Introduction
Unification du droit et droit international privé
p. 13-28
Texte intégral
1Au préalable et avant d’aborder les méthodes pour l’unification du droit maritime, il faut commencer par quelques réflexions d’ordre général sur les principes généraux de droit international privé visés par le thème de l’unification du droit.
2On ne peut pas se passer, dans cette introduction, de rappeler les données fondamentales de cette matière classique, qui peut compter sur une longue histoire et une grande tradition, tant dans la doctrine française que dans celle italienne, toutes deux concernées par cet ouvrage, qui, on l’espère, sera utile à l’unification du droit maritime.
3La tâche qu’on s’est proposée est d’autant plus ardue que cette recherche est censée viser non seulement le droit positif existant qui a pour but l’unification du droit maritime, mais également les méthodes, les systèmes possibles pour unifier ce droit, d’un point de vue de iure condendo. En définitive, la mission de la doctrine est de prendre conscience des doctrines existantes, d’analyser les données de fait et celles de droit positif pour essayer de donner des nouvelles solutions dans les domaines où le droit semble plus faible, là où son essence paraît plus incertaine, où son application semble plus difficile.
4C’est ainsi qu’on essayera de proposer des méthodes alternatives à celles aujourd’hui employées pour l’unification du droit maritime, mais qui n’en restent pas moins complémentaires.
5Une attention particulière a été réservée, dans la recherche, à la théorie générale du droit, dans laquelle on a enfin trouvé un encadrement doctrinal favorisant l’unification du droit maritime par la reconnaissance de la pluralité de ses sources, hors des seules sources formelles issues de la conception du positivisme légaliste.
6Ainsi cette étude nécessite, au préalable, de mettre en évidence les théories et les approches pratiques traditionnelles, élaborées au sein de la discipline du droit international privé, pour faire face aux rapports de droit internationaux.
SECTION 1. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ ET DROIT UNIFORME
7Le droit international privé concerne les rapports de droit que plusieurs ordres juridiques sont appelés à régir en même temps, en raison d’un « élément d’extranéité ». Pour cela, il tout d’abord nécessaire qu’il ne s’agisse pas d’un rapport de droit entièrement « renfermé » dans un domaine strictement national – étatique.
8L’emploie d’une formule si large est nécessaire car, en droit international privé, on a longtemps donné de l’importance à la nationalité pour y rattacher l’ordre juridique qui soit appelé à régir une question de droit. En particulier, c’est la doctrine italienne de Mancini qui a développé cette conception, dans le milieu du mouvement pour l’indépendance et l’unification de l’Italie, considérée comme une nation.
9À l’opposé, il y a eu des doctrines territorialistes qui ont attaché la plus grande importance au domaine spatial-territorial de l’État. Parmi ces doctrines on citera le nom de d’Argentre, qui a développé sa thèse en Bretagne, à une époque où la monarchie française soumettait l’ensemble des rapports de droit aux lois royales françaises. La résistance des coutumes bretonnes est poussée par cet auteur au niveau maximum. Il s’appuie sur la notion de territoire d’une façon telle que sa théorie, née pour des conflits de lois inter-provinciaux, a ensuite été appliquée dans le cadre des conflits de lois internationaux.
10Sous une perspective tout à fait différente, on peut observer que les doctrines en présence en droit international privé peuvent aussi être classées dans les deux grands encadrements constitués par celles universalistes et celles particularistes.
11Pour les premières, il est possible de dégager des règles d’une valeur absolue pour résoudre les conflits de lois, valables dans n’importe quel ordre juridique. L’école de Mancini a la prétention de donner une pareille solution des conflits de lois, en affirmant comme universellement valable le principe selon lequel chaque nation doit avoir sa propre loi laquelle permet de régir les rapports entre sujets de cette communauté. Mais cette solution n’est pas unique, il faudra également tenir compte de la doctrine italienne des statuts, qui remonte au Moyen-Age, avec les glossateurs de l’école de Bologne, parmi lesquels on rappellera ici le nom de Accursio, et les post-glossateurs. Ces infatigables docteurs, commentateurs du Corpus Juris Civilis, ont dégagé analytiquement de ce texte les principes constituant le droit commun qui a vécu pendant tout le Moyen-Age. Parmi ces principes, certains critères de rattachement ont été identifiés et résistent encore aujourd’hui. Quand tous les juristes s’approchaient à l’école de Bologne, pour connaître l’essence du droit commun, l’universalisme connaissait en Europe son « heure de gloire ». L’universalisme apparaît aussi dans la théorie de SAVIGNY, qui envisage la notion de communauté de droit fondée sur la chrétienté, constituant la racine commune de l’Europe, et justifie ainsi ses règles de conflit bilatérales, qui donnent compétence à loi du for ou à une loi étrangère, qui fait partie de cette communauté.
12À l’inverse des universalistes, les particularistes affirment la liberté pour chaque État de se doter de ses propres règles et conçoivent l’existance d’autant de solutions aux conflits de loi que d’ordres juridiques existants. La tendance est particulièrement accrochée aux territorialistes, qui n’admettent l’extension des dites règles que dans le ressort territorial de l’État. Pour eux, l’État ne peut assurer le respect de sono droit que sur son territoire et grâce aux instruments qu’il a institué pour le règlement d’éventuels différends. Il en découle ainsi une certaine conception du droit, selon laquelle une règle juridique ne peut se concevoir en dehors d’une sanction, pour l’application de laquelle l’État dispose des instruments qui en assurent l’application, dans le domaine de son ressort territorial, là où il peut « étaler » sa souveraineté. On verra plus loin que cette conception du droit n’est pas la seule, et que certains auteurs1, qui ont adressé leurs efforts à l’étude de l’efficacité des normes juridiques, en ont décelé les insuffisances par rapport à la vraie essence du droit, qui n’est pas visée seulement par la solution des différends. Ainsi, et suivant l’enseignement de Battifol2, nous ne souhaitons pas réduire tout ce qui concerne le procès à une pathologie. Nous sommes conscients de son importance dans la vie du droit Mais cette observation indéniablement correcte n’attente pas à la substance de la critique que la doctrine visée adresse à ceux qui ne peuvent concevoir la règle de droit sans sa sanction et des instruments institutionnels pour en garantir l’application.
13La « réaction particulariste »3 a beaucoup influencé la doctrine contemporaine, qui a, d’ailleurs, dû prendre conscience d’une très grande quantité de règles différentes en vigueur dans les États, pour résoudre les conflits des lois. La conséquence de cette prise de conscience a été l’affirmation d’un besoin d’uniformité dans le domaine du droit international privé, pour atteindre celle à laquelle on est parvenu lors de la rédaction de quelques traités de droit international privé (v. infra § 1 ).
14D’un autre point de vue, on s’aperçoit que, si finalement le but des règles de droit international privé est de résoudre les problèmes qui se posent lorsque plusieurs ordres juridiques sont appelés à régir une même situation de droit, un tel but est également atteint lorsque ces ordres juridiques appliquent la même réglementation au fond. En d’autres termes, le même but peut être poursuivi en unifiant les règles qui régissent le fond des questions de droit, parce que, dans telle hypothèse, il n’y aura plus de conflit, et, comme aimait à le dire Malintoppi, les règles de conflit seraient ainsi écartées4. C’est la méthode de la création du droit uniforme (cf. infra § 2).
15Si une telle démarche peut sembler des plus efficaces, on doit cependant remarquer qu’il existe toujours un espace residuel en dehors de la codification de droit uniforme, pour lequel se pose le problème de savoir comment le combler. Le système de droit international privé donne alors sa réponse par le soutien d’une grande tradition ; les règles de conflit surgissant pour compléter la réglementation substantielle.
16Mais il y a aussi un autre problème, qui réside dans la différence entre la réglementation uniforme et le droit interne quand le droit uniforme ne vise que les rapports de droit qui ne sont pas entièrement renfermés dans le domaine national-étatique, c’est-à-dire quand il ne vise que des rapports internationaux, en laissant à la loi interne les rapports exclusivement nationaux. Il y a là, alors, un doublement de discipline par rapport à la nature nationale ou internationale des rapports de droit concernes, ce qui entraîne certaines difficultés, ne serait-ce que du côté de l’interprétation des règles de droit, pour laquelle, dans chaque État, il serait difficile de se détacher de l’interprétation des normes internes pour assurer au droit uniforme une interprétation elle aussi uniforme.
17Ce problème est partiellement résolu par les stipulations de traités portant loi uniforme, c’est-à-dire des traités par lesquels différents États sont soumis à une même réglementation que ce soit au plan interne ou international5. Mais ces traités sont peu nombreux, les États accaptent difficilement de renoncer à leur souveraineté, surtout pour ce qui est des dans les rapports qui naissent et se développent dans leur territoire. Ainsi, si une véritable unification du droit est permise en certains domaines par le traité, il n’en demeure pas moins que d’autres doivent être comblés d’une toute autre façon. Comme dans le cas des traités de droit international privé, la méthode traditionnelle pour combler ces lacunes sera celle du recours aux règles de conflit proposées par le droit international privé, cependant cette méthode complémentaire n’est pas la seule envisageable6. C’est dans cette direction que notre recherche tentera de fournir un apport le plus original possible dans le domaine de l’unification en droit maritime.
18Il nous appartient ainsi de préciser ce que fut l’unification des règles de droit international privé (§ 1) avant de traiter plus spécifiquement de l’unification des règles de droit maritime (§ 2).
§ 1. L’unification des règles de droit international privé
19On aborde ici le premier type de traités, ayant pour but l’unification du droit international privé. Il s’agit des conventions internationales proposant les règles de solution des conflits de lois, qui découlent du fait que plusieurs ordres juridiques sont en même temps appelés à résoudre le rapport de droit visé.
20Pour une meilleure approche de cette méthode, il nous faut tout d’abord approfondir la « nature juridique » de ces règles (A). Ensuite, il nous faudra étudier les démarches entreprises en vue de leur unification (B).
A. Nature juridique de la règle de droit international privé
21La méthode traditionnelle en droit international privé est celle, dite « conflictuelle », qui envisage, pour chaque rapport de droit, un critère de rattachement à un ordre juridique donné, par le biais d’une règle dite « règle de conflit ».
22Il ne s’agit pas d’une règle qui vise à régler le fond de la question soulevée, mais seulement d’une règle censée résoudre le problème du conflit entre les ordres juridiques en présence, en prècisant celui qui sera appelé à régir le rapport de droit donné.
23La doctrine traditionnelle a longtemps considéré le recours à la « règle de conflit » comme un passage obligé pour le juge saisi d’un litige comportant un conflit de lois. Ainsi, ce n’est qu’après un long débat doctrinal7que cette source du droit a pu se détacher. Elle a également été reconnue par la jurisprudence8 et s’est détachée de la sphère d’attraction que certains internationalistes reconnaissaient et reconnaissent toujours9 aux « règles de conflit ».
24L’importance des règles de conflit, comme règles de l’Etat du for s’imposant au juge, découle aussi de la réaction particulariste aux théories universalistes en droit international privé. La tendance à reconnaître la pleine souveraineté des États à se donner leurs propres règles dans leur ressort territorial, a abouti à donner une importance maximale aux règles posées par l’Etat lui-même, afin de résoudre les conflits de lois. C’est pour cela que cette doctrine traditionnelle envisage l’obligation pour le juge saisi de s’adresser tout d’abord aux critères de rattachement qui lui sont fournis par ses propres règles de conflit.
25En ce qui concerne la nature juridique de ces règles, il faut remarquer que leur origine, depuis l’affirmation de ce principe particulariste, réside dans la souveraineté étatique et donc relève de chaque ordre juridique national, de telle façon qu’on peut envisager autant de critères de rattachement que d’États pris en compte. La nature juridique de ces règles est encore disputée entre ceux qui leur reconnaissent la nature de règles instrumentales et qui, enfin, pour la plupart, adhérent à la théorie de Savigny, et ceux qui leur reconnaissent une nature de règles matérielles les appellant règles unilatérales, à travers desquelles l’État décide à quels rapports sa réglementation sera appliquée. Elles permettent ainsi de régler directement les questions de droit visées. La théorie de Savigny demeure, sans aucun doute, la plus suivie et envisage ces règles comme bilatérales, pouvant renvoyer soit à l’État du for soit à un État étranger, les deux solutions devant être considérées égales, puisque les deux appartiendraient à la même communauté de droit visée par la théorie universaliste. En tant que règle bilatérale et instrumentale, la caractéristique de la règle de conflit est l’indifférence envers le contenu de la loi à laquelle elle va rattacher le rapport donné. Elle est donc une sorte de règle « neutre ».
26La conception des unilatéralistes10 est quant à elle opposée, et, comme dans toute démarche matérielle, elle attache beaucoup d’importance au contenu de la règle, en disposant directement sur le fond de la question de droit.
27La différence, d’ailleurs, doit surtout être appréciée au niveau de la méthode d’application.
28Le procédé de la règle instrumentale savignienne est, comme l’explique très bien Francescakis11 , un procédé à travers lequel une catégorie de faits est réglée par la loi désignée par un critère de rattachement. Cela entraîne l’imprévisibilité de la loi applicable et, donc, le caractère tout à fait instrumental de la règle de conflit. On part d’une catégorie de fait pour rattacher à l’un de ses éléments la loi applicable, dont on ne connaît pas encore le contenu.
29Le procédé unilatéraliste part, par contre, de la règle de droit international privé pour y rattacher les questions de droit qui rentrent dans son domaine d’application. C’est la méthode qui remonte à l’expérience des post-glossateurs et que l’on retrouve, d’ailleurs, dans l’art. 3 du code civil français12. La règle de droit international privé n’est pas, ici, une règle instrumentale, puisqu’elle vise directement les questions de droit qui rentrent dans son domaine d’application. Elle est une norme matérielle, en ce qu’elle règle le fond de la question de droit concernée.
30Cette distinction relative à la nature juridique de la règle de conflit ne doit cependant pas faire oublier que, lorsque l’on parle d’une pluralité des méthodes, conflictuelle et matérielle, l’on veut se référer à la doctrine dominante en droit international privé, qui promeut la règle de conflit savignienne et ses rapports avec les autres règles ayant caractère matériel.
B. Les démarches pour l’unification des règles de conflit
31L’unification des règles de conflit en tant que règles savigniennes, dont on vient d’analyser la nature juridique, n’est pas sans inconvénients, comme le disait déjà Malintoppi, dans son Cours à l’Académie de la Haye publié en 196513.
32Tout d’abord, il faut reconnaître que l’unification de ce genre de règles, dont on a vu la nature juridique proprement instrumentale et neutre, emporte une certaine imprévisibilité de la loi applicable au fond, ce qui contraste avec le but poursuivi par les États, lorsqu’ils décident d’édifier un traité diplomatique de droit privé. Le résultat poursuivi, dans ce cas, est alors celui de rejoindre, de la façon la plus simple possible, le but pratique de l’unification de la réglementation des intérêts des particuliers dans les domaines qui paraissent nécessiter des règles uniformes, tout en bouleversant le moins possible les propres lois internes des États. En outre, il y a le problème de la qualification des rapports de droit, qui se rattachent très souvent à des catégories différentes dans les divers pays.
33C’est surtout pour ce dernier motif qu’une doctrine considérable a taxé d’illusoire chaque démarche pour l’unification du droit par le biais de l’unification des règles de conflit14.
34De toute façon, il faut reconnaître que, dans ces dernières années, beaucoup d’efforts ont été fait surtout au niveau du droit communautaire. Nous ne voulons pas nous borner, dans cet ouvrage, à un point de vue régionaliste, et c’est pour cela que le droit communautaire sera visé d’une manière toute à fait liminaire par notre recherche. Cependant, on ne peut se passer de reconnaître que la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles et la Convention de Bruxelles de 1968 sur la compétence judiciaire et l’effet des jugements en matière civile et commerciale (aujourd’hui Règlement CE 44/2001) ont créé un véritable système de droit international privé dans le domaine des contrats, applicable aux États de la Communauté. La partie la plus significative de ce système est probablement la reconnaissance des décisions exécutoires des autorités judiciaires des différents États membres, ce qui emporte leur efficacité réelle et immédiate au cœur de l’espace européen15.
35Mais, si cette unification a pourtant constitué un vrai succès, nous nous devons de remarquer que le problème des divergences des qualifications demeure, les États membres ayant quand même, malgré la pensée des post-glossateurs et des universalistes savigniens les plus convaincus, des traditions juridiques différentes, tant au niveau de leur législation que de leur doctrine et leur jurisprudence.
36En ce qui concerne plus particulièrement le domaine spécifique du droit maritime, on est frappé par l’absence de conventions internationales portant sur l’unification des règles de droit international privé16. L’unification conventionnelle a visé, en fait, exclusivement la réglementation matérielle de certains aspects spécifiques visant le fond du droit maritime17.
37Le rôle des règles de droit international privé n’est pourtant pas annulé totalement par cette unification des règles de fond, qui d’ailleurs n’est que partielle et, en l’état actuel, tout à fait insatisfaisante. Dans le ressort même des conventions visant une telle unification, les règles de conflit sont habituellement employées par la doctrine traditionnelle afin d’en combler les lacunes, qui sont toujours assez nombreuses. Notons que ce procédé d’unification ne vise, souvent, que des aspects spécifiques et laisse beaucoup de questions tout à fait complémentaires à l’abri de la loi applicable, à laquelle la règle de conflit du juge du for renvoie18.
38Ainsi, c’est l’unification des règles visant le fond de la matière qu’il nous faut à présent envisager.
§ 2. L’unification des règles visant le fond
39Le phénomène de l’unification conventionnelle du droit maritime a visé exclusivement le fond du droit. Il s’agit des règles matérielles posées pour régler directement les questions qui rentrent dans leur propre domaine d’application.
40À ce propos, on pourra noter, dans la partie consacrée à l’étude de ces instruments internationaux les plus importants, qu’il s’agit de règles posées très souvent dans un domaine très restreint. Cela n’est pas un hasard. C’est au contraire la conséquence d’une tendance qui est fort répandue parmi les praticiens, qui ne désirent que des solutions à des situations concrètes. On notera aussi l’absence de toute construction systématique, faute d’un manque de tradition juridique et doctrinale commune entre les États, surtout entre ceux qui relèvent de la culture de civil law et ceux de common law. Cela est la conséquence de l’histoire de l’unification conventionnelle du droit maritime, qui a été créée sur l’insistance des praticiens et pour leurs exigences.
41Il suffira, à ce propos, rappeler la démarche qui a abouti à la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 sur les connaissements19 , qui constitue probablement la réglementation uniforme la plus importante dans le domaine du transport maritime de marchandises. Sa rédaction originaire a été l’œuvre de la International Law Association, qui les avait présentées à la conférence de La Haye de 1921, organisée par le Comité Maritime International, où elles ont pris le nom de « Règles de La Haye ». Le procédé de rédaction original a donc été le même que celui des Règles de York et Anvers, toujours créées par la International Law Association et qui constituent le plus grand exemple de règles issues de la pratique du commerce international, pour les intérêts exclusifs des commerçants et des transporteurs maritimes, en réglant d’une façon uniforme les avaries communes par le biais de leur constante adoption par les contractants. Il s’agissait là d’une vraie unification contractuelle du droit maritime, dont le résultat, largement positif, a probablement étonné les rédacteurs eux-mêmes. En ce qui concerne les Règles de La Haye, la forme de convention internationale, à la place de celle qui en laisse l’application au renvoi par le contrat, comme dans les Règles de York et Anvers, a été adoptée en suivant le vœu exprimé par le CMI, après qu’elles avaient été approuvées d’ailleurs par les armateurs à la Conférence de Londres de 1921, organisée par la Chambre de l’armement anglaise.
42Les Règles de La Haye furent transmises à la conférence diplomatique de Bruxelles de 1922, convoquée par le gouvernement belge, et le traité diplomatique les concernant fut signé, dans sa version définitive, le 25 août 1924. On peut donc bien comprendre que malgré sa forme de traité diplomatique, cette convention représente les volontés des instances de la pratique du commerce maritime et non pas seulement une réglementation imposée par la volonté des États aux opérateurs du commerce maritime.
43Il s’agit là d’une caractéristique spécifique de l’unification conventionnelle du droit maritime, très importante pour sa compréhension. Le droit maritime qu’on s’est proposé d’unifier était, au début, un droit touchant les relations entre particuliers, c’est-à-dire un droit privé. Sa caractéristique ultérieure réside dans le fait que les particuliers concernés par ce procédé d’unification sont des professionnels du commerce et des transporteurs. Il s’agit de sujets du commerce international et cette précision n’est pas sans importance dans le domaine de cette recherche, comme on le verra dans la suite20 .
44Il ne faut tout de même pas ignorer que ce droit uniforme, qui naît pour cette catégorie spécifique de particuliers, s’est aujourd’hui enrichi de certains autres aspects qui concernent la communauté publique, comme le domaine de la pollution ou de la sûreté maritime. Ces aspects, à vrai dire, découlent de la réglementation des intérêts des opérateurs du commerce maritime (dans lesquels on comprend aussi les transporteurs maritimes) et en constituent des règles complémentaires, qui sont essentielles pour un déroulement correct de leurs rapports, dans le respect de certains intérêts publics.
45Il faut ainsi préciser les contours de ces notions (A) avant de voir ce qu’il en est de l’unification des règles de fond du droit maritime (B).
A. Notion de droit uniforme
46On peut retenir deux notions de droit uniforme, l’une dans une acception tout à fait large, l’autre à l’opposé plus restreinte.
47Avec la première, qui est adoptée par Matteucci, on se réfère à « l’ensemble des dispositions législatives adoptées par des États avec la volonté commune de soumettre à la même réglementation certains rapports juridiques »21. Cela constitue une caractéristique que l’on retrouve dans toutes les démarches par lesquelles les États adoptent certaines règles de droit communes. Le but poursuivi par les États est toujours le même, bien que la volonté originaire des rédacteurs puisse ne pas être la même ou que différentes méthodes soient visées pour y parvenir. On ne peut exclure le fait que les rédacteurs de ces règles les aient créées dans un domaine proprement national et que ce ne soit que par la suite qu’elles seront adoptées par d’autres États. De même, en ce qui concerne le mode de formation, il peut y avoir bien sûr une élaboration collective par les États, ce qui constitue la méthode la plus naturelle, avec la rédaction d’un traité diplomatique, mais il peut aussi y avoir « l’œuvre d’une institution étrangère aux États qui l’adopteront ensuite, ou même l’œuvre d’un seul État suivie par imitation par d’autres États »22. C’est pour cette raison que Matteucci tire de la volonté des seuls États la caractéristique vraiment commune de toutes les règles de droit uniforme, c’est-à-dire la volonté d’adopter une réglementation commune pour éliminer les conflits entre les législations nationales.
48A l’opposé et dans une conception restreinte, le droit uniforme vise seulement l’unification des règles de fond par le biais des conventions internationales diplomatiques23.
49A notre sens, il ne s’agit que d’une question terminologique. Que l’on veuille se référer aux seules règles matérielles issues des conventions internationales pour l’unification du droit ou à une notion beaucoup plus large, cela dépend seulement d’un choix.
50Ce qui entraîne quelque perplexité est, par contre, la définition plus large qu’on a analysé auparavant, dans la partie où elle se réfère exclusivement à la volonté des États. S’il faut envisager une notion plus étendue du droit uniforme, cette notion doit à notre avis comprendre toutes les démarches visant l’unification des règles de fond, qu’elles soient tirées de la méthode conventionnelle des traités diplomatiques ou des autres méthodes envisageables, telle celle constituée par le droit spontané issu de la pratique du commerce international (cf. infra partie I, titre II, chapitre I). Dans notre domaine, vu la spécificité du droit maritime (cf. infra sect. 2, § 1), les sources du droit issues des usages du commerce international se mélangent avec les pratiques et les usages des gens de mer, en créant un droit spontané qui régit les rapports des sujets qui y opèrent.
51Mais, en renvoyant le traitement de ce sujet au titre II de la partie I, il suffit, pour l’instant, de fixer le concept fondamental selon lequel le droit uniforme concerne l’unification des règles visant le fond. Cela marque la profonde différence qui le distingue de l’unification des règles de conflit, qui vise seulement des règles instrumentales. Seule « l’adoption de règles uniformes de fond (règles matérielles) assure l’uniformité de la réglementation juridique des faits ou des rapports qui relèvent de l’activité humaine, alors que l’adoption de règles uniformes de droit international privé aboutit seulement à l’uniformité des critères visant le choix de la loi applicable sans pour autant garantir que la réglementation juridique des faits ou des rapports envisagés soit elle aussi la même dans les divers systèmes juridiques intéressés »24.
52Cela dit, on peut réserver sans souci, comme le fait d’ailleurs la doctrine traditionnelle, l’appellation « droit uniforme » à l’unification des règles matérielles issues des seules conventions internationales.
53Il en va ainsi en droit maritime.
B. L’unification des règles visant le fond en droit maritime
54L’unification conventionnelle des règles de fond en droit maritime a été principalement l’œuvre du Comité Maritime International (CMI), organisation non étatique fondée à Anvers en 1896, regroupant non seulement des individus, mais aussi les associations nationales de droit maritime de différents pays.
55Le CMI dispose ainsi d’une vision comparée des différents systèmes nationaux, ce qui facilite la compréhension réciproque des juristes dans la rédaction du droit uniforme.
56Si on se demande quelle est la tâche des rédacteurs dans l’élaboration du droit uniforme, on peut pencher pour deux opinions différentes. Selon la première, leur ouvrage devrait consister en une comparaison entre les différentes législations concernées, faisant prévaloir l’une sur les autres ou bien en prenant de chacune certains éléments pour les fondre dans une nouvelle discipline. Selon la seconde, leur ouvrage consisterait dans un travail constructif, qui pourrait créer une discipline totalement nouvelle.
57La première opinion est satisfaite par la réalité des choses, puisque le point de vue comparé du CMI est bien limité aux législations en présence, et ce n’est que depuis quelques temps qu’il a été enrichi par une base de données Internet visant la jurisprudence25. L’élaboration constructive du droit maritime nécessite, par contre, l’étude comparée de la doctrine. En l’état actuel cette étude n’a pas encore atteint un niveau aussi important qu’il faudrait, notamment en ce qui concerne les travaux préparatoires des conventions internationales. Cela empêche de parvenir à des instruments juridiques d’une qualité supérieure à celle des législations nationales26.
58Très souvent, on se contente seulement de parvenir à une réglementation qui puisse donner des réponses concrètes aux exigences réelles de la pratique, sans toucher les concepts de droit27, en édictant des dispositions ponctuelles visant exclusivement le domaine international concerné, tout en laissant sauvegardé le système interne des États, qui continuent à garder leur propre discipline, avec leurs concepts généraux et l’interprétation qu’ils en font.
59L’unification du droit maritime a été également poursuivie au niveau des Nations Unies, par le biais de la CNUCED et de la CNUDCI, ou par l’œuvre de l’OMI.
60Cette intervention des Nations Unies constitue une démarche nouvelle dans le domaine de l’unification du droit maritime, parce qu’elle s’éloigne de la tradition qui avait toujours attaché l’élaboration de ces règles à un procédé d’analyse des usages et de la pratique du commerce maritime, soigné par des experts du CMI et provenant souvent de différentes expériences professionnelles en droit maritime. Les conventions des Nations Unies, quant à elles, ont un caractère plus « législatif », puisqu’elles sont imposées par la volonté des États.
61Quoi qu’il en soit, il ne faut pas penser, comme on l’a déjà dit28, que le droit uniforme créé en droit maritime suffise par lui-même à réglementer entièrement le domaine visé. Il reste encore nombre de questions non traitées par les conventions et la méthode permettant de combler ces lacunes réside dans le choix de la loi applicable, choix permis grâce aux règles de conflit de l’État du for29. On peut toutefois douter que cette méthode ne soit la seule envisageable, le droit matériel ne découlant pas seulement des conventions internationales30. C’est donc de la spécificité même du droit maritime dont il faut tenir compte.
SECTION 2. LE DROIT MARITIME PARTICIPANT TOUT À LA FOIS DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC ET DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
62La nature du droit maritime31 n’est pas chose aisée à définir puisqu’il s’agit d’un droit qui participe, tour à tour, au droit public et au droit privé.
63En ce qui concerne le commerce maritime, en ce qu’il vise les relations entre des particuliers, la discipline est fortement marquée par des traits de droit privé. Mais des aspects de droit public se manifestent évidemment dans une large partie de situations, envisageant des principes généraux du droit maritime. Parmi ceux-ci, il y en a qui sont traditionnels, comme celui concernant la protection de la vie humaine en mer (sécurité maritime) ou celui concernant la protection des intérêts généraux du commerce par le formalisme juridique du connaissement, qui garantit son porteur à l’égard du transporteur. Mais il y en a d’autres qui sont plus modernes, expression d’une société dont les intérêts publics ont évolué en reconnaissant des nouvelles valeurs méritant une tutelle juridique, tels la protection du niveau du travail des marins ou la protection de l’environnement, qui constituent une évolution du principe traditionnel de sûreté dans les activités maritimes32.
64Mais le principe qui va s’imposer de plus en plus, et qui a toujours marqué le droit maritime dès sa naissance avec les premiers échanges commerciaux par mer33, est le principe de mise en œuvre du commerce global. Si le terme de « globalisation » est récent, son contenu n’est pas nouveau, représentant le but qui a toujours été poursuivi par le commerce maritime et qui a une vocation mondiale.
65Le commerce maritime international « relie » par des lignes de trafics, devenues aujourd’hui des lignes régulières, les bouts opposés du monde en fonction de la circulation des marchandises. La navigation est, aujourd’hui plus qu’hier, fonction du commerce international. C’est en fonction des relations commerciales que « vit » une ligne de transport maritime. De ce fait, les relations commerciales se sont fortifiées grâce à la multiplication des lignes de transports et une diminution des coûts de transport alliée à une régularité du service34.
66Le principe fondamental de la mise en œuvre du commerce international, en fonction de la globalisation, hier seulement songée et aujourd’hui achevée comme réalité, est la valeur qui inspire au fond chaque branche du droit maritime vivant. Il s’agit d’un intérêt qui ne se borne ni au droit privé ni au droit public. C’est un intérêt global, résultat de l’aspiration de tout État à poursuivre la richesse et le bien être et qui impose, par là, un pouvoir politique dans la communauté internationale35.
67Si le droit maritime est un bon exemple d’application de ces caractéristiques, il n’en demeure pas moins un droit spécifique (§ 1) et peu marqué par le droit commun (§ 2).
§ 1. La spécificité du droit maritime
68On a vu que le droit maritime empreint d’une très forte spécificité découlant de plusieurs éléments, dont :
- sa « nature juridique » participant à la fois du droit public et du droit privé
- la tutelle d’intérêts privés, publics et, en fin, du commerce global
- la vocation à la « liberté du commerce » dans les espaces internationaux
69C’est cette spécificité qui marque en premier lieu les sources de ce droit.
70Bien que les sources du droit soient conçues d’habitude de façon hiérarchique, en honneur à la théorie kelseniènne (A), le droit maritime, concernant des rapports qui ne s’attachent pas à la compétence exclusive des ordres juridiques nationaux et en tant que droit autonome, se posant sur un plan supérieur à celui national étatique, n’a pas une norme juridique qui puisse fonder la hiérarchie de ses sources.
71N’existant pas en tant que règle de droit naturel, ni comme coutume internationale, la hiérarchie des sources juridiques n’est alors qu’un dogme des tenants du positivisme légaliste.
72Rien n’empêcherait alors de concevoir le système des sources du droit maritime selon la théorie de la pluralité des ordres juridiques, grâce à laquelle le cas concret doit être rattache à la règle compétente, dont la juridicité découlerait de l’appartenance à l’ordre juridique maritime36.
A. Exposé de la théorie du positivisme légaliste
73La théorie du positivisme légaliste, puisant dans la conception kelsenienne de l’ordre juridique ayant structure hiérarchique pyramidale, demeure la plus répandue en droit international privé, lequel est traditionnellement fondé sur la « localisation » du rapport dans le ressort d’un ordre juridique étatique donné, et ce, selon l’enseignement de Savigny.
74C’est ainsi que la plupart des juristes « maritimistes » adhérent à cette conception du droit, qui les amène à concevoir le droit maritime selon une conception hiérarchique des sources, lesquelles devraient puiser dans le ressort des ordres juridiques étatiques. Cela conduit d’ailleurs à appliquer au droit maritime certains des concepts développés dans le cadre du droit national. Cette conception a donc été influencée largement par le rôle qui a été réservé au droit international privé dans cette matière, le renvoi continu à un droit étatique ayant tellement marqué ce domaine qu’il a été entendu, enfin, comme une branche du droit commun, sans une propre existence.
B. Exposé de la théorie de la pluralité des ordres juridiques
75La grande majorité des juristes intéressée par des problèmes concrets, notamment en vue de les résoudre, ne s’est jamais posée de questions sur l’application des sources du droit maritime selon une théorie générale du droit autre que celle envisagée par la théorie du positivisme légaliste.
76Rien n’empêche, en fait, qu’on adhère, dans notre domaine, à la théorie de la pluralité des ordres juridiques telle que formulée par l’auteur italien Santi Romano37 en opposition à la théorie normative de Kelsen.
77Santi Romano fonde l’efficacité des normes sur le principe de compétence, non sur celui de hiérarchie, de telle façon que son système est visé par une pluralité de sources de même niveau, dont l’application au cas concret est donnée par l’appartenance de la question de droit concernée à l’ordre juridique compétent.
78Cette théorie a été suivie par ceux qui ont envisagé un droit anational, en fondant la théorie de la lex mercatoria sur la base d’une présumée communauté des marchands, comme ordre juridique autonome. D’ailleurs, s’il est vrai que, pour qu’il y ait un ordre juridique, il ne faut qu’une pluralité de sujets avec une propre organisation et avec une propre réglementation, on peut bien voir que, soit en dehors du domaine étatique, soit en son sein, il y a bien des ordres juridiques qui pourraient réclamer leur existence autonome.
79Si, à l’intérieur des États, c’est l’ordre juridique étatique qui se donne aujourd’hui ses propres normes sur la production des règles juridiques et leur fournit d’une efficacité réelle par le biais des instruments qu’il prédispose pour leur application (administration publique, pouvoir judiciaire), il n’en va pas ainsi en droit maritime. Le droit maritime est international par définition, les rapports qui le visent n’étant pas, pour la plupart, renfermés dans un domaine étatique. Il en découle, on le verra, une pluralité de juridictions qui peuvent être appelées à résoudre un contentieux maritime et la loi applicable ne sera pas forcement celle du pays du for ni celle d’un autre État, pouvant être constituée par un droit uniforme, dans la notion large qu’on a remarqué pouvoir revêtir en tant que droit matériel.
80Selon la théorie romanienne, il y aurait donc une pluralité de juridictions et une pluralité de lois applicables, dérivant de ladite « pluralité des ordres juridiques ». En droit maritime, embrasser la thèse de la hiérarchie des sources, selon la conception du positivisme légaliste, plutôt que celle de leur pluralité sur le même niveau et de leur application selon le critère de compétence reviendrait à un pur dogmatisme. D’ailleurs, la spécificité du droit maritime est reconnue justement au niveau des sources, quand on attribue aux usages une valeur non seulement secundum legem, comme en droit commun, mais aussi contra legem, dans le sens où les usages du commerce maritime peuvent déroger au normes primaires (telles les lois) du droit commun38.
§ 2. Droit maritime et droit commun
81Le droit maritime s’est développé en dehors de toute influence du droit commun39.
82Il y a donc une certaine autonomie du droit maritime face au droit commun. Cette conception autonomiste a toujours fait l’objet des critiques de la part des juristes hostiles à tout particularisme, comme, par exemple, Bonnecase40, mais elle a aussi été envisagée par le Doyen Ripert comme condition nécessaire de l’unification internationale41.
83Le particularisme et l’autonomie du droit maritime ont été affirmés depuis longtemps en Italie, où la doctrine autonomiste de A. Scialoja a conduit à la codification autonome du droit maritime dans le Code de la navigation. Les raisons du particularisme étaient identifiées dans la nature spécifique des risques de la navigation42. Cela correspondait d’ailleurs à la question de l’identification de l’objet du droit maritime, qui était dès lors reconnu dans l’activité de la « navigation ».
84Mais, plus récemment, l’objet du droit maritime a été ramené au « commerce maritime » lui-même, sans, pour autant, que l’autonomie de la matière ne soit attirée dans la sphère du droit commercial et, en particulier, du positivisme légaliste étatique43. Le commerce maritime est en fait un phénomène international et le droit du commerce international a été lui-même intéressé par une forte révision doctrinale d’inspiration anationale, envisageant la théorie de la « nouvelle lex mercatoria »44. C’est ainsi que le « commerce maritime » a été mis au centre d’une nouvelle doctrine, fondant l’autonomie du droit maritime sur une théorie générale du droit et envisageant l’existence d’un « ordre juridique maritime général » qui soit à la fois « autonome », « ouvert » et « complet »45 .
85C’est le droit dérivant de cet ordre juridique autonome que nous nous proposons de dépeindre.
86Aujourd’hui ce droit révèle un certain état d’unification (Ière Partie) dont l’importance et les limites devront être précisées. L’analyse de cet état d’unification du droit maritime nécessite au demeurant de proposer une analyse des méthodes d’unification elles-mêmes (IInde Partie).
Notes de bas de page
1 Cf., par exemple, A. FALZEA, Efficacia giuridica. Eric, del dir., vol. XIV, p. 2 et s.
2 Il s’agit de la question de l’opposition du juridique au judiciaire, à propos de laquelle H. BATTIFOL affirme que « La vie juridique existe en dehors de la vie judiciaire », en ajoutant cependant que « cela ne signifie pas, comme certains ont vite fait d’ajouter, que le phénomène judiciaire constituerait comme un canton particulier du droit et pour tout dire celui du pathologique et de l’anormal », H. BATTIFOL, Le pluralisme des méthodes en droit international privé, Rec. des Cours de La Haye, 1973,11, p. 96.
3 V, en ce sens. Y. LOUSSOUARN et P. BOUREL, Droit international privé. 2001, p. 94 et s.
4 « La solution d’un « conflit de lois » est la conséquence directe de la mise en jeu des règles de droit international privé, alors que l’application du droit uniforme entraîne l’élimination des « conflits de loi » comme conséquence indirecte. Dans cette deuxième hypothèse, le « conflit de lois » n’est pas résolu ; il est écarté, en ce sens que le droit uniforme prime toute loi nationale et entraîne l’application d’un texte de droit spécial originairement arrêté dans une convention internationale », A. MALINTOPPI, Droit uniforme et droit international privé, Rec. des Cours de La Haye, 1965. p. 59.
5 Cf. la partition des traités adoptée par I. ARROYO, dans le sous-§ Scope of material application : Uniformity vs. Unification de son article Spanish domestic law and international conventions : lights and shadows, DMF, 1999, p. 28.
6 V., infra. Partie I, Titre II, Chapitre III.
7 On ne peut se passer de rappeler, à ce sujet, l’éclairante démonstration de A. MALINTOPPI, au sein des Cours de l’Académie de La Haye, où cet éminent auteur a décelé les rapports entre les régies d’application du droit uniforme et les régies de droit international privé, en reconnaissant aux premières la primauté sur les secondes, visant, par là-même, l’application directe des conventions internationales, qui prévoient elles-mêmes leur champ d’application (celles qui seront appelées par la doctrine « conventions self executing »). L’auteur fonde ses conclusions sur la reconnaissance d’une nature juridique de « règles d’application nécessaire » aux règles matérielles de droit uniforme et de « règles instrumentales », constituant une limite préalable à la mise en œuvre des règles de droit international privé, aux règles d’application du droit uniforme. Ses conclusions auront une grande répercussion sur la doctrine internationaliste et sur la jurisprudence. Cf. A. MALINTOPPI, op. cit., p. 85 et s., § 43 et § 44.
8 Pour l’Italie, on peut voir l’arrêt de la Cour de cassation du 22 jui6n 1961, n. 1505, publié in Giur. it., 1962, p. 601 et s., qui affirme la primauté de la règle d’application de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 sur toutes les autres règles de l’ordre juridique italien et, en particulier, sur les règles de droit international privé.
9 V. P. MAYF.R, Droit international privé. 7ème éd., 2001, p. 67. Pour un égard sur la doctrine et la jurisprudence française, on renvoie à l’importante contribution de P. Y. NICOLAS, Les règles de Hambourg devant les tribunaux français. DMF, 1998, p. 547 et s. où l’auteur, en approchant ce thème spécifique, nous donne un approfondissement général en matière d’application des conventions internationales, surtout en matière maritime, et nous révèle la tendance de certains internationalistes français comme P. MAYER à faire prévaloir les règles de conflit sur les règles d’application du droit uniforme, au contraire des maritimistes, qui seraient désormais d’accord sur l’application directe des conventions internationales self executing, en ajoutant que, à son avis, une telle application devrait être considérée impérative pour les juges quand une telle convention fait partie de l’ordre juridique de l’Etat du for, Ibid., p. 558. Cependant, il est dommage de constater que l’auteur, dans l’explication de ses conclusion, parlant de la nécessité « de comprendre en vertu de quelle règle un traité diplomatique de droit privé, qui fait partie intégrante des ordres juridiques des États signataires, peut exiger lui-même sa propre application en prévalant sur les règles de conflit qui s’imposent aux juges de ces mêmes États » ne se soit pas aperçu qu’il s’agissait là d’un sujet développé bien avant que le fasse M. J.-P. REMERY pour les conventions de droit international privé et ce dans son article de 1993 cité en note. Il s’agissait de ce rapport qui avait été si bien étudié par A. Malintoppi, et qui, nous l’avons vu, a été rendu à la communauté internationale en 1965, après plusieurs articles et ouvrages sur le même thème. D’ailleurs, il avait déjà appelé les règles d’application du droit uniforme regole di applicazione necessaria in M. MALINTOPPI, Diritto uniforme e diritto internationale privato in tema di trasporto, Milano, 1955, p. 75 et s.
10 Pour la doctrine unilatéraliste en Italie on peut citer B. PALLIERI, Diritto internazionale privato, Milano, 1955, p. 36 et s., mais aussi R. QUADRI et, en France, NIBOYET.
11 P. FRANCESCAKIS, Quelques précisions sur les « lois d’application immédiate » et leurs rapports avec les règles de conflits de lois, in Rev. cr. dr. int. pr., 1966, p. 4 et s.
12 Cf. P. FRANCESCAKIS, ibid., p. 15. L’auteur analyse les deux méthodes à fin d’attacher les règles « d’application immédiate » à la seconde, en relevant ainsi certains points de contact avec la théorie des unilatéralistes. Ensuite, cependant, il souligne sa préférence pour la théorie savignienne des conflits de lois, et relègue la méthode des statuts et des unilatéralistes seulement aux lois d’application immédiate, ibid., p. 16.
13 A. MALINTOPPI, op. cit., p. 10
14 A. MALINTOPPI, ibid. p. 11; D. ANZILOTTI, La codificazione del diritto internazionale privato, Firenze, 1894, p. 37 et s.; R. AGO, Teoria del diritto internazionale privato, Padova, 1934, p. 7 et s.
15 Ce système, prévu par la Convention de Bruxelles de 1968, dévenue le Règlement CE 44/2001 ) a éliminé par exemple, en Italie, le jugement de delibazione par la Cour d’appel, et l’a substitué avec la reconnaissance immédiate et automatique avec contrôle éventuel successif et seulement pour les motifs prévus par la discipline uniforme.
16 Il y a par contre des règles de conflit d’origine internationale dans les textes de droit uniforme visant l’unification du droit maritime, cf. art. 14 de la Convention on Limitation of Liability for Maritime Claims de 1976 (LLMC) ou celle de son article 10 § 3. Pour d’autres exemples v. infra. Chapitre préliminaire, Section 2, § 1, A.
17 V., infra, Partie I, Titre I, Chapitre I et Partie II.
18 D’ailleurs le renvoi à la loi applicable pour combler des lacunes du droit uniforme est parfois établi par les conventions internationales elles mêmes, cf. par exemple l’article 12 § 3 LLMC, qui renvoie à la loi nationale applicable pour la détermination de l’extension de la subrogation aux créanciers contre le fonds de limitation ; l’article 3 § 3 de la convention de Bruxelles de 1957 sur la limitation de la responsabilité des propriétaires de navires ; l’article 5 § 6 de la CLC de 1969.
19 V., pour approfondissement, F. BFRLINGIERI, Verso l’unificazione del diritto del mare, Padova, 1933, p. 32 et s.
20 V., infra. Partie I, Titre II, Chapitre I.
21 M. MATTEUCCI, Introduction à l’étude du droit uniforme, in Recueil des Cours de l’Académie internationale de la Haye, 1957, I, p. 387 et s.
22 M. MATTEUCCI, ibid, p. 389.
23 V. aussi, en ce sens, A. MALINTOPPI, op. cit., p. 12, qui ensuite envisage seulement les règles matérielles issues des traités internationaux.
24 A. MALINTOPPI, ibid.
25 V. le site du CMI, http://www.eomitemaritime.org
26 M. MATTEUCCI, op. cit., p. 418, qui, à propos de l’absence de l’étude comparée de la doctrine, écrit que « tel est le défaut le plus grave qui empêche la réalisation de cette élaboration évolutive du droit uniforme si vivement souhaitée par les juristes. Comment pourrait-on concevoir un processus tendant à placer le droit uniforme à un niveau plus élevé que le droit positif national, sans le concours de la science du droit, qui constitue la synthèse de l’évolution des systèmes juridiques ? ».
27 M. MATTEUCCI, ibid, p. 415.
28 Cf., supra, § 1, fin.
29 Cette complémentarité des règles de droit international privé est soutenue soit par A. MALINTOPPI, op. cit., p. 18 soit par M. MATTEUCCI, op. cit., p. 401 et s. et est confirmée par le renvoi qui parfois est fait par les conventions sur l’unification du droit maritime à la loi applicable selon les règles de conflit du juge du for (Cf. Chapitre préliminaire. Section 2, § 1, A).
30 V., infra, Partie I, Titre II.
31 Cf. aussi infra Partie I, Titre I. Chapitre I, § 1, A
32 Cf., infra, Partie II, Titre I, Chapitre I.
33 V. F. A. QUERCI, Il diritto marittimo fenicio, Riv. dir. nav., 1960, n. 4, I, p. 411 et s.
34 Cf. R. RODIERE, Traité général de droit maritime, Affrètements et transports, tome I, Paris, 1967, p. 15 « la ligne crée le courant de trafic qui l’alimente, comme, à l’origine, les besoins du trafic l’ont fait créer »
35 Pour l’adoption de ce principe en tant que postulat d’un « ordre juridique maritime », cf. les nouvelles théories élaborées au sein de l’Ecole historique de droit maritime de l’Université de Trieste, V. infra Partie I, Titre II, Chapitre III, Section II.
36 V., infra. Partie I, Titre II, Chapitre III, Section II.
37 SANTI ROMANO, L’ordinamento giuridico, Firenze, 1945.
38 V. à ce propos l’article 1 du code de la navigation italien qui pose les usages parmi les sources du droit maritime, dérogatoires du droit commun, qui est en fait rappelé dans l’alinéa 2 seulement en voie supplétive. Voir aussi l’évolution en droit communautaire relative au rôle des usages dans les clauses de prorogation de la juridiction, arrêt Castelletti, sur l’interprétation de l’article 17 de la convention de Bruxelles de 1968 après sa modification par le Protocole de 1978, portant adhésion du Royaume Uni, Irlande et Danemark, soucieux de sauvegarder la spécificité du droit maritime dans le droit communautaire.
39 G. RIPERT, Droit maritime, Paris, Dalloz, 1952, tome II, p. 249.
40 M. de JUGLART, Droit maritime et droit commun, DMF, 1986, p. 259 : « Pour BONNECASE, le droit maritime, branche du droit commercial, était analysé comme faisant corps, par ses fondements, avec le droit civil ».
41 G. RIPERT, Droit maritime, op. cit., § 59.
42 A. SCIALOJA, Corso di diritto della navigazione, Roma, 1943, p. 28 et s.
43 V., infra. Partie I, Titre I, Chapitre I, Section I
44 V., infra. Partie I, Titre II, Chapitre I, Section I.
45 V., infra. Partie I, Titre II, Chapitre III, Section II.
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