selon certains principes politiques, économiques, moraux restituant la complexité de l’existence social. »
9 « Le nostre leggi attuali, signor Perelà, hanno bisogno di innovazioni radicalissime, con la faccenda di questo benedetto Codice che sempre si deve fare e non si fa mai, siamo arretrati di almeno un secolo. Poco si parla nel vecchio Codice della donna e sempre a suo danno o a sproposito, la donna deve entrare in assai più faccende, in tutte perché le cose procedano come si deve, i signori uomini non capiscono quasi niente » (ICP, 43) explique l’une des dames de cour à Perelà. Soit : « Nos lois actuelles, monsieur Perelà, ont besoin de modifications radicales : dans l’ancien Code on parle très peu de la femme, ou en dépit du bon sens. La femme doit accéder à beaucoup plus de domaines, c’est indispensable, pour que les choses aillent mieux ; messieurs les hommes n’y comprennent quasi rien » (LCP, 38-39). Ce recueil de lois n’est pas le seul indice d’émancipation ; dans leurs récits, la supériorité des dames de cour par rapport aux hommes dans les affaires amoureuses est manifeste.
10 « Già alle sette della mattina la via e le adiacenze del palazzo di Giustizia erano affollatissime. Quando è passata la vettura con Perelà le urla e i fischi si sono scatenati in una bufera infernale. Sono le dieci. Si attende il Ministro della Giustizia seguìto dai giudici. » (ICP, 223). Soit : « À sept heures du matin déjà, l’avenue et les rues adjacentes au palais de Justice étaient noires de monde. Lorsque la voiture de Perelà est arrivée, les hurlements, les sifflets se sont déchaînés comme un vertigineux ouragan. Il est dix heures, on attend le Ministre de la Justice et les juges. » (LCP, 159-160). Le chapitre « Il processo di Perelà » se distingue au début par une forte présence du narrateur ; elle rend possible une représentation actualisante des évènements qui font également l’objet de commentaires narratifs. Les dialogues s’y intègrent naturellement, ce qui rappelle directement la structure d’un texte dramatique qui s’organise en texte principal et texte secondaire.
11 R. Trousson, Voyages aux pays de nulle part, op. cit., p. 21.
12 Voir P. Kuon, Utopischer Entwurf und fiktionale Vermittlung, op. cit., p. 3.
13 « Quando siete nato ? – Non lo so. Stamani all’alba scesi alla luce. – Che diavolo vuol dire con questo scendere ? – Vuol dire che è venuto alla luce stamani, ecco. Nascere e venire non è la stessa cosa ? » (ICP, 13). Soit : « Quand êtes-vous né ? – Je ne sais pas. Ce matin à l’aube je suis descendu à la lumière. – Mais que diable veut-il dire avec son “descendu” » ? – Il veut dire qu’il est venu à la lumière ce matin, naître et venir, n’est-ce pas la même chose ? » (LCP, 19)
14 « Scusate, siete nato con le scarpe ? – No, queste le trovai appena sceso. – E dagli con questo scendere. – Lui dice sceso per nato, non hai ancora capito, testa di legno ? » (ICP, 14). Soit : « – Excusez-moi, vous êtes né avec vos bottes ? – Non, je les ai trouvées quand je suis descendu. – Et allez-y, avec son “descendu” » ! – Mais il dit descendu pour né, il n’y a pas de quoi en faire un plat ! » (LCP, 19-20)
15 Ibid.
16 Voir ICP, 6, 12 et 22 ; LCP, 12, 18 et 25-26.
17 Soit : « Que s’était-il passé ? Il ne s’était rien passé : ils avaient tous deux conquis le village rival, la guerre ne pouvait pas être plus victorieuse. Ils restèrent ainsi, et désormais plus personne ne put assiéger le village en face. Les barques servirent aux bons rapports commerciaux et sentimentaux qui régnèrent pour toujours entre les deux villages. » (LCP, 123-124)
18 « Da tempi remotissimi i due paesi si odiavano di un odio sordo e tenace che dette il carattere a certe epoche, e senza ragione plausibile, senza sapere perché ; se glie lo aveste domandato non avrebbero saputo rispondere. » (ICP, 162) ; « Les deux villages se haïssaient depuis les temps les plus reculés. » (LCP, 122).
19 Voir G. Tellini, « Perelà e l’eversiva trasgressione della “leggerezza” », dans G. Tellini (dir.), Aldo Palazzeschi et les avant-gardes, Firenze, Società Editrice Fiorentina, 2002, p. 56, qui qualifie la connaissance de Perelà d’intuitive et originelle : « La dissociazione tra i “nomi” e le “cose” significa conoscenza intuitiva e primigenia, non contaminata e non smentita dalla verifica della realtà. »
20 « Ora vedo la guerra un’enorme minestra grigia, scodellata con lento, sordo frastuono, e rimasta lì… immangiabile. » (ICP, 10) ; « À présent je vois la guerre comme une énorme soupe grisâtre, qui tombe dans les assiettes avec un glouglou strident, assourdissant et qui est immangeable. » (LCP, 16)
21 La critique mentionne de façon récurrente la dimension utopique de Perelà, sans cependant l’inscrire dans le contexte de l’utopie littéraire. Elle n’aborde donc pas la construction ambivalente, sinon paradoxale, du personnage, et ne traite pas la manière dont Palazzeschi joue sur le genre littéraire. En ce sens, par exemple, Fausto Cari parle de « tensione utopica che costituisce l’essenza emblematica del personaggio » (F. Curi, « I Buffi o la fine dell’utopia », dans L. Caretti (dir.), Palazzeschi oggi, Milano, Il Saggiatore, 1978, p. 207) et Antonio Saccone de « l’utopia dell’uomo di fumo » (A. Saccone, L’occhio narrante. Tre studi sul primo Palazzeschi, Napoli, Liguori, 1987, p. 120).
22 Soit : « Hurrah ! Hurrah ! – Vive Perelà. – Perelà ! Perelà ! – Superbe ! Superbe ! – Vive le grand Perelà ! – Perelà l’unique ! – Mon Dieu ! Mon Dieu ! » (LCP, 81)
23 Soit : « […] l’élaboration du nouveau Code de notre pays bien-aimé est entièrement confiée à l’homme sage, supérieur et exceptionnel qu’est Perelà. » (LCP, 82)
24 Soit : « Lui n’est pas un homme, ou plutôt, c’est l’homme sur lequel est passé le feu, purification suprême, pour effacer, pour anéantir la force égoïste de tous ses sens ! » (LCP, 82)
25 Soit : « Ne vient-il pas pour nous donner, en quelque sorte, la preuve d’autres destins, d’une autre vie, vie et destin dans lesquels les égoïsmes humains, les trafics humains n’ont plus leur mot à dire ? » (LCP, 82)
26 Soit : « […] une œuvre de pureté et d’équilibre, une œuvre de justice » (LCP, 83).
27 Soit : « C’est le fils de Satan ! […] C’est le fils du diable ! » (LCP, 140)
28 « Voleste tante cose, ch’io vi dettassi un Codice, eccolo, questo solo può essere il Codice di colui che vi picque chiamare Perelà, lo lascio a voi, esso manteneva sopra la terra la mia unica virtù. In questo bel tramonto una piccola nube grigia in forma di uomo, le nubi possono assumere tutte le forme, su, su, salirà per lo spazio, attraverserà l’orizzonte dietro il sole e all’infinito. » (ICP, 262) Soit : « Vous attendiez tant de choses de moi : que je vous dicte le Code, le voici, le seul Code que je puisse vous laisser, puisqu’il renfermait sur terre ma seule vertu. Dans ce crépuscule un petit nuage gris en forme d’homme – les nuages prennent tant de formes – s’envolera tout en haut du ciel, il traversera l’horizon en direction du soleil. » (LCP, 186)
29 Soit : « Comme le ciel est animé aujourd’hui ! On dirait un peuple nouveau, d’hommes nouveaux, ne trouvez-vous pas ? – C’est vrai. […] – Ces hommes vont de leurs propres mains apporter leur âme à Dieu ! […] – Où vont-ils ? – Ils vont chercher Perelà. – Perelà ! – Perelà ? – Monsieur Perelà ? » (LCP, 188).
30 Soit : « Vous pourriez très bien être un Dieu pour les hommes. Ils ont besoin d’un néant qui puisse être peint sur la toile et sculpté dans la pierre. » (LCP, 115)
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