Introduction à la première partie
p. 57-58
Texte intégral
1Rome a connu deux principaux types de mariages. À l’époque ancienne, des femmes se trouvaient soumises à la manus de leur mari tandis que d’autres n’y étaient pas. Cela a conduit les auteurs à distinguer deux sortes de mariages en droit romain avec ou sans manus : cum manu et sine manu. Le mariage cum manu correspond au modèle patriarcal de la famille : la femme entre sous la puissance du mari ou du père de celui-ci, si le mari est fils de famille. Dans le mariage sine manu la femme n’est pas placée sous la puissance de son mari. Elle reste juridiquement dans sa famille d’origine et est soumise à la puissance de son père, si celui-ci est toujours vivant.
2Le mariage cum manu a dominé de l’époque ancienne à l’époque classique. Il reposait en droit romain sur deux principes : l’unité de la famille et l’unité du patrimoine familial. Dans le mariage cum manu, la femme placée sous l’autorité de son mari, était incapable et ne pouvait pas avoir de patrimoine. Si elle a des biens, à savoir si elle sui iuris au moment du mariage, le mari en devient le propriétaire200. La femme qui entre dans la famille de son mari ne fait plus partie de sa famille d’origine. Elle va trouver dans sa nouvelle famille une garantie de ressources car, en cas de prédécès de son époux, elle héritera de celui-ci, étant considérée comme une de ses filles. Le plus souvent, le mari épousait cum manu, une fille de famille alieni juris et celle-ci ne lui apportait rien. Dès l’époque ancienne un correctif va être apporté à cette situation. En effet, le père de la future mariée va faire une donation à son futur gendre pour aider ce dernier à supporter les charges du mariage et compenser la perte des droits successoraux de sa fille. Il s’agit de la dot.
3Mais la famille se transforme à l’époque classique avec un affaiblissement de l’autorité du pater familias, une émancipation de la femme et un progrès de l’individualisme liés aux bouleversements sociaux, intellectuels, religieux et moraux du iie siècle avant notre ère. La manus est en déclin. Se développe alors un deuxième type de mariage, appelé sine manu.
4Ce mariage devient habituel à l’époque classique et doit concilier deux exigences : la femme reste juridiquement dans sa famille d’origine, néanmoins il y a une communauté de vie entre époux. Ce mariage entraîne peu d’effets sur le plan patrimonial et les époux apparaissent, l’un vis-à-vis de l’autre, comme des étrangers. Ils sont placés sous le régime matrimonial de la séparation totale des biens et il n’y a aucun droit successoral entre eux. Parfois la femme - ou son père pour elle201 - va tout de même faire une donation à son mari d’une dot pour soutenir les onera matrimonii. Dès le deuxième siècle avant notre ère la constitution de dot devient une chose normale. Elle est souvent considérable et constituée en argent202.
5Dans les deux cas, la dot n’est donc pas en droit romain une simple libéralité faite au mari car elle a pour but de contribuer aux charges du mariage. Dans le mariage sine manu la femme est ou devient sui iuris à la mort de son père, c’est-à-dire qu’elle est appelée à avoir un patrimoine. Pendant le mariage ses biens forment deux blocs distincts : les biens constitués en dot au mari et ceux qui ne l’on pas été, ce que les romains appelaient « choses qui sont en dehors de la dot » res extra dotem constitutae ou encore biens paraphernaux, du grec pherné (dot). Le mariage sine manu va servir de modèle au mariage en pays de droit écrit et particulièrement à la fin de l’Ancien Régime, après une maturation de plusieurs siècles des institutions du droit romain en matière de régimes matrimoniaux203.
6La distinction entre pays de coutumes et pays de droit écrit et plus généralement le pluralisme juridique d’Ancien Régime ne trouvent pas plus belle illustration qu’en matière de régimes matrimoniaux même si de nombreuses études ont montré qu’au cours du Moyen Age des tendances communautaires se sont développées dans les pays de droit écrit et que celles-ci se rencontrent encore à la fin du xviie et au début du xviiie siècle. Cependant, le droit des régimes matrimoniaux en Provence à la fin de l’Ancien Régime tend de plus à plus à se rapprocher de l’esprit du droit romain et d’un principe à la fois théorique, exprimé par les juristes du temps, et pratique, dans l’application qu’en font les notaires, de séparation des fortunes sans collaboration organisée, ni permise. On ne retrouve aucune allusion à une communauté de biens, pas plus d’ailleurs qu’à un quelconque pouvoir général du mari sur les biens de son épouse en dehors d’une stipulation expresse dans un contrat de mariage. En vertu des principes romains attachés à la séparation des fortunes, les droits du mari sur les biens de son épouse ne seront pas fondés sur la célébration du mariage mais sur la constitution formelle d’une dot. Aussi, le mari ne pourra prétendre à aucun droit sur les biens qui n’auraient pas été déclarés ou établis comme étant dotaux. Le vieux principe romain d’une dot constituée ex uxore et remise au mari pour que ce dernier puisse supporter les charges du mariage apparaît comme « l’institution fondamentale de ce régime du Midi, qualifié justement de régime dotal. Oui, la dos ex uxore ad onera matrimonii considérée comme toujours restituable et même devant être fortement sauvegardée en faveur des enfants et des femmes, voilà les bases de ce régime matrimonial rétabli dans notre Midi d’après Justinien »204.
7La constitution de dot, qui se fait le plus souvent au moment de la conclusion d’un contrat de mariage, est également l’occasion pour les époux et leur famille de mettre en place toute une série de dispositions qui, de manière plus ou moins importante, aménage ou altère le régime de séparation de biens qu’est le régime dotal. Deux grands traits vont alors dominer ce régime dotal romain retouché par la volonté des contractants : la mise en place d’une communauté de vie entre parents et enfants et les clauses relatives à l’organisation de la succession des familles ainsi qu’au sort du conjoint survivant. En effet, le principe de la liberté des conventions matrimoniales permet aux époux d’aménager leur régime dotal.
8Les régimes matrimoniaux en Provence à la fin de l’Ancien Régime reposent donc, à la lumière de nos sources, sur deux fondements avérés. D’une part, l’attachement aux caractères romains séparatistes des relations pécuniaires entre époux se présente comme le socle commun du droit applicable en matière de régimes matrimoniaux (TITRE I). D’autre part, la liberté des conventions matrimoniales permet aux époux, sous l’influence de leur famille, de modifier certains caractères du régime dotal par l’apport de clauses qui en modifient parfois la teneur. Même si le vocabulaire utilisé par les notaires reste, en tout point, conforme aux règles de la séparation de biens, cette diversité fait que chaque contrat de mariage est un acte bien particulier suivant les clauses qui y sont portées (TITRE II).
Notes de bas de page
200 Il en va de même des acquisitions que la femme pourrait faire durant le mariage.
201 La dot est alors constituée en avancement d’hoirie.
202 J. GAUDEMET, Droit privé romain, Montchrestien, Domat droit privé, 2ème édition, Paris, 2000, p. 59.
203 Il convient de se reporter sur l’ensemble de cette question à : P.-F. GIRARD, Manuel élémentaire de droit romain, Edition revue et mise à jour par Félix Senn, Réédition présentée par J.-P. Lévy, Dalloz, Paris, 2003, pp. 180-184.
204 C. LEFEBVRE, L’histoire du droit matrimonial français. Le droit des gens mariés aux pays de droit écrit et de Normandie, Cours de doctorat (1910-1911), Sirey, Paris, 1912, p. 42.
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