Introduction au titre I
p. 57-58
Texte intégral
189. La révolution industrielle qui vit la multiplication soudaine des accidents provoqués par l’exploitation de techniques encore mal maîtrisées révéla avec brutalité les insuffisances du système de responsabilité subjective et individuelle conçu par les rédacteurs du Code civil. Le plus souvent, les victimes se trouvèrent dans l’impossibilité absolue de prouver l’exacte origine de leurs dommages. A défaut de pouvoir établir une faute personnelle, nombre d’entre elles se trouvèrent privées de réparation. Cette injustice flagrante ne tarda toutefois pas à susciter une réaction commune de la jurisprudence, de la doctrine et enfin du législateur aux fins de leur ouvrir, en dépit de cela, les voies de l’indemnisation1. Constitué au premier chef par les ouvriers de l’industrie, le cercle des créanciers de l’indemnisation ne devait cesser de s’élargir au gré de la diversification des accidents. C’est ainsi que les victimes de pollutions majeures finirent, elles aussi, par le rejoindre. Car de toute évidence « le déversement des hydrocarbures dans la mer à proximité des côtes lançait certes aux juristes un nouveau défi »2, mais somme toute de facture similaire aux précédents.
290. S’agissant d’un problème de dimension internationale, la solution devait nécessairement venir d’une convention, laquelle devait avoir pour ambition première de mettre sur pied un régime d’indemnisation ad hoc. C’est dans ce contexte que fut adoptée la Convention internationale de Bruxelles du 23 novembre 1969 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution des mers par les hydrocarbures. L’originalité de ce système de réparation est d’instituer à la charge des propriétaires de navires pollueurs, une responsabilité de plein droit. La responsabilité y est dite sans faute, car elle s’établit à raison des dommages causés et sans considération pour le comportement du responsable pré-désigné.
391. Si dans le contexte que nous venons d’évoquer, l’objectivation a pu apparaître comme un aboutissement logique et adapté de la responsabilité civile face aux dommages de masse, elle s’est aussi traduite par un déplacement des frontières préexistantes. En effet, si dans une perspective de régulation des comportements, la distinction entre faute volontaire et erreur paraît pertinente, elle cesse de l’être lorsqu’on la quitte, la distinction devant se faire désormais entre la faute et le risque. Or si « l’erreur relève effectivement bien du comportement, le risque est lui une notion purement statistique, indépendante de l’agir »3, et donc nécessairement de ce qui relève de la responsabilité de l’individu du moins au sens où on l’entend classiquement. Or tout réduire à un risque pour les besoins de l’indemnisation conduit nécessairement le droit à faire abstraction des comportements sans pour autant nécessairement atteindre son objectif en présence d’un risque de masse comme le sont les catastrophes pétrolières. Dès lors l’institution de la responsabilité pourrait avoir été inutilement dénaturée4 à des fins indemnitaires puisqu’elle ne conduirait, en définitive, qu’à une responsabilité-fiction du propriétaire de navire (Chapitre I). De surcroît, même ainsi dénaturée à des fins indemnitaires, l’institution serait ostensiblement bridée dans cette fonction, le propriétaire n’offrant à l’examen qu’une garantie-fiction aux victimes de pollutions majeures (Chapitre II). Forte de ce double constat d’inadaptation de la responsabilité objective du propriétaire de navire face au risque de pollutions majeures, nous devrions pouvoir convaincre de la nécessité de l’exclure du système conventionnel.
Notes de bas de page
1 V. en ce sens VINEY (G.), Traité de droit civil, sous la direction de Jacques GHESTIN, Introduction à la responsabilité civile, 2è édition, LGDJ, 1995, n°17.
2 V. en ce sens VINEY (G.), Traité de droit civil, Introduction à la responsabilité civile, précit., n°17.
3 ENGEL (L.), Réguler les comportements, précit., spéc. p. 84.
4 V. en ce sens BOURAYNE (C.), Accidents aériens et maritimes. vers une responsabilité désincarnée, DMF, 1997, p. 963.
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