Conclusion de la première partie
p. 441-443
Texte intégral
11195. Reconstruire le droit des victimes de pollutions majeures tel était l’objectif que nous nous étions fixé. D’emblée nous avions évoqué l’idée de recyclage, de ré-assemblage d’éléments de l’ancien système. Encore fallait-il pour cela le comprendre, le décortiquer. S’agissant d’un système fondé sur un amalgame de responsabilité et d’indemnisation, il fallait nécessairement envisager chacun de ses composants, tout en ne perdant pas de vue que seule la réunion des deux prétendait donner sa cohérence à l’ensemble.
21196. Le socle du dispositif conventionnel prévu pour la réparation des dommages pétroliers repose sur la responsabilité objective du propriétaire de navire. Ce choix apparaît d’emblée reposer sur un faux postulat de départ qui consisterait à voir dans le risque de pollution un risque maritime. Plus largement, il incite à s’interroger sur l’opportunité de retenir la responsabilité comme mécanisme indemnitaire. En effet, la fonction indemnitaire de la responsabilité civile paraît avoir été conservée au prix d’un sacrifice de sa cohérence. L’introduction de la responsabilité objective du propriétaire a emporté désignation automatique d’un responsable unique isolé pour le seul besoin de l’indemnisation. Plus largement, elle a emporté une conversion forcée du système de responsabilité à la logique indemnitaire au détriment de sa fonction normative. Elle a incité les responsables à mettre au point des systèmes propres à aménager leur insolvabilité. En définitive l’institution de la responsabilité a été dénaturée au point de réduire, celle du propriétaire du navire à une fiction.
31197. Même au prix d’une dénaturation de la responsabilité, la garantie indemnitaire offerte à la victime n’en a pas été pour autant satisfaisante, car la responsabilité apparaît bridée en matière maritime. Par tradition d’abord, du fait du principe de limitation considéré comme la pierre angulaire du droit maritime ; par obligation ensuite car, nous assure-t-on, il ne saurait exister d’assurance donc de garantie pour la victime sans limitation de la réparation. Ce principe de limitation apparaît de moins en moins tenable lorsqu’il est opposé à des victimes environnementales ; quant à la capacité à couvrir le risque de responsabilité elle est nécessairement sous-évaluée par les mutuelles armatoriales derrière lesquelles les responsables n’hésitent plus à s’effacer.
41198. Dès lors, la conclusion paraît sans appel, s’agissant de la responsabilité. Alors même qu’elle aurait consenti à se démettre de sa fonction normative pour favoriser l’indemnisation, elle est peu efficiente dans ce rôle curatif. Il convient donc d’exclure la responsabilité objective du système conventionnel, car elle est foncièrement inadaptée au besoin de réparation des victimes de pollution.
51199. La technique du fonds, dont le FIPOL constitue un pionnier en matière de réparation environnementale, offre-t-elle une réponse plus adaptée ? Il est légitime de le penser. Quoique l’actuel système conventionnel aurait été accusé de ne pas consacrer le principe du pollueur-payeur, force est d’admettre que le FIPOL en suggère une amorce. Mais, à l’évidence ce principe ne saurait être totalement efficient lorsque les fonds qui en constituent la meilleure transcription juridique n’ont qu’un rôle subsidiaire. Pourtant ce mécanisme collectif d’indemnisation semble ouvrir des perspectives autrement plus intéressantes que la responsabilité en termes de réparation des dommages catastrophiques, tant s’agissant du financement que de la gestion du risque d’environnement. Sa capacité à mobiliser des fonds, sa capacité à gérer le contentieux, à prendre en compte l’originalité du dommage écologique est intéressante à tout point de vue.
61200. Pour être intéressante, la technique, mais aussi l’organe intergouvernemental chargé de la mettre en œuvre, n’en sont pas pour autant irréprochables. Aussi, défendre l’exclusivité des fonds au titre de l’indemnisation n’est envisageable que si l’on prend au préalable le soin d’améliorer le droit spécial des fonds d’indemnisation. Cela pourrait en premier lieu consister à faire en sorte que les victimes puissent obtenir une garantie à première demande. Compte tenu de l’actuel fonctionnement du FIPOL, lequel est appelé à fonctionner à budget constant pour gérer une catastrophe, cela n’est pas envisageable. Reste que rien n’empêche de modifier ce fonctionnement, nous l’avons montré. Cet appel de fonds propre à mobiliser les ressources nécessaires au traitement d’une catastrophe particulière pourrait s’analyser comme une réponse structurelle face aux phénomènes catastrophiques. Le réflexe qui consiste à rehausser les plafonds d’indemnisation aux lendemains des catastrophes doit, en effet, s’analyser comme une réponse purement conjoncturelle. Or, précisément quand bien même il en constituerait une forme plus sophistiquée, le Fonds complémentaire repose sur cette même logique.
71201. Cette nouvelle conception de la réparation, qui aurait le mérite de redonner sa cohérence au système international d’indemnisation car supporté non plus par les pollueurs apparents mais par les véritables pollueurs, pourrait être un tremplin vers une politique d’indemnisation plus ambitieuse notamment en direction du préjudice écologique pur. Nous nous sommes, en effet, attachée à montrer qu’il n’existe plus d’obstacle juridique à la prise en compte par le droit du préjudice écologique pur. On ne comprendrait pas que face à cette prise en considération de plus en plus importante des intérêts environnementaux, le FIPOL, ou plus exactement les États parties à la Convention emportant sa création, s’obstinent à ignorer le préjudice écologique pur. Le fait que cette question soit récurrente dans les travaux du FIPOL témoigne à lui seul de cette nécessité de proposer des solutions à cette fin.
81202. A n’en pas douter, cette initiative tendant à généraliser les fonds dans une fonction indemnitaire pourrait passer le test de bonne législation imaginé par le Doyen Carbonnier, car « souhaiter le développement d’institutions de réparation collective, c’est avantager les victimes, tout en évitant d’accabler exagérément les éventuels auteurs de dommages »1. Reste que pareille politique d’indemnisation pourrait aussi inquiéter. En réduisant le cercle des pollueurs à une collectivité pourvoyeuse de contributions au titre de la réception de substances polluantes, les véritables responsables ne risqueraient-ils pas de se dérober derrière « l’anonymat de la réparation »2. En effet, le fait que la réparation soit supportée de manière générale par toutes les compagnies pétrolières nuirait à la « sensibilisation individuelle de chaque industriel quant à la sécurité dont il doit assumer une part »3. C’est là le lot de tout système de réparation de droit pur. Dès lors, force est admettre que pour être acceptable ce système de réparation collective ne devrait en aucun cas supplanter les mécanismes de responsabilité classiques fondés sur la faute et susceptibles d’allier punition et réparation. Loin de s’appauvrir au contact des mécanismes d’indemnisation, la responsabilité, bien qu’ayant dû se délester de sa fonction indemnitaire où elle était devenue moribonde, pourrait être restaurée dans sa fonction de régulation des comportements.
9FIN DU TOME I
Notes de bas de page
1 VINEY, (G.) Le déclin de la responsabilité individuelle, op. cit., n° 461.
2 DUPUY (P.-M.), La responsabilité internationale des États pour les dommages d’origine technologique et industrielle, op. cit., p. 286.
3 ROBERT (S.) L’Erika : responsabilités pour un désastre écologique, Avant-propos de B. STERN Préface d’A. KISS, CEDIN Paris I, perspectives internationales n° 24, Editions Pedone, 2003, p. 63.
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