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Introduction générale

p. 15-31


Texte intégral

1Rejetant les problèmes relatifs à la nature du droit musulman, ainsi que la description de ses caractères généraux à notre chapitre final (t. II), nous n’envisageons dans ce chapitre que de définir sommairement le droit musulman et de le situer dans les champs de recherches où il se place (section I). Cependant nous aborderons dès à présent divers problèmes épistémologiques et méthodologiques (section II), car ils proposent une attitude qui nous semble nécessaire à une bonne compréhension de tout le reste.

SECTION I - SITUATION DU DROIT MUSULMAN

2Le droit musulman doit être situé dans le cadre des disciplines islamiques (§ 1), puis dans celui des disciplines juridiques en général (§ 2).

§ 1- Le droit musulman (al-fiqh) et les disciplines islamiques

31 — Le fiqh, une science sacrée. Après la conquête d’une bonne partie de l’Empire byzantin, les Arabes musulmans sont entrés en contact avec la philosophie grecque et la théologie chrétienne1. Ils ont produit un ensemble de connaissances rationnellement organisées, les sciences religieuses islamiques (al ’ulûm al-islâmîya). Ces sciences sont, dans l’ordre approximatif de leur apparition : le droit musulman (al-fiqh) ; l’étude de la tradition islamique (as-sunna) qui est une science double comportant celle du ẖadîth (dires du prophète2 Muẖammad ou Mahomet) et de la sîra (vie du Prophète) ; le commentaire du Coran (at-tafsîr) ; la théologie (al-kalâm) ; enfin la mystique (at-tasawwuf)- Il existe aussi des matières propédeutiques à celles-ci, comme la grammaire, la lexicographie, et d’autres disciplines proprement scientifiques comme les mathématiques, la médecine, ou littéraires (poésie, etc.).

4Le droit musulman, al-fiqh, comme les autres sciences islamiques est donc une science sacrée. Comme elles, il dit puiser sa matière dans les sources fondamentales de l’islam3 , le Coran, la Sunna (tradition), l’unanimité (ijmâ’) des Compagnons du Prophète, mais il puise aussi dans des procédés techniques de raisonnement dont le principal est l’analogie (qiyâs), raisonnement qui doit s’appliquer sur les sources fondamentales. Le fiqh a donc deux versants, l’un énonciatif, c’est-à-dire rapportant la tradition, l’autre déductif, commentant et développant cette dernière. Celui qui pratique le fiqh est le faqîh, pl. fuqahâ’, que nous traduisons par juriste(s). Le mot fiqh signifie “intelligence ou compréhension” (d’un discours), et peut désigner, dans les textes les plus anciens l’ensemble des matières religieuses.

5Dans les débuts de l’islam le mot fiqh désignait plus particulièrement le second versant dont on a parlé, celui des procédés de raisonnement. Il correspondait alors au mot ra’y, opinion, jugement indépendant des sources fondamentales. Il s’opposait au ’ilm, science, qui désignait prioritairement la connaissance religieuse révélée, rapportée. C’est elle qu’il faut aller chercher jusqu’en Chine selon le célèbre dire (ẖadîth) du prophète Muhammad. Par la suite le fiqh engloba les deux sens, mais en revanche il ne désigna plus que les matières juridiques au sens large, excluant celles qui devinrent l’objet de la théologie ou de la morale.

6Le fiqh ne se présente donc pas comme une science purement rationnelle, indépendante de la religion, comme le sont les mathématiques. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’utilise pas la raison. Mais, dans l’optique de la philosophie dominante acharite (voir t. II, chap. 5), la raison est, dans le fiqh, une servante de la religion. Elle ne s’exerce qu’en aval des sources pour les traduire en loi, ou dans les interstices de celle-ci, dans ses manques, pour la compléter, et cela, sans en contredire l’esprit. Pour faire court, on peut dire qu’avec de la raison seule, le faqîh, le juriste, dans son effort de recherche de la loi sacrée (ijtihâd), ne peut fabriquer de la loi islamique, encore moins remplacer une partie de la loi islamique par une autre qui serait plus rationnelle ou plus adaptée aux circonstances ou aux objectifs politiques (Schacht, Introduction, p. 12 ; Shorter Encyclopaedia of Islam, p. 102)4.

72 — Fiqh et charî’a. Au xxe siècle, les auteurs réformistes et modernistes ont insisté sur la différence entre le fiqh et la charî’a (loi islamique). Celle-ci serait la révélation elle-même et s’identifierait à la religion éternelle selon le Tafsîr al-manâr de Muẖammad ’Abduh et de Rachîd Riḏa (t 2, p 257, Zaydân p 38). En revanche, le fiqh serait l’œuvre des fuqahâ’ (juristes de droit musulman, sg. faqîh) dans leur recherche de la loi islamique (ijtihâd). Chez eux, le mot fiqh a donc une connotation humaine, tandis que la charî’a a une connotation divine (Calder, Encyclopédie de l’islam, 2° éd., art. sharî’a). La définition du fiqh actuellement admise est celle du Talwîẖ, charẖ at-tawdîẖ du hanéfite at-Taftâzânî5 : “(c’est) la connaissance des statuts pratiques de la charî’a à partir de ses preuves (dalîl, pl. adilla) détaillées et par voie de déduction (istidlâl)”6. Les réformistes et modernistes exploitent souvent cette nuance entre le fiqh et la charî’a, ce qui leur permet de s’émanciper du fiqh classique. Ainsi on peut distinguer dans le fiqh ce qui, de par sa certitude, appartient à la charî’a et est donc immuable, et ce qui est plus incertain, parce que produit par la recherche humaine (ijtihâd), et est donc rectifiable par un nouvel ijtihâd (Zaydân, p. 63 sq.).

8Nous emploierons ici “loi islamique” ou “loi musulmane” (expressions équivalentes pour nous contrairement à certains auteurs), la concevant comme ce qui est donné à travers le fiqh. Quant au mot charî’a, il comporte une ambiguïté fondamentale. De fait la charî’a est identifiée par les auteurs réformistes et modernes au texte clair du Coran et de la Sunna. Or la Sunna est postérieure au fiqh, ou au moins elle lui est contemporaine. Elle est un construit de l’époque abbasside, comme on le verra dans la partie historique. Le doute a même été jeté sur l’ancienneté de l’interprétation juridique du Coran. La charî’a ainsi conçue serait donc encore du fiqh. Dans cette situation de doute, et par égard pour les “relectures” actuelles du droit islamique et de l’islam, nous avons décidé d’éviter l’emploi du mot charî’a. Pour nous donc, la loi islamique est toujours celle du fiqh.

93 — Contenu du fiqh. Un manuel de fiqh contient différentes sortes de prescriptions et de normes. D’abord des règles sur des matières que nous appelons habituellement droit : statut personnel (mariage, divorce, successions), contrats, procédure, droit pénal, droit de la guerre et droit international, etc. Mais aussi des règles cultuelles comme celles qui traitent des “cinq piliers de l’islam” : profession de foi, prière (et ablutions), pèlerinage, aumône de purification, jeûne du mois de Ramaḏân, prescriptions auxquelles il faut ajouter diverses règles alimentaires, ou cultuelles (enterrements, vœux, etc.), l’ensemble de ces règles cultuelles étant regroupé sous le terme de ’ibâdât, par opposition aux autres règles qui sont dites les mu’âmalât. Trop souvent on exclut les prescriptions cultuelles de l’étude du droit musulman. Elles sont pourtant bien du droit musulman : elles procèdent des mêmes sources, avec les mêmes méthodes. De la même manière, le droit canonique chrétien, dont on n’a jamais nié le caractère juridique, comprend des règles organisationnelles à côté de règles cultuelles.

10Les mu’âmalât ne comprennent pas seulement les règles juridiques non cultuelles, mais encore des règles de politesse, de morale, des conseils de toute sorte, par exemple l’encouragement à l’équitation ou au tir à l’arc. Un traité de fiqh est un code de conduite qui se veut complet. Le croyant doit savoir exactement son devoir dans ce bas monde et gagner ainsi son paradis. Cependant, comme on le verra, certaines règles de droit public sont systématiquement absentes ou sommairement indiquées dans les traités classiques, ce sont celles qui concernent le califat, al-khilâfa.

11Le droit musulman comprend aussi depuis longtemps l’étude de la méthodologie qui, selon sa propre théorie, permet de passer des sources (Coran, Sunna) aux différentes règles juridiques. Ici encore on ne saurait exclure cette étude du droit musulman, non seulement parce que la formation des cadis (qâḏî, juge) l’incluait, mais encore parce qu’on se condamnerait à rater le cœur même du droit musulman, c’est-à-dire sa logique. Enfin, on doit compter encore comme faisant partie du droit musulman l’histoire du droit musulman, discipline qui s’est dégagée des biographies hagiographiques (manâkib, ṯabaqât...) pour devenir, sous l’impulsion des orientalistes, une véritable histoire. Cette discipline est fort importante, trop souvent négligée pour les ixe-xviiie siècles. Elle constitue la matière de notre tome I, Histoire, le reste figurant au tome II, Droit.

124 — Importance des systèmes pour la terminologie. Ainsi nous comprenons le droit musulman dans le sens le plus large possible. Mais un mot n’a de sens que dans un système de mots, et cela est vrai particulièrement dans les systèmes juridiques. Le terme “droit musulman” a donc été redéfini dans les systèmes de droits des États contemporains de l’aire musulmane. A l’heure actuelle aucun État n’applique intégralement et exclusivement le droit musulman. Ce dernier cohabite donc toujours avec d’autres lois (plus ou moins nombreuses, tantôt englobantes ou englobées, dominantes ou dominées). Par exemple en Égypte, la matière “droit musulman” ne renvoie qu’à l’étude du statut personnel, car dans le système juridique égyptien, c’est surtout à propos du statut personnel que la loi et le fiqh s’entrecroisent. Par contrecoup en Égypte, le terme “droit civil” ne comprend pas le statut personnel. Dans l’enseignement des facultés, l’étude du reste du droit musulman n’est pas systématiquement oubliée, mais elle se fait sous le terme “fiqh”. Cette terminologie dépend évidemment du système juridique positif de l’Égypte mis en place à la fin du xixe siècle.

13On a vu aussi que l’emploi du mot charî’a posait problème. La terminologie est donc une première matière à controverse. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas de terminologie juste en soi, mais qu’elle se fait toujours par rapport à un cadre de référence, à un système, qu’il convient de préciser. Le cadre islamique traditionnel n’est évidemment pas le cadre positif égyptien, ni le cadre des auteurs réformistes, ni encore le cadre des sciences “occidentales”. Pour notre part, étant donné que nous cherchons prioritairement à prendre la mesure du droit musulman traditionnel, nous identifions les termes droit musulman et fiqh, étant bien entendu que, lorsque nous nous placerons dans un système de références différent, nous donnerons les repères nécessaires.

§ 2- Le droit musulman dans le cadre des sciences juridiques

145 — Le point de vue de l’anthropologue du droit. Du fait de son a priori religieux, le droit musulman devrait être exclu du domaine scientifique. Toutefois, dans une optique positiviste, qui considère que “dire le droit” est une science, on pourrait l’inclure. Le travail du faqîh serait alors une science, un peu spéciale, mais pas fondamentalement différente de celle du droit conçu dans cette optique. Le juriste positiviste ne se préoccupe pas de la légitimité des sources, ni de la validité des objectifs du droit, problèmes qu’il laisse au théologien, au moraliste ou au politique. Le travail du juriste est alors scientifique parce qu’il utilise la raison ou la logique et qu’il se borne à relever les problèmes de conformité par rapport aux sources, ou de cohérence interne, ou d’interprétation.

15Mais, et c’est notre option, on peut considérer le droit comme un produit culturel, un art, une technique, largement dépendant des valeurs fondamentales d’un groupe humain, d’un État, d’une société et dont l’objectif est de gouverner la société conformément aux dites valeurs, d’où son caractère normatif. Dans cette optique le droit est un produit rationnel, mais pas un produit scientifique. Il faut le distinguer alors des disciplines scientifiques que Lévy-Bruhl appelle la “juristique”, c’est-à-dire de la sociologie juridique, de l’histoire du droit et du droit comparé, qui, ensemble, forment l’anthropologie juridique (Rouland, Anthropologie). Cette discipline est incontestablement scientifique, puisque son objectif n’est pas de fonder une norme, de la légitimer ou de la développer par rapport à des normes fondamentales indiscutées (les sources du droit), mais au contraire d’expliquer la naissance, le fonctionnement apparent et réel d’un système et de ses sources en faisant appel à l’histoire, à la psychologie, à la sociologie, à la science politique, etc.

16Le fiqh comme technique doit alors se distinguer de la science du droit musulman, ou plus exactement de l’anthropologie du droit musulman qui regroupe le droit comparé, l’histoire, la sociologie et la philosophie du droit en tant qu’ils s’intéressent au fiqh. Nous adoptons ainsi une démarche qui n’est pas celle du faqîh, ou du mujtahid (celui qui pratique l’ijtihâd), à la recherche de la vraie doctrine de l’islam. Il s’agit au contraire d’expliquer un donné, le fiqh, dans toutes ses dimensions. On comprend alors que cet intérêt ne peut se borner à l’étude de la technique juridique du fiqh, mais s’ouvre non seulement à toute l’histoire des pays musulmans, à leur sociologie et anthropologie, mais encore aux droits et situations comparables en dehors du monde musulman. On est renvoyé à un “phénomène social total”, à la naissance et au développement d’un système juridique dans le concert des systèmes voisins et contemporains.

SECTION II - PROBLÈMES ÉPISTÉMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

17La distinction entre le fiqh et les sciences juristiques est, elle aussi, le produit d’une histoire et d’une situation qu’il convient d’analyser (§ 1) avant de revenir sur ce qui fait l’essentiel de la démarche anthropologique (§ 2).

§ 1 - De l’orientalisme à l’apologétique musulmane

186 — Découverte du fiqh et orientalisme. Ce fiqh, donné immense par ses dimensions, a fait l’objet d’une recherche scientifique en Occident, à partir du xviiie siècle. Un ensemble d’études sur “l’Orient” s’est développé à cette époque et il a reçu le nom d’orientalisme. Comme les autres sciences humaines, il s’est constitué en rupture avec le savoir chrétien (Bleuchot, La connaissance). Une manière scientifique d’étudier l’islam et son corpus classique de théologie, de droit, de mystique, vit alors le jour. L’islamologie, qui est une branche de ce nouvel ensemble, fut, à ses débuts, fortement marquée par le niveau de la science de son temps : par exemple on utilisait le concept de “race sémite” et on s’efforçait de tout expliquer par lui, de la même manière qu’on utilisait l’idée de “race franque” et de “race gallo-romaine” pour expliquer l’histoire de France. Les voyages, les colonisations, puis les indépendances, ont enrichi ce savoir de manière considérable aux xixe et xxe siècles. L’islamologie attira des historiens, des arabisants, des philosophes, des théologiens... mais aussi des juristes.

19Malgré la diversité des disciplines, on assiste actuellement à une convergence des préoccupations et des méthodes, mais force est de dire qu’elle se fait de manière inorganisée, faute surtout d’un cadre universitaire adéquat. Le point central de cette convergence a été souligné (Bleuchot, L’étude) : tous ceux qui traitent du droit musulman sont réunis par la même préoccupation de ne pas répéter les formules du fiqh sans en montrer la dimension historique, sociale, économique, politique, idéologique. Il s’agit toujours d’expliquer ce donné comme un “phénomène social total”. Cette convergence est surtout le fait des Occidentaux, moins préoccupés que jadis de tâches positivistes, en raison de la décolonisation, alors que ces dernières demeurent la préoccupation principale des juristes des pays musulmans.

20De même que la problématique globale de l’anthropologie juridique, a substitué à l’européocentrisme évolutionniste, fruit de la situation coloniale, des problématiques mettant en évidence le pluralisme juridique, de même l’islamologie juridique et le droit musulman comparé ont suivi une évolution d’un certain positivisme colonial à la reconnaissance de la multiplicité des droits et coutumes musulmanes. Mais le problème de l’ethnocentrisme n’est pas simple quand il s’agit de l’islam.

217 — Affrontements des “centrismes ”. Le chercheur suspecté. Pour nous, il est essentiel est de prendre conscience de la situation épistémologique de l’observateur du droit musulman par rapport à l’observé. De quel centre, de quel “centrisme” part l’observateur et qu’observe-t-il, quelle périphérie, quelle pluralité ou bien quel autre “centrisme” ? La spécificité de la matière retentit-elle fortement sur l’attitude du chercheur et remet-elle en cause ses références habituelles ?

22Le problème classique de l’européocentrisme s’est posé bien évidemment aux islamologues et comparatistes du droit musulman. Le refus de l’européocentrisme (il faut préciser : ethnocentrisme est un terme trop général) fait pourtant apparaître un autre danger, l’islamocentrisme, ce qui a amené B. Etienne à présenter le problème du chercheur par une alternative apparemment sans issue : “Peut-on penser le droit musulman autrement que pour le combattre ou s’y soumettre ?”7

23Malgré certaines curiosités de type antique (les géographes arabes sont des Hérodote), et même si, avec Ibn Khaldûn, on s’approche d’une problématique sociologique digne de Montesquieu, la civilisation islamique n’a jamais pu produire que fort tardivement, sous l’influence occidentale, et marginalement, un regard laïc sur soi et l’autre, condition essentielle pour approcher de la création d’une science humaine. Ces laïcs, ces scientifiques du monde musulman, sont marginalisés et disqualifiés par les clercs musulmans, car la démarche scientifique est perçue comme importée, comme un cheval de Troie laissé par le colonisateur. En Occident, à l’inverse, le regard laïc et scientifique a supplanté l’autre, chrétien, au point que le discours chrétien apologétique est ridiculisé et marginalisé, cela même dans l’exégèse ou la théologie chrétienne.

24L’objectif de l’apologétique musulmane est de nier la validité d’un regard non religieux, scientifique. Pour le clerc musulman le regard laïc, scientifique, ne peut être qu’un regard chrétien, le savant est un croisé. Qu’un non-musulman écrive sur l’islam et le droit musulman ne peut donc être que suspect aux yeux du clerc musulman, car pour lui toute écriture sur l’islam venant d’ailleurs et en particulier d’Occident ne peut être qu’une attaque puisqu’il assimile le chrétien et le laïc. Ce qui ne l’empêchera pas d’ailleurs d’utiliser des arguments de type scientifique, par exemple le manque d’objectivité ou l’européocentrisme des orientalistes (Bleuchot, Compte-rendu).

25Mais ce n’est pas tout. Aux yeux de certains scientifiques aussi, le chercheur sur le droit musulman serait suspect, et doublement. Soit du fait qu’il projette ses méthodes, ou pire, ses principes juridiques et jugements, sur le fiqh, car il trahit la science par ethnocentrisme. On lui reprochera de mesurer le droit musulman à l’aune des droits de l’homme ou de sa morale. Cette thématique critique s’accorde avec celle du clerc musulman qui dénonce l’attaque. Soit encore, s’il se contente de répéter “objectivement” les formules du fiqh, il pècherait par islamocentrisme, celui des “turcs de profession” dénoncés par J. P. Peroncel-Hugoz (Peroncel-Hugoz, Le radeau) puisqu’il s’est soumis au clerc musulman. Il jouerait le rôle de “l’ethnologue de service”, passé du service du colonisateur à celui de la bourgeoisie du tiers Monde, plus implacable encore, ou pire, au service des islamistes terroristes. Il est fréquent que les agnostiques musulmans reprennent cette accusation contre les orientalistes qui “ont failli à leur devoir”, sous-entendu, de dénoncer l’islam, par exemple Ibn Warraq.

268 —Impact sur les recherches. Certes l’anthropologue a toujours rencontré des sociétés ethnocentriques. Mais jamais l’ethnocentrisme de l’observé n’a retenti avec autant de force sur l’observateur. Car l’observé ici se débat sous le scalpel et ne manque pas d’influencer l’observateur, surtout si ce dernier s’efforce d’écouter attentivement le patient ! L’observé écrit, proteste, il est présent dans les colloques et même il vit en nous par “empathie” (si l’on adopte la théorie de Charnay). Cette situation n’est pas sans effets sur les débats scientifiques :

  1. Les discussions sont ramenées trop souvent à l’opposition ou à la comparaison de l’islam et du christianisme. Prêtres et ulémas, croisade et jihâd, carême et jeûne du mois de Ramadan, autant de thèmes répétés parce qu’ils reviennent sans cesse dans les sources et les débats, surtout modernes.
  2. Cette attitude fait rejaillir la question de l’évolutionnisme avec la récurrence de questions du genre : Quel est le plus moderne des deux systèmes de droit, l’occidental ou le musulman ? Réintroduire le droit musulman n’est-ce pas faire un “retour en arrière” ?, etc.
  3. L’apologétique de l’islam refuse de reconnaître toute influence. D’où les débats persistants en histoire du droit sur les rapports d’influence entre l’islam et le droit romain, ou entre l’islam et le droit occidental. Selon certains auteurs, Bonaparte a pris l’essentiel du Code civil en Égypte, du droit musulman (’Alî ’Alî Mansûr). Peut-on, doit-on répondre, ou omettre de répondre au fond ? Etc., etc.

279 — La position de Lévi-Strauss. Critique. On est donc en plein conflit de civilisations, de deux civilisations assimilationistes, chacune accusant l’autre de particularisme. Mais sommes-nous bien sur le même plan quand la vision scientifique et la vision islamique s’opposent ? C’est qu’affirme Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques :

28“Vis à vis des peuples et des cultures encore placés sous notre dépendance, nous sommes prisonniers de la même contradiction dont souffre l’islam en présence de ses protégés et du reste du monde. Nous ne concevons pas que des principes, qui furent féconds pour assurer notre propre épanouissement, ne soient pas vénérés par les autres au point de les inciter à les adopter8 pour leur usage propre, tant devrait être grande, croyons-nous, leur reconnaissance envers nous de les avoir imaginés en premier. Ainsi l’islam qui, dans le Proche Orient, fut l’inventeur de la tolérance, pardonne mal aux non-musulmans de ne pas abjurer leur foi au profit de la sienne, puisqu’elle a sur toutes les autres la supériorité écrasante de les respecter.” (p. 469).

29Un peu avant : “l’islam, c’est l’Occident de l’Orient. Plus précisément encore, il m’a fallu rencontrer l’islam pour mesurer le péril qui menace aujourd’hui la pensée française” (en ce sens que l’islam constitue l’exemple à ne pas suivre)... “chez les musulmans comme chez nous, j’observe la même attitude livresque, le même esprit utopique... la France de la Révolution subit le destin réservé aux révolutionnaires repentis, qui est de devenir les conservateurs nostalgiques de l’état des choses par rapport auquel ils se situèrent une fois dans le sens du mouvement”... (p. 468-69)... Les ethno-centrismes seraient symétriques. On peut penser aussi aux expressions étranges de “fondamentalisme laïc” ou d’ “intégrisme laïc” que l’on lit dans la presse. Ceux qui les ont inventées seraient d’accord avec Lévi-Strauss.

30Pourtant, en mettant en symétrie les ethnocentrismes islamique et laïc, on opère une falsification évidente. La science se veut universelle et s’efforce de l’être, même si elle ne l’est pas toujours. Cet effort s’est fait et se fait au détriment des religions (chrétiennes en Occident) et des nations (européennes) constituant le milieu d’origine des savants, pour aboutir à un langage commun universel. L’objectif du clerc musulman ne se fait pas au détriment de l’islam et des nations islamiques, il s’efforce au contraire de dire que l’islam est ce langage commun universel et de rejeter tout ce qui n’est pas islamique dans la non-science ou la croisade. Quant à Lévi-Strauss, il n’a pas saisi toute la distance qui existait entre le code de Théodose II et la Déclaration des droits de l’homme (voir conclusion du t. II).

3110 —Position de N. Rouland. Dépassement. Norbert Rouland écrit, après avoir opposé les attitudes assimilationistes et particularistes : “ La seule attitude juste, aussi bien du point de vue moral que scientifique, nous paraît consister dans l’affirmation que chaque culture a droit à l’affirmation d’une autonomie relative, par rapport aux autres, dont il convient, dans un effort réciproque, de fixer les limites.” (Rouland, Anthropologie, p 129). Toute la question est là : quelles limites ?

32Ensuite l’islam, plus exactement les clercs qui le défendent, peut-il se satisfaire de la reconnaissance d’un champ délimité dans l’ordre aussi bien matériel qu’intellectuel comme cela paraît possible à N. Rouland ? Si l’on observe ce qui se passe dans l’ordre juridique et politique on est en droit d’en douter. On verra que le statut personnel fut le territoire réservé du droit musulman pendant la colonisation, cette dernière ayant refoulé la loi islamique jusqu’à ce noyau dur, inexpugnable. La situation s’est maintenue par la suite au début des indépendances. Mais on l’a remarqué avec pertinence dans le cas algérien (Sanson, Laïcité) : l’islam, d’abord reconnu comme composante de la société socialiste, renverse par la suite la problématique et c’est le socialisme qui cherche à être reconnu par l’islam, ou plus exactement par les clercs. L’englobé est devenu englobant. Ce qu’ambitionne cet islam, c’est d’être le droit architectonique des droits humains.

33Dans l’ordre intellectuel, ce renversement est-il possible ? Verra-t-on une époque où seuls ne pourront parler en toute légitimité de l’islam que les musulmans (“orthodoxes”) ? N’est-ce pas l’ambition de l’apologétique musulmane de ramener toute “attaque” contre l’islam au monde de la non-science, et donc toute science à l’apologie de l’islam ? N’entend-on pas dire que “si l’islam est mal aimé c’est qu’il est mal connu” ? Cette formule ne veut-elle pas dire que ce qui est bien connu est bien aimé et donc que la bonne connaissance ne peut être qu’apologie ? Combattre ou se soumettre.

3411 — Le chercheur et les stratégies politiques. Cette complexité du rapport entre le chercheur et son objet dans ce domaine est, bien sûr, inscrite dans un réseau de projets politiques, de stratégies, visant des enjeux divers. Un seul exemple suffira à le montrer, celui de l’interprétation du Coran. Il existe des interprétations diverses, les plus contradictoires. On trouve des versions modernistes, comme celle de Muẖammad ’Abduh (Jomier, Le commentaire), des versions plus scientifiques, mais qui n’entrent pas dans un vrai commentaire (Arkoun, Lectures), et des versions islamistes (Carré, Mystique), etc. (voir H. R’dissi). Le Coran est-il “ouvert” (au sens bergsonien), comme le voudrait Jacques Berque (Berque, Lecture), ou bien fermé comme le voudrait Olivier Carré, constatant la rigueur de l’interprétation de Sayyid Qutb ? L’idée que l’observateur considérera comme exacte retentira sur toute la vision qu’il aura de l’islam et du droit musulman. Si Berque a raison, l’islam est fondamentalement une religion, la guerre sainte n’est pas importante, donc l’islam n’est pas une politique9, même s’il l’est secondairement, historiquement et non pas essentiellement. Il n’est donc pas dangereux et ce qui défraie la chronique n’est qu’accident ou perfidie des médias. Si Olivier Carré a raison, l’islamisme exprime le cœur même du Coran et donc l’islam est essentiellement une politique, un projet impérial, donc un danger pour la République, etc. Conscients de cette situation les chercheurs sont souvent contraints à diverses hypocrisies ou contorsions, dans le seul but de ne pas se faire classer dans le mauvais camp. Ce qui est grave, c’est que la liberté de la recherche n’est pas totale.

35En droit musulman, on retrouve constamment cette problématique épidermique, combattre ou se soumettre. L’objectivité consisterait-elle à se tenir à égale distance des deux positions clefs ? La vérité est-elle une moyenne ? Assurément non. C’est ici qu’il faut dénoncer vigoureusement une attitude, résultant d’une part de l’influence de la problématique musulmane qui cherche à ramener tout débat à une confrontation islam / christianisme, et d’autre part de la situation stratégique du chercheur ou locuteur, c’est l’attitude qui identifie ou amalgame. On identifie pour condamner, c’est la technique du “renvoi dos à dos” (par exemple, le jihâd est comme la croisade, tous les intégrismes se valent), ou pour justifier (Khomeyni ne fait rien de plus que Jean Paul II, etc.). Fort en usage chez les orientalistes, cette attitude révèle plus la stratégie politique ou personnelle du locuteur que son sens critique.

36S’il faut refuser d’identifier, on ne peut que distinguer, classer, comparer, avec tous les risques que cela comporte. Pour échapper à ces pièges, la seule solution est, pour l’instant, la fuite en avant : élargissement de l’information, élargissement des problématiques, élargissement des cadres disciplinaires.

§ 2 - La démarche anthropologique. Plan de l’ouvrage

3712 — La démarche anthropologique. Les problématiques. La nécessité d’une analyse de la position du chercheur et des erreurs engendrées par l’absence d’une réflexion sérieuse sur les conditions de la production d’un texte, scientifique ou non, apparaîtra mieux dans un autre exemple. On entend dire ou on lit dans des ouvrages de vulgarisation sur l’islam que le prophète Muẖammad a interdit la polygamie. Pour le prouver, on rapproche les versets coraniques10 4, 3 et 4, 129. Le premier énonce l’obligation d’être équitable envers le coépouses et le second constate l’impossibilité de l’être. Or c’est un fait que le Prophète ne l’a pas entendu ainsi, qu’il a pris plusieurs épouses, que ses Compagnons en ont fait autant et que le droit islamique a toujours considéré la polygamie comme permise. Ce sont les réformistes qui ont opéré le rapprochement des deux versets en question pour autoriser l’interdiction de la polygamie, ce qui fut décidé en Tunisie par exemple, citations coraniques à l’appui. Les réformistes voulaient aussi donner une vision de l’islam plus acceptable par les Occidentaux chez qui on compte toujours faire des conversions. Les vulgarisateurs projettent donc sur le Prophète la pensée des réformistes.

38La démarche anthropologique consiste justement à dire ce qu’on vient de dire : comment, à l’époque du Prophète le mariage a été compris et comment cette compréhension s’est transformée avec les réformistes, qui, s’appuyant sur une nouvelle interprétation des sources, étaient soucieux de répondre aux critiques des Occidentaux. L’anthropologue doit aussi dire que le vulgarisateur a adopté la vision moderniste, qu’il est influencé par son objet d’études, pire, qu’il a fait une démarche théologique disant, en quelque sorte, que le “vrai islam” interdit la polygamie, et cela probablement dans le cadre d’une stratégie : il faut favoriser la vision réformiste pour que les musulmans ne nous rendent pas la vie impossible en France, ou encore pour que les Français soient plus accueillants envers les immigrés.

39La noblesse de ces idéaux n’est pas en cause ici. Le militant a le droit de dire où est pour lui le “vrai islam”, mais il n’a pas le droit de donner quelques coups de pouce à l’histoire. Ce qu’on veut montrer c’est que la démarche de l’anthropologue est prioritairement historique. Il doit repérer à leur date les faits, les idées et les idées sur les faits. Dans un second temps, sa démarche doit être synchronique. Dans tel ou tel contexte historique bien délimité, il doit dire comment s’organise un système socio-juridique, la fonction de chaque élément, comment il est compris par les acteurs, la stratégie de tel ou tel locuteur, etc. Il doit expliquer les faits et non partir à la recherche d’une norme, d’un devoir-être ou du “vrai islam”, démarche qui est proprement théologique ou apologétique. Ce qui ne veut pas dire que l’anthropologue ne doive pas faire appel à la théologie, mais la démarche du théologien proprement dit n’est pas celle de l’historien des théologies, ou de l’anthropologue des religions.

40Dans les deux temps de la recherche, diachronique ou synchronique, l’anthropologue devra prendre garde à élargir ses cadres de références, historiques, théoriques, disciplinaires. Cette nécessité apparaîtra mieux si l’on songe seulement aux projets de restauration de la charî’a (qui comportent le rétablissement des peines d’amputation de la main droite pour vol, de la flagellation pour consommation d’alcool, etc.). Ces projets appellent une problématique juridique musulmane d’abord (quelle différence existe-t-il entre le droit restauré et le droit musulman ?) (la charî’a s’identifie-t-elle au fiqh ? car c’est lui qui est finalement restauré), mais aussi une problématique politique (qui veut restaurer et pourquoi ?), ou théologique (la restauration du droit musulman a-t-elle toujours été conçue comme un devoir absolu ?), voire philosophique (l’islam est-il viable sans son droit pénal ?), tout autant que des problématiques juridiques de type occidental (comment concilier la sévérité de la peine pour vol simple avec une échelle de peines cohérente ?) ou criminologique (efficacité des peines, etc.). La question de la restauration de la charî’a n’est donc pas une affaire simple qu’il suffit de régler en dénonçant les islamistes et leurs méthodes, ou les Occidentaux et leur oubli de Dieu.

41Bien sûr il existe une querelle des problématiques non plus seulement relatives au droit, mais à l’ensemble des sociétés musulmanes, ce qui a inévitablement une répercussion sur la perception du droit. Il s’agit de savoir si certaines problématiques n’amènent pas des erreurs d’appréciation trop graves, au point qu’il faille les abandonner, car il est bien entendu que toute problématique possède sa part d’ombre et de gauchissement, aucune n’est innocente. L’orientalisme classique, trop influencé par l’optique de ses sources, tend à poser le facteur religieux comme déterminant décisif : la colonisation devient une croisade, l’immigration une forme de conquête religieuse, etc. Les anthropologues tendent à surestimer les petites unités, les minorités ethniques et religieuses et tout tend à se ramener au conflit entre dominants (sunnites ou chiites suivant les pays) et dominés (Berbères, Kurdes, chrétiens...). Chez d’autres on tend à tout ramener aux méfaits de l’impérialisme capitaliste, l’intérieur du monde musulman perdant sa consistance et n’étant vu que dans ses rapports avec l’extérieur. Des efforts considérables ont été déployés pour dépasser ces problématiques classiques en ayant recours à de nouveaux concepts, généralement dans la ligne de Max Weber ou de la sociologie politique américaine. Des apports intéressants mettent en valeur le besoin de légitimité, la stratégie des acteurs, les systèmes d’organisation, etc., mais trop souvent on ne fait que changer de mots pour retomber sur des problèmes trop classiques. Quand on évoque maintenant le choc de civilisation, on est en terrain connu, celui de la surestimation des facteurs culturels.

42Jusqu’à présent l’unanimité s’est faite pour exclure totalement les problématiques fondées sur les races, qui étaient fort courantes au xixe siècle. Un autre point de convergence semble être le refus de l’exclusivisme problématique et le recours à l’histoire et à la micro-histoire, ce qui se concilie bien avec les tendances récentes de la science politique (vocabulaire mis à part). Pour G. Balandier, il faut faire flèche de tout bois, ne pas craindre de superposer des lignes explicatives contradictoires, par l’histoire, par l’économie, par la géographie, par la psychologie, par l’idéologie, etc. Trop de gens savent tout sur le monde musulman et le claironnent. Avec un certain nombre de chercheurs sérieux, il vaut mieux dire qu’on sait quelques bribes, qu’elle ne forment pas une doctrine, et qu’il vaut mieux rester modeste et travailler encore.

43Ainsi, pour bien apprécier le fiqh, pour réaliser une anthropologie du droit musulman, pour échapper aux conflits politiques actuels, il faudrait toujours le replacer dans tous les cadres de références avec lequel il est en rapport : histoire du droit, droit comparé, ethnologie, économie, mais surtout histoire politique et religieuse. Si cette méthode n’est pas la panacée, elle pourra donner des perceptions multiples et contrastées de l’objet-droit, et, peut-être, contribuer à faire évoluer les problématiques..

4413 — Anthropologie du droit et anthropologie des juristes. Un dernier mot relatif à notre conception de l’anthropologie juridique. Selon nous, il faut y distinguer deux démarches. La première, celle des juristes, part du droit et cherche à en voir les rapports avec la société, en particulier son application ou sa non-application, c’est à proprement parler une anthropologie du droit. La seconde, celle des politicologues et anthropologues part de la société pour aller au droit. Ce dernier est considéré comme “un système discursif partiel” (Décobert) qui est sans cesse débordé par des pratiques et institutions sociales, qui elles-mêmes résultent de la solution de crises et conflits antérieurs. Les tenants de cette démarche reprochent à la première démarche son juridisme ou son essentialisme, mais ils tendent à dissoudre l’objet droit dans la stratégie des acteurs. Ils aboutissent moins à une anthropologie du droit qu’à une anthropologie des législateurs, des juristes et des justiciables. On reconnaît aussi dans ces deux démarches la permanence de vieux conflits politico-philosophiques, la première continuant le conservatisme spiritualiste qui surestime le facteur idéologique, la seconde le sociologisme marxisant qui tend à l’ignorer.

45Il est évident que les deux démarches doivent se compléter, se combiner à d’autres problématiques et que l’erreur est surtout l’exclusivisme. C’est, selon nous, grâce à l’histoire qu’on est le mieux à même de pratiquer cette association en évitant les travers des anthropo-politologues, une trop grande confiance dans les abstractions phénoménologiques, et celui des juristes, qui font du droit une entité autonome, voire institutrice du social. L’histoire est un maître sûr : établir les faits et les dates constitue la priorité, avant toute spéculation ou interprétation. Mais il est certain que tel projet de recherches ou telle documentation pousse à adopter tantôt une démarche, tantôt une autre.

4614 — Plan de l’ouvrage. Le texte de ce manuel se présente en deux tomes. Le premier retrace l’histoire du droit musulman. Il vise à donner des éléments de base permettant de mieux situer la production juridique actuelle de l’aire arabo-musulmane. La démarche partant du social au droit y sera favorisée, quoique bornée et ramenée sans cesse aux faits. Le second tome est systématique et présentera les principales dispositions du droit musulman classique et les problèmes qu’elles ont posés et qu’elles posent à la conscience musulmane. Le projet même d’une introduction systématique au droit musulman nous impose d’adopter la démarche partant du droit au social, en comptant sur l’histoire pour éviter de trop verser dans le “juridisme essentialiste”.

Notes de bas de page

1 Pour l’étudiant qui aborderait pour la première fois les questions religieuses, signalons que la deuxième partie du chapitre 6 (culte) (t. II) comporte quelques vues de sociologie religieuse. Il trouvera aussi les références fondamentales sur les trois grands monothéismes dans la bibliographie du t.II.

2 On écrira le mot prophète sans majuscule s’il est suivi du nom Muẖammad, avec majuscule dans le cas contraire, quand il désignera ce même Muẖammad.

3 Rappelons, à l’usage des étudiants rédacteurs de mémoires et thèses, que, quand il s’agit de la religion, “islam” s’écrit sans majuscule, comme “christianisme” ou “judaïsme", En revanche, on écrit “Islam” quand il s’agit de la civilisation, comme on écrit “Chrétienté" ou “Israël”.

4 Les indications bibliographiques à la fin de chaque paragraphe numéroté indiquent les sources principales utilisées pour ledit paragraphe. Les références complètes sont données dans la bibliographie.

5 On trouvera en annexe du tome I une liste des principaux juristes cités, indiquant leur date de décès et leurs principaux ouvrages.

6 Sur les statuts ou qualifications des actes humains, voir chapitre 5 (usûl). Un exemple : sur une question de détail pratique, comme le vol. La preuve est le texte coranique 5, 38, dont on déduit le statut du vol qui est l’interdiction. Sur la question de la sanction du vol, on déduira du même texte son statut d’obligation.

7 Intervention orale au cours du colloque sur renseignement du droit musulman (dir. J.-R. Henry et M. Flory), Aix, décembre 1984.

8 Nous avons corrigé le lapsus manifeste “y renoncer”

9 La polémique se concentre sur l’alternative développée par l’écrivain égyptien Mohammed Sayyed Al ’Ishmawi (voir bibliographie à la fin du tome II).

10 Voir l’annexe des principales citations juridiques du Coran à la fin du tome I. Les références sont marquées d’un astérisque (*) quand le texte ne figure pas dans cette annexe.

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