Les karsts des zones arides et semi-arides
p. 159-191
Texte intégral
Introduction
1Les zones arides et semi-arides présentent à leur tour des caractéristiques climatiques que l'on peut présenter sous le terme d'extrêmes : records de chaleur (déserts chauds de Somalie, de Libye et du Sahara), d'amplitudes thermiques diurnes (souvent supérieures à 50°C !), d'hygrométrie atmosphérique et bien entendu de faibles précipitations (P < de 400 à 10 mm). Tout ceci n'est guère favorable aux processus karstiques notamment en raison de l'indigence en eau. Cependant le karst y est bien présent (Fig. 110), c'est tout le paradoxe et l'intérêt des études karstologiques menées dans ces régions.
I - Les limites
2Il existe des modelés karstiques bien développés dans un grand nombre de pays réputés pour leur aridité : Mexique, Nouveau Mexique, Chili, Sahara, Libye, Mali, Burkina, Niger, Tanzanie, Afrique du Sud, Sud-Ouest de Madagascar, Néguev, Arabie, Nullarbor (Australie), Afghanistan, Iran, Pakistan, Chine. Cela n'est pas surprenant dans la mesure où les roches carbonatées et sensibles à la dissolution y sont représentées. Cependant il convient d'observer, de façon regrettable, que la documentation actuelle sur le karst en zone aride et hyperaride est quasiment inexistante. Cependant, l'indigence des précipitations actuelles (souvent moins de 400 mm), associée à une puissante évaporation potentielle, permet le développement d'aspects bien particuliers qu'il convient d'aborder. La carte ci-dessous indique les zones concernées (Fig. 111).
II - La spécificité des karsts des régions arides
3Les karsts des déserts et des semi-déserts sont parmi les moins connus de la planète, pourtant les calcaires ne sont pas rares ; au Sahara par exemple il en existe dans toute la série stratigraphique. La spéléologie y est aujourd'hui peu développée, mais l'est-elle parce que les grottes sont rares, ou bien tout simplement parce que les explorations restent à entreprendre ? La question, autrefois posée à propos des pays tropicaux, mérite d'être évoquée à nouveau, mais gageons cependant que les cavités y sont plus rares car les spéléologues sont gens tenaces et fureteurs, et si trous il y avait, ces derniers sauraient bien les trouver.
4L'aridité est une dégradation climatique dont les modalités sont différentes selon les circonstances géographiques. On peut distinguer sommairement :
- les déserts ensoleillés à faible nébulosité (Amérique du Nord (Est des Rocheuses ; désert de Chihuahua) ; Afrique du Nord et Sahara (Maroc, Algérie, Libye), Sahel, (Niger, Mali, Burkina) ; Afrique du Sud (Kalahari-Karroo) ; Asie (Néguev, Arabie, Sind) ; Australie (Grand désert australien) ;
- les déserts littoraux brumeux (bordure du désert d'Atacama ; Mauritanie ; Namibie) ;
- les déserts d'altitude (Kulun, montagnes au nord du bassin de Qaidam, Chine ; Arabie Saoudite ; certaines parties de la Namibie), où les précipitations peuvent être inférieures à 25 mm (FELBER et al. ; 1978) ;
- enfin, les régions semi-arides, où l'augmentation des précipitations altère les conditions précédentes (Limestones Ranges de l'Ouest australien ; plateaux de Belomotra et du Mikoboka, à Madagascar ; Yucatan, au Mexique).
5Toujours est-il que les morphologies karstiques de surface y sont indigentes. Cela tient à quatre causes essentielles : la faiblesse des précipitations, l'importance de l'évaporation, la minceur des sols, enfin la médiocrité des formations végétales.
A - Indigence et variabilité des précipitations
6Par définition les régions arides et semi-arides reçoivent peu de précipitations et sont affectées par des sécheresses plus ou moins sévères. Le corollaire de cet état est la médiocrité, du moins en surface, des morphogenèses karstiques. Plusieurs aspects méritent d'être dégagés :
71°- L'inactivité ou la maigre activité des processus karstiques actuels s'explique avant tout par la grande indigence des précipitations, le plus souvent inférieures à 400 mm, en association avec une très forte évaporation, ce qui prélève d'autant l'eau disponible pour la dissolution. Cependant, il ne faut pas croire que toute humidité est absente dans les déserts, bien au contraire, même si les données enregistrées manquent très souvent.
8Plusieurs aspects méritent d’être dégagés :
- tout d’abord, les pluies interviennent plus souvent et de façon moins intensive que ce que l’on croit généralement : il existe un nombre de jours de pluie non négligeable (parfois plus d’une centaine/an) pour un total qui peut avoisiner ou dépasser les 100 mm (et jusqu’à 500 mm) ;
- ensuite, les déserts côtiers sont plus humides que ce que pourraient laisser croire les enregistrements des pluviomètres. C’est le cas du désert du Namib où, à la station de Gobabeb, à 70 km du littoral, sont enregistrés 25 mm de précipitations annuelles mais également 32 mm de précipitations liées au brouillard (THOMAS, 1997). Le cas des déserts côtiers comme ceux du Chili-Pérou, où les garuas ou camachancas (brumes matinales) humectent les sols de 100 à 200 jours/an (avec en plus le rôle des embruns salins) se range dans la même catégorie ;

Figure 111 : Carte mondiale des affleurements carbonatés. On constate que les zones arides et désertiques sont concernées.
- une troisième source d’humidité est la rosée. Il n’en existe malheureusement que peu d’enregistrements dans les déserts, mais dans le Néguev (Israël) par exemple on estime que l’apport de cette dernière dépasse 30 mm environ (EVENARI et al., 1982) ;
- l’humidité est également plus présente lors de certaines particularités topographiques (oueds, sources, playas, sebkras, base de falaises, etc. ;
- par ailleurs, en cas de pluie, celle-ci se produit sous forme généralement brutale, avec de façon consécutive des ruissellements intensifs, ce qui privilégie l'érosion linéaire et mécanique.
9La conséquence de cet état de fait est que les processus de karstification sont nécessairement inhibés, par contre la formation des encroûtements est favorisée.
10L'appauvrissement des modelés karstiques à mesure que l'aridité augmente a souvent été démontré (SMITH et ATKINSON, 1976). Quelques exemples le montrent :
- dans le karst australien de Nullarbor (JENNINGS, 1983) où les précipitations passent de 400 mm au sud à moins de 150 mm au nord. Or le maximum de cavités ou de dolines (d'effondrement) se situe à proximité du littoral ;
- en partant du Maghreb en direction du Sahara les manifestations karstiques s'effacent. MENSCHING (1973) pense qu'il existe un "seuil karstique" entre les régions arides et semi-arides du Sahara ;
- en allant vers le sud et l'est de la Cyrénaïque (Libye) à mesure que les précipitations déclinent, les dolines disparaissent (PFEFFER, 1979). PFEFFER pense que dès que l'on a plus de 9 mois "arides" ( ?), les dolines ne se forment plus. Dans la région de Carlsbad, au Nouveau-Mexique, les dolines cèdent la place à des ravines adaptées aux écoulements spasmodiques brutaux.
11Finalement, dans les secteurs les plus arides, on n'observe plus que quelques micro-formes karstiques de surface (micro-lapiés, petites kamenitzas peu profondes ou “dongas”). En fait, seule une faible tranche d'eau est active et responsable du développement des formes mineures de dissolution.
122°- L’absence d'humidité régulière constitue une circonstance très défavorable au développement des formes karstiques. Les averses brutales, tombant sur des espaces peu protégés par la couverture végétale et des sols squelettiques, engendrent le plus souvent des écoulements torrentiels plutôt dévastateurs sur le plan érosif (érosion mécanique). Or nous savons que la dissolution est une action lente (érosion chimique) exigeant souvent un épikarst humecté avec des sols faisant office de compresse humide. Le décapage de ces derniers d'une part, et d'autre part l'assèchement par capillarité et évaporation de ceux qui subsistent, ne militent guère en faveur d'une karstification active et encore moins d'une préservation des morphologies karstiques.
133°- Une autre spécificité du monde aride et semi-aride est que les eaux sont fréquemment chargées en sels. La nature de ces derniers est variée : chlorures de sodium ou de magnésium, sulfates, nitrates, mais il y a relativement peu de calcium et pas de fer. Cette charge en solutés (de 150 à 350 g/l) est bien entendu défavorable au pouvoir de dissolution de l'eau, lequel est déjà fortement compromis par la faible fourniture en CO2 biologique (cf. infra), et même en CO2 global du fait des températures élevées des eaux. Les eaux de ces régions, déjà extrêmement rares, sont en plus très peu agressives. Du point de vue de la karstification, les mesures de l’eau dans les déserts indiquent que cette dernière est la plupart du temps alcaline, avec des pH dépassant souvent 8 (GOUDIE, 1985). Ceci s’explique bien sûr par la présence des sels, mais cela signifie surtout que cette eau n’est pas apte à la dissolution des carbonates. Par contre elle peut attaquer les roches silicatées.
B - Le rôle de l'évaporation
14Dans les pays arides, si l’on doit souligner l'extrême faiblesse de l'eau disponible, c’est surtout en raison d'une très forte évaporation, très souvent supérieure à 1 500 mm. De nombreuses études ont montré que dans les régions désertiques il ne se forme pratiquement pas de réserves d’eau profonde, car l'eau tombée est presque totalement dissipée par évaporation et évapotranspiration. Cependant, si les précipitations qui surviennent sont importantes (> 200 mm), intenses et brutales, l'eau peut ruisseler et s'infiltrer rapidement. Les calcaires à fissures béantes sont alors favorables à une soustraction par évaporation. Dans ce cas, il peut s'exercer une certaine dissolution en profondeur.
15JENNINGS et SWEETING (1963) ont trouvé des taux élevés de bicarbonates dans leurs échantillons de saison sèche, sans doute en raison du rôle joué par l'évaporation car il est difficile d'admettre, comme c'est souvent le cas dans les pays tropicaux humides, que cela est dû à une plus grande activité microbiologique et végétative.
16La très forte évaporation favorise également le dégazage du CO2 (BARNES, 1965 ; SOLOMONS et al., 1978) et le dépôt rapide des carbonates. Dans la région de Palmyre (Syrie), DRESCH (1963) a montré que la teneur des alluvions en CaCO3 diminuait très rapidement : 61 % à 10-15 km en amont, 21 % à 1,3 km, 15 % à quelques mètres et 2 % dans la sebkra de Palmyre.

Figure 112 : Grotte d'Ampanonga (Pays Mikea, SW de Madagascar). La nappe phréatique sous-jacente affleure à quelques mètres de la surface, formant un lac souterrain avec des poissons aveugles.
17On comprend également que l'évaporation et l’alcalinité des eaux favorisent la formation de morphologies construites telles que les barrages travertineux (cf. supra).
18Dans l’endokarst les conditions sont très particulières dès lors qu'il existe une présence d'eau. Un exemple intéressant nous est fourni par les grottes du Pays Mikea à Madagascar (SALOMON, 1982) proches de la surface et dans lesquelles affleure la nappe phréatique sous forme de lacs (Fig. 112). Le toit des grottes est si près de la surface que les racines des arbres percent les plafonds et surtout, ces derniers jouent le rôle de couvercle chauffant dans la journée lorsque le soleil brille (cas usuel). L'atmosphère humide proche de la saturation qui y règne n'est pas un argument favorable à l'évaporation, pourtant la chaleur est telle que celle-ci se produit abondamment. La nuit, le phénomène continue longtemps car les roches restituent la chaleur emmagasinée le jour. En saison fraîche, lorsque les températures descendent en deçà de 10°C le matin, les ouvertures exhalent des buées importantes. L'air chaud saturé est donc emprisonné dans les moindres interstices, ce qui explique les traces de corrosion active, et ce d'autant plus que la présence de gaz ammoniaqué émanant des urines et du guano déposé par les chauves-souris accentue celle-ci (Fig. 113).

Figure 113 : Grotte d'Andakato-Mahya, (Pays Mikea, SW de Madagascar).
19Dans ce type de grotte, lorsqu'un flux d'air se produit, les parois des galeries peuvent enregistrer des coups de gouge, ceci est particulièrement net dans les grottes de sel où l'écoulement de l'air humide semble être un facteur important dans la genèse de ces formes.
20JENNINGS (1983) signale des humidités relatives allant de 38 % à 100 % pour une série de grottes situées en zone aride. Une étude menée sur les stalagmites des grottes de la région de Jérusalem indique qu'elles ont été formées au Quaternaire dans une ambiance endokarstique plus humide que l’actuelle (FRUMKIN, SCHWARCZ et FORD ; 1992). Cela serait lié à un approvisionnement permanent en eaux d'infiltration favorisé par une couverture végétale plus dense (cf. infra). Cependant, la contribution de l'évaporation au concrétionnement est encore bien controversée (selon les auteurs elles varierait de 10 à 40 %), et des études quantitatives menées en pays aride permettraient de préciser cette question. Les études manquent sur ce type de problématique, pourtant les grottes en milieu aride et possédant des lacs ne sont pas rares, à l’image de ce que l’on constate en Australie dans le plateau de Nullarbor (Fig. 114).
C - La minceur des sols et la rareté de la végétation.
21La rareté de l'eau a pour corollaire la médiocrité des couvertures végétales (scrub australien, bush africain, formations steppiques, etc.) et pédologiques, ainsi que le peu de dioxyde de carbone d'origine biologique contenu dans les sols. Ce constat contribue à expliquer la médiocrité ou la grande faiblesse de la karstification dans les domaines arides et chauds.
22Le bas niveau de l'activité biologique s'explique avant tout par le manque d'eau et l'adaptation des organismes à cette pauvreté bien illustrée par exemple par les formes de nanisme ou la microphyllie des appareils végétatifs. Les organismes vivent au ralenti et ne produisent donc que fort peu de CO2 ou d'acides organiques Par ailleurs, le taux d'évaporation très élevé d'une part et la minceur des sols (s'ils existent) d'autre part, ne permettent pas de constituer une réserve humide permettant l'exercice prolongé de la dissolution. La boucle est bouclée. Il n'y a donc pas de possibilités d’emmagasiner de l'humidité. Dans le cas des Limestones Randges en Australie, les planchers rocheux affleurent directement ("rock pediments"), et en cas de pluies le ruissellement est absorbé directement en profondeur à la faveur des anfractuosités.

Figure 114 : Coupes longitudinales et plans de quelques grottes du plateau de Nullarbor (d'après Gillieson et Spate, 1992).
23Toutefois la zone épikarstique n'est pas forcément absente et les kamenitzas souvent nombreuses le montrent. Une certaine planation latérale peut même opérer au contact de certains points de rassemblement des eaux temporaires, mais cela reste l'exception.
24De même avec des sols rares et peu épais (ex Limestones Randges ; plateaux de l'Ouest malgache) la fréquence des formes émoussées (Rundkarren) diminue : celles-ci sont en effet généralement absentes des régions arides et lorsqu'on les observe, il s'agit le plus souvent de formes anciennes héritées n'évoluant pratiquement pas. Un cas intéressant est celui de l’aven de Mampotela (Pays Mikea, Madagascar) car ses abords sont surprenants (Fig. 115). Parfois surplombants, ils sont perforés très profondément par des dizaines de longs conduits circulaires et verticaux, de diamètre suffisamment large pour permettre la descente d’un homme. La genèse s’explique par le fait que ces conduits ont à l’origine canalisé des eaux d’infiltration circulant au contact de la couverture sableuse et du calcaire, lequel est particulièrement compact et dur ; avec le temps, ils se sont progressivement agrandis. Aujourd’hui l’érosion ayant décapé les sables, ils n’évoluent pratiquement plus que par ruissellement des parois (SALOMON, 1982).

Figure 115 : Coupe schématique de l’aven de Mampotela (Pays Mikea, SW de Madagascar).
25Un autre exemple, indique le même type d’érosion karstique sous couverture : celui de l’entrée de la grotte de Mc Eachern’s dans le bassin du Mont Gambier (Victoria, Australie) et dont la genèse est attribuée en partie à un phénomène de suffosion (piping) sous couverture de sables et de dunes pléistocènes. On a souvent attribué à ces conduits verticaux (“foibe”) une origine biologique dans la mesure ou les racines des arbres prépareraient l’infiltration des eaux et l’élargissement des conduits, mais la rareté des arbres observés aujourd’hui laisse sceptique quant au bien-fondé de cette interprétation dans les pays réellement arides (Fig. 116).
26La corrosion est donc très faible et s'exerce rarement (Tab. 10) : CORBEL (1971) a calculé pour le Sahara un taux de 0,08 mm/1 000 ans et CASTELLANI et DRAGONI (1977), 1 mm/1 000 ans pour la Hamada du Guir (Sahara). En Australie LOWRY et JENNINGS (1974) arrivent à des chiffres analogues (de 2 à 9 mm) tandis que GERSON (1974) estime ce taux à 20 mm pour les collines de l'est de la Galilée. BALAZS (1973) donne le chiffre de 1 mm pour le Nullarbor. La Dissolution Maximale Potentielle (DMP) de GOMBERT (1995) ne donne en moyenne qu'un chiffre de 3,4 mm/1 000 ans pour les régions arides et désertiques ce qui en fait, de très loin, la zone la moins affectée de la planète par la karstification actuelle. L'ensemble des auteurs concorde donc sur ce fait. Le rôle fondamental de la quantité d'eau quant à la karstification apparaît bien confirmé.

Figure 116 : Coupe verticale de l’entrée de la Grotte de Mc Eachern’s. Noter le remplissage de sables au droit de l’aven (d’après Link).
III - Les paysages et les modelés
27Les paysages des milieux arides sont bien particuliers et ont été souvent dépeints, mais force est de constater que nulle part l'on ne mentionne des caractères de karstification. Cela est bien normal puisque, lorsqu'ils existent, ils sont le plus souvent oblitérés par d'autres caractères, éoliens par exemple, ou de ruissellement, qui, bien que rares, laissent des empreintes durables. Pourtant, lorsqu'on veut bien s'en donner la peine, on retrouve des paysages marqués par le karst.
A - Quelques types de karsts
1 - Le karst des Limestones Randges
28Les Limestones Randges, déjà évoqués ci-dessus, se situent dans le Nord-Ouest australien. Ici la température moyenne annuelle est de l'ordre de 20°C et les précipitations sont de 450-640 mm, tombant sur 30-80 jours. Ce karst est considéré depuis l'étude de JENNINGS et SWEETING (1963) comme un exemple classique de karst semi-aride présentant de nombreuses similitudes avec le karst du Bom de Jesus Lapa dans la province de Bahia (TRICART et DA SILVA, 1960).
29La morphogenèse commence avec le soulèvement de la surface d'érosion tertiaire d'assisses calcaires du Dévonien, portant à 90 m au-dessus du pédiment la surface de la formation. Le plateau ainsi constitué est disséqué et ramené au niveau du pédiment par érosion régressive des rivières. Les étapes de l'évolution sont les suivantes :
- la surface du plateau est décapée de ses sols et les fissures qui sont affectées par la corrosion s'élargissent. Ce faisant, se dessinent des couloirs isolant des îlots de blocs rocheux. Les corridors peuvent avoir 3 m de large et jusqu'à 33 m de profondeur, et plusieurs centaines de mètres de long. Les parois sont striées de cannelures et les secteurs plats sont affectés de cuvettes de dissolution et kamenitzas. Des gorges surimposées de cours d’eau allogènes traversent le plateau ; la plus importante atteint 8 km de longueur ;
- les couloirs liés à la dissolution et quelques rares dépressions fermées s'unissent pour former des systèmes de vallées intégrées, alignées sur les réseaux de fractures, donnant lieu à un véritable quadrillage du paysage avec des parois abruptes et des planchers à fond plat, d'où l'expression de "karst corridors" que l'on a attribué à ce type de karst. Des dépôts de tufs peuvent parfois sceller ces mêmes planchers ;
- les quadrilatères de plateau ainsi isolés s'amenuisent par élargissement des corridors jusqu'à former des donjons isolés et épars sur le soubassement rocheux des pédiments mais de hauteur modeste (<50 m).
- -la pédiplanation est le résultat de l'érosion karstique continue des tours et du recul du plateau dont les abrupts sont sculptés de lapiés de ruissellement. En fin de processus, la surface supérieure du plateau est complètement remplacée par celle constituée par le pédiment.
30Avec l'absence de couverture pédologique, on peut considérer que l'extension des surfaces karstiques pédiplanées est l'un des traits caractéristiques des karsts des déserts.
mm/millénaire | Référence | Pays |
0,08 | CORBEL | Sahara |
1 | CASTELLANI et DRAGON | Hamada du Guir (Sahara) |
1 | BALAZS | Nullarbor (Australie) |
2 | GOMBERT | Artique Canadien |
2-9 | LOWRY et JENNINGS | Nullarbor (Australie) |
5 | CORBEL | Ile Victoria-Artique canadien |
5 | MAIRE | Zagros (Iran) |
5,1 | MAIRE | Pérou |
5,8 – 21 | GOMBERT | Iran |
10 | MARIE | Zagros (Iran) |
15 | HERAUD-PIÑA | Yucatan (Mexique) |
16 | CORBEL | Yucatan (Mexique) |
20 | GERSON | Galilée (Israël) |
Tableau 10 : Valeurs de la dissolution spécifique (en mm/millénaire) en régions karstiques arides.
31On observera d'emblée, qu'en dépit de caractéristiques lithologiques très favorables (calcaires algaires et récifaux, purs et bien fracturés), on ne retrouve pas ici les caractères des karsts à dolines et encore moins ceux du cockpit karst des climats plus humides. Le karst n'est cependant pas inactif (courte saison de pluies intenses), mais c'est insuffisant. Les aspects de karst à tours, bien que de faibles dimensions, sont ici surprenants et pourraient être en partie hérités de conditions paléoclimatiques plus humides.
32Mais, d'une façon générale, le nombre et la variété des formes karstiques diminuent à mesure que les précipitations déclinent.
2 - Le karst de la plaine de Nullarbor (Australie).
33Célèbre par sa platitude et son immensité, cette région connaît une température moyenne annuelle de 18°C et des précipitations qui diminuent de 400 mm sur le littoral à 150 mm vers l'intérieur. Ce bas plateau, l'un des plus étendus dans le monde, couvre environ 220 000 km2. Il est constitué de calcaires tertiaires (Eocène et Miocène) généralement purs, massifs et durs qui descendent sous le niveau de la mer. La surface est horizontale avec des altitudes relatives des reliefs inférieures à 10 m. Les altitudes absolues sont comprises entre 75 et 250 m, s'abaissant vers le sud où le plateau se termine en falaises. Le paysage se compose de grandes dépressions karstiques séparées par de basses cloisons rocheuses peu perceptibles en général. Parmi les modelés de détail, les “gnamas” (petites kamenitzas) sont à relever (Photo 51).
34De nombreux cours d'eau fossiles, guidés par la fracturation, apparaissent, très peu encaissés (une dizaine de mètres), avec une origine allogène incontestable. Le paysage est marqué par l'absence d'arbres et la végétation dominante est le scrub. Les mesures de dissolution spécifique indiquent une perte de 2 à 5 mm/1 000 ans depuis que la plate-forme a émergé au Miocène moyen, ce qui est dérisoire. JENNINGS considérait ce karst comme typique des climats chauds subtropicaux, avec comme caractéristique essentielle, un grand appauvrissement en nombre de formes et en variété des morphologies karstiques par rapport aux régions humides.
35Pourtant les modelés à la surface de la plaine, bien que généralement modestes, sont essentiellement karstiques (JENNINGS, 1983), avec notamment un certain nombre de dolines d'effondrement dont certaines sont en partie colmatées. Dans les secteurs les plus humides, le modelé est caractérisé par des corridors étroits à fond argileux inscrits entre des rides rocheuses, et par des treillis de cuvettes argileuses. Dans les parties les plus sèches s'observent de rares dépressions circulaires nommées "dongas”, que l'on peut assimiler aux dayas d'Afrique du Nord. Ces bassins peuvent atteindre plus d'un kilomètre de grand axe pour une très faible profondeur (de l'ordre de 15 à 6 m). On retrouve ce type de modelé dans la Hamada du Guir (CASTELLANI et DRAGONI, 1986) et dans différentes hamadas calcaires sahariennes. Des dépressions liées à des effondrements et plus profondes existent. Elles sont parfois explorées par les spéléologues et sont cantonnées dans une large ceinture de 75 km environ, à partir du littoral. Près de 130 d'entre elles ont été cartographiées, allant jusqu'à 250 m de diamètre et 35 m de profondeur. Cokklebiddy Cave et Mura Cave sont parmi les plus connues (Photo 52). Certaines donnent accès à des conduits spéléologiques ou des cavités d'importance, telle Mullamulang Cave (5 km de conduits et salles de 30 m de haut ; DUNKLEY et WIGLEY 1967) (Photo 53). Contrairement à ce que l'on observe dans les Limestones Ranges ou dans les Flinders Ranges (1 000 km plus à l'Est mais avec des précipitations de l'ordre de 250 mm et des calcaires d'âge cambrien ; WILLIAMS, 1978), les sculptures en lapiés sont absentes malgré la qualité de la roche en surface (bonne pureté du calcaire).
36Quelques grandes cavernes donnant sur des lacs d'eau saumâtre ont des écoulements lents en direction du littoral (Weebubbie Cave). Les petites cavités peu profondes sont plus nombreuses, formées par une très lente dissolution phréatique. Les spéléothèmes en cours de formation sont rares bien que beaucoup de cavités recèlent de multiples morphologies. Les spéléothèmes de halite et de gypse sont particulièrement remarquables par leur quantité et leur variété. A titre d'exemple on peut citer la stalagmite géante de halite (2,78 m) trouvée dans la Webbs Cave dans le Nullarbor (GOEDE et al., 1992). Seule l'indigence de l'eau permet la formation et le maintien de ces curiosités.
37Il existe aussi de nombreuses cavités liées à des effondrements, et les éboulis par gravité sont fréquents. L'haloclastie qui démolit le soubassement rocheux en fins détritus semble jouer un rôle important.
38Tout indique en surface la prééminence de l'érosion mécanique par rapport à l'érosion chimique.
3 - Le Sud-Ouest de Madagascar
39Façonnés dans l'Eocène calcaire les plateaux du SudOuest de Madagascar (Mahafaly, Belomotra, Vineta, Mikoboka) représentent des exemples de karsts en climat semi-aride. Aucune de ces régions, situées sous le tropique Sud ne reçoit plus de 600 mm, et les plus proches du littoral ont moins de 400 mm voire 250.
40Sur les plateaux de Vineta et de Belomotra, le modelé karstique de surface est très imparfait et localisé au centre des interfluves. Cela est lié à une grande hétérogénéité des calcaires, à la protection offerte par une épaisse couverture de sables pliocènes, à la faiblesse de la tectonique et surtout à la faiblesse des précipitations actuelles et la forte évaporation. La grande caractéristique de ces plateaux est d'être souvent recouverts par une couverture de sables d'épandages essentiellement pliocènes. Les calcaires massifs, purs et microcristallins sont donc tantôt couverts tantôt à nu. Souvent l’aridité est renforcée par la forte évapotranspiration mais aussi par une sécheresse d’origine édaphique qui influe sur le couvert végétal (Photo 54).
Photo 51 : Gnama du Plateau de Nullarbor (Australie). Ces cuvettes de dissolution (kamenitzas) sont très appréciées par les aborigènes et les animaux, lorsqu’elles contiennent de l’eau.

Photo 52 : Cokklebiddy Cave sur le Plateau de Nullarbor (Australie). L’endokarst est étonnamment développé, surtout si l’on considère le total annuel des précipitations.

Photo 53 : Entrée de la grotte “The home Abrakurrie Cave” (plateau de Nullarbor, Australie).

41Le karst couvert est le plus évolutif car la corrosion du calcaire est très intense au contact intime du matériau meuble à caractère sableux (souvent épais) et de ses solutions (pH <7). Lorsque cette couverture est décapée par l'érosion, cela se traduit en surface par l'apparition de Rundkarren et de bancs ajourés. Au niveau médian, les effets de l'évaporation ne jouent plus et l'acidité augmente (pH <5-6), de plus les blocs sont entièrement isolés dans la gangue et la corrosion peut alors s'exercer sur toutes les faces. Au niveau inférieur, seules les discontinuités structurales sont investies par le matériau de couverture, l'humidité est plus faible et des phénomènes de recarbonatation s'observent.
42Lorsque les calcaires émergent, les lapiés et formes de corrosion se traduisent par un modelé aux formes convexes et lisses amiboïdes, et des champs de pseudogalets, sans autre formation interposée qu'une pellicule blanchâtre d'altération. Avec le temps les bancs qui apparaissent se couvrent de ciselures superficielles concaves et se constellent de cupules. Cette évolution est alors très lente et les calcaires apparaissent alors comme une roche particulièrement résistante à l'érosion. Ceci est à mettre en parallèle avec la présence d'épaisses carapaces calcaires (entre 1 et 3 m) qui sont également l'un des traits essentiels de ces plateaux. Ces carapaces se fragmentent en dalles polygonales et se couvrent de croûtes zonées et ciselées, elles-mêmes parfois corrodées. La formation de ces croûtes paraît résulter de l'affleurement des horizons d'altération calcaires et de leur consolidation ultérieure après enrichissement et remobilisation des carbonates par évaporation (SOURDAT, 1977). Ces encroûtements ont été interprétés comme l'une des caractéristiques du passage d'un épisode pluvial vers une aridité sévère à l'échelle régionale (SALOMON, 1987).
43Les plateaux du Mikoboka et du Mahafaly sont de véritables causses avec parfois de véritables constellations de dolines et de poljés. L'ensemble de ces dépressions est favorisé par l'intervention d'une tectonique cassante ayant multiplié les fractures et l'isolement de buttes résiduelles de type Kuppen. Cependant si les conditions bioclimatiques actuelles ne semblent pas interdire la formation des lapiés, la structure de ces dernières (averses violentes) et leur rareté ne militent pas en faveur des phénomènes de corrosion : le décapage rapide de la couverture pédologique (favorisé par la déforestation anthropique) et le nettoyage des lapiés sont les éléments morphogénétiques les plus importants (SALOMON, 1987).
44Cependant la caractéristique la plus spectaculaire de ces plateaux est la présence de plus d'une centaine d'énormes avens d'effondrement en chaudron ou en trou d'obus, ronds ou ovales de quelques dizaines de mètres à 500 m de diamètre, et de 40 à 100 m de profondeur. Citons entre autres, ceux de Manomby et d'Analafanoroka (Mikoboka), de Tolikisy (Belomotra) et de Ranofotsy, d'Andranomanoatse, d'Antaneotse (Mahafaly). Beaucoup ont une embouchure plus étroite que leur fond encombré d'énormes blocs éboulés (BATTISTINI, 1964). Ces avens en chaudron se produisent à la suite de l'effondrement du toit d'une salle ou d'un conduit horizontal lorsque ceux-ci sont proches de la surface. Il semble que les forts contrastes saisonniers de la pluviométrie, ainsi que les variations de la zone noyée qui en résultent, favorisent les différences de pression hydraulique au niveau des plafonds et donc les possibilités d'effondrement. La doline d'effondrement serait par conséquent une forme caractéristique des karsts tabulaires des régions tropicales semiarides à forts contrastes saisonniers et à longue saison sèche. De fait des formes similaires sont fréquentes dans les karsts de Nullarbor (JENNINGS et LOWRY, 1974) et du Yucatan (CORBEL, 1959 ; HERAUD-PIÑA, 1995).
4 - Les plateaux de l'Adar (Niger)
45Au centre du Niger, dans la région de Tahoua, les plateaux de l'Adar sont troués de dépressions karstiques, dolines et ouvalas (appelés "kadandamou "en haoussa), et même de poljés et de réseaux de vallées sèches. Le plateau se compose d'une formation cuirassée surmontant une formation schisteuse et calcaire (BOUZOU, 1995). Les dépressions fermées semblent résulter de l'effondrement des grès cuirassés sur des formes karstiques développées dans les calcaires : il s'agirait donc d'un cryptokarst.
46Cependant un soutirage des éléments fins des formations gréseuses n'est pas à exclure non plus car de tels phénomènes sont souvent observés dans les formations limoneuses ou sableuses mal consolidées (suffosion). Les études actuelles et la présence préférentielle de cultures vivrières au sein de ces dépressions indiquent que l'humidité s'y concentre, notamment dans les sols. De plus, à la suite des pluies, des mares temporaires peuvent s'y former. Une évolution actuelle n'est donc pas à exclure. Cependant l'aridité actuelle du climat nigérien ne milite pas pour une genèse récente de ces dépressions : celles-ci, parfois de très grande taille, sont vraisemblablement héritées de périodes paléoclimatiques plus humides.
5 - Le Yucatan
47Célèbre par la brillante civilisation maya et ses richesses archéologiques, le Yucatan est également un des hauts lieux de la karstologie. Il s'agit d'une plate-forme de 150 000 km2, très fracturée, de calcaires tertiaires et très purs qui est soumise à la karstification depuis son l'entablement calcaire s’est faite au détriment des réseaux émersion à l’Eocène. L'infiltration rapide des eaux dans hydrographiques de surface tandis que cavités et réseaux souterrains se développaient. Le total pluviométrique, souvent supérieur à 1 000 mm (mais le Nord reçoit moins de 500 mm), ne devrait normalement pas permettre d'inclure cette région dans la catégorie des régions semiarides. Cependant la moyenne annuelle des températures (26-27°C) d'une part, et l'infiltration quasi immédiate des eaux météoriques d’autre part, entraînent une sécheresse d'ordre édaphique qui donne au paysage des caractères de semi-aridité, renforcés par l'aspect rabougri de la végétation xérophytique (nombreux épineux).

Figure 117 : Cenotes du Yucatan
48L'exokarst est fortement marqué par les paysages à Kuppenkarst (mogotes) et dépressions karstiques (dolines, grands poljés), notamment dans le Campeche (HERAUD-PIÑA, 1995), parfois ennoyées.
49Un autre trait caractéristique est l'énorme extension des croûtes calcaires ou "caliches", parfois épaisses de plusieurs mètres, et dont les sommets sont chapeautés par des croûtes zonaires centimétriques. Selon HERAUD-PIÑA (1995), deux facteurs ont joué un rôle majeur quant à leur genèse : les fluctuations glacio-eustatiques du niveau de la mer et surtout la forte évaporation de saison sèche. De vastes dépressions karstiques peu profondes, les "aguadas", affectent ces croûtes et peuvent être associées à des réseaux de galeries sous-jacentes (c/. infra). Par ailleurs, le Yucatan est célèbre par le grand nombre de grottes et de cenotes qu'il abrite (SALOMON, 2003). Rappelons que les cenotes sont des puits d'effondrement noyés partiellement ou totalement et constituent des regards sur la nappe phréatique. La majorité d'entre-eux se situe à proximité du littoral et certains dépassent les 100 m de profondeur et/ou plusieurs kilomètres de longueur (Fig. 117).
50La genèse de ces cavités est polygénique : outre le bâti structural (lithologie et tectonique), entrent en jeu la position du biseau salé et l'épaisseur de la lentille d'eau douce, la corrosion par mélange des eaux au contact de l'halocline, les fluctuations du niveau marin, enfin le grand rôle de la saison sèche et son intensité.
B - Les modelés
1 - Les modelés usuels
51A grande échelle, on admet volontiers que les roches calcaires sous climat aride se comportent plutôt comme des roches résistantes car, alors que dans d'autres zones climatiques elles sont sensibles à la gélivation et à la dissolution, là, elles sont pratiquement "immunisées". Cela explique en partie la pureté des formes structurales de ces contrées. En dessous d'un certain seuil d'aridité, les modelés de surface sont fort peu attaqués par les précipitations et les ruissellements. Les "départs" des carbonates par dissolution s'effectuent alors presque exclusivement par accroissement des cavités de l'endokarst. Les versants raides ont tendance à se perpétuer car sur eux l'eau qui ruisselle ne reste pas suffisamment longtemps pour provoquer une érosion significative. Seules les parties ombragées (base de versant, partie inférieure des rochers, taffonis) sont un peu affectées. Les modelés de surface restent figés, parfois pendant des millions d'années, tandis que les roches calcaires, par érosion différentielle, peuvent apparaître en position dominante (Photo 55). Enfin, la fréquence des croûtes et caliches scellant les topographies donne un aspect caractéristique à certains paysages, avec notamment des corniches de croûte lapiésée et des blocs de dalles déchaussées.
a - Les formes d'érosion
52D'une façon générale, les formes les plus élaborées, poljés et ouvalas, sont absentes, mais il existe un grand nombre de dépressions fermées qui portent selon les régions des noms variés : dayas (Afrique du Nord et Sahara) ; dongas (Australie) ; balte (Libye) ; vleis (Afrique du Sud) ; chor ou sor (Kara Koum en Asie centrale). Pour MITCHELL et WILLIMOT (1974), qui ont effectué de nombreuses comparaisons (Maroc, Libye, Bahrein, Oman), les dayas sont essentiellement des phénomènes karstiques liés à leur soubassement calcaire. Les études des sols ont montré que les échantillons possédaient beaucoup d'illite, des traces de montmorillonite et de calcite, et très peu de kaolinite. Les sédiments fins sont importants (20 à 200 microns en moyenne), ce qui minore dans ce cas le rôle de l'érosion mécanique.
53Dans les daya, l'humidité plus forte (les ruissellements occasionnels s'y concentrent) permet la concentration d'arbres et de graminées qui fournissent une petites quantité d'acides organiques et de CO2. Dans quelques cas elles ont pu être cultivées. La roche calcaire peut être attaquée, mais très lentement (Fig. 118).
54On a alors de véritables dolines comme les "ouddirh" de l'Atlas marocain qui peuvent atteindre jusqu'à 50 m de diamètre pour 50 m de profondeur (WEISROCK, 1985). Celles-ci n'évoluent pratiquement pas, comme l'indique le cas des dépressions fermées des calcaires infracambriens de l'Adrar mauritanien ou de ceux d'Azougui (environs de Fort-Gouraud). Là, les diamètres mesurent de 500 à 1 500 m, bien délimités par des bordures à petites falaises et les profondeurs atteignent jusqu'à 5 m et plus. On retrouve ce type de dolines dans les calcaires carbonifères du centre du bassin de Taoudeni.
55Les poljés ne sont pas absents des régions arides et semi-arides. Les Plateaux Haha, au nord d'Agadir, au Maroc, offrent de beaux exemples, connus sous le terme régional de "ouggar" (WEISROCK, 1985). Cependant, la dissection avancée de ces bas plateaux multiplie les formes de dégradation : souvent, sous l'effet de l'érosion remontante, ces poljés sont devenus des têtes de ravins élargies en bassins de réception.
Photo 54 : Baobabs et arbre bouteille sur croûte calcaire (karst du Pays Mikea, Sud-ouest de Madagascar). La croûte qui surmonte les assises calcaires provoque une sécheresse édaphique qui oblige la végétation à s’adapter (xérophilie), (photo : J.-N. Salomon).

Photo 55 : Karst aride du Kelifely (Madagascar). Même si les precipitations ne sont pas négligeables, l’eau disponible pour la karstification est rare en raison de l’énorme évapotranspiration, (photo : J.-N. Salomon).


Figure 118 : Coupe dans une daya de la petite Hamada (Sahara algérien) (d’après Conrad et al., 1967).
56La plupart du temps, l'assèchement généralisé qui a suivi la formation de ces dépressions karstiques a stoppé leur évolution. Les versants se sont dégradés et leurs fonds se sont comblés peu à peu de lits de blocailles et de limons. Cependant leur forme d'ensemble en cuvette à fond plat et bords relevés, ou en vastes entonnoirs évasés, subsiste. Dans bien des cas il est avéré que les dépressions karstiques se sont formées au Tertiaire, mais l'évolution quaternaire avec une incision profonde des réseaux hydrographiques entraîne plutôt une destruction de ces formes.
57Un cas particulier est représenté par les "qararat" de la bordure occidentale du bassin de Syrte (Libye centrale). Il s'agit de dépressions endoréiques à flancs raides, subverticaux, en forme de chaudron, et dont les grands axes vont de 5 à 12 km. Situées entre 540 et 580 m d'altitude, ces dépressions peuvent avoir de 35 à 95 m de profondeur. Selon BOSAK et al. (1993), elles se sont formées sous climat aride par alternance de deux processus : un stade de préparation, puis un enlèvement des matériaux. Leur modèle d'évolution repose sur des fluctuations du niveau de la nappe aquifère baissant lentement et progressivement à mesure que le climat régional devenait plus sec, et sur une vaste pédimentation ultérieure (mio-pliocène). La dissolution d'évaporites et d'horizons carbonatés a été provoquée par un lent écoulement d'eau souterraine vers le N ou le NE, le long des lignes de fracture. Cette forme de cryptokarst se retrouve dans le sud du bassin de Taoudeni aux environs de Bandiagara. En effet, les calcaires caverneux primaires qui sont coiffés par des grès argileux du Continental Terminal subissent des phénomènes d'affaissement tel le célèbre "cratère d'Irma", large de 75 m et profond de 55 m qui s'est brusquement effondré en 1950 (ARCHAMBAULT, 1960).
58Nous avons vu qu'au Mexique les "aguadas" peuvent couvrir de vastes étendues puisque les plus grandes atteignent jusqu'à 1 km de grand axe (pour une profondeur de 1 à 3 m seulement). En saison sèche la plupart se tarissent, mais en saison des pluies elles s'inondent à nouveau. La karstification est liée à la conjonction des variations du niveau de la nappe phréatique (parfois en contact avec l'eau de mer), du chimisme des eaux, et de l'altération de la dalle calcaire. L'originalité de cette forme est qu'elle nécessite au préalable la formation d'épaisses couches de "caliche" (favorisée par la forte évaporation de saison sèche) auxquelles s'associent tout un cortège d'autres formes karstiques comme les lapiés et des kamenitzas en surface, ou des systèmes de galeries et cavités en sub-surface (Fig.119). Ainsi les aguadas seraient-elles l’une des formes spécifiques des pays semi-arides tandis que pour JENNINGS, à moyenne échelle, la seule forme distinctive des pays arides serait les "douves" ("moats”) inscrites dans les soubassements calcaires au pied de massifs granitiques (Fig. 120).

Figure 119 : L’aguada Supucte, développée dans les caliches. D’une profondeur moyenne de 1,50 m en saison sèche, elle voit son niveau monter de 1,50 m lors de la saison des pluies. Elle communique avec les puits environnants par des systèmes de conduits internes (d’après Hérault-Piña, 1996).

Figure 120 : Bloc-diagramme schématique de douve développée dans des calcaires miocènes autour d’un pointement granitique (karst du SW de Nullarbor, Australie). L’étendue d’eau est temporaire (d’après Jennings, 1983).
59Les canyons à méandres bien représentés dans les plateaux des Haha-sud (Maroc), s'expliquent à la fois par la proximité du niveau de base de l'océan et par un rejeu tectonique attesté par des lignes de grottes à différentes hauteurs (WEISROCK, 1985). Ces grottes ont d'ailleurs été utilisées par l'homme comme greniers troglodytiques dits "greniers de falaise" (GATTEFOSSE, 1934). Mais il faut également admettre que la mise en place d'un réseau de drainage, en grande partie souterrain, puis sa désorganisation, n'ont été possibles que par la succession d'une période humide suivie d'un très fort assèchement. L'on retrouve là en partie une problématique déjà évoquée pour le Yucatan.
b - Les formes construites
60L'abondance des travertins, comme par exemple dans le Grand Canyon en Arizona, serait favorisée par l'importante évaporation qui se produit et favorise un très fort dégazage de CO2. Les exemples de grands ensembles travertineux abondent : les célèbres lacs de Band-i-Amir en Afghanistan (LAMBERT A., 1955 ; de LAPPARENT, 1966 ; LANG et LUCAS, 1979), le complexe d'Antalya en Turquie (BURGER D, 1992), les "Sept Lacs" dans le SW de Madagascar (SALOMON, 1981), les nombreux barrages travertineux qui affectent les vallées brésiliennes de la région de Bahia, les travertins de l'Ader Douchi au Niger sahélien, ceux du Grand Canyon en Arizona (LANGE, 1960 ; REILLY, 1961). Par contre, dans certains cas (grandes accumulations d'Imouzzer-Tamarout, Maroc), ces travertins sont parfaitement fossiles, hérités de périodes plus humides, et ont même tendance dans les conditions actuelles à être détruits par la brutalité des écoulements épisodiques (WEISROCK, 1985). Partout les différents auteurs mettent en valeur les mêmes facteurs favorables explicatifs des constructions à savoir :
- faible valeur des débits solides ;
- discontinuité des profils en long, ce qui favorise les cascades et l’échappement du CO2 ;
- perturbations brutales de l’écoulement, avec les mêmes effets (le dépôt de travertin s’effectue lorsqu’on passe d’un écoulement tranquille au régime turbulent) ;
- présence de végétation (cypéracées, mousses, algues, roseaux, etc.) ;
- et bien sûr climat aride favorable à l’évaporation.
61Dans le cas des travertins de Band-i-Amir, comme dans ceux du Transvaal (Afrique du Sud, MARKER, 1973), les études ont montré qu'il ne s’agissait pas d’eaux thermominérales et que c’était bien le régime climatique qui était le paramètre essentiel (très longue saison sèche).
62L’abondance des croûtes dans les régions semi-arides est également du même ordre. Sans aborder le vaste problème de la formation des croûtes carbonatées, force est aujourd’hui d’admettre qu’un mode de formation est celui des croûtes per ascensum dès lors que la croûte moule une topographie (SCHOLZ, 1971 ; SALOMON, 1987 ; SALOMON et POMEL, 1997). Le rôle de l’évaporation dans leur formation ne saurait être mis en doute : après une averse il se produit une forte évaporation amenant en surface la précipitation du carbonate de calcium en surface, ou juste en dessous, avec parfois une pellicule très dure et protectrice de carbonate de calcium secondaire. On les rencontre même dans les déserts les plus arides comme dans l’Hadramaout en Arabie (WISSMANN, 1957). Il ne faut donc pas confondre les croûtes de type caliche (à disposition plutôt subhorizontale) avec les croûtes de ruissellement ("casehardening") des mogotes des régions plus humides (à disposition plutôt sub-verticale). Même si les croûtes ne sont pas strictement inféodées aux milieux arides et subarides, dans l’ensemble il faut bien reconnaître qu’elles sont bien plus développées dans les régions sèches. Etudiant ces formations au Botswana, WATTS (1977) en a même été tenté de faire des pseudo-anticlinaux qui se développent en leur sein, des formes caractéristiques des karsts semi-arides.
63Un forme d’encroûtement originale est celle constituée par les éolianites ou calcarénites, observée sur de nombreux littoraux tropicaux de régions arides (Maroc, Australie, Madagascar, Inde, Mexique, Afrique du Sud, etc.), même si l’on peut en observer parfois ailleurs. Les littoraux tropicaux sont particulièrement riches en sables calcaires (près de 90 % par endroits) du fait de la grande abondance en éléments coquilliers et coralliens en relation avec des conditions biologiques favorables (rôle de la température). Lorsque ces sables sont repris en dunes, la grésification intervient sans tarder, car la fréquence des brises marines procure sur le littoral une humidité relative, dépassant fréquemment 80 %, et des rosées matinales abondantes. Le calcaire peut être alors momentanément dissous puis à nouveau précipité par évaporation en surface. Il se forme alors un liant calcaire qui cimente les sables de façon durable et une grésification de la masse dunaire (SALOMON, 1987). La roche ainsi constituée a été baptisée éolianite en raison de son origine. Mais l’encroûtement peut aussi fort bien opérer sur de simples plages exondées par un abaissement relatif du niveau de la mer : c’est le cas des immenses "caliches" du Mexique dans lesquels par la suite peuvent se développer des "aguadas" (cf. supra).
64L’encroûtement de surface est particulièrement important lorsqu'on a des lithologies fortement poreuses, sensibles aux tensions mécaniques et de formation récente. Il recouvre la roche tendre d'une carapace résistante, la protégeant de l'érosion et la rendant plus imperméable. En définitive l'encroûtement protège et fait durer les morphologies. Bien entendu, à partir du moment où l'encroûtement est réalisé la karstification peut opérer et même créer des grottes dont certaines sont spectaculaires comme celle de Strong Cave (Augusta, Australie). Ces grottes sont généralement étroites, linéaires, avec des conduits horizontaux à un seul niveau et souvent encombrés de blocs effondrés (WHITE, 1985). Les plafonds sont fréquemment affectés par des cloches qui recoupent les plans de stratification. On y reconnaît là l'origine (dune grésifiée), même si les cavités offrent des voiles concrétionnés et des spéléothèmes. En surface il peut même se développer des champs de petites dolines, comme c'est le cas le long de la côte sud-africaine allant du Cap à East London, qu'il ne faut pas confondre avec les dépressions fermées interdunaires dont l'origine karstique n'est pas avérée. Notons sur le littoral de la région de Bredasdorp l'existence d’une grotte intra-dunaire, "De Hoop Cave", longue de 650 m (MARTINI, 1985).
c - Les sources karstiques (cf. Nicod)
65Les sources karstiques méritent d'être signalées dans cette étude dans la mesure où elles procurent, par définition, de l'eau, source de vie dans les déserts. Beaucoup sont pérennes, bien que la plupart s'assèchent ou connaissent des baisses de débit importantes en saison sèche.
66Une des sources les plus étudiées dans ce domaine est celle de Ras-el-Ain dans le nord de la Syrie avec un débit moyen annuel de près de 38 m/s (BURDON et SAFADI, 1963 ; BAKALOWICZ ; 1973), ce qui en fait la plus grande source karstique du monde alors que la pluviosité de la région est inférieure à 300 mm et l'évapotranspiration supérieure à 70 %. Les eaux y sont bicarbonatées (minéralisation : 235 à 300 mg/l de Ca) et la salinité n'est pas sensiblement différente de celle des exsurgences tropicales. Mais, d'une façon générale, les eaux des pays arides sont plus chargées (et donc moins agressives), surtout dans le cas des sources issues des massifs salins diapiriques. Dans le Sahara algérien nord-occidental, l'intéressante grotte exsurgence d'Aïn Hammam à Mazer (débit : 1 l/s) peut être pénétrée sur une quinzaine de mètres avec une largeur maximale de 7 m : on y observe des bourgeons stalagmitiques. Dans les calcaires se réalise généralement une pondération qui témoigne de circulations relativement lentes, celles-ci pouvant être mises en rapport (dans une certaine mesure) avec la faiblesse de la karstification dans l'endokarst (cf. infra). On peut citer le cas du Khabour, un affluent de l'Euphrate, qui débite toujours en moyenne mensuelle au moins 35 m3/s alors que son débit moyen annuel est de 40 m3/s.
d - L'endokarst
67Le monde souterrain est en grande partie isolé de ce qui se passe en surface et donc en principe les influences climatiques devraient être minimes. En fait il y a très peu d'études et de données fiables sur l'endokarst. Cependant, l'absence d'eau en surface doit forcément avoir une certaine répercussion en profondeur et c'est pourquoi, dès 1962, JENNINGS mettait la relative rareté des grottes du Nullarbor (une centaine répertoriées seulement pour 200 000 km2 d'affleurements carbonatés) sur le compte d'une ambiance d'aridité constante depuis l'émersion de la plate-forme carbonatée au Miocène moyen. L'eau qui arrive par le biais de précipitations courtes, violentes et rares (orages de convection), donne des écoulements en nappe qui imbibent les sols en surface. Mais peu d'eau pénètre dans le sous-sol (rôle de l'évaporation), et c'est pourquoi il n'y a que très peu de traces de galeries sous pression (GRIMES, 1978). De même, les fluctuations saisonnières des nappes phréatiques sont très réduites ou nulles, et comme les apports en CO2 sont réduits du fait de la faible activité végétale et bactérienne, on comprend que dans l'ensemble le cavernement est très réduit.
Minéraux | Composition | Localisation |
Halides | ||
Halite | NaCl | La plupart des grottes |
Sulfates | ||
Gypse | CaSO4.2H2O | La plupart des grottes |
Sélénite | CaSO4.2H2O | Mullamullang N37,Thampanna N206 |
Mirabilite | NaSO4.10H2O | Inconnu dans une grotte |
Taylorite | (NH4,K)SO4 | Murra-el-Elevyn N47 |
Aphthitalite | (K,Na)3Na(SO4)2 | Petrogale N200, Murra-el-Elevyn N47 |
Syngénite | K2Ca(SO4)2.2H2O | Murra-el-Elevyn N47 |
Carbonates | ||
Calcite | CaCO3 | Plupart des grottes |
Aragonite | CaCO3 | Tommy Grahams N56 |
Phosphates | ||
Whitlockite | Ca9(Mg,Fe)H(PO4)7 | Petrogale N200. Murra-el-Elevyn N47 |
Stercorite | H(NH4)Na(PO4).4H2O | Petrogale N200 |
Newberyite | MgHPO4.3H2O | Petrogale N200 |
Mundrabillaite | (NH4)2Ca(HPO4)2.2H2O | Petrogale N200 |
Monetite | CaHPO4 | Murra-el-Elevyn N47 |
Hannayite | (NH4)2Ca(HPO4)22H2O | Murra-el-Elevyn N47 |
Carbonate-hydroxylapatite | Ca(PO4,CO3)3OH | Murra-el-Elevyn N47 |
Brushite | CaHPO4.2H2O | Murra-el-Elevyn N47 |
Biphosphammite | (NH4,K)H2PO4 | Petrogale N200, Murra-el-Elevyn N47 |
Archerite | (K,NH4)HPO4 | Petrogale N200 |
Organiques | ||
Guanine | C5H3(NH2)N4O | Murra-el-Elevyn N47 |
Ocammite | (NH4)2C2.4H2O | Petrogale N200 |
Uricite | C5H4N4O3 | Dingo Donga N160 |
Weddellite | CaC2O4.2H3O | Webbs N132, Petrogale N200 |
Fer et oxydes de manganèse | ||
Goethite | FeOOH | Mullamullang N37 |
Hématite | Fe2O3 | Mullamullang N37 |
Pyrolusite | MnO2 | Mullamullang N37 |
Argiles | ||
Illite, Kaolin, Montmorillonite | Dans les grottes de la zone de Mundrabilla |
Tableau 11 : Types de minéraux caractéristiques des milieux arides : ceux des grottes du plateau de Nullarbor (Australie)
68Par ailleurs, les massifs de roches carbonatées en climat aride semblent plus favorables à la circulation profonde des eaux et au développement de sources hydrothermales qu'en climat humide. MARTINI et MARAIS (1996) ont montré qu'en Namibie par exemple, les niveaux hydrostatiques présentent de forts gradients qui favorisent la circulation profonde, alors qu'en milieu humide les chenaux forment des réseaux intégrés qui abaissent les niveaux hydrostatiques et, dans ce cas, ces derniers ne peuvent plus fournir la forte énergie potentielle favorisant la circulation profonde. Ces auteurs vont plus loin et pensent que le climat aride favorise la formation des grottes hydrothermales.
69Une autre caractéristique générale des grottes arides est le grand nombre relatif des efflorescences, des excentriques et des cristaux que l'on y observe, ce qui peut s'expliquer par le rôle des tensions superficielles qui l'emportent sur les concrétionnements de gravité (Tab. 11). La présence des cristaux d'aragonite, en relation avec un milieu plus confiné et exigeant une eau moins abondante, est assez fréquente par comparaison avec les milieux tempérés ou froids ou la calcite est de loin le cristal le plus fréquent.
70Toutefois une grande partie de l'endokarst peut avoir été formée au cours de paléopériodes plus humides, et subsister. C'est le cas des cavités du Transvaal où la pauvreté apparente de l'exokarst, accentuée par la présence de croûtes calcaires qui scellent la surface, dissimule plus de 600 cavités en profondeur (MARTINI, 1985), dont certaines avec des salles volumineuses. C'est aussi le cas de la région de Carlsbad au Nouveau-Mexique (avec le rôle de l'hydrothermalisme). Il s'agit souvent de réseaux de galeries formées le long de lignes de fractures et exploitées par la dissolution à une période où l'aquifère était plus haut. Ces grottes ne sont donc pas très profondes et, après une entrée verticale, elles se développent plutôt sur le plan horizontal. Les concrétions y sont présentes mais sont généralement inactives et ont perdu de leur beauté initiale. Tout ceci traduit bien un assèchement progressif du climat. Les conditions actuelles de sècheresse favorisent le dépôt de mondmilch, de buissons d'aragonite et de minéraux inhabituels (59 minéraux ont ainsi été identifiés en Afrique du Sud, la plupart liés au phosphate issu du guano de chauve-souris ; MARTINI, 1982). Des grottes comparables existent au Brésil, en Inde et en Australie.
71Cependant, dans les karsts évaporitiques, les grottes ne sont pas exceptionnelles et ont souvent été signalées (Gypsum Plain aux E.U ; karst de Zara en Turquie ; Atacama, Iran, Israël). Elles n'atteignent toutefois jamais la longueur et la complexité des réseaux des pays humides. En effet, ces grottes se forment très rapidement à la faveur de crues brutales mais rares ; puis grâce à l'extrême sècheresse de l'air elles conservent leur aspect intact jusqu'à la prochaine intervention de l'eau. Mais ce que l'eau peut former rapidement, elle peut l'affecter et le détruire tout aussi vite, c'est pourquoi les grottes de subsurface des pays arides, développées en roche ultra soluble, sont des grottes jeunes, assez simples et jamais très longues (quelques centaines de mètres aux mieux comme la Grotte du Lapin en Mauritanie ou les grottes du Mzab algérien).
72Les grottes les plus spectaculaires et/ou les plus profondes correspondent à des circulations souterraines fossiles (nombreux cas en Australie), actives mais pénétrables comme l'Indian Cave au Texas (WOODRUFF et ABBOTT, 1979), Koonalda Cave (Nullarbor), ou noyées (Cocklebiddy, Nullarbor, avec 6,2 km reconnus), que l'on peut parfois apercevoir par le biais de cenotes comme au Yucatan. En fait il semble établi que le processus principal de formation de ces conduits soit celui de la corrosion par mélanges d'eaux de nature différente ("mixing corrosion JAMES, 1992). La présence de sel et de gypse dans de nombreuses cavités du Nullarbor expliquerait l'altération accrue de la roche en profondeur, et la présence de véritables dunes de débris altérés comme à Mullamullang Cave (Photo 56) où l'une d'elles atteint 9 m, mais aussi celle de puits remontants et la fréquence des trous souffleurs (LOWRY, 1967). Dans ces conditions, certains spéléothèmes seraient spécifiques des régions arides (cf. supra)
73Un autre type est illustré par des grottes générées par des infiltrations et des écoulements d'eau d'origine nivale, comme pour la grotte d'Alisadre dans la région d'Hamadan, dans le Zagros interne (Iran), où les précipitations sont comprises entre 300 et 400 mm. En effet, l'amont de cette grotte, située vers 2 000 m, reçoit des précipitations neigeuses suffisamment importantes pour que la morphologie des conduits dans la partie aquatique du réseau montre une spéléogenèse de type noyé : protubérances de plafond, cloches emboîtées à la voûte, corrosions de paroi). Le développement connu atteint 12 km alors que la visite touristique propose près de 1 000 m de navigation. La genèse est caractéristique d'un développement en relation directe avec l'abaissement et les fluctuations du niveau de la nappe. Il s'agit "d'une grotte de piémont typique, en zone semi-aride" (DUMAS et al., 1994). La genèse est certainement ancienne, la cavité ayant été parcourue par des ruisseaux au cours de périodes plus humides.
e - Le karst littoral
74Les formes de corrosion marine ont souvent été décrites (lapiés, cuvettes de corrosion) et donnent lieu à un karst littoral extrêmement déchiqueté (GUILCHER et JOLY 1954 ; BATTISTINI, 1964 ; SALOMON, 1987).
Photo 56 : Accumulation sableuse au sein même de la grotte de Mullamullang (plateau de Nullarbor, Australie).

Photo 57 : Biokarst littoral : cuvettes de dissolution et lapiés en dentelle (secteur de Betalio, Sud-Ouest de Madagascar) (photo : J.-N. Salomon).

Photo 58 : Puits de dissolution sur platier supralittoral (1,50 m de profondeur). L’eau des embruns s’accumule dans un trou, puis la karstification s’accélère par effet de mèche en raison de l’émission de CO2 par les algues qui colonisent le puits (Sud-Ouest de Madagascar) (photo : J.-N. Salomon).

75Dans la mesure où celui-ci dépend essentiellement de l'activité du biokarst (cf. chapitre précédent) et de l'eau des embruns apportés par les brises marines ou par les brumes matinales, il constitue un cas particulier qui se démarque du critère aride "continental". Cependant, au niveau des zones les plus sèches, l'évaporation est particulièrement forte. Le karst littoral est alors marqué à la fois par des croûtes lamellaires caractéristiques qui couvrent les parois des alvéoles, par l'haloclastie qui donne de nombreux petits débris, mais aussi par le développement de nombreuses formes de dissolution (cuvettes, puits de dissolution) liées aux embruns et au biokarst (Photo 57 et Photo 58). Dans certains cas les croûtes peuvent évoluer en dalles. A noter qu'un cas fréquent est la mise à profit des discordances qui peuvent se produire entre les assises carbonatées (ou non) et les couvertures dunaires grésifiées par l'érosion (marine, continentale ou mixte), ce qui engendre des grottes littorales. Les grottes de pied de falaise de l'Atlas atlantique (Maroc) qui ont servi d'habitat depuis le Paléolithique inférieur (BIBERSON, 1961) appartiennent à cette catégorie.
2 - Les micro-modelés
76L'ensemble des karsts des pays arides et semi arides, par-delà de leur répartition géographique, présentent un certain nombre de caractères communs.
77Tout d'abord, les formes de surfaces sont dans l'ensemble rares et mal développées. Il s'agit avant tout de petits sillons, d'alvéoles, de cupules, de trous de dissolution et de médiocres lapiés. La fréquence des processus de desquamation (dégradation des encroûtements pelliculaires, thermo et haloclastie, déshydratation partielle du gypse, etc.) explique en partie cette médiocrité. C'est tout juste si l'on peut observer quelques gravures de dissolution et des guillochages, même si l'on a pu suggérer que les "tinajitas” (kamenitzas) et les "gnammas" (trous et cuvettes de dissolution du Nullarbor) prenaient relativement une plus grande importance dans ce contexte (UDDEN, 1925). Elles sont en effet particulièrement nombreuses sur les hauts plateaux du Dahar (Tunisie), les hamadas algériennes ou marocaines et les surfaces planes en général. Ces "tinajitas" semblent être beaucoup plus fréquentes en milieu semi-aride qu'humide, dès lors que les pentes sont inférieures à 2-3°.
78Un des modelés les plus répandus semble être celui du "karst à alvéoles" signalé par NIR (1964) dans le désert du Néguev et qui affecte les parois verticales des calcaires et des dolomies. L'altération chimique, stimulée par la fragmentation de la roche par la recristallisation des sels (Salzsprengung), semble être le processus dominant à l'origine de ces alvéoles, parfois protégées par de petites pendeloques (Fig 121). Semblables sont les modelés à innombrables cupules développées dans les dolomies de l'Assoba en Mauritanie.
79Plus significatifs sont les blocs micro-burinés (Rillensteine) que l'on observe dans de nombreux karsts des déserts. Les micro-cannelures et vermiculures observées semblent être engendrées par de fines pellicules d'eau exerçant une petite dissolution. L'eau serait présente sous forme de condensations liées soit aux brumes des déserts côtiers comme nous avons pu le constater dans le désert de l'Atacama (Chili), soit à des rosées nocturnes ou matinales pour les déserts intérieurs (MENSCHING, 1973), notamment dès que l'altitude joue son rôle. NIR (1964) signale que des "surfaces rugueuses" à lapiés apparaissent dès que l'on s'élève au-dessus de 500 m dans le désert du Néguev.

Figure 121 : Coupe schématique d’un alvéole masquant un taffoni (Néguev, Israël) (d’après NIR, 1964).
80Les chercheurs russes ont insisté sur la condensation saisonnière de l'eau qui se produit dans ces cavités et de ce fait celles-ci continueraient d'évoluer, de s'agrandir ou de s'effondrer. Certains puits de dissolution seraient entièrement dus aux condensations occultes qui se produiraient sur les parois, ruisselleraient et accentueraient la karstification en profondeur. CASTELLANI et DRAGONI (1986) ont calculé que dans la Hamada du Guir (Maroc) des puits de 50 cm de diamètre et 10-15 m de profondeur environ pouvaient se former en 500 000 ans par ce processus, lequel serait essentiel car les précipitations n’y sont que de l'ordre de 50 à 60 mm (pour une T° moyenne élevée : 19,6 °C). Dans le Namib central, de nombreux petits Rillenkarren apparaissent sur les faces des rochers de marbres précambriens exposées aux vents du SW et aux brouillards issus de l'Atlantique Sud. Les profondeurs des sillons sont beaucoup plus petites (3 mm en moyenne) que celles observées dans le domaine méditerranéen (15 mm à Mallorque) ou tropical (25 mm à Mulu, Bornéo). Ces formes sont contemporaines et toujours actives, et leur genèse est très probablement favorisée par une teneur en sels élevée (120 kg/ha) liée à la proximité relative de la mer (SWEETING et LANCASTER, 1982).
81Un des problèmes est donc de savoir quelle part attribuer à ce type de processus régulier mais peu efficace et qui demande du temps pour générer des formes significatives, ou bien à celle qui revient aux héritages de paléopériodes plus humides (cf. infra). Les formations calcaires du Sahara présentent assez fréquemment des formes karstiques superficielles. Dans la région de l'Atar, en Mauritanie, les lapiés se développent sur les calcaires à stromatolithes de l'Infracambrien atteignant 300 m de puissance. Ces calcaires sont très diaclasés et font apparaître des réseaux de fentes profondes de plusieurs mètres. Dans ces conditions tout ruissellement est impossible et les rares précipitations sont totalement absorbées (en dehors de la fraction évaporée). Dans le Sahara algérien, les calcaires carbonifères présentent de nombreuses traces de corrosion, mais les lapiés sont fortement émoussés par l'action abrasive du vent de sable. Cette action du vent se retrouve sur les hamadas où la dalle rocheuse, plus ou moins découpée en pavés anguleux, est également corrodée en surface par l'action éolienne. Enfin sur les versants raides à alvéolisation, carbonatés ou non, des croûtes-patines parfois assez épaisses peuvent masquer l'entrée de taffonis (Fig. 121).
IV - Roches évaporitiques solubles (sel, gypse, halite)
82Les roches évaporitiques se forment dans des bassins peu profonds, souvent fermés, qui offrent de grandes possibilités d'évaporation. Par la suite leur faible densité leur donne une propension à la remontée en surface, mais en raison même de leur solubilité les affleurements sont rares. Ces roches sont pour la plupart extrêmement solubles dans l'eau (360 g/l à 20°C pour le sel), infiniment plus que les calcaires, aussi sont-elles très sensibles à la karstification (NICOD, 1992, 1993). Cependant leurs cavités ont été très peu étudiées jusqu'à présent et parfois même leur existence a été mise en doute (BÖGLI, 1980 p.3). Il est vrai que les exemples se situent surtout en zones arides ou sub-arides, peu fréquentées par l'homme : Maghreb, Israël, Golfe persique, Iran (en particulier les Monts Zagros), Pakistan, Turquie, Chili, Australie, etc. A la différence des roches carbonatées le sel est dissous par une simple réaction de dissociation. La simplicité du processus permet de déterminer facilement les facteurs hydrologiques et géologiques affectant le développement de la karstification.
83En zone aride, l'appauvrissement des morphologies observé dans les terrains calcaires ne s'applique pas aux terrains évaporitiques car ceux-ci sont dotés d'une plus grande solubilité (jusqu'à 10 fois plus pour le gypse, et plusieurs centaines de fois pour le sel). SWENSON (1974), à propos du bassin évaporitique de Salt Fork (NW Texas), donne un taux de dégradation de 165 mm/millénaire, ce qui est comparable aux taux des régions calcaires humides, mais FRUMKIN (1994), pour le diapir de sel du Mont Sedom (Israël), donne une fourchette bien supérieure, comprise entre 500 à 750 mm/millénaire.
84En fait, il n'y a que sous ambiance climatique aride que le karst du sel peut s'observer en surface (Valle de la Luna, Atacama ; dôme de sel de Djelfa, Algérie (Fig. 122) ; Mont Sedom, Israël) car, en dépit de la haute solubilité de la roche, les averses sont trop rares pour faire disparaître les affleurements. Par ailleurs les intervalles entre deux événements pluvieux sont importants dans la mesure où ils permettent à une partie de l'eau infiltrée d'atteindre le niveau de base, et éventuellement un aquifère.
85Les buttes de ces karsts sont souvent marquées par un aspect déchiqueté et criblé, lié aux innombrables trous et indentations qui caractérisent leurs parois. S'y développent des paysages de ravins très encaissés, aux parois raides, s'achevant en cul de sac, parfois sur une perte non fonctionnelle. Les versants sont burinés de cannelures fines avec d'innombrables petits lapiés parfois coiffés par de petits graviers de roche insoluble. Les surfaces sont striées de crevasses et de corridors et d'entonnoirs d'absorption.
86On observe souvent des pertes et des vallées aveugles, des champs de dolines dont certaines peuvent correspondre à des effondrements et même posséder des mares (Libye ; KOSA, 1981 ; Texas ; MIOKTE, 1969 ; Turquie, MAYER, 1974).

Figure 122 : Le karst du dôme de sel de Djelfa (Algérie).
87Dans le cas de dômes de sel diapiriques (Zagros en Iran ; Pakistan ; Algérie, etc.), cités par GAUTIER (1914), JENNINGS (1983), CHOPPY et CALLOT (1986), la montée du sel est plus rapide que l'érosion. Au Moyen Orient par exemple l'ascension des diapirs est de l'ordre de 1 à 10 mm/an (NICOD, 1992). Elle est supérieure de ce fait à la vitesse de dissolution, ce qui permet la formation de dômes d'intrusion. Ces derniers s'ornent de crêts concentriques, et, lorsque la couverture détritique susjacente est déblayée, apparaissent alors fissures, puits et dolines. Sur les versants se forment de véritables coulées de blocs de sel ("salt glaciers" ou "namakier") (Fig. 123). En Iran les grottes les plus importantes ont été observées dans le dôme de sel de Namakdan dans les îles de Qeshm. Il s'agit de cavités amples (12 m de haut pour 20 m de large et plusieurs dizaines de mètres de développement) et ornées de spéléothèmes de sel.
88Un excellent exemple nous est fourni par les montées de sel diapiriques se produisant dans les Monts Ouled Naïl (Atlas Saharien) connues en Algérie sous le terme de "Rochers de sel" ou "Djebel Mellah".
89Le Rocher de sel de Djelfa, situé à 25 km au nord de cette localité, a été décrit par GAUTIER dès 1914. Il s’agit, au sein d'un affleurement triasique, d'une véritable montagne de sel gemme aux assisses bien litées, d'une superficie de 1 km2 environ, et surgissant d'une centaine de mètres au-dessus de la plaine environnante. La colline de sel présente de nombreux chapelets d'avens avec des ponts naturels et apparaît coupée de canyons. Elle est traversée par une rivière dont l'eau est limpide (absence d'érosion mécanique) mais très chargée car les rives sont soulignées de traînées blanchâtres mises en place par évaporation. Une grotte de 280 m de longueur y a été explorée. Quelques sources salées sortent au niveau de base local (Fig. 122) dont les eaux rejoignent l'Oued Mellah, le bien nommé (= “Oued Salé”), lequel vient lécher les falaises sud-ouest du Rocher.
90La surface, assez chaotique, est criblée de puits et d'entonnoirs d'absorption ce qui interdit tout ruissellement important, l'eau s'engouffrant en profondeur aussitôt. De ce fait l'érosion chimique est pratiquement la seule à agir si bien que les terrains encaissants, plus argileux et sensibles à l'érosion fluviatile, se comportent en roche peu résistante. Finalement, la masse compacte de sel fait figure d'entité fortement résistante ce qui faisait dire justement à GAUTIER :
91"...qu'un Rocher de sel gemme si massif et si dur soit-il, fasse saillie, on ne conçoit pas bien que c'eût été possible sous un climat humide !"
92Dans la même région on peut également signaler le Rocher de sel de Metlili, et surtout entre El Kantoura et Biskra, le Rocher de sel d'El Outaya, énorme masse de 6 x 3 km pour 300 m de dénivellation ! Explorée, la masse de sel a révélé de nombreux puits (de 20 à 50 m de profondeur) et des grottes de plus de 100 m de développement. Comme ailleurs elle se caractérise en surface par une carapace ("cap-rock") de sel et de débris argileux et limoneux (Fig. 124).

Figure 123 : Blocs-diagrammes successifs montrant l’évolution d’un karst du sel dans des dômes de sel (Iran) ; d’après les cartes géologiques (in Jennings, 1983 ; d’après Harrison, 1930).
93Un autre exemple nous est offert par la Cordillera de la Sal dans le désert d'Atacama (Photo 59). Cette chaîne est longue d'une quarantaine de kilomètres, et constituée par une série de montées diapiriques. Le tout culmine à 2 400 m. Les précipitations y sont particulièrement rares (10 mm/an !), mais ont été néanmoins suffisantes pour engendrer des phénomènes karstiques d'assez grande ampleur avec des dépressions, des poljés et des cavités (SALOMON, 1995 ; SESIANO, 1997). L’examen d'une grotte longue d'une centaine de mètres montre qu'elle présente de nombreuses traces d'écoulement, des méandres et des encoches de corrosion fossiles étagées, ainsi que des dépôts fluviatiles sablo-argileux. Quelques stalactites de sel affectent le plafond. Tout indique un creusement récent, actuel ou sub-actuel, particulièrement bien conservé.
94Exception faite d'une roche très pure (Valle de la Luna Atacama), les micro-modelés (trous de dissolution, rainures de dissolution, micro-lapiés, etc.) sont généralement très peu développés (cf. infra), et ont tendance à s'effriter en débris qui viennent colmater les fissures. Ceci s'explique à la fois par la fréquence des litages à forts taux d'impuretés intégrant la roche gypseuse elle-même, mais aussi par sa friabilité comme nous avons pu le constater dans le désert d'Atacama ou dans les Andes de Mendoza.
95L'étude assez poussée du Mont Sedom en Israël (FRUMKIM, 1994, 1995), où se trouve la plus grande densité de grottes du sel connues aujourd'hui (105 cavités), donne d'utiles compléments à la compréhension de ces karsts. Il s'agit d'un diapir de halite allongé, de 14 km2, s'élevant à 250 m au-dessus de la Mer Morte. Bien que le climat soit hyperaride (P = 50 mm/an et déficit du bilan Précipitations/Evaporation, de 2 000 mm), les couches sommitales ont été en grande partie dissoutes et les produits résiduels (anhydrite, marnes, schistes, craie et grès) se sont accumulés pour former une carapace d'anhydrite et de dolomies brèchiques de plus de 50 m d'épaisseur. La montée du diapir a favorisé en surface les fissures verticales de détente ce qui, du point de vue de l'infiltration de l'eau, compense largement la très faible porosité du sel. Au cours de la dernière décade, plus d'une centaine de cavités ont été répertoriées et étudiées. Le ruissellement n'est que très occasionnel et ne se produit que lors d'averses de fortes intensités, mais brèves, ce qui permet l'érosion de la carapace supérieure. L'installation d'une station d'observation entre 1984 et 1991 permet d'avoir une idée des processus. Les précipitations inférieures à 1 mm/10 minutes ne produisent aucun ruissellement ; celles de 1 à 2 mm/10 minutes amorcent un début d'écoulement. Seules celles supérieures à 4 mm/10 minutes permettent un ruissellement canalisé dans des chenaux. Les eaux sont alors très chargées (de 10 % à 80 % du poids total du flux évacué) et extrêmement érosives, ce qui explique dans un premier temps que l'encaissement des chenaux est très rapide. Cette charge (dont une bonne part est en solution) augmente considérablement la viscosité de l'eau : jusqu'à 10 à 20 fois celle des eaux normales des terrains karstiques. Ceci entraîne la rareté des orifices supérieurs à quelques centimètres de diamètre par lesquels l'écoulement turbulent peut s'engouffrer. Ce dernier disparaît en grande partie dans les fissures des terrains non solubles ou dans des puits pour rejoindre le système souterrain. Là, leur potentiel érosif diminue et à la faveur de conditions structurales favorables, un creusement horizontal peut s'effectuer. Les zones de roche homogène sont favorables à la formation des grandes salles tandis que les zones fissurées et de fracturation sont plus aptes à la réalisation de conduits allongés. Lorsque les conduits sont connectés au système, l'eau peut ainsi ressortir par des sources sur le pourtour du diapir. Toutefois certaines grottes et galeries restent isolées. A la différence du karst des pays calcaires où le CO2 généré par le sol est un facteur fondamental de la dissolution de l'épi karst, dans le cas du sel ce facteur est négligeable. Au contraire la plus grande partie de la dissolution s'effectue dans les parties basses des fissures et conduits de l'épikarst du fait de l'eau d'écoulement qui circule trop rapidement pour atteindre la saturation (Photo 60).

Figure 124 : Type d’encroutement sur roches salines d’un pays aride : coupe du Sud du Mont Sedom (Israel), (d’après Frumkin, 1994).
Photo 59 : Karst du gypse (désert d’Atacama, Chili). Il s’agit de montées de type diapirique permettant par la suite une karstification extrêmement rapide dès l’apparition de la masse rocheuse à l’air libre (photo : J.-N. Salomon).

Photo 60 : Hyperkarst du sel (région de Perm, Oural). L’interconnexion des conduits dans l’endokarst y est particulièrement dense (photo : J.-N. Salomon).

96L’analyse des échantillons d'eau récoltés tout au long des écoulements montre que la halite est le principal minéral dissous (85 à 383 g/l), mais la plupart des eaux d'écoulement n'atteignent pas la saturation totale, ce qu'on peut expliquer par le faible temps de parcours des eaux dans l'endokarst (quelques minutes). Par contre l'eau restant prisonnière plusieurs heures dans des réservoirs de subsurface atteint cette saturation, ou s'en approche de fort près. Les mesures montrent également que le taux de sel contenu dans l'eau est inversement proportionnel au débit. En fait l'évolution chimique de l'eau est conditionnée par son temps de contact avec la roche.
97Par ailleurs un ruissellement pelliculaire se charge très rapidement, la faible épaisseur du film d’eau autorisant une diffusion très rapide des solutés dans le volume d'eau total. Ce processus est sans doute important pour expliquer la karstification et l'élargissement des conduits verticaux. FRUMKIN (1994) cite l'élargissement de 2 à 3 cm du Tlula Passage (Grotte de Sedom), à chaque fois, lors des écoulements intenses des 9 février 1987 et 22 mars 1991. Cependant il convient d'attribuer l'essentiel de l'évolution karstique aux forts débits de type turbulent. Dans l'endokarst il n'est pas surprenant d'observer des réservoirs souterrains piégeant les eaux. En effet les multiples petites mares ou lacs ont leur fond imperméabilisé par de la boue et des fractions argileuses et l'évaporation est difficile. Celle-ci se traduit parfois par la formation sur les parois d'hélictite d'anhydrite ou encore des encoches de corrosion traduisant les variations du niveau de l'eau. La base de l'escarpement oriental du Mont Sedom est affectée par de petites sources au débit inférieur à 2 m3/j autour desquelles le sol est souvent humide toute l'année. Des petits forages de reconnaissance ont indiqué la présence d’une nappe d'eau saumâtre ce qui permet de supposer l'existence d'un aquifère sous le Mont Sedom lequel se rechargerait essentiellement par l'eau vadose à la suite des rares pluies. Les taux de karstification ont été estimés de 500 à 750 mm/millénaire.
98Le karst du sel de la dépression de Qaidan dans le Qinghai (Tibet du Nord), étudié notamment par GUAN YUHUA et SONG LINHUA (1984), est particulier. Il s'agit d'une région d'altitude (plus de 2 650 m) et extrêmement aride. La température moyenne est comprise entre 2,6 et 5,1 °C et les précipitations y sont inférieures à 30 mm/an (avec une évaporation potentielle supérieure à 3 250 mm). La surface de la dépression est affectée de nombreux petits lapiés de dissolution retouchés par l'érosion éolienne, mais le plus remarquable est l'existence de nombreux conduits très étroits (de 0,5 à 3 cm de diamètres) et profonds (jusqu'à 5 m) qui, sous la croûte de dissolution coiffant la surface, constituent de véritables pores. Leur densité est variable : de 4 à 287/m2. D'autres trous et cavités apparaissent avec de nombreuses traces de recristallisation (gros cristaux). Au centre de la dépression se trouve toute une série de lacs d'eau saumâtre (+ de 300 g/l). Le lac Qarhan, l'un des plus grands, serait relativement récent (9 000 BP). Sous la croûte environnante gaz et eaux en association sont confinés et lorsque la pression s'élève cela peut faire éclater cette dernière avec formation de petits cratères (2 à 10 cm de diamètre).
99Si les plus belles formes karstiques développées dans les roches ultra sensibles à la dissolution se situent paradoxalement dans les déserts (halite, gypse, sel gemme, anhydrite, sylvinite, évaporite, etc.), c'est justement parce qu'elles peuvent se former très rapidement et y être préservées longtemps par la suite. On peut également citer, outre les exemples évoqués ci-dessus, celui du karst du gypse de la Gypsum Plain au Texas (GUTIERREZ, 1981 ; SMITH, 1981). Dans tous ces cas, on ne peut expliquer les formes observées par des héritages. Les formes sont trop évolutives pour se conserver longtemps et apparaissent aussi vite qu'elles disparaissent. Ainsi les grottes s'y forment-elles très rapidement, en quelques centaines d'années tout au plus (à comparer aux dizaines de milliers d'années des grottes du calcaire).
V - Le problème des héritages et de ce qui revient au karst
100Une autre difficulté est de pouvoir distinguer dans les paysages actuels du domaine aride la part de la karstification actuelle, celle qui est héritée de paléopériodes plus humides, mais aussi celle qui relève des autres processus érosifs.
A - Quelle est la part du karst dans la genèse des modelés ?
101Il est bien difficile d'observer et surtout de mesurer l'activité karstique d'une eau, rarement présente, dans les déserts. Par exemple un problème difficile est d'identifier les vallées sèches ou les vallées aveugles : quelle est la part de l'infiltration et de l'évaporation dans la disparition du cours d'une rivière et celle des pertes karstiques ? Que penser également des vallées sèches dont les inféroflux sont actifs ? Les cas sont très nombreux dans le Sahara du Nord-Ouest (Bassin de Taoudeni en Mauritanie) ou dans le Sud-Ouest de Madagascar. Par exemple, la genèse des micro-tourelles du karst ruiniforme de Souroukoundinga (Burkina-Faso), comme celle du lapiaz sculpté en dégradé dans une très belle formation stromatolithique, ou encore celle des piliers de plusieurs mètres se débitant en plaquettes observés par HUGOT et CARBONNEL (1986) est sujette à discussion. Dans la plupart des cas le karst est vraisemblablement hérité du dernier Pluvial et n'évolue pratiquement plus. Ceci est confirmé par bien des observations et notamment par la présence de tufs et de travertins fossiles (Atar mauritanien) qui attestent dans le passé d'une circulation d'eau plus active que l’actuelle.

Figure 125 : Karst évoluant sous couverture et séquence d’érosion des sols sur plateau calcaire (Vineta, karst du Sud-ouest de Madagascar).
102L'action du vent, couplée au rôle de l'altération par la présence de la nappe phréatique à proximité (cas des sebkras ou dayas), peut très bien engendrer des cuvettes hydroéoliennes n'ayant pas de rapport avec le soubassement rocheux profond. Toutefois le rapport important entre profondeur/largeur peut être un moyen de discrimination efficace entre les deux types de morphologies. En effet les cuvettes hydroéoliennes n'ont généralement que quelques mètres de profondeur pour des diamètres relativement importants, ce qui n'est pas souvent le cas des dolines. L'examen des sols permet alors de lever toute ambiguïté (CLARK et al., 1974).
103Cependant la déflation peut aussi contribuer à l'évolution des dépressions karstiques comme l'ont montré MITCHELL et WILLIMOT (1974), ce qui complique la question. Leur analyse précise des sédiments indique qu'il se produit des apports latéraux sur les versants des dépressions, et au contraire une déflation des sédiments les plus fins au centre. Mieux, selon KRASON (1961), les entrées de certaines grottes égyptiennes auraient été agrandies sous l’action de l'érosion éolienne. Mais sans doute plus importants sont les colmatages des anciennes formes karstiques par les sables (COOKE, 1975).
104Inversement, les poljés inscrits dans le flanc ouest de la Sierra Madre Orientale dans le N-E du Mexique, et situés sous un climat semi-aride ne doivent rien à l'action du vent. De même l'étude menée par CONRAD et al., (1967) montre qu’une daya développée dans des calcaires quaternaires anciens d'Algérie est affaissée par endroits, ce qui indique une probable dissolution en profondeur.
105On retrouve ce type de problème avec les dayas décrites sur le vaste piémont calcaire de l'Atlas saharien près de Laghouat (Algérie) par CAPOT-REY (1939). Il s'agit de dépressions fermées pouvant aller jusqu'à plusieurs kilomètres de diamètre (Hamada du Guir) et 5-10 m de profondeur (CLARK et al., 1974). En fait, le terme de daya a une double signification : morphologique et pédologique. C'est une dépression fermée où les eaux des oueds affluents viennent se rassembler. Pour de nombreux auteurs, les dayas seraient seulement des dolines de karst couvert formées sous l'influence d'une dissolution de calcaire, de gypse ou de sel sous-jacent, qui aurait provoqué un affaissement des formations de couverture superficielle. Un exemple nous est fourni par le Bas Sénégal ou une dissolution de calcaires éocènes se produit à faible profondeur (20 à 25 m) sous les sables du Quaternaire ancien. Certaines dayas ont des bords rocheux nets qui proviennent probablement d'effondrements karstiques. D'autres processus, comme la suffosion ou l'érosion hydroéolienne, peuvent également intervenir. Cependant certaines dayas sont de véritables poljés comme c'est le cas du plateau Arbaâ (ESTORGES, 1959). Des conduits sous la dalle calcaire du plateau ont permis une circulation souterraine lors des pluviaux, car aujourd'hui la rareté des orages conséquents fait que le ruissellement est faible et intermittent. Les formes karstiques ne persistent plus aujourd'hui que sous formes reliques car leur évolution actuelle est bloquée par l'aridité.
106Cette région des dayas dans le Sahara algérien oriental correspond incontestablement à un héritage. Ces régions à lapiés de surface et dolines représentent, malgré l'ambiance désertique, un type de karst remarquable que l'on retrouve avec les systèmes à dayas étudiés tant en Afrique du Nord qu'en Moyen Orient par MITCHELL et WILLIMOT (1974), ou encore à Barhein par DOORNKAMP et al (1980).
107En saison des pluies les dayas sont parfois inondées, ce que l'on peut expliquer par une bonne alimentation des nappes phréatiques (comme dans le cas des aguadas du Yucatan), mais dans la plupart des cas le climat actuel ne le permet pas. Une question intéressante est donc celle des circulations phréatiques profondes alimentées par des infiltrations très lentes (déserts d'Atacama, Pampa del Tamarugal au Chili, Ouest des Rocheuses, déserts russes), actuelles ou anciennes, attestées par la présence de conduits de percolation en grand (Plateau d'Arbaa). Cela pose aussi les problèmes de l'artésianisme car en fait les cavités fossiles d'origine phréatique sont relativement nombreuses. Les recherches sur les karsts des pays arides et semi-arides offrent donc de nombreuses perspectives.
B - Quelle est la part de la karstification actuelle dans le façonnement des paysages ?
1 - Les karsts fossiles
108Il est bien établi de nos jours que les oscillations climatiques quaternaires ont permis à des climats plus humides que l'actuel d'exercer leur influence sur des régions maintenant en prise avec l'aridité. Les phénomènes de dissolution ont donc pu s'exercer longtemps et engendrer des morphologies de type karstique.
109Dans les régions arides l’absence de végétation et de sol rend plus facile la découverte de ces karsts fossiles, et ceci d'autant plus que les paléoformes sont immunisées par l'aridité du climat actuel. C'est essentiellement par l'activité minière et les forages que l'on sait que nombre de karsts sont aujourd'hui ensevelis. Certains d'entre eux peuvent être exhumés et conserver leurs traits originels acquis sous d'autres ambiances climatiques (Carnarvon Basin, Limestones Randges, Australie ; Edwards Plateau, Texas ; Yucatan, Mexique). Au Niger par exemple, les très nombreuses manifestations de la dissolution dans les roches siliceuses (dépressions fermées et cavités) sont rapportées au Tertiaire (SPONHOLZ, 1994), et les multiples formes conservées d'un karst phréatique indiquent clairement l'intervention d'un climat pluvieux (SPONHOLZ, 1994). CONRAD et al., (1967) signalent au nord du Mzab (nord du Sahara algérien) une succession de dayas s'échelonnant le long des oueds et étant parfois recoupées par ceux-ci. La grotte de Kanaim dans le désert de Giudea (à une dizaine de kilomètres de la Mer Morte Israël) se situe à une centaine de mètres audessus du niveau actuel de cette dernière (CALANDRI, 1984). Comme sa genèse initiale s'est opérée en phase phréatique, nous devons admettre qu'il s'agit d'une cavité très ancienne d'âge tertiaire et qui n'évolue plus que par éboulements internes. Dans l'Anti-Atlas marocain la Grotte de la Kef Thaleb (610 m de développement et 103 m de profondeur) évolue encore en dépit d'une très faible pluviosité (P <200 mm) car certaines années l'eau peut être plus abondante en raison de l'altitude (2 000 m), mais la genèse de cette grotte est ancienne (fini Tertiaire) selon CALANDRI (1988).

Figure 126 : Le karst à tsingy du Bemaraha (Ouest de Madagascar) qui présente sans aucun doute l’un des plus beaux paysage karstique au monde (champs de tsingy), ce qui a valu d’être classé par l’UNESCO. A noter les alignements de sources au pied du plateau.
110Tout ceci indique qu'il y a eu alternance de morphogénèses au cours des oscillations climatiques quaternaires ou plus anciennes. C'est une grande différence par rapport aux régions tropicales humides où une fois qu'une vallée a été perforée de dolines, elle ne retrouve pas son évolution fluviale normale.
2 - La persistance d'une karstification à la faveur d'héritages
111Une autre situation se présente tantôt favorable à la préservation d'un karst ancien, tantôt favorable à son évolution : lorsque le karst se trouve recouvert par un manteau de sédiments meubles. Ces derniers peuvent jouer soit un rôle de protection et le karst peut apparaître dans sa quasi intégrité à la faveur d’un décapage de la couverture, soit la présence de cette dernière favorise, en maintenant une certaine humidité, une cryptokarstification ralentie. Deux exemples illustrent cette question.
112Le plateau de Vineta, dans le Sud-Ouest de Madagascar, a subi au Pliocène les effets de multiples épandages sableux continentaux venus du massif gréseux de l'Isalo. Cette couverture a oblitéré la quasi-totalité des reliefs, puis a été progressivement déblayée. L'analyse des sols rouges actuels montre qu'ils ont une origine mixte car on retrouve en leur sein de nombreux grains de quartz et des argiles de décalcification (SALOMON, 1989). Ces sols rouges, hérités de périodes climatiques plus humides, favorisent de nos jours le prolongement d'une certaine pédogenèse et karstification (Fig. 125). En effet, leur épaisseur, non négligeable, permet de conserver une certaine humidité après les pluies, ce qui favorise une altération pelliculaire actuelle des roches enfouies. Le karst continue donc d'évoluer, mais uniquement sous couverture. Là où il est à nu, son évolution cryptokarstique cesse pratiquement, par contre en cas de décapage de la couverture et augmentation des précipitations, l’évolution aérienne prend aussitôt le dessus et peut aboutir même à des paysages de tsingy comme dans le Bemaraha (Ouest de Madagascar) (Fig. 126).
113En Cyrénaïque, dans le Djebel Akdar (Libye) se creusent de grandes vallées dans des calcaires purs d'âge crétacé et tertiaire (PFEFFER, 1979). Ces vallées sont affectées de terrasses qui témoignent d'écoulements anciens consistants (datés de - 36 000 à - 11 500). Le plateau proprement dit (700 m) est recouvert de croûtes et troué de dolines, lesquelles deviennent de plus en plus rares vers l'est et le sud jusqu'à disparaître complètement. Les vallées cependant continuent d'évoluer à la faveur des rares écoulements et, comme elles sont remblayées par des colluvions, celles-ci favorisent encore une certaine cryptokarstification qu'attestent des effondrements récents.
114La morphogenèse actuelle est donc complexe puisqu'elle implique à la fois des héritages, des temps de latence, et des processus actuels.
Conclusion
115Nous avons la preuve d'un synchronisme périodes pluviales-karstification dans le fait que les dépôts de carbonates (corrélatifs d'une dissolution) se sont accumulés dans les cuvettes lacustres précisément lors de ces périodes. Par exemple ROGNON (1967) note la migration des carbonates dans le Hoggar saharien lors du Pluvial wurmien.
116Les modelés sont donc hérités, et l'une des difficultés fondamentales est de tenter de faire la part du processus karstique dans les paysages par rapport aux autres processus opérant dans les déserts. C'est pourquoi il ne faut pas forcément penser que toutes les dépressions fermées observées en région aride carbonatée sont d'origine karstique.
117Les études relatives aux karsts des pays arides sont encore rares : difficultés d'accès, intérêt limité (à tort) des chercheurs et des spéléologues. De fait, il est bien prouvé que la karstification décline avec la baisse des précipitations, même si celle qui s'exerce aux dépens des roches les plus solubles reste inscrite dans le paysage. Cependant il ne faudrait pas négliger le fait que bien des réseaux spéléologiques, formés lors de périodes climatiques plus humides, sont encore à découvrir. Les réseaux noyés des bordures littorales (Nullarbor, Yucatan) offrent aussi de nouvelles perspectives aux spéléonautes et aux scientifiques (rôle du biseau salé). Récemment à Socotra, grande île située au sud du Yémen, une grande grotte (Grotte de Hok) longue de 2,5 km, vient de révéler d’insoupçonnables richesses spéléologiques et archéologiques. Des concrétions de gypse ou d’aragonite, d’énormes perles des cavernes d’une part, mais surtout des traces d’occupation humaine (inscriptions en sud-arabique, langue aujourd’hui disparue, tablette datée de l’an 208) d’autre part, en sont les principaux fleurons.
118Nul doute qu'à l'avenir les karstologues, les spéléologues et les archéologues, auront à cœur d'explorer et d'étudier les karsts de pays arides et sub-arides.
119Enfin, comme pour les karsts tropicaux, il paraît vain de tenter de quantifier l’influence respective des différents facteurs - lithologiques, tectoniques, structuraux, climatiques - car tous déterminent la morphogenèse. Les paysages karstiques actuels sont pour la plupart le résultat d’une très longue évolution (plusieurs millions d’années), si bien que l’appellation de karsts tempérés, froids, tropicaux, désertiques etc., s’applique à une influence climatique durant laquelle ils restent soumis à des conditions bioclimatiques relativement permanentes et s’exerçant sur un bâti structural pré-établi qui, lui aussi, joue pleinement son rôle.
Auteur
Professeur de Géographie Physique à l’Institut de Géographie de l’Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3, où il a longtemps dirigé le Laboratoire de Géographie Physique Appliquée (L.G.P.A.). Il y dirige actuellement l’équipe TERRENA. Ses travaux portent en grande partie sur l’étude des karsts tropicaux, tant humides qu’arides ou sub-arides. Il est l’auteur d’un Précis de karstologie et de nombreux articles, parus notamment en France dans la revue Karstologia ou à l’étranger. Il a également une certaine approche des problèmes karstiques des pays froids ayant accompagné Marian PULINA dans plusieurs expéditions scientifiques (ex : Spitzberg, 2005).
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Forêts d’hier et de demain
50 ans de recherches en Aquitaine
Michel Arbez, Jean-Michel Carnus et Antoine Kremer (dir.)
2017