Chapitre XVI. Un exemple d'évolution complexe : les karstifications successives du massif de la Pierre Saint-Martin
p. 681-700
Texte intégral
1A cheval sur les Pyrénées-Atlantiques et les provinces espagnoles de Navarre-Huesca, le massif calcaire de la Pierre Saint-Martin (ou PSM) fait partie de la couverture sédimentaire conservée de la zone axiale pyrénéenne. Il présente les témoins morphologiques et les remplissages relatifs à plusieurs karstifications et à une surface d'aplanissement très élaborée car on voit se superposer deux chaînes de montagnes d'âge très différent :
- la chaîne hercynienne érigée puis arasée à la fin du Paléozoïque, ensuite fossilisée au Crétacé supérieur par les "calcaires des canyons" ;
- la chaîne tertiaire (appartenant au cycle alpin), avec sa couverture carbonatée de plate-forme, qui a repris la première dans ses déformations et dont la surrection s'est poursuivie au Pléistocène.
2Coordonné par l'ARSIP (Ass. de Recherches Spéléo. Intern, à la PSM), l'exploration spéléologique dans ce massif permet une approche originale de l'étude des karstifications successives ; celle-ci s'effectue de l'intérieur grâce aux réseaux karstiques qui constituent des coupes naturelles souterraines et qui permettent de mettre en évidence :
- les poches et remplissages paléokarstiques affectant les calcaires dévoniens ;
- la topographie de la surface post-hercynienne et l'extension des calcaires primaires ;
- les paléo-conduits tertiaires, à remplissages d'argile rouge, dans les calcaires santoniens ;
- l'organisation des réseaux karstiques en fonction de la surrection néogène des Pyrénées.
3NB : Ce chapitre reprend, en le complétant, un premier travail de synthèse publié dans le bulletin no16 de l'ARSIP (1989) et dans les travaux no18 de l'URA 903 du CNRS (cf. MAIRE, QUINIF, DOUAT, BAUER, 1989). Il a bénéficié de l'aide de l'ARSIP, Jacques BAUER, Michel DOUAT, Philippe PELLISSIER, Bruno NURISSO, Simon POMEL (lames minces) et surtout Yves QUINIF (datations U/Th).

Figure 381 :
Les réseau du BU56, profond de 1408 m, se situe sur le versant espagnol du massif des Arres d'Anie (zone de Larra sur Huesca et Navarre). Cette cavité majeure, identique à celle de la PSM, présente 430 m de puits et un drain majeur (+ affluents) se développant sur le socle primaire (surface post-hercynienne).
Coupe géologique : 1. Réseaux souterrains. 2. Flyschs maestrichtiens. 3. Calcschistes campaniens. 4. "Calcaires des canyons" (Cénomanien à Santonien). 5. Socle paléozoïque.

Photo 315 : Sommet de la salle de la Verna au niveau de la plaque de Marcel LOUBENS. Au-dessus de la rivière Saint-Vincent en crue, on discerne le socle primaire redressé (grès Culm) sur lequel repose horizontalement les terrains crétacés. Le conglomérat de base à galets de quartz (10-20 cm) se situe au niveau du personnage, (cliché J.-F. PERNETTE).
I- LE MASSIF DE LA PSM A LA FIN DU PALEOZOIQUE
A. LE SOCLE PALEOZOIQUE : UN TEMOIN DE LA SURFACE POST-HERCYNIENNE
4Les galeries situées au contact des calcaires crétacés et du soubassement paléozoïque, niveau souvent schisteux (réseaux de la PSM, de Soudet, du Lonné Peyret, de l'ΑΝ3, du BU56...), révèlent une des plus belles surfaces d'aplanissement post-hercynienne des Pyrénées (fig. 381). Le Crétacé repose presque horizontalement sur les terrains primaires fortement redressés et plissés, puis arasés à la fin du Primaire (fig. 382).
5Dans cette pénéplaine post-hercynienne conservée à l'abri de l'érosion sous la couverture mésozoïque, les rivières souterraines ouvrent donc des coupes géologiques où alternent schistes, grès et calcaires. En amont de la Salle de la Verna, près de la plaque dédiée à Marcel LOUBENS, le Paléozoïque (grès Culm), tronqué horizontalement par le Crétacé, montre un pendage de plus de 50° (photo 315).
6A la fin du Carbonifère (limite Westphalien-Stéphanien) se produit le principal évènement tectonique de la région. La phase asturienne, à - 290 Ma environ, voit la soudure par collision des chaînes hercyniennes de l'Europe occidentale avec l'ancien continent nord-atlantique. Cette puissante tectogenèse plisse fortement les terrains paléozoïques. Le cycle hercynien se termine par une phase cassante (relaxation) avec fractures et failles découpant le socle en vastes panneaux. Cette mosaïque est partiellement responsable de l'organisation des grands écoulements souterrains actuels.
7Dans la région de la PSM, la structure hercynienne est complexe et l'étude des affleurements souterrains accessibles par les principaux réseaux karstiques aiderait grandement à sa compréhension. On sait, tout de même, grâce aux observations de surface (Vallée d'Aspe et Aiguilles d'Ansabère entre autres) que l'orientation des plis hercyniens est N020° alors que les plis pyrénéens, visibles dans le flysch sont N110° avec un plongement axial vers l'W (Com. J. BAUER et J.-P. RICHERT). Au Permien, d'épaisses formations détritiques (sables, conglomérats, argiles) se déposent au pied des reliefs en voie de démolition.
B. ELEMENTS SUR LA KARSTIFICATION ET L'ALTERATION ENTRE LE PERMIEN ET LE CRETACE
8La montagne aurait mis environ 60 Ma pour en arriver à cet état d'usure (de - 290 à - 230 Ma), du moins si Ton attribue la surface du socle de la PSM essentiellement au Permien. Alors que règne dès le Stéphanien un climat tropical humide, les reliefs des calcaires dévoniens ou carbonifères sont l'objet d'une première et profonde karstification. Plusieurs poches paléokarstiques ont fait l'objet d'une étude préliminaire.
9V
Figure 382 : Structure du socle paléozoïque affleurant à l'E du Pic d'Anie au niveau de la zone axiale de Lescun.
Légende : eb. Eboulis. C. “Calcaires des canyons" (Santonien). h. Schistes et grès psammitiques du Namuro-Westphalien. hc. Calcaires viséens. f. Pélites schisteuses du Dévonien supérieur (Frasnien-Famennien). D. Calcaires à Polypiers du Dévonien moyen, (d'après MIROUSE, 1966, p. 350).

Figure 383 : Evolution morphologique probable de la zone axiale de la PSM pendant le cycle hercynien, principalement au Permien.
(A) Erosion, altération et karstification au début du Permien (phase tectonique asturienne).
(B) A la fin du Permien et au Trias, la zone axiale est devenue une pénéplaine présentant quelques reliefs résiduels. Le karst continue à évoluer sous une couverture d’altérités (ferralites piégés dans le Dévonien calcaire).
1. Echantillon AR/100
10Cette poche est localisée dans les calcaires dévoniens, vers le haut de la perte du Maria Dolorès, soit moins d'une dizaine de mètres sous le plancher de la galerie Aranzadi qui symbolise la surface post-hercynienne. Large de 1 à 2 m, elle contient un remplissage brun-rouille à noirâtre riche en hydroxydes de fer.
11- Micromorphologie : la lame est dominée par une masse plasmique de fer, craquelée, avec un revêtement calcédonieux dans les fissures correspondant à deux grandes périodes génétiques.
12(1) Le plasma ferrugineux (hématite, goethite), rouge-noir, renferment de petits quartz. La phase de dessication a été accompagnée par le dépôt de ferranes (argiles rouges ferrugineuses) et peut-être par une néoformation de rutile en bordure des fissures.
13(2) Le remplissage siliceux des fissures est de deux types. Le premier est bourgeonnant (calcédoine, opale), le second est à cristaux polyédriques (revêtement quartzeux). Certaines fissures sont remplies par une masse colloïdale beige indéterminée.
14- Morphoscopie : au microscope, l'état de surface du plasma révèle l'existence de plusieurs minéraux néoformés. C'est le cas de petits éclats de magnétite présentant des formes de déplétion qui ont ensuite donné des exsolutions d'oxydes de titane et de rutile (+ sphène et leucoxène) et de l'hématite. On discerne aussi de la monazite (probable) avec des inclusions de leucoxène et un bout de rutile. On confirme l'existence de vieux quartz altérés et des grains d'hématite.
15L'ensemble du dépôt est constitué par des fragments de croûte ferrugineuse en lamelle (limonite). Les surfaces de discontinuités entre les lamelles sont constituées par des structures mamelonnées et filamenteuses ressemblant à des microformations ferrobactériennes. Toutefois, la dimension des filaments — tubes annélidés de 50 à 100 µm de diamètre et de plusieurs mm de long — font penser à des structures ferro-mycéliennes engendrées par des Syphomycètes. Cette participation biologique s'est effectuée in situ, dans des conditions anaérobies, sans doute par réduction sulfatante (chap. XIII).
2. Echantillon PVR/1
16Dans la salle de la Verna, à la base de la paroi aval (Dévonien), une seconde poche a fait l'objet d'autres prélèvements. L'étude micromorphologique du remplissage montre un faciès à nodules de fer et sidérose, avec une silicification postérieure à la ferruginisation. La pseudomorphose de sidérite, puis son attaque par du fer et son remplacement ultérieur par la silice impliquent une évolution longue et complexe de battance, avec des organisations plasmiques superficielles sédimentaires (O.P.S.). Le plasma fortement orienté infiltre la masse de fond et atteste un compactage du matériau in situ après inactivation. L'ensemble est recoupé par des calcitanes. (Interprétation : S. POMEL et G ; STOOPS).
3. Interprétation
17D'autres poches similaires existent dans les calcaires paléozoïques du réseau d'Arphidia (observations M. DOUAT). A l'origine, ces remplissages proviennent du piégeage de sols ferrallitiques, typique d'une pédogenèse sous conditions tropicales humides, qui ont ensuite connu des transformations géochimiques et des paragenèses métalliques. On est tenté d'attribuer cette infiltration de "latérites" à l'époque permienne. Toutefois, entre la surface post-hercynienne et la couverture discordante de Crétacé supérieur, il existe un énorme hiatus allant du Trias au Crétacé moyen (de - 230 à-100 Ma). Aussi, est-il possible que ces poches paléokarstiques contenues dans les calcaires dévoniens ou carbonifères soient postérieures au Permien et d'âge mésozoïque ; en effet, d'autres phases d'altération et de karstification ont pu exister, notamment durant le Crétacé moyen qui correspond à la genèse de certaines bauxites du pourtour méditerranéen.
18A l'appui de la première hypothèse, signalons que la karstification des terrains paléozoïques avant la transgression triasique est confirmée jusque dans le Bassin Aquitain où elle a été rencontrée dans différents sondages pétroliers. Le forage de Contis, 20 km au S de Mimizan, a recoupé un paléokarst dans des calcaires dévoniens. Les vides sont comblés par un remplissage gréso-conglomératique triasique, ce qui permet de lui attribuer un âge tardi-hercynien (WINNOCK, 1974, p. 261).
19Sur le massif de la PSM, le Permien a vu l'arasement des reliefs plissés, puis leur altération sous couverture d'altérites dans des conditions de faible gradient hydraulique (niveau de base proche). Les conditions bioclimatiques étaient très particulières, car la période a dû débuter avec un taux de CO2 élevé ; la situation s'est inversée et la forte oxydation des sols a abouti aux fameux "Rougier" connus dans l'ensemble de l'Europe hercynienne (fig. 383).
II- LA REGION DE LA PSM AU MESOZOIQUE (-225 à - 65 Ma) (fig. 384)
20Au niveau du futur Océan Atlantique se produit, dès le Trias (-225 à - 200 Ma), la déchirure N-S qui donnera naissance à la moitié N de cet océan. Placée au contact des plaques européenne et ibérique, la région de la PSM est donc soumise à une phase de distension qui débute au Trias supérieur.
A. LA DISTENSION TRIASIQUE
21Au Trias, la pénéplanation hercynienne des Pyrénées est pratiquement achevée et le climat s'assèche. La sédimentation détritique rouge se poursuit durant le Trias inférieur.
22Au Trias moyen la sédimentation commence par des calcaires et des dolomies et se termine avec du gypse. L'extension actuelle de ces dépôts, bien connue en Aquitaine et au pied des Pyrénées, Test moins au coeur de la chaîne du fait de l'érosion. Ces minces couches évaporitiques ont eu largement le temps de disparaître par dissolution, en particulier pendant le soulèvement albo-aptien qui produira les poudingues de Mendibeltza. Néanmoins, on en trouve des traces au N du massif de la PSM, autour de Sainte-Engrâce.
23Le Trias est également bien connu pour son volcanisme sous-marin et l'émission d'ophites, preuve d'une activité tectonique de distension (synclinal de SainteEngrâce).
B. SEDIMENTATION ET KARSTIFICATION DU JURASSIQUE AU CRETACE MOYEN (fig. 384 A-B-C)
24Du Jurassique à la fin du Crétacé moyen (-200 à-100 Ma), l'histoire de la PSM est inconnue. On ne dispose d'aucune preuve d'une ancienne couverture jurassique. En revanche, des sédiments se déposent plus au N, dans un domaine de fosses et de plate-formes occupant l'actuel pays nord-pyrénéen et sud-aquitain. On en retrouve le produit dans les chaînons calcaires que l’on franchit entre Arette et la station de ski de la PSM.

Figure 384 : Evolution géologique probable de la région de la PSM du Jurassique au Crétacé (-200 à - 65 Ma). Le dépôt des “calcaires des canyons" se produit surtout au Santonien. (les coupes E à H sont inspirées de RIBIS, 1965).
25Au cours d'émersions temporaires, la karstification s'empare des reliefs calcaires peu accusés. On en trouve les indices au S d'Arette (secteur de la Mouline) où les formations jurassiques sont surmontées d'une couche de bauxite (DEBOURLE ET DELOFFRE, 1976, p.100).
C. SOULEVEMENT ALBIEN ET POUDINGUES DE MENDIBELTZA (fig. 384 D)
26La distension amorcée au Trias supérieur s'est poursuivie plus ou moins activement jusqu'au Crétacé moyen. Durant l'Albien, elle se traduit par l'ouverture de fosses subsidentes. Celles-ci sont séparées par d'anciens reliefs hercyniens en voie de surrection. Cette épirogenèse (-105 à - 100 Ma) n'en a pas moins de sérieuses conséquences morphologiques. Les massifs soulevés sont soumis à une intense érosion dont le produit se dépose sous la forme de puissants cônes gréso-conglomératiques sous-marins au coeur des fosses bordières (BOIRIE et SOUQUET, 1982). Leurs éléments sont surtout dévoniens et carbonifères. Les restes de ces édifices, émergés plus tard au Cénozoïque, formeront au N et à l'W de la PSM les massifs d'IgounceMendibeltza constitués par les poudingues du même nom épais de plusieurs centaines de mètres.
D. LES "CALCAIRES DES CANYONS"
27Au Cénomanien (-100 à - 90 Ma), le pays est soumis à une importante transgression marine. C'est dans les réseaux karstiques actuels qu'on observe le mieux le début de cette sédimentation littorale (tunnel de la Verna, cf. RIBIS, 1965, p. 38). Elle est représentée par une "semelle" de quelques centimètres à 1 ou 2 m de grès et conglomérats à petits galets, surmontés de calcaires sombres à débris organogènes (photo 315). Cependant, ces dépôts cénomaniens ont tendance à disparaître vers le S du massif, ce qui prouverait que la mer ne léchait que la partie N de la zone axiale (fig. 384 E).
28Dès le Turonien et le Coniacien (- 90 à - 85 Ma), la sédimentation marine envahit toute la région (fig. 4 G). Au Santonien (-85 à - 80 Ma), lors d'une lente subsidence de la zone axiale, s'accumulent 300 à 350 m de "calcaires des canyons" (fig. 384 H) (photo 316). Le détail de la série du Crétacé moyen-supérieur est donné dans la figure 385 (d'après RIBIS, 1965) (photos 317 et 318).
III- PLISSEMENT, EROSION ET KARSTIFICATION AU PALEOGENE (-65 à-25 Ma)
29A l'Eogène, les Pyrénées se plissent, d'où l'émersion de l'ensemble de la chaîne. Cette phase tectonique majeure, responsable des structures actuelles de la couverture sédimentaire (plis, écailles, nappes, fracturation des calcaires crétacés), s'accompagne d'une érosion et d'une karstification importantes.
30Au Paléocène, la régression marine ébauchée au Maestrichtien s'affirme. Dans les Pyrénées-Occidentales, l'orogenèse proprement dite débute au Lutétien (Eocène moyen) vers-45 Ma. La mer se retire vers l'actuel piémont du Pays Basque et les Landes où se déposent des calcaires et des marnes.
31Le plissement se poursuit au moins jusqu'au début du Miocène durant 15 à 20 Ma. L'émersion de la chaîne entraîne aussitôt une nouvelle phase d'érosion et le dépôt de conglomérats sur l'ensemble du piémont nord-pyrénéen. Les travaux récents attribuent les poudingues de Palassou (Ariège) et de Jurançon (Pyrénées-Atlantiques) au même âge, soit à l'Eocène moyen-supérieur (CROCHET, 1984 ; HOURDEBAIGT et al., 1986 ; HOURDEBAIGT, 1986).

Photo 316 :
Les "calcaires des canyons" mesurent 450 m d'épaisseur et sont essentiellement santoniens. Secteur lapiazé près du gouffre GL4 (réseau du Lonné Peyret).

Photo 317 :
Les Arres d'Anie depuis les contreforts du Soum Couy. Au premier plan et au centre, les banquettes glacio-karstiques des Arres. Au fond à droite, la butte résiduelle de flysch maestrichtien du Pic d'Arias (2044 m) montre que le massif a été décapé de sa couverture de flysch au cours du Cénozoïque.

Photo 318 :
Les Arres d'Anie depuis le sommet du Pic d’Arias. Au fond à gauche, le Pic d'Anie (2504 m) ; à droite, les crêtes d'Anialarra. On distingue bien le contact entre les “calcaires des canyons" à gauche et les calcschistes campaniens à droite.

Figure 385 : Colonne litho-stratigraphique représentant les terrains secondaires connus dans la région de la PSM. (d'après RIBIS, 1965, légèrement modifié).
32Sur l'emplacement du massif de la PSM, le ravinement entame la couverture des flyschs crétacés. Une première phase de karstification affecte les calcaires du Crétacé supérieur mis à nu par l'érosion. Aujourd'hui, ce paléokarst de l’Eogène pourrait correspondre à des poches et des réseaux karstiques à remplissages latéritiques.

Figure 386 :
La grotte-mine du ravin d'Oilloki près de Sainte-Engrâce a été partiellement vidée de son remplissage d'argile rouge ferrugineuse et de rognons de galène. D'un âge probablement éogène, cette grotte est la plus ancienne des cavités explorables du massif de la PSM (topographie : D. PREBENDE et R. MAIRE, 1988).
A. REMPLISSAGES FERRUGINEUX DE LA GROTTE-MINE D'OILLOKI
33Le plus remarquable exemple est fourni par la grotte-mine du Ravin d'Oilloki, située à TW de Sainte-Engrâce (fig. 386). Il s'agit d'une ancienne grotte entièrement fossilisée par des dépôts rouges associés à des rognons de galène. Vidée partiellement de son remplissage pour l'exploitation de la galène, la cavité explorable mesure une cinquantaine de mètres de long. Sur les parois et au plafond, on peut observer des vagues d'érosion ainsi que des cloches et pendants de corrosion, modelés typiques d'un ancien creusement en régime noyé.
34L'étude micromorphologique de l'échantillon Oi/195 (C) montre un faciès à quartz corrodés in situ ( ?) avec néoformation de titane (sphène et probablement leucoxène) et de galène. La diagenèse de la galène pose un problème. Soit il s'agit d'une genèse "per descensum", soit il faut admettre une origine hydrothermale. Par contre, les néoformations de fer (hématite, goethite et martite) et de titane (sphène et leucoxène) indiquent que ce dépôt a subi des alternances efficaces et longues de milieux successivement oxalitisants et réducteurs (interprétation : S. POMEL et G. STOOPS).
35Quant aux argiles rouges ferrugineuses, elles sont typiques d'altérites tropicales, sols engendrés sous climat chaud, puis piégés dans l'endokarst. La situation de la cavité, au sommet de la couche des "calcaires des canyons", implique qu'il y ait eu une karstification latérale sous la couverture étanche de flyschs maestrichtiens et/ou une crypto-karstification. En l'absence d'éléments précis de chronologie, la grotte et son remplissage ont un âge compris entre l'Eocène moyen-supérieur (plissement pyrénéen) et l’Oligo-Miocène.
B. POCHES RECOUPEES DU COL D'ANAYE
36Dans la partie amont du massif de la PSM, au niveau des cols d'Anaye et d'Ourtets (entre le Pic d'Anie et la Table des Trois Rois) (photos 325 et 326), le défonçage glaciaire a recoupé des poches et fissures anciennes remplies de brèches et de dépôts rouges gréseux, et des éléments de cuirasses ferrallitiques. Examinons brièvement quelques échantillons.

Photo 319 :
Bordure érodée du massif de la PSM dans le secteur du Pic d'Anie vue depuis le sommet du Sown Couy (2315 m). L'érosion glaciaire plio-quatemaire a affecté les cirques (à gauche) et les cuvettes (dépression des Anies à droite). A noter le contact net entre la couverture des “calcaires des canyons” (à droite) et le socle hercynien (à gauche). Le recul du massif est estimé à plusieurs km depuis la fin du Miocène.

Photo 320 :
La haute vallée du Pas d'Azuns (1873 m) vue depuis le sommet du Soum Coup. La tête de la vallée a été décapitée par le recul du cirque glaciaire E du Soum Couy.
37- Echantillon OUR/340 : cette brèche à ciment rouge a été prélevée près du col d'Ourtets, vers 2100 m. La morphoscopie des éléments du squelette sableux montre :
- de nombreux quartz corrodés et ferruginisés ;
- des grains noirs d'hématite (presque pas de débris de cuirasse) ;
- des éléments microgréseux de type silcrète ;
- quelques feldspaths et grains de calcite.
38L'ensemble du ciment est siliceux.
39- Echantillon OUR/349 : ce dépôt rouge gréseux a été récolté à proximité de OUR/340. Il s'agit presque exclusivement d'un remplissage siliceux à faciès de grès quartzitique. Les éléments détritiques sont :
- des quartz corrodés ;
- de rares quartz laiteux et quelques feldspaths ;
- de rares éléments rouge-noir de cuirasse ferrugineuse.
40- Echantillon ANIE/360 : prélevé sur le rebord du cirquedoline du pic d'Anie, vers 2150 m, celui-ci est constitué à 99 % par des fragments noirs de cuirasses ferrallitiques (faciès gréseux et microvacuolaire). On observe en plus quelques rares quartz corrodés.
41Interprétation : ces différents remplissages rouges ou noirs très indurés seraient d'anciennes altérités piégées dans des poches et des fissures (brèches de dissolution sur fractures) riches en fer et/ou en quartz. Le faciès ferrallitique de l'échantillon ANIE/360 suggère des conditions chaudes et humides beaucoup plus typiques de l'Eogène que du Néogène. La cimentation s'est effectuée dans les poches, sans doute en condition noyée. Ajoutons que des hydroxydes de fer teintent aussi en rouge des brèches tectoniques. En lame mince, on observe aussi des microfissures remplies d'un ciment orangé. Cette infiltration sur fractures par d'anciennes altérites pourrait dater des phases d'altération du Paléogène et du plissement pyrénéen (chap. VIII : fig. 199).

Figure 387 :
Evolution probable du massif de la PSM de l'Eocène supé
rieur (Lutétien) au Pléistocene récent. Le fond géologique de la coupe C est emprunté à RIBIS, 1965.
IV-SURRECTION NEOGENE ET EVOLUTION DE LA KARSTIFICATION JUSQU'A L'ACTUEL
A. SITUATION AU MIOCENE
42Au Mio-Pliocène (-25 à - 1,8 Ma), le plissement pyrénéen proprement dit s'achève. Mais, une surrection de nature épirogénique affecte l'ensemble des Pyrénées, rajeunissant le relief en voie de pénéplanation (CASTERAS, 1974, p. 322). Dans les Pyrénées-Occidentales, l'érosion serait attestée par le dépôt de formations détritiques recouvrant les poudingues de jurançon et qui pourraient correspondre aux "molasses d'Armagnac" du plateau de Lannemezan. Ce ravinement se poursuit au Pliocène.
43Sur le massif de la PSM, le soulèvement provoque la reprise de l'érosion de la couverture de flysch et de calcschistes du Campanien-Maestrichtien (photos 317 et 318). C'est probablement au Miocène moyen-supérieur que le décapage de cette couverture et le soulèvement ont permis à la karstification de s'enfoncer dans les calcaires des canyons affleurant au plancher des talwegs. Entre - 20 et 6 Ma, dans des conditions de climat subtropical, les flyschs, les calcschistes et les calcaires sont soumis à une altération efficace. Une partie des sols a été absorbée par l’endokarst d'où la présence fréquente de poches d'argile rouge plastique recoupées par les réseaux karstiques actuels. Citons les argiles rouges rencontrées dans :
- le gouffre BU56 (à - 700 m dans la salle Roncal) ;
- le gouffre du Pas des Basques (ancien collecteur de - 70 m) (fig. 388) ;
- le paléodrain de-170 m du gouffre Chipi Joseteko ;
- le réseau de la PSM (entre les salles Lépineux et Chevalier).
44Examinons brièvement quelques échantillons prélevés dans les cavités citées.
45◊ Echantillon BU/1277 : il s'agit d'un remplissage d'argile rouge non en place provenant de la salle Roncal du gouffre BU56 (cote - 750 m) ; celui-ci est issu d'une ancienne cavité recoupée par l'effondrement du plafond de la salle. La texture est essentiellement argileuse (argiles = 67 %, limons = 32 %, sables = 1 %).
46- Géochimie : CaCO3 (0,8 % sur la fraction ≤ 100 μm), Fe2O3 (9,5 %), Al2O3 (22,5 %).
47- Minéralogie des argiles : kaolinite (traces), smectite (25 %), argiles micacées (50 %), chlorite (25 %). Présence de goethite dans la fraction inférieure à 2 μm. (analyses : lab. de géomorph. du CNRS, Caen).
48- Morphoscopie de la fraction sableuse (> 50 µm) : on observe de nombreux grains oranges, siliceux, à faciès microgréseux ; ils sont imprégnés de fer et correspondent à des débris de silcrètes souterrains. On distingue en plus :
- des quartz usés et quelques quartz irréguliers d'aspect frais ;
- des grains d'hématite et de cuirasse manganésifère ;
- une baguette de calcite (spéléothème) ;
- des fragments schisto-micacés et des grains de calcite (roche) ;
- quelques minéraux automorphes (zircons ou quartz bipyramidés...).

Photo 321 : Le Pic d'Anie (2504 m) et la cuvette glacio-karstique des Anies (fond à 2075 m). La face N du Pic d'Anie permet de visualiser l'ensemble de la série santonienne des "calcaires des Canyons" et l'épaisseur de roche déblayé au niveau de la dépression.

Photo 322 :
Paroi sommitale SW du Soum Couy et situation du Trou des Gugusses (flèche), vieux gouffre concrétionné et décapité par l’érosion glaciaire.

Photo 323 : Sur le rebord W de la dépression des Anies, vers 2170 m. Paléocavité décapitée par l'érosion glaciaire et montrant en plein jour une galerie inclinée recouverte par une coulée stalagmitique large de 3 m et haute de 5 m. Plus aucun concrétionnement ne se forme à cette altitude. Ce type de réseau est préquatemaire. (cliché Stéphane NORE).

Photo 324 :
Tronçon de grotte décapitée sur les Arres d'Anie, à TE du gouffre de la Tête Sauvage, vers 1950 m d'altitude.

Figure 388 : Dans le gouffre du Pas des Basques (Cuma de Ansu), poches et paléoconduits remplis d'argile rouge plastique. Ces dépôts sont attribués au piégeage de sols rouges dans le karst miocène lorsque le massif était peu soulevé, (d'après une coupe du G.S.H.P., Tarbes).
49◊ Echantillon PAB/2 : il a été prélevé dans le gouffre du Pas des Basques, au niveau de la galerie ancienne de la cote - 70 m. Il s'agit d'un remplissage d'argiles et de sables rouges provenant, comme pour BU/1277, du recoupement d'une paléocavité engendrée par l'effondrement du plafond de la galerie. Le dépôt repose actuellement sur des blocs récents qui n'ont pas été concrétionnés (fig. 388).
50- Morphoscopie de la fraction sableuse (> 50 μm) : les sables sont constitués essentiellement de grains de quartz (100-200 pm) assez anguleux, corrodés et plus ou moins ferruginisés. 50 % présentent une pellicule de silice néoformée et des mamelons. Sur le plan pétrographique, on distingue trois types de quartz : grains massifs, baguettes prismatiques, éléments fumés. Ils ne peuvent provenir que de l'altération de la couverture de flysch. On distingue aussi des fragments durcis d'argile rouge.
51◊ Echantillon CHI/310 : ce dépôt argilo-sableux rouge, surmonté par un ancien plancher stalagmitique, a été prélevé dans le paléo-drain du gouffre Chipi Joseteko à -170 m. Là encore, il s'agit d'une poche recoupée par une cavité plus récente.
52- Morphoscopie de la fraction sableuse : on distingue en majorité :
- des quartz corrodés et ferruginisés (25-30 %), avec éventuellement un enrobage de silice secondaire ; de nombreux grains sont fragilisés ;
- des fragments de spéléothèmes (25-30 %) ;
- des éléments de cuirasse ferrugineuse (microgrès + carbonate + fer), dont des grains de silcrète souterrain à faciès microquartzitique ;
53On observe en plus quelques débris schisteux, des grains noirs de cuirasse manganésifère et de rares feldspaths.
54◊ Echantillon QUEF/1 : ce remplissage argilo-limoneux rouge, non en place, a été prélevé dans la salle Queffelec du réseau de la PSM. D'autres dépôts rouges sont présents en plusieurs points du réseau et sont issus du recoupement des poches. Plus de 60 % de la fraction sableuse sont constitués par des fragments allongés, saccharoïdes et de teinte rouge. Ils s'apparentent à des éléments de plancher siliceux rouge piégeant du fer qui se serait formé dans l'endokarst (confusion éventuellement possible avec la sidérose). On observe aussi des débris de spéléothèmes de calcite, des grains de quartz à pellicule de silice secondaire, quelques microgrès siliceux, des pisolites de fer et de rares micas.
55◊ Interprétation des échantillons : ces dépôts rouges, plastiques, contiennent tous des quartz corrodés et ferruginisés et souvent des éléments schisteux provenant de l'altération de l'ancienne couverture de flysch. La présence d'hydroxydes de fer et d'aluminium montrent qu'ils s'agit d'anciens sols rouges soutirés par l'endokarst et piégés dans l'horizon noyé (petites cavités à morphologie "phréatique"). Ces conditions morpho-pédologiques héritées supposent un pédoclimat subtropical (probablement celui du Miocène) et une altitude relativement basse (vallées peu creusées, niveau de base proche).
56Certains échantillons présentent des débris de silcrète, à faciès microquartzitique, qui ont dû se former dans les cavités, par voie acide et en condition noyée.
B. EVOLUTION AU MIOCENE SUPERIEUR ET AU PLIO-QUATERNAIRE
57Il est probable que le début du creusement des grands systèmes karstiques que nous connaissons aujourd'hui date de la fin du Miocène et du Pliocène. Durant cette période, la juxtaposition des affleurements calcaires et des lambeaux de couverture campano-maestrichtienne devait favoriser un enfouissement concentré des eaux.

Figure 389 :
La grande dépression glacio-karstique des Anies sur la bordure orientale du massif, au pied du Pic d’Anie (photos 319 et 321). Cette cuvette assure une grande partie de l'alimentation des réseaux supérieurs de la PSM. Au cours du Plio-Quaternaire, l'érosion glaciaire a raboté les "calcaires des canyons", parfois jusqu’au socle primaire. Les cavités fini-tertiaires concrétionnées et décapitées sont nombreuses (ex : Trou des Gugusses). (d'après MAIRE, VIGNEAU et DOUAT, 1987).
Légende : 1. Falaises principales. 2. Tracé des réseaux souterrains connus. 3. Dépression glacio-karstique des Anies. 4. Autres dépressions. 5. Coulées stalagmitiques et cavités décapitées. 6. Brèches climatiques anciennes. 7. Moraines (Würm).
58L'apparition des premières glaciations régionales ont donné au massif ses traits morphologiques actuels. Avant l'intervention des glaciers, il faut rappeler que les zones calcaires ont évolué lentement en surface par l'action presque exclusive de la dissolution. C'est le privilège des massifs karstiques, notamment en zone méditerranéenne et subtropicale (absence d'actions mécaniques), de conserver leur volume externe relativement intact. En revanche, dès l'apparition des glaciers, l'action mécanique de ces derniers a pu raboter les calcschistes et les "calcaires des canyons'' par abrasion et débitage, d'où un abaissement accéléré des surfaces calcaires au cours du Pléistocène. Ainsi apparaît clairement cette double notion, à savoir :
59- une altération pédogénique et une karstification lente en période de calme tectonique et sous climat chaud en raison d'un faible gradient hydraulique, ce qui est à l'origine d'une forte altération chimique superficielle et souvent d'une puissante crypto-karstification sous épaisse couverture d'altérites ;
60- une érosion et un enfoncement rapide de la karstification en période de surrection à cause d'un fort gradient hydraulique (abaissement relatif du niveau de base) et du refroidissement du climat (rôle mécanique des glaciers quaternaires et absorption des eaux de fonte).
1. Evolution de la partie amont du massif : érosion glaciaire et cavités décapitées
61Glaciers, gélifraction et phénomènes de détente ont largement contribué au recul rapide des falaises calcaires situées à l'Ε, en amont du massif. Ainsi, on constate que les hauts vallons du secteur Azun, Soum Couy, Anaye ont été tranchés par le recul des parois (photos 319 et 320).
62Les preuves de l'abaissement des surfaces calcaires et de zones d'alimentation aujourd'hui disparues sont nombreuses. La bordure amont du géosystème de la PSM recèle ainsi des "cimetières" de vieilles cavités sous la forme de coulées stalagmitiques et des paléo-conduits recoupés que l'on peut suivre en surface sur plusieurs dizaines de mètres. Les exemples les plus remarquables sont représentés par le gouffre des Gugusses (sommet du Soum Couy) (photo 322, fig. 389 et 390) et par les réseaux de galeries éventrées du secteur Ourtets-col d'Anaye (photo 326). Les anciens concrétionnements mis à jour par démantèlement du karst sont pré-quaternaires, à une époque où le massif était moins haut et où les conditions bioclimatiques étaient celles d'une moyenne montagne forestière. On peut les situer, en première hypothèse, entre le Miocène supérieur et le Pliocène/Quaternaire ancien. Les analyses U/Th faites par Y. QUINIF sur deux échantillons de stalagmites du sommet du Soum Couy (Sc-St1) et du cirque-doline de l'Anie (photo 321) donnent des âges supérieurs à 350 ka (1 ka = 1000 ans) (BINI, DELANNOY, QUINIF, MAIRE, 1989).
63Dans les grandes dépressions glacio-karstiques où l'érosion mécanique a joué un rôle important, le creusement a été considérable au cours du Plio-Quaternaire (photos 319 et 321). En considérant uniquement la valeur de la dissolution dans les dépressions, l'abaissement serait de 20 à 30 m en 400 ka si on se base sur la vitesse de dissolution holocène En effet, dans les karsts humides de type haut-alpin, la tranche de calcaire enlevée par la dissolution seule est de 10 à 15 mm/millénaire pour THolocène, d'après les valeurs moyennes des socles d'erratiques perchés à la surface des dalles calcaires en haute montagne alpine (chap. VIII).

Photo 325 :
La haute vallée d'Anaye et des Ourtets au S du Pic d'Anie et d'Anialarra. L'érosion glaciaire, très importante, a mis à jour un nombre important de paléocavités riches en concrétionnements stalagmitiques.

Photo 326 : Réseau décapité au S du col des Ourtets vers 2250 m d'altitude. Le plafond du conduit a disparu et la galerie mise à jour présente des parois concrétionnées. (cliché Gérard BOUSQUET).

Photo 327 :
Même cavité décapitée que sur la photo 326. Détail de paroi avec coulée stalagmitique ancienne en partie démantelée. (cliché Gérard BOUSQUET).
64D'après les travaux de KUNAVER (1979), la corrosion nivale superficielle est 4 à 6 fois plus forte dans les dépressions à cause du piégeage de la neige. Par conséquent, en 100 ka, une dépression nivale s'approfondirait de 5 à 8 m par la seule dissolution, sans compter les soutirages et les effondrements.
65Cependant, la vitesse d'abaissement par dissolution est faible et ne peut expliquer l'érosion de centaines de mètres de calcaires entre le Pic d'Anie et le Soum Couy. En revanche, en tenant compte du surcreusement glaciaire, il est plausible d'admettre une tranche enlevée 2 à 3 fois supérieure, soit 50 à 100 m environ en 400 ka et 200 à 300 m en 1,5 à 3 Ma. Une telle tranche érodée permet d'envisager le démantèlement de ces réseaux. Une érosion globale de 200 à 450 m est donc possible pour l'ensemble du Plio-Quaternaire dans les cirques et vallons glacio-karstiques de l'amont du massif de la PSM.

Figure 390 :
Situation actuelle de la karstification dans la zone du Soum Couy. Le socle primaire est atteint vers - 300 m dans le gouffre SC60 montrant que 100 à 150 m de "calcaires des canyons" ont été érodés, (fond topographique de VIGNEAU et DOUAT, 1981).

Figure 391 :
Coupe du gouffre AN8 (d'après la coupe de synthèse de C. BOUSSAGOL, R. MAIRE, J.-F. PERNETTE et M. DOUAT in Bull. ARSIP, 1989). A noter le paléo-drain situé vers - 300 m dans la masse des "calcaires des canyons". Ce vieux réseau sub-horizontal tertiaire pourrait correspondre à un ancien niveau de base lors de la surrection néogène. Il a été déconnecté du système actif par la suirection, puis trépané par des conduits verticaux. Au niveau de E15, décalage postérieur probable de la faille.
D. ENFONCEMENT DE L'ENDOKARST ET RELATIONS AVEC LE NIVEAU DE BASE
66La vigueur du creusement karstique hypogé dépend des conditions hydrodynamiques. Le potentiel hydraulique en est l'expression la mieux connue des spéléologues car il correspond à la dénivellation maximale parcourue par les eaux souterraines entre le sommet du massif et l'émergence. On comprend donc l'importance jouée par le soulèvement néogène qui a fait croître ce potentiel en abaissant l'altitude relative du niveau de base.
67Le massif de la PSM a le privilège de présenter — grâce aussi au stade avancé des découvertes spéléologiques — plusieurs générations de cavités qui témoignent de l'enfoncement de la karstification en fonction de la surrection du massif. On envisage successivement la signification :
- des réseaux décapités ;
- des paléodrains subhorizontaux situés dans la masse des "calcaires des canyons" ;
- des réseaux et "deltas souterrains" situés à l'aval.
1. Les gouffres décapités
68Dans la partie amont du massif (Soum Couy, Anie, Anaye-Ourtets), les cavités éventrées ne sont pas forcément des réseaux horizontaux. On est en présence de véritables gouffres, avec puits, conduits inclinés, rétrécissements, que l'on peut observer sur leur tranche (photos 323 et 326). D'autres peuvent être suivis en profondeur comme le trou des Gugusses (fig. 390). Au-dessus du col d'Anaye, vers 2100 m, l'érosion a été telle que l'on ne retrouve plus que les remplissages de ces réseaux : débris de spéléo-thèmes, accumulations de galets et conglomérats provenant de réseaux totalement détruits.
69Ces paléoréseaux ont perdu leur bassin d'alimentation à cause de l'érosion glaciaire plio-quaternaire qui a rongé les cirques supérieurs. Les parois en amont recoupent ainsi de multiples cavités dont des grottes qui se situent à proximité du contact du socle et des "calcaires des canyons" (ex : grotte du Marmitou : fig. 321, chap. XI) dont la suite se retrouve dans le niveau supérieur "fossile" du réseau UK557. Ces cavités préquaternaires ont pu refonctionner localement au cours des glaciations.
70Arguments géomorphologiques (érosion) et spéléologiques (spéléothèmes abondants) prouvent qu'il s'agit de réseaux de la fin du Tertiaire, la plupart étant antérieurs aux glaciations plio-quaternaires.
2. Les paléodrains perchés dans les "calcaires des canyons"
71Ils sont perchés 80 à 100 m au-dessus du socle primaire comme dans les gouffres SC60 (à - 220 m) (fig. 390) et AN8 (fig. 391). Ces galeries inactives sont situées à des altitudes très différentes : 1930-1940 m pour le SC60, 1500 m pour l'ΑΝ8,1300 m pour le Chipi Joseteko.
72Deux hypothèses sont en présence :
- ces conduits subhorizontaux, creusés dans la masse des calcaires santoniens, sont chacun en relation avec un ancien niveau de base ; ils ne peuvent alors qu'appartenir à des époques différentes et relativement anciennes puisque le niveau de base actuel, matérialisé par les émergences de Bentia et d'Illamina se situe vers 435-445 m d'altitude, donc 850 à 1500 m plus bas ;
- ces systèmes de conduits étaient en relation avec un même niveau de base mais sont, aujourd'hui, décalés l'un par rapport à l'autre, en altitude, par suite du basculement général du socle paléozoïque et de sa couverture santonienne. Cette deuxième explication n'est pas vraisemblable en raison des altitudes très différentes.
73La première hypothèse est la plus satisfaisante. En effet, on peut considérer que les réseaux décapités en surface, avec leur abondants concrétionnements stalagmitiques, sont les parties supérieures de systèmes karstiques dont les conduits inférieurs (situés près du niveau de base) sont constitués par ces paléo-drains aujourd'hui perchés dans les calcaires santoniens. Les altitudes variées de ces niveaux de galeries résulteraient de l'abaissement du niveau de base avec la surrection. Toutefois, on a vu dans le chapitre XV que la notion d'étagement de conduits n'est pas toujours simple à interpréter car tout niveau de galerie n'a pas obligatoirement un sens génétique.
3. Evolution de la partie aval du système de la PSM
74Localisé entre la salle de la Verna, le réseau aval du Lonné Peyret et le trou du Renard, le réseau labyrinthique d'Arphidia constitue un exemple spectaculaire d'enfoncement progressif lié au creusement de la vallée de l'Uhaytza (fig. 392 et 393). Sur plus de 500 m de dénivellation, Arphidia offre plusieurs niveaux de galeries dont l'organisation est complexe. On a pu y déceler, sur plus de 20 km de développement topographié, cinq niveaux de creusement étagés entre 1100 et 600 m d'altitude (d'après M. DOUAT). Ces niveaux présentent souvent des formes de creusement en régime noyé (fig. 374, chap. XV).
75On peut aussi considérer les niveaux rencontrés plus bas, dans le Trou du Renard. Ils sont situés entre 590 et 470 m d'altitude. Le niveau inférieur est constitué par le collecteur actif qui est en relation directe avec le niveau de base actuel (445 m).
76Ce schéma de drainage relativement complexe illustre le phénomène de "delta souterrain" caractérisé par la multiplication des conduits tributaires, dans un sytème où des réseaux d'origine noyée sont recoupés et reliés par des puits, des galeries inclinées ou des "méandres" (chap. XV). Cette situation originale a été rendue possible par la disposition des calcaires dévoniens affleurant au fond de la salle de la Verna et dans Arphidia (fig. 394). Des calcaires à fort pendage ont favorisé l'ouverture de drains par l'abaissement du niveau de base. Au contact du lit de la rivière de la PSM, à l'emplacement de la future Verna, ces conduits ont absorbé le torrent qui autrefois se dirigeait dans la galerie Aranzadi (fig. 392).
77Le même phénomène de capture (conduits inclinés situés au sein des calcaires paléozoïques) est également visible dans les réseaux Martine, Maria Dolores et Wellington (fig. 394). Bien que moins visible, le même phénomène de capture existe dans la salle terminale (salle Styx) du gouffre Lonné Peyret (fig. 393). Avant l'enfouissement de son cours, la rivière de la PSM (ou rivière SaintVincent) s'écoulait dans la galerie Aranzadi et devait continuer en direction de l’W ou du NW et émerger, peutêtre, à la hauteur de la gorge d'Ehujarre (fig. 392 et 394).
78Grâce aux datations isotopiques U/Th sur concrétions de calcite et à l'étude des remplissages détritiques d'Aranzadi (chap. XII), on sait que la rivière de la PSM s'écoulait dans cette galerie il y a plus de 200 ka. Mais, auparavant, une perte partielle des eaux de la rivière devait s'effectuer au contact des calcaires dévoniens et des schistes du Namuro-Westphalien, en même temps que le torrent continuait à couler dans Aranzadi. Placé à ce contact lithologique, la Verna a joué le rôle d'une "doline endokarstique" (expression empruntée à Jacques BAUER). Des vides importants se sont donc formés sous la première salle de la Verna et un ou plusieurs effondrements brutaux ont absorbé définitivement la rivière dans le Dévonien calcaire en provoquant la formation de la salle telle que nous la connaissons aujourd'hui. On pense que l’effrondrement majeur s'est produit entre 194 000 et 225 000 ans (chap. XII).

Figure 392 :
Topographie des réseaux et organisation hydrogéologique et paléohydrologique probable du système aval de la PSM/St. Vincent, (d'après DOUAT et MAIRE, 1987 ; topographie : ARSIP et S. PUISAIS, mise à jour avril 1987).

Figure 393 :
Coupe de synthèse montrant l'organisation des écoulements karstiques dans la partie aval du système Saint-Vincent en fonction des calcaires du socle (captures dans le Dévonien) et de l'abaissement du niveau de base (surrection). Quatre niveaux de creusement au moins ont été reconnus dans le réseau d’Arphidia, sans compter le niveau semi-fonctionnel du Trou du Renard.

Figure 394 :
Coupe de la partie aval du réseau de la PSM et terrains paléozoïques actuellement connus dans ce secteur. La rivière Saint-Vincent et les ruisseaux du Martine et du Maria-Dolorès ont été capturés par les calcaires du socle primaire.
79Aujourd'hui, une étude des remplissages et la datation des concrétionnements d'Arphidia et du Trou du Renard s'impose si on désire connaître, avec plus de précision, la vitesse d'approfondissement du réseau, les mécanismes de captures, et par voie de conséquence, la vitesse de surrection du massif. C'est pourquoi, il faut étudier simultanément l'amont (recul et abaissement des surfaces karstiques) et l'aval du géosystème (adaptation à l'abaissement du niveau de base).
E. ROLE DIRECT DES MOUVEMENTS TECTONIQUES ET DES SEISMES DANS L'EVOLUTION DES RESEAUX
80Le massif de la PSM se situe dans une zone sismique sensible. Toutefois, au cours du séisme d'Arette en 1962, les spéléologues n'ont pas observé de phénomènes d'effondrement dans les cavités (pendant ou après). Toutefois, comme on l’a vu dans les karsts de Nouvelle-Guinée, les séismes majeurs peuvent jouer un rôle dans l'évolution de Tendokarst en accélérant, par exemple, l'effondrement des avens géants (chap. VII et XIV).
81Dans les réseaux du massif PSM-Larra, les indices d'une néotectonique néogène à quaternaire, contemporaine ou postérieure à la surrection sont multiples. Si les décalages de conduits sur un plan de faille ont été peu observés, cela vient généralement de la dimension importante des conduits, mais aussi par manque d’attention.
1. Fracturation néotectonique de la galerie du "Méandre Oprimido" (réseau du BU56) (fig. 381, photo 329)
82Cette galerie en méandre, longue de plus de 400 m (de - 380 à - 450 m), permet d'atteindre la rivière souterraine du BU56 vers - 480 m. Il s'agit d'un conduit inactif ou semi-actif, haut de plusieurs dizaines de mètres et large de 0,50 m à 1 ou 2 m. La particularité majeure de ce "méandre" est de présenter des parois calcaires hachés obliquement et perpendiculairement par un système de fractures qui n'a aucun rapport avec une décompression des parois. Le calcaire est massif (dans la première partie) et le profil transversal permet normalement une bonne répartition des contraintes.
83Or, ce phénomène de hachage, qui est postérieur au creusement de la galerie, ne peut s'expliquer que par un cisaillement néotectonique, par exemple au voisinage d'une fracture majeure E-W, avec libération partielle des contraintes au niveau du vide constitué par le conduit.
2. Autres phénomènes de cisaillements (PSM, Arphidia, AN8, UK557)
84Dans le réseau de la PSM, au-dessus du Métro, la galerie perchée des "Phalopettes" a une morphologie originale. La conduit, inactif, présente de nombreux remplissages (planchers, limons varvés) et une ancienne morphologie noyée. Certaines parois concrétionnées sont cisaillées perpendiculairement ; on voit nettement que les fractures affectent à la fois le "calcaire des canyons" et la coulée stalagmitique. La fraîcheur du concrétionnement prouve qu'il s'agit d'un mouvement pléistocène. Là encore on ne peut faire intervenir un mouvement de décompression de paroi car la forme ovoïde ou en cloche assure une bonne répartition des contraintes. Ces fissures transversales à Taxe du conduit sont typiques d'un cisaillement néotectonique affectant la masse de la roche comme dans le "Méandre Oprimido" du BU56.
85Autre exemple, dans le gouffre UK557, réseau correspondant à la partie amont du bassin d'Ukerdi (secteur col d'Anaye-Ourtets, alt. 2145 m - explorations Amalgame 1989-90, GSHP, GAS), un cisaillement néotectonique par compression a été observé dans une galerie sur faille (rejeu de 15 cm et éclatement de la paroi).
86Dans le réseau d'Arphidia, vers - 200 m, une paroi est fracturée perpendiculairement et présente un décalage de 5 à 10 cm (photo 330). Dans la galerie d'Aranzadi, une fissure de même type recoupe à la fois une coulée stalagmitique pariétale et la roche (en face de la coupe 6). Dans le gouffre AN8, l'hypothèse d'un décalage vertical sur faille de 15 à 20 m est possible pour le paléo-drain de - 300 m au niveau de l'escalade marquée E15 (fig. 391). Mais ce phénomène paraît ancien et ne peut être prouvé à cause du creusement postérieur (cheminées et puits). En effet, il existe aussi de multiples creusements endokarstiques en baïonnette établis à partir de fractures qui n'ont pas rejoué. Toutes les possibilités existent.

Photo 328 : La rivière Saint-Vincent cascade dans les perd 100 m en aval au pied de la paroi faillée de calcaire amoncellements de blocs de la salle de la Verna. Elle se dévonien ("plage de galets”), (cliché J.-F. PERNETTE).

Photo 329 : Le "Méandre Oprimido" vers - 430 m dans le réseau BU56. Cette galerie, notamment dans sa première partie, a subi un cisaillement néotectonique des parois au cours du Quaternaire. Des phénomènes identiques ont été observés dans d'autres réseaux (UK557, PSM, Arphidia).

Tableau 77 (à droite) :
Chronologie des évènements géologiques et géomorphologiques sur le massif de la PSM depuis le Dévonien.
87Dans le massif de la PSM, on constate que les conduits prennent des dimensions importantes, non seulement au contact du socle (faible tenue mécanique des schistes paléozoïques), mais également dans les paléo-drains perchés dans la masse du Santonien. Lors de leurs premières explorations dans le gouffre de la Pierre Saint-Martin (à partir du puits Lépineux), H. TAZIEFF (1952 et corn, orale) et J. LABEYRIE (com, orale), avaient déjà émis l'hypothèse du rôle des séismes pour expliquer les énormes écroulements (succession des grandes salles). Cette hypothèse ne doit pas être rejetée car les multiples observations effectuées depuis dans les réseaux du massif montrent le rôle majeur de la fracturation et des phénomènes postérieurs de néotectonique dans la morphologie des cavités. Ce qui est mal connu, c'est l'impact direct des grands séismes.
CONCLUSION
88Cette esquisse de l'histoire géologique et géomorphologique du massif de la Pierre Saint-Martin (tableau 77) souligne l'intérêt exceptionnel de la région pour comprendre à la fois l'évolution du karst et les relations existant entre le niveau de base et la surrection néogène à quaternaire. Plusieurs axes de recherche sont à poursuivre au niveau :
- du socle hercynien (structure, litho-stratigraphie, poches dans le Dévonien calcaire...) ;
- de la karstification tertiaire, au Paléogène et au Néogène ;
- des remplissages liés à la succession des cycles climatiques plio-quaternaires (chap. XII).

Photo 330 :
Décalage néotectonique quaternaire dans le réseau d'Arphidia vers - 200 m. Ces cisaillements perpendiculaires aux parois des cavités n'ont rien à voir avec la décompression simple.
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2017