Chapitre II. La consécration de la légitime coutumière
p. 273-314
Texte intégral
1Sans le sursaut révolutionnaire, la légitime aurait probablement continué son évolution de manière empirique. A la fin du xviiie siècle, elle a acquis une place certaine en pays de coutumes et semble naturelle à l’ensemble des juristes. Elle porte en elle la capacité d’unifier le régime successoral en une seule institution, qui se décline en plusieurs espèces, comme la réserve et, dans certaines coutumes, le douaire. Elle en est arrivé à désigner toute protection successorale au bénéfice des descendants du de cujus. En pénétrant en pays coutumier, elle a rendu familier le souci d’égalité entre les enfants du de cujus ou, au moins, le respect d’une certaine proportion entre les parts que chacun recueille dans la succession de leur auteur commun. Son lien avec un devoir moral issu de la nature la fait accepter par tous : elle n’est, en définitive, que la traduction juridique d’un impératif d’un autre ordre.
2Ces caractéristiques ne la rendent pas nécessairement déplaisante aux révolutionnaires. En effet, le Tiers État a été « surtout dominé par l’idée d’une égalité civile entre tous les hommes, fondée sur la nature. Cette idée a été accréditée par les philosophes »1137. Mais il est de l’essence de l’œuvre révolutionnaire de tout passer au crible, d’aller jusqu’aux fondements de la société, pour la rebâtir sur de nouvelles bases. Ce n’est pas la légitime ou la réserve qui sont mises en cause : c’est tout le droit successoral qui est analysé, critiqué ou reformulé ; afin de l’adapter aux besoins nouveaux et de le rendre conforme aux grands principes inspirateurs de la Révolution. Ces principes, quels sont-ils ?
3Il n’y a pas d’uniformité dans la pensée du xviiie siècle qui inspire la Révolution. Deux pôles se dégagent aisément : l’individualisme et l’étatisme. Ces notions correspondent à une certaine vision de la société, ainsi que de la personne humaine et de sa nature. Dans le domaine du droit, l’opposition entre les deux courants trouve un terrain d’affrontement dans la conception de la loi et du droit naturel. « Pour les uns (comme Voltaire ou Diderot) les lois doivent se fonder sur le Droit naturel –une formule magique qu’on entendra souvent sous la Constituante pour justifier n’importe quelle disposition législative. Elles ont également pour but la protection et l’épanouissement de l’individu. Pour d’autres (comme Rousseau ou Mably), c’est l’utilité sociale qui détermine les lois ; elles doivent donc répondre aux besoins de la société et de l’État »1138. Les débats sur le droit successoral se situent dans ce contexte d’influences multiples. Cependant, les questions abordées sont loin d’être nouvelles. La discussion au sujet du fondement du droit successoral, notamment son lien avec le droit naturel, est une querelle ancienne1139. Simplement, son caractère politique s’accentue au xviiie siècle1140. « C’est en fonction d’une explication globale du monde que sont pensés les fondements du droit successoral1141 ». Or, le propre de la Révolution est de donner une autre explication globale du monde, en opposition à celle qui l’a précédée. Dans ce contexte, qu’adviendra-t-il de la légitime ? En pays de coutumes, elle avait permis d’établir un équilibre entre deux logiques successorales différentes : celle de la réserve, protectrice du lignage et fondée sur la dévolution légale ; et celle de la légitime, donnant priorité à la dévolution testamentaire. Elle avait su incorporer à ces deux types de dévolution la composante morale, reliée au droit naturel. Elle était parvenue à une synthèse. Elle était devenue le terme général pour désigner toute protection successorale, sous forme de quote-part destinée aux enfants. Son esprit et son régime juridique étaient adaptés à l’ordre social en vigueur. Si cet ordre était bouleversé, pouvait-elle se maintenir ? Et à quel prix, si elle y parvenait ?
4Ainsi, le sort de la légitime ne peut être étranger aux bouleversements que subit la société et, plus précisément, le droit successoral entre 1789 et 1804. Cependant, retracer toute l’évolution du droit successoral s’éloigne du fil conducteur de nos recherches. L’objectif est de repérer les éléments qui permettent de comprendre l’incidence de la remise en cause du droit successoral sur la légitime, et dans quelle mesure l’époque révolutionnaire prépare le droit successoral du Code civil et la place de la légitime dans celui-ci.
5La remise en cause du droit successoral faite par la Révolution subit les secousses des changements politiques et l’influence de l’idéologie1142 . Les Assemblées votent des lois sur des sujets particulièrement sensibles à l’influence des idées nouvelles. Les droits de l’enfant naturel ou l’égalité des partages dans les successions ab intestat en sont des exemples. Il s’agit d’accorder le droit privé aux principes inspirateurs de la Révolution. On verra en quoi la légitime peut être concernée.
6Mais, au-delà du vote de mesures concrètes, les révolutionnaires cherchent à faire œuvre unificatrice en matière de droit privé. Cambacérès incarne la volonté de rédiger un Code unique de lois civiles1143. Pourtant, ce n’est que sous le Consulat que Bonaparte parviendra à le réaliser. Dans cette unification, le droit successoral apparaît comme une transaction entre les différentes traditions juridiques1144, soumis aussi à l’influence de la législation révolutionnaire. A la fin du xixe siècle, on considérera que le Code Napoléon rompt avec la législation révolutionnaire. Cependant, il existe une continuité entre les fondements du droit successoral révolutionnaire et ceux du Code civil1145 . Les premières lois successorales de la Révolution opèrent un remaniement important en cette matière. Mais l’exaltation du changement ne peut être qu’éphémère : « Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée : elle est finie », proclament les consuls le 15 décembre 17991146 . S’ouvre alors une nouvelle phase qui continue l’œuvre des hommes de 1789, car les rédacteurs du Code ne font pas table rase de l’apport révolutionnaire.
7C’est au milieu de ces revirements qu’il faut suivre la vie de la légitime. Les révolutionnaires l’ont reçue au stade de synthèse de la protection successorale des enfants, fondée sur la nature. Il faut chercher ce qu’est devenue la légitime dans la tourmente révolutionnaire (section I), avant d’aborder le retour à l’équilibre (section II) qui culminera avec le Code civil.
SECTION I. LA LÉGITIME DANS LA TOURMENTE RÉVOLUTIONNAIRE
8Les États Généraux convoqués pour le mois de mai 1789 s’ouvrent avec la lecture des cahiers de doléances. Il est intéressant de voir quelles requêtes pouvaient être faites en ce qui concerne le droit privé. On constate que le droit familial, et le droit successoral en particulier, est le plus souvent absent de ces cahiers1147 . De même, rares sont les pétitions d’unité des lois sur le droit privé1148 : « La réforme du droit privé n’apparaissait pas, dans son ensemble, comme une urgence »1149 . Cependant, quelques demandes intéressent la légitime.
9Une série de revendications concerne le droit d’aînesse, qui heurte le désir d’égalité, si enraciné dans l’esprit coutumier pour les roturiers. Parmi les bailliages et sénéchaussées qui demandent la suppression du droit d’aînesse, on trouve la sénéchaussée d’Anjou. La demande concerne aussi l’abolition de la différence de régime entre les biens meubles et les biens immeubles1150 . D’autres bailliages souhaitent une unification du régime des fiefs et des biens roturiers, au profit de l’égalité et au détriment du droit d’aînesse. Tel est le cas, par exemple, de la ville et comté d’Hénin-Liétard, ou du village de Courtiches, qui semble limiter la demande d’égalité au profit des familles roturières1151 . Les bailliages de Melun et Moret veulent également supprimer le droit d’aînesse accordé aux roturiers1152 . De leur côté, les nobles d’Etampes demandent l’alignement du régime des fiefs sur l’égalité en vigueur pour les partages roturiers1153. Les plaintes qui concernent directement le droit privé se centrent donc sur la demande d’égalité.
10Quelle place occupe la légitime dans les cahiers de doléances ? Elle ne semble pas faire l’objet de revendications particulières. La raison principale est sans doute qu’elle existe dans toutes les coutumes. On ne revendique pas une institution en vigueur. Son régime juridique devait également paraître satisfaisant, puisqu’on n’en demande pas la réformation. Cependant, il faut se garder de tirer trop de conclusions du silence des cahiers de doléances. Ils fournissent des renseignements surtout sur le fait que la préoccupation principale en droit privé concerne les questions liées au droit pénal ou à la procédure. Les cahiers de doléances ne sont pas une consultation exhaustive sur la réforme du droit privé.
11Malgré tout, un cahier, celui de Valenciennes, fait référence explicite à la légitime : « Qu’il soit accordé un droit de légitime sur les biens de toute espèce à tout enfant et que la hauteur en soit déterminée »1154 . On a déjà analysé les dispositions de la coutume préciputaire de Valenciennes1155. En 1539, elle n’utilise pas le terme légitime ; elle s’en sert de manière vague dans la réformation de 1619, sans consacrer explicitement l’institution. Maintenant, en 1789, ses représentants demandent une clarification de la pratique, qui admet sans doute l’existence de la légitime, comme toutes les autres coutumes. C’est l’aboutissement d’une progression lente, mais qui a existé probablement dans toutes les coutumes, de manière plus ou moins explicite.
12La légitime est donc loin d’être au centre des préoccupations des Français à cette époque. Pourtant, le droit successoral est la matière de droit privé sur laquelle le législateur révolutionnaire intervient le plus souvent, ce qui manifeste son importance politique et sociale1156 . Deux thèmes majeurs, en rapport avec la légitime, émaillent les discussions de l’Assemblée constituante, puis de l’Assemblée législative et de la Convention. D’une part, l’égalité des partages, d’autre part, le fondement du droit de tester. Les deux questions sont liées car, en droit successoral, tout se tient : « L’engrenage de l’égalité remettait en cause les successions testamentaires après les successions ab intestat. « Tout est lié dans l’État civil », reconnaissait Mirabeau »1157. Or, il n’est pas possible de toucher aux fondements du droit successoral sans que la légitime s’en trouve affectée d’une manière ou d’une autre.
13Cet attrait pour les fondements et les principes n’est pas étranger à l’opinion de l’époque1158. Certaines doléances s’en font l’écho, comme l’article 19 du cahier de l’assemblée générale d’Angers : « la loi des substitutions sera abolie comme injuste en ce qu’elle frustre les créanciers, et comme absurde en ce qu’elle lie les vivants par la volonté des morts »1159. La protection des intérêts des créanciers a une portée pratique, mais le fondement avancé par l’assemblée d’Angers manifeste une certaine idée du droit de propriété et de la liberté testamentaire. L’hostilité vis-à-vis des testaments est claire. Elle renoue avec la tradition coutumière, qui n’a jamais perdu complètement la méfiance vis-à-vis de la liberté du testateur. Mais elle va au-delà. C’est le fondement même du droit de tester, dépendant de la notion de propriété, qui est remis en cause. Or, la légitime est indissociable du droit de tester.
14Les débats ne portent pas directement sur la légitime en tant qu’institution, mais sur les fondements dont elle découle1160. La relation du droit révolutionnaire avec la légitime est ambivalente. D’une part, la légitime en pays de coutumes a développé un régime juridique qui peut être compatible avec certains principes révolutionnaires. De ce point de vue, la légitime peut être considérée comme ayant des points communs avec les idéaux de la Révolution. Mais, d’autre part, la légitime incarne l’équilibre et la mesure, alors que la Révolution se veut radicale. Ainsi, les points communs (§ 1) ne sont pas suffisants pour que les révolutionnaires conservent l’institution de la légitime. Ils s’acheminent vers des solutions juridiques différentes en matière successorale (§ 2).
§ 1. Les points communs
15Le 17 juin 1789, le Tiers État se déclare Assemblée nationale, laquelle prend, le 9 juillet suivant, le titre d’Assemblée nationale constituante. Le but principal est de donner à la nation une Constitution et de nouvelles institutions politiques. L’Assemblée ne pouvant tout faire en même temps, elle doit suivre un ordre de priorités, et les besoins politiques occupent la première place dans l’esprit des Constituants. Pourtant, dans cette perspective de droit public, le besoin de repenser le droit privé n’est pas absent. Dès le 5 juillet 1790, l’Assemblée nationale décide « qu’il serait fait un code général de lois simples et claires appropriées à la constitution »1161 . La Constitution du 14 septembre 1791 renouvelle ce souhait impératif : « il sera fait un code de lois civiles communes à tout le royaume »1162 . Cependant, la tâche apparaît immense. Au départ, l’Assemblée constituante ne veut pas s’écarter de ce qui est son objectif principal, la Constitution. Certains sont d’accord pour réformer quelques points précis du droit privé, dont on estime le remaniement urgent. D’autres veulent s’attaquer à l’ensemble de la législation civile, ce qui est un travail bien plus vaste et important. Il apparaît comme un long chemin parce qu’il sera nécessaire d’harmoniser les différentes coutumes en vigueur et les traditions juridiques opposées qui existent en France. Or, si tous les Constituants et, plus tard, les membres de l’Assemblée législative et les Conventionnels sont d’accord sur le besoin d’un code unique, chacun a tendance à vouloir que l’unification se fasse au profit de la coutume de sa région. Les particularismes sont présents et réveillent l’ancien antagonisme entre pays de droit écrit et pays de coutumes.
16Cette recherche de l’unité ne peut être séparée du principe essentiel de la Révolution : l’égalité. C’est cette idée fondamentale qui amène les révolutionnaires à prendre des mesures en droit successoral, sans attendre la réforme complète du droit civil1163 .
17L’unité et l’égalité sont deux objectifs majeurs recherchés par les révolutionnaires. De son côté, la légitime en pays de coutumes a été un ferment d’unité et d’égalité. Sur ces deux points, la recherche de l’unité (A) et l’égalité (B), on peut trouver un terrain d’entente.
A. La recherche de l’unité
18La nuit du 4 août 1789, l’Assemblée constituante abolit les privilèges, au nombre desquels figuraient toutes les inégalités successorales permises ou créées par les coutumes. Cette abolition a pour effet de rendre plus évident le besoin d’unification du droit privé. Il n’est pas possible de proclamer l’égalité politique de tous les citoyens, l’abolition de tous les privilèges, et de laisser subsister une multitude de coutumes diverses, voire opposées, pour régler les rapports privés entre les citoyens.
19L’abolition des privilèges suppose une certaine victoire de l’unité. A une première réaction d’opposition, manifestation peut-être d’un attachement aux particularismes régionaux et locaux, suit, du moins pour les pays de coutumes, un ralliement à l’idée d’un droit unifié. Les premières semaines de la Révolution avaient changé la donne. Les particularismes continuaient d’exister, mais la nuit du 4 août 1789 avait ébranlé les bases sur lesquelles ils s’appuyaient : « Le cadre départemental brise le cadre provincial et abat les barrières qui gênaient l’unification »1164. L’unification du droit est possible. Elle est même nécessaire1165 : « Comment voulez-vous qu’un cadet dont le père est mort laissant des biens à Paris et dans le Ponthieu croie à l’unité de l’Empire français ? Comment voulez-vous que tel homme qui est héritier en deçà d’une rivière et qui ne l’est plus au-delà puisse considérer la France autrement que comme un assemblage de petites nations qui ont, chacune, leurs lois séparées ? »1166. Il faut une loi unique pour toute la France, qui renforce l’unité politique. La diversité est vue désormais comme un privilège et, à ce titre, elle doit être abolie ; elle a déjà été abolie par la nuit du 4 août. Reste à construire l’unité du droit privé. Mais sur quels principes ?
20Si les divergences coutumières s’estompent pour faire triompher l’idéal révolutionnaire, une forte réaction d’opposition soulève les représentants du Midi. Leur sentiment d’identité a été réveillé. Ils craignent que l’unité se fasse autour des principes de droit coutumier, au détriment du droit écrit. Et certains députés méridionaux entament une bataille féroce en défense du droit romain. Cazalès ira même jusqu’à brandir la menace d’une scission de la part des territoires régis par le droit écrit, si on les oblige à renoncer à leur tradition juridique. Le droit successoral est au cœur de cette bataille car, mieux que d’autres aspects, il manifeste et consacre cette divergence. En outre, le droit successoral rythme la vie des familles de l’intérieur, et les populations sont réticentes à changer l’ordre ancien sur ce point. Après l’euphorie de l’abolition des privilèges et des premiers moments de la Révolution, il y a une prise de conscience des conséquences de ces principes, surtout dans le Midi. « Les communautés paysannes ne comprirent pas que l’abolition du régime successoral féodal permettait d’ouvrir la brèche de l’égalitarisme dans le dispositif des pays de droit écrit ; elles ne comprirent pas plus, en tout cas pas tout de suite, que le sacrifice des privilèges sur l’autel de la Nation, la nuit du 4 août 1789, concernait également, par extension, les privilèges des communautés, donc des législations ou coutumes juridiques locales. L’inquiétude ne commença à se faire jour dans les pays de droit écrit, pratiquant le testament, qu’à partir du moment (8 avril 1791), où furent interdites les pratiques inégalitaires dans les successions roturières ab intestat »1167 .
21Le combat s’annonce long et difficile. Pour le droit successoral, la question de l’unification du droit suppose un choix parmi les solutions existantes. Va-t-on suivre le système romanisant du Midi, fondé sur la liberté testamentaire ? Ou bien prendra-t-on comme modèle la logique successorale de la réserve coutumière ? Et, si le choix porte sur la légitime, sera-ce pour adopter le régime romain, ou bien celui de la légitime adaptée aux pays coutumiers ?
22La légitime adaptée aux pays de coutumes fournit aux révolutionnaires un instrument pour parvenir à l’unité. Dans un certain sens, la légitime en pays de coutumes a déjà réalisé l’objectif des révolutionnaires ; elle a parcouru ce long chemin de l’unité. Elle a su s’adapter à la réserve, en épousant certaines de ses caractéristiques sans renoncer à son fondement moral. Elle a œuvré dans le sens de l’unité entre les coutumes, puisque la légitime est en vigueur dans toutes les coutumes, y compris celles qui n’ont pas de disposition expresse la concernant. La légitime a englobé la réserve et est devenue le modèle de toute protection successorale des héritiers. Cette protection, on l’a finalement définie comme une portion indisponible dans l’hérédité du père. En pays de coutumes, l’unification du droit successoral, sans être totale, était fort avancée au profit de la légitime. Sa souplesse et sa capacité d’adaptation lui permettaient de répondre aux besoins issus de l’évolution sociale, et lui donnaient la capacité d’intégrer les différentes formes de protection successorale. Ainsi, à la fin du xviiie siècle, la réserve et la légitime n’apparaissent pas comme des institutions concurrentes, mais comme des modalités voisines d’une même logique. En outre, par son origine romaine, la légitime permet le dialogue avec le droit successoral du Midi.
23Cela ne veut pas dire que l’unité soit parfaite. Les logiques de la réserve et de la légitime peuvent encore avoir une influence divergente dans la détermination des héritiers à protéger, mais aussi au moment de fixer l’étendue de cette protection ou, encore, de définir le fondement familial ou individuel de la propriété et les droits qui en découlent. C’est en cela que s’opposent les traditions méridionales et septentrionales, et c’est sur ce point que l’unité reste à compléter. L’adaptation de la légitime en pays de coutumes pendant l’ancien droit fournit aux révolutionnaires un modèle d’unité possible entre deux logiques successorales opposées. En ont-ils conscience ?
24Le désir d’unité traduit la priorité politique de toutes les décisions de l’Assemblée constituante. L’intérêt que celle-ci peut porter à la légitime ne peut être que la conséquence de ses prises de position politiques1168. Ses vertus unificatrices ne sauraient être appréciées que dans la mesure où elles contribuent à harmoniser la législation successorale avec le principe d’égalité proclamé dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen1169 , source de cohésion de toute l’œuvre révolutionnaire. Si la légitime peut être un modèle d’intégration de deux logiques successorales différentes, facilitant le chemin de l’unité, que peut-elle apporter au débat sur l’égalité ?
B. L’égalité successorale
25La Constituante abolit deux points importants de l’ancien droit successoral. Le décret du 15 mars 1790, article 11, abolit le droit d’aînesse dans les successions nobles1170. Il est en réalité une application de l’abolition des privilèges décrétée la nuit du 4 août 1789 : la suppression de la féodalité entraîne la suppression des biens nobles et, donc, de tous les régimes particuliers qui les concernent. Ils sont désormais régis comme les biens roturiers, puisqu’il n’y a plus qu’un seul type de biens.
26Symbole de la féodalité, tant combattue par les révolutionnaires, le droit d’aînesse avait déjà été limité en faveur des puînés par la légitime. En effet, on a vu que si la succession n’a pas d’autres biens pouvant fournir la légitime aux puînés, le droit d’aînesse doit être entamé. La légitime n’a pas égalisé la condition des aînés nobles et de leurs puînés, ce n’était pas son objectif. Mais elle avait introduit une limite, consacrée par l’article 17 de la coutume réformée de Paris, qui allait dans le sens de l’égalité ou, du moins, de la proportion.
27Cependant, les révolutionnaires ne perçoivent pas cet équilibre opéré par la légitime. Ils ne peuvent se contenter d’un aménagement du droit d’aînesse, car « tout ce qui de près ou de loin paraît toucher à la féodalité doit disparaître »1171. Le décret supprimant le droit d’aînesse supprime tout simplement l’existence même des nobles. Dans ces conditions, le besoin de la légitime des puînés ne se pose plus et la légitime perd, pour ce cas particulier, sa raison d’être. On perçoit ici l’importance du changement social voulu par la Révolution. La légitime ne remet pas en cause l’ordre social existant, elle tente de le rendre plus équitable. La Révolution ne veut pas raccommoder l’ancien, elle veut bâtir du nouveau.
28Le décret abolissant le droit d’aînesse n’accomplit pas pleinement l’œuvre égalitaire des révolutionnaires. En effet, il ne modifie en rien les successions roturières, ni les inégalités qu’elles peuvent connaître, comme l’exclusion des filles dotées, pratiquée de manière très constante en Normandie, ou les différences dues aux diverses familles de coutumes. Les coutumes d’égalité stricte imposent l’égalité radicale parmi les héritiers du de cujus au moyen du rapport forcé, mais ce n’est pas le cas des coutumes préciputaires ni des coutumes d’option. C’est ici encore que la légitime en pays de coutumes avait fait œuvre utile en faveur de l’égalité. Les coutumes qui n’imposaient pas le rapport avaient vu le choix des enfants avantagés limité en faveur de leurs frères et sœurs, à qui ils devaient fournir leur légitime si la succession ne pouvait le faire. Là encore, l’égalité n’est pas totale, mais la légitime a limité l’inégalité qui peut résulter de la logique de l’option. Malgré cela, ici aussi, les révolutionnaires ne peuvent se satisfaire de ces nuances. L’égalité doit être radicale. Il fallait donc, pour être cohérent, s’attaquer aux inégalités subsistant dans les successions roturières, après avoir anéanti les successions nobles.
29Le deuxième point important de l’ancien droit visé par les révolutionnaires est le retrait lignager. Le 19 juillet 1790, un décret abolit cette institution, si caractéristique du droit coutumier que Guillaume de Lamoignon estimait impossible de la supprimer1172. Ce décret témoigne de la capacité de bouleverser les principes du droit coutumier hérités de l’Ancien Régime. Les révolutionnaires considèrent cette institution comme un vestige des abus du passé, et c’est à ce titre qu’ils l’abrogent. Cela ne modifie pas la légitime, puisque le retrait concerne les actes à titre onéreux.
30Ces deux mesures, la suppression du droit d’aînesse et du retrait lignager, n’ont pas été difficiles à adopter, tant leur lien avec le passé semblait évident. Il n’en a pas été ainsi de l’égalité des partages.
31La loi sur l’égalité des partages1173 correspond particulièrement bien aux aspirations révolutionnaires, puisqu’elle établit une égalité en droit, qui est le type d’égalité recherchée par les Constituants1174 . Les débats commencent le 21 novembre 1790, à l’occasion du projet de loi sur les successions ab intestat présenté par Merlin1175 . Ils se prolongent jusqu’en avril 1791. Outre l’égalité dans les partages des successions ab intestat, le projet prévoit la représentation à l’infini en ligne directe et la suppression de la distinction entre propres et acquêts. En cela, c’est le triomphe de l’idée romaine d’un patrimoine plus unitaire, si étrangère au droit coutumier1176. Sur ce terrain, la légitime en pays de coutumes a encore précédé les révolutionnaires, puisqu’elle se prend sur tout type de biens. La distinction entre propres et acquêts et meubles est inopérante à son égard. Sous cet aspect l’institution de la légitime favorise l’unité et l’égalité. Mais ce n’est pas l’influence de la légitime qui est à l’origine de cette unification du patrimoine faite par l’assemblée révolutionnaire. Celle-ci considère, tout simplement, que la distinction entre propres et acquêts est féodale et, en tant que telle, elle doit disparaître1177 . Par ailleurs, l’article 21 du projet exclut les exceptions à l’égalité prévues dans un contrat de mariage1178. C’étaient justement les exceptions consenties par l’ancien droit, mais qui étaient modérées par la présence de la légitime. L’enfant gratifié en vue de son mariage pouvait garder son don mais, le cas échéant, il devait fournir la légitime aux autres enfants. Là encore, ces tempéraments ne sont pas suffisants pour les révolutionnaires.
32Le projet de Merlin ne fut pas examiné tout de suite ; Mirabeau en demanda le renvoi afin d’étudier en même temps les successions ab intestat et les successions testamentaires1179. Le 12 mars 1791, Merlin présenta de nouveau le même projet, en y ajoutant des dispositions sur les successions testamentaires1180. L’Assemblée se divisa, car le travail était trop vaste et certains craignaient que ces débats retardent la Constitution. Mirabeau demanda qu’on dégage trois points du projet, et qu’on les examine : l’égalité dans les partages ab intestat, la liberté de tester et les substitutions. Le reste serait abordé plus tard, dans l’étude d’une loi d’ensemble. Sur ces trois points, les désirs des révolutionnaires étaient-ils très éloignés de la pratique de la légitime en pays de coutumes ?
33L’égalité dans les partages ab intestat était déjà la règle suivie par la majorité des coutumes, du moins pour les roturiers. On a montré qu’elle facilite l’accueil de la légitime, laquelle viendra précisément limiter les possibles inégalités dans les coutumes d’option, dues à la faculté de renoncer à la succession en gardant un don reçu du de cujus1181 .
34Par ailleurs, la légitime ne s’opposait pas aux substitutions, dont on demandait l’abolition1182. Mais elle-même ne pouvait être substituée, ce qui, à petite échelle, était une exception au système des substitutions. C’est encore un autre point qui aurait pu susciter un intérêt des révolutionnaires pour la légitime. Mais, une fois de plus, cette sorte de demi-mesure ne pouvait les satisfaire.
35Quant à la liberté de tester, le projet de Merlin laissait une quotité disponible assez importante au pouvoir discrétionnaire du père de famille. Elle était d’une part d’enfant si le père avait trois enfants ou moins ; elle devenait d’un quart des biens si le père avait plus de trois enfants. Dans tous les cas, cette part disponible pouvait être donnée à un de ses enfants, ce qui rompait l’égalité entre eux1183 . C’est une mesure curieuse dans ce combat égalitaire. D’autant plus que, pour les roturiers, la plupart des coutumes interdisaient de rendre la condition d’un héritier meilleure que celle d’un autre. Le projet s’apparente sur ce point à l’esprit des coutumes préciputaires et à celui du droit écrit. Mais c’est justement pour corriger les possibles abus de cette liberté que la légitime a vu le jour. Elle continue donc d’exister dans le projet de Merlin, même si sa quotité est réduite par rapport à la quotité de moitié de l’article 298 de la coutume réformée de Paris.
36Lors de l’examen des trois points proposés par Mirabeau –l’égalité des partages ab intestat, la liberté de tester et les substitutions–, l’Assemblée constituante porte le débat sur le terrain des fondements philosophiques du droit successoral. Elle s’interroge sur la notion de propriété et sur le droit naturel1184, et les échanges sont vifs entre les partisans des différentes opinions. Mirabeau défend avec puissance l’égalité des partages contre le droit de tester1185, mais il n’est pas le seul à vouloir limiter la liberté testamentaire1186 . Cette remise en cause des fondements peut se traduire par l’affrontement entre la logique successorale coutumière et la logique successorale romaine. L’issue des débats favorise plutôt la coutume. Même si c’est sur un fondement différent, on arrive à la position défendue par le droit coutumier : on considère la succession légale comme étant supérieure à la succession testamentaire1187 . Mais ces débats font apparaître clairement les différences profondes dans la manière d’aborder les problèmes du droit des successions : la légitime a élaboré un système d’équilibre successoral sans remettre en cause l’ordre social existant. La Révolution veut revoir les principes fondateurs de la société. Par ailleurs, la légitime avait frayé un chemin à l’égalité dans un contexte de liberté. Pour les révolutionnaires, en revanche, la liberté en matière successorale est une menace pour l’égalité. Or celle-ci doit à tout prix être garantie.
37Si le désir d’unité et le principe d’égalité pouvaient être des points de rencontre entre la législation révolutionnaire et la légitime, les raisons profondes de la Révolution étaient trop éloignées de cette institution pour que la législation révolutionnaire n’emprunte pas d’autres chemins dans le règlement des successions. La Révolution consacrera des solutions différentes de la légitime en matière successorale.
§ 2. Les solutions différentes
38La légitime n’allait pas aussi loin que le voulaient les révolutionnaires dans le domaine de l’unité du droit et de l’égalité. Mais elle allait dans cette direction. Pourtant, les Conventionnels ne semblent pas s’appuyer sur l’expérience de cette institution. En général, les Conventionnels ont une vision globale très négative de l’ancien droit successoral. Si Merlin ou Tronchet en font une critique sérieuse, « la plupart des orateurs condamnaient en bloc l’ancien système et en des termes où ils ne dissimulaient pas le mépris profond qu’il leur inspirait. […] Il y avait quelque chose de profondément injuste à condamner ainsi en bloc, d’un mot méprisant, notre législation ancienne »1188 . Et pourtant, ils s’inspirent, peut-être à leur insu, de la tradition juridique antérieure. En effet, les débats qui ressurgissent devant la Convention touchent aux fondements et, en ce sens, ils ne sont pas propres à cette époque. Les révolutionnaires n’ont pas inventé la notion de propriété que certains défendent. En outre, ils ne sont pas un bloc homogène1189. Ils subissent l’influence de l’école du droit naturel moderne et retracent des débats qui avaient déjà eu lieu au Moyen Âge1190. Les deux logiques successorales possibles, celle testamentaire et celle légale, sont défendues tour à tour par les différents intervenants devant la Convention. Or, la légitime en pays de coutumes est un équilibre entre les deux. Rouvrir les débats veut dire mettre en péril le dosage subtil élaboré pendant deux siècles par la jurisprudence et, au-delà, mettre en danger son existence même. Mais le temps n’est pas aux nuances ; il faut une loi qui soit l’outil indispensable dans la mise en place d’une nouvelle société et d’une nouvelle organisation politique. La Révolution commence par faire réapparaître les antagonismes entre la logique de la réserve et celle de la légitime, antagonismes que la légitime en pays de coutumes avait surmontés. Les révolutionnaires finissent par se séparer de la légitime au moyen d’une législation « abolitionniste et impérative »1191 , qui la prive pratiquement de sa raison d’être.
39Le réveil de l’anti-libéralisme en matière successorale (A) ne pouvait aboutir qu’à la quasi-disparition de la légitime (B).
A. Le réveil de l’anti-libéralisme successoral
40Ceux qui contestent le droit de tester rejoignent en partie la logique de la réserve. En partie seulement, car aux yeux des membres de l’Assemblée, la réserve et la légitime poursuivent le même objectif, par des moyens divers. Les révolutionnaires ne cherchent pas particulièrement la protection du lignage. En revanche, ils rejoignent le fondement anti-libéral latent dans la réserve. En effet, la méfiance vis-à-vis du testament est à l’origine même de cette institution. Elle était justement le compromis entre la liberté testamentaire, qui commençait à s’introduire en pays de coutumes, et les droits patrimoniaux de la famille, celle-ci comprenant tous les parents, à quelque degré que ce soit. La réserve a considéré que, sur les biens propres, l’individu n’avait qu’un droit limité et viager de disposer à titre gratuit1192 . Par ailleurs, cette méfiance coutumière vis-à-vis du testament, aux racines historiques profondes, est peut-être encouragée par l’importance que revêt l’autorité de la loi aux yeux des révolutionnaires. Refuser le testament est une manière d’exalter la supériorité de la succession légale, c’est-à-dire issue de la loi, par rapport à la succession volontaire. Mais le droit successoral est complexe, et les principes révolutionnaires aussi. En effet, il ne faut pas oublier que la loi, pour déterminer les héritiers, suit les affections présumées du défunt : elle agit comme elle pense que le de cujus l’aurait fait s’il avait manifesté sa volonté. La loi imite la nature. Et la nature signale ce que le défunt aurait voulu. La succession légale est en somme la volonté présumée du défunt1193 .
41La notion de volonté présumée mérite d’être précisée, car elle peut avoir deux sens. Dans les systèmes juridiques inspirés du libéralisme, comme le système romain, cette présomption repose sur l’idée que la disposition des biens est inhérente au droit de propriété. Le propriétaire peut en aménager le partage de manière tout à fait légitime. Si la loi le fait à sa place, c’est de façon subsidiaire pour pallier son omission, ou parce que la loi consacre une sorte de volonté type, à laquelle on est supposé adhérer, mais à laquelle on peut déroger par manifestation expresse de la volonté. La loi peut cependant établir des limites au-delà desquelles on ne peut pas s’écarter de la volonté type, afin de maintenir l’ordre et d’éviter des abus. C’est le rôle de la légitime.
42Cette inspiration libérale n’est que partiellement exacte pour les coutumes, même pour les coutumes préciputaires. En pays coutumier, la succession légale a deux significations, en fonction du type de biens qu’on considère. Elle suit la logique subsidiaire qu’on vient de décrire pour les meubles et les acquêts, dont on peut disposer librement par testament. En cas de décès ab intestat, le droit coutumier réglait la succession « dans le même esprit […] que dans les pays de droit écrit […], c’est-à-dire suivant l’ordre présumé des affections »1194 . Dans ce cas, la volonté présumée signifie la même chose que dans les systèmes libéraux. La primauté de la succession légale vient alors du fait qu’elle est l’écho d’une raison universelle, alors que la succession volontaire n’aurait qu’une raison individuelle1195 .
43Mais pour les biens propres, la succession légale n’est pas le substitut de la volonté individuelle. La logique coutumière repose sur l’idée que la famille a des droits sur les biens venus des ancêtres. Ces biens sont en quelque sorte en indivision au profit du lignage et la volonté individuelle ne peut faire échec aux droits familiaux. Elle est inopérante pour ce type de biens, parce que le de cujus est davantage un administrateur qu’un propriétaire. Dans ce sens, la volonté présumée dont s’inspire la succession légale est la volonté de la société, non celle de l’individu singulier. Les adversaires de la liberté de tester suivent cette dernière logique. La volonté présumée ne peut être une volonté purement individuelle. C’est en ce sens qu’on a choisi de les appeler « anti-libéraux ».
44Les discussions au sujet du droit de tester sont âpres et longues. Du 2 au 6 avril 1791, les débats sur la limite à apporter à la liberté testamentaire du père sont passionnés. Aborder la question de la limite du droit de tester veut dire parler de la légitime. Tronchet résume ainsi son sentiment vis-à-vis de la légitime. Il trouve la quotité de Rome injuste et celle de Paris trop faible. Il propose en outre que les ascendants puissent avoir la légitime, ainsi que les frères et sœurs1196 . D’autres membres de la Constituante se prononcent aussi sur la légitime telle qu’elle existait en droit coutumier, comme Prugnon. Il affirme que « ce n’est pas une bonne chose en général, que l’absence de bornes, et il ne faut pas qu’un pouvoir soit à peu près indéfini. [...] Le droit commun coutumier avait fait une espèce de transaction entre la puissance paternelle et le droit des enfants, la légitime était la moitié de la portion héréditaire ab intestat. Cela pouvait convenir à nos idées d’alors, mais cela n’est plus d’accord avec nos idées d’aujourd’hui : les limites doivent être plus étroites »1197. Les « idées d’aujourd’hui » sont, outre l’égalité et l’unité qui ont été abordées, le souci de ne pas donner aux pères de famille les moyens d’exercer une pression vis-à-vis de leurs enfants. Au contact avec la réserve, l’évolution de la légitime en pays de coutumes était arrivée à une identification entre protection et indisponibilité d’une part ; liberté et disponibilité d’autre part. Or les révolutionnaires se méfient de la liberté laissée au père de famille. Surtout parce qu’ils présupposent que les pères sont réactionnaires, alors que les jeunes seraient, par définition, enthousiastes de la Révolution1198. Le droit successoral est envisagé comme une arme politique. La liberté de tester est comprise comme une marge d’action laissée aux ennemis de la Révolution. Dans ce contexte, l’enjeu successoral se réduit à examiner si la liberté testamentaire porte atteinte aux progrès de la Révolution et à déterminer la quotité disponible en fonction de ce critère. Il n’y a pas d’accord sur cette question en 1791. Le décret du 8 avril 1791 met fin à la discussion de l’Assemblée, en proclamant l’égalité naturelle de tous les héritiers à degré égal, dans les successions ab intestat. Mais elle ne prend pas de mesures sur la liberté de tester. Elle interdit seulement certaines clauses dans les testaments1199 . Pour l’instant, la légitime n’a pas été remise en cause par la législation révolutionnaire. Mais ce ne peut être que de manière temporaire. Il apparaît « chez la majorité des Constituants, une volonté délibérée de rompre avec le passé, qui doit conduire inévitablement à la ruine de l’ancien droit. […] ‘Tout doit être nouveau en France, et nous ne voulons dater que d’aujourd’hui’, affirme Barère »1200 .
45La Constituante n’a pas tranché en 1791. Le 7 mars 1793, presque deux ans après avoir légiféré sur les successions ab intestat, la question du droit de tester et, donc, de la légitime, est abordée de nouveau lors de la reprise des discussions devant la Convention. La situation politique est tendue : à l’extérieur, c’est la déclaration de guerre à l’Espagne. A l’intérieur, la chute des Girondins est proche1201 . La radicalisation des positions transparaît en droit successoral, en faveur des opinions les plus contraires au droit de tester. La quasi-disparition de la légitime semble inévitable.
B. La quasi-disparition de la légitime
46La Convention a d’abord continué à prendre les mesures partielles commencées par les Assemblées constituante et législative. Mais elles sont chaque fois plus radicales dans le sens opposé à la liberté de tester. Elle supprime les substitutions par le décret du 14 novembre 17921202 . Elle durcit aussi le principe d’égalité dans les successions, en supprimant par un décret du 4 janvier 1792 les exceptions à l’égalité qui étaient maintenues par le décret du 8 avril 1791, c’est-à-dire les clauses incluses dans des conventions matrimoniales ou les institutions contractuelles1203. En outre, la loi n’était pas applicable aux personnes mariées avec des enfants, pour préserver les espérances légitimement formées. La Convention anéanti cela, au nom de l’égalité.
47Les décrets du 7 mars 1793 et du 5 brumaire an II (26 octobre 1793) préparent directement les fondements de la loi successorale fondamentale de la Convention, celle du 17 nivôse an II (6 janvier 1794). En effet, celui de mars 1793 interdit de disposer par testament en ligne directe1204. La quotité disponible restait intacte, mais le père ne pouvait tester qu’en faveur d’étrangers. Le décret du 5 brumaire an II étend cette prohibition aux lignes collatérales, restreint la quotité disponible et établit la rétroactivité de la loi, qui remonte au 14 juillet 1789. Un autre décret du 12 brumaire an II reconnaît des droits successoraux aux enfants naturels. Toutes ces mesures se comprennent si on tient compte de ce que l’objectif de la Révolution était de « faire naître une démocratie idéale composée de petits propriétaires libres et égaux »1205 .
48Entre le décret de mars 1793 et celui du 5 brumaire an II (26 octobre 1793), lors de la séance du 10 août 1793, Cambacérès présente à la Convention son premier projet de Code civil. Il intervient au lendemain de la chute des Girondins et après la réorganisation du comité de législation, en juin 1793. Cambacérès avait proposé de diviser ce comité en deux sections, dont une se chargerait de réviser les lois civiles en vue de faire un Code. Alors que les tentatives de rédaction d’un Code avaient été négligées pendant plusieurs mois, « la Convention fut soudainement pressée d’entamer la discussion de ce Code civil »1206. En réalité, la lutte entre Girondins et Montagnards avait centré l’intérêt de la Convention sur d’autres sujets que la codification. La volonté d’avoir rapidement un Code unique correspondait bien aux idées de la Montagne, opposées au fédéralisme des Girondins. Ils avaient consacré l’unicité des lois civiles dans l’article 85 de la Constitution de juin 1793 : « Le Code des lois civiles et criminelles est uniforme pour toute la République »1207 . Il était unique avant même d’être voté. C’est à cette époque qu’on adopte le calendrier républicain et l’unité dans les poids et les mesures. Le thème de l’unité était donc à l’ordre du jour ; l’occasion était propice pour parvenir à la codification désirée depuis longtemps. Elle devait contribuer à asseoir l’unité de la nation. L’enthousiasme environnant et le désir d’aboutir vite à un Code se reflètent dans le discours de Cambacérès : « Citoyens, elle est enfin arrivée cette époque si désirée qui doit fixer pour jamais l’empire de la liberté et des destinées de la France »1208 .
49Le projet était l’œuvre de bons juristes, membres du comité de législation de la Convention et, concrètement, d’une commission composée de douze membres. « Refuge des compétences juridiques, le comité de législation apparaissait de plus en plus comme un groupe de techniciens du droit, un peu en retrait politiquement par rapport aux Montagnards qui dominaient les comités de gouvernement »1209 .
50Pour les dispositions qui touchent à la légitime, ce projet de Code se place en dehors des discussions sur le fondement du droit de propriété qui avaient agité les débats de la Constituante en 1791 : « Il n’était pas de notre sujet de résoudre ce problème qui a si longtemps agité les publicistes, et de décider si la propriété existe par les lois de la nature, ou si c’est un bienfait de la société : nous avons dû seulement préciser les droits qui lui sont inhérents, et en régler l’usage », dit Cambacérès1210. Malgré le principe de liberté avec lequel il commence son discours, ce projet restreint considérablement la liberté de disposer de ses biens à titre gratuit. L’égalité et la primauté absolue de la succession légale sont les caractéristiques majeures du droit successoral proposé. « Tous les enfants sont appelés à partager également le patrimoine de leur famille ; tel est l’ordre de la nature ; tel est le vœux de la raison. Mais cette règle sera-t-elle si absolue que les chefs de famille n’aient jamais la faculté de disposer d’une partie de leur héritage ? Le comité ne le pense point ainsi ; il a cru qu’une telle obligation blesserait trop nos habitudes, sans aucun avantage pour la société, sans aucun profit pour la morale. Mais il a estimé que la réserve devait être modique, et qu’elle ne devait jamais être l’occasion d’une injuste préférence pour aucun des enfants »1211. La légitime n’est plus considérée comme une institution d’équilibre ayant englobée les différentes formes de protection successorale, tout en préservant la liberté testamentaire. Les testaments sont pratiquement abolis, seul reste la possibilité de faire des dons irrévocables, dont les bénéficiaires ne peuvent être les héritiers. Avec la restriction de la liberté de disposer à titre gratuit, la légitime disparaît pratiquement. La quotité disponible n’est qu’un souvenir de la légitime, une tolérance de la loi par considération pour les habitudes.
51Signalons au passage l’utilisation du mot réserve lors de la présentation du projet. Il n’est pas à proprement parler un nom technique. Il semble plutôt une manière de désigner la quotité indisponible des biens. Il souligne ce caractère indisponible général, auquel était arrivée la légitime en englobant la réserve à la fin de l’ancien droit. Ce trait est maintenant définitivement acquis et, comme il était arrivé à la légitime, l’adjectif a tendance à devenir un substantif.
52Ce premier projet de Code est un « Code révolutionnaire, qui s’oppose sur des points essentiels à l’ancien droit et va même dans certains cas plus loin que les projets des réformateurs du xviiie siècle », tout en utilisant les éléments de la doctrine de l’Ancien Régime1212. Malgré l’impression que le Code allait être voté rapidement, le projet n’a pas abouti. Les changements politiques du Comité de Salut public pendant l’année 1793 modifient l’ordre des priorités. Ce qui semblait urgent en juin 1793 n’est plus estimé tel en novembre de la même année : « Très probablement l’ajournement du Code civil a été voulu et organisé par le Comité de Salut public »1213. Cependant, l’essentiel des mesures sur le droit successoral sera adopté en janvier 1794, lors du vote de la loi du 17 nivôse an II.
53La loi des 17 et 21 nivôse an II (6 et 10 janvier 1794), préparée par les différents décrets qui la précèdent et d’un grand parallélisme avec le projet de Code présenté par Cambacérès, porte à l’extrême les conséquences des principes révolutionnaires. L’égalité totale est au cœur de ses dispositions : « Les successions des pères, mères ou autres ascendants, et autres collatéraux […] seront partagées également entre les enfants, descendants ou héritiers en ligne collatérale, nonobstant toutes lois, coutumes, donations, testaments et partages déjà faits. En conséquence, les enfants, descendants et héritiers en ligne collatérale, ne pourront, même en renonçant à ces successions, se dispenser de rapporter ce qu’ils auront eu à titre gratuit, par l’effet des donations que leur auront faites leurs ascendants ou leurs parents collatéraux, postérieurement au 14 juillet 1789 »1214 . Cela révoque explicitement l’article 307 de la coutume de Paris et fait basculer les coutumes d’option vers les coutumes d’égalité stricte, puisque désormais le rapport est forcé, y compris en ligne collatérale. L’article 11 supprime l’exclusion des enfants dotés par mariage et oblige à rapporter le don reçu en faveur du mariage.
54Ce même article restreint la faculté de tester, en arrivant pratiquement à l’annuler. Seule la loi organise la dévolution successorale1215 . La quotité dont on peut disposer par testament est réduite au dixième de ses biens si on a des descendants directs, et au sixième si on ne laisse que des parents collatéraux1216. En cela, la Convention n’innove pas1217. Elle consacre la position la plus extrême, celle qui avait été défendue par Mirabeau en 1791. Mais cette quotité disponible ne pourra pas être donnée à un héritier. Pour préserver l’égalité parfaite entre héritiers, conformément au décret du 7 mars 1793, les bénéficiaires des dons ne pourront être que des tiers : même les collatéraux éloignés sont exclus de cette possibilité de recevoir la quotité disponible. Si le disposant dépasse la quotité disponible, la loi ne prévoit pas de nullité expresse. C’est la loi interprétative du 22 ventôse an II (11 mars 1794) qui décide la nullité pour les dispositions à titre universel. Les dispositions à titre particulier sont simplement réduites à la quotité disponible.
55La loi désigne également les successibles et fixe l’ordre dans lequel ils viennent à la succession. Les héritiers sont les descendants, les ascendants et les collatéraux : seuls les parents par le sang sont héritiers, comme en pays de coutumes. Les descendants excluent les ascendants et ils viennent à la succession de leurs aïeuls par représentation à l’infini1218 .
56Par ailleurs, et cela est fondamental, la Convention met fin à la diversité du patrimoine selon les types de biens, si caractéristique de l’ancien droit1219 . Désormais, il n’y aura plus de différence dans la dévolution successorale entre les propres, les acquêts et les meubles : le patrimoine sera unique. Plus que la simplification évidente de la technique successorale, il s’agissait dans l’esprit des Conventionnels d’enlever un outil favorable à une vision de la famille protectrice du lignage. L’unité du patrimoine effaçait les traces familiales des biens reçus des aïeux. Il ne s’agissait pas d’une idée nouvelle. Cette mesure figurait déjà dans le projet de loi présenté par Merlin en 1790, dont la discussion avait été ajournée. La disparition d’une catégorie de biens protégés anéantissait la logique intrinsèque de la réserve, ce compromis entre la propriété commune et la liberté individuelle. L’unité du patrimoine s’insère dans les idées d’égalité et d’unité prônées par la Révolution et familières à la légitime. L’unification du régime des biens était sans aucun doute favorable à la légitime, qui ne faisait pas de distinction selon l’origine des biens du de cujus. Mais cette faveur pour la légitime était étouffée par l’hostilité radicale vis-à-vis du testament. La légitime en pays de coutumes et la législation révolutionnaire empruntent des chemins séparés.
57La liberté de tester ayant pratiquement disparu, la légitime perd sa raison d’être : si le principal fait défaut, l’accessoire ne peut se maintenir. Annuler la capacité de tester évinçait les deux problèmes auxquels la légitime apportait une réponse. D’une part, l’enfant ne pouvait être déshérité. Ainsi, il trouvait nécessairement des biens dans la succession de son père, du moins s’ils n’étaient pas absorbés par le passif successoral. C’était le but de la légitime romaine : limiter les conséquences des excès du testateur. D’autre part, le père ne pouvait pas disposer de la petite quotité disponible en faveur d’un enfant, ni même d’un collatéral. L’égalité à l’intérieur de la fratrie était donc rigoureuse. C’était l’aide qu’apportait la légitime à la réserve, dans le cas d’un enfant donataire renonçant à la succession du donateur pour s’en tenir à son don. C’était en définitive l’équilibre souple trouvé dans les coutumes d’option. Il n’était plus nécessaire, puisque les descendants ne pouvaient plus être gratifiés par leur aïeul.
58Malgré l’apparente nouveauté du système successoral, la Convention puise dans le droit coutumier des solutions déjà connues. Ainsi, lorsqu’elle oblige tout enfant donataire à rapporter son don, même s’il renonce à la succession de son père, elle ne fait que généraliser les dispositions des coutumes d’égalité stricte, au détriment des coutumes d’option et des coutumes préciputaires. De même, l’exclusion des ascendants au profit des descendants rappelle la règle coutumière propres ne remontent1220 .
59La légitime, cette protection successorale patiemment élaborée, devenue le modèle de toutes les autres, vole en éclats, parce que la succession n’a plus le même esprit. On revient aux coutumes les plus strictes, les plus fermées au libéralisme et, donc, les plus en désaccord avec l’évolution des mœurs familiales et économiques. On revient au combat initial qui a vu naître la réserve, lorsque la pratique du testament compromet l’emprise familiale sur certains biens du de cujus. Dans la logique successorale, la loi du 17 nivôse an II est « en avance d’un retard », selon la formule que Xavier Martin emprunte au philosophe Etienne Gilson1221 . Mais ce retour à la réserve n’est qu’apparent.
60En effet, certains éléments peuvent faire penser à une parenté d’esprit entre la loi de nivôse an II et la réserve de l’ancien droit, parce que les deux s’opposent au libéralisme testamentaire. De même, les deux appellent tous les collatéraux à la succession, sans limite de degré de parenté.
61Mais si on regarde mieux les dispositions de la loi, rien n’est moins sûr que ce retour en arrière. La réserve et la loi de nivôse an II n’ont pas la même conception de la famille et du patrimoine. Les révolutionnaires ont consacré l’unité du patrimoine, ce qui met en échec toute la logique de la réserve. L’idée d’une sorte de copropriété familiale ne peut se comprendre que sur des biens venus par succession, non sur ceux acquis par l’industrie personnelle du de cujus. Le retour à la logique de la réserve n’est pas total. Il y a en outre une différence fondamentale avec la réserve des coutumes : c’est une grande méfiance vis-à-vis des donations, qui incite la Convention à prendre des mesures restrictives très concrètes, qui limitent les donations plus que ne le faisait la légitime. Par la quotité qui est très faible, mais aussi en soumettant les donations à des conditions plus rigoureuses. Par exemple, le principe d’irrévocabilité des donations entre vifs ne souffre plus aucune exception quelle qu’en soit la cause. Ainsi, l’ingratitude ou la survenance d’enfants ne rendent plus caduque une donation, qui est devenue totalement irrévocable. Les révolutionnaires espèrent, par cette mesure, susciter la peur de donner gratuitement et dissuader de se dépouiller de manière aussi radicale. A l’interdiction pratiquement totale de tester, appartenant à l’esprit de la réserve, s’ajoute la difficulté pour donner, ce qui va plus loin que ne prévoyait la réserve.
62La loi de nivôse an II rompt donc à la fois avec la légitime par l’hostilité au testament, et avec la réserve par les contraintes imposées aux donations1222, même si elle s’appuie sur certains principes tirés du droit de l’Ancien Régime. Simplement, le fondement de ces règles n’est pas le même que celui qu’elles avaient dans l’ancien droit. Le droit successoral révolutionnaire, dans ses innovations mais aussi dans la reprise de solutions existantes, est avant tout une arme pour instaurer une nouvelle société. La légitime de l’ancien droit permettait aux coutumes de s’adapter aux nouvelles exigences de l’évolution familiale, sociale ou économique, mais ne visait pas un nouvel ordre public. C’était en revanche l’objectif des révolutionnaires qui, du point de vue successoral, voulaient prévenir les discriminations d’autrefois, notamment le droit d’aînesse, « soustraire les enfants républicains à la tyrannie de pères soupçonnés d’être de mauvais patriotes », et disloquer les fortunes1223 . La légitime aurait pu les aider à parvenir au premier et, en partie, au troisième objectif. Mais elle ne permettait pas d’accomplir le deuxième. Or, les révolutionnaires se focalisent sur la liberté de tester et, ce faisant, ils empêchent la légitime d’apporter son concours au nouvel ordre successoral. Les Conventionnels imaginent un autre biais pour parvenir à leurs fins : la rétroactivité de la loi de nivôse an II, qui remonte au 14 juillet 17891224 .
63La rétroactivité est probablement la hardiesse la plus forte des révolutionnaires en cette matière. Mais elle n’est pas seulement « une arme politique : [elle] répondait aussi aux préoccupations de certains juristes, désireux d’aménager la période transitoire entre l’ancien et le nouveau droit pour éviter tout interrègne de lois »1225. La rétroactivité sera pourtant la pierre d’achoppement qui obligera les révolutionnaires à revenir sur cette loi. « Si le pouvoir révolutionnaire a eu la force politique de transformer l’organisation sociale de la France, il n’a toutefois pas trouvé les ressources techniques nécessaires pour abolir ses fondements juridiques traditionnels »1226 .
64Du point de vue de notre étude, le caractère novateur de la loi de nivôse an II cache mal une profonde influence des traditions coutumières : « Les principes de la supériorité de la succession ab intestat sur la succession testamentaire, de l’égalité entre les enfants, qui appartiennent au fonds de nos vieilles traditions nationales, ont été repris, développés, peut-être exagérés par le législateur révolutionnaire. Et c’est ainsi qu’en croyant édifier une législation totalement nouvelle, construite sur les seules données de la nature et de la raison, et conforme aux bases de la constitution, ils ont, en réalité, repris sur deux points essentiels deux idées capitales de notre vieux droit coutumier »1227. La loi de nivôse an II est toutefois révolutionnaire parce qu’elle détruit le point essentiel de la distinction des biens selon leur origine, et parce qu’elle développe toutes les conséquences du principe d’égalité entre héritiers.
65Du point de vue des conséquences pratiques, la législation révolutionnaire changeait peu les habitudes des coutumes très égalitaires, excepté pour les filles dotées. En revanche, dans les régions préciputaires et, a fortiori, dans les pays de droit écrit, le bouleversement était notable1228. Leur efficacité est pourtant mitigée, car les pays de petite culture ne l’ont pas appliquée1229 .
66La législation successorale révolutionnaire de l’an II, en réduisant pratiquement à néant la liberté de tester, réveille la logique anti-libérale de la réserve, et remet au premier plan l’ancien antagonisme entre la réserve et la légitime. En même temps, la loi de nivôse an II dépasse la réserve sur plusieurs points. D’une part, l’indisponibilité concerne tous les biens, puisque la Révolution a abrogé la distinction entre biens propres et acquêts, alors que la réserve ne touchait que les propres. D’autre part, les donations, ignorées par la réserve dans la plupart des coutumes de l’ancien droit, ne peuvent pas dépasser la quotité disponible, très faible, et leur régime est plus sévère que sous l’ancien droit. En outre, il n’y a aucune exception au caractère irrévocable des donations. L’ancien droit connaissait l’exception d’ingratitude ou pour survenance d’enfants. Par ailleurs, il est interdit de tester en faveur d’un successible. L’option entre la qualité d’héritier et celle de légataire n’est plus possible. C’est donc un régime successoral plus rigoureux que celui des coutumes, même celles d’égalité stricte.
67Mais la Révolution n’est pas achevée. Après la chute de Robespierre, les changements politiques entraîneront des modifications dans la législation successorale, avec le désir toujours présent d’arriver à un Code unique de lois civiles. « Sur tous les fronts, et notamment dans le domaine de la justice et de la législation civile, les thermidoriens prirent le contre-pied des principes défendus par les Jacobins et les sans-culottes, l’année précédente »1230 . Les révolutionnaires s’acheminent vers l’adoption de positions plus modérées. Ils comptent sur l’héritage successoral de l’an II, mais aussi sur toute la tradition coutumière antérieure. En particulier, le régime de la légitime en pays de coutumes à la fin du xviiie siècle. On a vu qu’elle a englobé la réserve et qu’elle est devenue une quote-part de biens indisponibles destinés par la coutume à l’héritier. La rencontre de la légitime pars hereditatis et de la réserve révolutionnaire ne peut se faire dans les mêmes conditions que la rencontre de la légitime et de la réserve au xvie siècle. En pays de coutumes, la légitime est déjà parvenue à la synthèse des deux logiques successorales. Elle peut indiquer le chemin pour retrouver l’équilibre.
SECTION II. LE RETOUR À L’ÉQUILIBRE
68Les événements se succèdent avec rapidité. La chute de Robespierre en juillet 1794 met fin à la Terreur. On éprouve un sentiment de soulagement, et c’est aussi l’occasion de revenir sur la législation successorale de la Convention. Lors de la séance du 23 fructidor an II (9 septembre 1794), Cambacérès présente son deuxième projet de Code civil. Il reste très révolutionnaire et en réalité utopique, malgré quelques modifications dans les dispositions du droit successoral1231 . Du point de vue de la forme, il est trop synthétique. Il ne pouvait satisfaire, car il était si bref qu’il aurait laissé sans solution la plupart des problèmes techniques. Il ne comportait pas de modifications de fond au sujet de la quotité disponible proposée par le premier projet de Code1232, qui avait été adoptée entre temps par la loi du 17 nivôse an II (janvier 1794). Mais son style n’était pas la seule cause de son abandon : « Le second projet Cambacérès arrivait à contretemps : il entendait maintenir les acquis de l’an II, alors que la réaction commençait à poindre. Cambacérès n’avait décidément pas de chance : à nouveau, alors qu’il paraissait toucher au but, le Code civil n’était plus de saison »1233 .
69L’abandon de ce deuxième projet de Code, si proche de la législation de l’an II, ne signifie pas un rejet brusque de celle-ci. La remise en cause du droit successoral de la Convention est d’abord timide. Il ne s’agit pas tant de revenir sur les principes de fond qui l’inspirent, que de demander le retrait de la rétroactivité. C’était cet aspect qui avait suscité les plus fortes réactions contre la loi du 17 nivôse an II. La Convention se voit obligée de donner des décrets interprétatifs. Une série de mesures viennent compléter la législation successorale révolutionnaire. Elles tempèrent d’abord les excès les plus évidents ; mais l’évolution va dans le sens de la révocation de la loi de nivôse an II, afin de trouver un nouvel équilibre entre la liberté et l’ordre public. « On sait que la législation révolutionnaire n’a pas connu une grande efficacité, que son application fut éphémère et que le Code civil de 1804 a élargi le champ de la liberté en augmentant la quotité disponible »1234 .
70Cette analyse des dispositions concrètes ne fait pas oublier pour autant l’objectif principal en matière civile : établir un Code. Dès la Constitution de 1791 on s’est donné comme objectif de faire un code de lois civiles uniforme, valable pour tous. La tâche ne demandera pas moins de cinq projets avant d’aboutir, non pas tant à cause des dispositions de droit privé qu’en raison des circonstances politiques1235. Mais il fallait y arriver pour achever le travail de la Révolution. Le Code était plus qu’une rationalisation ou une synthèse des lois. Le Code était dans le domaine des lois civiles l’équivalent de la Constitution. « Constituer et codifier apparaissent comme deux opérations parallèles, symétriques et complémentaires. La Constitution régénère l’État ; le Code régénère la Société »1236 .
71Si la réaction contre le gouvernement de l’an II amène à certaines ruptures sur le fond du droit successoral, il y a en même temps une continuité dans la volonté de parvenir à un Code civil. Les rédacteurs du Code connaissent et utilisent les différents travaux préparatoires qui les ont précédés, comme ils connaissent la législation successorale de la Révolution1237. L’état final de celle-ci est à la fois une rupture et une continuité par rapport à la législation de l’an II (§ 1). Mais les rédacteurs du Code ne se positionnent pas uniquement par rapport au droit révolutionnaire. Ils ont la volonté de fixer un droit privé pour toute la France. Ils ne peuvent ignorer les diverses solutions successorales de l’ancien droit, où la légitime occupait la première place. C’est en puisant à ces deux sources, ancienne et révolutionnaire, qu’ils élaborent le Code civil (§ 2).
§ 1. Ruptures et continuités
72Les pays les plus touchés par la loi de nivôse an II étaient la Normandie et les régions de droit écrit. La première, coutume d’égalité stricte, pratiquait l’exclusion des filles dotées de manière habituelle. Les frères se soulevèrent en voyant leurs sœurs revenir à la succession de leur père. Dans le Midi, le testament était un moyen de faire un aîné et, en tout cas, d’organiser la dévolution successorale, surtout dans les régions rurales, de manière à préserver l’unité des exploitations. Le principe absolu d’égalité proclamé par la loi détruisait l’équilibre que les familles avaient trouvé dans la répartition de leur patrimoine. Leur réaction était prévisible.
73Beaucoup de demandes arrivaient à la Convention pour solliciter des précisions sur l’un ou l’autre article de la loi, ou bien pour essayer d’obtenir une dérogation1238. La Convention procède alors par des décrets interprétatifs de la loi de nivôse. Ces décrets ont la particularité de répondre à des questions posées au sujet de la loi. Le décret du 23 ventôse répond à soixante questions, celui du 9 fructidor à trente-six et celui du 1er jour des Sans-Culottides à sept questions sur la loi du 12 brumaire1239. Mais ces réponses maintiennent pour l’essentiel les principes et les dispositions expresses de la loi de nivôse an II.
74Pourtant, certaines idées n’ont pas la même portée en 1795 qu’en 1793. Les événements politiques jouent un rôle important dans le cours des débats. L’échec des manifestations des sans-culottes à Paris le 1er avril 1795 (12 germinal), puis l’échec de la journée insurrectionnelle du 20 mai 1795 (1er prairial) provoquèrent un choc1240. Il y a une vraie réaction face à la loi successorale de nivôse an II, qui finira par être abrogée : « Une fois de plus les événements politiques servaient de prétexte à un nouveau virage dans la législation civile : cette fois-ci, sans équivoque, la réaction était en marche »1241 .
75L’abrogation de la législation successorale de l’an II (A) marque une rupture, mais l’influence de cette loi ne disparaît pas totalement. Le maintien de certains acquis révolutionnaires (B) manifeste une continuité, du moins dans la volonté de réformer le droit privé et, concrètement, le droit successoral.
A. L’abrogation de la législation de l’an II
76Le premier aspect de la loi de nivôse an II qui a été remis en cause après la chute de Robespierre est la rétroactivité. Le décret du 5 floréal an III (24 avril 1795) suspend toute action intentée ou procédure commencée à l’occasion de l’effet rétroactif de la loi du 17 nivôse an II : il arrête la remise en cause des successions échues et partagées entre 1789 et 1794, qui avaient été rouvertes pour procéder à un nouveau partage, en accord avec les dispositions de la loi de nivôse an II. C’est une mesure provisoire, pour arrêter les actions en cours. Car la discussion de fond sur l’annulation de la rétroactivité de la loi est déjà entamée. Après avoir débattu cette question, le 9 fructidor an III (26 août 1795) la Convention décréta que les lois des 5 brumaire et 17 nivôse an II n’auraient d’effet qu’à partir de leur promulgation. Finalement, la loi du 9 vendémiaire an III (25 septembre 1795), article 11, abolit rétroactivement tous les actes faits en exécution des dispositions rétroactives des lois des 5 brumaire et 17 nivôse1242. La Convention n’ira pas plus loin dans la remise en cause de la loi de nivôse, qui reste en vigueur pour les successions échues après sa promulgation1243 .
77La place quasi inexistante de la légitime dans le droit successoral révolutionnaire n’est pas modifiée pour l’instant. Elle aurait pu l’être si on avait adopté les dispositions successorales proposées dans le troisième projet de Code civil de Cambacérès, présenté au Conseil des Cinq-Cents en messidor an IV (juin 1796). Dans ce troisième projet, moins idéologique que le précédent, l’égalité absolue entre descendants subsiste, mais elle disparaît en ligne collatérale. De même, les collatéraux peuvent renoncer à la succession et s’en tenir à leur don, sans être obligés de rapporter. En revanche, le rapport reste obligatoire pour les enfants. La quotité disponible est augmentée à la moitié pour les collatéraux, alors qu’elle reste la même –un dixième– pour les descendants directs1244 . En définitive, on revient peu à peu à certains aspects du système antérieur à la Révolution : souci pour l’égalité à l’intérieur de la fratrie, souplesse pour régler les successions collatérales, où une marge de liberté plus importante ne choque pas. En même temps, la méfiance vis-à-vis des testaments perdure : le projet établit une quotité différente pour les testaments et pour les donations, quand on n’a pas de descendants. C’était la logique de la réserve et la continuité avec la législation anti-libérale de l’an II. Mais, une fois encore, le projet fut abandonné au printemps 1797. Le Directoire était accaparé par d’autres affaires et Cambacérès n’avait pas la majorité pour faire voter ce projet de Code.
78Le quatrième projet de Code civil prépare le chemin pour le remaniement de la législation successorale révolutionnaire. Le 30 frimaire an VIII (21 décembre 1799), Jacqueminot présente un projet de Code au nom de la section de législation. Le recul par rapport aux dispositions de la loi de nivôse est net. La portion des biens disponibles augmente et la réserve est restreinte au quatrième degré en ligne collatérale : au-delà, c’est la liberté. « Trop de préjugés dominaient alors et avaient été substitués à d’autres préjugés. Le fanatisme d’une égalité follement interprétée régnait, comme auparavant le fanatisme des privilèges. La dépravation des idées politiques était revenue au comble. Les lois civiles en reçurent l’empreinte »1245. Ce projet ouvrait le chemin de retour de la légitime comme institution centrale du droit successoral. L’essentiel sera retenu par la loi du 4 germinal an VIII (25 mars 1800), œuvre du Consulat.
79La loi du 4 germinal an VIII (25 mars 1800) est « la première grande atteinte à la loi du 17 nivôse depuis la Convention thermidorienne »1246 . Le Consulat réforme deux points chers à la Convention : la nécessité de réduire au maximum la quotité disponible pour diviser les fortunes et l’égalité absolue entre héritiers « voulue par la nature et commandée par la politique »1247. Les articles 1 à 4 de la loi du 4 germinal an VIII fixent la quotité disponible, variable selon le nombre d’héritiers. Si le de cujus laisse des enfants, la quotité disponible est d’un quart s’ils sont moins de quatre, un cinquième s’ils sont quatre, un sixième s’ils sont cinq, etc. On ajoute toujours une unité au nombre d’enfants pour trouver la quotité1248. S’il y a des ascendants, des frères et sœurs ou des neveux et nièces enfants de ces frères et sœurs, la quotité disponible est de moitié. Si le défunt laisse des oncles ou grands-oncles ou tantes, cousins ou cousines germaines, la quotité est de trois quarts. Enfin, s’il n’y a aucun parent à ces degrés, tous les biens sont disponibles. Par ailleurs, la quotité disponible peut être donnée aux enfants ou à tout autre successible1249. Pour le reste, c’est la loi de nivôse qui restait en vigueur.
80Quels sont les motifs de cette augmentation de la quotité disponible ? Essentiellement la volonté de renforcer l’autorité paternelle, dont Boulay de la Meurthe dit qu’elle est « si légitime et si sacrée, si étroitement liée à l’intérêt des bonnes mœurs »1250 . L’augmentation de la quotité disponible redonne une vraie place à la légitime, puisqu’elle peut être une vraie garantie des droits des enfants lorsque le père a une réelle liberté pour disposer de ses biens à titre gratuit. Elle peut à nouveau aider à assurer l’égalité entre héritiers, d’autant plus que la loi de germinal permet le cumul de la légitime et de la quotité disponible. En cela, elle rompt avec la loi du 17 nivôse an II, mais aussi avec la pratique coutumière qui interdit de cumuler les qualités d’héritier et de légataire. La loi de germinal apporte un vent de liberté dans le droit successoral.
81Après la quasi-abolition du droit de tester, le Consulat redonne au père de famille une marge de liberté pour disposer de son patrimoine à titre gratuit. Avec la loi du 4 germinal an VIII, l’état de la législation est à nouveau propice à l’existence d’un équilibre successoral entre liberté et égalité, comme celui qu’avait atteint la légitime à la fin du xviiie siècle en pays de coutumes. Il l’est d’autant plus que l’œuvre du Consulat intègre les principaux acquis révolutionnaires.
B. Les acquis révolutionnaires
82L’abrogation de la loi du 17 nivôse an II, opérée par la loi du 4 germinal an VIII, ne doit pas masquer l’existence d’une certaine continuité dans la législation successorale révolutionnaire, qui se prolongera jusqu’au Code civil. Une continuité faite d’abord d’hommes. En effet, Cambacérès, qui avait eu la charge de présenter trois projets de Code civil, contribuera à la rédaction du Code définitif en tant que deuxième consul1251. Il ne sera pas le seul juriste à avoir participé aux différentes réformes du droit privé entre 1789 et 18041252. Berlier, par exemple, avait joué un rôle important lors de l’élaboration du droit successoral par la Convention, et il sera un des conseillers d’État qui examineront le projet définitif de Code civil1253. Par ailleurs, les rédacteurs du Code civil « restent des hommes de la Révolution, non pas, à la vérité, de la période violente mais de la période à la fois audacieuse et tempérée qui trouve son expression dans l’Assemblée constituante »1254 .
83Cependant, la permanence des mêmes personnes ne garantit pas, à elle seule, la constance des idées, surtout en des périodes aussi troublées que la Révolution française. Cambacérès lui-même a changé d’avis à plusieurs reprises1255. Au-delà des personnes, pour déceler l’existence d’une rupture ou d’une continuité dans les différentes lois successorales de cette période, il faut analyser les idées inspiratrices des réformes. Ceci est d’autant plus nécessaire que l’influence de la législation révolutionnaire en matière de droit privé se fait sentir surtout au niveau des principes, et pas toujours par le moyen de lois promulguées1256 .
84Du point de vue du droit positif, on distingue deux phases nettes dans la législation successorale révolutionnaire. Une première phase radicale, dont est issue la loi du 17 nivôse an II. Elle était le résultat d’une exaltation révolutionnaire poussée à l’extrême, et qui ne pouvait subsister que dans le climat d’effervescence politique qui l’avait vu naître. Or, lorsque retombe cette euphorie, une deuxième phase plus modérée procède à l’abrogation des mesures législatives excessives, sans renier les principes philosophiques qui les ont inspirées. Les applications les plus extrêmes sont abandonnées, mais les progrès des idéaux révolutionnaires ne sont pas bannis. On n’assiste pas à un retour absolu à la situation précédente, comme si rien n’était advenu en 1789 : « la réaction, indéniable à l’égard du droit de l’an II, n’avait pas conduit au retour pur et simple à l’ancien droit »1257 .
85Que reste-t-il alors des mesures successorales prises entre 1789 et 1800 ? La législation révolutionnaire a été à l’origine de deux acquis successoraux fondamentaux et irréversibles : l’unité du patrimoine1258 et la suppression de toutes les inégalités successorales, notamment le droit d’aînesse. Le principal acquis révolutionnaire, l’égalité successorale, ne disparaît pas avec la législation successorale du Consulat. La possibilité de disposer de la quotité libre en faveur d’un successible ne suppose pas une remise en cause radicale du principe de l’égalité1259. Certes, l’égalité entre héritiers n’est plus aussi rigoureuse que l’avaient souhaité les Conventionnels. Mais aucune autre cause d’inégalité, comme le privilège de masculinité ou d’aînesse, ou encore la distinction des biens selon leur origine, n’est reprise par la loi du 4 germinal an VIII. La possibilité de gratifier un successible vise probablement les dons faits en vue du mariage. Le Consulat renoue ainsi avec le principe d’égalité qui existait en pays de coutumes avant la Révolution, du moins pour les roturiers. Mais il le fait en enrichissant l’ancien droit du principal acquis révolutionnaire : l’abolition des exceptions à l’égalité successorale.
86En outre, au-delà du droit successoral, la Révolution avait imposé l’idée de l’unité en droit privé, écartant tout retour à la diversité coutumière. Plus personne ne songera à demander deux régimes successoraux distincts pour chaque zone géographique, comme ils existaient avant la Révolution. L’unification du droit privé, en cette matière, est définitive1260 .
87Les rédacteurs du Code civil recueilleront cet héritage et, de ce point de vue, le Code Napoléon consacre le droit révolutionnaire plus qu’il ne s’y oppose. En définitive, le Consulat, par la loi du 4 germinal an VIII, opère en réalité un équilibre entre les deux tendances fortes des principes révolutionnaires. D’une part la liberté, d’autre part l’égalité. « Toute l’œuvre législative de la Révolution est traversée par la dialectique liberté/égalité. C’est la liberté –la liberté testamentaire par exemple– qui détermine l’autorité du « chef » de famille ; c’est l’égalité –égalité des sexes, des générations…– qui réduit l’autorité et qui apparaît dangereuse aux yeux de la bourgeoisie dominante »1261. Cet équilibre, la légitime en pays de coutumes l’avait déjà trouvé. Les rédacteurs du Code civil la connaissent et peuvent s’en inspirer au moment de fixer le nouveau droit successoral pour la France. Œuvre de compromis1262 entre les différentes traditions juridiques de l’ancien droit, les rédacteurs du Code n’écarteront pas les principes du droit successoral révolutionnaire au moment d’élaborer le Code civil.
§ 2. L’élaboration du Code civil
88Le projet de Code civil a été étudié définitivement par le Conseil d’État, en tenant compte des observations des différents tribunaux d’appel. La première discussion devant le Conseil d’État commence le 4 thermidor an IX (22 juillet 1801). Le travail se réalise par étapes ; chaque titre du Code est étudié par le Conseil d’État et envoyé au premier consul qui nomme trois conseillers d’État pour le présenter devant le Tribunat. Le Tribunat donne son avis et le transmet au Corps législatif qui adopte ou rejette le projet. Pour le titre préliminaire, les discussions aboutissent à un vœu de rejet de la part du Tribunat, suivi du même avis de la part du Corps législatif. La réaction de Bonaparte est immédiate et énergique : il retire les projets en discussion le 12 nivôse an X et procède à l’épuration du Tribunat, avec la mise à l’écart des personnalités les plus contestataires. Commencent alors les relations officieuses avec la section de législation du Tribunat. Cette négociation officieuse permettra d’enlever les obstacles rencontrés et d’aboutir rapidement à un texte unique : « Ce coup d’éclat à la limite du coup d’État permit, en l’an XI et en l’an XII, le vote par des assemblées domestiquées des 37 projets de loi qui constituaient le Code civil »1263 .
89Pour le livre III, titre II, qui contient les articles sur la légitime, la première discussion devant le Conseil d’État a lieu le 30 nivôse an XI (20 janvier 1803), et se prolonge jusqu’au 3 germinal de la même année (23 mars 1803). Suit la communication officieuse à la section législative du Tribunat. La rédaction définitive par le Conseil d’État est arrêtée le 24 germinal an XI (13 avril 1803). Le projet est présenté au Corps législatif le 2 floréal an XI (23 avril 1803), qui l’adopte. La promulgation a lieu le 23 floréal an XI (13 mai 1803)1264 .
90Si la facilité avec laquelle les textes composant le Code civil sont approuvés est due principalement à l’épuration de l’an X, il ne faut pas pour autant penser que le contenu était très éloigné des aspirations générales : « les choix du gouvernement faisaient l’objet d’une large acceptation par les contemporains. Voté par des moyens autoritaires, le Code civil était fondamentalement une œuvre de compromis »1265 . Les discussions du Conseil d’État et le discours préliminaire de Portalis nous fournissent des éléments pour comprendre la place accordée à la légitime dans la rédaction finale. Il nous faut donc étudier le projet présenté par la commission nommée par Bonaparte (A), pour finir par l’étude de la réserve héréditaire du Code civil (B).
A. Le projet de la commission nommée par Bonaparte
91« Bonaparte, peut-être conseillé par Cambacérès, réussit un coup de maître en choisissant les quatre membres de la commission chargée par le gouvernement de préparer le projet de Code civil. Un savant dosage a présidé à la sélection des quatre commissaires : Portalis, Maleville, Tronchet et Bigot de Préameneu. Géographiquement, un Provençal, un Périgourdin, un Parisien et un Breton représentent, de manière équilibrée, pays de coutumes et de droit écrit.
92Professionnellement, ces quatre anciens avocats au parlement sont des juristes de tradition qui ont aussi l’expérience du droit et de la justice de la Révolution »1266 .
93Les articles portant sur la légitime se trouvent au livre III, titre IX, chapitre II de la portion de biens dont il est permis de disposer, et de la réduction en cas d’excès, section première, de la portion disponible. Voici les textes que propose le projet :
94Article 16 : « Les donations soit entre vifs, soit à cause de mort, ne peuvent excéder le quart des biens du donateur, s’il laisse, à son décès, des enfants ou descendants ; la moitié, s’il laisse des ascendants ou frères et sœurs ; les trois quarts, s’il laisse des neveux ou nièces, enfants au premier degré d’un frère ou d’une sœur.
95A défaut de parents dans les degrés ci-dessus exprimés, les donations peuvent épuiser la totalité des biens du donateur ».
96Article 17 : « La donation en usufruit ne peut excéder la quotité dont on peut disposer en propriété ; en telle sorte que le don d’un usufruit ou d’une pension, est réductible au quart, à la moitié, ou aux trois quarts du revenu total, dans les cas ci-dessus exprimés.
97Sans préjudice néanmoins de ce qui est réglé à l’égard des époux ».
98Article 18 : « La donation de la quotité disponible peut être faite en tout ou en partie, même en faveur des enfants des autres successibles du donateur ».
99Article 19 : « Cette donation n’est pas rapportable par le donateur venant à la succession, pourvu qu’elle ait été faite expressément à titre de préciput et hors part »1267 .
100La quotité disponible est sensiblement augmentée et, en outre, on peut la donner à un héritier. Est-ce pour autant une remise en cause radicale des principes de la législation révolutionnaire ? Ce n’est pas certain. Le projet de Jacqueminot augmentait déjà la quotité disponible. Par ailleurs, l’égalité continue d’être un souci majeur des rédacteurs du Code, même si cette égalité est tempérée par le besoin de liberté et par l’équité, qui permet au père de famille de pourvoir de manière inégale à des situations aussi inégales de ses enfants. Ainsi s’exprime Portalis lors de la discussion du Conseil d’État : « Un laboureur par exemple a eu d’abord un fils qui, se trouvant le premier élevé, est devenu le compagnon de ses travaux. Les enfants nés depuis étant moins nécessaires au père se sont répandus dans les villes et y ont poussé leur fortune. Lorsque le père mourra sera-t-il juste que l’aîné partage également le champ amélioré par ses labeurs avec des frères qui sont déjà plus riches que lui ? Il faut donc donner au père une latitude, non absolue, mais très grande. Ainsi la raison et l’intérêt de la société s’opposent à ce que la légitime des enfants soit portée aux trois quarts des biens »1268 . La manière de considérer le père de famille change. Alors que dans les débats de 1791, on soupçonnait les pères d’agir injustement s’ils avaient la liberté de disposer gratuitement d’une grande quantité des biens, les rédacteurs du Code reviennent à une position plus confiante, laissant au propriétaire la liberté de juger de la meilleure manière de distribuer ses biens entre ses enfants. Ce passage du discours préliminaire du Code civil manifeste bien la logique de compromis suivie par les rédacteurs du Code.
101Ce retour à l’équilibre, manifesté par la légitime modérée, est-il représentatif des aspirations générales ? Les observations préalables à la discussion du projet, faites par les différents tribunaux, sont éclairantes.
102Les premières observations sont celles du tribunal de Cassation. Dans l’ensemble, seule une question a retenu l’attention de la commission du tribunal de Cassation1269. C’est « qu’un oncle, étant au même degré qu’un neveu, ne puisse pas, plus que lui, être absolument dépouillé par les donations »1270 .
103Parmi les observations des tribunaux d’appel –quelques-unes sont assez longues– certaines ne font aucune remarque particulière au sujet de la quotité disponible ou de la légitime. C’est le cas des tribunaux de Poitiers1271, de Nancy1272 , de Metz1273, de Colmar, Caen et Douai1274 ; du tribunal de Bourges1275, ainsi que ceux de Toulouse et de Nîmes1276. Certains tribunaux font des observations mineures sur ces articles1277 . D’autres font des remarques marginales par rapport à notre sujet1278 .
104Logiquement, dans les remarques des tribunaux, on perçoit l’héritage du droit coutumier propre à chaque région. Ainsi, le tribunal d’appel de Rennes se fait l’écho de la tradition d’égalité stricte, en commentant les articles 18 et 19 de ce titre. Il souhaite « la prohibition absolue de donner à un successible sans l’obliger au rapport à l’époque de la succession du donateur. La faculté de donner à un successible sans l’obliger au rapport est contraire au principe d’égalité sur lequel, dans une république, doivent reposer toutes les lois. Elle autorise la prédilection des parents, si funestes dans leurs effets ; elle rétablit les anciens privilèges des successions inégales ; elle introduit enfin dans les familles, des germes de haine éternelle entre l’enfant avantagé et ceux qui ont été dépouillés pour l’enrichir »1279 . En outre, il propose d’établir un degré supplémentaire en faveur des cousins germains, ce qui n’est pas surprenant dans cette région où l’emprise familiale est restée particulièrement forte. Par ailleurs, il propose de réduire la quotité disponible au tiers. Là encore, c’est un écho de la quotité disponible de propres en vigueur dans l’ancienne coutume1280 . Le tribunal d’Angers met en garde également contre le danger de désunion familiale si on laisse le père de famille avantager un successible1281 .
105Il en va de même pour le tribunal de Rouen, qui estime qu’il faut davantage resserrer les liens familiaux : « L’objet du présent article [article 16] est d’accorder beaucoup à la liberté individuelle : mais cette liberté, dans l’état social, doit reconnaître des tempéraments et des règles. […] Nous désirerions donc que, même à l’égard d’un certain nombre de collatéraux, et dans des degrés assez étendus, les droits de famille fussent protégés contre l’excès des donations »1282. Il ne précise pas si c’est uniquement pour les testaments, comme le prévoyait la réserve, ou s’il inclut les donations entre vifs. Par ailleurs, le tribunal de Bruxelles propose de réduire la quotité au sixième : « la quotité du quart est trop considérable »1283 .
106L’influence de la tradition se fait sentir également dans les anciens pays de droit écrit. Le tribunal d’Agen estime que seul l’intérêt des enfants et des descendants peut être une borne à la liberté de disposer de ses biens. La liberté de disposer en ligne collatérale devrait être totale1284. On trouve la même observation dans les remarques du tribunal de Dijon1285 . Le tribunal d’appel d’Aix plaide également pour la liberté du père de famille1286 ; les tribunaux de Grenoble1287 et de Montpellier1288 expriment aussi leur faveur pour un régime de liberté. Le tribunal de Liège est du même avis1289. Comme l’affirment les représentants du tribunal d’appel de Limoges, « les uns trouveront qu’on n’a laissé que trop de liberté aux donateurs ; les autres diront, au contraire, que cette liberté a été resserrée dans des bornes trop étroites ». Ils partagent ce dernier avis1290 .
107Néanmoins, on n’est pas revenu au point initial. Si chaque région essaye d’influencer les rédacteurs du Code dans le sens de leur tradition, aucune ne met en doute la nécessité d’une loi unique, et elles s’en remettent « aux lumières supérieures des membres de la Commission »1291 .
108Dans la perspective de notre étude, les observations les plus intéressantes sont celles du tribunal d’appel de Paris, parce qu’elles contiennent une analyse de la réserve et de la légitime au regard des dispositions proposées par les rédacteurs du Code. Après s’être plaints de « l’amalgame » fait par le projet entre les donations et les testaments, ils affirment que la matière la plus importante du titre IX est celle de la disponibilité1292 . Contrairement aux dispositions du projet, le tribunal de Paris souhaite « que la légitime des enfants soit fixée, dans tous les cas, à la moitié de leur portion héréditaire, conformément à l’article 298 de la coutume de Paris. Non seulement cette fixation est la plus favorable qu’aient jamais obtenue les légitimaires, soit dans le droit romain, soit dans la plupart de nos coutumes ; mais elle paraît aussi la plus raisonnable »1293. La moitié prévue par la coutume de Paris était l’équilibre entre « les droits des enfants et l’autorité du père »1294. Le tribunal de Limoges et celui de Montpellier se prononcent également en faveur de cette quotité de moitié. Mais le tribunal de Paris ne se contente pas, comme les autres tribunaux, d’avancer la quotité à laquelle il est habitué. Il profite de l’occasion qui lui est offerte pour corriger ce qui à ses yeux est une défaillance de la coutume : l’absence de légitime au profit des ascendants. Le tribunal y est favorable, contrairement à la coutume1295 .
109L’examen du fondement de la légitime des collatéraux entraîne les membres du tribunal à une analyse de la réserve et de la légitime. En effet, après avoir rappelé qu’il était inouï qu’on accorde une légitime aux collatéraux aussi bien en droit coutumier qu’en droit romain, hormis le cas d’institution d’un héritier infâme, ils se demandent ce qui a pu décider les rédacteurs du Code à accorder cette légitime.
110« En examinant la cause qui a pu déterminer les rédacteurs du présent Code à s’éloigner, en cette partie, de toutes les idées reçues, nous croyons l’apercevoir dans l’intention de remplacer la réserve des propres, appelée, dans nos livres, légitime coutumière, pour la distinguer de la légitime de droit ; et c’est probablement une de ces transactions que leur discours préliminaire annonce, par lesquelles ils ont cherché à concilier les usages des pays coutumiers avec ceux des pays de droit écrit ».
111« Mais, dans ce cas particulier, pour que la transaction fût raisonnable, il faudrait qu’elle contînt mélange des prétentions réciproques, et accordât quelque chose aux deux parties. Or la légitime des frères, nous le répétons, ne tient en effet à rien, elle n’appartient ni au droit coutumier, ni au droit écrit ; elle est étrangère à l’un aussi bien qu’à l’autre. Il faudrait encore qu’il y eût matière à transaction, et que les propres abolis fussent réellement quelque chose : autrement ils n’ont pas besoin de remplacement ; et c’est le cas, pour employer un terme reçu, de prononcer la suppression sans indemnité. Or, qu’étaient les propres dans le dernier état de notre législation coutumière ? D’abord, à Paris, et dans le plus grand nombre de coutumes, la réserve n’avait point lieu pour les donations entre vifs, elle était limitée aux testaments ; ensuite, on était le maître de dénaturer son bien : celui qui avait des propres dont il ne pouvait tester pouvait les vendre, et faire après cela, ou de leur prix ou des objets acquis en remploi, tout ce qu’il jugeait à propos. Est-ce une affectation de cette nature, aussi imparfaite, aussi peu sérieuse, qui mérite qu’on la regrette, et que, pour en trouver l’équivalent, on fasse violence aux principes ? »1296 . Cohérents avec cette appréciation, les membres du tribunal écartent avec décision la légitime des collatéraux.
112Ce raisonnement du tribunal de Paris souligne un aspect capital. La réserve a disparu parce que plus aucun aspect de son fondement ne subsiste. La copropriété familiale a cédé la place depuis très longtemps à la propriété individuelle. L’unicité du patrimoine a fini par donner le coup de grâce à cette protection successorale qui avait été englobée par la légitime, et dont les seules conséquences étaient maintenant une gêne pour la gestion du patrimoine, sans être réellement un avantage pour les héritiers. La légitime les protégeait mieux. L’unification du droit successoral dans le Code civil était l’occasion de la consacrer définitivement, même si c’est sous le nom de réserve héréditaire.
B. La réserve héréditaire du Code civil
113Selon Tronchet, le Code civil se proposait deux objectifs majeurs concernant la légitime : « donner aux pères la faculté de récompenser ou de punir avec discrétion ; celle de réparer entre leurs enfants les inégalités de la nature ou les injustices aveugles de la fortune. Leur accorder en outre la faculté d’exercer des actes de bienfaisance et de reconnaissance envers des étrangers »1297 . C’était restaurer la liberté testamentaire que la Convention avait ôtée et, selon l’optique de Tronchet, cette liberté s’exerce à l’intérieur comme à l’extérieur de la famille.
114Ainsi, dans les principes, les rédacteurs du Code cherchent un compromis1298 . Pour le dire avec les mots de Bigot-Préameneu, « il fallait choisir entre ces diverses règles [droit écrit, coutume de Paris] celles qui, en présentant moins d’inégalités entre les légitimaires, seraient fondées sur la combinaison la plus juste du droit de disposer et des devoirs de paternité »1299. Cette combinaison juste devait se traduire de manière concrète par la détermination d’une quotité disponible, qui marquerait la frontière entre la liberté et l’égalité. Ils étaient tous d’accord sur le besoin de borner la liberté individuelle ; ils se divisaient seulement sur son étendue1300 .
115Les rédacteurs du Code civil sont clairvoyants sur la différence qui existe entre la légitime et la réserve : « La légitime a sa cause dans le droit naturel ; la réserve n’est que de droit positif »1301, dit Bigot-Préameneu. Et il est entendu qu’on doit se régler sur le droit naturel, c’est-à-dire, suivre la légitime. Mais quelle quotité déterminer ? Lors de son rapport sur cette partie du Code, il se montre critique à la fois de la règle romaine et de la coutume de Paris.
116Le système de Justinien aboutissait à des résultats inconséquents, reconnus par tous. La légitime parisienne, longtemps présentée comme le point d’équilibre, est à son tour évaluée : « la division des biens en deux parts égales, dont une est réservée pour la légitime des enfants, est une combinaison facile ; mais ceux qui l’ont faite n’ont-ils pas coupé le nœud plutôt qu’ils n’ont résolu le problème ? »1302 . Dans son opinion, la moitié des biens est trop importante, car si le père réclame la liberté de disposer, cela ne peut être, en suivant la nature, que pour ses propres enfants, pour réparer des inégalités de nature ou de talent. Pour ce nivellement entre enfants, ou pour manifester la reconnaissance, un quart des biens est suffisant1303. Le comité propose donc une légitime des descendants des trois quarts des biens. C’était la quotité de la loi du 4 germinal an VIII. Ainsi restera l’article 913 du Code civil : « Les libéralités, soit par acte entre-vifs, soit par testament, ne pourront excéder la moitié des biens du disposant, s’il ne laisse à son décès qu’un enfant légitime ; le tiers s’il laisse deux enfants ; le quart s’il en laisse trois ou un plus grand nombre ». L’article 914 précise le sens du mot enfant : « Sont compris dans l’article précédent, sous le nom d’enfants les descendants en quelque degré que ce soit ; néanmoins ils ne sont comptés que pour l’enfant qu’ils représentent dans la succession du disposant ». La gradation de la quotité en fonction du nombre d’enfants a été longuement débattue par le Conseil d’État. Le principe est tiré de la législation de Justinien.
117Que les descendants aient droit à la légitime n’était discuté par aucun membre du Conseil d’État. Mais pouvait-il y avoir d’autres personnes protégées par la légitime ? La question de la légitime des ascendants est la première à être posée. Les pays de coutumes la leur refusaient, pour ne pas priver les enfants de leur faculté de disposer, compte tenu des entraves de la réserve. Sur ce point, dit Bigot-Préameneu, il fallait suivre le droit écrit, qui accordait une légitime aux ascendants1304. Le comité propose une quotité moindre que celle des enfants parce qu’ils sont assurés du retour des biens qu’ils ont donnés à leurs enfants1305 .
118Ces dispositions seront reprises par l’article 915 du Code civil : « Les libéralités, par actes entre-vifs ou par testament, ne pourront excéder la moitié des biens, si, à défaut d’enfant, le défunt laisse un ou plusieurs ascendants dans chacune des lignes paternelle et maternelle ; et les trois quarts, s’il ne laisse d’ascendants que dans une ligne.
119Les biens ainsi réservés au profit des ascendants, seront par eux recueillis dans l’ordre où la loi les appelle à succéder : ils auront seuls droit à cette réserve, dans tous les cas où un partage en concurrence avec des collatéraux ne leur donnerait pas la quotité des biens à laquelle elle est fixée ».
120En absence de ces héritiers réservataires, l’article 916 permet la disponibilité de tous les biens : « A défaut d’ascendants et de descendants, les libéralités par actes entre vifs ou testamentaires pourront épuiser la totalité des biens ».
121C’était la consécration de la légitime telle qu’elle était comprise à la fin de son évolution en pays de coutumes, c’est-à-dire comme une portion indisponible du patrimoine du de cujus. Mais, dans l’esprit de compromis qui est le sien, le Code permet une survivance de la réserve, lorsqu’elle appelle les frères et sœurs à succéder. Au sens strict, la réserve a disparu parce qu’elle dépendait de la distinction de biens propres et acquêts1306 . Mais le fondement était l’intérêt de la famille : « Aujourd’hui que les mœurs ont changé sous ce rapport, il ne peut plus produire les mêmes résultats. Mais à ce moyen, devenu inefficace, il paraît convenable d’en substituer un autre qui, mieux assorti à nos mœurs actuelles, serve à maintenir les familles »1307 . C’était une manière de resserrer les liens familiaux, de faciliter la solidité de la famille tant désirée par les rédacteurs du Code. Mais c’était aussi une manière de ménager les susceptibilités des pays coutumiers et de leur faciliter la transition vers le nouveau modèle successoral : « Ne point accorder de légitime aux frères, ce serait passer trop brusquement d’un ordre de choses où la presque totalité des biens était réservée aux parents, à un autre où la loi n’établirait aucune réserve en leur faveur ». C’est l’opinion qu’exprime Maleville1308 . En réalité, le Code n’accorde pas une légitime aux frères et sœurs, mais les déclare successibles ab intestat. La survivance de la réserve est leur vocation successorale.
122Ce n’est pas le seul reste du système de la réserve. La légitime en ligne directe touche les donations, qui sont réduites jusqu’à concurrence de sa valeur. « Le droit des collatéraux à la réserve qui leur est faite n’a pas paru assez impérieux pour qu’on dût lui sacrifier indéfiniment le principe suivant lequel les donations entre vifs doivent être irrévocables ». Ainsi, si les donations sont faites à un successible, elles sont sujettes à rapport pour fournir la légitime des cohéritiers, comme c’était le cas pour les articles 298 et 307 de la coutume de Paris. Mais les donations faites à des tiers ne peuvent être entamées au profit des collatéraux. Les collatéraux ne sont protégés que pour les actes testamentaires. C’est le système de la réserve, tempéré par l’évolution de la famille. Lors de la rédaction du Code, elle n’est plus comprise comme l’ensemble du lignage, elle est une famille restreinte : les ascendants, les descendants, les frères et sœurs et ceux qui en descendent. C’est « au profit de la famille que le Code civil, en matière de dispositions à titre gratuit, réglemente et limite la faculté que possèdent tous les individus de disposer de leurs biens »1309 . Ainsi, le Code permettait à la fois de pratiquer « en fonction des traditions culturelles régionales ou locales, l’égalitarisme, l’inégalitarisme ou un mélange équilibré des deux tendances »1310 . Cette survivance de la réserve se remarque également dans la conception collective de la réserve héréditaire. Elle n’est pas comprise comme la portion à laquelle a droit chaque enfant, comme c’était le cas pour la légitime : elle était à Paris la moitié de ce que l’enfant aurait eu ab intestat. L’article 913 du Code civil, en établissant la quotité disponible, comprend la part réservée des biens comme une part de l’héritage, destiné globalement à tous les héritiers réservataires. Le Code ne précise pas la part de chacun, mais détermine la quotité globale qu’il faudra répartir entre tous.
123Reste à se poser la question de l’appellation. Pourquoi parler de réserve alors que dans les discussions du Conseil d’État il était question de légitime ? Le mot réserve n’est pas utilisé dans les articles du Code, qui parlent de quotité disponible. Les commentateurs l’ont utilisé par la suite. Il n’y a pas d’explication de ce choix dans les discussions du Conseil d’État, ni dans le discours préliminaire. Maleville ne donne pas d’indications dans son Analyse raisonnée de la discussion du Code civil au Conseil d’État1311. Au xixe siècle, Raymond Théodore Troplong affirme que ce nom est le fruit du hasard du langage. « Le Code a retenu le mot générique de réserve plutôt que le mot de légitime, sans qu’on puisse donner une bonne raison. Le mot légitime se trouvait dans les rédactions primitives ; on le rencontre souvent dans les discussions. S’il a disparu lors de la rédaction définitive, c’est par suite de ces hasards de langage dont il ne faut pas se préoccuper. Il est singulier cependant que le Code, qui conservait le droit à une légitime, ait supprimé le mot, et que, supprimant les réserves coutumières, il en ait conservé le nom »1312 .
124Charles Demolombe ne se satisfait pas de cette explication. Il estime, au contraire, que c’est une manière de rendre compte de la réalité. La légitime en pays de coutumes avait été transformée en une réserve, et « il nous paraît certain, dit-il, […] que la suppression du mot légitime démontre elle-même […] que les rédacteurs de notre Code ont définitivement imprimé à l’ancienne légitime de droit, le caractère de l’ancienne réserve coutumière. Il est remarquable en effet que cette suppression est complète »1313. C’est pour lui une manifestation de la volonté des rédacteurs du Code de consacrer les principes du droit coutumier. « Nous savons ce qu’était devenue, dans les pays de coutume, la légitime romaine, et à quel point elle s’était altérée déjà et transformée sous l’influence des principes coutumiers. Il était donc logique et naturel que ce nom, qui ne représentait plus l’institution nouvelle, par laquelle l’ancienne légitime avait été remplacée, disparût aussi lui-même. Et voilà comment la légitime de droit, qui dans les pays coutumiers, était déjà à beaucoup d’égards, une réserve de fait, moins seulement le nom, est devenue dans notre Code, une véritable réserve de fait et de nom »1314. L’explication de Demolombe prend appui sur le caractère indisponible qu’avait acquis la légitime en pays de coutumes. Mais il semble oublier la transformation subie par la réserve au contact avec la légitime. On a vu que la légitime l’avait englobée dans un genre dont le fondement était l’obligation morale. La légitime en pays de coutumes n’était pas « une réserve de fait, moins seulement le nom ». Elle était une institution hybride, ayant réuni en son sein des logiques successorales contraires.
125On peut dire que le choix du mot réserve se justifie pour deux raisons. Une première raison a un caractère psychologique. Dans la transaction qu’opère le Code civil en matière successorale, garder le nom de réserve c’est ménager la sensibilité des pays de coutumes, qui perdaient l’essentiel de l’ancienne réserve : la distinction des biens en propres et acquêts.
126Plus juridiquement, le choix du mot réserve manifeste la qualité essentielle qu’avait acquis la légitime en pays de coutumes à la fin du xviiie siècle. Elle était devenue surtout une pars hereditatis indisponible à titre gratuit et, donc, réservée aux enfants. C’est un processus analogue à celui de la légitime romaine. Le nom de légitime est tiré d’un adjectif, qui évoque l’obligation morale qui est son fondement. Il est légitime, il est juste que les enfants trouvent des biens dans la succession de leur père, si celle-ci n’est pas déficitaire. Ce fondement moral est devenu une évidence et, à la fin du xviiie siècle, personne ne le met en doute : « on est d’accord sur la nécessité d’accorder un légitime aux enfants, on ne se divise que sur la quotité », dit Cambacérès lors des discussions du Conseil d’État1315. En choisissant le mot réserve, on met l’accent sur le caractère principal qui définit l’institution : il s’agit d’une part indisponible, réservée. « Le nom de réserve a été adopté pour exprimer énergiquement la nature du droit établi par le Code civil, et pour faire entendre que c’est en qualité d’héritier que ce droit doit être réclamé, comme les propres ne pouvaient l’être qu’en cette qualité »1316 . On peut noter, avec Coin-Delisle, que réserve et indisponibilité ne sont pas synonymes. La réserve est une indisponibilité relative. « L’expression portion indisponible indique la limitation du droit du disposant, quelle qu’en soit la cause ; celle de réserve signifie spécialement le droit qui naît de leur qualité, pour certains héritiers du sang au profit desquels la loi l’a établi »1317 .
127Le Code civil suit la même démarche que les anciennes coutumes, qui n’utilisaient pas le terme réserve. Elles disaient qu’on ne peut disposer de plus d’un quint des propres, par exemple. L’article 913 dit que les libéralités ne pourront excéder la moitié, le tiers ou le quart des biens du disposant. A contrario, au-delà de ce qui peut être donné ou légué, les biens sont réservés.
128Avec la réserve héréditaire, le Code civil étend à tout le royaume le mariage difficile et tout en nuance que les coutumes avaient réalisé de manière empirique, entre la légitime et la réserve. C’est le compromis fait par la pratique entre la logique successorale et la logique morale ; entre la dévolution légale et la dévolution testamentaire. D’où l’ambiguïté qui persiste et qui se ressent encore aujourd’hui dans la réserve héréditaire1318. L’unification du droit successoral se fait au profit de l’institution qui l’avait déjà réalisée dans l’ancien droit, la légitime. Après s’être adaptée à la réserve et en avoir épousé certaines caractéristiques, elle fait apparaître sa nature propre. La légitime en pays de coutumes avait tout englobé dans un équilibre subtil. Les rédacteurs du Code avaient donc un compromis tout prêt. Le chemin pour arriver à l’unité sur ce point était tracé : la légitime s’était montrée capable d’assumer des logiques successorales différentes et avait su combiner les intérêts familiaux et les obligations morales. Elle avait englobé la réserve. Celle-ci ne disparaît pas complètement : elle se transforme et survit dans la légitime1319 .
Notes de bas de page
1137 François Olivier-Martin, Histoire du droit français des origines à la Révolution, Paris, cnrs, (réimpression de l’édition de 1948), 2005, p. 660.
1138 André Burguière, « La famille et l’État. Débats et attentes de la société française à la veille de la Révolution », in La famille, la loi, l’État, cnrs, Paris, éd. Centre Georges Pompidou, 1989, p. 151-152.
1139 « Vieux débat s’il en fut en effet : il est dès le Moyen Âge au cœur des controverses universitaires et les textes sur lesquels il s’appuie témoignent de sa présence dans l’Antiquité. Sur quoi le droit de succession repose-t-il ? Sur le droit de propriété répondra-t-on, ce qui suppose résolue la « légitimité » de ce droit et de sa transmission… Mais si c’était l’inverse ? […] Retenons que c’est en fonction d’une explication globale du monde que sont pensés les fondements du droit successoral », Anne Lefebvre-Teillard, Introduction historique…, op. cit., n. 237, p. 310-311. Cf. également l’article de Padovani, « Le fondamenta giuridiche del testamento nella dottrina medioevale », in Actes à cause de mort, Recueil de la Société Jean Bodin, tome 61, troisième partie, Bruxelles, 1993, p. 173-196.
1140 Cf. Anne Lefebvre-Teillard, Introduction historique…, op. cit., n. 237, p. 312.
1141 Cf. ibidem.
1142 « De toute la législation civile de la Révolution, l’œuvre réalisée en matière successorale est sans doute, avec le mariage, la plus fortement marquée par l’idéologie », Jacques Poumarède, « La législation successorale de la Révolution entre l’idéologie et la pratique », in La famille, la loi, l’État, op. cit., p. 167.
1143 Même s’il a eu la charge de les présenter aux Assemblées révolutionnaires, « ces projets ne sont pas le fait d’un seul homme, mais de plusieurs rassemblés dans le Comité de législation de la Convention puis dans la commission de la classification des lois du Conseil des Cinq-Cents. Ces deux formations rassemblaient d’éminents juristes, notamment Merlin (de Douai), Garran-Coulon, Berlier et Oudot. Si Cambacérès a apporté l’unité de pensée et de rédaction aux projets de Code civil, il est loin d’en être le seul inspirateur », Julien Boudon, « Les projets de Code civil ‘de Cambacérès’ et le thème de l’imitation de la nature (1793-1804) », in Droits, (naissance du droit français/2), Paris, Puf, n. 39, 2004, p. 91.
1144 Cf. Jean-Louis Halpérin, L’impossible Code civil, Paris, Puf, 1992, p. 283.
1145 Cf. Jean-Louis Halpérin, op. cit. Voir également Jean-Jacques Clère, « De la Révolution au Code civil… », op. cit., p. 7-56.
1146 Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 265.
1147 « L’analyse de deux corpus (571 Cahiers de bailliages et 902 Cahiers primaires) indique que l’on n’y parle pratiquement pas de la famille et de son droit, pas plus d’ailleurs que du droit d’aînesse ou du droit successoral, mais que beaucoup évoquent sans s’y arrêter la réforme des lois civiles et criminelles. Tout se passe comme si les problèmes de droit successoral ne préoccupaient pas les Français, comme s’ils appréciaient les systèmes en usage », Joseph Goy, « Le paradoxe de la codification, uniformité législative et diversité du monde rural », in La famille, la loi, l’État, op. cit., p. 256.
1148 « De manière générale, sous l’Ancien Régime, la personne juridique est considérée comme partie d’un corps –qui défend jalousement ses privilèges–, plus que comme un individu maître de ses droits ; ce qui explique que peu nombreuses et de peu d’ampleur sont, dans les cahiers de doléances, les plaintes relatives à la diversité des coutumes et des usages juridiques », Jean Bart, « Il sera fait un code de lois civiles communes à tout le royaume », in La famille, la loi, l’État, op. cit., p. 263. Cet article est également publié dans Jean Bart, Du droit de la Province au droit de la Nation, Publications du Centre Georges Chevrier, volume 17, Dijon, 2003, p. 631-645.
1149 Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 76.
1150 Art. 18 : « Tous les biens meubles et immeubles seront à l’avenir également partagés dans toute l’étendue du royaume, entre les héritiers sans aucune distinction de droit d’aînesse, attendu que la grande inégalité des fortunes qui résulte du contraire, est vexatoire pour les individus et préjudiciable au bien général ». Cf. Voeux et demandes des communes des cinq sénéchaussées de la province d’Anjou. Rédigés dans l’assemblée générale d’Angers le 19 mars 1789 pour être présentés à l’Assemblée des États généraux, in M. J. Mavidal et de M. Laurent, Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des Chambres françaises imprimé par ordre du corps législatif, première série (1789 à 1799), tome II, États Généraux. Suite des cahiers des sénéchaussées et bailliages. Paris, librairie administrative de Paul Dupont, 1875, p. 42. On les citera désormais comme AP, suivi du tome et de la page correspondants.
1151 Cf. AP, tome II, Cahier de doléances de la ville et comté d’Hénin-Liétard, art. 50, p. 90, tome III, Cahier des plaintes, doléances, très humbles et très respectueuses remontrances du tiers-état du village, corps et communauté de Courtiches, formé en assemblée tenue extraordinairement le 19 mars, en l’hôtel de ville ordinaire, art. 24, p. 198 : « Que sa Majesté soit très instamment suppliée de supprimer le droit d’aînesse ou préciput ; d’ordonner en conséquence dans les familles roturières que tous les fiefs et nobles tenements, sans différence ni de sexe ni d’âge, soient partagés également entre les héritiers légaux, et qu’il soit dérogé aux coutumes défavorables aux puînés et cadets de famille. [...] Tout frère est issu du même sang, nous devrions être tous égaux ». Dans le même sens de demande de partages à égalité des fiefs, voir les doléances des habitants d’Attainville, diocèse de Paris, et du bourg de Claye (ressort de la prévôté de Paris), AP, tome IV, art. 17, p. 322 et art. 8, p. 443 respectivement.
1152 Cf. AP, tome III, art. 11, p. 748. Cet article se fait l’écho du désir d’unité de la loi : « Qu’il soit délibéré sur les inconvénients des coutumes locales et les avantages d’une seule loi ; que, dans tous les cas, le droit d’aînesse en faveur des roturiers, accordé par un grand nombre de coutumes, soit aboli ». On pourrait multiplier les exemples. On a trouvé une quinzaine de cahiers contenant des demandes de suppression du droit d’aînesse. La plupart font référence aux roturiers, mais certains réclament une égalité pour les nobles, par exemple, le cahier de Châtillon-sur-Indre qui propose de réformer dans ce sens la coutume de Touraine. Cf. AP, tome VI, art. 6, p. 55. Parfois, les articles demandent la suppression d’autres sources d’inégalités, comme le privilège de masculinité ou les substitutions.
1153 Cf. chapitre III, article 9 : « La plupart de nos coutumes accordent aux aînés la majeure partie des biens en fiefs ; cela occasionne des animosités dans les familles, dont on doit faire en sorte de conserver l’harmonie : réformer en conséquence cette disposition et rétablir l’égalité pour le partage de ces biens comme pour ceux en roture », AP, tome III, Des plaintes et doléances de la noblesse d’Etampes, p. 286.
1154 Cf. AP, tome VI, Des remontrances plaintes et doléances des habitants de la commune de Valenciennes, art. 11, p. 102.
1155 Cf. supra, partie II, chapitre I, section I, § 1, C.
1156 Cf. Michel Grimaldi, Droit civil. Les successions, 6e éd., Paris, Litec, 2001, n. 52, p. 45.
1157 Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 93.
1158 « On fit dans le droit successoral deux parts : l’une considérée comme le résultat même de l’ordre naturel des choses fut maintenue, l’autre au contraire considérée comme création purement factice de la loi fut bouleversée de fond en comble. Ce fut de cette combinaison des institutions successorales et des doctrines que résulta la conception révolutionnaire du droit successoral », Ernest Vallier, Le fondement du droit successoral en droit français, Paris, 1902, p. 5-6.
1159 Cf. AP, Voeux et demandes des communes des cinq sénéchaussées de la province d’Anjou, tome II, États généraux. Suite des cahiers des sénéchaussées et bailliages, p. 42.
1160 Cette insistance des débats sur les fondements mêmes des institutions successorales a d’autres conséquences. Ces discussions réveillent les sentiments particularistes propres à chaque région, malgré la volonté générale manifestée par les révolutionnaires de faire un Code unique de lois privées. Cf. infra.
1161 Cf. art. 19 du nouveau projet sur l’ordre judiciaire. L’Assemblée a adopté les articles 1 à 21 du titre I le 5 juillet 1790. Cf. AP, tome XVI, p. 705.
1162 Cf. titre I, in fine. Cf. AP, tome XXX, séance du 2 septembre p. 153.
1163 Mirabeau « parvint à convaincre l’Assemblée que ces lois successorales tenaient à la Constitution même ». Cf. Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 81.
1164 Jean Bart, « Il sera fait un code de lois… », op. cit., p. 263.
1165 Cf. ibidem.
1166 Merlin de Douai, discours du 21 novembre 1790, AP, tome XX, p. 599.
1167 Joseph Goy, « Le paradoxe de la codification… », op. cit., p. 257.
1168 « Dans toute législation, les techniques juridiques, souvent transmises par la tradition, sont au service d’objectifs politiques. Ces objectifs ne sont pas nécessairement énoncés ou avoués, il s’agit plus souvent de présupposés plus ou moins communément admis », Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 288.
1169 Merlin le dit explicitement lors de la séance du 21 novembre 1790 : « Cette unité existe déjà quand aux intérêts politiques. Vos décrets du 4 août 1789 ont produit ce premier et heureux effet. Mais elle n’existe pas encore relativement aux intérêts civils [cette unité ne sera qu’éphémère] si elle n’embrasse pas tous [les intérêts], si elle ne les lie pas aussi intimement les uns aux autres, que le sont dans chaque individu, les affections de citoyen à celles de père, à celles de propriétaire, à celles d’homme enfin », AP, tome XX, p. 599.
1170 Art. 11 : « Tous privilèges, toute féodalité et nobilité de biens étant détruits, les droits d’aînesse et de masculinité à l’égard des fiefs, domaines et aleux nobles, et les partages inégaux à raison de la qualité des personnes sont abolis. En conséquence, l’Assemblée ordonne que toutes les successions, tant directes que collatérales, tant mobilières qu’immobilières, qui écherraient à compter du jour de la publication du présent décret seront, sans égard à l’ancienne qualité noble des biens et des personnes, partagées entre les héritiers suivant les lois, statuts et coutumes qui règlent les partages entre tous les citoyens : abroge et détruit toutes les lois et coutumes à ce contraires. Excepté du présent décret ceux qui sont actuellement mariés ou veufs avec enfants, lesquels dans les partages à faire entre eux et leurs cohéritiers, de toutes les successions mobilières et immobilières, directes et collatérales, qui pourront leur échoir, jouiront de tous les avantages que leur attribuent les anciennes lois. Déclare en outre, que les puînés et les filles, dans les coutumes où ils ont eu jusqu’à présent sur les biens tenus en fiefs plus d’avantages que sur les biens non féodaux, continueront de prendre dans les ci-devant fiefs les parts à eux assignés par lesdites coutumes, jusqu’à ce qu’il ait été déterminé par l’Assemblée nationale un mode définitif et uniforme de succession pour tout le royaume ». AP, tome XII, p. 173.
1171 Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 88.
1172 Voici le passage cité antérieurement : « Et comme les retraits lignagers passent pour droit commun dans les provinces régies par coutume, il importe de donner un règlement général et certain en tous les lieux où le retrait lignager est en usage, puisqu’il serait fort difficile et presque impossible de l’abroger ». Guillaume de Lamoignon, Recueil d’Arrêtés, op. cit., édition de 1702, titre du retrait lignager, p. 113.
1173 Cette expression se comprend à la fois comme égalité dans la vocation successorale (tous les héritiers ont les mêmes droits, il n’y a pas de situation privilégiée) et comme égalité du partage lui-même, c'est-à-dire que chacun doit recevoir exactement la même chose que les autres.
1174 « L’égalité doit diriger les dévolutions successorales et il s’agit bien sûr de l’égalité civile, de l’égalité des droits et non celle des conditions sociales », Jean-Jacques Clère, « De la Révolution au Code civil : fondements philosophiques… », op. cit., p. 11.
1175 Cf. AP, tome XX, p. 600 et s.
1176 Ce qui n’empêche pas Merlin de critiquer le droit romain, « cette multitude effrayante de lois étrangères, dont le moindre défaut est d’être écrite dans une langue que les 99 centièmes des citoyens n’entendent pas », AP, tome XX, p. 599.
1177 « Beaucoup de dispositions coutumières, les plus anciennes et les plus originales, ne sont plus comprises et elles apparaissent comme un reliquat de la féodalité ». Cf. Paul Ourliac, Jehan de Malafosse, Histoire du droit privé…, op. cit., tome III, p. 19.
1178 Art. 21 : « Le mariage d’un des enfants, ni les dispositions contractuelles faites en le mariant, ne pourront lui être opposés pour l’exclure du partage égal établi par le présent décret, à la charge, par lui, de rapporter ce qui lui aura été donné ou payé lors de son mariage », AP, tome XX, p. 605.
1179 Cf. AP, tome XX, p. 605.
1180 Cf. AP, tome XXIV, p. 45 et s.
1181 Cf. supra, partie I, chapitre I, section I, § 2, B.
1182 On demandait cette abolition parce que les substitutions étaient un moyen de conserver l’inégalité dans les partages. Cependant, on proposait de laisser la possibilité d’interdire aux héritiers d’aliéner certains biens de succession, à des conditions très strictes. En outre, on demandait également l’abolition de l’exhérédation en cas de mariage sans accord des parents et en cas d’ingratitude.
1183 Cf. art. 13 du projet, AP, tome XXIV, p. 507. Signalons que pour le calcul des parts d’enfant, on suit les règles de la légitime : calcul de la masse successorale en additionnant aux biens du défunt les donations qu’il a faites. Cf. ibidem, art. 18 et 19.
1184 Rapporter ici ces débats serait s’éloigner beaucoup trop de notre optique. On peut résumer les thèses en présence en disant que pour les romanistes, le droit de tester était un droit naturel dérivé du droit de propriété. Pour les adversaires du droit romain, le droit de propriété est une création de la société. Le droit de tester, qui en est un exercice, doit l’être aussi. Il peut donc être fortement limité, voire interdit, par la même société qui le crée. Pour eux, la propriété finit avec la mort, et le testament outrepasse les prérogatives du propriétaire, puisqu’il impose le respect de sa volonté pour le temps où il n’est plus. C’est l’opinion que défend Mirabeau. À la mort du propriétaire, les biens retournent à la société. Mais celle-ci, dans son propre intérêt, établit qui doit recueillir ces biens. Ainsi, la loi seule peut créer des héritiers ; cette faculté doit échapper à la volonté humaine. En outre, la loi détermine aussi les biens que doivent recueillir ces héritiers. Sur la conception moderne de la notion de propriété, voir Marie-France Renoux-Zagame, Origines théologiques du concept moderne de propriété, Genève, Paris, Droz, 1987.
1185 « Il nous faut examiner relativement aux chefs de famille, ce qui concerne le droit de tester, ses fondements et ses limites. [...] Voici la question fondamentale qui se présente : la loi doit-elle admettre chez nous la libre disposition des biens en ligne directe ? [...] La faculté de tester a été accordée de tout temps à tout citoyen qui possède quelque propriété transmissible et qui n’est pas dans le cas particulier d’incapacité. [...] Il faut voir si la propriété existe par les lois de la nature ou si c’est un bienfait de la société. Il faut voir ensuite si dans ce dernier cas, le droit de disposer de cette propriété par voie de testament en est une conséquence nécessaire. Si nous considérons l’homme dans son état originaire et sans société réglée avec ses semblables, il paraît qu’il ne peut avoir de droit exclusif sur aucun objet de la nature, car ce qui appartient également à tous n’appartient réellement à personne. [...] C’est le partage des terres fait et consenti par les hommes rapprochés entre eux qui peut être regardé comme l’origine de la vraie propriété. [...] Les droits de l’homme, en fait de propriété, ne peuvent s’étendre au delà du terme de son existence. [...] Que nous dit la nature ? Si elle a établi l’égalité d’homme à homme, à plus forte raison de frère à frère, et cette égalité entres les enfants d’une même famille ne doit-elle pas être mieux reconnue encore, et plus respectée par ceux qui leur ont donné naissance ? C’est un axiome de droit devenu vulgaire, que les enfants sont les héritiers naturels de leurs parents. [...] Ce sont les pères qui ont fait ces lois testamentaires ; mais en les faisant ils n’ont pensé qu’à leur empire et ils ont oublié leur paternité. [...] [Je conclus] 2° : que toute personne ayant des descendants en ligne directe ne puisse disposer par testament que d’une quotité déterminée de ses biens. [...] Je demande que cette quotité soit bornée à la dixième partie de leurs biens », AP, tome XXIV, p. 511.
1186 Robespierre, par exemple, considère aussi que la propriété finit avec la mort de l’homme : « La propriété de l’homme, après sa mort, doit retourner au domaine public de la société. Ce n’est que pour l’intérêt public qu’elle transmet ses biens à la postérité du premier propriétaire : or l’intérêt public est celui de l’égalité. Il faut donc que dans tous les cas l’égalité soit établie dans les successions », discours de Robespierre lors de la discussion de la loi sur l’égalité des partages. AP, tome XXIV, p. 563.
1187 « Les successions légitimes étant plus naturelles, plus nécessaires et suivies de moins d’inconvénients que les successions testamentaires, dont l’usage n’a été qu’une exception de la règle qui donne l’hérédité aux proches, la condition des héritiers légitimes est plus favorable que celle des héritiers appelés par le testament. [Dans le doute] on doit décider pour [l’héritier] du sang », Jean Domat, Les loix civiles dans leur ordre naturel, Paris, 1777, tome I, seconde partie des successions, préface, VIII, p. 262.
1188 Gustave Aron, « Etude sur les lois successorales de la Révolution depuis 1789 jusqu’à la Promulgation du Code civil », in Nouvelle Revue historique de droit français et étranger, 25e année, n. 4, juillet-août 1901, Paris, 1901, p. 447-448.
1189 Outre les divergences d’opinion politique, ils défendent différentes positions en matière de droit privé. Cf. les débats autour des lois de droit privé, rapportés par Pierre-Antoine Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, Osnabrück, 1968, réimpression de l’édition de 1827. Voir aussi l’ouvrage cité de Jean-Louis Halpérin.
1190 Cf. Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 51-76. Sur les controverses médiévales à propos de l’origine de la propriété et du testament, voir particulièrement l’ouvrage cité de Marie-France Renoux-Zagame, ainsi que l’article de Padovani déjà cité. Comme le souligne cet auteur, les jacobins ont été particulièrement influencés par les théories de Pufendorf. Par ailleurs, les débats n’ont pas été clos au xviiie siècle. En parlant de Troplong, juriste du xixe siècle, Padovani affirme : « Una così formidabile tradizione dottrinale [Pufendorf et les autres penseurs de l’école du droit naturel moderne] non poteva non sollevare la reazione del Troplong, ben consapevole della forza che quegli argomenti avevano assunto prima nell’intransigente dogmatismo dei giacobini », A. Padovani, op. cit., p. 176.
1191 Cf. Michel Grimaldi, op. cit., n. 52, p. 45-46.
1192 Cf. supra, partie I, chapitre I, section I.
1193 « La loi ne contrarie point la volonté raisonnable des pères et mères, et elle se conforme à leur affection présumée, lorsqu’elle assure à leurs descendants une part convenable dans leur patrimoine », Bigot-Preameneu, Rapport sur la disposition du titre des donations entre vifs et des testaments, discussion du Conseil d’État, 30 nivôse an XI (20 janvier 1803), in Pierre-Antoine Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, Osnabrück, 1968, réimpression de l’édition de 1827, tome XII, p. 244. On le citera désormais comme Fenet, suivi du tome et de la page.
1194 Jean-Jacques clère, « De la Révolution au Code civil : les fondements philosophiques… », op. cit., p. 13. Peu importe, à cet égard, que l’ordre présumé des affections soit un peu variable : préférer les ascendants à tous les collatéraux, faire concourir les ascendants avec les collatéraux privilégiés comme les frères et sœurs, appeler ou non les neveux par le jeu de la représentation, que le partage se fasse par tête ou par ligne… Cet ordre présumé est directement lié à l’idée qu’on se fait de la famille.
1195 Cf. Jean-Jacques clère, op. cit., p. 55.
1196 Cf. AP, tome XXIV, p. 569.
1197 Cf. AP, tome XXIV, p. 598-599.
1198 Gensoné et Philippeaux font référence aux « cent mille cadets prêts à voler aux frontières pour défendre la République », et qui sont retenus par la crainte d’une exhérédation. Cf. AP, tome LIX, p. 680-683.
1199 Un décret du 5 septembre 1791 prévoit que « toute clause impérative ou prohibitive qui serait contraire aux lois et aux bonnes mœurs, qui porterait atteinte à la liberté religieuse du donataire, héritier ou légataire, qui gênerait la liberté qu’il a soit de se marier, même avec telle personne, soit d’embrasser tel état, emploi ou profession, enfin tendrait à le détourner de remplir les devoirs imposés et les fonctions déférées par la constitution aux citoyens actifs et éligibles est réputée non écrite ». Cf. AP, tome XXX, p. 217.
1200 Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 87-88.
1201 En mai 1793.
1202 L’Assemblée législative avait déjà interdit les substitutions pour l’avenir par un décret du 25 août 1792, époque qui correspond « aux temps les plus forts de la poussée égalitaire et de la lutte contre les aristocrates. La suppression des substitutions apparaît inséparable des mesures antiféodales », Jean-Jacques Clère, « De la Révolution au Code civil : les fondements philosophiques… », op. cit., p. 20.
1203 Ainsi s’exprime Le Chapelier devant l’Assemblée : « Quant aux autres amendements, je les éloigne par un seul mot : c’est que quand nous établissons une loi pour revenir à cette maxime de droit naturel, et dont il est étonnant que le droit politique se soit écarté, je veux dire que tous les partages entre cohéritiers doivent être égaux ; quand, dis-je, nous établissons cette règle qui aurait toujours dû exister ; quand nous sommes obligés d’y mettre des exceptions, il ne faut pas étendre ces exceptions-là au-delà de ce que la nécessité la plus impérieuse nous commande. Or, en mettant pour exception les institutions contractuelles, nous faisons tout ce que nous devons faire. Encore nous n’adopterions pas cette exception s’il ne s’agissait que des droits des cohéritiers entre eux ; mais nous avons été déterminés parce qu’il s’agit des droits de toute une famille qui, par le contrat de mariage, a acquis un véritable titre à la portion de biens qui en vertu de la loi alors existante, était dévolue à la personne à laquelle une autre personne s’est attachée », AP, tome XXIV, séance du dimanche 1er avril 1791, p. 498-499.
1204 Cf. AP, tome LIX, p. 680. Le contexte politique est agité et les événements se succèdent : le 24 février, levée de 300 000 hommes qui provoque des révoltes ; déclaration de guerre à l’Angleterre, à la Hollande et à l’Espagne ; création d’un tribunal révolutionnaire le 9 mars ; agitation de la sans-culotterie les 10 et 11 mars ; soulèvement de la Vendée le 10 mars ; décret contre les promoteurs de la loi agraire le 18 mars ; institution des comités de surveillance le 21 mars ; création du Comité de Salut public le 6 avril ; trahison de Dumouriez. Les mesures prises par la Convention en matière de droit successoral ne sont pas indépendantes de cette situation politique et sociale.
1205 Jacques Poumarède, « La législation successorale de la Révolution… », op. cit., p. 167.
1206 Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 113.
1207 Cf. ibidem, p. 114.
1208 Fenet, tome I, p. 1.
1209 Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 116.
1210 Cf. Fenet, tome I, p. 7.
1211 Cf. ibidem, p. 8.
1212 Cf. Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 131.
1213 Ibidem, p. 140.
1214 Loi du 17 nivôse an II, art. 9, AP, tome XXVIII, p. 606.
1215 L’idée de la primauté de la succession ab intestat par rapport à la succession testamentaire, et l’éloge de l’égalité que suppose ne pas tester, n’est pas en soi révolutionnaire. À titre d’exemple, on peut citer deux passages, un de Le Brun, et un autre de Domat. Ils montrent comment la succession ab intestat est celle qui correspond le mieux à l’esprit coutumier, opposé en cela au droit romain. « L’héritage se divise selon la disposition de la loi, mais la famille demeure unie, selon le vœu de la nature. Chaque portion n’est pas ordinairement une fortune achevée, pour ceux qui viennent à partage, mais la paix et l’union qui vient de l’égalité est toujours un bonheur accompli pour les héritiers. Cette union de la famille est l’ouvrage de celui qui ne teste pas, il laisse ses biens à ses héritiers, mais il leur donne la paix. Que si la succession ab intestat est beaucoup plus naturelle, et est ordinairement plus juste que la testamentaire, elle n’a pas moins de difficultés et au lieu que dans le droit romain c’était la manière la plus bornée, c’est la plus étendue en droit français », Denis Le Brun, Traité des successions, 1e éd., Paris, 1692, préface. « Les successions légitimes ont tout ensemble la faveur de l’ordre naturel qui appelle les proches par le droit du sang et par l’affectation des biens aux familles, et la faveur de l’affection que leur doivent ceux qui disposent de leurs biens s’ils ne sont pas indignes, ou si d’autres motifs raisonnables ne rendent justes d’autres dispositions. C’est sur cette équité que sont fondées nos coutumes qui affectent tellement les biens aux familles, qu’elles ne permettent pas de disposer de tous les biens au préjudice des collatéraux même très éloignés », Jean Domat, op. cit., tome I, seconde partie des successions, préface, IV, p. 259.
1216 Art. 11 : « Les dispositions de l’art. 9 ci-dessus ne font point obstacle pour l’avenir à la faculté de disposer du dixième de son bien si on a des héritiers en ligne directe ou du sixième si l’on n’a que des héritiers collatéraux au profit d’autres que les personnes appelées par la loi au partage des successions », AP, tome XXVIII, p. 606.
1217 « Si l’on considère le contenu et l’esprit des lois civiles de l’an II, il convient également d’atténuer certaines critiques adressées à ces lois de combat, en général considérées comme des mesures improvisées et exagérément révolutionnaires. La loi du 17 nivôse an II sur les successions et celle du 12 brumaire sur les enfants naturels sont souvent présentées comme des produits accidentels de l’exaltation révolutionnaire et de la Terreur, des résultats de la force des choses chère à Saint-Just. Pourtant les principes dont s’inspirent ces lois ne sont pas nouveaux en 1793-1794 et il y a même une certaine logique dans l’adoption de ces mesures rétroactives qui ne rompent pas brutalement la cohérence de la législation révolutionnaire. […] Le principe d’égalité des partages était largement admis par les révolutionnaires depuis 1790-1791. Les débats de la Constituante en avril 1791 avaient déjà montré l’existence d’un fort courant favorable à une limitation draconienne de la liberté de tester, pour empêcher le maintien d’inégalités successorales entre les enfants », Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 159-160.
1218 Dans l’ordre des ascendants et des collatéraux, on détermine des lignes descendantes à partir d’un ascendant du défunt ; et ces lignes sont appelées successivement. Les descendants sont toujours préférés aux ascendants, et la représentation existe aussi à l’infini.
1219 Art. 62 : « La loi ne reconnaît aucune différence dans la nature des biens ou dans leur origine pour en régler la transmission ». « L’abolition des propres a changé totalement le système des coutumes », Bigot-Préameneu, Rapport sur la disposition du titre des donations entre vifs et des testaments, discussion du Conseil d’État, 30 nivôse an XI (20 janvier 1803), in Fenet, tome XII, p. 249.
1220 « Un auteur belge, scrutant le droit successoral révolutionnaire, a longuement montré que tout l’appareillage de cette loi de nivôse avait été prélevé sur l’organisme fatigué de nos vieilles coutumes somnolentes, celles du Maine et de l’Anjou, dont le droit successoral roturier, depuis tant de siècles obscurs, se voulait furieusement égalitaire, ce qui leur assure, là encore, la placide avance d’un retard. Il existe d’ailleurs, confirmant cette démonstration, une consultation de trois juristes parisiens donnée le 3 germinal an V (23 mars 1797), renvoyant, pour l’interprétation de la loi de nivôse, aux vieux commentateurs de l’Anjou et du Maine. Au regard de quelques idées reçues, c’est assez peu banal, et moins encore si l’on décline l’identité des trois signataires : Tronchet, Portalis, Cambacérès », Xavier Martin, « Approche du droit révolutionnaire et du Code Napoléon : précautions de méthode », in La famille, la loi, l’État, op. cit., p. 244. Il fait référence à André Dejace, Les règles de la dévolution successorale sous la Révolution (1789-1794), Bruxelles-Liège, 1957. Voir aussi « Politique et droit privé après Thermidor », in La Révolution et l’ordre juridique privé : rationalité ou scandale ? Actes du colloque d’Orléans, 11-13 septembre 1986, 2 vol. , Université d’Orléans, PUF, tome I, p. 173-184. La consultation est citée p. 173.
1221 Xavier Martin, « Approche du droit révolutionnaire… », op. cit., p. 242.
1222 Il faut souligner cependant que, en pays de droit écrit, les dispositions sur l’égalité de la loi de nivôse an II peuvent favoriser non pas l’existence, mais la délivrance de la légitime. Ainsi, dans le Sud-Ouest, concrètement à Oloron, Jacques Poumarède signale que les premières demandes d’application de la loi viennent « de cadets qui profitent de la loi de nivôse pour réclamer le versement de leur légitime coutumière qui ne leur avait pas été payée », Jacques Poumarède, « La législation successorale de la Révolution… », op. cit., p. 175.
1223 Cf. Michel Grimaldi, Droit civil. Les successions, op. cit., n. 53, p. 47.
1224 « Nous ignorons comment s’effectua le choix, en lui-même assez surprenant, du 14 juillet 1789, date de la prise de la Bastille et non de la Déclaration des droits de l’homme votée le 26 août 1789. Ce choix montre en tout cas la portée symbolique du 14 juillet qui apparaissait aux contemporains comme le début de la Révolution auquel devait remonter le principe de toute législation nouvelle », Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 161.
1225 Ibidem, p. 161.
1226 Naissance du Code civil. Travaux préparatoires du Code civil. Extraits choisis et présentés sous la direction de François Ewald, préface de Guy Canivet, Paris, Flammarion, 2004, avant-propos, p. XI.
1227 Gustave Aron, « Etude sur les lois successorales de la Révolution… », op. cit., n. 4, juillet-août 1901, Paris, 1901, p. 449.
1228 « Pour ceux qui appartenaient aux aires du droit coutumier à forte tendance égalitaire, la Révolution ne modifia guère la situation, sauf en ce qui concerne les filles là où elles étaient traditionnellement exclues. Mais, dans les zones de tradition inégalitaire, le choc fut d’abord important » Joseph Goy, « Le paradoxe de la codification… », op. cit., p. 258.
1229 « M. Boulay dit que, chargé par le gouvernement de présenter la loi du 24 germinal an VIII, il a eu l’occasion de s’assurer que la loi du 17 nivôse an II n’a jamais été suivie dans les pays de petite culture : là l’héritage a continué de demeurer à l’aîné qui l’avait cultivé et amélioré. Il s’est chargé de nourrir son père. Les autres enfants ont eu un pécule », Discussion du Conseil d’État, in Fenet, tome XII, p. 315.
1230 Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 222.
1231 « Les donations à cause de mort, destinées à remplacer les testaments, redeviennent révocables alors que disparaissent les restrictions concernant les donations aux célibataires ou les dispositions en faveur du conjoint survivant. […] Il abandonne une des dispositions les plus critiquées de la loi du 17 nivôse qui faisait passer les frères et sœurs du défunt avant ses parents », Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 206-207.
1232 Cf. Fenet, tome I, p. 119.
1233 Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 214.
1234 Jean Bart, « L’individu et ses droits », in La famille, la loi, l’État, op. cit., p. 360.
1235 « L’ajournement du premier projet de Code civil ne correspond pas à un échec technique imputable à l’incompétence du comité de législation ou à l’inconstance de l’assemblée. Il ne s’agit pas davantage d’un rejet inspiré par des considérations philosophiques ou par une hostilité irréductible à l’œuvre nécessairement juridique d’hommes de loi. C’est une décision politique, fondamentalement liée à la naissance d’un gouvernement révolutionnaire entre août et novembre 1793 », Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 140. « Le troisième projet Cambacérès fut victime des mœurs parlementaires du Directoire et du défaut de planification de l’ordre du jour », ibidem, p. 250.
1236 Jean Bart, « Il sera fait un code de lois… », op. cit., p. 264.
1237 Ils s’en inspirent aussi bien pour le fond que pour le plan adopté par le Code civil : « Les rédacteurs du Code civil ont puisé à de multiples sources, de préférence à la plus proche, le Projet Jacqueminot ». Cf. Jean Gaudemet, « Pothier et Jacqueminot à propos des sources du Code civil de 1804 », in Le rôle de la volonté dans les actes juridiques. Etudes à la mémoire du Professeur Alfred Rieg, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 369-387. La phrase citée se trouve p. 387.
1238 « La répartition géographique de l’origine de ces pétitions est également très frappante : presque toutes viennent des anciens pays de droit écrit ou de Normandie, c'est-à-dire des régions où les pratiques successorales de l’ancien droit étaient les plus inégalitaires. Ce sont les cadets, ou en sens inverses les aînés, du Midi, les garçons et les filles de Normandie qui se sont prononcés pour ou contre la loi du 17 nivôse », Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 216.
1239 Gustave ARON, « Etude sur les lois successorales de la Révolution… », op. cit., n. 5, septembre-octobre 1903, p. 676.
1240 Cf. Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 221.
1241 Ibidem, p. 221-222.
1242 Ambroise Colin cite également une loi du 3 vendémiaire an IV et une autre du 18 pluviôse an V. Cf. Ambroise Colin, « Le droit de succession dans le Code civil », in Le Code civil 1804-1904. Livre du Centenaire, préface de Jean-Louis Halpérin, Paris, Dalloz, 2004, p. 300.
1243 La question de la rétroactivité, ainsi que les débats qu’elle suscite au lendemain de la chute de Robespierre, ne nous intéresse pas directement. On ne l’analyse donc pas dans le détail. Voir à ce sujet Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 215 et s. Voir également Gustave Aron, « Etude sur les lois successorales de la Révolution… », op. cit., 1903, p. 685-703.
1244 Cf. Fenet, tome I, p. 259-260.
1245 Présentation du projet de Code à la Commission législative du Conseil des Cinq-Cents par Jacqueminot, au nom de la section de législation. Séance du 30 frimaire an VIII (21 décembre 1799). Cf. Fenet, tome I, p. 329.
1246 Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 271.
1247 Gustave Aron, « Etude sur les lois successorales de la Révolution… », op. cit., Deuxième partie, n. 5, septembre-octobre 1903, p. 674.
1248 Art. 1 : « Toutes libéralités qui seront faites soit par actes entre vifs, soit par actes de dernière volonté, dans les formes légales, seront valables, lorsqu’elles n’excéderont par le quart des biens du disposant, s’il laisse à son décès moins de quatre enfants ; le cinquième, s’il laisse quatre enfants ; le sixième, s’il en laisse cinq ; et ainsi de suite, en comptant toujours, pour déterminer la portion disponible, le nombre d’enfants plus un ». Rapporté par Tronchet, Fenet, tome XII, p. 301.
1249 Art. 5 : « Les libéralités autorisées par la présente loi pourront être faites au profit des enfants ou autres successibles du disposant sans qu’ils soient sujets à rapport », Fenet, tome XII, p. 301.
1250 Cité par Jean-Louis Halpérin, op. cit., p. 271.
1251 « Cambacérès, deuxième consul, a activement participé aux travaux préparatoires du Code de 1804 ; aussi mérite-t-il d’être rangé parmi les rédacteurs du Code au même titre que les membres de la commission gouvernementale et que les conseillers d’État. C’est dire si l’étude des « trois premiers projets de Code civil » ne peut se dispenser d’une confrontation avec les débats préparatoires du Consulat. On note alors la proximité, au moins technique, entre les projets révolutionnaires et le futur Code Napoléon », Julien Boudon, « Les projets de Code civil ‘de Cambacérès’… », op. cit., p. 91.
1252 « Il faut tenir compte des discours, propositions de lois et projets souvent présentés en articles qui sont l’œuvre des membres des assemblées, pour l’essentiel un petit groupe de juristes de formation –des avocats de « petits » barreaux avant 1789 que rien ne prédestinait à ce rôle sous l’Ancien Régime– qui se sont spécialisés dans la réforme du droit privé », Jean-Louis Halpérin, « Le droit privé de la Révolution : héritage législatif et héritage idéologique », in Ahrf, n. 328, 2002, p. 144. Cambacérès ne travaille pas seul aux différents projets de Code civil, même si son rôle est prépondérant. « Le texte soumis à la Convention [le premier projet de Code civil] présente une relative unité de rédaction qui laisse supposer que l’ensemble du projet a été revu par Cambacérès, mais le travail de préparation a été réparti entre plusieurs membres du comité de législation. Le premier projet de Code civil fut signé par onze députés. […] On peut penser que Merlin de Douai, Garran-Coulon, Berlier, Oudot, Bezard et Bar furent les principaux collaborateurs de Cambacérès. […] [Le rôle de Garran-Coulon] dans l’élaboration des règles successorales a été pratiquement démontré », Jean-Louis Halpérin, L’impossible Code civil, op. cit., p. 118-119.
1253 Cf. Jean-Louis Halpérin, L’impossible Code civil, op. cit., p. 147-149 et 268. Sur le projet définitif de Code civil, cf. infra, § 2.
1254 Ambroise Colin, « Le droit de succession dans le Code civil », op. cit., p. 300.
1255 Par exemple, les donations à cause de mort du premier projet de Code civil, qui devaient remplacer les testaments, redeviennent révocables. Cf. Jean-Louis Halpérin, L’impossible Code civil, op. cit., p. 206. Ou encore, les deux premiers projets de Code civil prévoyaient « l’administration commune et égalitaire des biens du ménage par les deux époux. Le troisième projet […] revenait au contraire à l’incapacité de la femme mariée sous le régime de la communauté et empruntait davantage à la tradition doctrinale de l’ancien droit », Jean-Louis Halpérin, « Le droit privé de la Révolution… », op. cit., p. 144. Par ailleurs, on sait que Cambacérès était « toujours très prudent et fondamentalement opportuniste », Jean-Louis Halpérin, L’impossible Code civil, op. cit., p. 137.
1256 « L’originalité de la période révolutionnaire en matière de droit de la famille tient […] à l’existence de projets de réforme qui ne sont pas restés sans conséquences, alors même qu’ils ne sont pas passés à l’état de lois », Jean-Louis Halpérin, « Le droit privé de la Révolution… », op. cit., p. 143.
1257 Ibidem, p. 142.
1258 Elle sera consacrée par le Code civil. « D’autres articles sont repris au projet Jacqueminot. C’est le cas de l’article 732 : ‘la loi ne considère ni l’origine ni la nature des biens pour en régler la succession’. L’unité passive du patrimoine avait été admise dès 1537 par la Jurisprudence du Parlement de Paris. À la fin de l’Ancien Régime, Pothier pouvait écrire : ‘on ne considère ni la cause ni l’origine des dettes’. Mais l’unité active et passive de la masse successorale est un acquis du droit révolutionnaire », Jean Gaudemet, « Pothier et Jacqueminot à propos des sources… », op. cit., p. 383.
1259 Malgré le dédain qu’on manifestera à l’égard de la loi du 17 nivôse an II : « C’était l’abus de l’imagination échauffée par une théorie brillante de métaphysique, la destruction de toute autorité paternelle, une égalité injuste, qui interdisait tout secours pour l’enfant disgracié de la nature, ou frappé par l’inconstance de la fortune ». Intervention de Tronchet, lors de la séance du 21 pluviôse an XI (10 février 1803), Fenet, tome XII, p. 305. De son côté, Maleville estime qu’il « ne faut pas tenir compte des temps révolutionnaires, où l’on avait rêvé l’égalité parfaite en toutes choses », Fenet, tome XII, p. 308.
1260 « Le droit positif sera retouché, modifié sans que le législateur apporte la moindre réserve à ce principe d’unité alors que dans d’autres matières le Code civil laisse une part non négligeable à la volonté des parties (principe de l’autonomie de la volonté) ou tient compte des différences locales (régimes matrimoniaux) ou renvoie aux usages (propriété, servitudes) », Jean-Jacques Clère, « De la Révolution au Code civil : les fondements philosophiques… », op. cit., p. 16.
1261 Jean Bart, « Il sera fait un code de lois civiles communes à tout le royaume », in La famille, la loi, l’État, op. cit., p. 262.
1262 « Dans une continuité assez remarquable, la Monarchie et les Assemblées révolutionnaires n’avaient jamais cessé de mettre en œuvre leur grand dessein d’unification des pratiques successorales au profit de l’égalité largement répandue dans le droit coutumier. Des ordonnances d’Aguesseau aux lois de nivôse, l’idée et la pratique de l’égalité firent des progrès mais sans qu’ait été véritablement entamé le bastion des traditions des pays de droit écrit. Le paradoxe est qu’il appartint à l’État bonapartiste puis napoléonien, hypercentralisateur dans bien d’autres domaines, de fabriquer le compromis qui devait permettre, ensuite, aux conceptions différentes de la famille, de la propriété et de l’organisation sociale, propres à certains ensembles socioculturels bien connus, de continuer à s’exprimer à travers l’alliance, l’héritage et la succession », Joseph GOY, « Le paradoxe de la codification… », op. cit., p. 260.
1263 Jean-Louis Halpérin, L’impossible Code civil, op. cit., p. 274.
1264 L’article précis sur la légitime est adopté lors de la séance du 21 pluviôse an XI (10 février 1803), en suivant la proposition de la section et l’amendement de Cambacérès. Cf. Fenet, tome XII, p. 319.
1265 Jean-Louis Halpérin, L’impossible Code civil, op. cit., p. 275.
1266 Ibidem, p. 267.
1267 Fenet, tome II, Projet de la commission du Gouvernement, p. 276-277.
1268 Ibidem, tome XII, p. 259.
1269 Un seul membre intervient pour exposer sa conception sur l’égalité des partages. Il reconnaît la justesse d’admettre des exceptions à l’égalité stricte, laissées au jugement du père. Mais il s’oppose à la possibilité de donner la quotité disponible à un des enfants. Son opinion ne sera pas suivie. Cf. Fenet, tome II, Observations du tribunal de Cassation, p. 699.
1270 Ibidem.
1271 Fenet, tome V, Observations sur différents titres ou articles du projet, présentées au Gouvernement par la commission du tribunal d’appel du département de la Vienne, séant à Poitiers, rédigées en présence et de l’avis des membres du tribunal, p. 312. Il y a une seule observation sur l’art. 98 de ce titre, au sujet de la charge des frais de demande de la délivrance d’un legs.
1272 Ibidem, tome IV, Observations du tribunal d’appel séant à Nancy, p. 613.
1273 Ibidem, tome IV, Observations du tribunal d’appel séant à Metz, p. 401.
1274 Ibidem, tome III, Observations présentées par le tribunal d’appel séant à Caen, p. 442, Observations du tribunal d’appel séant à Colmar, p. 484, Observations du tribunal d’appel séant à Douai, p. 524.
1275 Ibidem, tome III, Observations du tribunal d’appel séant à Bourges, p. 240.
1276 Ibidem, tome V, Observations du tribunal d’appel séant à Toulouse, p. 606, Observations du tribunal d’appel séant à Nîmes, p. 23. Le tribunal de Riom n’a pu analyser que le premier livre, faute de temps. Il n’a donc fait aucune observation sur la légitime. Cf. Fenet, tome V, Observations du tribunal d’appel séant à Riom, p. 445.
1277 Le tribunal d’appel d’Orléans estime que la gradation d’héritiers est bien rapide ; il voudrait étendre les dispositions de l’article 16 au profit des neveux et des oncles : « La gradation paraît bien rapide. Il semble que celui qui, ayant des parents proches, pourrait disposer librement de la moitié de tous ses biens ne pourrait pas se plaindre d’être trop gêné par une loi dont peut-être il aurait d’ailleurs lui-même profité. La réserve d’un quart pour des neveux et nièces, qui ordinairement regardent un oncle, une tante comme de seconds père et mère, est bien peu de chose. Serait-ce donc trop de deux tiers ? Pourquoi même ne seraient-ils pas placés au même rang que les frères et sœurs qu’ils représentent ? Ils ne doivent pas être moins chers. Les petits-neveux ne sont pas moins favorables. La libre disposition de moitié aurait lieu dans le cas où le donateur ne laisserait que des cousins germains, et de la totalité s’il ne laissait aucun parent dans ce degré. Les enfants de deux frères sont si proches ! C’est en quelque sorte d’autres frères : il semble que la loi doit conserver cette union des familles ; c’est peut-être de tous les liens qui nous attachent à la patrie, le plus doux et conséquemment le plus fort ». Cf. Fenet, tome V, Observations des membres composant la commission du tribunal d’appel séant à Orléans, p. 74-75. Le tribunal d’appel d’Amiens se prononce dans le même sens : « Ayant déjà proposé d’étendre la représentation aux petits-neveux et petites-nièces, il y a aussi lieu de les comprendre dans cet article [16], comme ayant droit à la réduction », cf. Fenet, tome III, Rapport fait au tribunal d’appel séant à Amiens, p. 138. Voir aussi les observations du tribunal de Lyon, dans le même sens. Cf. ibidem, tome IV, Observations présentées par les commissaires nommés par le tribunal d’appel de Lyon, p. 156-157.
1278 Le tribunal d’appel de Bordeaux fait uniquement des remarques à propos de l’intervention des notaires dans le testament. Cf. Fenet, tome III, Observations proposées par le tribunal d’appel séant à Bordeaux, p. 198. Le tribunal de Besançon fait des observations sur le fait de ne pas imputer sur la quotité disponible les biens donnés avant l’entrée en vigueur de la loi. Cf. ibidem, tome III, Observations du tribunal d’appel séant à Besançon, p. 171.
1279 Fenet, tome V, Observations du tribunal d’appel établi à Rennes, p. 330.
1280 Ibidem, p. 384.
1281 Observations sur les articles 18 et 19 du projet. Cf. Fenet, tome III, Observations présentées au Gouvernement par les commissaires du tribunal d’appel séant à Angers, p. 151.
1282 Ibidem, tome V, Observations arrêtées par le tribunal d’appel séant à Rouen, d’après et sur le rapport de sa commission, p. 526.
1283 Ibidem, tome III, Observations du tribunal d’appel séant à Bruxelles, p. 276.
1284 Cf. ibidem, tome III, Rapport fait au tribunal d’appel séant à Agen, p. 17-18. L’argument économique est aussi mis en avant : « D’autre part, la situation politique de l’État ne proscrit-elle pas impérieusement cette division, en rapport, même en concurrence avec des nations commerçantes et riches ? Quel serait le sort de la France ? Comment pourrait-elle entretenir ces rapports et cette concurrence si, par un effet nécessaire de ses lois, les citoyens sont privés des moyens de se livrer à de grandes spéculations de commerce et d’agriculture ? L’aperçu de ces considérations générales suffit pour faire sentir la nécessité de la correction proposée », cf. ibidem.
1285 Fenet, tome III, Observations des commissaires nommés par le tribunal d’appel séant à Dijon, p. 503-504.
1286 « Tous les enfants doivent, sans doute, avoir une portion égale sur le patrimoine des auteurs de leurs jours, mais tous ne sont pas propres au même genre de travail. Que la loi laisse donc au père de famille le précieux avantage de consolider cette égalité par une division relative aux facultés intellectuelles, aux goûts et aux convenances de chacun de ses enfants », Fenet, tome III, Rapport fait au tribunal d’appel séant à Aix, p. 52.
1287 « Le quart de la succession que cet article accorde aux neveux et nièces, lorsque le défunt ne laisse ni enfants, ni ascendants, ni frères et sœurs, donnera souvent lieu à de nombreuses difficultés, eu égard, en général, au grand nombre de neveux et à la modicité de la majorité des fortunes. Ne vaudra-t-il pas mieux permettre, en ce cas, de disposer de la totalité de ses biens ? », Fenet, tome III, Observations présentées par la commission nommée par le tribunal d’appel séant à Grenoble, p. 575.
1288 « La réduction de la portion disponible au quart, à la moitié et aux trois quarts, selon les différents cas, gêne un peu trop l’exercice du droit de propriété. Cette disposition du projet force le père de laisser une portion égale de ses biens aux enfants qui ont démérité auprès de lui, sans pouvoir gratifier ceux qui en ont bien mérité : inconvénient très grave, surtout à l’égard des collatéraux, qui ne peuvent non plus gratifier les proches de qui ils ont reçu des satisfactions et des services », Fenet, tome IV, Observations faites par les membres de la commission nommée le 21 germinal dernier par le tribunal d’appel séant à Montpellier, p. 452.
1289 « La disposition de l’article 16, tit. IX, liv. III, ne fera pas cesser la cause de ces actes frauduleux qui engendraient tant de procès ; la commission croit qu’il faut enfin permettre à celui qui n’a pas de descendants légitimes de disposer, par acte de dernière volonté, de la totalité de ses biens », Fenet, tome III, Observations présentées par la commission nommée par le tribunal d’appel séant à Liège, p. 628.
1290 Cf. Fenet, tome IV, Observations du tribunal d’appel séant à Limoges, p. 18.
1291 Expression utilisée par le tribunal d’appel de Limoges, cf. Fenet, tome IV, p. 22.
1292 Ibidem, tome V, Observations des commissaires du tribunal d’appel séant à Paris, p. 255.
1293 Cf. ibidem, tome V, p. 256.
1294 « Dans la révolution, on a cru faire mieux en étendant la légitime jusqu’aux cinq sixièmes ; et l’on était conséquent parce qu’on voulait anéantir l’autorité paternelle. Mais les rédacteurs du Code civil, qui se proposent de la rétablir, ont dû voir les choses d’un autre œil ; et il était digne de leur sagesse, en abandonnant la fixation excessive des trois quarts, momentanément adoptée par la loi transitoire de l’an 8, de revenir à la quotité ancienne, celle de moitié », cf. Fenet, tome V, p. 257.
1295 « En second lieu, il est juste d’accorder pareillement une légitime aux ascendants sur les biens de leurs enfants. Le fils doit des aliments au père, comme le père en doit au fils. Et quoique la succession du fils, ainsi que l’observe la loi, ne soit pas destinée au père, selon l’ordre et le vœu de la nature, néanmoins, le cas arrivant, la piété filiale ne permet pas que le père en soit privé pour la transférer à d’autres personnes, ou étrangères au défunt, ou qui ont avec lui des relations moins intimes. C’est ce qu’avaient senti les législateurs romains, dont les dispositions étaient suivies religieusement dans les pays de droit écrit. On s’en était écarté en pays coutumier, mais à regret, et par une raison particulière. Les coutumes n’accordaient aux père et mère et autres ascendants, que la succession des meubles et acquêts ; elles déféraient à d’autres personnes la succession des propres ; et comme elles ne permettaient de tester, à l’égard des propres, que d’une très petite portion (le quint à Paris), il s’ensuivait que, si l’on eût donné une légitime aux ascendants, comme elle n’aurait pu être prise que sur les meubles et acquêts le testateur n’aurait eu presque rien de disponible. C’est cette considération qui avait déterminé le Parlement de Paris, après beaucoup de variations et de grands débats, à refuser définitivement aux ascendants le droit de légitime. Aujourd’hui que toute distinction de biens est abolie, et que la succession d’un défunt ne présente plus qu’un seul patrimoine, cette considération ne subsiste plus. Ainsi, c’est avec justice que les auteurs du projet du Code ont assuré une légitime aux ascendants. On peut la fixer à moitié comme celle des enfants, on peut la réduire à un taux inférieur, comme étant moins favorable, au tiers par exemple : nous nous en rapportons là-dessus aux rédacteurs », Fenet, tome V, Observations des commissaires du tribunal d’appel séant à Paris, p. 257-258.
1296 Ibidem, tome V, p. 259.
1297 Cf. Fenet, tome XII, p. 303.
1298 « Le régime successoral du Consulat n’a pas un esprit propre. Il cherche à ne sacrifier ni l’individu à la famille, ni la famille à l’individu. Il favorise tout à la fois la conservation et la circulation des biens. C’est un compromis ; ce n’est pas un système homogène, original, qui déroule suivant une logique harmonieuse les conséquences de son principe générateur », Philippe Sagnac, La législation civile de la Révolution française, Paris, 1898, p. 354.
1299 Bigot-Préameneu, Rapport sur la disposition du titre des donations entre vifs et des testaments, discussion du Conseil d’État, 30 nivôse an XI (20 janvier 1803), in Fenet, tome XII, p. 246.
1300 Cf. l’intervention de Cambacérès pendant la discussion du Conseil d’État : « On est d’accord sur la nécessité d’accorder une légitime aux enfants, on ne se divise que sur la quotité », Fenet, tome XII, p. 260. L’idée de graduer la légitime selon le nombre d’enfants est de Cambacérès. Cf. ibidem. Même constat de la part de Tronchet : « On est d’accord sur cette nécessité [de donner la légitime]. La discussion ne peut donc plus tomber que sur la quotité de la légitime », ibidem, p. 301.
1301 Bigot-Preameneu, Rapport sur la disposition du titre des donations entre vifs et des testaments, discussion du Conseil d’État, 30 nivôse an XI (20 janvier 1803), in Fenet, tome XII, p. 251. Dans le même sens, Treilhard affirme que « la réserve des propres était un système absolument différent de celui de la légitime », ibidem, p. 325. « On ne peut tirer aucun argument du système des propres. Le retour par ligne qu’il établissait prouve qu’il n’était pas mesuré sur les degrés de l’affection, mais qu’il était fondé sur l’intention de conserver les biens dans les familles », intervention de Bérenger, ibidem, p. 326.
1302 Bigot-Preameneu, Rapport sur la disposition du titre des donations…, Fenet, tome XII, p. 247.
1303 Pour Maleville, les motifs de l’ancien législateur pour fixer la légitime à la moitié étaient : « Faire une part égale au droit de propriété et à la piété filiale », « mettre les pères en état de compenser entre leurs enfants les désavantages qui résulteraient entre eux de la nature ou de la fortune », « placer dans leurs mains des peines et des récompenses pour maintenir dans les familles la subordination et la tranquillité d’où dépend le repos de l’État ». Cf. Maleville, Fenet, tome XII, p. 309.
1304 « Le droit coutumier, en donnant les propres aux collatéraux, et en donnant aux descendants la libre disposition des meubles et acquêts, ne prenait point assez en considération les devoirs et les droits qui résultent des rapports intimes entre les pères et mères et leurs enfants », Bigot-Preameneu, rapport sur la disposition du titre des donations…, ibidem, tome XII, p. 249.
1305 Bigot-Préameneu, ibidem, tome XII, p. 250.
1306 Art. 732 du Code civil : « La loi ne considère ni la nature ni l’origine des biens pour en régler la succession ».
1307 Bigot-Préameneu, in Fenet, tome XII, p. 319. « C’est dans cet esprit que la section propose la troisième partie de l’article 18 ». Dans le même sens, le premier consul observe que « la réserve d’un quart qu’on propose remplacerait ce système [la réserve des propres] et conduirait au même résultat, en conservant les biens dans la famille », ibidem, p. 323.
1308 Ibidem, p. 324.
1309 Jean-Jacques Clère, « De la Révolution au Code civil : les fondements philosophiques… », op. cit., p. 31.
1310 Joseph Goy, « Le paradoxe de la codification… », op. cit., p. 260.
1311 Cf. Jacques de Maleville, Analyse raisonnée de la discussion du Code civil au Conseil d’État, 3e éd., Paris, 1822, tome II, p. 333 et s. La 1e édition date de 1805.
1312 « Cette portion que la loi leur assure était appelée autrefois légitime. Le Code Napoléon lui donne le nom de réserve. Ce dernier mot est emprunté au droit coutumier, qui désignait par là la portion que les coutumes assuraient aux héritiers de côté et ligne, afin de conserver dans les familles les propres, ou biens hérités. Ces réserves, appelées coutumières et fondées sur certaines exigences du droit positif, étaient distinguées de la légitime qui était due par nature », Raymond-Théodore Troplong, Droit civil expliqué. Des donations entre vifs et des testaments, Bruxelles, 1855, tome 1, n. 738, p. 249-250.
1313 Charles Demolombe, Cours de Code Napoléon (vol. xix). Traité des donations entre vifs et des testaments, tome II, 3e éd., Paris, Durand-Hachette, 1868, p. 34.
1314 Cf. ibidem.
1315 Fenet, tome XII, p. 260.
1316 Coin-Delisle, Commentaire analytique du Code civil, d’après la doctrine des auteurs et la jurisprudence des arrêts, Paris, 1841, p. 121. Cet auteur précise que « ce qu’il importe surtout de remarquer, c’est qu’en circonscrivant la faculté de disposer ou, pour mieux dire, les effets des dispositions à peu près dans les mêmes limites qu’en pays de droit écrit, le législateur a préféré le nom de réserve à celui de légitime. Cette dénomination n’est point indifférente. En droit romain et dans les pays de droit écrit, où la volonté de l’homme faisait les héritiers, où la légitime s’était établie contre l’esprit général de la législation, comme une faveur introduite par l’équité contre la volonté souveraine du testateur, la légitime ne dépendait pas de la qualité d’héritier, mais de celle d’enfant ou d’ascendant. C’était une part des biens et non de l’hérédité. C’était une créance et non un droit successif. D’où il suivait qu’on pouvait être légitimaire sans être héritier ; que la légitime devait être délivrée par l’héritier testamentaire, qu’on l’obtenait même en répudiant la succession, et que la jouissance à titre de légitime de la portion de biens qui la constituait n’était point réputée acte d’héritier […] », ibidem, p. 120.
1317 Ibidem.
1318 « Dans un système qui ne manifeste clairement sa préférence ni pour la succession légale, ni pour la succession testamentaire, la réserve devient d’analyse difficile. Faute de savoir laquelle de la dévolution légale ou de la dévolution testamentaire constitue le principe, on ne sait si elle est une institution naturelle ou correctrice. Et, du même coup, sa réglementation procède d’un certain empirisme », cf. Michel Grimaldi, op. cit., n. 283, p. 278.
1319 « Il est bien évident, en effet, que la réserve de notre Code civil, avec le nom et les caractères juridiques d’une réserve, rappelle bien plutôt la légitime par sa raison d’être et par son application aux seuls descendants et ascendants », Paul LEFEBVRE, Le droit commun des successions d’après les coutumes rédigées et la jurisprudence du Parlement de Paris, Sirey, Paris 1911, p. 197-198.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Histoire du droit de la guerre (1700-1819)
Introduction à l’histoire du droit international
Jean-Mathieu Mattéi
2006
Les régimes matrimoniaux en Provence à la fin de l’Ancien Régime
Contribution à l’étude du droit et de la pratique notariale en pays de droit écrit
Jean-Philippe Agresti
2009