Conclusion du titre I
p. 219-221
Texte intégral
1551. Ce premier titre a permis de démontrer que la responsabilité apparaît plus que jamais comme une institution inadaptée au besoin de réparation des victimes de pollutions maritimes majeures. Pour parvenir à une telle conclusion, il aura fallu prendre en compte de nombreux paramètres. Pour n’en oublier aucun, une réflexion par étapes conçues comme autant de jalons dans notre démonstration s’imposait. Nous nous sommes attachée à montrer dans un premier temps comment l’introduction de la responsabilité objective du propriétaire du navire pour les besoins de la réparation avait conduit à dénaturer l’institution, sans pour autant apporter pleinement satisfaction. La dénaturation de la responsabilité s’inscrit davantage dans une démarche de type économique davantage inspirée par « le souci d’imputer un coût que de traduire un jugement juridique d’imputation d’une responsabilité1. En ce sens, elle est déjà moralement indéfendable. En outre, une telle initiative pourrait s’avérer économiquement inefficace dans la mesure où elle découragerait les investissements de nature préventive du propriétaire du navire ; mais encore parce qu’elle l’inciterait à organiser son insolvabilité, car automatiquement désigné comme tel, il serait un éternel responsable. Amputée de sa fonction normative, peu convaincante dans sa fonction indemnitaire, pourtant aménagée au prix de sévères contorsions, « la responsabilité civile serait, de fait, devenue introuvable, voire fausse »2.
2552. Or parce qu’un malheur n’arrive jamais seul, à cette fausse responsabilité pourrait correspondre une « drôle de réparation »3. Car non seulement dénaturée, la responsabilité reléguée au rang de garantie serait bridée dans sa fonction d’indemnisation. C’est ce que nous nous sommes évertuée à mettre en évidence dans un second temps. Il n’a pas été très difficile pour nous de mettre en évidence ce handicap de la responsabilité à travers la responsabilité maritime pour pollution. Il a suffi de constater que le principe traditionnel du droit maritime de limitation de responsabilité avait été « transbordé » dans le droit des pollutions maritimes sans qu’il n’y ait à cela aucune explication qui vaille. Ainsi le système paraît entretenir le « confort d’un risque limité »4 pour le propriétaire de navire. Or, « il apparaît immoral que l’on puisse être fixé par avance sur les conséquences d’un acte délictuel »5. L’idée de responsabilité est considérablement diminuée par la limitation légale. Nul doute que cette présence de la limitation en droit des pollutions plus que justifiée par une quelconque logique, aura été obtenue aux termes de pressions exercées par le Monde du shipping conçu de façon large car intégrant à l’évidence le secteur des assurances armatoriales.
3553. Le législateur aura, du reste, fait montre de bien peu de résistance, fort du constat qu’« il n’y a plus de nos jours de règles de responsabilité efficaces sans assurance »6. La limitation de responsabilité, justificatif contemporain de l’assurabilité, n’a-t-elle pas été présentée comme une sécurité supplémentaire pour les victimes7. C’est cette ambivalence que traduit parfaitement Mme Carval en se demandant si l’assurance doit être considérée comme une « compagne fidèle ou plutôt un ange maudit de la responsabilité »8.
4554. Les incohérences du système dénoncées, il nous faut en tirer des enseignements. On ne saurait imposer aux victimes de pollutions maritimes majeures une réparation limitée. Mais peut-on alors se contenter de s’aligner sur le modèle américain ? Rien n’est moins sûr. A l’examen il semble que le modèle américain en ce qu’il supprime le principe de limitation doit être dépassé. Il existe de multiples raisons à cela. La Convention CLC parce qu’elle retient la responsabilité du propriétaire du navire tend à faire admettre que le risque de pollution est maritime, en cela la présence du principe de limitation se justifierait. Or, il y aurait là un malentendu de départ. Car si risque il y a indubitablement, il est plus sûrement environnemental. En ce sens, il doit être supporté par les intérêts liés à la cargaison. Est-ce à dire pour autant qu’en excluant la responsabilité objective du propriétaire de navire au stade de l’indemnisation nous entendons conférer à cet opérateur une totale immunité ? Loin s’en faut. Cette inadaptation de la responsabilité objective doit au contraire nous inciter à rechercher un type de responsabilité plus adapté, car susceptible de redonner au mot un véritable sens.
5555. Enfin forte du constat que « les règles de responsabilité marquent le pas devant les phénomènes catastrophiques que sont les pollutions majeures résultant du transport maritime, en ce qu’elles méconnaissent leur dimension collective »9, il convient de se demander si de tels événements ne doivent pas nous conduire à revoir totalement notre mode de pensée. Le « recours à l’outil de responsabilité civile »10 est-il encore pertinent en présence d’un risque écologique majeur ? L’examen des parts respectivement prises en charge par les intérêts liés au navire et ceux liés à la cargaison n’a-t-il pas révélé un fort déséquilibre, tendant à faire admettre que le risque écologique majeur était assumé presque intégralement par les seconds. Or précisément dans cette hypothèse, la réparation a pour support un fonds d’indemnisation, c’est-à-dire un mécanisme collectif d’indemnisation, naturellement mieux armé pour appréhender des dommages de masse ; la responsabilité étant elle plus familière des rapports inter-individuels. Aussi à l’aune de ces observations, et parce que la réparation intégrale des pollutions majeures résultant du transport maritime tend à devenir un impératif, on est fondé à se demander si la logique ne commanderait pas de muter vers une refonte totale du système conventionnel, laquelle exigerait que soit conférée aux fonds, une exclusivité en matière d’indemnisation.
Notes de bas de page
1 OST (F.), La responsabilité, fil d’Ariane du droit de l’environnement, Droit et Société 30/ 31-1995, p. 282, spéc. p. 283.
2 V. en sens GIROD (P), La réparation du préjudice écologique précit p. 272.
3 Ibidem.
4 VIALARD (A)., D’un naufrage à l’autre : fonds de limitation de responsabilité du propriétaire de navire et action directe des victimes, Juris clas., Resp. civ. et assur., n° 32, juillet 1995, pp. 6-7.
5 RIPERT (L.) La réparation du préjudice dans la responsabilité délictuelle, Paris, Dalloz, 1927, n° 57, p. 63.
6 JOUHAUD (Y.), L’évolution de la jurisprudence en matière d’assurance, Risques, suppl. au n° 10, avril-juin 1992, p. 22.
7 ODIER (F.), Evolution de la notion de responsabilité en droit maritime, Académie de Marine, année académique1997-1998, n° 3 (avril -juin 1998) p. 37.
8 CARVAL (S.), La construction de la responsabilité civile, Controverses doctrinales, PUF 2001, p. 11.
9 Regards sur les actions en responsabilité civile à la lumière de la vache folle, Revue de droit rural n° 252 avril 1997, p. 226-spéc. p. 231.
10 V. en ce sens BRISSY (Y.), A propos d’environnement et responsabilité, LPA, 1994, n° 50, p. 107, spéc. p. 108.
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