Introduction à la première partie
p. 53-55
Texte intégral
182. N’en déplaise aux récentes victimes de pollutions majeures de l’Erika et du Prestige, le dispositif conventionnel CLC/ FIPOL est de ceux que ses rédacteurs ont entendu concevoir dès l’origine comme un système de « droit réparateur »1. Dans leur esprit, pareil objectif pouvait être atteint par la combinaison des meilleures techniques2 dont le droit disposait alors pour réussir l’indemnisation, à savoir une responsabilité objective dite aussi pour risque, en l’occurrence celle du propriétaire de navire, doublée par un mécanisme collectif d’indemnisation, ici un fonds, alimenté par les propriétaires de cargaison.
283. Mais ce qui devait apparaître comme un modèle de référence pour la réparation des atteintes au milieu marin résultant d’un transport maritime accidentel d’hydrocarbures ne tarda pas à révéler ses faiblesses en présence d’un déversement massif. Bien que statistiquement inévitable, la catastrophe n’est pas de ces phénomènes qui retiennent l’attention des juristes. Et pour cause, face à elle, ils se révèleraient « désemparés à la fois intellectuellement et techniquement »3.
384. Cette absence de réactivité devient de moins en moins supportable lorsque le phénomène, réputé occasionnel, tend à se répéter à moins de trois ans d’intervalle, comme il vient de le faire. Est-ce à dire que l’on devrait se résoudre à accepter que la victime puisse se trouver différemment indemnisée selon l’intensité du dommage que le sort lui a réservé ? Certes, eu égard à la présence du dispositif conventionnel toutes devraient se voir garantir, un « commencement » de réparation. Certes encore, la révision périodique des plafonds de réparation devrait permettre aux prochaines victimes une amélioration sensible de leur sort ? Mais peut-on décemment voir une panacée dans de telles dispositions ? Loin s’en faut, elles témoigneraient davantage d’un manque d’appréhension globale du phénomène catastrophique. Preuve s’il en fallait : le dispositif apparemment consolidé aux lendemains d’une catastrophe serait inexorablement ébranlé par celle qui lui succèderait.
485. Dès lors, ainsi que cela a été justement souligné, « il existerait un champ pour la recherche afin d’approcher les catastrophes [...] comme un phénomène juridique spécifique à tout point de vue »4. En d’autres termes, le droit devrait se positionner plus nettement pour espérer surmonter ce phénomène et cela sans nécessairement tomber dans ce que d’aucuns n’ont pas hésité à appeler une « folie réparatrice »5. Car il n’est pas irréaliste pensons- nous de défendre l’idée selon laquelle la conception contemporaine de l’équité puisse être que « tout dommage accidentellement subi par un individu ou un groupe d’individus doive dans une société bien construite, trouver une réparation assurée »6. Et cela du reste nous apparaît tout particulièrement justifié en présence de catastrophes écologiques de source maritime.
586. Le dispositif conventionnel actuel, imaginé pour faire face aux risques de pollutions majeures résultant du transport maritime, se singularise dès sa création par sa structure composite. Il n’en reste pas moins le résultat d’une construction par étapes, fussent-elles extrêmement rapprochées dans le temps. Le premier étage du système, si on s’en tient à la chronologie, est directement suggéré par le moyen de transport puisqu’il consiste à rendre objectivement responsable le propriétaire du navire impliqué dans la catastrophe. Le second l’est par la cargaison, car il revient à partager entre les membres d’un secteur industriel, au nom d’un principe de solidarité, le risque que font encourir à l’environnement ces matières indispensables à leurs activités.
687. Or, ne faut-il pas déjà voir dans cette construction originelle l’expression d’un malentendu de départ, lequel résiderait précisément dans le fait de vouloir nécessairement confondre réparation et responsabilité alors que chacun sait depuis Ripert notamment que « réparation ne signifie pas responsabilité »7. Dès lors qui prétendrait « reconstruire le droit des victimes »8 pourrait être amené à prôner l’unicité d’une méthodologie de l’indemnisation9. Une telle démarche pourrait être motivée par le souci de rendre plus cohérent le droit indemnitaire. « Mais comment donc rénover, comment restaurer l’ordre sans tout d’abord instaurer le désordre ? »10 La procédure de restauration des équilibres juridiques mis à mal par la catastrophe ne saurait, nous l’avons dit, exclure « l’idée de recyclage, de réassemblage d’éléments de l’ancien système »11.
788. Aussi après avoir montré que la responsabilité objective du propriétaire gagnerait à être exclue du système conventionnel du fait de son inadaptation au besoin d’indemnisation des victimes de pollutions majeures (Titre I), il nous appartiendra de convaincre de la nécessité de conférer une exclusivité aux fonds d’indemnisation, seuls capables de satisfaire un impératif de réparation intégrale (Titre II).
Notes de bas de page
1 Nous reprenons ici la formule consacrée par LAPOYADE-DESCHAMPS (C.) in La réparation du préjudice économique pur en droit français, RIDC, 1998, p. 367, spéc. p. 381.
2 Le Professeur A. VIALARD, dans une approche comparative des systèmes de réparation, n’hésitait pas à souligner l’ingéniosité du système CLC/ FIPOL en déclarant à son propos qu’en droit maritime, « c’est encore mieux, car on juxtapose responsabilité et fonds de garantie ». Cf. Le préjudice économique pur. Variations maritimistes, in Etudes à la mémoire de Christian LAPOYADE- DESCHAMPS, PUB, coll. Université de Montesquieu Bordeaux IV, série Droit, 2003, pp 283-291, spéc. p. 287.
3 Nous pensons qu’il est possible de transposer ici la formule retenue par A. TUNC pour décrire l’incapacité des juristes à cerner le phénomène accidentel in La responsabilité civile, Economica, 2ème éd., 1989, p. 61.
4 LIENHARD (Cl.) et FEUERBACH-STEINLE (M.-F.), Eléments de prévention du risque de catastrophe et d’accidents collectif, D. Affaires, 1998, p. 1514., V. encore pour un plaidoyer en faveur de cette initiative LIENHARD (Cl.), Pour un droit des catastrophes, D., 1995, Chron., p. 91, FEUERBACH-STEINLE (M.-F.), Le droit des catastrophes et la règle des trois unités de temps, de lieu, et d’action, LPA, 28 juillet 1995, p. 9, V. aussi CAMPROUX-DUFFRENE (M.P.), Réflexion sur l’indemnisation des victimes de catastrophes technologiques, Gaz. pal., 1997, 1, Doctr., p. 337 ; RIGAUX (F.), Préface, La réparation des dommages catastrophiques, Travaux des XIII journées d’études juridiques Jean Dabin, Bruxelles 1990, p. vii à xiii.
5 HAUSER (J.), obs. sous Cass. 1 ère civ., 26 mars 1996, RTD civ. 1996, p. 871.
6 RIPERT (G.), Préface au traité de R. SAVATIER, Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d’aujourd’hui, Dalloz, 1952, p. 245.
7 ibidem.
8 DESIDERI (J.-P.), La précaution en droit privé, D., 2000, Chron. p. 238.
9 V. en ce sens LAMBERT-FAIVRE (Y.), Dommage corporel : de l’hétérogénéité des systèmes de réparation à l’unicité d’une méthodologie de l’indemnisation, Mél. Roger O. Dalcq, pp. 349-363.
10 SEGALEN (V.), Peinture, Plon.
11 OST (F.) & VAN DE KERCHOVE (M.), Le système juridique entre ordre et désordre, Les voies du droit PUF, 1988, spéc. p. 45.
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La responsabilité civile à l’épreuve des pollutions majeures résultant du transport maritime
Tome I et II
Karine Le Couviour
2007
L’unification du droit maritime
Contribution à la construction d’un ordre juridique maritime
Massimiliano Rimaboschi
2006
Le droit maritime dans tous ses états
Hommage méditerranéen à Pierre Bonassies, Philippe Delebecque et Christian Scapel
Mustapha El Khayat (dir.)
2016