Préface
p. 7-8
Texte intégral
1« Il a toujours été difficile de découper l'histoire en périodes... En fait souvent les périodes s'emboîtent les unes dans les autres, et le futur traînera longtemps des paillettes du passé. C'est vrai en général, mais davantage encore quand le droit est en cause »1.
2L'histoire de la pénétration et de la diffusion à partir du xvie siècle de la légitime romaine en pays de coutumes magistralement retracée par madame Peguera-Poch, illustre parfaitement cette réflexion du doyen Carbonnier. C'est une histoire lente et complexe où « les périodes s'emboîtent les unes dans les autres » à l'exception, peut-être, de la période révolutionnaire. La pénétration de la légitime en pays de coutumes, était un fait connu mais il n'avait jamais été étudié de manière approfondie. Il était constaté beaucoup plus qu'expliqué, analysé éventuellement dans sa mise en œuvre technique mais non dans sa raison, ses raisons, d'être en ces pays de coutumes. Pourquoi à côté de la fameuse réserve coutumière portant sur les biens propres dits de succession, c'est-à-dire les biens immeubles que le de cujus avait reçus au cours de sa vie par succession ou par donation de ses ascendants, la légitime romaine qui porte sur l'ensemble des biens du de cujus a-t-elle fait son apparition en France septentrionale ? Pourquoi et comment s'est-elle diffusée durant les deux siècles qui précèdent la Révolution ? Cette diffusion n'a-t-elle pas eu des conséquences tant pour la réserve coutumière que pour la légitime elle-même ? Juriste, philosophe, historienne, madame Peguera-Poch a su mettre à profit la triple formation universitaire qu'elle avait reçue pour répondre à toutes ces questions et offrir une remarquable étude du phénomène. Un phénomène clé pour comprendre la future réserve héréditaire du Code Napoléon. Sur la base d'une analyse approfondie et méticuleuse d'un très grand nombre de coutumes rédigées et réformées, des écrits de leurs commentateurs mais aussi de l'ensemble de la doctrine et de la jurisprudence des trois siècles durant lesquels il se déroule, l'auteur a su dégager l'esprit qui anime sur ce point l'évolution du droit successoral. L'esprit de l'évolution, mais aussi tout ce qui l'alimente tant intellectuellement qu'économiquement ou socialement.
3La pénétration de la légitime en pays de coutumes n'est pas en effet simple réception d'une solution romaine, telle qu'elle figurait dans le dernier état du droit de Justinien. Comme toute institution transposée dans un cadre différent de celui qui l'a vu naître, elle se modifie pour s'adapter à son nouvel environnement juridique. Modification substantielle au terme d'un jeu d'influences, d'ailleurs réciproques, entre réserve et légitime, analysé avec beaucoup de nuances et de subtilité par madame Peguera-Poch dont la thèse met en évidence le rapprochement progressif des deux institutions. Un rapprochement qui, sans altérer la nature profonde de la légitime, annonce les solutions du futur Code civil dont les rédacteurs recueilleront sous le nom de réserve, la légitime coutumière, ce « pont entre les deux aires de géographie juridique » qui caractérisent l'Ancien Régime.
4Servie par une plume élégante qui en rend la lecture aisée, la thèse de madame Peguera-Poch constitue une contribution de premier ordre pour la compréhension d'une institution qui demeure, à juste titre, fondamentale en droit successoral français. Maintenir l'équilibre entre les droits de l'individu et les droits de la famille, entre ce que l'on pourrait aussi nommer les droits et les devoirs de l'individu, n'est-il pas, plus que jamais, nécessaire ?
Notes de bas de page
1 Jean Carbonnier, introduction à : Droit et passion du droit sous la Ve République, Paris, 1996, p. 7.
Auteur
Professeur émérite à l’Université de Paris II
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