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Préface

p. 11-12


Texte intégral

1Les thèses sur les pollutions majeures résultant du transport maritime ne se bousculent pas au portillon, même si quelques accidents relativement récents (Erika et Prestige) ont contribué à relancer la réflexion des jeunes et des moins jeunes, tant elles ont fait apparaître les insuffisances du droit international contemporain de la réparation des dommages que ces pollutions majeures provoquent.

2Dans sa thèse de doctorat, Mlle Karine Le Couviour s’attache à démontrer ces imperfections, dont on sait cependant qu’elles sont le fruit d’une espèce de consensus international des États membres de l’Organisation Maritime Internationale. Pour elle, un constat s’impose : il s’agit d’une combinaison étrange du droit de la responsabilité civile et des mécanismes collectifs d’indemnisation. Malgré cela, le système tel qu’il existe, et spécialement dans le domaine des pollutions par hydrocarbures, les plus « photogéniques » ( ?), ne permet pas d’assurer une bonne indemnisation des victimes de ces dommages. Soit parce que, parmi ces victimes, il s’en trouve qui n’ont droit à aucune réparation du tout, leur créance n’appartenant pas au monde de celles qui sont accueillies par les Fonds Internationaux d’Indemnisation des dommages de pollution par hydrocarbures (FIPOL), soit parce que ces créances, seraient-elles admises, la limitation de réparation que met en place le système aboutit le plus souvent à une indemnisation dérisoire des populations riveraines touchées par le désastre : c’est le cas typique du désastre un peu aidé du Prestige.

3Cette mécanique onusienne aboutit à une espèce de « déresponsabilisation » des principaux acteurs de la filière, qu’il s’agisse des armateurs de navires, des affréteurs de ceux-ci, ou des propriétaires de cargaisons polluantes. L’ouvrage de Mademoiselle Le Couviour va consister à explorer les pistes qui permettraient de redonner à l’idée de responsabilité civile (voire pénale) la place qu’elle mériterait d’avoir dans un système de réparation juste et efficace.

4Dans ce but, Mlle Le Couviour développe des idées qui lui sont très personnelles, parfois puisées dans les exemples étrangers (l’exemple américain n’est jamais bien loin) : on pense aux dommages et intérêts « punitifs » qu’elle propose d’introduire dans notre droit de la responsabilité civile ou à la réparation du dommage écologique, à peu près complètement ignoré du système de réparation mis en place par l’Organisation Maritime Internationale.

5Le « fil rouge » de la démonstration est le suivant : assurer l’indemnisation totale des victimes par l’intervention du seul FIPOL, mais en donnant à celui-ci la possibilité d’exercer des actions récursoires contre les véritables responsables de la catastrophe économique et écologique, s’ils se révèlent avoir commis des fautes.

6Pour Mlle Le Couviour (que je rejoins en cela), rien d’utopique au système qu’elle imagine : il serait facile de remédier aux défauts des mécanismes actuels en prévoyant une indemnisation intégrale des victimes économiques et écologiques par le FIPOL. Cette indemnisation intégrale serait facile à financer par une taxe sur les cargaisons d’hydrocarbures transportées à travers le monde, et dont le vrai « payeur » serait le consommateur final des produits livrés sur le marché mondial par l’industrie pétrolière, lui-même l’un des principaux pollueurs de la planète « Mer », au demeurant.

7Cette indemnisation intégrale étant assurée, y compris celle des dommages de type purement écologique, les possibilités ouvertes au FIPOL d’exercer toutes actions jugées utiles contre les véritables responsables du dommage conduiraient à replacer la responsabilité civile dans sa perspective de régulation des comportements humains, et permettrait d’enrayer la « déresponsabilisation » des sujets de droit provoquée par le développement des mécanismes collectifs d’indemnisation.

8Tous les intervenants dans la filière pétrolière seraient ainsi susceptibles d’être jugés à l’aune du « bon professionnel » (notion dont le développement contemporain d’une multitude de « codes de conduite » permet de préciser le contenu) et devraient rendre compte, en cas de faute, de toute violation à une obligation de sécurité inhérente au transport par voie maritime de marchandises dangereuses. Il serait même possible de considérer comme fautive la simple prise de risque, en atténuant les exigences classiques de causalité et d’existence du dommage qui fondent actuellement le droit de la responsabilité civile.

9Il faudrait ainsi revaloriser la fonction punitive de la responsabilité civile, en graduant l’intensité du recours sur la gravité des fautes commises.

10On peut ne pas être toujours d’accord, et les débats qui nous ont opposés au cours des travaux d’écriture de cette thèse ont été animés, mais il faut reconnaître à cet auteur une véritable pensée juridique et un art de la démonstration et de l’argumentation, soutenu par une connaissance encyclopédique et intériorisée de la documentation utilisée.

11À l’heure où commence le procès de l’ERIKA (nous écrivons cela en juillet 2007, trois mois avant que ne soit rendu le premier jugement du tribunal correctionnel de Paris dont on parie qu’il sera frappé d’appel, de pourvoi en cassation, etc.), cette thèse permet de se faire une opinion sur ce que pourrait être, de lege ferenda, un bon système d’indemnisation des dommages de pollution, ce que n’est certainement pas, de lege lata, le système qui nous gouverne aujourd’hui.

12Saluons un auteur dont l’avenir dira sans doute qu’il a fait preuve de lucidité prémonitoire.

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