Chapitre I. De l’obligation de réparation subsidiaire des « fonds-marchandises »
L’amorce d’une logique environnementale d’indemnisation
p. 225-312
Texte intégral
1561. Alors même qu’il s’agit de mettre ici l’accent sur le mécanisme singulier d’indemnisation collective que constitue le Fonds international d’indemnisation pour les dommages dûs à la pollution par les hydrocarbures, (ci-après désigné par son acronyme FIPOL), on ne peut manquer de revenir sur les circonstances qui ont motivé sa création. Conscient de ce que la « responsabilité-couverture du risque »1 du propriétaire du navire ne suffirait pas toujours à satisfaire le besoin d’indemnisation des victimes de pollutions maritimes, le législateur décida de la création d’un fonds.
2562. L’idée que le fonds puisse, à titre subsidiaire, participer aux côtés du propriétaire de navire à la réparation des dommages subis par la victime est assurément ce qui a déterminé la création du FIPOL. Cette logique ne sous-tend pas systématiquement la création des fonds d’indemnisation. Car, fort du constat de l’inefficacité des règles de droit commun pour indemniser de manière satisfaisante les victimes, le législateur peut d’emblée souhaiter se départir de tout mécanisme de responsabilité2.
3563. Dans le cas du FIPOL, il ne franchit, toutefois, pas le pas. L’idée d’une superposition du fonds aux règles de la responsabilité s’est ici imposée comme une évidence, car il s’agissait de colmater les brèches d’un système de réparation exclusivement fondé sur la responsabilité du propriétaire et dont on pressentait déjà la fragilité face à un risque écologique majeur. « Témoignage d’une construction par étapes »3, le dispositif conventionnel est composite. Fondé sur la coexistence de mécanismes de responsabilité et d’indemnisation automatique, le système CLC/ FIPOL se présente comme un « amalgame »4 de deux techniques au service de la réparation du dommage de pollution. Il réunit en son sein deux formes de réparation collective. La première est directe, car reposant sur l’assurance ; alors même qu’elle conduirait à une certaine dénaturation de la responsabilité, elle n’entend pas s’en séparer ; la seconde forme de collectivisation est indirecte, elle s’appuie sur un fonds qui lui évince la responsabilité.
4564. Mais il serait réducteur de ne voir dans le FIPOL qu’une simple technique de réparation appelée à suppléer les carences de la responsabilité dans sa fonction curative. Les « perspectives ouvertes »5 par les fonds en matière d’environnement sont bien plus vastes, eu égard aux difficultés rencontrées par la responsabilité civile pour appréhender les dommages écologiques majeurs. D’ailleurs, le seul fait que le fonds international d’indemnisation pour les dommages dûs à la pollution par les hydrocarbures puisse être connu sous son seul acronyme paraît déjà pouvoir attester de sa singularité et de sa valeur intrinsèque6.
5565. Ainsi les principales qualités du FIPOL - dont l’intérêt majeur est assurément d’amorcer une logique environnementale d’indemnisation, seraient non seulement de proposer une matrice pour le financement du risque d’environnement (Section 1), mais encore d’en esquisser la gestion (Section 2) lorsque les règles classiques de responsabilité semblent définitivement marquer le pas.
SECTION 1. LE FIPOL, UNE MATRICE POUR LE FINANCEMENT DU RISQUE D’ENVIRONNEMENT
6566. « La technique du fonds d’indemnisation n’est ni récente, ni propre à la réparation des dommages d’environnement ; mais elle convient particulièrement bien à la matière, ce qui explique qu’elle s’y soit développée »7. Si les auteurs s’accordent tous pour reconnaître que la Convention de 1971 portant création du FIPOL établit des règles de réparation, certains d’entre eux seraient tentés de ne pas voir en elle « un texte proprement juridique, mais simplement une sorte de plan financier »8.
7567. Pour justifier cette qualification, ils font valoir que l’objet de cette seconde Convention n’est ni de régler le déversement accidentel d’hydrocarbures à la mer, ni de mettre sur pied un système général d’indemnisation, mais simplement d’organiser la réparation des dommages de pollution sur la base des règles établies par la Convention de 1969, en d’autres termes d’en prévoir le financement. Moyen de financement consacrant partiellement le principe du pollueur-payeur au sein du dispositif conventionnel (Sous-section 1), le FIPOL s’attache tout particulièrement à financer le « manque à gagner écologique » (Sous-section 2)
SOUS-SECTION 1. UN MOYEN DE FINANCEMENT CONSACRANT PARTIELLEMENT LE PRINCIPE DU POLLUEUR-PAYEUR AU SEIN DU DISPOSITIF CONVENTIONNEL
8568. « Les fonds d’indemnisation représentent sans doute la meilleure transcription juridique du principe économique du pollueur-payeur9 ». Parce que ce principe est souvent présenté comme une clé de voûte de la problématique de la réparation du dommage écologique, il apparaît essentiel de montrer en quoi le fonds peut être considéré comme son « chevalier servant ». Toutefois, pour en être la meilleure transcription juridique, le FIPOL n’en constitue pas encore actuellement, une représentation idéale. La dénonciation du manque cruel d’effectivité de ce principe10 dans le cadre de l’Erika ne le rappelle que trop. Si le principe du pollueur-payeur est un principe d’indemnisation exclusif de tout recours à la responsabilité (§ 1), il paraît altéré lorsqu’il est appelé à coexister avec elle au sein du dispositif conventionnel (§ 2).
§ 1. Le principe du pollueur-payeur : un principe d’indemnisation exclusif de tout recours à la responsabilité
9569. Le principe du pollueur-payeur consacre une autonomisation de l’indemnisation par rapport à la responsabilité (A), tout en apportant aux victimes une certaine garantie en termes d’automaticité de l’indemnisation (B).
A. L’autonomisation de l’indemnisation
10570. Cette autonomisation de l’indemnisation, par rapport au système de référence qu’a longtemps constitué la responsabilité, tient beaucoup à l’émergence du principe du pollueur-payeur (1) mais aussi à l’autosuffisance des fonds dont ils constituent la meilleure transcription juridique (2).
1. De l’émergence du principe du pollueur-payeur11
11571. Le principe du pollueur-payeur est un principe économique qui a fait l’objet d’une transcription juridique, de cela un essai de définition juridique devrait rendre compte (a). La portée juridique de ce principe, quoique discutée en doctrine, devrait conduire à rejeter toute forme d’assimilation à une responsabilité objective (b).
a) Essai de définition juridique d’un principe économique
12572. Originellement dédié au traitement des pollutions chroniques12, le principe pollueur-payeur est avant tout un principe économique. Officiellement retenu par l’OCDE en 1972, il répond à une volonté politique d’internaliser les externalités, c’est-à-dire les coûts sociaux induits par la pollution13. A n’en pas douter, l’avènement de ce principe marque un tournant décisif dans la prise de conscience de la valeur environnementale.
13573. En imputant l’ensemble des dépenses de prévention et de lutte contre la pollution à ceux qui les ont rendues nécessaires, il s’agit de soulager les finances publiques au moyen d’un transfert direct de la charge sur la tête du pollueur14. « La production ou la consommation d’un bien ou d’un service provoque un certain nombre d’effets externes qui ne sont pas pris en compte par le marché et qu’il s’agit d’internaliser c’est-à-dire d’intégrer dans le prix du bien ou du service en question, en les imputant à ceux qui en sont la cause »15.
14574. Plus précisément, la théorie économique prête une triple fonction à la redevance exigée dans le cadre de la mise en œuvre du pollueur-payeur. En premier lieu, une fonction d’optimisation : la redevance conduit à rechercher un équilibre entre l’avantage de la lutte contre la pollution et le coût de cette lutte ; en second lieu, une fonction d’efficacité, du moins lorsqu’elle conduit les pollueurs à réduire leur émission à un niveau préétabli ; en troisième lieu, une fonction de redistribution et de financement.
15575. Le message est clair : on ne saurait impunément polluer aux frais du contribuable16, pour détruire il va falloir désormais payer17. Pourtant, force est d’admettre que, dès 1974, l’OCDE consent déjà à infléchir ce principe18. Dans certaines hypothèses, il apparaît opportun de subventionner le pollueur pour l’inciter à investir dans des équipements propres à réduire les risques de pollution19.
16576. Dans une conception étroite, le principe du pollueur-payeur signifie que le pollueur ne doit supporter que les frais de prévention et de lutte contre la pollution. Ceux-ci comprennent les mesures préventives stricto sensu et non les mesures curatives de compensation comme les coûts de nettoyage, de décontamination ou de remise en état. Une acception plus large du principe du pollueur-payeur est également possible à la lecture du principe n° 16 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement. « Les autorités nationales devraient s’efforcer de promouvoir l’internalisation des coûts de protection de l’environnement et l’utilisation d’instruments économiques, compte tenu de l’idée que c’est le pollueur qui doit en principe assumer le coût de la pollution en ayant en vue l’intérêt du public et sans fausser le jeu du commerce international et de l’investissement ». De la simple prévention à la charge du pollueur, on glisse vers une internalisation totale et non plus partielle des coûts de pollution. Outre les coûts de la prévention, les dommages occasionnés par la pollution devraient aussi être à la charge du pollueur20.
17577. Longtemps considéré comme un « maigre secours »21 pour le juriste, le principe du pollueur-payeur va faire l’objet d’une transcription juridique. En 1990, il va finalement être consacré comme un principe général à part entière du droit international de l’environnement. Cette reconnaissance doit toutefois être conçue comme l’aboutissement d’un processus amorcé en 1987 par son inscription dans l’Acte Unique Européen de 1987 et par la suite dans le traité de Maastricht en 1992.
18578. En droit interne, si ce principe a très tôt infiltré l’ensemble des dispositions imposant des taxes ou redevances à certains pollueurs, il n’a acquis le statut de règle de droit positif qu’en 1995 avec la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement22. Cette dernière définit le principe du pollueur-payeur comme « le principe selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de pollution et de lutte doivent être supportés par le pollueur ».
19579. Ainsi formulé, le principe du pollueur-payeur, longtemps considéré comme un « slogan »23, devient un principe juridique à part entière. Il s’agit plus exactement d’un « principe de réparation »24 ou d’un « instrument curatif »25. Ainsi le Pr F. Moderne évoque l’idée de redevances pour dommages à réparer, à compenser ou à réduire26 ; le Pr M. Despax, celle de « redevance pour dommages réparés »27. Il n’en reste pas moins que face aux mutations connues par ce principe qui, de strictement économique, est devenu juridique, les juristes ont été amenés à s’interroger sur la portée juridique qu’il convenait de lui reconnaître. Le simple fait qu’il puisse être autonome par rapport à la responsabilité doit suffire à refuser son assimilation à une responsabilité objective.
b) Portée juridique du principe : le refus de l’assimilation à une responsabilité objective
20580. La doctrine a parfois tenté d’opérer un rapprochement entre le principe du pollueur-payeur et la responsabilité objective ordinaire. Ainsi, selon le professeur P.M. Dupuy, on retrouverait « dans le principe du pollueur-payeur une logique inspirée de la responsabilité objective, mais qui opèrerait dans un contexte et selon des modalités totalement différentes ». L’auteur s’explique : « S’il s’agit bien là de reconnaître que celui qui cause le préjudice doit le réparer, la perspective dans laquelle intervient le pollueur est déplacée. On quitte des rapports bipolaires pollueur-victime. La sollicitation financière du pollueur n’est plus morcelée ou laissée aux aléas des actions juridictionnelles postérieures au dommage. Elle intervient préventivement pour organiser dans le temps et entre les acteurs économiques, une redistribution des coûts contre un fléau préjudiciable à la collectivité »28. Ainsi encore, pour le Pr G. Farjat, « le principe pollueur-payeur serait à la base du droit de la responsabilité de demain, du fait du lien qu’il établit entre la source du risque et les dommages causés »29. D’autres auteurs sont plus circonspects, attribuant à ce principe un caractère hybride. Ainsi le Pr F. Caballero ne manque pas de souligner « la spécificité de la réparation par rapport à la responsabilité civile ». En effet, précise-t-il, il ne s’agit pas dans cette hypothèse de réparer un préjudice isolé causé par une personne à une autre personne, mais d’organiser dans le temps et dans l’espace une véritable gestion de la réparation. Dès lors, conclut cet auteur, « il devient impossible de rester dans le cadre traditionnel de la responsabilité civile »30. Le « principe qui nuit paie » s’apparente davantage à un « principe de responsabilité sociale »31. Sous cette dernière appellation, il faut entendre un « mélange équilibré de responsabilité individuelle et de garantie sociale »32.
21581. Quand bien même cet auteur paraît prendre quelque peu ses distances avec l’idée de responsabilité stricto sensu, il se garde toutefois de rompre les amarres, préférant rapprocher le principe du pollueur-payeur de la théorie du risque créé. Car selon cet auteur, un tel principe permet l’individualisation de la responsabilité, puisque tout en autorisant la désignation automatique d’un responsable, il assure la répartition autoritaire de la charge en fonction du risque écologique présenté par les activités assujetties33. Dès lors, commente-t-il « la proportionnalité de la redevance à la nuisance émise par son activité apparaît comme une présomption de causalité automatique dispensant d’avoir à faire la preuve pour chaque redevable de la relation existante entre son activité et le dommage causé à l’environnement »34. Pareille confusion des genres semble désormais35 entretenue par la doctrine maritimiste. Ainsi, peut-on lire sous la plume de Monsieur B. Thouilin, qu’en imposant au propriétaire de navire une responsabilité objective pour ce qui est des dommages par pollution résultant d’une fuite ou d’un rejet d’hydrocarbures persistants provenant de son navire, la Convention de 1969 sur la responsabilité, à l’instar de son Protocole de 1992, applique la règle du pollueur-payeur36. Madame F. Odier paraît elle aussi adhérer à cette analyse, en soulignant que « même si la Convention CLC de 1969 ne formule pas les principes qui quelques années plus tard, ont été appliqués par le droit de l’environnement tel que le principe du pollueur-payeur, elle en propose « une version adaptée aux conditions de l’exploitation maritime »37. En effet, ladite convention se fonde sur une approche identique qui consiste à faire supporter la compensation des détériorations dues aux rejets d’hydrocarbures à ceux qui sont à l’origine de ce rejet quelle que soit la faute commise38.
22582. Pour d’autres auteurs39, la « meilleure transcription juridique du principe économique du pollueur-payeur est réalisée au moyen des fonds ». Toutefois, même là, il n’est pas rare que les auteurs succombent à la tentation de l’assimilation à la responsabilité. Ainsi le Pr Ph. Delebecque voit dans le FIPOL un « mécanisme de responsabilité collective des industriels du pétrole »40. Cette assimilation du principe du pollueur-payeur à la responsabilité objective nous semble toutefois hasardeuse et en ce sens condamnable. En premier lieu, ainsi que l’observe le professeur C. Larroumet, une distinction doit être opérée entre les applications du principe pollueur- payeur et l’imputation de la responsabilité, même si l’un tire son objectif de l’autre. « La différence essentielle entre le système de la responsabilité civile et celui de la redevance de pollution qui n’est qu’une taxe, lorsque celle-ci est perçue aux fins de restaurer l’environnement dégradé, tient à ce que dans la responsabilité, la charge de réparation incombe, une fois le dommage réalisé, aux pollueurs apparents, tandis que la redevance est a priori perçue, avant toute survenance d’un dommage, auprès de ceux qui sont susceptibles de le causer, c’est-à-dire les pollueurs-potentiels »41. En second lieu, force est de reconnaître que les problèmes de responsabilité se règlent la plupart du temps devant les tribunaux, ce qui n’est pas le cas avec les fonds42. En troisième et dernier lieu, le principe du pollueur-payeur, à la différence de la responsabilité, sous sa forme traditionnelle, du moins, ne saurait conduire à une équivalence parfaite entre le préjudice et la réparation.
23583. Ainsi qu’il a été justement remarqué43, ce constat d’un rapprochement du principe pollueur-payeur et de la responsabilité peut s’expliquer par les réminiscences d’un passé proche où le système d’indemnisation de référence était la responsabilité. Toutefois une nouvelle tendance, marquée elle par la multiplication des fonds d’indemnisation indépendants de toute idée de responsabilité44, conduit à repenser la question, à préciser les qualifications. Ainsi, il faudrait voir dans le principe du pollueur-payeur « la solution la plus évoluée pour indemniser les dommages sociaux indépendamment de toute responsabilité »45, car, ainsi que cela a été fort justement souligné, ce principe est un instrument qui s’est développé en marge de la responsabilité46.
24584. Quand bien même l’utilisation dudit principe sous sa forme actuelle ne permettrait pas de conduire à un système d’indemnisation parfait, il apparaît impensable de ne pas y recourir, tant la technique de collectivisation du risque qui en constitue le support apparaît autrement plus performante pour assurer la réparation du dommage écologique. Le simple fait que les fonds puissent se suffire à eux-mêmes quand la responsabilité a besoin d’être épaulée permet de conforter cette idée d’une possible autonomisation de l’indemnisation.
2. De l’autosuffisance des fonds d’indemnisation
25585. La chronologie des événements, à savoir l’antériorité de l’adoption de la Convention CLC sur celle portant création du FIPOL ne devrait parvenir à faire oublier l’essentiel. Si l’insuffisance de la Convention sur la responsabilité civile du propriétaire du navire a nécessité la mise en place d’un fonds international d’indemnisation, ce dernier, à la différence du mécanisme fondé sur la responsabilité du propriétaire, peut fonctionner de façon parfaitement autonome. Cette autonomie, le fonds la doit d’abord à son mode de fonctionnement. Tandis que le responsable désigné peut tenter de se dédouaner ou de se défausser, voire rester dans l’anonymat le plus complet47, le fonds d’indemnisation sait qu’il peut compter sur une « collectivité pourvoyeuse de la réparation »48. Celle-ci se réduit à un « cercle de pollueurs »49 clairement identifié. Certes, l’identité des pollueurs peut en soi être considérée comme une énigme. Cela suffit à expliquer que les économistes50 aient intentionnellement renoncé à en donner une définition en 1972.
26586. Pareil loisir ne saurait être laissé aux juristes. En droit, la définition du pollueur est un préalable nécessaire sans lequel, il faut bien l’admettre, le principe pollueur-payeur est vidé de sens. De façon générale, le Pr N. de Sadeler considère que le « pollueur doit être l’agent qui joue un rôle déterminant dans la production de la pollution, plutôt que l’agent à l’origine même de la pollution »51. Pour identifier dans la chaîne des transports maritimes ceux que le Pr P.-M. Dupuy qualifie de pollueurs, il convient, dès lors de se reporter aux conventions elles-mêmes pour découvrir ceux qu’elles désignent comme les contributeurs. Dans la Convention FIPOL, les contributions au fonds sont versées par les personnes qui reçoivent des hydrocarbures52. Leur sont assimilées les « filiales et entités placées sous contrôle commun »53. Ainsi, par exemple, le groupe pétrolier Total-Fina n’est pas responsable à l’égard des communes sinistrées. Il est seulement tenu de contribuer au Fonds de 199254. En ce sens, le FIPOL, parce qu’il joue un rôle de médiateur entre le risque et le dommage, œuvre en faveur de l’apaisement social55. Dans la Convention SNPD, c’est un système similaire qui a été retenu. Le réceptionnaire56 est chargé d’alimenter le fonds. On notera toutefois que cette solution n’a été choisie qu’après que les rédacteurs aient étudié la possibilité de désigner comme contributeur le chargeur. Finalement, cette notion, jugée ambiguë, a été abandonnée au profit d’un système « plus conventionnel » reposant sur la règle de l’« importateur-payeur »57. Si la désignation comme contributeurs des importateurs, plutôt que des exportateurs a pu être considérée comme quelque peu discriminatoire58, force est d’admettre que toute exportation est aussi quelque part une importation. Dès lors, le choix se limite simplement à savoir à quel bout de la chaîne on doit imposer une obligation de contribution. En définitive, ce sont des considérations pratiques qui ont déterminé le choix final. Dans certains pays, les procédures d’exportation, bien qu’existantes, ne se limitent qu’à la collecte de données statistiques. En revanche, tous les pays ont des procédures d’importation rigoureuses permettant tant d’empêcher l’importation de marchandises dangereuses ou illicites que de calculer les droits de douane59.
27587. Cette auto-suffisance des mécanismes collectifs d’indemnisation fait dire au Pr P. Jourdain60 que la crise de la responsabilité n’est pas seulement celle de la faute. En effet, il faut bien l’admettre, cette institution, pour traditionnelle qu’elle soit, est sérieusement concurrencée par les mécanismes d’indemnisation collective capables d’assumer seuls un rôle, dans lequel elle ne peut espérer se maintenir qu’assistée. Cette autonomie des fonds peut conduire à se poser la question de leur nature juridique. Les Conventions sont peu prolixes à cet égard. Tout au plus sait-on que le Fonds est reconnu comme une personne juridique assumant des droits et obligations. A ce titre, il peut être partie à toute action engagée auprès des tribunaux d’un État61. Son représentant légal est l’administrateur. En cas de contestation, « les victimes insatisfaites peuvent poursuivre en justice le FIPOL afin d’obtenir réparation, à condition toutefois d’avoir déposé leurs demandes d’indemnisation »62. Toutefois dans cette dernière hypothèse, elles devraient renoncer à bénéficier de l’automaticité d’indemnisation que peut leur offrir le fonds. C’est là encore une démonstration de l’intérêt qu’il peut y avoir à fonder l’indemnisation sur le principe du pollueur-payeur.
B. L’automaticité de l’indemnisation
28588. Si, avec la responsabilité objective, il s’agit d’imputer la charge en fonction de la chose ou de la personne présentant des risques, avec les fonds et le principe du pollueur-payeur, on franchit une étape supplémentaire. En effet, l’opération d’imputation ne nécessite plus l’identification précise d’un agent. Elle s’attache directement à l’activité. Ainsi, l’ensemble des participants à l’activité génératrice de risques est appelé à répondre des dommages63. De semi-automatique, l’indemnisation devient automatique. Cette automaticité peut être mise en évidence d’un double point de vue ; théorique d’abord, s’agissant de l’automaticité inhérente au principe de solidarité qui gouverne le fonctionnement du fonds (1) ; pratique ensuite s’agissant du principe qui commande l’alimentation du fonds (2).
1. L’automaticité inhérente au principe de solidarité gouvernant le fonctionnement du fonds
29589. Le Pr G. Viney note que l’une des caractéristiques les plus remarquables des mécanismes de réparation collective est leur capacité à se déclencher en s’affranchissant de toute condition relative à l’existence d’une responsabilité quelconque64, en d’autres termes de procurer une « indemnisation automatique »65. L’idée fondamentale de l’indemnisation automatique, au demeurant identique à celle qui est à la base des systèmes de sécurité sociale, est que l’on doit indemniser les victimes des dommages accidentels sans qu’il soit nécessaire de désigner un responsable66. Cette automaticité, qui caractérise l’intervention des fonds, et qui conduit la collectivité à assumer directement et immédiatement la charge67 des dommages de pollution, ne doit donc rien à la responsabilité. Le principe actif du fonds, quand bien même il serait appelé à intervenir, est donc nécessairement autre.
30590. Ainsi que le souligne le Pr M. Rémond-Gouilloud, avec le fonds, « c’est de solidarité qu’il s’agit ici et non de responsabilité »68. L’auteur de poursuivre en ajoutant que les mécanismes instituant les fonds ne désignent pas des responsables tenus à réparation des dommages de pollution du fait d’une faute qu’ils auraient commise ou d’un risque qu’ils auraient créé. Lesdits mécanismes se contentent de régler la contribution d’un groupe chargé de financer un risque, celui de pollution. Car, avec le Pr Y. Lambert-Faivre, il convient de se rendre à l’évidence. « Lorsque la justice commutative de la responsabilité est impuissante à réparer la fatalité du malheur, la justice distributive de la solidarité doit en prendre le relais »69. La solidarité vient en quelque sorte au secours de la responsabilité. Tandis qu’un principe de responsabilité fondé sur une idée de cause aurait impliqué une distribution sélective des charges au terme d’une recherche du responsable, le fait de retenir l’existence d’un risque professionnel, que l’on sait porteur de solidarité70, conditionne et simplifie la mise en œuvre de la réparation. Si l’on sait le droit maritime solidariste71, le péril de mer a en effet encouragé la conversion en règles juridiques de l’instinct de solidarité inné des gens de mer, nous pensons que cette solidarité, plus que maritime stricto sensu, est professionnelle. Or, précisément moins la solidarité existe au sein d’une profession, plus une autre forme d’automaticité, celle qui caractérise cette fois l’alimentation du fonds pourrait être mise à mal si l’on n’y prenait garde.
2. L’automaticité de l’alimentation du fonds
31591. Nul n’est besoin de diligenter une procédure judiciaire quelconque pour voir alimenter les fonds d’indemnisation FIPOL ou SNPD. L’un des aspects les plus remarquables du système de contribution mis en place par les fonds reste précisément d’avoir instauré un système de contributions directes. Il ne saurait s’agir de fiscalité. Aucun impôt direct ou indirect n’est prélevé sur l’activité source de nuisance. En lieu et place, on exige du milieu professionnel à l’origine de la pollution qu’il s’acquitte d’une contribution. C’est en ce sens que l’on peut dire que connaître l’origine des contributions au FIPOL, c’est déjà connaître l’esprit du mécanisme d’indemnisation72. Le FIPOL est alimenté par des contributions versées par des entreprises ayant reçu des quantités totales supérieures à 150 000 tonnes73 de pétrole brut ou de fuel lourd au cours de l’année précédente. Chaque contributeur74 verse un montant fixe par tonne d’hydrocarbures donnant lieu à contribution en fonction des rapports fournis par les gouvernements des États membres au sujet des quantités reçues75.
32592. S’il est relativement aisé d’identifier les contributeurs au FIPOL, les choses sont très différentes en présence d’un transport de marchandises dangereuses. Tout comme il existe plusieurs milliers de substances dangereuses, il existe plusieurs centaines de milliers, voire plusieurs millions d’entreprises productrices. Aussi, l’idée avait-elle été émise de financer le fonds par un mécanisme de certificats de marchandises dangereuses, normalement achetés par les chargeurs de ces marchandises, exceptionnellement par les propriétaires des navires acceptant de les transporter. Dans chaque port, le chargeur souhaitant exporter des SNPD par mer aurait dû acquérir auprès d’un agent certificateur un certificat de marchandises dangereuses. La valeur de ce certificat aurait été proportionnelle à la valeur de la marchandise exportée.
33593. Eu égard à l’extrême complexité de ce projet et du risque de fraudes qu’il était susceptible d’engendrer, ce système original, car présentant la singularité de proposer un régime qui tiendrait compte des particularités des SNPD, a finalement été abandonné au profit d’un système de facture plus classique, car directement inspiré du FIPOL.
34594. Toutefois, à la différence de ce dernier, le Fonds SNPD ne saurait briller par son unité. En effet, il sera éclaté en plusieurs comptes. Le premier concernera l’ensemble des marchandises générales à l’exclusion des hydrocarbures, des gaz naturels liquéfiés et des gaz de pétrole liquéfié, les autres concerneront chacune de ces trois catégories de marchandises. Le premier fonds, le fonds marchandises générales sera, de surcroît, divisé en deux secteurs, l’un regroupant les matières solides en vrac possédant des propriétés chimiques dangereuses, l’autre les autres substances. Ces divers fonds seront alimentés par des contributions annuelles versées par les entreprises ayant importé une quantité minimale de marchandises dangereuses, soit 20 000 tonnes pour le compte général, 150 000 tonnes pour les hydrocarbures, 20 000 tonnes pour le GPL, les importateurs de GNL étant tenus à contribution dès la première tonne76.
35595. L’assemblée de chacun des fonds aura à établir, pour chaque année civile, une estimation présentée sous la forme d’un budget77. On notera que les contributions annuelles ne seront perçues que lorsqu’elles seront requises pour permettre au compte d’effectuer un paiement, en d’autres termes a posteriori. Les contributions annuelles sont destinées d’une part à couvrir les frais et dépenses nécessaires à l’administration du fonds, d’autre part à régler des demandes résultant des accidents de pollution.
36596. S’agissant du FIPOL, elles sont affectées à deux comptes séparés : un fonds général78 et un fonds de grosses demandes d’indemnisation79. Si, pendant l’année passée, il n’y a pas eu de gros sinistre, les receveurs des hydrocarbures n’auront rien à payer pour alimenter le fonds des grosses demandes d’indemnisation80. On remarquera, avec le Pr M. Remond-Gouilloud, que « la notion de fonds d’indemnisation se trouve pervertie lorsque l’alimentation repose sur une contribution de l’ensemble de la collectivité sans qu’un lien soit établi entre la charge pesant sur un individu et la part qu’il prend effectivement à la nuisance »81.
37597. Le critère utilisé pour calculer la redevance exigible par les fonds d’indemnisation marins est tantôt fonction de l’importance des dommages potentiels, tantôt de celles des dommages reconnus. Celui retenu par les fonds d’indemnisation pour l’indemnisation des pollutions marines présente la particularité d’associer les deux méthodes de calcul. Ainsi, s’agissant du FIPOL, la contribution annuelle de chaque État partie est définie suivant la quantité d’hydrocarbures importée par son industrie au cours de l’année écoulée ; mais cette contribution dépend également de l’importance des dommages à propos desquels le fonds est intervenu au cours de l’année écoulée. S’agissant du Fonds SNPD, si le calcul des contributions s’effectue à la base selon un schéma identique, il fait toutefois appel à des règles quelque peu plus complexes, car tenant compte du quotient « demandes d’indemnisation/volume des marchandises transportées », ainsi que du facteur secteur, lequel reflète la dangerosité de chaque catégorie de marchandises82.
38598. On notera que, pour ce dernier fonds non encore opérationnel, des contributions initiales sont exigées en vue de la constitution d’un fonds de roulement83. Ce versement est comparable à une sorte de droit d’entrée, tel qu’en connaît le droit des sociétés. Il est exigible de tous ceux qui souhaitent bénéficier du système d’indemnisation. A ce stade, c’est-à-dire à celui d’un démarrage, on ne saurait parler d’automaticité proprement dite, s’agissant de l’alimentation du fonds, tout au plus peut-on dire que ce premier versement augurera d’une future automaticité dans l’alimentation du fonds.
39599. Toutefois, cette étape décisive franchie, force est d’admettre que la garantie de ce principe d’automaticité demeure une préoccupation fondamentale. Pour que cette obligation de contribution au fonds soit correctement remplie84, chaque État contractant doit veiller à prendre les dispositions nécessaires. Cela peut passer par l’adoption de mesures législatives appropriées y compris des sanctions85 à condition que ces dernières ne visent toutefois que les personnes chargées de contribuer au fonds. Pour l’hypothèse où un contributeur serait défaillant, manifestement insolvable ou encore si les circonstances le justifient, l’assemblée pourra décider de renoncer à toute action contre le contributeur86.
40600. On soulignera toutefois que pareils manquement ou sanction n’ont aucune incidence sur l’indemnisation des victimes. En effet, à l’égard des victimes, les fonds restent tenus même en cas de non-règlement des contributions. Cela apparaît somme toute logique lorsqu’on prend la peine de se souvenir que « les fonds d’indemnisation ou de garantie sont avant tout des organismes institués en vue de garantir aux victimes les indemnités qui leur sont dues »87. « Au fil des ans, les FIPOL ont mis en recouvrement des contributions dont le total s’élève à 900 millions de $ US. Sur ce montant, une somme de 1,7 millions $ US était impayée au 1er septembre 2003. Les arriérés ne représentent donc que 0,2 % environ des sommes mises en recouvrement »88. Or, à l’évidence, une telle performance n’aurait pas pu être atteinte si les fonds d’indemnisation n’avaient pas bénéficié de ce principe d’alimentation automatique tel qu’imaginé par les rédacteurs. Démonstration semble donc faite du caractère performant du fonds par rapport à un système fondé sur la responsabilité pour mobiliser des ressources, pour les rendre plus accessibles aux victimes. Car il convient de l’admettre, chacune des règles de fonctionnement des fonds contribue à sa façon, à leur efficacité. Celles du FIPOL, quoiqu’on puisse en dire, apparaissent déjà bien rodées89. Si le principe du pollueur-payeur est un principe d’indemnisation exclusif de tout recours à la responsabilité, appelé à cohabiter avec la responsabilité, son efficacité apparaît sensiblement altérée.
§ 2. Le principe du pollueur-payeur : une efficacité altérée du fait de sa cohabitation avec la responsabilité
41601. Alors même que la responsabilité du propriétaire du navire apparaît inadaptée au besoin de réparation des victimes de pollutions maritimes majeures, nous l’avons démontré, le dispositif conventionnel d’indemnisation a fait d’elle son socle. Dès lors condamné à coexister avec la responsabilité, le principe du pollueur-payeur, bien que mieux armé qu’elle pour fonder l’indemnisation des victimes de pollutions majeures ne trouve à s’exprimer que par référence à elle. Le fonds dont il constitue le support privilégié est, en effet, davantage appelé à jouer un rôle complémentaire (A) par rapport à la responsabilité qu’il n’est amené à se substituer à elle (B).
A. Le rôle essentiellement complémentaire du fonds
42602. Supportable, la responsabilité ne paraît l’être pour le propriétaire de navire que limitée. Aussi, pour l’hypothèse où le dommage viendrait à dépasser un certain plafond, il convient de s’assurer que la victime ne sera pas abandonnée à son triste sort. La technique du fonds, moins qu’elle ne supprime l’idée de responsabilité, en souligne ici les carences. Ces dernières avaient été très tôt pressenties par les rédacteurs de la Convention CLC sur la responsabilité. L’adoption simultanée d’une résolution tendant à la création d’un fonds international d’indemnisation, destiné à compléter l’indemnisation assumée par le propriétaire atteste de cela. La pratique devait corroborer avec force ce rôle complémentaire du fonds. C’est en effet, pour l’heure, celui dans lequel le FIPOL est le plus sollicité90. Si avec le relèvement sensible du premier niveau par la Convention CLC 1992, on avait pu espérer une sollicitation moindre du fonds dans ce rôle, c’était sans compter sur la survenance de catastrophes dont le propre a toujours été de démontrer l’insuffisance des seuils.
43603. En théorie, certain d’assumer ce rôle de relais, le FIPOL ne devrait l’être uniquement qu’après que le propriétaire ait obtenu l’assurance de pouvoir limiter sa responsabilité. En effet, pour toutes les hypothèses où cette prérogative ne pourra être invoquée, ce dernier aura seul vocation à prendre en charge la réparation, et cela de façon illimitée. La pratique bouleverse toutefois ce calendrier aux fins d’épargner aux victimes des délais d’attente parfois longs avant qu’il ne soit statué sur le droit de limitation. En conséquence, ce rôle de complément, le fonds est amené à le jouer bien avant que ne soient connues les conclusions définitives des enquêtes officielles. Ce qui pourrait, au premier abord, être considéré comme une entreprise hasardeuse pour le fonds, ne l’est pas en définitive, puisque ce dernier a toujours l’assurance d’être subrogé dans les droits des victimes. Aussi, si le propriétaire venait à être déchu de son droit à limitation, le fonds pourrait toujours exercer une action aux fins de recouvrer les sommes indûment avancées aux victimes auprès du responsable. Sa position ne devrait pas s’en retrouver plus inconfortable, puisque de toute évidence, dans l’incapacité d’obtenir réparation intégrale en se fondant sur la Convention CLC91, les victimes se seraient immanquablement tournées vers le fonds. Si le fonds a essentiellement un rôle complémentaire par rapport à la responsabilité, il peut accessoirement être amené à se substituer à elle.
B. Un rôle accessoire de substitution
44604. S’il fallait jauger la responsabilité dans sa fonction d’indemnisation, le verdict serait sans appel dans certaines hypothèses. Ces dernières sont celles où le fonds est amené à participer ès qualité de suppléant à la réparation. Ce n’est pas alors, l’idée d’insuffisance de la responsabilité mais celle de démission que l’on doit retenir. Dans une telle configuration, responsabilité individuelle et mécanisme collectif de réparation cessent de coexister92. Les mécanismes classiques de responsabilité n’ayant plus vocation à intervenir, la mission de réparer les dommages subis par les victimes incombe dès lors aux seuls mécanismes collectifs d’indemnisation.
45605. Le simple fait que les mécanismes collectifs puissent non seulement compléter la responsabilité mais se substituer à elle, atteste, s’il en était besoin de leur supériorité. Si l’on poursuit plus avant ce raisonnement, on peut même dire que, parfaitement remplaçable, la responsabilité a fini d’être indispensable. Cela se vérifie particulièrement dans trois séries d’hypothèses, celle d’abord où le responsable est insolvable (1), celle ensuite où il est anonyme, (2), celle enfin où il peut se prévaloir d’une cause d’exonération (3).
1. L’insolvabilité du propriétaire de navire
46606. En imposant au propriétaire de souscrire une assurance, l’objectif recherché par les rédacteurs de la Convention était nettement affiché : s’assurer de la solvabilité de celui qu’ils désignaient responsable. Toutefois, parce que vouloir quelque chose ne signifie pas nécessairement l’obtenir, mieux valait prévoir une prise en charge financière des dommages par le fonds93 en cas d’insolvabilité du présumé responsable. En pratique, cette situation couvre plusieurs hypothèses.
47607. Cela vise d’abord celle où le propriétaire de navire, en parfaite contravention avec l’obligation qui lui est faite de souscrire une assurance, aura témérairement choisi d’exercer son activité sans même souscrire une assurance. Un navire, sous normes, devient plus difficilement assurable94, et les cotisations toujours plus prohibitives.
48608. Cela vise encore l’hypothèse où le propriétaire, non assujetti à l’obligation d’assurance car possédant un navire de moins de 2000 tonnes d’hydrocarbures en vrac95, se montre insolvable. L’affaire du navire Akari illustre assez bien les difficultés qui se posent alors. Ce pétrolier avait été victime d’un incendie lui faisant perdre l’usage de ses principaux engins de bord. Tandis qu’il commençait à prendre l’eau, 1 000 tonnes de sa cargaison de fuel lourd s’étaient échappées, souillant quelques 40 kilomètres de côte. Bien que non assujettis à l’obligation d’assurance en vertu de la Convention CLC, l’importance de sa cargaison96 ne l’imposant pas, ses propriétaires avaient affilié leur navire à un P&I Club. Convaincu de l’insolvabilité de la compagnie libérienne dont la seule et unique propriété était un navire destiné à la ferraille, le secrétariat du fonds avait alors entrepris d’exercer une action directe contre la mutuelle. Cette dernière argua du fait que, s’agissant d’un navire transportant moins de 2000 tonnes d’hydrocarbures, il était inconcevable qu’une action directe soit exercée en vertu de la Convention CLC. Le FIPOL jugea l’argument irrecevable au motif que le seul fait que le navire soit assuré, alors que rien ne l’obligeait, suffisait à rendre possible l’exercice d’une action directe contre son assureur. Un accord fut finalement trouvé avec l’assureur du navire afin d’éviter tout contentieux97. Le Fonds devra également assumer seul la réparation des dommages lorsque le propriétaire du navire pollueur sera resté anonyme.
2. L’anonymat du propriétaire de navire
49609. Lorsque le navire à l’origine de la pollution ne peut être identifié, la convention CLC ne saurait prévoir un cas de responsabilité, car l’identification du propriétaire du navire est une condition préalable à l’application de la Convention CLC. Toutefois, et cela n’étonnera pas si l’on se souvient de la philosophie du système CLC/ FIPOL, cela ne saurait priver les victimes de leur droit à indemnisation, puisque le fonds est chargé de prendre personnellement à sa charge toutes les hypothèses pour lesquelles la Convention n’a prévu aucune responsabilité98. A la vérité, cette première disposition doit être combinée avec une seconde qui en réduit considérablement la portée. En effet, le Fonds sera exonéré de toute indemnisation si les demandeurs ne parviennent pas à prouver que les dommages impliquent un ou plusieurs navires tels que définis par la Convention. En réalité, ce qui est demandé aux victimes, c’est de prouver que le déversement d’hydrocarbures provient d’un pétrolier tel que décrit dans la Convention. Cela se comprend aisément : le Fonds n’a vocation qu’à couvrir les dommages de pollution causés par un navire99 et non pas, par exemple, par l’exploitation d’une plate-forme pétrolière ou d’une unité de raffinage. Toutefois, même lorsqu’il s’agit selon toute vraisemblance d’un navire, le fonds ne saurait se satisfaire d’une probabilité même forte pour s’exécuter. Aussi, cela revient à exiger du demandeur qu’il identifie un incident particulier et plus particulièrement un lien de causalité entre un événement mettant en cause un ou plusieurs navires et le dommage dû à cet événement. Il y a là une volonté de verrouiller la réparation. L’examen de certains cas d’espèce suffit à rendre compte de la particulière efficacité de ce mécanisme et, plus encore, de la difficulté de la tâche pour les victimes.
50610. En 1992, la côte portugaise avait été souillée par du pétrole brut en provenance du large. Après avoir entrepris les opérations nécessaires, les autorités portugaises avaient déposé auprès du FIPOL une demande d’indemnisation pour obtenir le remboursement des sommes engagées. Au soutien de leur demande, elles avaient joint le résultat d’une analyse des déchets pétroliers collectés. L’expertise avait établi que le produit incriminé était du pétrole brut en provenance du Golfe du Mexique. La contre-expertise, réalisée à la demande du FIPOL, indiqua qu’il s’agissait vraisemblablement d’un déballastage car les échantillons présentaient une forte teneur en cire. Toutefois, parce les demandeurs n’étaient pas parvenus à établir que les dommages de pollution étaient dus à un événement mettant en cause un ou plusieurs navires tels que définis dans la Convention100, le FIPOL n’accéda pas à leur demande101.
51611. Si la Convention CLC 1992 couvre désormais les dommages causés par des combustibles de soutes102, cela ne devrait pas pour autant améliorer la situation de la victime, puisque celle-ci ne pourra obtenir réparation aussi longtemps qu’elle ne sera pas parvenue à identifier un incident particulier. Cette faculté ne sera pas offerte aux victimes de dommages de pollution causés par des résidus de cargaison, car ces derniers ne peuvent être assimilés à la cargaison elle-même103. Aussi, pour l’heure, il n’existe aucun cas d’espèce dans lequel le Fonds ait été mis à contribution en présence d’un navire non identifié. La question de l’utilité d’une telle disposition reste donc posée si les conditions de sa mise en œuvre ne sont pas assouplies104. Enfin la dernière hypothèse où le fonds est amené à se substituer à la responsabilité est celle où le propriétaire de navire pourra se prévaloir d’un cas d’exonération.
3. L’exonération de responsabilité du propriétaire
52612. C’est certainement dans les hypothèses où le propriétaire de navire peut se prévaloir d’un cas d’exonération de responsabilité que la capacité du fonds à se substituer à la responsabilité prend tout son relief. Il va de soi que, si les rédacteurs des conventions pétrolières avaient choisi de calquer les causes d’exonérations du FIPOL sur celles dont peut se prévaloir le propriétaire de navire, la raison d’être du fonds s’en serait trouvée gravement affectée. Dès lors, il importait de placer hors de sa portée un certain nombre de causes d’exonération pour les réserver au seul propriétaire.
53613. Il s’agit d’abord de l’acte de Dieu. C’est ici que l’idée de solidarité qui sous-tend le fonds prend toute sa consistance. Car, tout comme l’industrie pétrolière est étrangère aux phénomènes de guerre, elle l’est aussi aux cataclysmes naturels. Pourtant, dans cette dernière hypothèse, elle ne sera pas dispensée de prendre en charge le fardeau de la réparation quand bien même il eut été logique qu’il fut partagé entre tous. Pas plus que les victimes n’ont de contrôle sur les forces naturelles, l’industrie ne saurait en avoir. Mais, parce que là aucune volonté ne trouve à s’exprimer à la différence de ce qui se passe dans un conflit armé, il importe de ne pas laisser les victimes sans indemnisation. Ainsi se trouve justifiée la décision de la Convention de 1971 de laisser au fonds la charge de la force majeure, ainsi que celle du fait intentionnel d’un tiers. Et cela quand bien même le fonds conserverait, dans cette dernière hypothèse, un droit de recours contre les tiers fautifs.
54614. Enfin, si la négligence d’un gouvernement dans l’entretien des feux ou autres aides à la navigation constitue un cas d’exonération de la responsabilité du propriétaire, elle ne peut l’être pour le fonds. S’il est permis à ce dernier de se prévaloir de cette négligence pour faire échec partiellement ou totalement aux prétentions d’indemnisation dudit gouvernement, pareille faculté ne saurait lui être offerte quand il est sollicité par d’autres demandeurs. Cela apparaît du reste parfaitement conforme à l’esprit du FIPOL qui à défaut de constituer une caisse de secours, n’en constitue pas moins un suppléant de la responsabilité lorsqu’elle est défaillante.
55615. Il convient, toutefois, de souligner que, pour l’heure, le FIPOL n’a jamais été amené à intervenir dans une hypothèse où le propriétaire aurait pu faire valoir une cause d’exonération. Les seules fois où il aurait pu être amené à le faire concernait des hypothèses de négligence d’un gouvernement dans l’entretien des feux ou autres aides à la navigation. Dans l’affaire du Tsesis où la responsabilité des autorités suédoises avait été engagée, le FIPOL n’était pas intervenu car la Convention emportant sa création n’était pas encore entrée en vigueur. Dans celle du José Marti où les autorités suédoises étaient à nouveau mises en cause, le propriétaire n’a pas été admis à se prévaloir de ce cas d’exonération de responsabilité.
56616. Ce n’est donc que par un pur hasard que le principe d’indemnisation du pollueur-payeur est pleinement consacré en présence de pollutions majeures, plus exactement dans les seules hypothèses où le fonds est appelé à intervenir seul. Il n’en reste pas moins que cela ne saurait suffire à minimiser la prépondérance du FIPOL dans la détermination de la politique d’indemnisation des dommages de pollution. Et nul doute que l’une de ses priorités reste le financement du « manque à gagner écologique ».
SOUS-SECTION 2. UN MOYEN DE FINANCEMENT DU « MANQUE À GAGNER ÉCOLOGIQUE »105
57617. Affirmer que le financement du manque à gagner écologique serait une priorité du FIPOL ne signifie pas nécessairement que cela soit sa priorité absolue. On le sait, « les victimes humaines des accidents majeurs refoulent à l’arrière-plan les dommages écologiques qui, à peu près au même titre que les pertes ou les manques à gagner économiques, sont rangés parmi les conséquences mineures de la catastrophe »106. Peu de décès ou de dommages corporels significatifs107 sont à déplorer lors des catastrophes pétrolières108, il n’en reste pas moins que ces types de dommages sont indemnisables au titre des dommages de contamination couverts par la Convention CLC109. La Convention SNPD forte des enseignements des catastrophes maritimes ayant impliqué des Substances Nocives et Potentiellement Dan-gereuses110, ne pouvait, elle, décemment passer sous silence ces dommages. Parce que « l’éminente dignité de la personne humaine et l’inviolabilité de son corps justifient une protection renforcée »111, elle prévoit que ces créances seront prioritaires sur les autres à concurrence des deux tiers du montant total des dommages enregistrés112. Cette mansuétude signifie également fort logiquement que l’enveloppe allouée aux autres types de dommages sera rognée d’autant.
58618. Fonctionnant pour l’heure à budget constant, le FIPOL, moyen de financement des dommages de pollution, est implicitement au moins, appelé à établir une hiérarchie entre toutes les demandes d’indemnisation. Si les pollutions maritimes majeures entraînent des perturbations tant écologiques qu’économiques, il se soucie davantage des secondes. Trois catégories de préjudices économiques sont traditionnellement recensées : « les dommages physiques causés par une contamination à la propriété ou aux biens113 (damnun emergens), les pertes économiques liées à la non-utilisation de ces biens contaminés114 (lucrum cessans pur et simple) et enfin les manques à gagner dus à l’altération de l’environnement (lucrum cessans écologique) »115.
59619. Seul, ce dernier dommage qualifié de « préjudice économique pur » ou de « pure economic loss » par les Anglo-Saxons, retiendra notre attention parce qu’il suscite les controverses les plus vives. Toutefois le traitement que nous lui réserverons sera particulier car directement suggéré par l’orientation civiliste de ce travail de recherche. Moins qu’une analyse exhaustive de la jurisprudence du FIPOL, ces développements s’inscrivent dans une démarche de conceptualisation.
60620. Cerner la problématique du « filtre de la causalité » utilisé par le FIPOL pour examiner la recevabilité de ce type de demandes (§ 1) devrait aider à mieux comprendre, dans le cadre d’une approche analytique, sa politique d’indemnisation à l’égard de ce dommage (§ 2).
§ 1. La problématique du « filtre de la causalité »
61621. La simple présence d’un dommage ne saurait à elle seule emporter reconnaissance d’un droit à réparation pour la victime. Cette dernière doit encore rapporter l’existence d’une relation de cause à effet entre le fait générateur et le préjudice invoqué. Si en présence de catastrophes soudaines comme les marées noires116, le lien de causalité entre l’activité polluante et la dégradation du milieu naturel tient de l’évidence, celui qui pourrait unir ce même phénomène à une dégradation de l’activité économique à travers un lucrum cessans est plus difficile à appréhender. Car, alors même que tout le monde pourrait faire usage de l’environnement, classé au rang de res communis, cela ne saurait pour autant signifier que tout le monde sera admis à se prévaloir d’une indemnisation au titre de son altération117. Admettre le contraire reviendrait assurément à ouvrir des vannes que l’on ne refermerait qu’avec très grande peine.
62622. Dès lors, comment tracer la ligne de démarcation entre les demandes d’indemnisation qui sont recevables, et celles qui ne le sont pas ? Seul l’examen du lien de causalité va permettre d’opérer un tel partage. En d’autres termes cela signifie qu’à défaut de lien de causalité suffisant certaines demandes seront jugées irrecevables. Ainsi la causalité paraît opérer comme un filtre rigoureux dans la Common Law (A), plus souple dans le droit civil (B).
A. La rigueur du filtre de la causalité en Common Law118
63623. Les juges américains, lorsqu’ils sont appelés à se prononcer sur une demande d’indemnisation au titre d’un manque à gagner écologique, appliquent la règle du Robins Dry Dock119, du nom d’une espèce dont ont eu à connaître les juges de la Cour suprême en 1927. Selon cette règle, les manques à gagner qui ne se rattachent pas à un préjudice physique ne sont pas indemnisables, lorsque la Common Law est invoquée pour établir la responsabilité.
64624. Cette règle doit d’abord s’analyser comme participant d’une politique d’indemnisation ultra-restrictive visant à calmer les ardeurs des demandeurs les plus revendicatifs.
65625. Transposée en matière de pollution, elle appelait de toute évidence certains aménagements et plus encore un retour au droit commun dans certaines hypothèses. Ainsi les tribunaux américains renoncent à appliquer cette règle pour revenir au droit commun en présence de pêcheurs commerciaux. Dès lors, leurs manques à gagner liés à l’atteinte à l’environnement sont donc indemnisables, que ces pêcheurs fondent leur action sur la théorie de la nuisance ou sur celle de la négligence
66626. D’autres professionnels ne bénéficient pas d’une telle mansuétude. Il est vrai que, contrairement aux pêcheurs, il leur est plus difficile de faire valoir un droit spécifique d’utilisation de la région120. Néanmoins, force est d’admettre qu’une solution aussi tranchée, dans un contentieux aussi spécifique que celui de la pollution marine résultant du transport maritime, encourt la critique, et plus précisément tombe sous le grief d’iniquité. On en viendrait presque à se demander, si l’ultime ou plutôt l’unique solution pour ces professionnels mal aimés ne serait pas de s’assurer personnellement contre le risque éventuel de perturbation écologique occasionnée par une activité qui leur est parfaitement étrangère. Si l’idée d’une substitution de l’assurance de responsabilité par une assurance directe progresse incontestablement en doctrine121, nous considérons toutefois, pour notre part, que l’introduction d’un tel projet aurait des effets particulièrement détestables en matière de pollution maritime, car conduisant tout droit au « firmament de la déresponsabilisation ».
67627. L’Oil Pollution Act est-il parvenu à infléchir la rudesse de la Common Law ? Au premier abord, on peut le penser. Ce texte législatif ne dispose-t-il pas, à propos du lucrum cessans écologique, que tout individu a un intérêt à agir122. Cela suffit-il pour autant à conclure que la règle de Robins, et le critère de rattachement physique ou d’« intérêt-propriétaire123 ou possesseur » qu’elle érige en condition sine qua non de l’indemnisation »124 ont fini d’être des obstacles pour les victimes d’un lucrum cessans écologique ? Rien ne paraît moins sûr. Cette règle jurisprudentielle devrait donc continuer à s’appliquer même après l’adoption de cette loi spécifique125. On en veut pour preuve la décision rendue par le tribunal de District dans l’affaire de l’Exxon Valdez126. Cette dernière souligne, en effet, que ladite règle continue à s’appliquer lorsque l’indemnisation est basée sur la loi étatique de l’Alaska127.
68628. Avant que les protocoles de 1992 ne viennent affiner la définition du dommage de pollution en précisant qu’il devait englober « le manque à gagner dû à l’altération de l’environnement », le droit anglo-saxon inspiré de la Common Law aurait pu faire obstacle à l’admission de ce type de préjudice privé de tout rattachement physique. En effet, celui qui est appelé à subir un lucrum cessans écologique et qui, a fortiori, pourrait en demander réparation n’a pas nécessairement la qualité de propriétaire ou de possesseur. La précision a donc son importance. Elle garantit à toutes les victimes, quel que soit le système de droit dont elles dépendent, la prise en charge du manque à gagner ou de pertes de revenu causées par la contamination de l’environnement. Toutefois, que l’on ne s’y trompe pas, le choix d’une mention additionnelle générique n’est pas motivé, loin s’en faut, par la volonté d’admettre plus largement ce type de demande, mais plutôt par l’impossibilité de délimiter la sphère de l’indemnisation128. Dès lors, les tribunaux nationaux peuvent toujours utiliser leurs propres critères129, à l’exception toutefois de celui du rattachement physique. Si le filtre de la causalité paraît rigoureux en common law, il semble plus souple en droit civil.
B. La relative souplesse du filtre de la causalité en droit civil
69629. C’est parce que le lucrum cessans d’origine maritime, dans le droit de tradition latine s’apprécie à l’aune des principes généraux de la causalité (1), que l’appréciation du lucrum cessans d’origine maritime y est plus souple (2).
1. L’appréciation du lucrum cessans à l’aune des principes généraux de la causalité
70630. Dans les pays de la Common Law, il est de tradition de dissocier le lucrum cessans, c’est-à-dire le gain manqué, du damnum emergens, c’est-à-dire la perte éprouvée. Le droit français ne retient pas cette distinction. Tout au plus, la suggère-t-il en précisant que les dommages et intérêts dus au créancier sont en général fonction « de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé »130. En droit français, ainsi que le précise le maritimiste E. Du Pontavice, la règle qui prévaut est que « toutes les espèces de dommages sont pleinement indemnisables à condition qu’ils soient établis et en relation directe de cause à effet »131.
71631. On doit comprendre que la réparation des préjudices d’origine maritime132, à l’instar des autres, est gouvernée par le principe de l’équivalence entre la réparation et le dommage133. Selon ce courant doctrinal dit de l’équivalence des conditions, « tout événement qui a été une condition indispensable, sine qua non, du dommage en est une cause. Quelle que soit son importance ou sa proximité avec le dommage, toute condition nécessaire de celui-ci joue un rôle équivalent dans sa réalisation ; elle en est la cause au même titre »134. Cette théorie a été particulièrement éprouvée en présence de phénomènes de pollutions marines, dont le propre est de provoquer des préjudices en cascade, que l’on regroupe sous la qualification juridique de préjudices par ricochet ou préjudices réfléchis135. Dans chaque espèce, il convient de prendre parti sur le point de savoir s’il existe un lien de causalité suffisamment direct ou étroit entre le dommage et la faute. Les juges pour atteindre ce résultat ont recours à une variété de dispositions causales. L’essentiel est en définitive que le dommage soit « certain », « direct », et « immédiat » De fait, le droit d’obédience latine apprécie le lucrum cessans d’origine maritime plus souplement que ne le fait la Common Law.
2. Une appréciation du lucrum cessans d’origine maritime plus souple
72632. L’inadaptation des mécanismes classiques de responsabilité pour appréhender les rapports juridiques que font naître les phénomènes de pollution n’est plus à démontrer. La doctrine s’en est fait largement l’écho136. Néanmoins, force est d’admettre qu’en matière de causalité, l’emploi de ces mécanismes inspirés des principes généraux du droit procure un avantage certain aux victimes, par rapport aux théories anglo-saxonnes de la causalité fondées sur la Common Law137. En effet, nul n’est besoin pour les victimes de faire état d’un dommage physique pour prétendre à une indemnisation. Il leur suffit de prouver que le lucrum cessans est certain et qu’il résulte directement de l’accident en cause. Les juges sont appelés à décider, au vu de chaque espèce, quels sont les dommages qui peuvent être considérés comme directs et certains. Le souci d’équité peut naturellement être amené pour partie au moins à conditionner leur choix.
73633. Ainsi, dans l’affaire de pollution dite des boues rouges, les juges du Tribunal de Grande Instance de Bastia réservent-ils un accueil favorable aux demandes déposées par les pêcheurs et les départements pour les pertes de revenus causées par le déversement de déchets par la Société Montedison138 et cela, quand bien même il n’existerait aucun rattachement physique. De même, dans l’affaire de l’Amoco-Cadiz, le juge américain chargé d’examiner la recevabilité des demandes d’indemnisation des dommages purement et simplement pécuniaires à l’aune du droit français procède-t-il à un examen au cas par cas de chacune d’entre elles139. Nul doute que la compétence du droit français a largement servi les intérêts des victimes trop contentes de pouvoir échapper au couperet de l’exigence d’un rattachement physique.
74634. Il n’en demeure pas moins que pareille souplesse dans l’interprétation peut aussi conduire à un certain flou. Les solutions les plus rigides, à l’instar de celles que préconise la règle de Robins, sont aussi les moins aléatoires, car non soumises à l’appréciation discrétionnaire des juges. Car, ainsi que le soulignait Esmein dans une étude restée célèbre140, « c’est par sentiment que les juges décident si la réalisation d’un dommage est une conséquence trop imprévisible d’un acte pour que son auteur en soit responsable ». Le plus grave grief que l’on puisse faire à cette méthode, outre celui d’arbitraire ou d’imprévisibilité141, c’est de ne pas offrir un filtre suffisamment sélectif ; en d’autres termes d’ouvrir les vannes plus que de raison au risque d’être submergé par un flot de demandes ininterrompu142.
75635. On notera, à l’instar du Pr P. Jourdain, que cette critique trouve davantage à s’appliquer en présence d’une responsabilité objective que d’une responsabilité subjective, car, dans cette dernière hypothèse, la faute conduit déjà à opérer un premier tri entre les diverses causes du dommage143. Toutefois parce que « les tribunaux interviennent assez peu dans le mécanisme de la réparation des dommages de pollution »144, le FIPOL sera bien souvent en première ligne pour apprécier la pertinence du lien de causalité dans le cadre d’une demande d’indemnisation. Aussi l’examen de la problématique du filtre de la causalité gagne à être complété par une approche analytique de la recevabilité du préjudice économique pur par le FIPOL.
§ 2. Approche analytique de la recevabilité du préjudice économique pur par le FIPOL
76636. La sécurité juridique est une valeur indispensable à toute bonne justice. Elle signifie entre autres que toute victime potentielle doit, sous peine d’arbitraire, pouvoir connaître l’étendue de ses droits. Pour limiter ce risque, le FIPOL a entrepris d’expliquer à travers un manuel régulièrement mis à jour sa politique d’indemnisation. Cette initiative apparaît particulièrement pertinente s’agissant du préjudice économique pur, dont l’évaluation est par nature malaisée.
77637. Il ne saurait, ici, être question de procéder à une analyse exhaustive de la jurisprudence du FIPOL en la matière145. L’objectif est ailleurs. Il s’agit, au travers d’une approche analytique d’envisager quelle peut être l’incidence du lien de causalité d’une part (A), de la prévention d’autre part (B) sur la recevabilité de telles demandes d’indemnisation.
A. L’incidence du lien de causalité sur la recevabilité du préjudice économique pur
78638. L’originalité d’un phénomène de pollution marine, d’un point de vue juridique s’entend, est de ne causer à proprement parler que des préjudices indirects ou par ricochet. En effet, seuls les dommages affectant le milieu naturel peuvent être considérés comme directs. Il faut donc, ainsi que le note le Pr M. Prieur, « avoir une vision non conventionnelle de la situation spéciale de pollution, à défaut de quoi il pourrait y avoir un déni de justice »146. On comprendra dès lors la difficulté posée au FIPOL. Confronté à des préjudices dont la plupart sont indirects, il doit faire montre d’une particulière vigilance pour dissocier ceux qui sont indemnisables de ceux qui ne le sont pas. C’est bien souvent de l’examen du lien de causalité dont dépend la recevabilité du préjudice économique pur. Aussi pour la clarté de l’exposé, il nous a semblé intéressant de dissocier les liens de causalité motivant l’indemnisation (1), de ceux légitimant son refus (2).
1. Les liens de causalité motivant l’indemnisation
79639. Pour qu’un préjudice économique pur ouvre droit à réparation, il doit exister un degré raisonnable de proximité c’est-à-dire un lien étroit de causalité entre la contamination et le dommage subi par le demandeur. En d’autres termes, poursuit le manuel d’indemnisation147, une demande n’est pas jugée recevable pour la seule raison que la perte ou le dommage considéré ne serait pas survenu s’il n’y avait pas eu le déversement d’hydrocarbures. Identifier le degré raisonnable de proximité exigible revient, en définitive, à cerner la qualité particulière que doit présenter le lien de causalité unissant le fait générateur au dommage.
80640. Lorsque d’abord, le dommage est lié à l’événement par un lien de causalité pur, c’est-à-dire lorsqu’un fait résulte clairement et uniquement et sans étape intermédiaire d’un autre148, en l’occurrence un événement de pollution, il ne fait aucun doute que ledit dommage doit être couvert par les Conventions. Cette hypothèse vise particulièrement les personnes qui sont dépendantes dans l’exercice de leur profession de la qualité de l’eau de mer. Elle concerne au premier chef les pêcheurs et, plus largement, tous ceux dont les intérêts sont étroitement liés à la mer, alors même qu’ils ne pourraient pas se prévaloir d’un quelconque titre de propriété sur cette res communis149. Le nombre de professionnels susceptibles d’appartenir à cette catégorie est nécessairement limité. Peuvent se prévaloir d’un préjudice identique à celui des pêcheurs, les exploitants de fermes piscicoles à terre et les installations de purification des coquillages, alimentées par de l’eau de mer.
81641. Lorsque, ensuite, le dommage est lié à l’événement par un lien de causalité interrompu, en d’autres termes dans les hypothèses où la victime ne peut se prévaloir que d’un préjudice par ricochet, l’indemnisation est un peu plus délicate. Elle pourrait même être théoriquement écartée. Toutefois, ceux dont l’activité professionnelle dépend largement de ceux qui sont directement touchés par une pollution, doivent bénéficier d’un statut identique. Cette assimilation profite en premier lieu aux travailleurs indépendants, dont l’activité est fortement intégrée à l’activité de pêche. On citera notamment les porteurs de caisses de poissons, les réparateurs de filets exerçant leur activité dans un port touché par une pollution, voire encore les vendeurs de déchets de poissons.
82642. Selon le Comité exécutif, bien qu’indirects, ces dommages sont une conséquence prévisible du déversement de pétrole. Ainsi, dans le cadre du sinistre du Braer, le Comité exécutif du FIPOL a décidé que quatre installations du traitement de poisson, se trouvant dans la zone d’exclusion ordonnée par le gouvernement britannique étaient fondées à solliciter une indemnisation au titre du préjudice économique pur subi. En effet, faute d’approvisionnement en poisson, ces entreprises étaient empêchées de poursuivre leurs activités. Une telle mesure ne saurait profiter qu’aux seuls professionnels dépendant intégralement et uniquement des pêcheurs touchés par l’accident150. Ainsi, l’exigence d’un droit spécifique d’utilisation de la région s’avère un remède efficace contre le risque de demandes trop larges151.
83643. Lorsque, enfin, le dommage est lié à l’événement par un lien de causalité transitif, c’est-à-dire que les manques à gagner ne sont pas la conséquence immédiate de l’acte de pollution, mais en résultent indirectement par l’intermédiaire d’un fait transitif, il doit aussi être réparé. Une telle solution tient au fait que, éloigné en apparence de l’événement initial, ce dernier n’en reste pas moins la conséquence directe du dommage puisque aucune cause étrangère n’a pu lui donner naissance.
84644. Cette hypothèse d’indemnisation concerne, au premier chef, les hôteliers, les plagistes, les restaurateurs, mais aussi plus généralement les commerçants qui sont en contact direct avec les touristes susceptibles de bouder le littoral du fait de la pollution. Il va de soi que ces demandes d’indemnisation, pour être déclarées recevables, doivent être étayées par un certain nombre de preuves152 visant à établir que le dommage dont il est demandé réparation est certain, direct, et personnel. Le FIPOL, à la différence du droit français153, admet de façon beaucoup plus restrictive l’indemnisation des préjudices futurs, puisqu’ils ne sont pas encore effectivement subis154. En définitive, le FIPOL pour déterminer si le critère de la proximité raisonnable se trouve rempli déclare prendre en considération quatre éléments :
85645. 1- La proximité géographique entre l’activité du demandeur et la contamination. Un nombre important de demandes d’indemnisation, notamment dans le cadre du contentieux de l’Erika, avait été présenté par des établissements touristiques qui prétendaient dépendre du secteur du tourisme de la côte, tout en étant situés à une certaine distance. Il s’agit principalement, de campings, d’hôtels, de restaurants, de musées. Pendant longtemps, on a admis qu’un lien de proximité géographique existait, quand l’activité était située à 25 kilomètres des côtes touchées155. Toutefois un tel critère, quoique assurément précis peut confiner à l’arbitraire. Aussi lors d’une réunion du FIPOL fin avril 2002, il a été jugé préférable de s’en remettre à une appréciation du lien de causalité stricto sensu, ce qui selon les commentateurs pourrait augurer d’une plus grande souplesse ; certains demandeurs, se trouvant à 30 ou 50 kilomètres des côtes, pourraient désormais espérer prétendre à une indemnisation.
86646. Ainsi le FIPOL a pu déclarer recevable une demande d’indemnisation déposée par l’exploitant d’un terrain de camping se situant hors de la zone directement affectée par le sinistre de l’Erika156.
872-Le degré de dépendance économique du demandeur par rapport à la ressource atteinte
883-La possibilité pour le demandeur d’avoir d’autres sources d’approvisionnement
894-Le degré d’intégration de l’activité commerciale du demandeur dans l’économie de la zone touchée par la pollution.
90647. Le secteur du tourisme appelle, à lui seul, quelques remarques. Pour ce type de demandes, le FIPOL opère une distinction entre deux catégories de professionnels. Il dissocie, en effet, ceux qui vendent directement leurs biens ou services aux touristes, de ceux qui ne font que travailler avec des entreprises qui seules sont en contact direct avec les touristes. Il est estimé pour cette seconde catégorie que le degré de proximité entre la contamination et les pertes alléguées par le demandeur n’est généralement pas suffisant. Dès lors, ces demandes du secteur du tourisme de deuxième degré ne seront donc pas normalement déclarées recevables. Le Comité exécutif du FIPOL a estimé que le degré de proximité raisonnable qui conditionnait la recevabilité de la demande n’existait que pour les premiers demandeurs.
91648. Si l’adoption de critères participe d’une démarche bien comprise de tentative de rationalisation de l’indemnisation, elle risque aussi de confiner à l’injustice. Il n’en reste pas moins vrai que devant le FIPOL, comme en droit commun de la responsabilité, certains liens de causalité, parce qu’insuffisants, peuvent légitimer un refus d’indemnisation.
2. Lien de causalité légitimant le refus d’indemnisation
92649. Faute de lien de causalité suffisant entre le dommage et l’événement, le FIPOL ne va pas hésiter à opposer une fin de non recevoir à certaines demandes d’indemnisation. En pratique, cela vise deux séries d’hypothèses, celle où le lien de causalité a été interrompu, d’une part, celle où le lien de causalité doit être considéré comme extérieur, d’autre part. En premier lieu, le lien de causalité reliant l’événement au dommage peut être interrompu. C’est le cas lorsqu’un « individu subit un dommage et lorsque, par répercussion, un tiers, dont les intérêts sont liés de quelque façon aux siens, subit lui aussi un préjudice par suite du dommage initial ». Dans cette hypothèse, la jurisprudence considère que « le tiers ne peut réclamer réparation de son préjudice à l’auteur de l’acte illicite initial »157.
93650. Toute la difficulté ici est de savoir jusqu’où on peut faire remonter le lien de causalité, car en théorie du moins rien ne s’opposerait à ce que l’on puisse indéfiniment repousser les limites du possible. Mais ce faisant, ce sont aussi celles du raisonnable que l’on dépasserait. Dès lors, il apparaît nécessaire de poser des bornes. Ainsi, lorsque les demanderesses peuvent être considérées comme des tiers par rapport à l’acte illicite, les préjudices qu’elles sont amenées à subir sont nécessairement indirects. Seraient-ils immédiats, le FIPOL se refuse à les indemniser158. Sans doute un exemple emprunté à la jurisprudence du FIPOL permettra-t-il de mieux comprendre comment concrètement ce raisonnement juridique conduit à écarter certaines demandes d’indemnisation.
94651. Ainsi, si un hôtelier subit un préjudice direct du fait de la désaffection de son établissement à la suite d’une pollution, ses employés, s’ils venaient à être licenciés en raison d’une baisse de fréquentation de la clientèle, ne pourraient prétendre à une quelconque indemnisation, car considérés par le FIPOL comme des victimes indirectes. Le lien de causalité entre l’événement de pollution et leur perte économique ayant été interrompu, le FIPOL refuserait de voir dans ce dernier préjudice un préjudice autonome, considérant qu’il n’y a là qu’une simple répercussion du dommage subi par l’employeur, victime directe déjà indemnisée.
95652. Une argumentation du même type, va faire obstacle à l’admission d’un autre préjudice, dit d’image, dont ont tenté de se prévaloir certaines communes. Ce préjudice ne peut en lui-même motiver une indemnisation159. Admettre le contraire reviendrait à offrir une double indemnisation160. Car on doit considérer que ce préjudice est déjà pris en compte de manière indirecte, notamment par l’intermédiaire de l’indemnisation versée au titre d’une baisse des taxes perçues sur les touristes161.
96653. Le lien de causalité reliant le dommage à l’événement peut aussi être extérieur. La situation visée est alors celle où certaines demandes d’indemnisation, bien que motivées en apparence par la pollution, ont, en réalité, une cause étrangère. Cette dernière aura été si déterminante dans la production du dommage, que l’on doit la considérer comme la cause exclusive du dommage. Par exemple, dans l’affaire du Haven, des commerçants se sont plaints d’une réduction de leurs revenus ; celle-ci s’expliquant selon eux par la désertion des touristes du fait de la marée noire. Or une enquête a révélé que la plage était davantage fréquentée par la population locale que par les touristes162. Le FIPOL concluait dès lors qu’il existait un lien de causalité extérieur entre le dommage dont il était demandé réparation et le préjudice subi, pour opposer une fin de non-recevoir.
97654. Ainsi encore dans l’affaire de l’Erika, le Fonds de 1992 a rejeté la demande d’indemnisation soumise au titre des préjudices subis par suite de la baisse de clientèle par le propriétaire d’un hôtel louant des appartements avec service en périphérie de Nantes au motif notamment qu’ils étaient traditionnellement loués tout au long de l’année à des employés de diverses entreprises de Nantes et des alentours et que les chambres n’étaient pas essentiellement occupées par des touristes163.
98655. Le FIPOL s’est aussi prévalu d’un lien de causalité extérieur pour opposer une fin de non-recevoir à des marchands de poissons qui subissaient une mévente de leurs produits qu’ils attribuaient au naufrage du pétrolier Braer. Or cet événement de mer n’avait aucunement entraîné la contamination des produits de la mer qu’ils vendaient. Un refus, motivé par le même type d’argument, a également été opposé par le FIPOL au département de Charente Maritime, qui entendait obtenir le remboursement des dépenses exposées en vue de rétablir l’image touristique de la région164.
99656. En d’autres termes, cela signifie que le FIPOL ne se sent redevable d’aucune indemnisation lorsque les pertes économiques et, plus largement les dommages, ont pour cause exclusive un fait autre que l’événement de pollution lui-même, comme par exemple une campagne de désinformation orchestrée par les médias. Ainsi se trouve démontrée l’incidence prépondérante du lien de causalité sur l’admission du préjudice économique pur au titre des dommages réparables. Reste maintenant à envisager celle que peut avoir la prévention sur ce même chef de préjudice.
B. L’incidence de la prévention sur le droit à indemnisation du préjudice économique pur
100657. S’interroger sur l’incidence de la prévention sur le droit à indemnisation du préjudice économique pur conduit, d’une part, à se pencher sur la recevabilité des demandes d’indemnisation portant sur les mesures visant à éviter ou à réduire le préjudice économique (1), d’autre part à se demander si la victime a l’obligation de minimiser son propre dommage (2). Dans une hypothèse comme dans l’autre, il s’agira de tenter de dresser un bilan critique de la position du FIPOL à cet égard.
1. La recevabilité des demandes d’indemnisation portant sur les mesures visant à éviter ou à réduire le préjudice économique
101658. La problématique se pose en ces termes : une victime qui prendrait des initiatives pour lutter contre les effets négatifs des sinistres de pollution, pourrait-elle prétendre à un quelconque dédommagement à ce titre ? C’est à l’occasion du sinistre du Braer que le Fonds de 1971 a, pour la première fois, déclaré recevable une demande de ce type. En l’espèce, la requête avait été déposée au titre d’activités visant à neutraliser les effets négatifs de l’événement de pollution pour les entreprises locales. Elle avait été formée conjointement par une association de pisciculteurs, une association d’entreprises de traitement du poisson et une organisation de producteurs de poissons, aux fins d’obtenir le remboursement des initiatives prises pour protéger la réputation des produits piscicoles des Shetlands. En l’espèce, le Comité exécutif du FIPOL avait estimé que, s’il était peu probable que les auteurs des Conventions aient envisagé que des opérations, de cet ordre puissent entrer dans le cadre de la définition du dommage par pollution, ces activités pouvaient être considérées comme des mesures de sauvegarde165.
102659. L’expérience aidant, cet organe a été amené à préciser selon quels critères il acceptait d’indemniser les mesures visant à éviter ou à réduire le préjudice économique. Le coût des mesures proposées doit en premier lieu être raisonnable, c’est-à-dire qu’il ne doit pas être disproportionné par rapport aux nouveaux dommages ou préjudices qu’elles visent à limiter. En tout état de cause, les mesures prises doivent être appropriées à la situation et offrir une perspective raisonnable de réussite. Pour l’hypothèse particulière où une campagne de promotion serait entreprise, les mesures adoptées doivent impérativement porter sur des marchés ciblés.
103660. Ainsi le FIPOL a-t-il accepté de prendre en charge une campagne de promotion orchestrée par une association d’entreprises investies dans le secteur du tourisme. Cette dernière avait précisément pour objectif de lutter contre les effets négatifs du sinistre du Braer sur la fréquentation touristique des Shetlands. Ainsi encore, à l’occasion du sinistre du Nakhoda survenu au Japon en 1997, a-t-il déclaré recevable la demande d’une fédération nationale des coopératives de pêche visant à obtenir le remboursement d’une campagne publicitaire engagée pour lutter contre la mévente du poisson dans la zone polluée.
104661. Plus récemment encore, à la suite du sinistre de l’Erika, le FIPOL a répondu favorablement à une demande formulée par une association nationale de producteurs de coquillages. Ladite requête avait pour objet la participation aux frais d’une campagne publicitaire destinée à regagner la confiance des touristes qui fréquentaient traditionnellement des zones fortement touchées par le pétrole déversé par l’Erika. Dans cette espèce, le Comité exécutif a considéré que les frais engagés étaient raisonnables et non disproportionnés par rapport aux pertes éventuelles que la campagne visait à réduire. La campagne de réhabilitation avait en outre été ciblée sur les débouchés effectifs, et offrait de ce fait les meilleures chances de réussite166. S’il s’agit d’initiatives volontaires de prévention, le FIPOL est-il en droit d’exiger de la victime qu’elle mette tout en œuvre pour minimiser son propre dommage ?
2. L’obligation faite à la victime de minimiser son propre dommage
105662. « Le fonds de 1992 tient également compte de la mesure dans laquelle le demandeur a pu atténuer sa perte »167. Quelle signification doit-on accorder à cette mention spéciale ? Ne faut-il pas y voir l’idée selon laquelle la victime serait tenue de minimiser son propre dommage, à défaut de quoi elle pourrait se voir opposer une réduction de son droit à réparation par le FIPOL ? Nul doute qu’en Common Law cette possibilité est pleinement consacrée par le biais de la théorie dite de la « Mitigation of damages ». Cette dernière trouve un soutien sans faille dans l’analyse économique du droit168, laquelle assigne au droit une fonction de réduction des coûts sociaux.
106663. Réfractaire à l’idée d’acculturation juridique169, le droit français se présente comme un îlot de résistance en la matière. S’agissant de la responsabilité délictuelle, le principe qui prévaut, et que la Cour de cassation n’hésite pas à rappeler, est celui de la réparation intégrale du dommage170. En d’autres termes, il s’agit de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage, de façon à replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si le dommage n’avait jamais existé. Puisqu’il doit exister une équivalence quantitative entre la réparation pécuniaire et le dommage, il convient de ne s’intéresser qu’aux seuls critères objectifs du dommage. Ceux qui seraient teintés de subjectivisme comme ceux tirés de l’analyse des comportements des victimes, doivent être a priori écartés.
107664. Toutefois, cette orthodoxie juridique pourrait être mise à mal par le souci qu’ont les juges de moraliser le droit de la réparation, notamment par le biais des principes d’équité ou de bonne foi171. Il est du reste permis de se demander si leur initiative ne pourrait pas trouver un certain appui dans le Code civil. On le sait, depuis l’adoption de ce dernier, « la responsabilité délictuelle s’est partiellement constituée sur le modèle de l’inexécution des conventions »172. Or, force est d’admettre que le droit français a déjà consacré la possibilité d’introduire une modération des dommages par le biais de l’article 1151 du Code civil. Celui-ci prescrit, en effet, que les dommages-intérêts ne couvrent que la suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention ». Certains auteurs voient dans cette disposition un principe général, transposable aux délits et quasi-délits.
108665. En d’autres termes, cela pourrait signifier que le comportement de la victime ne saurait être sans incidence sur son droit final à réparation. En effet, en laissant consciemment s’aggraver son propre dommage, la victime rompt le lien de cause à effet unissant son préjudice au fait dommageable initial. Le comportement postérieur de la victime, s’il est blâmable, devrait affecter donc son droit à indemnisation. Ledit comportement doit être apprécié par rapport à l’attitude qu’aurait adoptée un individu standard placé dans une situation identique173.
109666. En décidant que la victime n’est pas tenue de minimiser son propre dommage174, la solution française brille assurément par sa simplicité. Toutefois, on peut se demander si l’orthodoxie juridique n’est pas quelque peu égratignée lorsqu’on rattache artificiellement à l’auteur même fautif d’un dommage initial, un autre dommage qui aurait pu être au mieux évité au pire atténué par la victime. On s’expliquera dès lors que la doctrine175 puisse critiquer cette solution. Une étape significative vers plus d’orthodoxie juridique pourrait être amorcée si la victime pouvait avoir l’assurance de voir mises à la charge du responsable initial toutes les mesures visant à éviter le dommage. Car, ne l’oublions pas, l’inaction de la victime est bien souvent motivée par le souci d’éviter un surenchérissement de son préjudice.
110667. En ce sens, l’engagement du FIPOL à prendre en charge toute mesure visant à minimiser l’importance du préjudice économique pur va certainement dans le bon sens. Il n’en reste pas moins que, même dans cette hypothèse, la prudence devrait inciter les victimes de bonne volonté à n’entreprendre des démarches qu’après s’être assurées de leur prise en charge par le FIPOL176. Enfin, dans l’attente d’un alignement éventuel du droit français sur la Common Law, les victimes françaises, qui craindraient de se voir opposer une réduction de leur droit à indemnisation du fait de leur inaction en vue de modérer le dommage initial, gagneraient à saisir un tribunal français aux fins de bénéficier d’une jurisprudence plus clémente ou d’une « ultra-indemnisation » aux dires de certains auteurs177.
111668. Car si le FIPOL doit assurément être considéré comme une matrice pour le financement du risque d’environnement, les victimes insatisfaites ont toujours le loisir de porter leur litige devant les juridictions de droit commun. Toutefois force est admettre qu’il est des domaines où le FIPOL ne saurait souffrir d’aucune comparaison avec elles. Lui seul, en effet, paraît pouvoir se targuer d’avoir esquissé une gestion du risque d’environnement.
SECTION 2. LE FIPOL, UNE ESQUISSE DE GESTION DU RISQUE D’ENVIRONNEMENT
112669. La seule présence d’une structure capable de réunir des fonds propres à financer la réparation des dommages à l’environnement ne saurait suffire à rassurer d’éventuels créanciers ou victimes. Plus encore que la capacité de ladite structure à gérer, c’est la personne de l’affectataire qui importe. Cela se comprend aisément. Serait-elle incompétente ou désorganisée, et les fonds accumulés risqueraient d’être gaspillés. Dépensés en pure perte, pour couvrir des frais administratifs, ils perdraient tout contact avec leur finalité première, à savoir la réparation de dommages consécutifs à une atteinte à l’environnement.
113670. Or, force est d’admettre que le FIPOL a su échapper à ces travers en développant au fil des années une pratique rigoureuse, qui n’a cessé de se bonifier avec l’expérience. On ne s’étonnera pas qu’il ait pu être propulsé au rang de prototype pour la gestion du « risque d’environnement »178. Cette aptitude particulière du FIPOL à initier une gestion du risque d’environnement se manifeste d’une double façon. En effet, le Fonds esquisse tant une gestion du contentieux environnemental (Sous-section 1) qu’une « gestion de la réparation du dommage écologique »179 (Sous-section 2).
SOUS-SECTION 1. UNE ESQUISSE DE GESTION DU CONTENTIEUX ENVIRONNEMENTAL
114671. La « fonction contentieuse » que le fonds exerce et les garanties procédurales qu’il confère, rapprochent cette « autorité de régulation de l’indemnisation » d’une juridiction180, sans lui en conférer toutefois la qualité181. Un auteur a ainsi pu évoquer une « sorte de justice hors juge »182. Les propositions faites en termes d’indemnisation par le FIPOL ne sont pas assimilables à des jugements lorsqu’elles ont été acceptées. Dès lors, elles ne peuvent être revêtues de l’autorité de la chose jugée, mais seulement de celle de « chose décidée ». Il n’en reste pas moins que le Fonds crée un espace de concertation pour décider de l’affectation de subsides, tout en évitant les lourdeurs de la voie judiciaire183.
115672. Or, précisément, l’un des atouts majeurs du FIPOL, seul fonds opérationnel pour l’heure en matière de pollution marine accidentelle, est de recourir à la voie transactionnelle, c’est-à-dire à une forme contractuelle de réparation (§ 1). Parce que cette technique de contractualisation de la réparation agit comme un régulateur extra-judiciaire du contentieux184, elle présente un intérêt majeur pour les victimes de pollution, qu’il s’agira de mettre en exergue (§ 2).
§ 1. Le recours à la transaction : la contractualisation de la réparation au sein du FIPOL
116673. Ainsi, que le souligne le Pr A. Vialard, « en temps normaux, les tribunaux interviennent assez peu dans le mécanisme de la réparation des dommages de pollution par hydrocarbures »185. La Convention portant création du FIPOL ne fait nullement mention du cadre juridique dans lequel s’engagent les discussions relatives au règlement des demandes entre l’organisation intergouvernementale et les victimes. Sans doute, faut-il trouver un début d’explication à cela dans le caractère international de cet instrument, car ne l’oublions pas, l’expérience du FIPOL s’est construite en marge des systèmes nationaux186. Il n’en demeure pas moins que les rapports entre le FIPOL et les victimes restent placés sous l’égide du droit national187. Aussi, pour espérer appréhender au mieux le mode de résolution des conflits emprunté par le FIPOL, il n’est pas inutile d’y revenir. Pareille démarche participe d’une meilleure compréhension d’un système qui est, par essence, international.
117674. En droit français, l’accord conclu entre la victime et le FIPOL prend la forme d’une transaction au sens des articles 2044 et suivants du Code civil. Cette référence textuelle apparaît clairement sur l’imprimé que les victimes françaises doivent remplir pour obtenir une indemnisation. Parce que le « système transactionnel »188 particulier que constitue le FIPOL ne peut espérer être compris sans référence à la technique de transaction (A), il convient de s’attacher à l’expliquer avant même d’en envisager son application par le FIPOL (B).
A. Principe de la transaction : explication d’une technique189
118675. Qu’on le constate ou qu’on le déplore, le développement des échanges économiques s’est traduit par un prodigieux accroissement des litiges190. Nul doute que la déception suscitée par les modes juridictionnels de règlement des litiges a été très directement à l’origine de l’engouement pour d’autres modes de règlement des différends. La transaction est l’un d’entre eux.
119676. L’article 2044 du Code civil français définit la transaction comme le « contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître ». Bien que cette définition n’indique pas comment les parties parviennent à l’objectif sus-énoncé, la jurisprudence, approuvée par une doctrine quasi-unanime, ajoute « par des concessions réciproques »191. Plus précisément, il s’agit pour chacune des parties aux termes de ce contrat synallagmatique de « renoncer à certains de ses droits, actions et prétentions »192. L’article 2051 du Code civil français rappelle l’effet relatif de cette convention à l’égard des tiers, en précisant que la transaction faite par l’un des intéressés ne lie pas les autres et ne peut être opposée par eux.
120677. En définitive, ce qui paraît caractériser au mieux ce mode de résolution des litiges, c’est sa capacité à générer des règles qui ne pourront être imposées sans discussion préalable. Ainsi cette technique aux « prétentions pacificatrices193, permet-elle le passage progressif d’un « droit à la contradiction » vers un « droit de la conciliation »194. « Contrairement aux autres contrats qui s’évertuent à préciser un avenir nébuleux, le contrat de transaction cherche à tirer le trait sur un passé houleux »195. Enfin, ce qui caractérise les règles de droit issues du contrat de transaction, c’est leur caractère individuel. Elles ne seront en effet jamais générales, ni même obligatoires196. Présentée comme la clé d’efficacité des régimes œuvrant en faveur du droit des victimes, la transaction aujourd’hui en plein essor, démontre si besoin était que « le droit de la réparation et non plus de la responsabilité pourrait à l’avenir devenir fondamentalement contractuel »197. La pratique transactionnelle du FIPOL, paraît rendre déjà compte de cela.
B. Pratique transactionnelle du FIPOL : application d’une technique
121678. Sans doute, avant même d’aborder la pratique transactionnelle du FIPOL, convient-il de rappeler, là encore, le contexte dans lequel la création du fonds international d’indemnisation est intervenue, car rien à l’époque ne laissait envisager le recours à une telle technique. Loin de susciter l’enthousiasme, nombre d’observateurs avaient émis en 1969 les plus grandes réserves quant à la capacité de ce « nouveau machin » à gérer les demandes d’indemnisation198. Sa filiation, sa morphologie, l’exposaient aux pires brimades. Calqué sur le modèle habituel des institutions des Nations-Unies, le FIPOL aurait dû tout naturellement hériter de leurs tares, au nombre desquelles la lenteur et l’inefficacité. Or, contre toute attente, il n’en fut pas ainsi. Pareil résultat mérite, à lui seul, explication.
122679. Rien dans la structure de l’organisation ne permettait d’augurer d’un recours à la transaction. Les organes qui la fondent sont de facture classique : assemblée générale réunissant annuellement tous les États membres, comité exécutif chargé de se prononcer sur les indemnisations réclamées et secrétariat dirigé par un administrateur responsable du suivi des dossiers et du traitement des demandes des victimes199. Aussi, en recourant à la transaction, le FIPOL se recommande nécessairement de modèles étrangers au strict cadre onusien. Sa principale source d’inspiration, il la puise dans le milieu des assurances. Le contexte assurantiel est d’abord perceptible dans le « système juridique » choisi. Le dispositif CLC/ FIPOL a pour principale mission de répartir des risques, ce qui constitue la quintessence d’une démarche assurantielle. Il se laisse encore deviner dans le principe de fonctionnement du FIPOL. Puisque le système conventionnel impose pour l’heure une relation étroite entre le dispositif des pétroliers et celui des armateurs, géré par les assureurs200, ces derniers font nécessairement figure d’interlocuteurs obligés du FIPOL, lui imposant de fait ses méthodes201. Or, la transaction est de celle-là202. Se recommandant d’une gestion à la mode industrielle, elle présente une souplesse hors de portée des procédures officielles203. Elle marque le recul des juges et la montée en puissance des experts204. La survenance d’un sinistre, dont on a toutes les raisons de penser qu’il sera grave, conduit le FIPOL à prendre contact avec le P&I Club de l’armateur pour qu’une enquête commune soit ouverte, aux fins non seulement de connaître les circonstances du sinistre, mais plus encore de dresser une évaluation des dommages. Cette instruction conjointe présente l’avantage non négligeable de partager les frais d’expertise, tout en accélérant les procédures d’instruction des demandes205. On notera que c’est pareil souci de célérité, qui a incité l’organisation à permettre à l’administrateur de régler les petites demandes d’indemnisation. S’agissant des plus importantes, le Comité exécutif est tenu d’en approuver le règlement. Les accords transactionnels conclus avec le FIPOL ont un caractère définitif
123680. Adepte de la transaction, le FIPOL n’est tributaire d’aucune interprétation imposée par une tradition jurisprudentielle206. Il n’est pas prisonnier du droit positif. Aussi est-il amené à examiner chacune des demandes d’indemnisation à la lumière des circonstances particulières de l’espèce considérée comme unique207. Non lié par les termes de la loi, le FIPOL n’est pas tenu de parvenir à un règlement similaire pour chacun des litiges a priori identiques. Ses décisions relèvent plus du pragmatisme, que du rigorisme juridique.
124681. Aussi le FIPOL peut-il, parce que cela lui paraît opportun, renoncer à une stricte application de la Convention pour prendre en charge des dommages consécutifs à de banals incidents d’exploitation tels que des heurts de quai, des abordages fautifs, ou des erreurs de manipulation de vannes208.
125682. Cette dernière hypothèse a plus particulièrement concerné un demandeur japonais. Nul doute que la Convention de Bruxelles n’a pas entendu faire figurer au titre des dommages indemnisables, la perte résultant de la pollution d’une cale de chalutier rempli de poissons par suite du branchement malencontreux d’un tuyau de fuel. Il n’en demeure pas moins que le FIPOL a pourtant fait droit à la demande209, essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, parce que ledit demandeur était ressortissant d’un État fortement contributeur au FIPOL.
126683. Plus récemment, le FIPOL a déclaré recevables certaines demandes d’indemnisation françaises, en l’occurrence celles relatives à la « pêche de subsistance »210, alors même que lesdites demandes n’étaient étayées par aucune pièce justificative. Un quidam requérant ne saurait exiger par la suite qu’on lui appliquât un traitement identique. Il ne saurait pas plus exiger que s’appliquât à « son affaire » la position unique du FIPOL, telle qu’apparaissant dans le manuel des demandes d’indemnisation211. Le FIPOL a soutenu que : « ses propres critères n’avaient aucune conséquence. Ils donnaient simplement une indication des prises de positions émergeant des réclamations et dégagées de l’expérience »212. « Les décisions de la justice consensuelle n’ont pas vocation à être répétées ni généralisées, chacune est propre au conflit particulier qu’elle permet de pacifier ».213 L’objectif de cette justice alternative est de trouver une solution particulière qui soit la plus appropriée à la cause qui lui est soumise214.
127684. Toutefois, nul doute que le FIPOL s’attache à construire des précédents pour unifier le contentieux. La connaissance de la matrice du litige est une « condition nécessaire pour aboutir à une solution pacifique »215. Nul doute que l’existence d’une jurisprudence officielle, diffusée par le canal du manuel des demandes d’indemnisation216, œuvre elle aussi en faveur de l’application homogène de la Convention217. Car, on peut craindre qu’en l’absence d’un degré raisonnable d’uniformité et de cohérence, de graves tensions ne surgissent entre les États membres. En effet, les ressortissants des principaux États contributeurs ne sont pas toujours les principaux bénéficiaires. Il n’en demeure pas moins que chaque nouvelle difficulté est débattue à titre de principe. La solution qui lui est apportée, si elle est novatrice, peut faire l’objet d’une insertion spéciale dans le manuel des demandes d’indemnisation.
128685. Le FIPOL se distingue en particulier par sa méthode d’appréciation du préjudice écologique. Parce qu’il s’agit d’une question particulièrement sensible, il s’est attaché à délimiter un certain nombre de paramètres avec lesquels les victimes se doivent de composer. Ceux-ci concernent, outre la définition dudit préjudice, les types de méthodes admises pour son évaluation. Nul doute que la crédibilité des efforts du FIPOL doit beaucoup à la publicité et à la transparence de ses décisions. De la somme des précédents peut émerger une pratique. Elle tient lieu de cadre à la future transaction conclue à titre individuel entre la victime et le FIPOL.
129686. Acquis aux vertus de la gestion privée218, sans pour autant se départir du strict respect du traité international qui le fonde, le FIPOL fait figure d’institution à deux visages. Il doit autant au droit privé qu’au droit public, et c’est sans doute aussi dans cette conjonction que réside son succès219. Cet organe s’évertue tant à débusquer les demandes inconsidérées qu’à traquer les procédés dispendieux. Chaque demande d’indemnisation fait l’objet d’une évaluation et d’une négociation, qui aboutit dans le meilleur des cas à l’acceptation d’une offre transactionnelle. A défaut, le différend sera réglé par le tribunal compétent. Parce que la transaction tient autant, sinon plus, du droit processuel que contractuel220, son intérêt majeur réside dans la possibilité de contourner la voie juridictionnelle. Elle permet ainsi une meilleure régulation du contentieux.
§ 2. L’intérêt du « système transactionnel FIPOL » : la régulation extrajudiciaire du contentieux
130687. « La tendance est à la formule la plus transactionnelle possible, pour éviter le recours à cette justice officielle, qui a pour effet induit de retarder l’indemnisation des dommages de pollution »221. L’intérêt majeur de la transaction en matière de réparation des dommages de pollution, comme ailleurs, tient à sa capacité à réguler le contentieux222. Cette propriété de l’instrument, quand bien même elle serait présentée comme un intérêt topique de la voie transactionnelle, largement mis en exergue par le FIPOL, n’en demeure, pour autant pas moins exigeante pour les victimes désireuses d’en bénéficier. Aussi, après avoir mis en évidence ce qui constitue l’intérêt majeur de la solution transactionnelle (A), il conviendra de s’attacher à préciser les conditions à accepter pour espérer en bénéficier (B).
A. Mise en exergue de l’intérêt de la voie transactionnelle
131688. La régulation du contentieux, intérêt topique de la voie transactionnelle (1), tel est celui que l’on retrouve dans le système transactionnel FIPOL (2).
1. La régulation du contentieux, un intérêt topique de la voie transactionnelle
132689. « La transaction est une notion hybride. Elle porte en elle le contrat, nous venons de le voir, mais aussi le procès : conventionnelle par sa source, elle est judiciaire par son objet »223. Parce que le Code civil attache à la transaction « l’autorité de la chose jugée en dernier ressort »224, la transaction peut, dès lors, être assimilée à un « équivalent juridictionnel »225. Qualifié de « petit contrat »226 par la doctrine du 19 ième siècle, la transaction a acquis ses lettres de noblesse227. En effet, parce qu’il contribue à désengorger les prétoires et donc à réguler le contentieux, le contrat de transaction bénéficie aujourd’hui d’un « préjugé favorable »228.
133690. C’est, en effet, dans la déception suscitée par les modes juridictionnels de règlement des litiges qu’il faut rechercher l’origine de l’engouement pour d’autres modes de règlements des différends. Il s’agit d’éviter la lourdeur, la durée et le coût des procédures de type juridictionnel. Et ce n’est pas un hasard si c’est au sein de la société qui connaît les pires excès procéduriers que le mouvement a pris le plus d’ampleur229. En effet, dans les pays de Common law, les modes alternatifs de règlements des litiges englobés sous le vocable générique d’« Alternative Dispute Resolution »230 connaissent un grand succès231. En y ayant recours, les parties sont assurées qu’elles ne videront pas leur bourse avant de connaître le « fin mot de leur affaire »232. C’est ensuite l’air du temps qui motive le recours à de telles solutions. « L’attente légitime ne réside plus nécessairement dans une solution juridique. Les parties, surtout lorsqu’il s’agit d’entreprises, veulent garder la haute main sur leur litige. Elles ne jettent plus aussi facilement qu’avant leur différend en pâture aux tribunaux. Les arrangements hors prétoires présentent l’avantage de la discrétion. La confidentialité n’est pas pour déplaire au monde des affaires, soucieux de ne pas officialiser ses querelles dans des procès souvent largement médiatisés comme aux États-Unis. La matière environnementale233 est de celle qui encourage le recours à la voie transactionnelle.
134691. Face à une opinion publique très remontée après le naufrage de l’Exxon Valdez la Compagnie Exxon n’a pas hésité à proposer une transaction à l’État d’Alaska pour l’équivalent de 7,5 milliards de francs pour le déversement de 38 000 tonnes par le pétrolier Exxon Valdez en 1989234. La compagnie pétrolière aurait versé 900 millions de dollars au titre des accords civils non contestés et payés. Cette initiative, participant d’une campagne de réhabilitation de son image, n’aura toutefois pas permis à la Compagnie pétrolière d’éloigner totalement le spectre du procès235. La société Sandoz impliquée dans la pollution du Rhin, parviendra quant à elle à éviter la voie juridictionnelle en créant entre autres un fonds spécial pour la restauration des écosystèmes236. Cette prise en charge directe de la réparation environnementale mérite d’être soulignée. Car, pour l’heure, l’un des seuls reproches que l’on pourrait formuler à l’endroit de la transaction est de se focaliser sur la satisfaction d’intérêts individuels au détriment de la protection de l’environnement237. Il n’en reste pas moins que, pour les victimes de pollution, la technique de la transaction reste une solution digne d’intérêt parce qu’elle agit comme un régulateur du contentieux. Parce qu’il ne constitue en définitive qu’un système transactionnel d’un genre particulier, le FIPOL peut se targuer d’offrir aux victimes de pollutions pétrolières cet intérêt traditionnellement attaché à la « formule transactionnelle »238. De cela, il convient maintenant de convaincre.
2. La régulation du contentieux : un intérêt topique du système transactionnel FIPOL
135692. Pour mettre en évidence l’intérêt du système transactionnel FIPOL, par rapport au système de justice officielle, il n’est sans doute pas meilleur moyen que de procéder à un examen comparatif de deux expériences, l’une empruntant la voie juridictionnelle, classique oserait-on dire, l’autre la voie transactionnelle originale aménagée par le Fonds international d’indemnisation des dommages pétroliers. Pour qui est convaincu de l’utilité d’une telle comparaison, les affaires de l’Amoco-Cadiz et du Tanio ont valeur d’archétype239. L’étude croisée de ces contentieux présente une valeur didactique incomparable. Mais pour finir de persuader de l’intérêt du système transactionnel FIPOL par le biais d’une approche comparative (a), sans doute faut-il conforter cette première impression positive par l’examen d’autres affaires plus récentes (b).
a) La valeur didactique d’une étude croisée des sinistres de l’Amoco-Cadiz et du Tanio
136693. Parce que les coups du sort ont parfois la délicatesse ou l’élégance d’offrir au commentateur un cadre que l’on qualifierait presque d’idyllique, ils ne sauraient être ignorés. La France, et plus encore les côtes bretonnes ont eu le triste privilège de subir deux sinistres pétroliers, celui de l’Amoco-Cadiz, puis celui du Tanio240, à deux années d’intervalle.
137694. Même brève, (1978-1980), cette période n’en demeure pas moins une époque charnière pour le dispositif conventionnel international. Tandis que les victimes de l’ Amoco-Cadiz241 ne pouvaient compter que sur la seule Convention CLC, celles du Tanio pouvaient bénéficier en sus de l’apport de la Convention portant création du FIPOL. Cette différence de configuration devait se refléter très directement dans le traitement des contentieux, puisque au procès long et coûteux dans la première hypothèse répondait, un règlement autrement plus rapide et confidentiel dans la seconde.
138695. Bien que le sinistre du Tanio242 fût de loin le plus important et le plus complexe que le FIPOL ait eu à traiter à l’époque, cette organisation s’est employée à indemniser rapidement les victimes avec un minimum de formalisme. Une centaine de demandes furent présentées pour un montant total d’environ 527 millions de francs.
139696. Dans la mesure où ces demandes excédaient les montants disponibles, l ‘État français a accepté, à titre transactionnel et tout en réservant ses droits à l’égard des tiers, de réduire souvent de manière forfaitaire le montant de ses demandes. Cette initiative a permis non seulement un gain de temps considérable, mais aussi le versement d’avances substantielles à valoir sur le règlement final. En définitive, le montant approuvé des réclamations de l’État français arrêté à 348 millions de francs fut indemnisé à concurrence de 70 % dans les 3 à 5 ans qui suivirent l’accident. Dans ce contentieux, l’intervention du FIPOL n’a pas été considérée comme exclusive du recours aux tribunaux. En effet, le propriétaire du navire avait commis une faute personnelle de nature à écarter la limitation d’une part, d’autres tiers pouvaient avoir engagé leur responsabilité pour faute et négligence sur la base du droit commun, d’autre part. Toutefois, le procès fut interrompu par la décision de l’ensemble des défendeurs de verser aux victimes une importante indemnisation forfaitaire.
140697. A l’occasion de cette affaire, certains principes d’action du FIPOL ont été fixés. Il a notamment été précisé que l’indemnisation versée dans ce cadre institutionnel n’était pas exclusive de la recherche et de la sanction des véritables responsables du sinistre. Toutefois, cette affaire a surtout permis de mettre en évidence tout l’intérêt qu’il pouvait y avoir pour les victimes à fuir les aléas de la voie juridictionnelle au profit d’une voie transactionnelle, réputée moins abrupte.
141698. Les victimes de l’Amoco- Cadiz n’ayant à leur disposition que la seule Convention CLC ont dû batailler pendant près de treize ans pour obtenir des indemnisations largement « vampirisées » par des frais de procédure. Leur seule satisfaction, car il y en a eu une, aura été d’obtenir une indemnisation cinq fois supérieure à celle offerte par la Convention CLC au terme d’un procès exemplaire243. Toutefois avec du recul, on peut penser qu’il s’agit là d’une maigre consolation, eu égard à la solution autrement plus confortable proposée par le FIPOL. En recourant à cette indemnisation collective fondée sur la voie transactionnelle, elles auraient pu bénéficier tant de la célérité de la procédure que d’une indemnisation non grevée par des frais de contentieux244. Des enseignements tout aussi positifs en termes de régulation de contentieux peuvent être tirés d’autres expériences du FIPOL.
b) Les enseignements positifs tirés d’autres expériences du FIPOL
142699. Le temps ne semble pas avoir terni l’image de régulateur efficace du contentieux que le FIPOL offrait à ses débuts, du moins s’agissant des pollutions moyennes. Ainsi que se plait à le rappeler l’administrateur du FIPOL Monsieur Mans JACOBSSON, il est « rare qu’un accord transactionnel ne puisse être trouvé entre une victime connaissant ses droits mais refusant l’excès et le responsable souvent conscient de ses devoirs »245. Dans la plupart des cas, le FIPOL a pu régler les sinistres à l’amiable dans des délais raisonnables246. Un règlement extra-judiciaire est le plus souvent intervenu dans un délai inférieur à 2 ans, sans que les victimes n’aient à supporter des frais de procédure s’imputant sur les sommes effectivement reçues247.
143700. Ainsi, au cours des 20 dernières années, sur quelques 100 sinistres survenus aux 25 États-membres, 93 d’entre eux dont ceux du Tanio, de l’Amazone, et du Haven ont été indemnisés à l’amiable248. Il s’ensuit que le FIPOL n’a pas été très souvent assigné devant les tribunaux par des victimes insatisfaites par ses prestations. Sur une centaine de sinistres traités, seuls sept ont donné lieu à l’introduction d’actions en justice249. Toutefois, ces actions judiciaires se sont le plus souvent réduites à un simple contrôle judiciaire des décisions du FIPOL par les juridictions des demandeurs. Dans le cadre du Braer, le FIPOL a été victorieux dans toutes les procédures. Et il est intéressant de noter que dans certaines hypothèses, les tribunaux écossais se sont montrés encore plus restrictifs dans leur raisonnement que ne l’avait été le FIPOL250. Plus récemment, dans le cadre de l’affaire de l’Erika, le Tribunal compétent a aussi enregistré les désistements de victimes à poursuivre le règlement de leur litige devant les tribunaux. Ainsi, la ville de Saint-Nazaire a préféré transiger avec le FIPOL à hauteur de 152 240 euros. De même, la communauté des communes de Belle-Ile en mer a obtenu 800 000 euros d’indemnités après avoir conclu un accord amiable avec le FIPOL251.
144701. Bien que les modes alternatifs de règlements des conflits se situent en dehors de toute procédure judiciaire, ils n’en restent pas moins des moyens juridiques de règlements des conflits. Il incombe, pensons-nous, aux juristes de faciliter le recours à ces modes alternatifs, et non de les stériliser au risque de sombrer dans une juridicisation excessive252. C’est assurément une opinion qu’aurait approuvée Carbonnier, lui qui considérait que l’accord constituait une forme positive de règlement des litiges pour ne pas se perdre dans les « sables de la résignation »253. Cette métaphore marine, dont on peut douter qu’elle ait été choisie pour vanter les mérites du système transactionnel FIPOL, rend compte de l’intérêt de la méthode. Elle ne saurait toutefois faire oublier que cet intérêt est placé sous influence, car supposant acceptation tacite des conditions de la régulation.
B. Un intérêt « sous influence » : les conditions de la régulation
145702. Alors même que la procédure d’indemnisation mise en place par le FIPOL au travers de la technique de la transaction se caractérise par sa souplesse et son efficacité, elle n’en reste pas moins exigeante254, car les victimes sont tenues d’accepter les conditions dans lesquelles elle s’opère. En effet, l’intérêt qui s’attache au système transactionnel FIPOL suppose que la victime accepte au moins tacitement tant la notion de dommages réparables que les critères de recevabilité (1) mais encore qu’elle se plie à certaines exigences probatoires et procédurales (2) telles que précisées par le FIPOL à travers son manuel des demandes d’indemnisation.
1. La tacite acceptation de la notion de dommage réparable et des critères de recevabilité fixés par les Fonds
146703. Si le FIPOL peut être présenté comme un précieux organe de régulation du contentieux pour les victimes soucieuses d’obtenir une juste réparation, c’est à la condition expresse qu’elles adhérent à sa « philosophie de la réparation ». Car, il convient de l’admettre, le FIPOL est a priori laissé « seul juge » des dommages et des modalités de l’indemnisation. Néanmoins, force est d’admettre que sa marge de manœuvre est nécessairement réduite. Le FIPOL ne peut verser d’indemnités qu’à l’égard des demandes qui concernent des dommages éligibles au titre des conventions internationales pertinentes255. La Convention de 1992256 sur la responsabilité civile définit le dommage de pollution257 comme :
147704. « a) le préjudice ou le dommage causé à l’extérieur du navire par une contamination survenue à la suite d’une fuite ou de rejet d’hydrocarbures du navire où que cette fuite ou ce rejet se produise, étant entendu que les indemnités versées au titre de l’altération de l’environnement autre que le manque à gagner dû à cette altération seront limitées au coût des mesures raisonnables de remise en état qui ont été effectivement prises ou qui le seront, le coût des mesures de sauvegarde et les autres préjudices ou dommages causés par ces mesures ».
148705. La définition du dommage de pollution retenue par la Convention de 1992 est le fruit de longs débats reflétant le caractère ambigu de la notion. Dès lors, on s’expliquera que l’effort du législateur international se soit porté non pas tant sur la délimitation de ladite définition, mais sur son éclaircissement. De l’aveu même de l’Administrateur du FIPOL, toute démarche tendant à préciser cette notion ne pouvait que contribuer à améliorer le fonctionnement du Fonds258. Une définition synthétique259, à l’instar de celle qui a été finalement choisie et qui privilégie l’utilisation de termes généraux, confère, de fait, aux tribunaux, une liberté d’action plus grande. L’utilisation de certains adjectifs et adverbes comme « raisonnable », « effectivement », « direct » lui confère la qualité de principes directeurs. En ce sens, on peut affirmer que cette définition agit comme un filtre à l’égard des demandes spéculatives260.
149706. Pour le reste, force est de constater que la Convention CLC dans sa version de 1992 retient une définition du dommage de pollution sensiblement identique à l’originelle. Sans doute faut-il y voir le signe d’une adéquation aux besoins exprimés. Cette observation se vérifie surtout s’agissant du règlement des demandes d’indemnisation traditionnelles, c’est à dire sur celles déposées au titre d’une atteinte à la propriété ou de pertes économiques. Toutefois, le Protocole de 1992 à la Convention n’en reste pas moins innovant, en ce qu’il contient une clause destinée à préciser les conditions de l’indemnisation en cas d’atteinte portée au milieu marin. En spécifiant que « les indemnités versées au titre de l’altération de l’environnement autres que le manque à gagner dû à cette altération seront limitées au coût des mesures raisonnables de remise en état qui ont été effectivement prises ou qui le seront », le législateur souhaite manifestement mettre un terme à toute velléité de demandes spéculatives261. Sans que de plus amples développements sur ce point soient nécessaires à ce stade, force est d’admettre que l’objectif de gestion de la réparation du dommage écologique n’est que très partiellement atteint. Peut-être faut-il y voir le souci de ne pas figer dans un texte une notion en pleine mutation dans divers systèmes nationaux262.
150707. La Convention CLC ne concerne que les déversements d’« hydrocarbures minéraux persistants, notamment le pétrole brut, le fuel-oil, l’huile de diesel lourde et l’huile de graissage, qu’ils soient transportés à bord d’un navire en tant que cargaison ou dans les soutes de ce navire »263. Les dommages causés par les navires pétroliers à l’état lège264 sont donc désormais susceptibles d’une indemnisation.
151708. La notion de dommage de pollution ne saurait être envisagée sans référence au champ d’application de la Convention. Cet élément participe de sa définition. Les dommages de pollution, pour être indemnisables au titre des conventions, doivent être survenus « sur le territoire y compris la mer territoriale d’un Etat contractant et dans la zone économique exclusive d’un Etat contractant établie conformément au droit international ou si un Etat contractant n’a pas établi cette zone, dans une zone située au-delà de la mer territoriale de cet Etat et adjacente à celle-ci, déterminée par cet Etat conformément au droit international et ne s’étendant pas au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale ».
152709. Une autre innovation de la Convention CLC de 1992 réside dans l’extension de la portée géographique de la Convention jusqu’à la Zone Economique Exclusive. Cette initiative s’explique par le souci légitime de mettre la Convention « en conformité » avec la Convention sur le droit de la mer, au terme de laquelle les États exercent leur juridiction dans la zone économique exclusive afin de préserver le milieu marin265. Ne pas tenir compte de cette évolution du droit international aurait été une régression266.
153710. On peut toutefois se demander si cette extension géographique, sous son apparente générosité n’altère pas quelque peu les conditions d’indemnisation des « victimes littorales ». En effet, plus le lieu de survenance des dommages de pollution est proche du littoral, plus les dommages sont sensibles. A l’exact opposé, plus on s’en éloigne et plus ils deviennent négligeables, car souvent appelés à être effacés par la nature. Or cette extension du champ d’application de la Convention s’est faite à moyen constant, c’est-à-dire sans revalorisation ad hoc des seuils d’indemnisation.
154711. Les mesures de sauvegarde destinées à éviter ou à réduire les dommages de pollution échappent quant à elles à toute restriction spatiale, puisqu’elles pourront être indemnisées où qu’elles soient prises267. Les extensions consenties par la Convention CLC, dans sa version de 1992, ne sauraient toutefois suffire à gommer l’impression de restriction qui entrave la liberté de manœuvre des victimes en quête d’indemnisation. Pareille illusion d’optique semble pouvoir être mise en évidence s’agissant de la nouvelle Convention SNPD. En effet, l’apparent élargissement de la définition de la notion de dommage ne doit pas faire illusion. Loin d’être motivé par une quelconque volonté du législateur de faire accéder à l’indemnisation des dommages qui en étaient exclus jusqu’alors, il traduit la nécessité de couvrir un spectre de dommages s’étendant au-delà du risque classique de pollution et comprenant celui d’incendie ou d’explosion.
155712. Dès lors, on s’expliquera que la notion de dommages puisse recouvrir : « tout décès ou toutes lésions corporelles à bord ou à l’extérieur du navire transportant les substances nocives et potentiellement dangereuses, qui sont causés par ces substances toute perte de biens ou tout dommage subi par des biens à l’extérieur du navire transportant les substances nocives et potentiellement dangereuses, qui sont causés par ces substances, toute perte ou tout dommage par contamination de l’environnement causés par les substances nocives et potentiellement dangereuses, pourvu que les indemnités versées au titre de l’altération de l’environnement, autres que pour le manque à gagner dû à cette altération, soient limitées au coût des mesures raisonnables de remise en état qui ont été effectivement prises ou qui le seront ; et le coût des mesures de sauvegarde et de toute perte ou tout dommage causés par ces mesures »268.
156713. Une fois encore, le fonds ne peut outrepasser la mission qui lui est confiée. Sa gestion des dommages ne peut s’exercer que dans un cadre prédéfini, celui fixé par le législateur international. Toutefois, l’apparente simplicité de cette définition du dommage ne saurait faire oublier toutes les difficultés qui se sont attachées à la détermination du contenu de la notion de substances nocives et potentiellement dangereuses.
157714. La résolution de cette épineuse question a rythmé les travaux préparatoires de la Convention. Le fait générateur dans la Convention SNPD, c’est-à-dire l’élément qui suffit à déclencher le dispositif d’indemnisation, est l’implication d’une Substance Nocive et Potentiellement Dangereuse dans la production du dommage. Or, force est de constater que la chose dangereuse se laisse mal appréhender par le droit. Toute chose même la plus inoffensive en apparence peut devenir dangereuse, c’est-à-dire engendrer des risques de dommages à la faveur de certaines circonstances. Une substance réputée d’une innocuité parfaite peut devenir dangereuse par simple accumulation. On pourrait donc être enclin à considérer que, dans des conditions normales, la chose dangereuse doit être porteuse d’une propension spécifique à la production de risques. Mais cela suffit-il ? La nocivité d’une substance pour l’environnement, comme pour la santé, ne s’apprécie que par rapport au milieu où elle est introduite : la notion est relative. Définir une substance dangereuse s’avère une tâche redoutable. Indépendamment de ses caractéristiques propres, de sa teneur en composants toxiques, de la forme du risque qu’elle représente, une substance peut devenir dangereuse pour des raisons de lieu et de temps. Le coton peut s’enflammer, les tourteaux de colza exploser.
158715. Dans un souci de simplification, la chose dangereuse peut être définie comme celle qui « par sa nature ou dans des conditions particulières peut générer un dommage ». Toutefois, cette définition, au demeurant simple, pêche par imprécision et ne rend pas compte des divers scenarii imaginables. Elle révèle l’étroitesse de la notion dans une optique de réparation des dommages.
159716. Bien que résistant à tout effort de qualification juridique, la notion de chose dangereuse est, de façon plus ou moins diffuse à la base du concept d’obligation de sécurité. Sa seule présence suffit à faire peser sur le transporteur une obligation de diligence aggravée. Le caractère dangereux des choses pris en compte par le droit varie selon le but qu’il veut atteindre. Le GESAMP, groupe mixte d’experts chargés d’étudier les aspects scientifiques de la pollution des mers, utilise l’expression de « cargaisons potentiellement dangereuses », la Convention Marpol celle de substances nuisibles, la Convention SNPD enfin celle de Substances Nocives et Potentiellement Dangereuses.
160717. Cette dernière, à la différence des précédentes, ne se risque pas à donner une définition « générique » du concept. L’article 1.5 de la Convention SNPD renvoie, en effet, à une liste de produits visés par la Convention Marpol 73/78 (hydrocarbures et substances liquides transportées en vrac), le Code IMDG (Code maritime international des marchandises dangereuses), le recueil IBC (produits chimiques dangereux en vrac), le Recueil IGC (gaz liquéfié en vrac)269. « Ces Codes sont des textes d’ingénieurs plus que de juristes »270. La présence d’une substance271 dans l’une de ces listes fait présumer de son caractère dangereux et conditionne l’application du régime spécifique. Ce système de liste fréquemment utilisé dans les Conventions internationales en dépit de son extrême technicité, permet une procédure de révision constante grâce à la présence d’annexes.
161718. En définitive, cette dictature exercée par des listes familières aux opérateurs maritimes constitue un pis-aller indispensable. Leur apparente simplicité masque, dans les faits, un ensemble insolite digne d’un « inventaire à la Prévert ». Dans la liste des SNPD, on trouve des matières indiscutablement dangereuses, comme le TNT, mais aussi des balles de ping-pong, des parfums ou de la farine de poisson. A côté de cela des substances certainement plus dangereuses comme le charbon272 en sont exclues. Toutefois, même ainsi encadrés dans leurs initiatives par le carcan que constitue la définition du dommage, les fonds n’en continuent pas moins de disposer d’une certaine « latitude »273, d’une certaine discrétion dans l’appréciation du dommage réparable.
162719. L’une des principales raisons à cela tient au fait que les Conventions sont avares en commentaires, s’agissant des méthodes à employer pour examiner les demandes d’indemnisation. D’aucuns274 d’y voir rétrospectivement une chance ; cette absence de précision aura permis aux gouvernements des États membres d’élaborer progressivement, par le biais des organes directeurs des organisations275, le régime international à la lumière de l’expérience acquise à la suite des graves déversements d’hydrocarbures. Cette observation vaut tant pour les questions de fond que de procédure. Les Assemblées des Fonds de 1971 et de 1992 ont reconnu d’emblée l’importance qu’il y avait, d’une part, à garantir une interprétation uniforme de la définition des dommages par pollution, d’autre part, à veiller à la cohérence des décisions relatives à la recevabilité des demandes, et cela, quel que soit le régime juridique des États membres où serait survenu le dommage.
163720. Il n’en demeure pas moins que, parallèlement, on a estimé que les critères de recevabilité devraient être appréciés de façon souple ; l’objectif recherché à terme étant de faciliter l’intégration de situations inédites ou de nouveaux dommages. Les critères actuellement en vigueur sont, en définitive, le fruit d’une politique élaborée au fil des décisions prises sur d’importantes questions de principe, soit par le Comité exécutif, soit par des groupes de travail.
164721. Le premier groupe de travail a été créé en 1980276, par l’Assemblée du fonds de 1971 afin d’examiner les grandes lignes de la position du fonds de 1971 à l’égard de la recevabilité des demandes d’indemnisation. Les efforts se sont particulièrement portés sur la rapidité des indemnisations. Cela a abouti à la publication du premier manuel des demandes d’indemnisation du fonds de 1971, depuis lors régulièrement remis à jour. Ce document fournit aux victimes des conseils relatifs à la présentation de leurs demandes d’indemnisation. Il les informe des renseignements à fournir à l’appui des différents types de demandes d’indemnisation sans toutefois rentrer « dans le détail des questions juridiques » susceptibles de se poser. Toutefois on ne saurait y trouver « un exposé exhaustif des obligations du fonds de 1992 en matière de réparation ». Car, ainsi qu’il est précisé, « le présent manuel ne doit pas être considéré comme une interprétation de la Convention de 1992 sur la responsabilité civile ou de la Convention de 1992 portant création du Fonds. Les indications qu’il donne ne préjugent pas de la position du fonds quant aux demandes individuelles ».
165722. A l’évidence, ce manuel ne saurait se prévaloir d’une quelconque force juridique obligatoire. En conséquence, à l’égard des victimes, il ne saurait valoir promesse de réparer. Dès lors, quelle force contraignante convient-il de reconnaître aux critères de recevabilité des demandes d’indemnisation énoncés, pour ne pas dire imposés, en apparence du moins, par le FIPOL aux victimes par le biais de ce manuel ? La question mérite-t-elle seulement d’être posée s’agissant des victimes ? Du moment où elles consentent à une transaction avec le FIPOL, elles n’ont d’autre alternative que d’en accepter les conditions. Cette même question devient nettement plus pertinente lorsque le tribunal d’un État partie est saisi par une victime d’un différend qui l’oppose au FIPOL. Ainsi la Cour d’appel de Rennes a-t-elle considéré que « les critères d’indemnisation de caractère interne et propre au FIPOL, tels qu’ils s’expriment notamment dans le Manuel sur les demandes d’indemnisation publié par cette institution, n’avaient aucun caractère obligatoire pour les tribunaux des États parties ; ces derniers demeurant totalement compétents pour interpréter et apprécier la notion juridique de dommages par pollution au sens des conventions de 1992 »277.
166723. On soulignera toutefois que les juridictions des États membres, alors même qu’elles ne se considèreraient pas liées par ces critères ont naturellement tendance à les reprendre à leur compte. De ce fait on peut se demander si elles n’apportent pas leur concours au développement d’un droit uniforme. Quoi qu’elles puissent, dans une acception large être rangées au rang des critères de recevabilité des demandes d’indemnisation par le FIPOL, les exigences probatoires et procédurales tacitement acceptées par les victimes désireuses d’obtenir une indemnisation par cette voie, doivent faire l’objet de développements particuliers.
2. La tacite acceptation des exigences procédurales et probatoires
167724. « Le Fonds a pour fonction d’indemniser les victimes de dommages par pollution. Il s’efforce de régler les demandes à l’amiable pour que les demandeurs reçoivent leurs indemnités aussi vite que possible »278. Néanmoins, cette possibilité pour les victimes de recevoir une indemnisation par le canal du fonds reste subordonnée au respect de certaines exigences tant procédurales (a) que probatoires (b).
a) Les exigences procédurales
168725. Toute personne qui a subi un dommage par pollution dans un État membre du Fonds de 1992 peut déposer une demande en indemnisation auprès du FIPOL. Il peut s’agir d’une personne de droit privé, association, société, ou simple particulier, voire d’une personne de droit public, État, région, département, commune. Lorsque plusieurs personnes ont subi des dommages similaires, elles peuvent juger opportun de regrouper leurs demandes dans le cadre d’une « Class action »279. Cette façon de procéder est incontestablement de nature à faciliter le traitement des demandes par le secrétariat du Fonds de 1992. Les demandes d’indemnisation relevant de la Convention de 1992 sur la responsabilité civile doivent être formées en premier lieu contre le propriétaire du navire responsable du dommage, ou directement contre son assureur. L’assureur est en général l’une des mutuelles de protection et d’indemnisation qui assure la responsabilité civile des propriétaires de navires.
169726. Pour obtenir réparation en vertu de la Convention de 1992 portant création du Fonds, les demandeurs doivent envoyer leurs demandes directement au Fonds de 1992. Cela suppose a priori que la garantie apportée par le propriétaire ait été insuffisante. Le Fonds de 1992 collabore, en pratique, étroitement avec les Clubs P&I pour le règlement des demandes. Le Club P&I concerné et le Fonds de1992 procèdent en général ensemble à une enquête sur l’événement, puis à une évaluation du dommage. Toutes les pièces justificatives nécessaires doivent être soumises soit au propriétaire du navire et à son club P&I, soit au Fonds de 1992.
170727. Si ces pièces sont adressées au propriétaire du navire et à son club P&I, le Fonds de 1992 doit être directement avisé de toute demande formée contre lui en vertu de la Convention de 1992 portant création du fonds. Lorsqu’un événement donne lieu à un grand nombre de demandes d’indemnisation, le Fonds de 1992 et le Club P&I du propriétaire peuvent décider d’ouvrir conjointement un bureau local d’indemnisation sur le site affecté par la pollution afin de faciliter le traitement des demandes d’indemnisation. Ce bureau est chargé de centraliser toutes les demandes d’indemnisation puis de les transmettre au Fonds de 1992 et au Club P&I qui ont seuls compétence pour statuer.
171728. Les demandeurs sont encouragés à présenter leur demande au plus vite. Pour le cas où il leur faudrait du temps pour présenter une demande d’indemnisation en bonne et due forme, il leur est recommandé d’aviser le FIPOL de leur intention prochaine de le faire. En tout état de cause, les demandeurs perdent définitivement leur droit à réparation en vertu de la Convention de 1992 portant création du fonds, faute d’intenter une action contre le fonds de 1992 dans les trois ans qui suivent la date à laquelle le dommage est survenu.
172729. Même si un dommage peut n’apparaître qu’un certain temps après l’événement, l’action judiciaire doit, en toute hypothèse, être intentée dans un délai de six ans à compter de la date de l’événement. Cette règle s’applique aussi à toute action qui serait exercée par le propriétaire de navire et son assureur en vertu de la Convention de 1992 sur la responsabilité civile. Le Fonds recommande toutefois aux intéressés de soumettre leurs demandes au Fonds de 1992 bien avant l’expiration des délais susmentionnés. Pareille précaution devrait permettre au mieux de régler à l’amiable la demande, au pire d’engager avant l’expiration du délai de prescription une action devant un tribunal contre le FIPOL. Les demandes d’indemnisation formées contre le Fonds de 1992 sont soumises par écrit, y compris par télécopies ou courriers électroniques. Elles doivent être claires et comporter suffisamment de détails pour que le Fonds de 1992 puisse évaluer le montant du dommage sur la base des faits indiqués et des pièces fournies.
173730. Ce travail d’évaluation est confié à des experts et à des conseillers techniques dont le rôle ultime est d’apprécier le bien-fondé des demandes d’indemnisation. Nul doute que le règlement des demandes d’indemnisation est rendu plus facile lorsqu’il existe une réelle coopération entre le demandeur et l’expert qui peut être amené à le solliciter aux fins d’obtenir de plus amples renseignements280 avant de pouvoir statuer définitivement sur sa demande. Ces demandes seront d’autant plus facilement acceptées qu’elles suivent à la lettre les recommandations énoncées par le manuel d’indemnisation281.
174731. Le règlement intérieur du Fonds, adopté par les gouvernements des États membres énonce la procédure à suivre pour le règlement des indemnisations. L’Administrateur du Fonds de 1992 est habilité à procéder au règlement définitif des petites demandes. Les demandes les plus importantes sont soumises à l’appréciation du Comité exécutif282, lequel est composé de représentants des gouvernements des États membres. L’Administrateur est toutefois habilité à procéder à des paiements provisoires, notamment lorsque les victimes risquent d’être confrontées à des difficultés financières.
175732. Pour le cas où le montant total des demandes, approuvées par le Fonds de 1992 ou établies par un tribunal pour un événement donné, viendrait à dépasser le montant total de l’indemnisation disponible en vertu de la Convention de 1992 portant création du fonds, les indemnités versées peuvent, parfois seulement à titre provisoire, faire l’objet d’une réduction proportionnelle en pourcentage. Une telle disposition vise à maintenir les victimes sur un même pied d’égalité. Les exigences procédurales du FIPOL sont doublées d’exigences probatoires.
b) Les exigences probatoires
176733. Selon une règle classique, c’est aux demandeurs qu’il appartient de fournir les éléments de preuve à l’appui de leur demande. Ceux-ci doivent en premier s’attacher à rapporter la preuve de l’existence d’un préjudice et d’un lien de causalité entre le dommage et le fait générateur invoqué. Ainsi une demande insuffisamment motivée sera en toute hypothèse rejetée, et il ne semble pas qu’il en aille différemment devant les juridictions nationales283.
177734. Les demandes d’indemnisation déposées auprès du FIPOL doivent comporter suffisamment de détails pour que le Fonds de 1992 puisse évaluer le montant du dommage sur la base des faits indiqués et des pièces fournies. Le FIPOL exige que chaque rubrique de la demande soit étayée par une facture ou autres pièces justificatives, telles que des feuilles d’heures de travail, des notes explicatives, des documents comptables, des photographies. Cette exigence d’une comptabilité transparente et réglementaire ne va pas sans poser de difficultés à certaines petites et moyennes entreprises, associations, voire encore à certains bénévoles, qui ne tiendraient au mieux qu’une comptabilité approximative, au pire aucune. Parce que la centralisation des pièces financières et comptables favorise le traitement des demandes, le FIPOL recommande que soit désignée une personne dont le rôle est de prendre en charge l’intégralité des opérations financières et comptables.
178735. Le Manuel d’indemnisation se veut extrêmement précis quant aux exigences probatoires du FIPOL. Ainsi, s’agissant de l’emploi de moyens appartenant aux administrations, chaque dépense doit être justifiée par un descriptif des opérations sur le terrain et un barème détaillé des tarifs utilisés. Ces barèmes doivent notamment prendre en compte le traitement, les heures supplémentaires, le régime indemnitaire et les charges sociales payées par l’employeur. Pour les moyens en matériel, les barèmes doivent retracer les coûts en carburant, en entretien et l’amortissement dudit matériel284. De même en ce qui concerne les moyens privés, toute dépense doit être justifiée par une facture, un bon de commande. Si la centralisation des pièces financières et comptables s’inscrit dans un souci de préservation des preuves, elle n’en constitue qu’un aspect car il est tout aussi impératif de veiller en parallèle à la préservation des preuves sur le terrain. Cette initiative va servir tant à étayer la demande d’indemnisation qu’à rappeler les faits. Concrètement cette opération de conservation peut prendre la forme de constats d’experts, de photographies285.
179736. Si la gestion du contentieux environnemental peut s’analyser comme une première esquisse de gestion du « risque d’environnement » par les Fonds, du fait du recours à la technique de transaction dont nous nous sommes attachée à souligner l’intérêt : permettre une régulation extrajudiciaire du contentieux, la gestion de la réparation du dommage écologique pourrait s’analyser comme une seconde variante.
SOUS-SECTION 2. UNE ESQUISSE DE « GESTION DE LA RÉPARATION DU DOMMAGE ÉCOLOGIQUE »286
180737. Que les rédacteurs des Conventions n’aient prévu aucune disposition permettant aux États riverains de recouvrer le coût des « mesures préventives » engagées par eux pour combattre la pollution eut été étonnant. Car, premiers concernés, ils ne pouvaient s’être oubliés287. Sous l’appellation de mesures préventives ou de sauvegarde, sont regroupées aussi bien les mesures prises pour prévenir les déversements en provenance d’un navire transportant des substances dangereuses ou polluantes, que les opérations de nettoyage entreprises après les déversements et destinées à éliminer les traces de la pollution.
181738. Que les rédacteurs de ces mêmes conventions aient choisi de faire figurer au titre des dommages par pollution le coût des mesures de sauvegarde288 et autres préjudices ou dommages causés par ces mesures peut surprendre. On ne saurait, en effet, proprement qualifier de dommages les mesures qui ont pour objet de les éviter289. Cette approximation, peu usuelle dans les milieux juridiques attachés à donner aux choses une exacte qualification, mérite attention. Au-delà d’un simple arrangement, il faut y voir la volonté très ferme du législateur d’encourager toute initiative290 visant à sauvegarder l’environnement291, car quiconque œuvrera en ce sens pourra voir ses efforts récompensés. Le caractère incitatif de l’instrument est doublement renforcé. Il est en effet précisé que les frais de lutte confèrent à celui qui les engage, fut-il à l’origine du dommage comme le propriétaire du navire, des droits équivalents à ceux des autres créanciers, et cela même s’il a commis une faute. Pareille bienveillance doit beaucoup à la présence des fonds d’indemnisation. Seules ces structures acceptent, en définitive, de renoncer à se prévaloir d’une négligence contributive de la victime pour s’opposer au remboursement de ce type de dommage. Seules, elles encore, accordent des facilités de paiement, aux fins d’encourager toute initiative en vue de la protection de l’environnement au sens large292. Enfin, sur un plan plus opérationnel, seules, elles encore, peuvent, à la demande d’un État, mettre à disposition ses services pour l’aider à réunir rapidement du personnel et du matériel nécessaires à la prévention ou à la limitation d’un dommage par pollution.
182739. Toutefois cette ostensible bienveillance des fonds à l’égard des mesures de sauvegarde ne saurait suffire à créer l’illusion d’une générosité sans bornes. On s’expliquera dès lors que le FIPOL s’efforce de fixer au fil de sa pratique les conditions dans lesquelles il entend gérer des pollutions majeures. En l’absence de précisions des conventions293, le FIPOL s’attache plus particulièrement à définir les conditions d’une indemnisation au titre des mesures de sauvegarde (§1), ainsi que certains paramètres en vue de l’évaluation desdites mesures (§ 2).
§ 1. Les conditions d’une indemnisation au titre des mesures de sauvegarde
183740. Tout en posant le principe d’un droit au remboursement des frais engagés au titre des mesures de sauvegarde, le législateur s’est gardé de préciser le régime de réparation y afférent. Tout au plus indique-t-il que lesdites mesures feront l’objet d’une indemnisation où qu’elles aient été prises294. Sans doute aura-t-il pensé que pareilles précisions n’avaient pas lieu d’être. Pourtant force est de constater que la pratique et l’expérience lui auront donné tort. Dès lors, face à cette vacuité législative, l’interprète condamné à s’appuyer sur l’expérience secrétée au fil des contentieux par les fonds, s’attachera à délimiter et à apprécier ce qui constitue un cadre possible de la sauvegarde de l’environnement. Ce cadre paraît utilement pouvoir s’envisager à l’aune, d’une part, des conditions relatives à l’intervention elle-même (A), d’autre part de celles relatives à la personne de l’intervenant (B). Dans une hypothèse comme dans l’autre, de leur largesse ou de leur rigidité, pourrait dépendre l’effectivité de la protection de l’environnement marin, car pareil paramètre est indubitablement de nature à conditionner l’initiative.
A. Les conditions relatives à l’intervention elle-même
184741. De l’intervention indemnisable, il est possible de retenir une conception étroite car privilégiant une stricte approche téléonomique295, c’est-à-dire la recherche exclusive d’une finalité (1), mais aussi extensive car caractérisée par une démarche « assimilatrice »(2). Moins qu’un paradoxe, il faut voir, dans cette conception duale, le souci du Fonds de garder la mainmise sur la nature de l’intervention indemnisable.
1. La conception étroite de l’intervention indemnisable : l’approche téléonomique
185742. Le souci de ne pas être redevable à tout va, conduit le FIPOL à retenir une conception étroite de l’intervention indemnisable. Refusant d’endosser la fonction de mécène, pour résolument inscrire son action dans celle d’un gestionnaire, il n’entend accorder son concours qu’aux seules mesures motivées par le souci de prévenir ou minimiser le dommage de pollution.
186743. Dès lors, la recevabilité de la demande d’indemnisation ne peut s’apprécier qu’à l’aune du but poursuivi par l’intervention, le FIPOL veillant à rechercher avec une extrême précision ce qui a véritablement motivé l’intervention. Cette approche téléonomique prend toute sa dimension à travers l’examen de la jurisprudence du FIPOL (a). Elle se heurte toutefois à quelques difficultés lorsque certaines initiatives, comme les mesures d’assistance, poursuivent un double objectif à savoir la sauvegarde de la propriété et, accessoirement, la préservation de l’environnement marin. Cette question en raison des enjeux qu’elle soulève, mérite que nous lui réservions un traitement particulier (b)
a) L’approche téléonomique : le cadre classique
187744. Le FIPOL ne consent à indemniser que les interventions motivées par le souci d’éviter ou de réduire les dommages de pollution. Le Fonds SNPD prend en charge le coût des mesures raisonnables prises pour prévenir ou minimiser les dommages susceptibles d’être engendrés par des événements impliquant ces substances296. Puisque les dommages couverts par cette convention ne se limitent pas aux seuls dommages de pollution, mais s’étendent à ceux provoqués par une explosion ou un incendie, on peut penser que l’évacuation de populations résidant à proximité de zones portuaires en cas de danger imminent pourrait être une dépense indemnisable au titre des mesures préventives.
188745. En revanche, toute initiative qui aurait pour finalité de prévenir d’autres formes de dommages que celles sus-énoncées, ne saurait conférer à celui qui les prendrait un droit de créance sur le FIPOL. Toutefois, en dépit d’une jurisprudence intangible, il n’est pas rare que certains demandeurs, impressionnés par les sommes faramineuses que représentent les coûts des mesures de sauvegarde, tentent de faire admettre l’existence d’un droit à remboursement.
189746. Peu enclin à se laisser dicter une opinion, le FIPOL seul fonds opérationnel pour le moment n’hésite pas alors à diligenter une enquête propre à démontrer le contraire. Deux espèces illustrent particulièrement bien l’acuité dont fait preuve le FIPOL à cette occasion. La première concerne un pétrolier japonais, le Kasuga Maru n° 1. Ce navire sombra à 270 mètres de fonds le 10 décembre 1988 au large des côtes japonaises. Tandis que ses cuves se vidaient, l’Agence maritime japonaise commanda une étude aux fins de savoir ce qu’il convenait de faire pour que le pétrole ne remontât pas à la surface pour éviter toute souillure de la côte. Toutefois aucune des solutions suggérées par les rédacteurs de cette étude ne fut retenue du fait de la profondeur de l’épave. Par la suite, ce même organisme suggéra une inspection sous-marine de la coque au moyen d’un robot. L’opération fut menée, et une demande de remboursement au titre des mesures de sauvegarde fut déposée devant le FIPOL. La demande fut jugée irrecevable, au motif que cette inspection n’était aucunement motivée par le souci de prévenir de futures fuites, mais par le seul souci de renseigner les pêcheurs quant à la localisation de la pollution297.
190747. Cette pratique d’analyse méticuleuse de la motivation de l’entrepreneur des mesures de sauvegarde se vérifie dans une autre espèce298. En 1992, pour éviter tout risque de paralysie du transport en raison de la grève entamée par l’équipage d’un navire, décision avait été prise d’affréter un autre navire afin de transvaser la cargaison. Avant même que le navire appelé à la rescousse n’arrivât sur zone, on constata que le navire qui transportait la cargaison à transvaser, probablement victime d’une avarie fuyait rendant plus que jamais nécessaire l’opération projetée. Parce que cette opération devait finalement éviter tout risque de paralysie du trafic mais encore tout risque de pollution, les affréteurs décidèrent de demander le remboursement des frais engagés au propriétaire de navire au titre des mesures de sauvegarde. Une fin de non recevoir leur fut opposée299, car à l’évidence animés par des considérations purement commerciales, les affréteurs n’étaient pas conscients au moment d’affréter le navire de substitution que l’intervention de ce dernier allait aussi leur permettre de prévenir un risque de pollution. Si les circonstances du transvasement sont ici clairement établies, dans d’autres hypothèses, elles pourraient se révéler plus difficiles à appréhender. Ainsi, on peut imaginer que le pompage de la cargaison d’un navire endommagé soit à la fois motivé par le souci de minimiser le risque de déversement dans le milieu marin et de conserver le navire et sa cargaison. Il est des hypothèses où l’emploi de l’approche téléonomique pour dissocier les mesures de sauvegarde de celles qui ne le sont pas est plus délicat, ainsi en est-il de l’assistance.
b) L’approche téléonomique : le cadre particulier de l’assistance
191748. Ainsi que le rappelle le Rapport de Lord Donaldson rédigé après le naufrage du Braer, le sauvetage du navire et de sa cargaison peut dans une certaine mesure, contribuer à la prévention de la pollution, même si là n’est pas l’objectif essentiel300. Mais motivations environnementales et motivations financières ne sauraient se confondre. Quand bien même ces initiatives aboutiraient à un même résultat sur le plan pratique, elles ne sauraient recevoir une qualification juridique identique. Dès lors les entités appelées à en supporter la charge diffèrent-elles aussi. S’agit-il de protéger la propriété privée, c’est-à-dire le navire et sa cargaison, et les initiatives seront qualifiées de mesures de sauvetage, et, comme telles prises en charge par l’assureur corps du navire dans le cadre de la convention sur l’assistance de 1989 ; s’agit-il de préserver l’environnement et les mesures alors qualifiées de sauvegarde seront supportées par l’assureur de responsabilité du propriétaire du navire et le FIPOL dans le cadre des Conventions pétrolières.
192749. A défaut de précision de ces dernières, l’interprétation donnée par le Comité exécutif du FIPOL revêt valeur de principe. Cette volonté de dissocier deux valeurs, la propriété privée, et l’environnement confère à la seconde, souvent ignorée valeur de reconnaissance. Mais parce que l’opérationnel, surtout lorsqu’il est dicté par l’urgence, se montre rétif à un découpage sur l’instant, il n’est pas rare que des considérations financières conduisent par la suite, à disséquer l’événement, pour que chacun supporte la part qui lui incombe.
193750. Cette répartition de principe, opérée par le FIPOL sur des bases logiques, a conduit les propriétaires de navires à engager une réflexion quant au statut qu’il convenait d’accorder à la préservation de l’environnement, dans le cadre de la Convention d’assistance. Pendant longtemps, le contrat d’assistance s’est organisé autour d’un seul objet, à savoir la préservation de la propriété exposée au péril de mer. Seule cette considération déterminait la compensation due à l’assistant engagé par le propriétaire de navire. Toutefois, l’apparition des premières marées noires a très vite mis en évidence que les opérations d’assistance diligentées par le propriétaire pouvaient également se révéler déterminantes pour la protection de l’environnement.
194751. Cet état des lieux a conduit à une double prise de conscience : celle d’abord des États côtiers, lesquels sollicitèrent des réformes en matière de droit et de pratique de l’assistance aux fins de prendre en compte l’intérêt général de prévenir la pollution ; celle ensuite de l’« industrie de l’assistance », qui revendiqua le droit d’obtenir une rémunération au titre de la préservation d’une nouvelle valeur : l’environnement. Très pratiquement, cela se traduisit par une réforme du contrat-type d’assistance, le Lloyd’s open form301. Ce dernier consent désormais à récompenser l’assistant pour ses actions menées en faveur de la sauvegarde de l’environnement. Si le principe d’une rémunération au titre de la sauvegarde de l’environnement paraît désormais acquis, des enjeux considérables continuent de s’attacher à la détermination du débiteur. La possibilité de poursuivre un double objectif étant admise, il convient alors d’identifier celui qui a dominé.
195752. Seule l’étude de la jurisprudence permet de rendre compte des difficultés s’attachant à cette entreprise. Seule elle encore permet de dégager des critères d’interprétation. Le 21 mars 1985, un pétrolier grec, le Patmos302, transportant 83 689 tonnes de pétrole brut, entra en collision avec un autre tanker dans le détroit de Messine. Un incendie s’en suivit, causant le décès de trois membres de l’équipage. Les survivants durent abandonner le navire. Des vents et courants violents le firent échouer sur une plage sicilienne, mais il put être remis à flot par un remorqueur qui le conduisit jusqu’au port de Messine. La cargaison restante fut déchargée, alors que quelques 700 tonnes d’hydrocarbures s’étaient déjà échappées. Le propriétaire déposa au FIPOL deux demandes d’indemnisation au titre des mesures de sauvegarde. Elles furent rejetées au motif qu’elles ne rentraient pas dans la catégorie des mesures d’assistance. Cette première analyse fut confirmée par le Tribunal de Messine. Cette juridiction rappela que les opérations entreprises avaient pour objectif de sauver le navire et sa cargaison, la prévention de la pollution devant être considérée comme un objectif accessoire. Sur ce fondement, quatre demandes sur sept furent rejetées au terme d’une transaction conclue, entre autres, entre le propriétaire de la cargaison et le FIPOL.
196753. Une autre espèce permet également d’apprécier la politique du FIPOL à l’égard de ce contentieux particulier. En octobre 1990, le Rio Orinoco, chargé d’asphalte chauffé303 et de fuel lourd connut une panne de moteur. Il finit par s’échouer sur une île du Saint-Laurent, déversant plus de la moitié de sa cargaison. L’asphalte, aidé en cela par les conditions climatiques, se solidifia. Un contrat d’assistance fut dans un premier temps conclu, mais très vite annulé, car le navire s’était entre temps encastré dans des rochers. Le personnel de l’assistant engagé par le propriétaire du navire resta sur site pour tenter en vain de dégager le navire, ce qui conduisit les assureurs à prononcer la perte totale du navire. Toutefois, de l’avis des garde-côtes canadiens, l’épave constituait encore une menace de pollution du fait de la présence de combustibles de soute qu’il devenait impératif de pomper. Tandis que le propriétaire engageait du personnel à cette fin, le gouvernement canadien demandait à une équipe de mettre à flot le navire à l’aide de barges. Les opérations ayant échoué une première fois, une personne fut chargée de surveiller le navire pendant les mois d’hiver en attendant d’autres tentatives. Puis, sur la base du principe no cure no pay304, les garde-côtes engagèrent un contractant pour vider une partie de la cargaison d’asphalte de façon à faciliter la remise à flot du navire et sa mise en lieu sûr. L’opération fut couronnée de succès puisque le navire put être remorqué et la cargaison restante vendue aux enchères. Malgré cela, le Fonds 1971 admit que l’objectif principal de ces opérations avait été de prévenir et de minimiser le dommage de pollution. Aussi les frais exposés par le gouvernement canadien et le propriétaire pouvaient faire l’objet d’une indemnisation au titre des mesures de sauvegarde305 au sens des conventions CLC et FIPOL.
197754. Nul doute qu’en faisant preuve de souplesse dans l’interprétation des faits, le FIPOL crée un climat de confiance propre à encourager les initiatives en faveur de la protection de l’environnement. Cette volonté de trancher les litiges au plus juste est parfaitement illustrée par l’affaire du Porfield. A la suite du naufrage de ce navire britannique au large des côtes écossaises en novembre 1990, son propriétaire, pour obtenir une indemnisation du FIPOL, avait maintenu que l’objectif principal des opérations entreprises par lui était de prévenir la pollution par les hydrocarbures306. Le motif avancé avait paru discutable au FIPOL. Toutefois, le fonds international s’était montré sensible aux arguments avancés par le propriétaire du navire. Selon le FIPOL, si les opérations avaient été entreprises exclusivement aux fins de sauvetage du navire, elles auraient été achevées en quelques heures et le coût des opérations aurait été moindre. Aussi l’organisation inter-gouvernementale a-t-elle consenti à procéder à une répartition des frais, à raison de deux tiers pour les mesures de sauvegarde et d’un tiers pour les mesures de sauvetage. A titre de principe, on doit retenir que lorsque l’opération aura une double finalité, il faudra alors déterminer la part de chacune aux termes d’une expertise ou d’un arbitrage en cas de désaccord307. Cette volonté affichée de ne prendre à sa charge que les mesures engagées en vue de la protection de l’environnement traduit incontestablement une certaine suspicion du FIPOL à l’égard d’autres mesures ne faisant que s’y apparenter. Il n’en reste pas moins que le FIPOL accepte aussi au terme d’une démarche assimilatrice, de consacrer une conception extensive de l’intervention indemnisable.
2. La conception extensive de l’intervention indemnisable : la démarche « assimilatrice »
198755. Nous l’avons vu, l’intervention indemnisable s’inscrit dans un cadre précis que nous nous sommes efforcée de circonscrire. Toutefois, la rigidité ne saurait être totalement de mise lorsqu’on souhaite favoriser les initiatives en faveur de la sauvegarde de l’environnement marin. Dès lors, des aménagements doivent être consentis. C’est en ce sens que doivent être comprises certaines initiatives du FIPOL, et, notamment, celles tendant à permettre la réparation des dommages causés par les mesures préventives au titre des mesures de sauvegarde (a), mais encore celles plus récentes tendant à assimiler les mesures prises en vue d’éviter un déversement aux mesures de sauvegarde (b).
a) L’assimilation des dommages causés par les mesures préventives aux dommages de pollution
199756. S’il convient ici d’évoquer une démarche assimilatrice, c’est parce que le dommage causé par les mesures préventives n’est pas nécessairement de ceux que l’on peut classer au rang des dommages par contamination. Certes, la plupart du temps, de telles pertes ou dommages se traduisent par des contaminations, de barrages, vêtements, ou autres équipements utilisés dans le cadre des mesures de sauvegarde. Toutefois la formulation large retenue par les Conventions pétrolières et SNPD n’en fait nullement une condition nécessaire puisque ces dernières précisent que le dommage de pollution comprend non seulement le coût des mesures de sauvegarde mais aussi toute perte ou tout dommage causé par de telles mesures308.
200757. Ce souci de largesse propre à encourager toute initiative en faveur de la sauvegarde de l’environnement trouve aussi à s’exprimer dans l’absence de restriction qui entoure l’indemnisation desdits dommages ; ceux-ci pouvant être écologiques, économiques voire aussi physiques. Ainsi, à l’occasion du sinistre du Tanio, le Fonds de 1971 a accueilli des demandes au titre des coûts de réfection des routes endommagées par des engins de dépollution. Toutefois, cette volonté d’encourager les initiatives ne saurait faire abstraction de la nécessité d’un lien de causalité suffisant. On s’expliquera dès lors qu’à l’occasion du sinistre du Sea Empress, le FIPOL 1971 ait choisi de rejeter une demande d’indemnisation pour des dommages subis par une voiture à la suite d’un accident de la circulation dont l’automobiliste attribuait la cause à la présence d’un film de pétrole, accumulé en raison du passage répété de véhicule de dépollution vers une zone d’entreposage309. En revanche il a pu accepter au titre des dommages causés par les mesures de sauvegarde d’indemniser le propriétaire d’un garage parce que l’accès à son établissement avait été perturbé en raison de l’instauration d’un périmètre de sécurité destiné à faciliter le bon déroulement des opérations de dépollution. En l’occurrence, le dommage était économique310.
201758. Le dommage peut aussi, nous l’avons dit, être physique. Ainsi certaines mesures visant à sauvegarder l’environnement peuvent avoir des conséquences aussi néfastes que la pollution elle-même, tel l’emploi de dispersants chimiques dont l’effet sur le milieu n’est pas toujours apprécié à sa juste valeur. On ne peut pas non plus exclure le risque de dommages physiques aux personnes lors des opérations de lutte. Bien que peu répandu, ce contentieux existe. Le contact avec les hydrocarbures a été à l’origine d’eczéma, et le FIPOL a pris en charge le traitement médical du personnel qui avait été impliqué dans les opérations de nettoyage311. Ce contentieux pourrait toutefois être plus sévère dans le cadre d’événements impliquant des SNPD312.
202759. L’assimilation des dommages causés par les mesures préventives aux dommages de pollution paraît pouvoir se recommander de la logique. Cette disposition n’a d’ailleurs pas fait l’objet de discussion. En revanche, il en est d’autres, également destinées à sauvegarder l’environnement, et peut-être oserait-on dire de façon plus radicale, qui pendant longtemps n’ont pas bénéficié d’un accueil aussi favorable. Aussi le législateur a-t-il fini par consentir à assimiler les mesures prises en vue d’éviter un déversement aux mesures de sauvegarde.
b) L’assimilation des mesures prises en vue d’éviter un déversement aux mesures de sauvegarde
203760. Cette initiative, tendant à assimiler les mesures prises en vue d’éviter un déversement aux mesures de sauvegarde elles-mêmes, reflète cette volonté du FIPOL d’intégrer au mieux les préoccupations environnementales. Plutôt que de porter ses efforts en aval, le droit de la réparation doit agir en amont. Quand bien même tout un chacun s’accorderait pour reconnaître qu’il est préférable de prévenir que de guérir, le juriste de « facture classique » aura peine à admettre que le droit de la réparation puisse avoir quelques prétentions prophylactiques. Empruntons son raisonnement un temps, pour mieux tenter de le convaincre du contraire.
204761. Le droit de la réparation ne prend a priori corps qu’avec l’apparition d’un dommage. N’enseigne-t-on pas que pour être réparable, le préjudice doit être direct, personnel et certain ? La seule entorse à cette rigueur réside, on le sait, dans la possibilité d’indemniser un préjudice futur à condition qu’il soit certain. Or, précisément, les phénomènes de pollutions marines accidentelles rechignent à se fondre dans ce type de scenarii. Bien avisé celui qui sera capable de dire avec certitude si la menace de pollution que fait planer la présence d’un pétrolier en avarie se concrétisera. En tout état de cause, il convient, sur un pur plan opérationnel pendant qu’il en est encore temps, de mettre tout en œuvre pour que le scenario-catastrophe ne se produise pas.
205762. Toutefois, et c’est là assurément que le bât blessait, les Conventions pétrolières, dans leur version originelle, ne prévoyaient aucune indemnisation pour celui qui s’engageait dans des opérations aux fins de faire avorter la pollution. La justification à cela est somme toute aisée à comprendre. Le fait générateur, c’est-à-dire ce qui va conditionner le déclenchement du dispositif de réparation prévu par les Conventions pétrolières, est le déversement d’hydrocarbures. En l’absence dudit événement, on ne saurait a priori arguer d’un quelconque droit à réparation, car toute opération alors entreprise devrait être considérée comme une mesure de prévention générale et non comme une mesure de sauvegarde.
206763. Sans doute, l’examen de l’affaire du Tarbenbek suffirait-elle à convaincre à elle seule du caractère ubuesque de la situation. En 1979, ce pétrolier était rentré en collision avec un bâtiment de la Royal Navy au large des Côtes anglaises. Sous l’effet du choc, il avait chaviré, constituant alors une menace grave et imminente de pollution. Ayant renoncé à sauver le navire et sa cargaison au sens du principe « no cure no pay », la société d’assistance sur la demande du propriétaire du pétrolier, fut chargée, au terme d’un nouveau contrat, de mettre tout en œuvre pour au pire minimiser, au mieux éviter la pollution. Pour ce faire, décision fut prise de remorquer le navire en lieu sûr, puis de le vider de sa cargaison313. Désireux de recouvrer les sommes engagées à l’occasion de ces opérations, le propriétaire du navire qui s’était vu privé de son droit de limitation, s’adressa au FIPOL dans l’espoir de recevoir un complément au titre de cette dernière initiative. Une fin de non-recevoir lui fut opposée. En définitive, une transaction fut conclue, le second navire acceptant de prendre à sa charge une partie des dommages. En tout état de cause, cette affaire permit de mettre en évidence la totale inadéquation de la définition de l’événement. A n’en pas douter, cette dernière était de nature à dissuader les personnes de bonne volonté d’entreprendre des initiatives propres à conjurer le sort.
207764. Aussi les protocoles de 1992 n’ont-ils pas manqué de retoucher cette définition de l’événement, ce dernier étant désormais conçu comme « tout événement créant une menace grave et imminente de pollution ». L’originalité de la démarche doit être soulignée. Cette prise en compte de la menace de dommage illustre de façon très concrète la façon dont le droit de la réparation peut espérer agir en faveur de la prévention. Par-là-même, preuve est faite que le préjudice de pollution stricto sensu cesse d’être une condition de la réparation dans le cadre des Conventions pétrolières ou SNPD. Peut-il demeurer à l’avenir une condition de la responsabilité dans le contentieux des pollutions ?
208765. Mais on ne saurait espérer envisager la protection de l’environnement accomplie dans le cadre des Conventions pétrolières en se limitant à la nature de l’intervention indemnisable. La personne de l’intervenant, et plus encore les conditions de son indemnisation, importent tout autant.
B. Conditions relatives à l’auteur de l’intervention
209766. La problématique peut, ici, se formuler en ces termes : si, sur le principe, toute bonne volonté est invitée à s’exprimer pour sauvegarder l’environnement marin de toute souillure, seules certaines d’entre elles verront leurs efforts récompensés pour cela par le FIPOL, du moins lorsqu’elles n’ont pas entendu publiquement y renoncer314. Parce que toute situation de crise appelle une réaction rapide, il ne saurait être question à ce moment précis de tenter de négocier les modalités financières de son intervention. Il est vrai qu’un tel préalable ne sera pas nécessaire lorsque des bénévoles prêtent leur concours. Toutefois ces intervenants bénévoles, interviendraient-ils à titre purement gracieux n’auraient pas la possibilité de demander que leur initiatives soient mises à la charge du pollueur (1), il en va autrement des intervenants à titre professionnel.
1. Vers une prise en compte de l’intervention du bénévole
210767. La nécessité d’organiser la lutte contre la pollution dans les meilleurs délais suppose de concilier deux impératifs contradictoires. Si l’urgence de la réaction commande l’utilisation de toutes les « forces vives » disponibles, le bon déroulement des opérations doit beaucoup à la coordination des initiatives. Autant dire que la pollution ne peut être combattue qu’au prix d’une planification rigoureuse, ne laissant que peu de place à l’initiative individuelle. Toutefois, tandis que les élans de certains individus isolés pourraient être réfrénés par l’absence de rémunération, ceux d’autres pourraient être aiguisés par la perspective d’une récompense315.
211768. Mais faute de précision donnée par les rédacteurs des conventions, on ne saurait être sûr de rien, quand l’intervention, à défaut d’avoir été sollicitée, a été spontanée. Aussi, l’interprète se voit-il « condamné » à rechercher, ailleurs, un peu plus de certitude. C’est, à n’en pas douter, dans l’analyse de la nature juridique de l’intervention du sauveteur qu’il peut espérer trouver un début de réponse, car, à l’évidence, de cette dernière dépendent les conditions de son indemnisation.
212769. Convient-il de retenir un fondement contractuel ? Ce fondement a déjà été retenu. Les juges ont, en effet, parfois considéré, qu’il existait entre la personne secourue et son sauveteur une convention d’assistance316. Toutefois, un examen plus approfondi de ladite espèce révèle qu’il ne s’agissait que d’un contrat de pure circonstance, destiné à permettre l’indemnisation du dommage corporel subi par le sauveteur. Purement putatif, ce dispositif ne saurait présenter aucune utilité en notre matière. En effet, dans le cadre des Conventions pétrolières, cette hypothèse particulière est régie par l’article 1. 6 de la Convention de Bruxelles qui prévoit l’indemnisation de toute perte ou dommage causé par l’intervention.
213770. Dès lors, mieux vaut admettre que le responsable peut se trouver engagé à l’égard du sauveteur en l’absence de toute convention. Faute d’avoir été sollicité, l’intervenant engage sa responsabilité sur un fondement délictuel ou quasi-délictuel voire quasi- contractuel. Il acquiert ses droits de l’accident, dans des conditions fixées par la Convention. Pourtant, cette première analyse gagne à être affinée. En s’immisçant dans les affaires d’une tierce personne, l’intervenant paraît disposé à lui rendre un service317, sans y avoir été invité. Toutefois, l’absence de mandat exprès ne saurait le priver d’emblée d’un droit à réparation, car d’un point de vue social son intervention présente une utilité.
214771. Celui qui intervient pour prêter son concours en vue de la préservation d’un bien que menace une pollution, nous pensons ici en priorité aux bénévoles, ne pourrait-il pas se prévaloir de l’institution originale de la gestion d’affaire318. En vertu des articles 1372 et suivants du Code civil français, « le gérant d’affaires s’oblige à poursuivre la gestion en bon père de famille jusqu’au moment où le maître sera en mesure de reprendre celle-ci en main. Quant au maître dont l’affaire a été bien gérée, il doit indemniser le gérant de ses dépenses et tenir les engagements qu’il a contractés en son nom319. La gestion d’affaire ne saurait être un contrat, parce qu’il n’y a pas eu d’accord préalable entre le gérant et le maître de l’affaire, celui-ci n’ayant pas donné mission à celui-là d’agir pour son compte et ne lui ayant pas plus généralement confié de mission. Présentée ainsi, la situation pourrait laisser penser que la source des obligations se trouve dans la volonté du gérant, la gestion d’affaire se ramenant alors à un acte juridique unilatéral. Mais si l’intention de gérer l’affaire d’autrui est exigée du gérant, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les obligations qui pèsent sur ce dernier et celles qui pèsent sur le géré ne dérivent pas de cette volonté mais de la loi qui les attache au fait d’une gestion utile.
215772. Il ne saurait être question de revendiquer un quelconque salaire pour les bénévoles par ce biais. Ces derniers, considérés comme des collaborateurs occasionnels du service public320, agissent à titre gratuit. Tout au plus peuvent-ils prétendre à un dédommagement pour leurs pertes et dépenses effectives. Si pareille analyse peut être menée pour le pêcheur du dimanche, elle ne saurait s’appliquer au pêcheur professionnel321 qui, privé de son travail, s’investit avec son matériel de pêche dans des opérations de lutte. A ce titre, son labeur sera récompensé au même titre qu’un professionnel de la dépollution.
216773. On le sait l’intervention des bénévoles sur les chantiers de dépollution est parfois jugée contre-productive322. Toutefois pour les hypothèses où elle s’est révélée utile, leur prestation même gratuite gagnerait à être comptabilisée. Car force est d’admettre que pour l’heure les bénévoles s’escriment dans l’intérêt bien compris du pollueur, puisque précisément celui-ci pourra bénéficier de leur intervention sur les chantiers de dépollution sans bourse délier. Or précisément ces derniers ne pourraient-ils pas au nom du principe du pollueur-payeur se prévaloir de l’institution originale de la gestion d’affaire. On pourrait en effet, imaginer que les bénévoles, dans le cadre d’une class action, déposent une demande d’indemnisation auprès du FIPOL au même titre que les autres professionnels de la dépollution. Leur action, pourvu qu’elle ait été jugée utile devrait se voir récompensée, quitte à eux par la suite d’abandonner leur créance d’indemnisation au profit d’une association de protection de l’environnement323.
217774. Si l’institution de la gestion d’affaire paraît offrir un cadre propice à la prise en compte de l’intervention des bénévoles, elle est totalement inadaptée s’agissant des « intervenants professionnels ».
2. La prise en compte de l’intervention professionnelle
218775. Si le législateur international n’a entendu apporter aucune restriction quant à l’identité de la personne admise à demander réparation des mesures de sauvegarde, il ne fait aucun doute que, dans la pratique, le statut de l’auteur de l’intervention est appelé à influencer très directement son droit à indemnisation. On ne saurait, en effet, placer sur un pied d’égalité le vacancier qui participe à un chantier de dépollution et l’État qui, doté de vastes moyens, combat la pollution.
219776. Il n’en demeure pas moins vrai, que sur un plan pratique, dresser une liste exhaustive des personnes susceptibles d’intervenir tiendrait de la gageure tant elles sont potentiellement diverses et variées. La catastrophe de l’Amoco Cadiz - mais aussi des suivantes - rend parfaitement compte d’un risque d’inventaire à la « Prévert ». Des agriculteurs, des policiers, des sapeurs-pompiers, des agents du Ministère de l’Environnement, des membres de la Croix rouge française, des marins-pêcheurs ont participé aux opérations de nettoyage.
220777. Nul doute que l’État doit être classé au rang des professionnels de l’intervention en cas de pollutions maritimes. Pour un défendeur, il peut être tentant de faire valoir que l’État lorsqu’il organise et finance la lutte contre un accident pétrolier324, ne fait en définitive qu’exercer une mission normale de service public. Celle-ci étant financée au moyen de l’impôt, il ne saurait dès lors exiger le remboursement des sommes déboursées. Toutefois, pareille analyse n’a pas été suivie par les juges de Chicago à l’occasion du contentieux qui a suivi le naufrage de l’Amoco-Cadiz. Le bon sens commande, en effet, de dissocier la mission de routine, faisant partie intégrante de la mission ordinaire de service public, de celle motivée par des circonstances exceptionnelles et exigeant la mobilisation de moyens beaucoup plus importants.
221778. Mais on peut aussi penser que cette première analyse gagne à être dépassée. Descendus de leur piédestal, les États n’hésitent plus à faire leur compte. La pratique maritime, et plus encore son évolution, rendent particulièrement compte de cela. Tandis que traditionnellement le bâtiment d’État qui prêtait assistance au navire en péril renonçait à faire valoir une quelconque rémunération, il réclame désormais son dû tout comme un navire privé325. On notera que, quand bien même l’État aurait l’obligation de s’exécuter, c’est-à-dire de prêter son assistance en vertu d’un accord international, il n’en serait pas moins fondé, à revendiquer une indemnisation : ainsi en a-t-il été pour le Royaume-Uni qui a prêté assistance à la France à l’occasion de la marée noire de l’Amoco-Cadiz en vertu de l’accord de Bonn326. Cette initiative, du reste, répond à un impératif d’équité qui veut que l’on ne s’enrichisse pas aux dépens d’autrui. Elle participe aussi de la consécration du principe du pollueur-payeur.
222779. Les études économiques s’accordent, en effet, pour considérer que tout travail doit être comptabilisé, alors même qu’il ne vaudrait aucune rétribution à l’intéressé. Pour prendre en compte le travail de dépollution effectué par les militaires français, les juges américains n’ont pas manqué de reprendre à leur compte cette conclusion. Il faut dire qu’aux États-Unis, l’armée ne saurait être réquisitionnée à cette fin. S’il s’agit là d’un choix politique, il n’en demeure pas moins que l’État ainsi privé de ses militaires subit un préjudice, qu’il convient d’évaluer. On observera que cette solution juridique est de facture classique. Selon une jurisprudence bien établie en droit français, l’employeur qui affecte ses propres employés à la remise en état de son bien endommagé est fondé à demander le remboursement des salaires versés pendant le temps consacré à cette tâche327.
223780. Toutefois, la sagesse devrait inciter à ne recourir qu’à des professionnels susceptibles de réclamer des honoraires en bonne et due forme. Ce n’est pourtant pas ce type de considérations qui a incité les autorités publiques à réfréner l’élan des bénévoles, mais plus sûrement des motifs d’ordre sanitaire. Au nom du principe de précaution, la dangerosité présumée du fuel lourd déversé sur les plages a conduit à renoncer pour le nettoyage des plages au concours de bénévoles. Dès lors, que faut-il penser de celui des prisonniers ? Si leur travail donne lieu à rémunération328, et peut comme tel être mis à la charge du pollueur, d’un point de vue éthique, l’initiative prête le flanc à la critique, quand bien même on nous assurerait que toutes les précautions en matière sanitaire auraient été prises et les consentements obtenus.
224781. A l’exact opposé, l’intervention d’autres personnes au titre des mesures de sauvegarde paraît aller de soi. Toutefois, pour s’assurer de leur coopération, le législateur international a cru bon d’introduire une disposition prévoyant expressément leur droit à indemnisation. Sans doute, faut-il y voir une incitation supplémentaire à agir en faveur de la protection de l’environnement. Ladite disposition concerne le propriétaire ou l’exploitant du navire. En effet, ce dernier est de ceux qui se trouvent dans la meilleure position pour prévenir ou minimiser la pollution. Averti de l’événement par le capitaine, seul en mesure d’apprécier la situation, il peut décider de l’intervention d’un assistant. Dès lors, les Conventions pétrolières sont à l’unisson sur ce point. L’article V alinéa 8 de la Convention CLC, et l’article 9 alinéa 8 de la Convention SNPD disposent que, pour autant qu’elles soient raisonnables, les dépenses encourues et les sacrifices consentis volontairement par le propriétaire, aux fins de prévenir ou de limiter les dommages de pollution lui confèrent sur le fonds des droits équivalents à ceux des autres créanciers. Tandis que l’article 4.1 du FIPOL dispose que les dépenses consenties par le propriétaire pour prévenir ou minimiser le dommage de pollution doivent être traitées comme un dommage de pollution. Dans l’absolu, cette créance peut être très importante. Son montant peut atteindre la valeur du navire, lorsque la destruction de ce dernier aura participé à la lutte contre la pollution.
225782. Toutefois, la pratique du transport maritime révèle le rôle non négligeable que peut être amené à jouer l’affréteur dans l’organisation des opérations. L’affaire de l’Erika ne le rappelle que trop. Généralement bien équipé pour agir promptement329, il n’est pas rare qu’il se trouve à l’avant-garde pour prendre des mesures de sauvegarde. D’ailleurs, cette possibilité d’agir est clairement prise en compte, puisque nombre de contrats d’affrètement croient utile de préciser que lesdites mesures resteront à la charge du propriétaire du navire. S’il s’agit là d’arrangements de nature contractuelle qui en raison de l’effet relatif des conventions ne sont appelés à produire des effets qu’entre les parties contractantes, ils ne sont pourtant pas ignorés par un organisme comme le FIPOL, lequel est aussi chargé d’encourager les initiatives en faveur de la sauvegarde de l’environnement. Une espèce suffira pour s’en convaincre.
226783. Le 24 août 1987, le pétrolier panaméen Akari avait été victime d’un incendie alors qu’il quittait Dubai. Par la suite, il avait perdu l’usage de son générateur électrique. Parce que le navire prenait l’eau, il fut remorqué. L’accès au port lui étant refusé, il fut échoué sur une plage. Si une partie de la cargaison s’échappa, le reste put être transbordé dans un autre navire, ce qui permit par la suite son admission dans le port. Non assujetti à l’obligation d’assurance330, le propriétaire était insolvable. Dès lors, le FIPOL devait prendre en charge la prestation fournie par le partenaire contractuel du propriétaire du navire, parce qu’elle pouvait être qualifiée de mesure de sauvegarde au sens où l’entendent les conventions pétrolières331. Le principe d’une prise en charge par le FIPOL serait acquis, il ne saurait parfois suffire à convaincre, seul, les acteurs du transport maritime de s’engager définitivement en faveur de la protection de l’environnement. L’évaluation qui sera faite de l’intervention indemnisable paraît tout autant de nature à conditionner la décision d’intervenir.
§ 2. L’évaluation de l’intervention indemnisable
227784. Pour l’auteur de l’intervention, les mesures de sauvegarde, peuvent s’analyser comme autant d’avances sur les sommes que l’organisme chargé de l’indemnisation consentira ou non à prendre en charge. Or, précisément, a posteriori, la décision d’intervenir ne sera parfaitement assumée par celui qui l’a prise que s’il existe une corrélation parfaite entre ces deux sommes. Autrement dit, la « certitude de pouvoir récupérer sa mise » reste à n’en pas douter une considération propre à déterminer la décision d’agir au titre des mesures de sauvegarde.
228785. Toutefois, de son côté, le FIPOL ne saurait se plier aveuglément aux desiderata de l’auteur de l’intervention. Dès lors, l’évaluation qu’il sera appelé à faire de l’intervention indemnisable doit être encadrée par un certain nombre de paramètres qu’il aura préalablement choisis. Ainsi, tout engagement de dépense, et par conséquent toute proposition d’indemnisation doivent s’apprécier à l’aune du critère de raisonnabilité (A). Ainsi encore, toute dépense engagée en vue de la lutte contre la pollution ne donnera pas nécessairement lieu à une indemnisation. La pratique comptable du FIPOL a ses exigences. Ces dernières s’imposent aux autorités étatiques et à leur démembrement (B). Parce qu’elle est de nature à mettre en confiance le potentiel intervenant, la transparence des principes appelés à régir l’évaluation, pourrait agir de façon très concrète sur sa motivation à protéger l’environnement.
A. L’incidence du test de raisonnabilité sur l’évaluation de l’intervention indemnisable
229786. Il convient, à titre liminaire, de rappeler qu’entre les demandeurs, d’une part, et le P&I Club et le FIPOL, d’autre part, la plupart des demandes d’indemnisation sont réglées à l’amiable. Le FIPOL contribue pour une large part à la définition des règles qui président à la recevabilité des demandes, mais son influence va sans doute au-delà. Lorsqu’un tribunal, faute d’accord amiable, est appelé à examiner les demandes des parties, nul doute qu’il se réfère implicitement à la politique d’indemnisation du FIPOL. Pareille démarche, qui participe d’une volonté d’interprétation uniforme des conventions est, du reste, très logique. La politique du FIPOL est, en définitive, l’émanation des représentants des pays membres des Conventions. Ces derniers, le plus souvent, ne font que reprendre la position des tribunaux des États dont ils sont les ressortissants.
230787. Cette prise de position s’avère particulièrement déterminante dans une matière aussi subjective que l’appréciation des mesures de sauvegarde. Puisque le législateur international s’est montré avare de précision quant au sens qu’il convenait de conférer au terme « raisonnable » dans sa définition des mesures de sauvegarde, c’est au FIPOL qu’il revient de lui donner un sens. Toutefois, pareil qualificatif se prête mal à une définition précise. Et il n’est pas rare que le potentiel intervenant soit placé, de ce fait, dans l’expectative, s’agissant de son droit légitime à voir prises en charge les mesures de sauvegarde qu’il aura consenties à prendre. En effet, l’expérience a révélé que les caractères adéquats et raisonnables des mesures susceptibles d’être prises après un accident de pollution doivent être appréciés à l’aune des circonstances particulières de l’espèce : types de déversement, conditions climatiques, nature de l’environnement affecté.
231788. Dès lors, pareils paramètres imposent de recourir à des experts seuls capables d’apprécier l’efficacité ou l’adéquation d’une mesure envisagée. A ce titre, l’expérience acquise par la Fédération internationale des propriétaires de navires, ci-après désignée par son abréviation anglaise, ITOPF332 régulièrement consultée par les P&I Clubs et le FIPOL, mérite d’être soulignée. Cette fédération internationale fournit une assistance technique non négligeable aux propriétaires de pétroliers. Elle prodigue des conseils aux responsables des opérations de nettoyage333. Elle est consultée en vue de l’élaboration de directives pour la recevabilité des demandes d’indemnisation334.
232789. Toutefois, le recours à des experts, ne saurait garantir ipso facto le caractère raisonnable des mesures prises loin s’en faut. En effet, l’expérience montre que nombre d’entre elles, bien que recommandées par des experts, ont été dictées par le souci de combler les attentes du public. Dès lors, parce que davantage dictées par des impératifs de relations publiques que par des soucis d’efficacité, elles se sont heurtées à une fin de non-recevoir du FIPOL335. S’il est intéressant dans un souci de conceptualisation de la notion de raisonnabilité, d’envisager son appréhension par la doctrine (1), on ne saurait toutefois faire l’économie d’une approche jurisprudentielle (2).
1. L’approche doctrinale
233790. Tenter de distinguer le raisonnable du déraisonnable pourrait a priori tenir de la mission impossible, tant le standard de raisonnabilité est appelé à varier selon les circonstances propres à chaque accident. Pourtant, un effort de conceptualisation, tel que celui entrepris par la doctrine, peut se révéler utile pour espérer dégager quelques lignes directrices.
234791. De l’avis de Messieurs Jacobsson et Trotz, les circonstances336 dans lesquelles les mesures ont été prises, à savoir le lieu, la sensibilité de la population des côtes à la pollution, la saison et les conditions météorologiques : température de l’eau, direction des vents et courants, le type et la quantité d’hydrocarbures déversés semblent être décisifs dans l’appréciation de leur raisonnabilité. Les mesures doivent être regardées comme raisonnables d’un point de vue objectif, c’est-à-dire à la lumière des informations disponibles au moment où des mesures spécifiques ont été prises. Elles doivent être appréciées à l’aune de la menace existante.
235792. Toutefois, force est d’admettre que cette appréciation de la menace existante risque d’être malaisée pour les autorités et les parties impliquées dans les opérations, car elles seront amenées à prendre très vite une décision337, sans avoir nécessairement une pleine et entière connaissance de la situation. Dès lors, l’équité commande de prendre en compte une certaine marge d’erreur dans l’appréciation de leur jugement338. Peut-être faut-il aller jusqu’à se laisser guider par le bon sens sans se préoccuper de l’utilité finale de l’opération. Si l’on suit cette logique, la mesure jugée utile au premier abord, bien que ne l’ayant pas été en définitive, pourra donner lieu à remboursement au titre des mesures de sauvegarde339. Cette appréciation généreuse mérite à notre sens d’être nuancée, car on ne saurait totalement perdre de vue l’efficacité de la démarche entreprise340. Cette dernière, au demeurant, sera prise en compte lors du calcul des récompenses à accorder au demandeur. Dès lors, la comparaison avec l’attitude qu’aurait pu avoir un sauveteur « bon père de famille » dans les mêmes circonstances pourrait se révéler précieuse.
236793. La doctrine, à raison, considère également que la proportionnalité des coûts encourus participe de l’appréciation du critère de raisonnabilité. Les dépenses exposées à l’occasion des opérations de sauvegarde doivent être en proportion avec le résultat obtenu ou, s’il s’agit d’un échec, avec le résultat raisonnablement prévu341. Ce critère de la proportionnalité doit inciter les auteurs de l’intervention à faire preuve de mesure dans leur entreprise de mobilisation de moyens humains et matériels. Il n’est que de rappeler la jurisprudence administrative ou économique du bilan coûts-avantages342.
237794. Toutefois, il serait fait application de cette théorie, il reste que sur un plan purement pratique, le tarif des opérations de nettoyage est directement influencé par le degré de propreté auquel on souhaite parvenir343. Tout comme il ne serait pas raisonnable de ne nettoyer qu’à moitié, il ne saurait l’être davantage selon l’ITOPF « dans le cas de zones polluées par des industries de se livrer à un nettoyage plus rigoureux que celui qui est effectué en l’absence de déversement »344. Reste que chaque État a ses propres normes. Ainsi, le matériel se serait perfectionné au gré des années écoulées, une comparaison entre l’accident de l’Amoco Cadiz et celui de l’Exxon-Valdez peut s’avérer utile. Les indemnités allouées à l’occasion du premier, bien que le déversement eût été six fois plus important, ont été très sensiblement plus faibles345.
238795. Certes, de tels écarts sont peut-être moins à craindre dans un cadre purement national. Il n’en demeure pas moins qu’à eux seuls, ils révèlent la possibilité d’une divergence d’appréciation quant à la question de savoir « How clean is clean », ou plus largement quant à la valeur que chacun est prêt à investir pour sauvegarder l’environnement. S’il s’agit là de grandes pistes susceptibles d’aiguiller le potentiel intervenant sur la conduite à adopter à l’occasion d’un engagement au titre des mesures de sauvegarde, elles ne sauraient toutefois être pleinement satisfaisantes. L’approche doctrinale gagne, en effet, à être complétée par une approche jurisprudentielle.
2. L’approche jurisprudentielle
239796. Il s’agit ici, en fonction des mesures de sauvegarde susceptibles d’être prises, de montrer comment il a été fait application du critère de raisonnabilité. Toutes les mesures prises aux fins d’éviter que le pétrole n’atteigne les côtes peuvent faire l’objet d’une demande d’indemnisation. Ainsi les carburants utilisés par les navires appelés pour combattre la pollution, les dispersants chimiques, les barrages, les appareils d’écrémage, les aéronefs employés pour la surveillance aérienne et la vaporisation de dispersants ont-ils été considérés comme autant de dépenses indemnisables.
240797. Les tentatives de récupération de pétrole en mer à l’aide de barrages flottants, d’engins d’écrémage peuvent conduire à l’obtention d’un résultat contraire à celui recherché, autrement dit à la dispersion des polluants. Aussi de telles opérations gagnent en efficacité lorsqu’elles sont entreprises très rapidement après le déversement pour éviter un risque d’éparpillement des nappes. En outre, ces interventions paraissent d’emblée vouées à l’échec en présence de conditions météorologiques particulièrement difficiles. Dès lors, il paraît possible de prévoir l’inefficacité de certaines mesures, et donc leur probable non-remboursement346.
241798. La décision d’utiliser des dispersants aux fins d’accélérer le processus naturel de dislocation des nappes de pétrole en petites boulettes, sur lesquelles ne manqueront pas d’agir les micro-organismes, est à prendre avec la plus grande prudence. Ainsi, s’il peut être judicieux d’y avoir recours pour éviter qu’une nappe importante de pétrole n’atteigne la côte, quand bien même son utilisation causerait momentanément un désordre biologique, toute mesure en ce sens paraît être proscrite à proximité d’installations de mari-cultures proches de la côte, car il existe un risque non négligeable de contamination. En outre, il convient de garder présent à l’esprit que ces substances ne sont efficaces qu’en présence de produits dont la viscosité est suffisamment basse. En présence de fuel lourd ou de pétrole ayant séjourné plus de deux jours dans l’eau, elles risqueraient de se révéler inefficaces347 et les dépenses consacrées à cette opération seraient réputées non remboursables348.
242799. Toutefois, toute expérience, aussi malheureuse soit-elle, ne suffit pas à condamner l’emploi des dispersants, d’autant que la qualité de ceux-ci s’améliore ostensiblement. Ainsi, après le naufrage du Sea Empress au Royaume-Uni en 1996, la décision de répandre par voie aérienne des dispersants s’est révélée selon un rapport scientifique, particulièrement bénéfique pour l’environnement. Ladite opération a écourté le temps pendant lequel le pétrole est resté à la surface, épargnant ainsi la vie de nombreux oiseaux de mer349.
243800. S’agissant plus particulièrement des associations de protection des oiseaux investies dans la réhabilitation de la vie sauvage, leurs demandes d’indemnisation ont été déclarées recevables toutes les fois que les opérations ont été entreprises de façon raisonnable et ont conduit à atténuer l’impact de la pollution sur la faune et la flore affectées350. De toutes les catégories de mesures susceptibles d’être prises après un déversement, ce sont, incontestablement, les opérations engagées à partir de la terre qui posent le plus de difficultés d’appréciation. Les demandes d’indemnisation relatives à ce type d’opérations comprennent le coût du personnel et de l’équipement employé pour collecter ou nettoyer le pétrole qui échoue sur la côte. Elles peuvent aussi inclure l’emploi de matériels tels les barrages. Toutefois, d’un point de vue technique, elles doivent être dédoublées. Il convient en effet de dissocier le gros œuvre, à savoir les mesures d’enlèvement des hydrocarbures du littoral, des finitions à savoir les mesures de nettoyage. En règle générale, les premières mesures sont peu sujettes à discussion. Tout au plus l’utilisation des bulldozers, parce qu’elle entraîne l’enlèvement de quantités importantes de sable souillé par des déchets huileux351, est-elle controversée. Outre son possible effet dévastateur sur la flore et la faune, elle exige des apports ultérieurs de sable. Ceci étant, ce contentieux reste minoritaire comparé à celui que soulèvent les opérations de nettoyage.
244801. Quelle part convient-il de reconnaître aux facultés d’autoré-génération du milieu ? Un rapport américain intitulé, Oil in the Ocean, The short term and long term impact of a spill352 rappelait que la nature est dotée d’un système de reconstitution des équilibres. Ainsi, lorsque du pétrole est déversé dans le milieu marin, des processus chimiques naturels agissent pour le décomposer. L’auteur du rapport concluait que « la nature travaillait mieux que l’homme »353. En effet, l’intervention physique massive a pu parfois retarder la restauration écologique naturelle de la zone affectée. L’expert de conclure que les intervenants devraient limiter leurs actions aux zones très peuplées, écologiquement sensibles. C’est à pareille conclusion que parviennent les experts de l’ITOPF354 ou encore ceux consultés dans le cadre des derniers chantiers de dépollution de l’Erika ou du Prestige355. Si le nettoyage « forcené »356 des rochers par des jets à haute pression s’était révélé être une méthode rapide et efficace pour se débarrasser du pétrole, pareille méthode serait aussi susceptible d’endommager le biotope marin, ou même de saper certaines falaises357.
245802. Ces discussions, au demeurant très techniques, paraissent au premier abord devoir, s’éloigner de toute considération juridique, mais un tel jugement serait hâtif. Car, ce qu’il faut comprendre, c’est que, derrière ces controverses scientifiques, se cachent des enjeux financiers énormes tenant aux coûts des mesures susceptibles d’être prises après une marée noire358. L’environnement est un terreau fertile pour les conflits idéologiques. La divergence d’intérêts entre ceux qui sont engagés dans la protection de l’environnement et les intérêts commerciaux qui, en bout de chaîne, seront appelés à bourse délier pour les opérations de nettoyage, est patente.
246803. Pourtant, contre toute attente, ils pourraient trouver un certain terrain d’entente. Ainsi la perspective de dérangements et d’effets indésirables, que ferait naître un nettoyage exhaustif et coûteux en vue de l’enlèvement de toutes les traces d’hydrocarbures, pourrait conduire à ne justifier ce genre d’opérations que dans des zones de fort agrément, tandis qu’elle serait considérée comme totalement inappropriée dans des zones éloignées et exposées359. A l’exact opposé, si des mesures spécifiques sont clairement appropriées, alors toute alternative moins coûteuse devrait être systématiquement condamnée.
247804. L’affaire de l’Exxon Valdez représente à n’en pas douter l’exemple le plus topique des controverses jamais engendrées par des opérations de nettoyage. La Compagnie Exxon suite au naufrage de son navire, a engagé quelques 2 milliards et demi de dollars pour faire nettoyer manuellement des rochers et galets dans une zone éloignée et sauvage. La décision d’engager de pareilles dépenses a été considérée par son assureur360 comme déraisonnable eu égard aux circonstances de l’espèce. Tout au plus, cette initiative reflétait-elle les moyens financiers considérables du pollueur, plus soucieux de redorer son blason maculé de pétrole que d’agir en faveur de l’environnement.
248805. Parce que le FIPOL ne saurait avoir les moyens d’une multinationale, on ne saurait que trop recommander aux maires des communes littorales361 touchées de s’enquérir du caractère raisonnable des mesures projetées car, de celui-ci, pourrait dépendre une prise en charge satisfaisante362. Ceci se justifie d’autant plus que cet organisme international tient davantage compte, pour apprécier le caractère raisonnable des dépenses exposées, des avis des experts spécialisés dans les mesures de lutte363 que de la qualité de celui qui les entreprend, fût-il un État.
249806. D’un point de vue juridique stricto sensu, conformément aux règles classiques du droit de la responsabilité délictuelle, la présence de mesures jugées déraisonnables conduira les juridictions saisies à revoir sensiblement à la baisse les prétentions des demandeurs. Le FIPOL agira de même. Le Prestige et ses « marées de boulettes à répétition » pourraient renouveler sensiblement la problématique. A notre sens, il n’est pas déraisonnable que chacun de ces événements donne lieu à un traitement spécifique. Eu égard à la spécificité du phénomène et notamment la possible présence de galettes de fuel prises entre deux eaux depuis le naufrage, il conviendrait de ne pas faire application du délai de prescription prévu par les Conventions.
250807. Reste l’appréciation du caractère raisonnable des mesures de sauvegarde en présence de Substances Nocives et Potentiellement Dangereuses364. Celle-ci risque d’être particulièrement mal aisée, en raison de contingences techniques tenant tant à la nature du produit qu’à son mode de transport. La conteneurisation paraît, en effet, sensiblement compliquer la solution de ce problème. Sur quelles considérations doit-on s’appuyer pour apprécier l’opportunité d’évacuer une zone d’habitation ? Une chose paraît d’ores et déjà certaine, l’urgence pourrait commander d’agir sans même attendre qu’un organisme d’indemnisation ne se prononce. Toutefois, même dans cette hypothèse particulière, le FIPOL, face aux demandes d’indemnisation des autorités étatiques, n’hésitera pas à mettre en avant les exigences de la pratique comptable pour éventuellement revoir à la baisse leur prétention.
B. Les exigences de la pratique comptable du FIPOL face aux demandes d’indemnisation des autorités étatiques
251808. L’État et ses démembrements peuvent, à notre sens, être considérés comme des « gérants d’affaires institutionnels ». Toutefois, forts de cette qualité, ils ne sauraient espérer se prévaloir d’un statut privilégié face au FIPOL, loin s’en faut. Bien qu’appelés à exercer chacun, à leur niveau, des fonctions de gestionnaires, le maire d’une commune, d’une part, l’administrateur du FIPOL, d’autre part ne parviennent pas toujours à s’accorder sur le montant de l’enveloppe qu’il convient d’allouer au titre des mesures de sauvegarde. Pourtant, à y regarder de plus près, ce sont des règles comptables qui, pour une large part, organisent la matière. Ainsi, le FIPOL est-il amené à opérer une distinction selon que les dépenses ont été engagées par l’État dans le cadre normal de ses attributions, ou pour faire face à l’accident. En d’autres termes, il s’agit d’opérer une distinction entre frais fixes et frais additionnels.
252809. Les demandes d’indemnisation au titre des coûts additionnels, c’est-à-dire de ceux exposés en raison de l’accident, comme le paiement d’heures supplémentaires effectuées par le personnel au titre des gros travaux ou de celui des opérations justifiées par l’accident365, sont recevables. Une difficulté plus importante peut, toutefois, surgir s’agissant des demandes d’indemnisation au titre des frais fixes, comme les coûts d’entretien des équipements, ou les salaires normaux payables aux employés.
253810. L’affaire de l’Amoco-Cadiz est, sans aucun doute, topique des difficultés susceptibles de se présenter. Face à une nappe d’hydrocarbure de 18 milles de largeur sur 80 milles de longueur qui endommagea approximativement 180 milles de littoral, des opérations de nettoyage de vaste envergure s’imposaient. Elles s’étalèrent sur 6 mois. A cette fin, nombre de militaires furent mobilisés. Dans le cadre du Plan Polmar, plus de 40 navires, avec 4 100 marins consacrèrent 600 jours à cette tâche. Les avions de la Marine nationale survolèrent la zone pendant 520 heures, 40 000 hommes de l’armée s’affairèrent à terre, idem pour le personnel des départements et des communes.
254811. Avec l’État, l’ensemble de ces parties déposèrent une demande d’indemnisation au titre des salaires du personnel impliqué et du coût d’utilisation du matériel employé. Elles furent remboursées de 30,5 millions de francs approximativement, mais une somme de 3,5 millions fut déduite de la somme réclamée par l’État français au titre des coûts opérationnels, car supportés en toute hypothèse par l’État à n’importe quelle occasion.
255812. Les demandes d’indemnisation pour les salaires de base payés aux employés devraient normalement poser peu de difficultés. Il est, en effet, possible de calculer, sur la base d’un prorata, le temps réellement consacré par chacun d’eux aux opérations de dépollution. Le temps consacré à la rédaction de rapports sur les incidents, ou même à la préparation de dossiers d’indemnisation, n’étant pas employé à prévenir ou à minimiser les dommages de pollution, ne saurait avoir vocation à être indemnisé au titre des mesures de sauvegarde.
256813. Il est, toutefois, des questions autrement plus délicates comme celle relatives au remboursement des frais généraux dans lesquels on placera les charges sociales et plus largement les frais administratifs. Sur le principe, si ces dépenses peuvent être prises en charge, leur quantum est plus vague. Dans l’affaire de l’Amoco-Cadiz, les autorités françaises n’ont pas renoncé à solliciter une indemnisation au titre des frais généraux en plus des salaires. Dans une autre affaire, celle du World Encouragement, une demande au titre des frais généraux pour le personnel atteignit presque deux fois les demandes d’indemnisation au titre des coûts de travail. L’évaluation des coûts des installations et des équipements pose quant à elle plus de difficultés. Il ne saurait, dans cette hypothèse, être question de procéder à une répartition sur une base horaire.
257814. Dans l’affaire de l’Amoco-Cadiz, la Cour américaine d’appel a suggéré que la demande d’indemnisation ne devrait pas seulement inclure les dépenses exposées pendant les opérations de nettoyage stricto sensu, mais aussi comprendre l’intégralité des frais engagés pour maintenir l’équipement opérationnel. Pour calculer le coût réel d’utilisation des installations, il convient de prendre en compte la dépréciation du matériel. La valeur de référence étant pour cela non celle du coût de remplacement, mais la valeur historique de ladite installation366. Toute évaluation qui serait faite sur la base de tarifs officiels, adoptés dans ses propres intérêts par un gouvernement encourt la critique367. Plus généralement, tout équipement utilisé dans la lutte contre la pollution conserve une valeur résiduelle dont tient compte le FIPOL pour fixer l’indemnisation368.
258815. Eu égard au caractère délicat de la question, la recevabilité des demandes d’indemnisation pour les coûts fixes en vertu des Conventions CLC et FIPOL a été examinée en 1981 par un groupe de travail inter-session établi par l’Assemblée du Fonds de 1971. Le groupe de travail a noté qu’il était dans l’intérêt non seulement des États membres mais aussi de l’Assemblée du Fonds que les États maintiennent leur propre force d’intervention. Dès lors les demandes d’indemnisation au titre des frais fixes devraient être normalement refusées, tandis que tout recours à des contractants privés pourrait faire l’objet d’une indemnisation au titre des frais additionnels.
259816. Parce que pareille position était de nature à conduire à un moindre investissement des États en termes de mesures de sauvegarde, et notamment aurait pu les dissuader de maintenir une capacité de réponse effective, elle fit l’objet d’un réexamen en 1994 au sein du FIPOL. Toutefois, la position demeura inchangée, les États ayant l’obligation en vertu de la Convention internationale sur la préparation, la lutte et la coopération en matière de pollution par les hydrocarbures de 1990 de maintenir une capacité de lutte, chacun s’accordant pour admettre que le FIPOL ne devait pas suppléer les États incapables de remplir leurs obligations369. Ainsi paraît donc démontrée l’idée selon laquelle le FIPOL dispose d’une aptitude particulière à initier une gestion du risque d’environnement, non seulement à travers la gestion du contentieux environnemental mais encore à travers celle de la réparation du dommage écologique370.
CONCLUSION DU CHAPITRE I
260817. Alors même que le FIPOL serait essentiellement appelé à intervenir à titre subsidiaire, il est déjà possible de mesurer son rôle crucial en présence de pollutions majeures. Le fonds d’indemnisation propose une matrice pour le financement du risque d’environnement. A ce titre, il doit être considéré comme la meilleure transcription juridique du principe du pollueur-payeur, lequel exclut tout recours à la responsabilité. Le fonds consacre non seulement une autonomisation de l’indemnisation par rapport à la responsabilité, conçu comme le modèle de référence en matière de réparation. Il instaure en outre, une certaine automaticité de l’indemnisation. Sous-tendu par un principe de solidarité, le fonds est alimenté au moyen d’appels à contribution des industries réceptionnaires d’hydrocarbures. Il peut être appelé à se substituer à la responsabilité, et est donc parfaitement autosuffisant pour assurer l’indemnisation des victimes de pollution contrairement à la responsabilité. Il ne demeure pas moins aussi exigeant qu’elle quand il s’agit d’envisager les conditions de la réparation. Cette exigence est particulièrement perceptible en présence d’une demande d’indemnisation au titre d’un manque à gagner écologique. La causalité opère comme un filtre, seules les demandes susceptibles de le traverser seront déclarées recevables ; le FIPOL déclare en outre prendre en compte toute initiative prise par la victime propre à diminuer son dommage.
261818. Mais la plus belle réussite du FIPOL est, sans conteste, d’avoir su esquisser une gestion de « risque d’environnement », quand les mécanismes traditionnels de la responsabilité marquaient le pas. Cette gestion doit d’abord s’entendre de celle du contentieux. Le recours à la transaction doit être vu comme un moyen de raccourcir les délais d’indemnisation pour les victimes pour peu qu’elles acceptent les conditions que leur impose le Fonds. La gestion du risque d’environnement doit s’entendre de celle de la réparation du dommage écologique. Si le FIPOL envisage, tout d’abord, les dépenses véritablement nécessaires pour la remise en état, convaincu de ce qu’il vaut mieux prévenir que guérir, il s’emploie par sa politique d’indemnisation à favoriser les mesures de sauvegarde, consacrant ainsi un droit de la réparation avant-gardiste car parfois appelé à intervenir en l’absence de tout dommage contrairement au droit contemporain de la responsabilité civile. Dès lors face aux perspectives offertes par les fonds, eu égard aux difficultés rencontrées par la responsabilité pour appréhender le risque environnemental majeur ne conviendrait-il pas de remplacer l’obligation de réparation subsidiaire du Fonds par une obligation principale mais aussi intégrale. Il y aurait là, à n’en pas douter, un moyen de faire aboutir une logique environnementale d’indemnisation qui, pour l’heure, n’est qu’amorcée.
Notes de bas de page
1 OST (F.), La responsabilité, fil d’Ariane du droit de l’environnement, Droit et Société, 1995, p. 281.
2 LARROUMET (C.), Réflexions sur la responsabilité civile, Université de Mac Gill-Institut de droit comparé, 1983, spéc. p. 66.
3 Fondation nationale Entreprise et performance, Mission 1994, Responsabilité individuelle, garanties collectives. accidents corporels, réduire les risques et réparer sans faute, PUF, 1998. spéc. p. 11.
4 Nous reprenons ici l’expression du Professeur C. LARROUMET. Cet auteur, pour décrire le régime d’indemnisation applicable aux victimes d’accidents de la circulation, a évoqué l’idée d’un « amalgame de la responsabilité et de l’indemnisation automatique », in L’amalgame de la responsabilité civile et de l’indemnisation automatique, D., 1985, chron., p. 237.
5 PRIEUR (M.), Droit de l’environnement, précit., p. 929.
6 JAMES (S.), Le régime international d’indemnisation : point de vue des assureurs, in Les FIPOL : 25 années d’indemnisation des victimes de sinistres liés à la pollution par les hydrocarbures », Publications du FIPOL, 2003, p. 89, spéc. p. 89
7 REMOND-GOUILLOUD (M.), Pollution des mers, Jurisclasseur Resp. civile, T. IV, Fasc. 430- 1, 1989.
8 V. en ce sens SIMON (P.), La réparation civile des dommages causés en mer par les hydrocarbures, Thèse précit., n° 254.
9 REMOND-GOUILLOUD (M.), Du droit de détruire. Essai sur le droit de l’environnement, précit., p. 170.
10 V. not. ROBIN (C.), La réparation des dommages causés par le naufrage de l’Erika : un nouvel échec dans l’application du principe pollueur-payeur, RJE 1/ 2003, p. 31.
11 Sur cette notion V. VIGNON-OLLIVE (B.), Le principe du pollueur-payeur : un état du droit positif. Thèse, Nice, 1998 ; V. aussi OCDE, Le principe pollueur-payeur, définition, analyse, mise en œuvre, 1975 ; OCDE, Le principe pollueur-payeur, Analyse et recommandation de l’OCDE, Direction de l’environnement, 1992.
12 Sur la décision d’élargir l’utilisation de ce principe aux pollutions accidentelles, V. la Déclaration de clôture de la Conférence de l’OCDE sur les accidents liés aux substances dangereuses-Paris 9. 10 Fév. 1988, C (88) 83, OCDE, 1988.
13 V. not. DAVID (V.) MAIRESSE (S.), et MAITRE (P.), Le principe du pollueur-payeur : cohérence des outils et pertinence du principe, in S. MALJEAN-DUBOIS (Dir.) Centre d’études et de recherches internationales et communautaires, Université Aix-Marseille III, L’outil économique en droit international et européen de l’environnement, La Documentation française, 2002, p. 89.
14 Le Professeur F. CABALLERO a pu écrire que « les redevances viennent combler le vide béant laissé par l’inaction des autorités de police écologique », in Essai sur la notion juridique de nuisance, op. cit. p. 323
15 DE SADELEER (N.), Les principes comme instruments d’une plus grande cohérence et d’une effectivité accrue du droit de l’environnement, in Quel avenir pour le droit de l’environnement ?, sous la direction de F. Ost. Gurvitch, Publication des Facultés Universitaires de Saint-Louis, Bruxelles, p. 242.
16 Face à la difficulté d’appliquer certaines des conditions de la responsabilité aux dommages environnementaux, des coûts qui devraient être supportés par celui qui est à l’origine de la pollution demeurent à la charge de la collectivité ou des lésés ; V. en ce sens, PETITPIERRE (A.), Le principe pollueur-payeur en tant que source de responsabilité, Revue de Droit Suisse, 1990, p. 466, spéc. p. 470.
17 REMOND-GOUILLOUD (M.), Du droit de détruire, essai sur le droit de l’environnement, précit., p. 320.
18 Sur ce point V. SMETS (H.), Les exceptions admises au principe pollueur-payeur, in La Communauté européenne de l’environnement, Colloque d’Angers sous la direction de J.-C. MASCLET, La Documentation Française, 1997, p. 635. Ces exceptions peuvent prendre la forme d’une limitation de responsabilité pour le pollueur voire d’une aide aux pollueurs qui prennent en charge des mesures exceptionnelles.
19 Ainsi, on pourrait songer à accorder des aides aux propriétaires de navires afin de les inciter à acquérir des flottes de navires plus jeunes. V. en ce sens, MORIN (M.), La prévention et la lutte contre la pollution par les navires de commerce, ADMO, Tome XIV, 1996, p. 167, spéc. p. 201-202.
20 On notera que celui-ci aura toujours la possibilité de faire supporter les coûts au consommateur final. V. en ce sens NATOWICZ (I.), Qui supporte les risques d’atteinte à l’environnement ? Le pollueur, l’assureur, le consommateur final in La Communauté européenne de l’Environnement, Colloque d’Angers sous la direction de J.C. Masclet, La Documentation française 1997, spéc. p. 655.
21 RÉMOND-GOUILLOUD (M.), Du droit de détruire, essai sur le droit de l’environnement, précit., p. 160.
22 Loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, JORF du 3. 02. 95 p. 1840, C. rur. art. L. 200-1.
23 Nous reprenons ici la formule consacrée par le Professeur H. SMETS, Examen critique du principe du pollueur-payeur, in Mélanges en hommage à Alexandre Kiss, Editions Frison-Roche, Paris, 1998, 79-95, spéc. p. 91.
24 V. en ce sens SOUSSE (M.), La notion de réparation de dommages en droit administratif français, Préf. J-L. PONTIER, LGDJ, 1994, spéc. p. 396.
25 DAVID (V.) MAIRESSE (S.), et MAITRE (P.), Le principe du pollueur-payeur : cohérence des outils et pertinence du principe, précit., p. 93.
26 MODERNE (F.), note sous C.E., 21 novembre 1973, Société des Papeteries de Gascogne, AJDA, 1974, p. 489.
27 Les agences financières de bassin perçoivent des redevances auprès des usagers en proportion de la qualité de leurs rejets dans les eaux, et les redistribuent dans un but de protection de l’environnement, en octroyant des subventions ou des prêts à des personnes publiques ou privées pour la réalisation de travaux de dépollution. V. en ce sens DESPAX (M.), La pollution des eaux et ses problèmes juridiques, Libr. tech., 1968, p. 63.
28 DUPUY (P.-M.), La responsabilité internationale des États pour les dommages d’origine technologique et industrielle, Pédone, 1976, p. 284.
29 FARJAT (G.), Droit privé de l’économie, t. 2, Théorie des obligations, P.U.F., 1975, p. 369 et s.
30 CABALLERO (F.), Essai sur la notion juridique de nuisance, p. 322
31 Ibid, p. 326.
32 Ibid, p. 335.
33 Ibid, p. 327.
34 Ibid, p. 331.
35 Originellement, le principe du pollueur-payeur n’entretenait aucun lien avec la responsabilité civile. V. en ce sens BRODECKI (Z.), Liability for Damage caused by the escape of dangerous cargoes from the Ships, Ninth international Symposium on the Transport and Handling of dangerous Goods by sea and Inland Waterways, Part II, p. 411.
36 THOUILIN (B.), Le nouveau régime d’indemnisation des dommages du fait de la pollution résultant du transport maritime d’hydrocarbures, Etude réalisée par la direction des affaires juridiques, contrats et sécurité, Trading/ Shipping, 1998, p. 5 ; un autre auteur, M.MORIN, constatant le peu d’effectivité du principe du pollueur - payeur tel que traduit par la Convention sur la responsabilité civile suggère « de faire payer aux armateurs une redevance par l’intermédiaire des droits de ports auxquels on rajouterait une contribution spécifique ». Cette dernière serait modulée selon divers critères comme le tonnage du navire ou la nature des marchandises transportées mais aussi selon d’autres éléments tels que l’âge du navire ou l’identité de la société de classification qui a délivré les certificats. Les navires présentant des certificats non reconnus par l’IACS, ou des certificats d’assurances non délivrés par le Groupe international des P&I Clubs seraient pénalisés. Pareilles discriminations ajoute l’auteur, ne risqueraient pas d’être condamnées, car non contraires aux règles du commerce international, et surtout basées sur des éléments objectifs reconnus internationalement, in La pollution par les navires de commerce et les États côtiers, Thèse Nantes, 1995, p. 255.
37 ODIER (F.), Une nouvelle étape dans le développement de la sécurité maritime, Les leçons de l’Erika », A.D.M, 1999, Tome IV, Pédone, déc. 2000, p. 179, spéc. 184.
38 ODIER (F.), L’Erika ou une nouvelle conception de la sécurité, ERM, 2000 p. 32, spéc. p. 35.
39 V. not. en ce sens REMOND-GOUILLOUD (M.), Du droit de détruire, Essai sur le droit de l’environnement, précit., p. 170
40 DELEBECQUE (Ph.), Responsabilité et indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, à propos de la catastrophe de l’Erika, précit., p. 125.
41 LARROUMET (Ch.), La responsabilité civile en matière d’environnement, le projet de Convention du Conseil de l’Europe et le livre vert de la Commission des Communautés, D., 1994, chron., p. 101, spéc. p. 104.
42 V. nos développements infra. n° 725.
43 V. en ce sens SOUSSE (M.), La notion de réparation de dommages en droit administratif français, précit., p. 402.
44 V. CASSON (Ph.), Les fonds de garantie, accidents de la circulation et de chasse, infractions pénales, actes de terrorisme, et contamination par le VIH, préf. G. VINEY, collec. Droit des affaires, LGDJ, 1999.
45 CABALLERO (F.), Essai sur la notion juridique de nuisance, op. cit. p. 344.
46 ARHAB (F.) Le préjudice écologique, Thèse, Tours, 1998, p. 97.
47 Ainsi le Professeur Y. LAMBERT-FAIVRE note que « Les fonds de garantie se multiplient dans tous les domaines où l’indemnisation constitue un impératif de justice, même en l’absence de responsable connu solvable, ou assuré ». in L’évolution de la responsabilité civile, d’une dette de responsabilité à une créance d’indemnisation, RTD.civ., 1986 (1) janv-mars 1987, p. 1, spéc. p. 19.
48 DUPUY (P.-M.), La responsabilité internationale des États pour les dommages d’origine technologique et industriels, précit., p. 286
49 Art. 10. 1. 2 b). La convention les regroupe sous l’appellation « personne associée ».
50 REMOND-GOUILLOUD (M.), Du droit de détruire- Essai sur le droit de l’environnement, précit., p. 162.
51 De SADELER (N.), Les principes du pollueur-payeur, de prévention et de précaution, essai sur la genèse et la portée juridique de quelques principes de droit de l’environnement, Bruylant, 1999, précit., p. 79
52 FC, art. 10- Cette désignation est, du reste, conforme aux souhaits exprimés par les rédacteurs du Rapport du Conseil économique et social : les causes et les conséquences du naufrage du pétrolier Erika, Avis présenté par Messieurs MULLER (M.), FITERMAN (C.), TARDY (D.) et Madame BATTUT (C.), Avril 2000. L’application du principe du pollueur- payeur doit être réservée au propriétaire de la cargaison « puisque c’est bien le produit lui même qui est potentiellement polluant », rapport précit., p. 28.
53 Art. 10. 1. 2 b
54 Par exemple s’agissant de l’Erika, ce sont les contributeurs japonais - qui ont apporté la plus grande part des contributions, soit 22 % au fonds des grosses demandes d’indemnisation, spécialement constitué pour le sinistre en question. Les industries pétrolières françaises, dont la société TOTAL FINA n’ont contribué qu’à hauteur de 9 % à la réparation des dommages, après la contribution des industries coréennes et néerlandaises. Rapport annuel 2000 du FIPOL, p. 20. On notera que 1999, année du naufrage de l’Erika, cette société annonçait un bénéfice de plus de 20 milliards de francs, lequel bénéfice a plus que doublé en 2000, avec un résultat net de 7, 6 milliards d’euros soit plus de 49 milliards de francs. chiffres cités par le Professeur A. VIALARD, De quelques enseignements de l’Erika, précit., p. 418.
55 ROBERT (S.), L’Erika : Responsabilités pour un désastre écologique, Pédone, CEDIN Paris I, Perspectives internationales, n° 24, 2003 p. 64.
56 SNPD, Art. 1. 4- Le réceptionnaire désigne soit
a) la personne qui reçoit effectivement la cargaison donnant lieu à contribution qui est déchargée dans les ports et terminaux d’un État Partie, étant entendu que, si au moment de la réception, la personne qui reçoit effectivement la cargaison agit en tant que mandataire pour le compte d’une autre personne qui est soumise à la juridiction d’un quelconque État -partie, le mandant sera considéré comme étant le réceptionnaire, si le mandataire révèle au fonds SNPD, l’identité du mandant, soit
b) la personne qui dans l’État partie conformément à la loi nationale de cet État partie est considérée comme étant le réceptionnaire de la cargaison totale donnant lieu à contribution qui est reçue conformément à cette loi nationale est effectivement la même que celle qui aurait été reçue au titre de l’alinéa a).
57 BOISSON (Ph.), La Convention SNPD de 1996 et l’indemnisation des dommages causés par le transport maritime des marchandises dangereuses, DMF, 1996, p. 565
58 V. en ce sens les commentaires de SIMON (P.), La réparation civile des dommages causés en mer par les hydrocarbures, Thèse précit., n° 333. Cet auteur fait remarquer que le risque de pollution était créé par la nature du produit. Il en déduisait que les contributions devaient être assises sur les quantités échangées d’hydrocarbures ou sur les quantités utilisées industriellement ou commercialement par un pays sans autres précisions. Le fait que les hydrocarbures soient importés ou exportés, reçus ou ré-acheminés ne paraît donc pas déterminants en soit. Dès l’instant où ils sont présents et maniés par l’homme, ils créent un risque de pollution. L’auteur regrette que le système de contribution de la Convention de 1971 soit conçu comme si, seuls les pays importateurs bénéficiaient des avantages du pétrole, les pays exportateurs en bénéficiant de fait tout autant.
59 V. BOISSON (Ph.), L’OMI réussit à jeter les fondations de la nouvelle Convention HNS, JMM du 29.04.94, p. 1108.
60 Les principes de la responsabilité civile, Dalloz, Coll. « Connaissance du droit », 6ème éd., 2003, p. 20.
61 FC 1992 : art. 3.
62 V. not. en ce sens NDENDE (M.), Regard sur les procédures d’indemnisation des victimes de la catastrophe de l’Erika, ADMA, 2003, p. 89, spéc. p. 104.
63 V. en ce sens MILLET (F.), La notion de risque et ses fonctions en droit privé, L.G.D.J. Presses Universitaires de la Faculté de Droit de Clermont- Ferrand, 2001, n° 491.
64 VINEY (G.), Responsabilité personnelle et répartition des risques, précit., p. 17. L’auteur souligne toutefois que même si la responsabilité civile cesse d’être un préalable à la mise en œuvre du droit de réparation, cette dernière peut toutefois parfois retrouver son empire, dans une phase ultérieure sous la forme d’actions complémentaires ou récursoires.
65 Nous empruntons cette formule au professeur Ch. LARROUMET, Réflexions sur la responsabilité civile. Evolution et problèmes actuels, précit., spéc. p. 52.
66 LARROUMET (Ch.), Réflexions sur la responsabilité civile. Evolution et problèmes actuels, précit., 54.
67 VINEY (G.), Responsabilité personnelle et répartition des risques,précit., p. 19.
68 REMOND-GOUILLOUD (M.), Les fonds d’indemnisation, (collectivisation du risque), précit., p. 308.
69 LAMBERT-FAIVRE (Y.), L’évolution de la responsabilité civile, d’une dette de responsabilité à une créance d’indemnisation, précit., p. 19.
70 EWALD (F.), Responsabilité-solidarité- sécurité, Risques n° 10, p. 9, spéc. p. 15.
71 Les expressions de la solidarité en droit maritime sont nombreuses, qu’elles soient externes à l’expédition comme l’assistance ou même internes comme l’avarie commune. V. les développements consacrées à cette notion par le Professeur A. VIALARD, Droit maritime, précit., n° 43 et s.
72 WU (Ch.), La pollution du fait du transport maritime des hydrocarbures : responsabilité et indemnisation des dommages, précit., p. 117.
73 Le chiffre choisi, somme toute conséquent, restreint le nombre des entreprises tenues de verser des contributions. Les principaux contribuables du FIPOL sont les grandes compagnies pétrolières. Ce choix d’épargner les petits importateurs est également inspiré par un souci de bonne gestion. En effet à l’occasion des travaux préparatoires de la Convention portant création du FIPOL, il avait été souligné que les contributions exigibles auraient pu être inférieures au montant des frais d’administration exposés pour les recueillir. V. en ce sens D.O. 1971, LEG/ CONF. 2/ 3, p. 88.
74 Le Japon est de loin le plus gros contributeur au Fonds de 1992 avec une participation d’environ 20 % du montant total des contributions en 2003, l’Italie participe à hauteur de 11 %, la République de Corée à hauteur de 10 %, les Pays- Bas à hauteur de 8 %, la France à hauteur de 8 %, le Royaume-Uni à hauteur de 6 %, Singapour à hauteur de 6 %, l’Espagne et le Canada à hauteur de 5 % chacun, suivis de l’Allemagne, l’Australie et la Norvège. Chiffres cités par M. JACOBSSON, Le régime international depuis 25 ans, in Les FIPOL : 25 années d’indemnisation des victimes de sinistres liés à la pollution par les hydrocarbures, spéc. p. 13.
75 Les États membres n’engagent pas leur responsabilité en cas de non-versement par leurs industries de ces contributions.
76 BONASSIES (P.), La Convention internationale sur l’indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de Substances Nocives et Potentiellement Dangereuses, Annales IMTM, 1996, p. 196.
77 V. en ce sens FC : art. 12.
78 où l’on trouve le capital venant des contributions initiales et qui est destiné à couvrir les demandes d’indemnisation peu importantes. FC art. 12 § 2 ( a).
79 FC art. 12 § 2 (b) Ainsi par exemple, l’Assemblé a décidé de procéder à un appel à contribution au fonds de grosses demandes à l’occasion de la catastrophe de l’Erika, Cf. Rapport annuel du FIPOL de 2000, p. 31.
80 Cela a été notamment le cas en 1979, 1984, 1986.
81 REMOND-GOUILLOUD (M.), Les fonds d’indemnisation (collectivisation du risque), précit., p. 309.
82 V. LE COUVIOUR (K.), La Convention SNPD : quelques réflexions sur la dernière pièce du dispositif, DMF, 1999, p. 1075.
83 Cf. SNPD, Art. 20. L’article 12 de la Convention de 1992 portant création du FIPOL prévoyait également des contributions initiales, (cf. DO 1971, LEG/ CONF. 2/ C/SR, p. 424). Cet article a depuis lors été supprimé, le FIPOL étant parvenu à se constituer une trésorerie lui permettant de faire face à ses frais et aux demandes d’indemnisation sans recourir au versement de ce type de contributions, au fil des années. Monsieur M. JACOBSSON, actuel administrateur du FIPOL révélait qu’« au cours des dernières années, les FIPOL ont détenu des liquidités de plus de 300 millions de $ US », in Le régime international depuis 25 ans, précit., p. 16.
84 F.C Art. 13 c, SNPD art. 13. 1.
85 Ainsi « le montant de toute contribution en retard est accru d’un intérêt dont le taux est fixé conformément au règlement intérieur du fonds, étant entendu que différents taux peuvent être fixés selon les circonstances », Art. FC Art. 13. 1.
86 FC Art. 13. 3
87 V. en ce sens. HUMBERT (D.), Le droit civil à l’épreuve du droit de l’environnement, Essai. sur les incidences des préoccupations environnementales en droit des biens, de la responsabilité et des contrats, Thèse datyl. Nantes 2000, p. 275.
88 JACOBSSON (M.), Le régime international depuis 25 ans, précit., p. 16.
89 Les paiements les plus significatifs effectués au 31 aout 2004 sont les suivants, Antonio Gramsci (Suède 1979) :13,6 millions d’euros, Tanio (France 1986) : 28, 6 millions d’euros, Braer (Royaume-Uni, 1993) : 69,4 millions d’euros, Nakhodka (Japon, 1997) : 163,4 millions d’euros. Si l’indemnisation ds victimes de l’Erika est toujours en cours, au 31 août 2004, le FIPOL avait versé au titre du sinistre de l’Erika (France, 1999), 79,4 millions d’euros, de celui du Prestige, (Espagne, Portugal, France, 2002) 57, 6 millions, on notera que l’indemnisation des victimes est encore en cours.
90 Monsieur M. JACOBSSON, administrateur du FIPOL indiquait que sur 61 événements impliquant le FIPOL, 58 tombaient entièrement dans cette catégorie, in, The International Conventions on liability and compensation for oil pollution damages and the activities of the International Oil Pollution Compensation Fund, in Liability for damage to the marine environment, précit., spéc. p. 42. Cette tendance ne semble pas s’être inversée. V. DE LA RUE (C.) and ANDERSON (C.B.), Shipping and the Environment, Law and Practice, précit., .spec. p. 135.
91 F.C art. 4. 1.
92 V. en ce sens la thèse développée par le Professeur G. VINEY, Le déclin de la responsabilité individuelle, Thèse précit., V. plus particulièrement la première partie de la thèse où l’auteur analyse la coexistence de la responsabilité individuelle et des régimes de réparation collective.
93 FC art. 4-1 b.
94 V. nos développements infra. n° 2185.
95 CLC - art. VII. 1.
96 899 tonnes de pétrole au titre de cargaison
97 Le Club versa une somme équivalente à la plus petite limite de la responsabilité du propriétaire. Au vu de ce paiement, le directeur du fonds prit l’engagement de ne pas exercer d’action contre le propriétaire de l’Akari ou de son assureur, Rapport annuel du FIPOL, 1990.
98 CLC art. 4.1.
99 L’article 1. al. 1 de la Convention CLC 92 définit le navire comme « Tout bâtiment de mer ou engin marin, quel qu’il soit, construit ou adapté pour le transport des hydrocarbures en vrac en tant que cargaison, à condition qu’un navire capable de transporter des hydrocarbures et d’autres cargaisons ne soit considéré comme un navire que lorsqu’il transporte effectivement des hydrocarbures en vrac en tant que cargaison et pendant tout voyage faisant suite à un tel transport à moins qu’il ne soit établi qu’il ne reste à bord aucun résidu de ce transport d’hydrocarbures en vrac. La définition du navire retenue dans la Convention SNPD est beaucoup plus ouverte, puisque le navire signifie tout bâtiment de mer ou engin marin, quel qu’il soit. SNPD Art 1. al. 1.
100 FC art. 4. 2. b.
101 V. Sinistre au Portugal, Rapport annuel du FIPOL, 1993.
102 CLC 92- art. 2 § 5.
103 V. Sinistre en Allemagne, déversement de source inconnue au Maroc, Rapport annuel du FIPOL, 1997 p. 77.
104 V. en ce sens DE LA RUE (C.) and ANDERSON (C.B), Shipping and the Environment, Law and Practice, précit., p. 136.
105 Nous reprenons ici la formulation de Madame C. WU, La pollution du fait du transport maritime des hydrocarbures : responsabilité et indemnisation des dommages, précit., p. 369.
106 RIGAUX (F.), Préface à La réparation des dommages catastrophiques, les risques technologiques majeurs en droit international et en droit communautaire, Travaux des XIIIèmes journées Jean Dabin Bruxelles, Bruylant-Bruxelles, 1990, spéc. p. x.
107 V. LAMBERT-FAIVRE (Y.), Droit du dommage corporel ; systèmes d’indemnisation, Dalloz, 4ème éd., 2000 ; V. aussi les développements consacrés à cette question par PRADEL (X.), Le préjudice dans le droit civil de la responsabilité, préf. P. JOURDAIN, LGDJ, 2004, spéc. p. 299 et suiv.
108 V. en ce sens VIALARD (A.), Le préjudice économique pur. Variations maritimistes, précit., spéc. p. 287. Il faut réserver les catastrophes du type explosion (Bételgeuse à Bantry Bay) ou incendie (Dona Paz, aux Philippines : milliers de morts dans l’abordage d’un car-ferry surchargé et d’un pétrolier, suite à un incendie). V. aussi WETTERSTEIN (P.), P&I and environmental Damage, précit., p. 83 et du même auteur, Oil pollution and pure economic loss, ADMA, 1996, p. 37.
109 On notera toutefois que le FIPOL a déjà eu l’occasion de prendre à sa charge les coûts des traitements médicaux et de soins de personnels chargés d’opération de nettoyage. V. en ce sens JACOBSSON (M.) & TROTZ (N.) The definition of pollution damage in the 1984 Protocols to the 1969 Civil Liability Convention and the 1971 Fund Convention, JMLC, 1986, p. 467, spéc. p. 471. Des demandes d’indemnisation relatives à des dommages corporels ont été déposées dans le cadre de l’affaire du Braer. De plus, il faut noter que parmi les nombreuses personnes qui ont pris part aux opérations de nettoyage qui ont suivi la pollution de l’Exxon Valdez (1989), certaines souffrent actuellement de problèmes respiratoires qui seraient dus aux émanations toxiques des hydrocarbures. V. en ce sens, Liability Risk & Insurance, Issue N° 45, April 1994, p. 80.
110 La plus désastreuse reste sans conteste celle du Mont-Blanc ; ce navire français de 3 000 tonnes appartenait à la Compagnie générale atlantique, et contenait dans ses soutes 2 300 tonnes d’acide picrique, et 3000 tonnes de TNT ainsi que de nombreux barils d’essence, lorsqu’il entra en collision dans le port d’Halifax le 7 décembre 1917, avec un autre bâtiment, l’Imo. L’abordage provoqua une explosion. Le blast rasa le port et la moitié de la ville causant un gigantesque raz de marée qui noya ceux qui avaient survécu à l’explosion. Cette tragédie coûta la vie à 3 000 personnes, en blessa 9 000 autres, et laissa 6 000 personnes sans abris. L’explosion du Fort Stikine en 1944, entraîna le décès de 1250 personnes.le Grandcamp (1947) à Texas City, suite à une explosion occasionna le décès de 468 personnes ; Ocean Liberty quelques mois plus tard à Brest 21 personnes. D’autres accidents sont restés célèbres, l’incendie suivi de l’explosion du Seistan à Bahrain en 1957 causa la mort de 57 personnes. V. BOISSON (P.), Le transport par mer de substances nocives et dangereuses, Bulletin technique du Bureau Veritas N° 1-1989 P 7-7. Les chimiquiers sont fortement exposés au risque d’explosion. Il n’est pas rare que certains membres de l’équipage succombent de ce fait. V. not. l’explosion du Bow Mariner rapportée par NEUMEISTER (M.) au JMM du 5 mars 2004. « Venant de New York et se dirigeant vers Texas City, avec environ 11 000 t d’éthanol, le chimiquier Bow - mariner a explosé dans la nuit du 29 février 2004 à une cinquantaine de milles au large de la Virginie. Selon le propriétaire du navire, neuf marins ont été évacués mais trois sont décédés des suites de leurs blessures, dix huit autres n’ont pas été retrouvés. Le navire a sombré après avoir explosé. Visiblement formé à la communication de crise, le groupe norvégien souligne que l’éthanol est un alcool soluble dans l’eau et classé à l’annexe 3 de la Convention Marpol. Il est faiblement toxique et son impact sur l’environnement est négligeable ».
111 PRADEL (X.), Le préjudice dans le droit civil de la responsabilité, op. cit. n° 242. Délimiter l’étendue de cette protection revient à s’interroger sur le lien de causalité. On notera que dans une affaire de sinistre mémoire, Minamata, la Haute Cour de justice japonaise avait déclaré les deux dirigeants d’une société d’industrie chimique responsables de la mort de deux personnes empoisonnées par du mercure déversé en mer et absorbé par des poissons dont ils s’étaient nourris. V. sur ce point la chronique des faits internationaux : 2° épilogue judiciaire dans l’affaire de la pollution de Minamata, RGDIP, 1983, p. 439.
112 SNPD : Art. 11.
113 Le déversement d’hydrocarbures a pour effet de souiller un certain nombre de biens. Sont particulièrement exposés à ce risque les navires de pêche et leurs apparaux, les yachts, plages, môles et digues, les usines de désalinisation, les installations utilisant de l’eau de mer comme liquide de refroidissement. Le FIPOL admet sans aucune difficulté que cette atteinte physique à la propriété constitue un dommage. Dès lors les dépenses pécuniaires afférentes au nettoyage des biens souillés, voire leurs frais de remplacement sont reconnues indemnisables tant par les juridictions nationales que par le FIPOL. Ainsi dans le cadre de l’affaire du Braer, les souillures causées par la vaporisation d’hydrocarbures sur les maisons sous l’effet du vent a fait l’objet d’une indemnisation spécifique. (D.F ; FIPOL/ EXC. 35/ 10, 1993).
114 Est considéré comme préjudice consécutif, le manque à gagner subi par les propriétaires ou les exploitants de biens contaminés à la suite d’un déversement. L’exemple classique est le manque à gagner subi par le pêcheur dont les filets ont été souillés ou détruits par la pollution, en attendant leur remplacement au titre des dommages aux biens. Ces préjudices consécutifs sont réparés conformément aux principes traditionnels du droit de la responsabilité civile. Pour être indemnisable, le dommage doit être direct et certain. Il doit exister de surcroît un lien de causalité suffisamment étroit entre l’événement de pollution et le dommage. C’est du reste l’absence de réunion de ces trois éléments qui va faire obstacle à l’indemnisation d’une tierce personne, c’est à dire d’une personne qui n’a pas subi directement un dommage physique à sa propriété. Cette solution n’est pas propre au droit d’obédience latine. En Common Law, la doctrine du « Robin dry Dock » ou « parasistic damage » est invoquée à des fins similaires. Sur ces deux questions, nous renvoyons à l’étude très complète réalisée par DE LA RUE (C.) and ANDERSON (C.B.), Shipping and the Environment, Law and Practice, op. cit, p. 433.
115 WU ( Ch.). La pollution du fait du transport maritime des hydrocarbures : responsabilité et indemnisation des dommages, précit., p. 369.
116 VINEY (G.), Le préjudice écologique, Resp.civ et assur., Numéro spécial, Mai 1998 p. 6, spéc. p. 8
117 personne publique ou privée.
118 On notera que» la Common Law anglaise ressemble énormément sur la question du lucrum cessans pur et simple à la Common Law américaine.WU (Ch.), La pollution du fait du transport maritime des hydrocarbures : responsabilité et indemnisation des dommages, précit., p. 384.
119 Décision de la Cour suprême américaine de 1927 citée par WU (Ch.). La pollution du fait du transport maritime des hydrocarbures : responsabilité et indemnisation des dommages, précit., p. 373. La doctrine américaine du Robins Dry Dock a un équivalent anglais dégagé à l’occasion du Rylands v. Flechter.
120 L’affaire de la Mississipi River Gulf Outlet cité par WU.(Ch.) La pollution du fait du transport maritime des hydrocarbures : responsabilité et indemnisation des dommages précit., p. 377 est particulièrement révélatrice. Suite à une collision, un navire le Test Bank avait déversé des produits chimiques toxiques. Un certain nombre de professionnels avait déposé une demande d’indemnisation parmi lesquels des pêcheurs bien sûr, des exploitants de marinas, des loueurs de navires, des commerces de détail de fruits de mer ; Seuls les premiers ont obtenus satisfaction. V. en ce sens 524 F. Supp. , 1170 : Louisiana ex rel. Guste v. M/V Testbank. (E.D. La. 1981)
121 Pour un approfondissement de cette question, nous renvoyons aux réflexions de Madame C. RUSSO, De l’assurance de responsabilité à l’assurance directe, contribution à l’étude d’une mutation de la couverture des risques, Nouvelle bibliothèque des thèses, Dalloz, 2001 ; Préf. G. MARTIN, V. plus particulièrement la partie II. Parce que la préface rédigée par le professeur de G.J Martin retrace particulièrement bien la démonstration de l’auteur, il nous semble à défaut de pouvoir nous lancer dans des développements plus conséquents d’en reprendre ici le contenu. « La réflexion de l’auteur repose sur un double constat : le droit de la responsabilité civile s’étant transformé en un véritable droit de la réparation guidé par l’objectif indemnitaire, les professionnels de l’assurance et une partie non négligeable de la doctrine soutiennent que l’assurance responsabilité civile n’ a plus la capacité financière de répondre aux besoins des victimes. Après avoir connu une croissance extraordinaire et après avoir contribué de manière décisive à développer le risque qu’elle avait précisément pour objet de couvrir, l’assurance de responsabilité civile est aujourd’hui en crise et cible de toutes les attaques : elle doit laisser place à l’assurance directe. Tel est le second constat : les mêmes auteurs, les mêmes milieux proches du monde de l’assurance développent l’idée selon laquelle la responsabilité et son assurance sont finalement de mauvais instruments pour garantir les victimes, qui auraient tout intérêt à leur préférer des mécanismes socialisés d’assurance directe affranchis des préoccupations de responsabilité. Cette substitution, pour être progressive, devrait néanmoins être aussi large que possible en concernant tous les dommages de masse ».
122 OPA § 1002 (b) (2) (E).
123 On notera toutefois que cet intérêt-propriétaire est apprécié de façon particulièrement souple s’agissant des pêcheurs. En effet d’un strict point de vue juridique, on peut douter de l’existence d’un tel intérêt. Sur cette question V. PROUTIERE-MAULION (G.), L’évolution de la nature juridique du poisson de mer, Contribution à la notion juridique de bien, D. 2000, chron. p. 647. Cela ne saurait toutefois porter atteinte à la légitimité de ladite demande.
124 V. sur ce point l’étude du même titre consacrée à cette question par le Professeur P. WETTERSTEIN, A proprietary or Possesory Interest : a conditio sine que non for claiming damages for environmental damages ? publiée in Harm to the environment : the right to compensation and the assessement of damages p. 29.
125 Les lois fédérales y compris la Common Law sont supérieures aux lois étatiques en droit américain sauf mention contraire explicite. Ce qui n’arrive jamais s’agissant de la Common Law.
126 Sur le problème spécifique de l’indemnisation du préjudice économique aux États-Unis V. not. GOLDBERG (P.), Recovery for economic loss following-The Exxon Valdez oil spill, The Journal of Legal studies, 1994, vol. XXIII, p. 15.
127 767 F. Supp. , 1509: in Re Exxon Valdez, p. 1515- SHELBY (A.), Caught in a net. Fifteen years after Exxon Valdez, Alaskan are still waiting for a settlement, Environment magazine, July/ August 2004, p. 34.
128 On observera que l’effet produit par adjonction de la mention « manque à gagner dû à l’altération de l’environnement » est double. Si cette précision doit permettre une meilleure indemnisation des victimes placées sous la Common Law car réduisant à néant le critère du rattachement physique, elle a aussi un effet restrictif car elle proscrit ipso facto l’indemnisation du préjudice économique pur.
129 WETTERSTEIN (P.), Oil pollution and pure economic loss, ADMA, 1996, p. 37, spéc. p. 38. Le Professeur P. WETTERSTEIN souligne le pouvoir quasi discrétionnaire des tribunaux nationaux dans la détermination de l’étendue de la sphère des dommages indemnisables.
130 Art. 1149 du Code civil. V. sur ce point LAPOYADE-DESCHAMPS (C.), V. Dommages et intérêt, Rép. civ. Dalloz.
131 DU PONTAVICE (E.), Les rayons et les ombres des Protocoles de 1984, ERM, 1987, n° 2, p. 119.
132 V. not. l’affaire du France, DMF, 1979, p. 596, CA Paris, 5ème Chambre civile, 23/ 4/ 1979, Navire France, p. 600. En dépit de l’injonction faite par les autorités portuaires havraises, le paquebot France, propriété de la Compagnie générale transatlantique (CGT) est immobilisé dans le chenal suite à un mouvement de grève du personnel. Cette initiative intempestive va contraindre trois super tankers affrétés par la Compagnie française de raffinage (CFR) à aller décharger une partie de leur cargaison à Rotterdam. La 5ème Chambre civile de la Cour d’appel de Paris, appelée à se prononcer sur l’attribution d’un éventuel dédommagement va considérer que la CGT en qualité de gardien doit être déclarée responsable du lucrum cessans pur et simple subi par la CFR du fait du déroutement, sur la base de l’article 1384, alinéa premier du Code civil. En effet, ledit paquebot a participé certainement et directement à la réalisation du dommage. Le manque à gagner pur et simple est donc apprécié à l’aune des éléments de causalité communs à tous types de dommages. Pour être réparable, le préjudice à savoir ici la perte éprouvée, doit être la conséquence directe et certaine d’un acte dont est responsable le défendeur.
133 LAPOYADE-DESCHAMPS (C.), La réparation du préjudice économique pur en droit français, RIDC, 2-1998, p. 367, spéc. p. 368.
134 JOURDAIN (P.), Les principes de la responsabilité civile, précit., spéc. p. 58.
135 LAPOYADE-DESCHAMPS (C.), La réparation du préjudice économique pur en droit français, précit., op. cit., spéc. p. 372.
136 V. not. REMOND-GOUILLOUD (M.), TGI Bastia, 8 déc. 1976, Prud’hommie des pêcheurs de Bastia et autres C/ Soc. Montedison. D. 1977, p. 427, spéc. p. 430.
137 Lorsque la Common Law n’applique pas la règle du Robins, elle emploie la théorie dite de la « proximate cause ». L’originalité de cette théorie est de ne retenir que les causes dont le dommage est la conséquence immédiate, à savoir celles qui entretiennent avec lui un rapport de proximité temporelle. Le reproche formulé à l’encontre de cette théorie est d’écarter des causes qui quoique plus éloignées du préjudice, n’en ont pas moins joué un rôle important dans sa réalisation. V. en ce sens JOURDAIN (P.), Les principes de la responsabilité civile, op. cit p. 59.
138 V. not., TGI Bastia, 8 déc. 1976, Prud’hommie des pêcheurs de Bastia et autres C/ Soc. Montedion, note REMOND- GOUILLOUD (M.), D. 1977, p. 427, spéc. p. 430.
139 Décision du 11. 01. 98.
140 Le nez de Cléopatre ou les affres de la causalité, D. 1964, Chr., 205.
141 V. not. en ce sens HONORE (A.-M.), International Encyclopedia of comparative law, vol. XI, Chap. 7, n° s 101 à 104, cité par VINEY (G.), Les obligations, La responsabilité : conditions, LGDJ 1982. n ° 336.
142 V. en ce sens le jugement particulièrement sévère de W. TETLEY. Ce professeur de droit canadien à propos d’une décision de justice française aux termes de laquelle un préjudice pour être indemnisable doit être direct, note que « les juges comme les auteurs déclarent un préjudice direct ou indirect suivant qu’il leur plait ou non d’allouer une indemnité », in Damage an economic loss in marine collision : controlling the floodgates, JMLC, 1991, p. 578
143 JOURDAIN (P.), Les principes de la responsabilité civile, précit., p. 59.
144 VIALARD (A.), Le préjudice écologique pur, variations maritimistes,. précit., p. 249.
145 L’examen des rapports du FIPOL permet d’avoir un aperçu de cette « jurisprudence ». Pour une approche synthétique des critères du FIPOL sur l’admissibilité des demandes d’indemnisation, v. ROHART (J.-S.) DMF 2006, 970.
146 V. PRIEUR (M.), Droit de l’environnement, précit., n° 1151.
147 Édité par le FIPOL dernière édition avril 2005.
148 BOLLECKER-STERN (B.), Le préjudice dans la théorie de la responsabilité internationale, Pédone, 1973, spéc. p. 186.
149 JACOBSSON (M.) and TROTZ (N.), The definition of pollution damage in the 1984 Protocols to the 1969 Civil Liability Convention and the 1971 Fund Convention, précit., p. 477. Certains pêcheurs, notamment japonais se sont vus reconnaître un droit de propriété sur leur zone de pêche.
150 Il faut veiller à ce que la personne qui prétend avoir subi une perte ait un droit spécifique de jouissance de la région polluée. En d’autres termes que ses revenus dépendent normalement et directement des activités côtières se pratiquant dans cette région.
151 Ce principe va notamment faire obstacle à l’admission des demandes des compagnies d’aviation ou d’autres sociétés de transport (par ex la SNCF), lesquelles ne peuvent se prévaloir d’aucun droit spécifique d’utilisation de la région. V. en ce sens JACOBSSON (M.) and TROTZ (N.), The definition of pollution damage in the 1984 Protocols to the 1969 Civil Liability Convention and the 1971 Fund Convention, précit., p. 490.
152 Ainsi, un hôtel bien que moins fréquenté par les touristes continue de verser des salaires à ses employés. Cette dépense doit être qualifiée de « dépense économique transitive ». Ainsi dans l’affaire de l’Amoco Cadiz, le juge Mc Garr a considéré que puisque preuve avait été faite que la société avait payé ses employés, bien qu’ils ne travaillaient pas du fait de la pollution, l’Amoco devait supporter cette dépense. (décision du 11/ 1/ 1988, p. 141-142.)
153 Le droit français consent à indemniser les préjudices futurs à condition toutefois qu’ils soient certains. Ainsi le tribunal de commerce de Rennes a rendu le 29 avril 2004 un jugement à propos d’un litige qui opposait une victime de l’Erika au propriétaire du navire et du FIPOL. Il a débouté de sa demande la société rennaise Randobalad. Cette agence de voyages spécialisée dans les randonnées, bien que pratiquant des ventes directes aux touristes, ne peut prétendre être indemnisée pour une perte hypothétique de progression de son chiffre d’affaire, Le Télégramme du 30 avril 2004.
154 V. en ce sens, JACOBSSON (M.) and TROTZ (N.), The definition of pollution damage in the 1984 Protocols to the 1969 Civil Liability Convention and the 1971 Fund Convention, précit., p. 478. Le rapport annuel 2004 du FIPOL indique que « une demande pour un préjudice économique pur est évaluée en fonction des résultats financiers effectivement obtenus par le demandeur lors de la période comparable d’années antérieures à l’événement. L’évaluation n’est pas fondée sur des chiffres prévisionnels. On notera encore que toute économie réalisée sur les frais généraux ou d’autres dépenses courantes qui n’ont pas été encourues du fait de l’événement doit être déduite des pertes subies par le demandeur, spéc. p. 82.
155 V. Manuel d’indemnisation du FIPOL avril 2005.
156 Rapport annuel du FIPOL 2004, p. 83.
157 BOLLECKER-STERN (B.), Le préjudice dans la théorie de la responsabilité internationale, op. cit., p. 228.
158 BOLLECKER- STERN (B.), Le préjudice dans la théorie de la responsabilité internationale, op. cit, p. 230.
159 V. en ce sens, la décision rendue à propos du pétrolier World Mead, Rennes, 3 nov. 1965, DMF 1966, p. 466.
160 On notera que les juridictions n’hésitent pas à se prévaloir de ce risque de double indemnisation. Ainsi dans l’affaire de l’Amoco-Cadiz, pour opposer une fin de non-recevoir aux demandes déposées par les communes françaises au titre d’une baisse de la fréquentation touristique, le juge Mc Garr a fait valoir que « l’industrie touristique des communes ne devrait recevoir aucun dédommagement dont l’admission aurait été duplicative avec l’indemnisation des manques à gagner privés ». « Les dommages et intérêts attribués à la première victime doivent être considérés comme couvrant l’ensemble des droits. Décision de l’Amoco Cadiz du 11/ 1/ 1988, p. 20.
161 Pour une confirmation de la solution de rejet retenue par la Cour d’appel de Rennes par le FIPOL cf.. sa décision à l’occasion de l’affaire du Haven à propos de la réclamation déposée par la ville de Cannes, qui prétendait être victime d’un préjudice d’image.
162 La réduction des recettes est donc due à une autre cause, laquelle peut être purement économique, une baisse du pouvoir d’achat par exemple (DF FUND/EXC.35/ 10, 8/ 6/ 1993, paragraphe 3. 2. 7).
163 V. en ce sens Rapport annuel du FIPOL 2004, p. 84. Sur l’application implicite par le juge du critère du "second degré" du FIPOL pour justifier un refus d’indemnisation, dommages pouvant se rattacher à d’autres causes que la pollution comme les données climatiques, la rentabilité des marchés ou des problèmes commerciaux ; v. CA de Rennes (2ème ch.) 24 mai 2005, n° 04/00527, DMF 2006, 1021.
164 Rapport annuel du FIPOL 2002.
165 NICHOLS (J.), Genèse de la position des FIPOL à l’égard de la recevabilité des demandes d’indemnisation, in Les FIPOL : 25 années d’indemnisation des victimes de sinistres liés à la pollution par les hydrocarbures, précit., p. 103, spéc..p 105. V. aussi DE LA RUE (C.) and ANDERSON (C.B), Shipping and the Environment, Law and Practice, précit, p. 111.
166 NICHOLS (J.), Genèse de la position des FIPOL à l’égard de la recevabilité des demandes d’indemnisation, précit., p. 113.
167 Manuel d’indemnisation du FIPOL, avril 2005.
168 V. notamment les écrits de COASE (R.H) The firm, the market and the Law, Univ. Chicago Press 1998, p. 95 et suiv. cité par CHAZAL (J.-P), L’ultra-indemnisation : une réparation au delà des préjudices directs, D. 2003, p. 2326.
169 On notera qu’il existe un puissant mouvement comparatiste favorable à une hamonisation des droits européens, lesquels se montrent plutôt favorables à la théorie de la « mitigation of damages ».
170 V. not. Cass. civ. 1 ère, 17 juillet 1976, Bull. civ. I, n° 327. cité par LAUDE (A.), L’obligation de minimiser son propre dommage existe-t-elle en droit privé français ? LPA du 20 novembre 2002, n° 232, p. 55, spéc. p. 55.
171 V. en ce sens LAUDE (A.), L’obligation de minimiser son propre dommage existe-t-elle en droit privé français ?, précit., p. 59.
172 V. en ce sens CHAZAL (J.-P.), L’ultra-indemnisation : une réparation au delà des préjudices directs, préc. p. 2327. L’auteur tient toutefois à rappeler l’absence de fusion des deux régimes.
173 Le juriste DEMOGUE considère pour sa part que la victime est en faute si elle ne prend pas d’elle-même les mesures nécessaires pour diminuer le dommage. Pour une position plus nuancée que celle de cet auteur cité par le Professeur LAUDE (A), in L’obligation de minimiser son propre dommage existe-t-elle en droit privé français ? ; cet auteur préconise l’emploi d’une formule plus neutre, plus que la faute de la victime, c’est son fait qui pourrait être sanctionné.
174 V. notamment les deux arrêts de la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation en date du 19 juin 2003 commentés par CHAZAL (J.-P) à L’ultra-indemnisation : une réparation au delà des préjudices directs, D. 2003, n° 34 pp. 2326-2330.
175 pour des développements complets sur cette question, nous renvoyons à la thèse de Monsieur REIFEGERSTE (S.), Pour une obligation de minimiser le dommage, Thèse Paris I, 1999.
176 Ainsi bien qu’il s’agisse de demandes d’indemnisation au titre d’un manque à gagner la situation des paludiers de Guérande gagne à être évoquée ici. Le FIPOL a reconnu que des efforts ont été faits pour minimiser l’impact du déversement sur la production de sel dans les marais salants de Loire-Atlantique et de Vendée. Faute d’un apport en eau de mer suffisant, les membres d’une coopérative produisant quelque 70 % du sel de Guérande ont décidé de suspendre la production en 2000 afin de protèger l’image de marque de leurs produits. Une demande d’indemnisation au titre du manque à gagner à produire dû au report de la campagne de production de sel de l’année 2000 par suite de l’interdiction de prise d’eau a été déposée. A la demande du Fonds de 1992 et de la Steamship Mutual, un expert judiciaire a été chargé de déterminer s’il était possible, en 2000, de produire à Guérande du sel qui réponde aux critères de qualité et de salubrité requis. L’expert judiciaire a présenté un rapport très volumineux qui est actuellement examiné par les propres experts du Fonds de 1992 et de l’assureur du propritétaire du navire. V. en ce sens, Rapport annuel du FIPOL 2004, p. 79.
177 Nous reprenons ici l’intitulé de l’étude consacrée à ce thème par le Professeur CHAZAL (J.-P.) « L’ultra-indemnisation : une réparation au delà des préjudices directs », D. 2003, n° 34 p. 2326.
178 RÉMOND-GOUILLOUD (M.), Les fonds d’indemnisation et le préjudice écologique, in Le dommage écologique en droit communautaire, Economica, Collection Droit et Economie de l’environnement, 1992, p. 165, spéc. p. 171.
179 CABALLERO (F.), Essai sur la notion juridique de nuisance, précit., p. 332.
180 Comme une juridiction, le fonds a une certaine indépendance. Sur le plan organique son indépendance est garantie par sa composition. Sur le plan fonctionnel, l’indépendance du fonds tient à l’absence de tout lien de subordination hiérarchique.
181 V. not. en ce sens NDENDE (M.), Regard sur les procédures d’indemnisation des victimes de la catastrophe de l’Erika, ADMA 2003, p. 89, spéc. p. 104. Cet auteur note qu’en dépit de ses qualités inéniables, le fonds ne saurait présenter les « garanties d’une juridiction judiciaire ou même arbitrale ».
182 Cette appellation a été utilisée par le Professeur P. DEVOLVE à propos des autorités administratives indépendantes. in Rapport au colloque sur la justice hors juge ; JCP Cah. dr. ent. 1984, n° 4, p. 16 cité par QUILICHINI (P.), Réguler n’est pas juger. Réflexions sur la nature du pouvoir de sanction économique, AJDA du 24 mai 2004, p. 1060, spéc. p. 1060
183 On notera que le Tribunal de commerce de Rennes, chargé de répartir entre les victimes de la marée noire de l’Erika les 12,8 millions d’euros issus du fonds de responsabilité du propriétaire du navire, la Trevere Shipping, et de son assureur, la Steam ship, n’avait pas encore procédé à cette répartition au printemps 2004. Une action engagée par la Confédération maritime tendant à faire établir que le fonds n’avait pas été constitué valablement, l’en avait empêché.
184 Sur la capacité du contrat à réguler le contentieux de la réparation, V. not. FRISON-ROCHE (M.-A.), Le contrat et la responsabilité : consentement, pouvoir et régulation économique, RTD.civ., janv. mars 1998, p. 43
185 VIALARD (A.), Le préjudice écologique pur, variations maritimistes, in Etudes à la mémoire de Christian LAPOYADE-DESCHAMPS, Ouvrage édité par le Centre d’études et de Recherches en droit des affaires et des contrats, Université Montesquieu-Bordeaux IV, Presses universitaires de Bordeaux, 2003, p. 283 ; spéc. p. 289. Cette affirmation doit être nuancée s’agissant du cas de l’Erika. Dans cette espèce, dans l’espoir d’accéder à la deep pocket de la Compagnie Total, les victimes ont multiplié les actions devant les tribunaux.
186 V. ABECASSIS (DW) and JARASOW (R.L), Oil pollution at sea, Stevens & Sons, 2nd ed., 1985, Chap. 11, p. 252 s.
187 Ainsi le formulaire du FIPOL présenté à la victime française en vue d’un accord sur l’indemnisation rappelle que le protocole est régi par le droit français.
188 HUGLO (C.), A propos de l’insécurité maritime, La lettre du Juris-Classeur de l’environnement, déc. 2000, n° 12.
189 Sur cette notion V. BOYER (L.), V° « Transaction », Répertoire civil Dalloz, août 1989 ; CADIET (L.) Droit judiciaire privé, Litec, 2000, n° 942 et s.
190 V. sur ce point JAROSSON (Ch.), Les modes alternatifs de règlement des conflits : présentation générale, RIDC. 2. 1997, p. 326, spéc. p. 326.
191 Sur cette notion V. JAROSSON (Ch.), Les concessions réciproques dans la transaction, D., 1997, p. 267.
192 Référence peut être faite, pour cela, à l’article 2048 du même Code civil français.
193 BOY (L.), Conclusions provisoires, in Changement social et le droit négocié, De la résolution des conflits à la conciliation des intérêts, Economica, 1988, p. 462
194 PIROVANO (A.), Introduction générale, in Changement social et droit négocié, De la résolution des conflits à la conciliation des intérêts, précit., p. 2 ; Comp. JESTAZ (Ph.), Le Droit, Dalloz, Coll. « Connaissance du droit », 1996, 3eme éd., p. 5 et s. Cet auteur classe les éléments de la définition du droit en deux catégories : « les éléments indispensables » et les « éléments quasi-indispensables dont fait partie la contrainte ».
195 JAROSSON (Ch.), Les concessions réciproques dans la transaction, D. 1997, p. 267, spéc. p. 267.
196 LEHOT (M.), Le renouvellement des sources internes du droit et le renouveau du droit de la responsabilité civile, Thèse Datyl., Université du Maine, 2001, p. 727.
197 OPPETIT (B.), Théorie de l’arbitrage, PUF 1988, p. 53.
198 REMOND- GOUILLOUD (M.), L’expérience du FIPOL, une hybridation réussie, Risques n° 30, Avril-juin 1997, p. 101, spéc. p. 101.
199 V. Sur l’organisation et l’administration des Fonds V. CLC Art.16 à 30- SNPD. Art. 24 à 31.
200 En théorie, les demandes d’indemnisation devraient se dérouler en deux étapes. Les victimes après avoir déposé une requête à l’encontre du propriétaire du navire devant le TGI dans le ressort duquel la pollution a eu lieu, pourraient ensuite s’adresser au FIPOL, en cas d’indemnisation incomplète. En pratique, ces deux étapes sont souvent concomitantes. Par exemple, dans le cas de l’Erika, le FIPOL et l’assureur de responsabilité de l’Erika ont décidé d’établir en commun dans la zone affectée un bureau d’indemnisation permettant de faciliter le traitement des demandes. Ainsi dans les faits, le FIPOL peut parfois intervenir dès le début pour verser des indemnités aux particuliers ou aux petites entreprises. Dès le 16 février 2000, le FIPOL a commencé à indemniser quelques professionnels de la mer.
201 Cette coopération étroite du FIPOL avec les Clubs P&I a été officialisée par la signature d’un accord de coopération en 1980.
202 V. sur ce point PIERRE (Ph.), Vers un droit des accidents, contribution à l’étude du report de la responsabilité civile sur l’assurance privée, thèse Rennes, 1992, n° 142 s.
203 REMOND-GOUILLOUD (M.), Du risque à la faute, précit., p. 25.
204 MARTIN (G.), La réparation du préjudice écologique, in Droit de l’environnement marin, Développements récents, précit., p. 321. Dans le cas de YErika, par exemple, 50 consultants, ayant des compétences très diverses sont intervenus en France. On notera toutefois, que les experts locaux désignés par le FIPOL ne sont pas habilités à prendre des décisions.
205 Elle n’est pas pour autant au dessus de tout soupçon.
206 V. en ce sens REMOND-GOUILLOUD (M.), L’expérience du FIPOL, une hybridation réussie, Risques, n° 30, Avril-juin 1997, p. 101.
207 La presse régionale relatait l’expérience d’une hôtelière de Crozon avec le FIPOL. En octobre 2002, elle avait refusé le règlement amiable du FIPOL. La proposition d’indemnisation qui lui était faite, était selon elle, deux fois inférieure au préjudice subi. Sollicité par courrier, le Président de la République avait été averti de la situation. Selon les dires de cette commerçante, « le Préfet est intervenu, la trésorerie s’est réveillé ». « Le FIPOL lui a renvoyé deux nouveaux inspecteurs. Les calculs refaits, le FIPOL a décidé de lui allouer 11 000 euros supplémentaires qu’elle a considérés comme insuffisants ».
208 FIPOL 92/ FUND/ WGR.3/ 14/4/4-10 janv. 2003, Examen d’un régime d’indemnisation « De la responsabilité du propriétaire de navire, de ses conséquences, et de la définition de l’obligation financière du propriétaire » Document présenté par la délégation française. On notera que ces types de dommages peuvent bénéficier des clauses spécifiques des polices souscrites auprès des P&I Clubs.
209 FIPOL, Rapport annuel 1995.
210 92 FUND/ A/ ES. 7/5, 28 mars 2003, Demandes d’indemnisation relatives à la pêche de subsistance et aux petites opérations dans les secteurs de la pêche, de la mariculture et du traitement des pièces justificatives soumises à l’appui des demandes d’indemnisation.
211 Dans l’affaire Landcatch faisant suite au naufrage du navire Braer survenu en 1993, où le FIPOL était défendeur, le demandeur invoquait « la position unique du FIPOL en tant qu’organisation internationale, en précisant que l’uniformité était souhaitable » in CA de Rennes (2ème Ch. com.) 25 mai 2004, navire Erika, DMF, 2005, p. 529, spéc. p. 533.
212 V. en ce sens CA de Rennes (2ème http://Ch.com.) 25 mai 2004, navire Erika, précit, spéc. p. 533.
213 LEHOT (M.), Le renouvellement des sources internes du droit et le renouveau du droit de la responsabilité civile, Thèse précit., p. 732.
214 OPPETIT (B.), Les modes alternatifs de règlement des différends de la vie économique, Justices, Dalloz, 1995/1 p. 53.
215 JAROSSON (Ch.), Les modes alternatifs de règlement des conflits : présentation générale, RIDC. 2. 1997, p. 326, spéc. p. 327.
216 Ce document est une publication du FIPOL. Il est périodiquement remis à jour. La dernière édition date d’avril 2005.
217 V. Compte- rendu de l’entretien avec M. Mans JACOBSSON, Administrateur du FIPOL in De l’Erika au Prestige : la mer de tous les vices, Rapport n° 1018 de la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale, E. LANDRAIN, Président, C. PRIOU rapporteur, Auditions volume 2-juillet 2003, p. 423.
218 M. M. JACOBSSON précise que les fonds recueillis par le FIPOL sont placés. Les placements des fonds comprennent des dépôts à terme, généralement en livres sterling, auprès de banques et de sociétés de crédit immobilier qui remplissent certains critères sévères quant à leur situation financière. Depuis 1991, les FIPOL ont chacun disposé d’un organe consultatif sur les placements qui se composent d’experts en placements chargés de donner des conseils d’ordre général à l’Administrateur sur ces questions. Afin d’accroître encore la transparence, les fonds ont crée en 2002 un organe de contrôle financier chargé d’examiner l’efficacité des fonds dans les grands domaines des rapports financiers, des contrôles internes, des procédures opérationnelles et de la gestion des risques. V. Le régime international depuis 25 ans, in Les FIPOL : 25 années d’indemnisation des victimes de sinistres liés à la pollution par les hydrocarbures », Publications du FIPOL, 2003, p. 13, spéc. p. 16.
219 V. en ce sens REMOND-GOUILLOUD (M.), L’expérience du FIPOL, une hybridation réussie, précit., p. 101.
220 V. sur ce point CADIET (L.), Droit judiciaire privé, 3ème éd. Litec, 2001, n° 994 s cité par MM COLLART DUTILLEUL (F.) et DELEBECQUE (Ph.), Contrats civils et commerciaux, 6ème éd. Dalloz, 2002, n° 592.
221 VIALARD (A.), Le préjudice écologique pur, variations maritimistes, in Etudes à la mémoire de Christian LAPOYADE- DESCHAMPS, op. cit. spéc. p. 289. Ce n’est en principe qu’en cas de désaccord persistant entre la demande présentée et la proposition faite par le FIPOL que la victime songera à porter son dossier devant une juridiction.
222 Sur la capacité du contrat à réguler le contentieux de la réparation V. not. FRISON-ROCHE (M.-A.), Le contrat et la responsabilité : consentement, pouvoirs et régulation économique, RTD civ. (1), janv.-mars 1998 pp 43-56.
223 CADIET (L.), Droit judiciaire privé, 3ème éd., Litec 2000, n° 924.
224 C. civ., art. 2052.
225 CORNU (G.) et FOYER (J.), Procédure civile, 3ème éd., PUF, 1996, p. 47.
226 V. en ce sens MM F. COLLART-DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, 6ème éd. Dalloz, 2002, n° 592 ; CARBONNIER (J.), Variation sur les petits contrats, Flexible droit, 1988, p. 292 cité par CAUCHARD (J.-P.), La transaction dans l’indemnisation du préjudice corporel, Rev. trim. dr. civ. 1989, p. 6.
227 V. COLLART-DUTILLEUL (F.), et DELEBECQUE (Ph.), Contrats civils et commerciaux, 6ème éd. Dalloz, 2002, n° 592.
228 SEVERIN (E.), LASCOUMES (P.), et LAMBERT (Th), Transaction et pratiques transactionnelles, Economica, 1988.
229 V. sur ce point JAROSSON (Ch.), Les modes alternatifs de règlement des conflits : présentation générale, RIDC. 2., 1997, p. 326, spéc. p. 326.
230 plus connues sous l’acronyme d’ADR. Sur cette question v. OPPETIT (B.), Les modes alternatifs de règlement des différends de la vie économique, Justices, Dalloz, 1995/1 V. not. MM. BROWN (H.) et MARIOTT (A), ADR Principles and Practice, Sweet & Maxwell ed, Londres 1993
231 Plus connues sous l’acronyme d’ADR. Sur cette question v. OPPETIT (B.), Les modes alternatifs de règlement des différends de la vie économique, Justices, Dalloz, 1995/1.
232 JAROSSON (C.), Les concessions réciproques dans la transaction, D. 1997, p. 267, spéc. p. 267.
233 TURNER (T.) SMITH (J.), JESSINE (A.) MONAGHAN (R.), The impact of Environemental Laws on Transactions: due diligence and other means of coping with environmental risks in Environmental liability, IBA Section on Business Law Committee F (International Environment Law), 7 th Residential Seminar on Environmental Law, 9-13 juin 1990 Montreux, Chairman P. Thomas, Graham & Trotman 1990, p. 277s.
234 PRIEUR (M.), Droit de l’environnement, précit., n° 1112. Le litige de l’Exxon Valdez est sur le point de se conclure par une transaction historique entre la société Exxon, le Ministère de la justice et l’Alaska. Dans cette transaction, Exxon reconnaît sa responsabilité pénale et accepte de payer une amende de 100 millions de dollars, la plus importante jamais prononcée, aux États Unis. Exxon a déjà payé plus de deux milliards de dollars pour le nettoyage et accepte de payer jusqu’à un milliard de dollars de plus, selon un échéancier, c’est-à-dire 90 millions immédiatement, 40 millions pour le suivi des études ; 150 millions de dollars en octobre pour un nettoyage supplémentaire, 100 millions en 1993, 660 dans les huit prochaines années. Exxon accepte aussi de payer encore 100 millions de dollars si des problèmes environnementalistes significatifs apparaissent au delà des 10 années à venir. Cet accord n’affecte pas directement les 300 litiges privés contre Exxon. Le 11 décembre 2002, le Journal Le Monde indiquait que l’entreprise pétrolière a en effet versé 2 milliards de dollars pour le seul nettoyage des côtes et 280 millions de dollars aux pêcheurs. Elle a de plus financé un fonds de 1,125 milliard de dollars géré par une commission composée de représentants des indiens pour restaurer les ressources naturelles. 3 milliards de dollars ont été versés au seul titre des atteintes à l’environnement.
235 « Février 2004 a vu une étape nouvelle dans la longue histoire de la pollution pétrolière la plus coûteuse de l’histoire. Les dommages punitifs à payer par Exxon, fixés à 5 milliards de dollars par le tribunal de district d’Anchorage (septembre 1994) contestés et jugés excessifs en appel (novembre 2001), réduits à 4 milliards de dollars ( décembre 2002) contestés par les deux parties ont été rejugés par le tribunal de District à 4,5 milliards de dollars, plus 2,25 milliards d’intérêts. Cette somme s’entend hors condamnation pénale ( 125 millions de dollars). Un nouvel appel est annoncé ». CEDRE 2004.
236 Sur les conditions de cette transaction V. L’Argus, 6 sep. 1991, p. 2430.
237 Madame V. GAILLOT-MERCIER de craindre que la voie transactionnelle favorise une indemnisation axée exclusivement sur l’intérêt individuel des victimes au détriment de la protection effective de la nature en elle-même. Elle ajoute « la transaction peut apparaître davantage comme le moyen de régler au plan privé, des différends qui demeurent privés. Or elle souligne que le dommage causé à la nature n’est pas exclusivement du domaine privé. in Le dommage écologique trans-frontière, in Thèse Rennes I, 1992, p. 283. On notera l’existence de transaction dans certains secteurs limités de l’environnement : en cas de pollution des cours d’eau (art. L. 432-2 C. env. ) en cas d’infraction en matière de pêche. La transaction peut intervenir à tout moment du procès pénal à l’initiative de l’administration compétente ou du prévenu. Elle aboutit à la fixation d’une amende qui peut être inférieure à l’amende pénale encourue. En 1991, 74 % des affaires de pollution de cours d’eau ont donné lieu à transaction. V. sur ce point LE PAGE (B.), Transaction pénale pour pollution de cours d’eau, Rev. dr.rur., n° 215, 1993, p. 322 cité par M. PRIEUR, Droit de l’Environnement, précit., n° 1137.
238 Nous reprenons ici l’expression du Professeur A. VIALARD. in Le préjudice économique pur. Variations maritimistes, Mél. C. Lapoyade - Deschamps, pp 283- 291, spéc. p. 289.
239 V. not. JACOBSSON (M.), La répartition des dommages de pollution maritime et le rôle du FIPOL, DMF 1989, p. 619 ; FONTAINE (E.), Les sinistres de l’Amoco- Cadiz et du Tanio. Comparaison de deux expériences, Intervention au colloque du CMI à Gênes ( 21-25 septembre 1992) publiée au DMF 1993, p. 278- 285 ; pour une version anglaise de cette contribution V. The French experience : Tanio and Amoco Cadiz incidents compared in Liability for damage to the marine environment edited by Colin M. de la Rue, published under the auspises of the Comité maritime international, LLP 1993 p. 101.
240 Sur cette affaire V. not. BRAC DE LA PERRIERE (Ch.), Opérations Tanio, p. 10, La Nouvelle Revue Maritime, Juillet 1981, n° 363, DU PONTAVICE (E.) et CORDIER (P.), La mer et le droit, 1984, Le Marin, 15 janv. 1988, et 18 mars 1988.
241 L’Amoco-Cadiz, navire libérien, propriété d’Amoco Transport, filiale de Standard Oil of Indiana, chargé de 220 000 tonnes de pétrole faisait route vers Rotterdam, lorsque le 16 mars 1978, il fut victime d’une panne du système hydraulique de direction. Le navire s’échoua sur les rochers de Porsall après échec des tentatives de sauvetage. Une pollution touchant 300 kilomètres de côtes s’en suivit. Cette affaire largement médiatisée a été abondamment commentée par la doctrine. V. not. DU PONTAVICE (E.), L’apport du procès de l’Amoco-Cadiz » in Droit de l’environnement marin, Développements récents SFDE, op. cit. p. 273.
242 Le Tanio, pétrolier malgache se casse en deux près des côtes bretonnes en mars 1980, libérant 13 500 tonnes de pétrole, et polluant 200 kilomètres de côte. Une partie de la cargaison est restée dans la section arrière flottante du navire qui a pu être remorquée au Havre ; 5 000 tonnes restèrent prisonnières dans la partie avant qui coula par 90 mètres de fond.
243 FONTAINE (E.), Les sinistres de l’Amoco-Cadiz et du Tanio. Comparaison de deux expériences, Intervention au colloque du CMI à Gênes (21-25 septembre 1992) publiée au DMF 1993, p. 278-285.
244 RÉMOND-GOUILLOUD (M.), Les fonds d’indemnisation in Droit de l’environnement marin, Développements récents, op. cit p. 330 ; V. aussi V. HARTJE (J.) Oil pollution caused by tanker accident: liability versus regulation, Natural ressources journal, Vol. 24 January p. 41.
245 JACOBSSON (M.), La répartition des dommages de pollution maritime et le rôle du FIPOL, DMF, 1989 p. 619.
246 Erika : indemniser et prévenir, Les Rapports du Sénat, n° 441, Tome I, A.B. HEINIS, et H. de RICHEMONT, p. 117.
247 Ibid. p. 100.
248 Ibid., p. 75.
249 Haven (Italie 1991)- Agean Sea (Espagne 1992) - Braer (1993 Royaume-Uni) Keumdong n° 5 et Sea Prince et Yuil n° 1 (République de Corée ; 1993 ; 1995) et Nissos Amorgos (Vénézuela 1997).
250 JACOBSSON (M.), La répartition des dommages de pollution maritime et le rôle du FIPOL, DMF, 1989, pp. 619, spéc. p. 634.
251 Ouest- France du 10 oct. 2003.
252 JAROSSON (Ch.), Les modes alternatifs de règlement des conflits : présentation générale », RIDC. 2. 1997, pp 326-345, spéc. p. 328.
253 CARBONNIER (J.), Sociologie juridique, PUF Thémis, 1ère éd. 1978, p. 1.
254 V. GIRIN (M.), La gestion du contentieux, Bulletin du CEDRE, n° 6, 2ème semestre 1995, p. 11-3.
255 Manuel des demandes d’indemnisation du FIPOL, p. 4.
256 CLC. Article I-6.
257 Pour une étude exhaustive sur la notion de dommages, nous renvoyons à BRODECKI (Z.), New definition of pollution damage, LLMCQ, 1989 p. 342, et JACOBSSON (M.) and TROTZ (N.), The definition of pollution damage in the 1984 Protocols to the 1969 Civil Liability Convention and the 1971 Fund Convention JMLC, vol 17, N° 4, October, 1986. pp 467-491, V. aussi JACOBSSON (M.), Le concept de dommage de pollution dans le cadre des conventions maritimes sur la responsabilité et la réparation pour les marées noires in Réforme de la responsabilité civile, Symposium de Budapest 1999, op. cit. pp. 37-54.
258 D.O 1984, LEG/ CONF. 6/7, p. 11.
259 pour une version plus développée V. JACOBSSON (M.) and TROTZ (N.), The definition of pollution damage in the 1984 Protocols to the 1969 Civil Liability Convention and the 1971 Fund Convention, JMLC 1986, vol 17, n° 4, p. 484.
260 DO. 1984, LEG/ CONF.6/C. 2/SR. 16, p. 4.
261 V. notamment sur ce point les demandes formulées dans le cadre de l’affaire de l’Antonio Gramsci. On précisera ici simplement que la version originelle de la définition du dommage laissait place à l’interprétation s’agissant des dommages causés au milieu marin. Ainsi dans l’espèce précitée, les demandes d’indemnisation du gouvernement soviétique pour les dommages écologiques étaient fondées sur une loi de l’URSS mise en application depuis mars 1973.
262 V. en ce sens WU (C.), La Pollution du fait du transport maritime des hydrocarbures. Responsabilités et indemnisation, L’auteur note « qu’une notion trop rigide n’aurait pas su s’adapter à la situation évolutive », p. 421. sur le concept de droit souple V. THIBIERGE (C.), Le droit souple, Réflexion sur les textures du droit, RTD. civ. 2003, pp. 599-628.
263 CLC, art. I. 5. On notera que le 23 mai 2001, l’OMI a adopté une nouvelle convention pour indemniser les dommages dus à la pollution par les soutes pour les navires non dédiés aux transports de produits dangereux ou polluants.
264 Cette innovation répond à une véritable demande, car les pétroliers lèges, c’est-à-dire incomplètement chargés ou vides représentent une réelle menace. Il convient donc d’anticiper la réparation ; V. notamment l’affaire de Vitoria qui à l’état lège mais non inerte a littéralement explosé causant la mort de 6 marins dont le pilote. Sur cette affaire NICOLAS (P.-Y.), Première jurisprudence sur la Convention de Londres de 1976, L’affaire du Vitoria, DMF, 1988, p. 573
265 V. sur ce point WU (Ch.), Pollution du fait du transport maritime des hydrocarbures. Responsabilités et indemnisation, précit., n° 649.
266 V. en ce sens, DO. LEG/ CONF. 6/ C.2/ SR. 5, p. 13, cité par WU (Ch.), op. cit., n° 649
267 CLC Art. II, b.
268 SNPD, Article 1-6.
269 Pour plus de précisions sur ces codes, V. Lamy Transport, Tome 3, Marchandises dangereuses, Nomenclature des matières n° 1768. On observera ici que les rédacteurs ont finalement renoncé à intégrer dans la Convention SNPD les substances nucléaires. L’indemnisation des dommages dus à ces substances reste donc régie par des Conventions ad hoc, c’est-à-dire nucléaires. Sur la notion de dommages nucléaires nous renvoyons à SOLJAN (V.), La nouvelle définition du dommage nucléaire selon le Protocole d’amendement de 1997 de la Convention de Vienne de 1963 relative à la responsabilité civile des dommages nucléaires, in Réforme de la responsabilité civile, Symposium de Budapest 1999, op. cit, pp. 59-83, ainsi qu’à Geoffrey C. WARREN, Le dommage nucléaire selon le Protocole de 1997, sagesse conventionnelle ?, in Réforme de la responsabilité civile, Symposium de Budapest 1999, op. cit, pp. 85-97, V. aussi sur la question du champ d’application géographique, HAMILTON (J.) Accès des victimes au régime de réparation. La question du champ d’application géographique, in Réforme de la responsabilité civile, Symposium de Budapest 1999, p. 100.
270 RÉMOND-GOUILLOUD (M.), Du droit de détruire- Essai sur le droit de l’environnement, op. cit., p. 293.
271 Pour un aperçu de la classification V. BOISSON (Ph.), Politique et droit de la sécurité maritime, Préf. William O Neil, éd. Bureau Véritas, 1998, n° s 536 à 539.
272 V. à ce sujet l’affaire duAnathasia Comminos [1990] 1 Lloyd’s Rep. 277.
273 Le Manuel des demandes d’indemnisation de novembre 2002 précise que « Les critères adoptés par le Fonds de 1992 lui laissent donc un certain degré de latitude », p. 17.
274 NICHOLS (J.), Genèse de la position des FIPOL in Les FIPOL : 25 années d’indemnisation des victimes de sinistres liés à la pollution par les hydrocarbures, p. 103-117, spéc. p. 103.
275 À savoir les assemblées et les Comités exécutifs.
276 A la suite des trois graves sinistres de pollution, ceux du Haven (Italie, 1991) de l’Aegean Sea (Espagne, 1992) et du Braer (Royaume-Uni, 1993) un autre groupe de travail a été établi. Il avait pour mission d’élaborer des critères concernant la recevabilité des demandes d’indemnisation au titre des préjudices économiques et des mesures destinées à remettre le milieu marin en état. Un autre groupe de travail a été créé en 2000 avec un mandat plus large consistant à évaluer l’adéquation générale des Conventions internationales. Les Assemblées ont examiné la question de l’application uniforme des conventions à de nombreuses occasions.A cette occasion, il a été adopté une résolution sur l’interprétation et l’application de la Convention de 1992 en vue d’une application uniforme. Allusion a été faite dans ce cadre à la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer de 1982 qui prévoit la coopération de tous les États pour assurer le développement du droit international de la responsabilité en ce qui concerne l’évaluation des dommages à l’environnement.
277 Sur ce point V. Cour d’appel de Rennes (2ème ch. com.), 25 mai 2004, Navire Erika, obs. P. BONASSIES, DMF, 2005, p. 529.
278 FIPOL, Manuel d’indemnisation, avril 2005
279 Cette pratique judiciaire tendant à regrouper les demandes prospère aux États-Unis. Ce vocable d’origine anglo-saxonne désigne les recours entrepris pour le compte de personnes identifiées ayant subi des préjudices individuels qui ont été causés par le fait d’un même auteur et dont l’origine est commune. V. nos développements infra.n° 667.
280 On notera que chaque demande doit comporter les renseignements de base suivants : le nom et l’adresse du demandeur, et le cas échéant, de son représentant, l’identité du navire en cause, la date, le lieu et les circonstances particulières de l’événement, si le demandeur en a la connaissance, le type de dommage par pollution subi, le montant de l’indemnisation réclamée. V. FIPOL, Manuel d’indemnisation, avril 2005.
281 Parce que celui-ci, n’est pas toujours nécessairement suffisant, le Secrétariat du Fonds de 1992 est à la disposition de personnes qui souhaitent recevoir des conseils pour établir et présenter leur demande. On ajoutera que les demandeurs peuvent consulter le Secrétariat sur d’autres questions, par exemple avant de prendre des mesures de sauvegarde ou d’engager des experts à des fins d’inspection.
282 On notera toutefois que le Comité exécutif peut donner à l’Administrateur compétence pour traiter seul des petites demandes.
283 V. en ce sens l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes (2ème Ch. com.) du 25 mai 1984 rendu à propos de l’affaire de l’Erika, DMF, 2005, p. 529. La juridiction bretonne, bien que ne s’estimant pas tenue par les critères de recevabilité des demandes d’indemnisation tels qu’apparaissant dans le manuel d’indemnistion édité par le FIPOL, décide comme lui que la demande n’est pas recevable car insufisamment motivée.
284 V. en ce sens Manuel des demandes d’indemnisation
285 L’instruction du 6 septembre 1990 relative à la recherche et à la répression de la pollution de la mer par les navires (JO du 10. 10. 90 p. 12 248) recense, tout en les expliquant, les différentes mesures susceptibles d’être prises pour rechercher et réprimer la pollution de la mer par les navires.
286 Nous empruntons ici l’expression du Professeur CABALLERO (F.), Essai sur la notion juridique de nuisance, op. cit., p. 332.
287 La nécessité d’englober les mesures de sauvegarde dans la définition des dommages de pollution a été particulièrement mise en évidence à l’occasion de la catastrophe du Torrey Canyon. Lors de la transaction intervenue à l’occasion de cet événement de mer, faute de convention, 3 millions de livres Sterlings furent alloués au titre des mesures des frais de lutte entrepris par les États, la créance des particuliers ne représentant elle que, 25 000 livres sterling. V. REMOND-GOUILLOUD (M.), L’indemnisation des frais de lutte et de nettoyage et des marées noires. Aspects économiques, in Lutte contre les marées noires- Aspects économiques, OCDE 1982, p. 105, note 1. Le même constat de déséquilibre entre l’importance des créances respectives de l’État et des particuliers peut être formulé s’agissant du Tanio. Dans cette espèce, l’État français a fait valoir une créance de 208 millions au titre du remboursement des frais de lutte, tandis que celle des particuliers s’élevait à moins de 3 millions. S’agissant de la catastrophe de l’Amoco Cadiz, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Chicago a attribué une indemnité globale de 935 millions de francs à l’État français. (Cf. Chronique des faits internationaux, RGDIP, 1992/4, p. 889.) Enfin s’agissant de l’Exxon Valdez, la Compagnie Exxon aurait déjà dépensé 2,2 milliards de dollars pour le nettoyage des côtes souillées, tandis qu’elle aurait versé quelques 300 millions de dollars d’indemnisation à 11 000 personnes et sociétés. Cf. Le Monde du 11 décembre.2002.
288 CLC art. 1.6 FIPOL art. 1. 2.
289 On notera que la législation américaine ne fait pas figurer au titre des dommages, les coûts de mesures de sauvegarde.
290 Les récents événements ont toutefois conduit à vilipender le zèle qui animait certains participants à des chantiers de dépollution. Ainsi certains n’ont pas hésité à utiliser des jets à haute pression (karscher) pour nettoyer les rochers mazoutés.
291 On notera que cette forme de dommage est l’une des premières admises par les tribunaux, et cela avant que ne soient adoptées les Conventions pétrolières. V. en ce sens CA de Rennes, 3 nov. 1965, Navire World Mead RTD. Com. 1967, p. 919, Obs. DU PONTAVICE (E.)
292 FC : Art. 4. 8.
293 seul fonds en vigueur aujourd’hui.
294 CLC art. 2. b. Cette indication concernant le lieu est conforme aux dispositions relatives au droit d’intervention reconnu aux États riverains par la Convention de Bruxelles.
295 Le dictionnaire le Nouveau Petit Robert définit la téléonomie comme l’interprétation causale des processus finalisés.
296 SNPD, art. 1. 7
297 V. Rapport annuel du FIPOL 1989.
298 Bien que la demande d’indemnisation ait été examinée dans le cadre de l’accord TOVALOP, on peut penser que le FIPOL aurait rendu une solution similaire si l’espèce lui avait été soumise.
299 Espèce citée par DE LA RUE (C.) & ANDERSON (C.B.), Shipping and the environment, Law and Practice, LLP, 1998 p.411 note 94.
300 Safer ships, cleaner seas, Rapport de Lord Donaldson sur la prévention de la pollution par les navires de commerce, 1994, HMSO, para. 20.55.
301 On notera que cette initiative privée du milieu des assurances inspirera très directement les rédacteurs de la Convention de 1989 sur l’Assistance, lorsqu’ils décideront du versement d’une indemnité spéciale au titre de la préservation de l’environnement. (art. 14). Sur cette indemnité, v. nos développements infra. n° 1398.
302 V. sur ce point, JDI 1990, jurisprudence p. 648.
303 Ce produit est considéré comme un hydrocarbure persistant au regard des Conventions pétrolières.
304 Ce principe signifie qu’en matière d’assistance, « il ne saurait y avoir de rémunération qu’en cas de résultat utile ». Pour de plus amples commentaires, V. VIALARD (A.), Droit maritime, précit., n° 59 et s.
305 Rapport annuel du FIPOL 1991, p. 41.
306 D.F, Fund/ Exe.28/ 7, 18/ 9 / 1991.
307 V. à ce sujet BONASSIES (P.) Problèmes posés par l’imputation des frais d’assistance et / ou de remorque des pétroliers en difficulté in La lutte contre la marée noire- Aspects économiques, OCDE, 1982,
308 CLC Art. 1. 6; FIPOL Art. 1.2, SNPD Art. 1. 6. d.
309 Rapport annuel du FIPOL 1997, p. 95.
310 V. revue des décisions 1979-1993, FUND/WGR.7/3para. 3.1.3.
311 V. JACOBSSON (M.) and TROTZ (N.), The definition of pollution damage in the 1984 Protocols to the 1969 Civil Liability Compensation and the 1971 Fund Convention, J. Mar. Law & Com., 1986, p. 467, spéc. p. 471.
312 Ainsi des plongeurs appelés à intervenir sur des navires en avarie ont été incommodés par des émanations gazeuses provenant de la décomposition de certaines cargaisons alimentaires, a priori inoffensives. V. Sur ce point, V. GIRIN (M.), Une pollution marine par produits alimentaires, Bull. d’information du CEDRE, n° 9- 1 er semestre 1995, pp 15-17 et ROUSSEAU (C.), Le Fénès, Mer et littoral, n° 22, Mai-juin 1997, p. 66.
313 Rapport annuel du FIPOL 1983.
314 V. en ce sens les initiatives de l’affréteur de Total, pour lesquelles il a entendu publiquement déclarer renoncer à toute demande. « L’aide de Total-Fina, qui s’ajoute au 1,2 million du FIPOL financé par l’industrie pétrolière ainsi qu’à l’apport des assureurs, est la suivante : mise à disposition du préfet maritime de Brest d’un navire de type bitume chargé de récupérer le pétrole pompé en mer, envoi d’hommes et de matériels sur les sites pollués, mobilisation pour la lutte à terre de deux coopératives, dotées d’équipements d’une valeur d’un milliard de francs, dont Total Fina est membre : Fact Oil Team (FOST) basée à Marseille et Oil Spill Response Ltd basée à Southampton, création d’un fonds d’urgence de 40 millions de francs pour le nettoyage des côtes, création d’une fondation pour la mer dotée de 10 millions de francs/an pendant 5 ans afin de restaurer l’équilibre biologique, une fois le nettoyage terminé, financement de la récupération du fuel restant dans les cuves, les dépenses ont été évaluées à 400 millions de francs dont 40 millions de francs seront payés par le gouvernement ». BERTRAND (A. R.), Transport maritime et pollution accidentelle, Faits et chiffres (1951-1999), éd. Technip, Publication de l’Institut Français du pétrole, Paris 2000, p. 40.
315 L’expérience montre que l’intention de gérer l’affaire d’autrui n’est pas nécessairement désintéressée en tous points ; on peut à la fois agir pour soi et pour autrui.
316 V. en matière d’assistance fluviale, CA Paris, 25 mai 1937, Gaz. Trib. 1937. II.431.
317 V. en ce sens, TERRÉ (F.), SIMLER (Ph.), LEQUETTE (Y.), Les obligations, Précis Dalloz, 9éd. 2005, n° 27.
318 V. en ce sens, TERRÉ (F.), SIMLER (Ph.), LEQUETTE (Y.), ibid., n° 1031.
319 V. not. DIDIER (Ph.), De la représentation en droit privé, thèse Paris II, éd. 2000, n° 443 et s.
320 CE 10 déc. 1969 « Sieurs Simon, Quarteron, et Visserias »
321 Cf. l’initiative des pêcheurs de Vendée dans le cadre de l’affaire de l’Erika.
322 Ainsi en 1975, à l’occasion d’une marée noire, les marins pêcheurs n’ont pas subi un manque à gagner du fait de la pollution stricto sensu mais du fait de la noria de petites embarcations de bénévoles qui, de fait, les empêchaient de quitter le port. Les autorités suédoises encore font état de leurs difficultés à gérer la masse des bénévoles disséminés sur des îles.
323 Conscient de cette anomalie, le FIPOL a parfois consenti à indemniser des associations de protection de nature dont les membres travaillaient bénévolement. Ainsi à l’occasion du Braer, une association qui prenait en charge des oiseaux mazoutés, a t-elle reçu des dommages et intérêts bien que ces membres aient agi à titre purement bénévole. (DF ; FUND/ EXC.34/ 5/ Add. 1, 1/ 3/ 1993, p. 10).
324 V. REMOND-GOUILLOUD (M.), Du droit de détruire, précit., cit., p. 211.
325 Cette possibilité a été introduite en 1976 par le Protocole à la Convention de Bruxelles de 1910 sur l’assistance.
326 CA. Rennes 10 janvier 1988. inédit.
327 Civ. 2, 19 nov. 1975, D. 76, J., 137 note. LE TOURNEAU (Ph.).
328 Ce travail est rémunéré au tarif habituel du travail en détention augmenté d’une prime puisqu’il est effectué à l’extérieur, soit 15 euros. Le Télégramme du 7 février 2003 « Prestige, des détenus pour nettoyer les plages ».
329 V. DUBAIS (C), The liability of a salvor responsible for oil pollution damage, JMLC, V. 8, n° 4, 1976-77, p. 375.
330 Ce navire transportait moins de 2 000 tonnes de pétrole, or l’assurance n’est exigée que des navires de plus de 2 000 tonnes en vertu de l’article VII § 1 de la Convention CLC.
331 Rapport annuel du FIPOL 1991
332 International Tanker Owners Pollution Federation.,
333 Les publications de l’ITOPF font autorité. Dans un document présenté lors de la 7ème session du groupe de travail intersession du Fonds de 1971, publié à l’annexe 13.1 de DE LA RUE (C.) & ANDERSSON (C.B.)., Shipping and the environnement, Law and Practice, précit., l’ITOPF a fourni un résumé des questions techniques affectant les demandes d’indemnisation relatives aux opérations de nettoyage et aux mesures préventives.
334 SOHMEN (H.) Notre rôle de conseiller technique auprès du FIPOL in Les FIPOL : 25 années d’indemnisation des victimes de sinistres liés à la pollution par les hydrocarbures, op. cit. p. 97.
335 Annexe 13/ 1-para 2.1.1- 5.
336 Pour un recensement de ces conditions V. DO. LEG/ CONF. 6/ 14, 24/ 2/ 1984 p. 4
337 Ainsi, bien souvent les mesures pour contenir et disperser le pétrole en mer auraient pu se révéler efficaces si elles avaient été prises rapidement et dans des conditions favorables. Faute d’avoir été entreprises suffisamment tôt, seules quelques nappes ont été empêchées d’atteindre les côtes.
338 V. en ce sens JACOBSSON (M.) and TROTZ (N.), The definition of pollution damage in the 1984 Protocols to the 1969 Civil Liability Convention and the 1971 Fund Convention, JMLC, V.17, n° 4 oct. 1986, p. 467, p. 472.
339 V. en ce sens REMOND-GOUILLOUD (M.), Les mesures de sauvegarde, de quelques difficultés liées à l’indemnisation des frais de lutte contre la pollution, DMF, 1980 p. 452.
340 REMOND-GOUILLOUD (M.), Du droit de détruire, essai sur le droit de l’environnement, op. cit p. 205.
341 JACOBSSON (M.) and TROTZ (N.), The definition of pollution damage in the 1984 Protocols to the 1969 Civil Liability Convention and the 1971 Fund Convention, op. cit. p. 472
342 L’ensemble des mesures visant à assurer la sécurité vis à vis d’un type d’accident ou de sinistres, sont prises suite à une comparaison entre l’évaluation des gains qu’elles permettent -c’est-à-dire essentiellement les pertes qu’elles vont permettre d’éviter- et leur coût. V. en ce sens, DE BEDIN (A), une première approche de l’analyse coût-avantages des systèmes de protection des côtes françaises contre les pollutions par les hydrocarbures, in Le coût des marées noires, OCDE, 1982, p. 97.
343 V.en ce sens WHITE (I.) et NICHOLS (J.) Considérations pratiques concernant le coût des marées noires in le Coût des marées noires, dans le coût des marées noires, OCDE 1982, p. 77,
344 V. en ce sens GIRIN (M.), Quelques leçons à tirer des dossiers difficiles : les dernières grandes marées de boue d’Aznalcollar in L’indemnisation des pollutions accidentelles des eaux, Les journées d’information du CEDRE, Centre de conférences du Ministère de l’Economie et des Finances, Paris, 16 nov. 1998.
345 Anonyme, « Pollution pétrolière. Renouer avec des conventions internationales », JMM, 19/ 4/ 1991, p. 989 :spéc. p. 991 Dans le même sens V. SEWARD (P.), L’attitude des P&I Clubs à l’égard de l’Oil pollution des États-Unis, Colloque de l’AFDM de 1991.
346 V. sur ce point les appréciations de l’ITOPF publiées à l’annexe 13.1 de DE LA RUE (C.) & ANDERSSON (C.B) Shipping and the environnement, Law and Practice, précit., et plus particulièrement le paragraphe 2.3. 10-13.
347 Annexes op. cit., paragraphe 2.3.5.
348 L’incident suivant fournit un exemple de l’utilisation controversée des dispersants : Le 6 mai 1978, le pétrolier grec Eleni V. transportait une cargaison de 17 000 tonnes de fuel lourd de Rotterdam à Grangemouth, (RU) quand il heurta un vraquier français. Sous l’effet du choc, le navire se brisa en deux libérant une quantité substantielle de sa cargaison. Parce que cette dernière menaçait le littoral, et qu’une récupération ne pouvait être envisagée en raison des conditions météorologiques, la possibilité d’utiliser des dispersants chimiques fut évoquée. Les autorités britanniques décidèrent de passer outre l’avis des conseils des experts de l’ITOPF qui avaient considéré que pareille mesure serait inefficace en présence d’un fuel lourd. Moins que salutaire, l’opération de dispersion fut jugée contre-productive, car elle contribua à disloquer les masses en autant de petites boulettes qui se disséminèrent sur le littoral. Pareil engagement de dépenses n’était pas, à l’évidence de celles que l’on pouvait qualifier de raisonnables. (Eleni V, Report of the House of Commons Select Committee on Science and Technology (HC Paper 684, HMSO),.
349 V. le « Final report of the Sea Empress Environmental Evaluation Committee » (SEEC) appointed by the british Government (Stationery Office, 1998) para. 10. 4).
350 De telles demandes furent déclarées recevables dans l’affaire du Tanio (France 1980) et après de l’Amazone (France 1988) V. Rapport annuel du FIPOL 1991, p. 37. Des demandes d’indemnisation similaires ont été acceptées à l’occasion du sinistre du Braer (RU 1993) V. Review of décisions 1979-1993, Fund / WGR.7/ 3 para. 3.1.4.
351 Selon l’ITOPF, la collecte de débris huileux mélangés au sable représentent dix fois voire plus la quantité de pétrole qui atteint la terre : V. Appendix 13/ 1 : ITOPF, op. cit, para 2.3. 22.
352 Les enseignements de ce rapport ont été repris dans une publication du BIMCO dont le Journal de la Marine Marchande s’est fait l’écho. JMM du 12 fév. 1993, pp. 388-389.
353 Ainsi des méthodes aussi simples que douces baptisées « surf washing » ont pu être expérimentées. Elles consistent à placer des galets souillés en bas des plages. L’eau de mer les nettoie et des filets de type à civelles permettent ensuite la récupération du pétrole.
354 Dans des secteurs comme les mangroves ou des substrats fragiles comme les marais salants, les experts pourraient très bien laisser le pétrole se dégrader naturellement pour éviter des dommages par piétinement (V. appendix 13/ 1 : ITOPF, op. cit., para. 2.3.19, and IPIECA, Biological impacts of oil pollution mangroves (vol. 4) et and Salt marshes (Vol. 6).
355 FRANCOUAL (M.), Le nettoyage fait des dégâts, Le Marin, 15 février 2002, p. 5.
356 Nous reprenons ici l’expression de Monsieur B. FICHAUT, Professeur de géographie à l’Université de Bretagne Occidentale.
357 Cette technique pourrait être considérée raisonnable seulement dans les zones de grand agrément et moins appropriée dans d’autres secteurs qui devraient être nettoyés avec de l’eau froide à faible pression.
358 Ainsi l’évacuation des hydrocarbures et des débris souillés constitue un grave problème du fait du coût prohibitif du traitement des déchets. SOHMEN (H.), Notre rôle de conseiller technique auprès du FIPOL » in Les FIPOL : 25 années d’indemnisation des victimes de sinistres liés à la pollution par les hydrocarbures », op. cit., spéc. p. 99.
359 V. Appendix 13/ 1: ITOPF, Preventive measures and property damages.
360 V. en ce sens REMOND-GOUILLOUD (M.), Entre bêtises et précaution, Esprit, nov. 1997, p. 118, spéc. p. 125.
361 Ainsi pour une commune du bassin d’Arcachon, la Teste-de- Buch, « Les dépenses engagées au titre des frais de nettoyage des 24 kilomètres de plage sont estimées à 150 000 euros ». On notera que son maire jugeant l’enveloppe du FIPOL dérisoire, a décidé de « diversifier les sources d’indemnisation en intervenant dans le cadre de l’instruction pénale déclenchée en Espagne ». V. sur ce point l’article de GONIÈRE (C.), Prestige : une ville de Gironde attaque, Libération du 31 octobre 2003.
362 FUND/WGR.7/ 21para. 7. 2. 7.
363 V. Report of Seventh Intersessional Working Group, FUND/ WGR. 7/ 21 para. 7. 2. 8.
364 V. en sens, DE LA RUE (C.) &. ANDERSON (C.B.), Shipping and the environment, Law and Practice spéc. p. 400.
365 Ceci comprend notamment la prise en charge des combustibles de soute consommés par les navires effectuant des opérations de nettoyage.
366 V. en ce sens, Maritime services Board of New South Wales v. Posiden Navigation Inc (The Solt Sheaf and the World encouragement) [1982] NSWLR 72, p. 91
367 V. sur ce point l’affaire du Thuntank 5. Ce navire suédois sombra au large des côtes suédoises. Le Gouvernement déposa des demandes d’indemnisation au titre des mesures de sauvegarde en se référant à des barèmes qu’il avait lui même établis. Ces barèmes furent jugés déraisonnables par le FIPOL. Aussi au terme d’un accord avec le FIPOL, le gouvernement accepta de revoir à la baisse ses prétentions. V. en ce sens le Rapport annuel du FIPOL, 1989 p. 32.
368 Ainsi dans l’affaire de l’Antonio Gramsci, le Fonds refusa de prendre en charge l’intégralité des coûts générés par l’achat de matériels, dans la mesure où ces derniers conservaient une valeur importante après la fin des opérations. Aux termes d’un accord conclu entre le FIPOL et le gouvernement finlandais, il fut convenu que l’indemnisation pouvait être évaluée en établissant pour chacun un loyer raisonnable. Une indemnité forfaitaire fut aussi consentie pour l’équipement qui n’avait pas été utilisé mais qui aurait pu raisonnablement l’être. Rapport annuel du FIPOL 1989 p. 26.
369 FUND/WGR.7/21 para. 7.2.11- 17- L’État français a établi son préjudice au titre de la catastrophe de l’Erika à 153 millions d’euros. Il a déjà perçu 40 millions d’euros de la part du FIPOL. Le préjudice dont il est demandé réparation correspond aux frais engagés pour le nettoyage des plages à la suite d’une catastrophe, ainsi qu’aux frais déboursés en raison des opérations de traitement de l’épave du pétrolier.
370 CABALLERO (F.), Essai sur la notion juridique de nuisance, précit., p. 332.
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