Introduction
p. 17-54
Note de l’éditeur
Nous avons conservé l’orthographe, le style et la ponctuation de nos sources manuscrites et imprimées. Les seules modifications consistent aux remplacements des dates et montants écrits en toutes lettres par des chiffres.
Texte intégral
« Le mariage fait deux sortes d’engagements ; celui que forme l’institution divine du Sacrement qui unit le mari et la femme, et celui qui fait le contrat de mariage par les conventions qui regardent les biens »1.
1Le célèbre jurisconsulte provençal avocat au Parlement de Provence et professeur de droit aixois Jean-Joseph Julien définissait ainsi le mariage au xviiie siècle : « Le mariage est l’engagement de l’homme et de la femme, pour vivre ensemble dans l’union conjugale […]. C’est une société pour toute la vie, la communication du droit divin et humain […]. Il est d’institution divine. C’est un contrat naturel et civil que la Loi de l’Evangile a élevé à la dignité de Sacrement »2.
2Entre contrat et sacrement, la conception du mariage a évolué au fil des siècles. À Rome, le mariage n’a jamais été qualifié de contrat3. L’Eglise de son côté a fait du mariage l’un des sept sacrements. Trouvant son origine dans un passage de la Genèse, c’est saint Paul le premier qui en comparant l’union conjugale à celle du Christ et de l’Eglise parle de sacramentum4. Doctrine développée par les Pères de l’Eglise, celle-ci devient unanime à l’époque de saint Grégoire le Grand au viie siècle.
3C’est à la fin du xie siècle que la notion du mariage-contrat fait son apparition chez les civilistes, héritée sans doute d’une idée de societas formée par les époux. Comme le note le professeur Anne Lefebvre-Teillard : « Même s’il est indissociable du sacrement dont il constitue la matière, le contrat n’en est pas moins une notion profane qui « juridicise » le sacrement divin, le fragilise »5. Largement diffusée par les civilistes la notion de contrat a été adoptée par les canonistes et les théologiens qui peuvent ainsi mieux analyser le consentement, fait générateur du mariage6.
4La conception du mariage-contrat, soutenue par certains auteurs, a été utilisée au xviie siècle par les juristes gallicans et par le pouvoir royal à l’appui de la contestation de la compétence exclusive des tribunaux ecclésiastiques en matière de mariage, et dans une argumentation globale qui revendiquait pour l’Etat une compétence en matière matrimoniale7. La conception du mariage-contrat à laquelle les théologiens et les canonistes avaient souscrit a formé le point de départ de ces revendications. Si le sacrement relève de l’Eglise, le mariage en tant que contrat est, comme les autres contrats, de la compétence séculière. À cette argumentation, les réponses sont faibles : canonistes et théologiens restent sur la défensive et n’innovent guère, se retranchant derrière les définitions du Concile tridentin8. À la fin du xviiie siècle, Pothier pour qui le mariage est un contrat que Jésus-Christ a élevé à la dignité de sacrement a concilié les différentes conceptions du mariage en affirmant : « il est tout à la fois et contrat civil et sacrement »9. De même pour l’opinion éclairée le mariage est bel est bien un contrat. Sous la plume de Voltaire, le mariage est « un contrat du droit des gens dont les catholiques romains ont fait un sacrement »10.
5L’ambiguïté terminologique vient du fait que, pour désigner deux réalités bien distinctes dans leur esprit, les juristes de l’ancien droit utilisent la même expression « contrat de mariage » -qu’ils emploient pour désigner le mariage et les conventions matrimoniales. Au xviiie siècle, même si Pothier traite du mariage stricto sensu dans un ouvrage intitulé Traité du contrat de mariage, il reconnaît que : « le terme de contrat de mariage est équivoque : il est pris dans ce traité pour le mariage même ; ailleurs il est pris dans un autre sens, pour l’acte qui contient les conventions particulières que font entre elles les personnes qui contractent mariage »11. D’autres juristes du xviiie siècle, comme Denisart, réservent l’expression contrat de mariage à l’« acte qui règle les conditions de la société qui se forme entre les futurs époux »12. Ils distinguent l’union des époux des conventions faites dans le but de cette union et ce même s’ils considèrent le mariage, non pas seulement comme un sacrement, mais aussi comme un contrat13. Claude-Joseph de Ferrière précise d’ailleurs dans son Dictionnaire de droit et de pratique que : « Contrat de mariage se prend quelques fois pour le consentement solennel prêté, par le mari et la femme, selon les Loix de l’Etat en face de l’Eglise, par lequel ils se prennent pour mari et femme et se promettent la foi conjugale […]. On entend plus ordinairement par contrat de mariage l’acte ou contrat qui précède la bénédiction nuptiale et qui contient les clauses et conventions faites par rapport au mariage »14. Pour le premier professeur de droit français à l’Université d’Aix Jean-Bapiste Reboul15, le contrat de mariage est tout à la fois « la promesse que l’homme et la femme se font l’un à l’autre de s’entrepouser ce qu’on appelle sponsalia » mais également « la constitution de la dot, les donations réciproques et divers autres articles par lesquels les parties ou leurs parents tuteurs et curateurs ont accoustumé de régler leurs interests et ceux des enfants qui peuvent naître de leur mariage »16.
6Les règles de formation du mariage permettent de distinguer l’union conjugale d’une simple union de fait et donc de déterminer s’il existe des rapports pécuniaires particuliers entre un homme et une femme. Néanmoins, le droit des régimes matrimoniaux s’étudie classiquement indépendamment du droit du lien matrimonial en présumant qu’entre les époux dont on analyse les rapports patrimoniaux il existe un mariage valable tant dans la forme, qu’au fond. Pour qu’un mariage existe, en effet, « il n’est pas nécessaire qu’il y ait un contrat par écrit parce que cet écrit ne concerne en aucune manière le mariage, ni le consentement des parties qui est requis pour sa validité »17.
7Jean-Joseph Julien18 marque bien cette distinction dans ses Elémens de Jurisprudence selon les Loix romaines et celles du Royaume. Il traite des conditions de validité du mariage dans le Titre II Du mariage et des relations pécuniaires entre époux dans le Titre IV Des conventions matrimoniales, de la dot, des avantages nuptiaux19. Pothier lui-même consacre au droit des régimes matrimoniaux des développements spéciaux dans son Traité de la communauté, différents de ceux figurant dans le Traité du contrat de mariage et relatifs aux conditions de validité de celui-ci20. Dans la dernière édition de la Science des Notaires, Claude-Joseph de Ferrière parle au livre quatrième Du mariage et des Conventions qui se font entre futurs conjoints en consacrant le titre I Du mariage et des conditions requises pour le traiter valablement, le titre II Du mariage des fils de famille et des mineurs, le titre III De ceux qui ne peuvent contracter mariage, titre IV Des contrats de mariage et l’auteur précise en introduction à ce dernier titre : « Contracter mariage, se prend quelques fois pour le consentement solennel, prêté par le mari et la femme en face d’Eglise ; et comme tel il est Sacrement. Quelquefois, aussi il se prend pour l’acte qui contient les clauses et conventions faites touchant ce consentement ; et c’est en ce dernier sens que nous traiterons ici des mariages »21.
8Marguerite Boulet-Sautel notait, en étudiant la pièce de Marivaux Le jeu de l’amour et du hasard (comédie en trois actes et en prose créée en 1730), qu’on perçoit dans cette pièce « une distinction entre les clauses du contrat, de nature temporelle et les effets du sacrement de nature spirituelle. Sur cette distinction, le témoignage de Marivaux est capital, parce qu’il permet de saisir le moment où l’on commence à concevoir la distinction entre une convention matrimoniale, qui relève du notaire, et un sacrement, qui relève du curé »22. Cette distinction apparaît clairement dans les écrits des juristes du xviiie siècle.
9Même si, d’une part, l’organisation des rapports pécuniaires entre époux dépend étroitement de la conception que le milieu social se fait du mariage et de la réglementation qu’il lui en donne et que, d’autre part, l’établissement durable du régime matrimonial dépend de la validité du mariage en la forme et au fond, nous retenons pour la présente étude que, dans la conception qui a cours en France, est en dehors de la sphère du régime matrimonial tout ce qui touche aux conditions de validité du mariage et aux rapports extra-patrimoniaux des époux23.
10Si les archives notariales provençales font référence dans l’intitulé donné à l’acte au « mariage entre sieur X et demoiselle Y », la formule usuelle qu’utilisent les praticiens du Midi dès les premières lignes de l’acte ne laisse planer aucun doute. Elle fait référence à une cérémonie religieuse ultérieure ce qui exclut toute possibilité de confusion entre mariage et conventions matrimoniales : « ensuite du Traité de mariage entre eux conclud qu’ils ont promis faire célébrer et solenniser en face de notre Sainte mère Eglise catholique apostolique et romaine à la première réquisition de l’un d’eux »24. Nous sommes bien en présence de contrats de mariage régissant les rapports pécuniaires entre époux25. Il convient toutefois de noter que les notaires provençaux dans leur intitulé utilisent essentiellement pour désigner les conventions matrimoniales le mot « mariage » et non pas l’expression « contrat de mariage »26. Seuls quelques-uns d’entre eux utilisent cette seconde dénomination, et encore pas exclusivement. Par exemple, l’Aixois Jean-Antoine Baille désigne les conventions qui se passent entre époux relativement à leurs biens sous le titre de « contrat de mariage » dans les registres de 1770 alors que dans les années 1788-1789, il a abandonné cette terminologie pour utiliser l’autre27. En revanche, le notaire marseillais Guairard utilise encore l’expression « contrat de mariage » dans ses registres de minutes à la veille de la Révolution pour désigner les accords patrimoniaux conclus entre les époux et leur famille28. Mais il importe de relever que, quand les notaires dans un acte juridique, autre que celui établissant le régime matrimonial contractuel initial, entendent désigner les conventions matrimoniales des époux ils utilisent toujours les termes de « contrat de mariage » et jamais celui de « mariage »29.
11Il est presque banal de rappeler l’importance des questions financières et des négociations entre les familles préalablement à un mariage sous l’Ancien Régime30. Mais l’amour commence à trouver dans le couple au xviiie siècle une place qui n’a cessé de grandir31. En effet, selon l’auteur anonyme d’un Catéchisme de la morale à l’usage de la jeunesse (1785) : « le nœud sacré du mariage fait à deux époux un devoir strict de s’aimer. Quel enfer que la vie de deux époux désunis ! Pour vivre heureux sous le joug de l’hymen, ne vous y engagez pas sans être aimé […] c’est une espèce de rapt qu’un mariage contracté sans tendresse »32. D’ailleurs, si les contrats de mariage passés devant notaires, à la fin de l’Ancien Régime, sont des actes purement juridiques, l’amour n’y est pas totalement absent. Il se manifeste sous la plume du praticien lorsque les époux prennent des dispositions pour assurer l’avenir du conjoint survivant : « et d’amour mutuel lesdits futurs mariés de l’agrément de leursdits père et mère se sont donnés et donnent par donnation entre vifs et pour cause de noces sçavoir ledit Teste à ladite future épouse de la somme de 100 livres et elle à sondit futur époux de celle de 50 livres à prendre par le survivant d’eux sur les biens du premier décédé »33. Nous retrouvons quelques fois une référence à l’amour entre époux lorsque l’un des deux prend soin d’insérer, dans son testament, des dispositions en faveur de l’autre : « et passant à la disposition de ses biens et héritage ledit sieur Pierre la Croix testateur a légué et lègue à Dame Elizabeth Renée Dairre sa chère et bien aimée épouse tous les fruits et usufruits de son bien et héritage »34. Quelques fois, les avocats provençaux font également référence à l’amour dans leurs consultations. Ainsi, les conseils de la demoiselle Mourraille, les avocats Gassier et Pazery35, précisent dans une instance opposant cette dernière à son époux que « si la demoiselle Mourraille n’eut pas aimé ledit Bourrelly, si elle n’eut pas forcé pour ainsi dire son père », le sieur Bourrelly ne serait jamais devenu son mari36. Claude-Joseph de Ferrière reconnaissait d’ailleurs que l’inégalité des conditions n’était pas un moyen suffisant pour faire déclarer un mariage nul mais que certaines clauses du contrat de mariage pouvaient tout de même être annulées. Se justifiant il ajoutait : « quoique l’amour puisse par son aveuglement rendre égales les personnes du plus bas étage à celles qui sont d’un rang très distingué, les Loix ont cru devoir mettre quelque frein à des alliances d’une trop grande inégalité et ont regardé ces sortes d’habitude avec indignation »37.
12Au xviiie siècle, avec les débuts de l’affirmation de la liberté individuelle, les mariages arrangés ont été plus mal vécus et la trop grande puissance des pères en la matière dénoncée. Cependant l’homogamie reste la règle générale. Dans la noblesse et dans la bourgeoisie ce qui compte pour réussir une union ce n’est pas le sentiment mais l’accord des fortunes et du rang social. On recherche les alliances financièrement et symboliquement intéressantes. Dans ces politiques familiales d’union, la fille joue un rôle essentiel car un bon mariage auréole l’ensemble de la famille38. Dans les milieux populaires, les enjeux socioéconomiques existent également mais ils sont moins lourds dans la mesure où les règles de l’isogamie étaient respectées et l’accord des parents obtenu. À la campagne, l’endogamie est moins grande. Les familles se connaissent, elles s’apprécient. L’attirance personnelle joue sans doute un rôle plus important mais le mariage est aussi le moyen d’unir ses forces et de construire une exploitation viable39. Même si des considérations amoureuses viennent parfois se mêler aux enjeux économiques, les conditions suivant lesquelles les époux se sont mariés restent essentielles pour appréhender le droit patrimonial de la famille sous l’Ancien Régime.
13Le régime des biens entre époux est le statut patrimonial des gens mariés, mais dans le mariage il n’est que l’intendance, laquelle dépend de l’union des personnes sans se confondre avec elle. Alors que l’Ancien Régime est marqué par une remise en cause de la compétence de l’Eglise en matière de mariage et une législation royale centralisatrice, le droit des rapports patrimoniaux entre époux ne fait, quant à lui l’objet, que de très peu d’interventions de l’Etat et reste placé sous le signe de la diversité. En effet, comme le remarque le professeur Bernard Beignier : « à la veille de la Révolution, s’il est un domaine où la mosaïque juridique de l’ancienne France offrait les contrastes les plus saisissants c’était bien en matière de droit de la famille. Plus particulièrement le droit des régimes matrimoniaux s’établissait sur des fondements radicalement différents au Nord et dans le Midi »40.
14Merlin de Douai, lorsqu’il a été pour la première fois question d’unifier la matière sous la Constituante « prit pour cible la question des rapports pécuniaires entre époux : il prétendit qu’en France on changeait de régime matrimonial en changeant de chevaux de poste »41. Ainsi trouve-t-on, de manière générale, dans le Royaume de France, le régime de communauté de biens dans les régions septentrionales et le régime dotal en Aquitaine, en Languedoc et en Provence - sans oublier l’original régime matrimonial Normand42. Malgré le pluralisme du droit des régimes matrimoniaux, on ne décèle pas chez les jurisconsultes du xviiie siècle un désir d’unification de cette branche du droit privé43, même si l’on peut parfois relever des traits généraux ou communs aux pays de droit coutumier et aux pays de droit écrit, comme par exemple l’unité de direction du ménage qui revient « naturellement » au mari44. Néanmoins, Joseph-Jérôme Siméon, ancien avocat au Parlement d’Aix devenu tribun, reconnaissait dans un discours prononcé devant le Corps législatif le 10 février 1804 qu’en matière de droit des régimes matrimoniaux « si l’uniformité plait à l’esprit, la condescendance pour les mœurs et les usages satisfait les cœurs »45.
15Ce n’est qu’avec la réforme majeure de la matière que la notion de régime matrimonial est entrée dans le Code civil. En effet, par la loi n° 65-650 du 13 juillet 1965, entrée en vigueur le 1er février 1966, le titre V du livre III du Code civil « des différentes manières dont on acquiert la propriété », intitulé initialement en 1804 « du contrat de mariage et des droits respectifs des époux », a été totalement réformé. L’intitulé actuel du livre du Code relatif à notre matière est « du contrat de mariage et des régimes matrimoniaux » (Articles 1387 et suivants du Code Civil)46. La liberté des conventions matrimoniales est maintenue par la réforme de 1965 mais le régime dotal, hérité du droit romain et qui était dans la plupart des pays de droit écrit au xviiie siècle - et notamment en Provence - le régime favori des époux, a disparu du Code civil47. La loi de 1965, puis celle du 23 juin 2006, ont assoupli le principe de l’immutabilité des conventions matrimoniales établi par le Parlement de Paris vers la fin du xvie siècle. Ce principe d’immutabilité, qui avait gagné du terrain sous l’Ancien Régime sans jamais être généralisé48, avait été sacralisé par le Code civil qui l’avait formulé « de manière lapidaire, catégorique et rigide »49.
16D’une manière générale, l’évolution du droit des régimes matrimoniaux en France de 1804 à 1989 se caractérise par la conquête tardive de l’égalité juridique50 entre un mari « seigneur et maître » de la communauté et une épouse dont les sociologues ont montré qu’elle était véritablement « la maîtresse de maison »51. Jean Foyer, Garde des Sceaux, avait rappelé la victoire au moment de la rédaction du Code civil des pays de coutumes sur les pays de droit écrit lors des débats à l’Assemblée nationale le 26 juin 1965 : « La partie du Code qui a trait à cette matière est vieillie et l’on pourrait dire qu’elle l’était déjà en 1804. Le Code civil […] s’était borné sur la plupart des points à reprendre les dispositions de la Coutume de Paris »52. Mais Jean Foyer se doutait-il que les réformes qui allaient être mises en place dans la loi du 13 juillet 1965 marqueraient, malgré la disparition du régime dotal, « d’une certaine manière, le retour des traditions du Midi »53 ? En effet, la loi de 1965 réaffirme l’indépendance totale des époux en ce qui concerne leur patrimoine propre. Cette impression d’un retour en grâce du régime séparatiste est également le résultat de la loi du 23 juin 2006 qui remplace le régime de l’indivision entre partenaires pacsés par un régime de séparation de biens pour les pactes conclus postérieurement au 1er janvier 2007. En effet, même si le principe reste « pas de régime matrimonial sans mariage », la filiation entre la formulation de l’article 515-5 du Code civil et celle des articles 1536 et 1538 alinéa 3 est avérée54.
17De nos jours tous ceux qui se marient sans faire de contrat de mariage – immense majorité des Français55 – se trouvent placés en vertu de la loi sous le régime de la communauté réduite aux acquêts. Tous les biens que les époux acquièrent pendant le mariage, autrement qu’à titre gratuit, sont destinés à être partagés par moitié entre eux ou leurs héritiers à la dissolution du régime. C’est le régime légal commun au plus grand nombre en l’absence de contrat de mariage. Mais les futurs époux sont libres de faire un contrat de mariage à condition de passer devant un notaire avant la célébration celui-ci. Ainsi, les futurs époux peuvent, à leur gré, modifier la communauté légale (par exemple en l’étendant à tous les biens) ou l’exclure, en adoptant, suivant les convenances personnelles, tel ou tel modèle de régime sur le catalogue que la loi propose à leur choix (notamment la séparation de biens)56.
18Les pays de droit écrit de manière générale ne connaissaient pas le système mis en place par le Code civil en vertu duquel, lorsque les époux ne se sont pas exprimés sur le régime auquel ils entendent se soumettre, la loi suppléée à leur volonté en instaurant un régime dit légal. Il n’existait aucune législation royale sur la matière des régimes matrimoniaux pas plus d’ailleurs, en Provence, qu’une coutume régionale. Il convenait donc de définir une problématique et de trouver les sources à utiliser afin de dégager un ensemble de règles qui donneraient les éléments caractéristiques des régimes matrimoniaux en Provence à la fin de l’Ancien Régime.
La définition de la problématique
19Si les conventions matrimoniales « sont celles qui sont portées par un contrat de mariage, qui servent de Loi dans la famille, et auxquelles les conjoints ne peuvent déroger »57, on ne retrouve pas l’expression régime matrimonial sous l’Ancien Régime. Pourtant, couramment utilisée par les juristes positivistes, elle l’est aussi par les historiens du droit58, même si leur préférence va souvent aux expressions de rapports pécuniaires entre époux, de condition des gens mariés, de droit des gens mariés, de régime des biens entre époux, de régime dotal, de régime de communauté ou encore de contrat de mariage.
20L’expression régime matrimonial ne se retrouve pas sous la plume des juristes de l’ancien droit. Néanmoins, nous la retenons dans la présente étude pour les raisons suivantes : parler de rapports patrimoniaux entre époux semble exclure les rapports pécuniaires des époux avec les tiers - membres de leur famille respective ou non -. En effet, on ne peut ignorer que les rapports des époux avec les tiers ont un caractère spécial du fait du mariage. C’est souvent à cette occasion que l’on découvre la manière dont les époux utilisent le régime juridique particulier auquel leurs biens sont soumis du fait de leur union. De plus, le chercheur n’arrive souvent à appréhender le véritable fonctionnement du régime matrimonial des époux qu’à la dissolution du mariage par le décès de l’un d’eux c’est-à-dire à un moment où les rapports pécuniaires s’éteignent. Enfin, la notion de rapports pécuniaires entre époux fait perdre de vue l’unité des règles qui régissent les relations patrimoniales du couple, lesquelles s’inscrivent le plus souvent dans une véritable vision globale du patrimoine familial et dans la recherche de buts économiques précis59. En effet, il convient de faire vivre le ménage tant qu’il dure et connaître les contributions respectives du mari et de la femme à ce que les romains appelaient les onera matrimonii, mais également de prévoir la dissolution de l’union conjugale, la protection du lignage tout comme le sort du conjoint survivant. Un régime est juridiquement un système de règles considéré comme un tout, soit en tant qu’il regroupe l’ensemble des dispositions relatives à une matière, soit en raison de la finalité à laquelle sont ordonnées ces dispositions60. En ce sens, le régime matrimonial est un corps cohérent de règles d’ordre patrimonial qui régissent, au cours et à la dissolution du mariage, les biens des époux quant à la propriété, la disposition, l’administration et la jouissance ainsi que toutes les questions pécuniaires du ménage, tant dans les rapports entre époux que dans les relations de ceux-ci avec les tiers. Le régime matrimonial est l’aspect économique de l’état du ménage. Il détermine le sort des biens des époux et les règles de leur gestion en fixant les pouvoirs respectifs de chacun à cette fin. Matériellement, enfin, le régime a pour assiette l’ensemble des biens des époux c’est-à-dire tous les biens du mari et de la femme.
21Juridiquement, le régime matrimonial soumet les biens des époux à plusieurs séries de règles ayant chacune un objet propre mais formant, ensemble, un tout cohérent. Dans son existence, le régime matrimonial est lié à la formation et au maintien du lien conjugal. Sans mariage pas de régime matrimonial. Mais l’économie du régime ne se confond pas avec l’unité du ménage et le régime des biens entre époux reste une entité distincte de l’union des personnes. Dans son fonctionnement, le régime matrimonial demeure cependant sous l’étroite dépendance du degré d’entente conjugale. Sa marche suit et reflète la vie du ménage. Entre époux unis le régime se décloisonne, se relâche. En cas de mésentente des époux, au contraire, le régime matrimonial se hérisse, se rétracte, par la revendication que chacun fait de ses biens, de ses pouvoirs.
22Support juridique de l’économie domestique, le régime matrimonial dépend donc de l’usage que les époux en font. À un modèle abstrait de régime déterminé s’oppose parfois le fonctionnement concret de ce même régime qui résulte de la façon dont les époux vivent leurs rapports pécuniaires. Cela signifie qu’il dépend parfois de la volonté des époux d’apporter certaines modifications à leur régime et de créer une situation de fait complétant ou adaptant une situation juridiquement établie. De même, les habitudes des conjoints ont sur le régime matrimonial une incidence notable. Le comportement des époux dans l’exercice de leurs pouvoirs ordinaires est déterminant. S’il arrive qu’un époux exerce en fait des pouvoirs qu’il ne tient ni d’une disposition expresse du droit ni d’une convention, les initiatives de l’époux le plus diligent, la plupart du temps dans l’ancienne France le mari, jointes à la passivité de l’autre, donneront corps à un régime réel qui viendra se superposer à un régime apparent.
23Pour appréhender l’ensemble de la question des régimes matrimoniaux, il convient enfin de replacer la problématique par rapport aux autres branches du droit civil. Le droit des régimes matrimoniaux touche au droit des personnes et de la famille, au droit du patrimoine, au droit des contrats, des successions et des libéralités. Ainsi, le régime matrimonial intéresse à la fois les époux et les tiers, membres de la famille ou non. Il occupe une place privilégiée dans ce que l’on peut appeler le droit patrimonial de la famille et ce à un double titre. D’une part, le moment où un contrat de mariage est conclu devant un notaire peut être l’occasion de régler les grandes lignes de la succession familiale, par la dotation de la future épouse et sa renonciation à une succession future (celle de ses père et mère), par des donations de survie entre époux ou encore par des donations faites par des tiers aux époux. D’autre part, il convient d’assurer le sort du conjoint survivant. Si la technique juridique dissocie les droits successoraux du conjoint survivant du régime matrimonial stricto sensu, il ne faut pas perdre de vue que, sociologiquement, il y a une unité de problèmes et que la séparation entre les deux est parfois ténue61. À la dissolution du mariage par décès d’un des époux, régime matrimonial et droit successoral se rejoignent, notamment lorsque le droit applicable aux régimes matrimoniaux maintient séparés leurs intérêts pécuniaires. Dans ces conditions, une étude trop cloisonnée des matières ne permet pas de s’apercevoir que le régime matrimonial peut être un enjeu pour la conservation du patrimoine familial et permet ainsi d’assurer à chaque époux la restitution de ce qui lui appartient au prédécès de son conjoint62. Bien entendu, cette volonté de protection se fait le plus souvent, dans l’ancien droit, au bénéfice de l’épouse dont les biens sont parfois trop exposés à la seule volonté du mari. De plus, il convient de rechercher le sort réservé au survivant du côté des dispositions de dernière volonté, les testaments, certes facultatifs et révocables, mais qui permettent souvent d’assurer l’avenir du conjoint et ainsi de corriger la rigueur d’un régime trop séparatiste par le maintien d’un certain niveau de vie63 du conjoint du de cujus64.
24Pour mettre en place ce régime matrimonial, la première liberté des époux est donc de conclure ou ne pas conclure un contrat de mariage. Les époux qui décident de recourir à un contrat de mariage opèrent un double choix. Explicitement, d’une part, en vertu du principe de liberté des conventions matrimoniales, ils choisissent les rapports pécuniaires qu’ils entretiendront durant le mariage. D’autre part, au moins implicitement, ils choisissent d’écarter le droit applicable en l’absence de contrat de mariage. Les époux peuvent donc aménager à leur gré leur régime matrimonial en manifestant leur volonté dans un contrat.
25Les régions méridionales, depuis le milieu du Moyen Age, étaient appelées pays de droit écrit parce qu’elles étaient soumises en principe au droit romain codifié en Orient sous l’empereur Justinien dans le premier tiers du vie siècle. La redécouverte de la compilation justinienne aux alentours de l’an 1100 a permis en effet la renaissance du droit romain en Occident à partir du milieu du xiie siècle65. Dès le xiiie siècle, les régions méridionales sont censées relever du jus scritum. Les coutumes urbaines rédigées à cette époque y faisaient référence.
26La pénétration du droit romain dans les actes de la pratique se fait également très tôt ressentir dans les régions méridionales du Royaume de France. En effet, le notariat public d’origine italienne s’est répandu dans tout le midi de la France à partir de 114066. La rédaction privée des actes a fait place à la rédaction publique. Le notaire en vertu du pouvoir reçu de l’autorité publique conférait ainsi à l’acte un caractère authentique par sa signature (signum, seing manuel). Mais cette pénétration du droit savant dans la vie du droit67 rencontre des obstacles et ne se fait pas uniformément. La distance entre l’enseignement du droit romain et le droit appliqué peut être importante. Néanmoins, « la coïncidence est manifeste et largement démontrée par les historiens entre l’introduction du notariat public dans le Midi avec son expansion dans le Nord et le recours à la technique juridique romaine dans la rédaction des actes, tout au moins au vocabulaire propre à la compilation de Justinien »68.
27La position des notaires, praticiens qui ont en charge les intérêts de leurs clients, est différente de celle des glossateurs, hommes de science qui cherchent à acquérir la connaissance du droit romain. Les notaires utilisaient certainement des termes romains comme les éléments d’une nouvelle technique juridique mais le sens de cette utilisation était d’intervenir avant tout dans l’intérêt des parties69. La confrontation entre le droit romain connu et enseigné et le droit appliqué présente donc un grand intérêt. La pénétration du droit romain marque une phase importante dans la formation du droit privé français. Mais jusqu’au xve siècle la pratique méridionale reste éloignée de l’application pure et simple du Corpus de Justinien70.
28Les juristes formés dans les grandes facultés de Toulouse, Valence, Montpellier ou Aix vont, aux xive et xve siècles, diffuser le Corpus de Justinien dans leurs fonctions respectives. Après la création des Parlements de Toulouse (1444), de Grenoble (1453), Bordeaux (1462) et Aix (1501), les magistrats de ces cours souveraines formés au droit romain vont s’efforcer d’appliquer ces règles même si, force est de constater, que la codification de Justinien subira des adaptations locales.
29Le renouveau juridique a eu pour effet qu’à la fin du Moyen Âge il existe une opposition entre deux types de pays quant au droit appliqué :
Les pays de droit écrit au sud d’une ligne ouest-est qui prend son départ au nord de la Saintonge, passe au sud de l’Angoumois, au nord du Limousin, coupe la haute Auvergne en deux (avec quelques hésitations et quelques enclaves) et remonte vers le nord, laissant en pays de droit écrit le Lyonnais, la Bresse et le Bugey.
Au nord de cette même frontière se trouvent les pays de coutumes.
30Avec la rédaction officielle des coutumes et leur réformation aux xve et xvie siècles, l’opposition entre une France du nord coutumière et une France du sud attachée à l’« esprit des Loix romaines »71 paraît essentielle et va se stigmatiser pour se maintenir jusqu’à la fin de l’Ancien Régime72.
31Les trois derniers siècles de l’Ancien Régime, vont marquer une réception presque totale des textes de la compilation justinienne sous la double impulsion des juristes locaux et des parlements de province, même si d’un ressort de parlement à un autre, et selon la jurisprudence locale, ce droit romain n’est parfois pas interprété de la même manière73. Ainsi, les pays du sud ne constituent pas un bloc homogène74 et les traditions juridiques romaines semblent plus fermes près de la Méditerranée qu’à proximité de l’Atlantique : le sud-est paraît plus « romain » qu’un sud-ouest plus « coutumier »75. Joseph-Jérôme Siméon affirmait avec force, dans un factum de la deuxième moitié du xviiie siècle, le particularisme provençal en matière juridique, notamment vis-à-vis des décisions du Parlement de Paris : « certains imaginent que la prééminence que la Capitale a pour les modes, elle l’aura aussi pour la jurisprudence et pour les principes du droit. Pour nous, en reconnoissant les talens supérieurs qui peuvent briller à Paris, nous avons la noble hardiesse de croire qu’une question de droit peut se discuter sans ces secours étrangers. Nous osons l’entreprendre. Les avocats de Paris dussent-ils être en tout nos modèles, on nous permettra d’en excepter les cas où nous pourrons les combattre par l’autorité des Loix et de la raison »76.
32Ce droit romain revisité par les juristes locaux et les Parlements s’applique au xviiie siècle au droit des régimes matrimoniaux en pays de droit écrit77. Même si la fin du xvie siècle marque une évolution sensible de la matière dans les actes concrets, la vie familiale gardera des traces de certaines traditions médiévales jusqu'au xviiie siècle. S’il est vrai que l’influence de la seconde renaissance du droit romain est incontestable78, jusqu’au xviiie le régime dotal, tel qu’il s’applique dans certains pays de droit écrit, ne marque en fait que le faux triomphe du régime romanisant selon la formule du professeur Jean Hilaire79. Ce n’est, en effet, qu’au cours du siècle des Lumières que la technique notariale en matière de droit des régimes matrimoniaux s’est véritablement affirmée et par là-même est devenue plus conforme au droit savant.
33Le régime matrimonial est un élément important du droit patrimonial de la famille et à ce titre le droit des régimes matrimoniaux occupe une place particulière, car il se trouve être au carrefour où se rencontrent les biens de deux individus et de deux familles. Pour étudier la matière des régimes matrimoniaux, il convenait de choisir un lieu non encore étudié, une période chronologique et des sources permettant d’apporter un éclairage nouveau sur le droit et la pratique notariale des pays de droit écrit. Le choix de la Provence s’imposait à nous parce que l’historiographie laissait, en la matière, une ère géographique peu explorée. De plus la Provence, comme la plupart des pays de droit écrit, présentait pour le xviiie siècle une masse d’archives gigantesque permettant une recherche approfondie dans un champ spatiotemporel où le droit des régimes matrimoniaux était plus induit que véritablement connu des historiens du droit.
34Si la question des régimes matrimoniaux avant la promulgation du Code civil et l’instauration d’un régime légal de communauté a fait l’objet de nombreux travaux - et nous pensons pour les plus connus à ceux d’Auguste Dumas pour le Périgord, de Jean Hilaire pour Montpellier, de Germain et Mireille Sicard pour Toulouse, de Jacques Lelièvre pour Paris ou encore de Jean Bart pour Dijon80 – la Provence quant à elle n’a curieusement pas eu pour le xviiie siècle une étude de l’ensemble de la question. Grâce à l’ancienne mais précieuse thèse de Gabriel de Bonnecorse de Lubières nous connaissons, pour l’essentiel, La condition des gens mariés en Provence aux xive, xve et xvie siècles81, à laquelle il convient d’ajouter les travaux et les cours de Roger Aubenas82. Pour l’extrême fin de l’Ancien Régime et les périodes ultérieures, on dispose de la recherche de Nicole Arnaud-Duc qui privilégie l’étude des mentalités et des phénomènes sociaux83. Sans négliger les monographies, notamment celle de Sylvie Ollier, on doit reconnaître que l’historiographie en la matière présentait, malgré le nombre important d’archives et la diversité des sources provençales, une lacune certaine. L’ampleur des documents manuscrits conservés aux archives départementales n’est sans doute pas étranger au fait que peu d’études ont été menées en Provence sur la matière des régimes matrimoniaux84.
35Le choix d’une recherche sur le droit des régimes matrimoniaux en Provence à la fin de l’Ancien Régime se justifiait comme étant une contribution à une meilleure connaissance de l’histoire du droit privé de la famille des anciens pays de droit écrit85 en étudiant, à travers le prisme du droit des régimes matrimoniaux, le droit patrimonial de la famille provençale, les dispositions juridiques mises en œuvre pour atteindre des buts économiques déterminés, le rôle de chacun des époux dans la gestion des biens durant le mariage, les conflits pouvant s’élever entre époux ou les conflits entre les époux et les tiers, et la place méconnue de la femme mariée dans la vie juridique provençale au xviiie siècle86. De plus, cette étude permet de mieux évaluer la distance qu’il peut exister entre le droit des régimes matrimoniaux en vigueur en Provence à la fin de l’Ancien Régime et les règles mises en place par les codificateurs de 1804. Enfin, les idées selon lesquelles le mari doté de pouvoirs économiques importants est « la clé de voûte de la famille » garantissant « une grande cohésion familiale » dont la conséquence principale est le petit nombre « de conflits internes portés devant les tribunaux » ne doivent-elles pas être discutées à la lumière de nos sources87 ? « Une plongée méthodique dans l’océan des archives notariales »88 provençales était donc nécessaire pour restituer toute la diversité du droit des régimes matrimoniaux. Néanmoins, la « boutade de Merlin de Douai » sur la multiplicité des règles régissant les rapports patrimoniaux entre époux nous paraît, comme le pense le professeur Jacques Poumarède, « trop exagérée »89 et nous entendons présenter un système juridique applicable à l’ensemble de la Provence qui transcende les particularismes locaux sans les ignorer.
La Provence
1. Rappels historiques
36La Provence90 sous l’Ancien Régime est une entité territoriale qui a été unie au Royaume de France en 1481. Le dernier Comte angevin, Charles III du Maine meurt le 11 décembre 148191. Il transmet alors par testament la Provence à son lointain cousin le Roi de France Louis XI. Cette union à la Couronne devait se faire dans le respect des privilèges c’est-à-dire les libertés et franchises obtenues par les Provençaux des Comtes catalans et angevins et en tenant compte des particularités de cette région. Louis XI a juré devant les Etats de Provence en janvier 1482, en acceptant le testament de son parent, de conserver les privilèges provençaux. Charles VIII par les lettres patentes d’octobre 1486 ratifiées par les Etats en avril 1487 a fait de même. L’approbation des Etats réunis à Aix le 9 avril 1487 est d’ailleurs contenue dans un acte notarié.
37Ce testament et ces acceptations ont été le fondement de ce que l’on appellera au xviiie siècle la « Constitution provençale »92. La Provence était donc en théorie unie à la Couronne de France selon les propos de Charles VIII en novembre 1485 « non comme un accessoire à un principal, mais comme un principal uni à un autre principal »93. L’idée du co-état sera théorisée par l’abbé de Coriolis94. Le Roi de France est à ce titre Comte de Provence, Forcalquier et terres adjacentes95. La « Constitution provençale » reposait sur l’ensemble des textes ayant défini les conditions du rattachement de la Provence au Royaume et elle garantissait en principe au pays la conservation de ses Etats, le droit de consentir à l’impôt et d’en assurer la levée, le privilège pour les habitants ne pas être jugés en dehors de la Provence, de ne reconnaître le Roi que sous le titre de Comte de Provence96 et enfin l’usage du droit romain97.
38D’ailleurs lorsque les magistrats s’adressent au Roi de France par de « très humbles remontrances » sur une question de droit privé c’est pour le supplier de laisser jouir le Comté de Provence de ses privilèges et notamment celui de régler telle ou telle question conformément au droit savant. Les administrateurs appuient leurs demandes sur « les maximes inviolablement observées ; le testament du dernier comte de Provence ; enfin sur l’article 4 du Traité conclu en 1482 »98. Ainsi, en 1737 le Parlement de Provence, soucieux de conserver le privilège d’appliquer le droit écrit, proteste contre certaines dispositions de l’ordonnance de 1735 sur les testaments99. Et le Parlement justifie ses remontrances en précisant qu’ : « Il suffit d’observer, sire, que le testament qui réunit la Provence à la monarchie française est revêtu des formalités prescrites par le droit romain, et n’a été soutenu que par ses maximes dans ce titre fameux à qui votre majesté doit cette province, et cette province son bonheur. Charles d’Anjou impose aux rois ses héritiers la condition de maintenir ses peuples dans leurs privilèges, et notamment dans l’observance du droit écrit »100. Ce farouche attachement des provençaux aux règles romaines va conditionner la conception et les habitudes de ces derniers en matière de régimes matrimoniaux.
2. La Provence au dernier siècle de l’Ancien Régime
39L’entité territoriale de la Provence est en réalité un héritage historique médiéval retouché au xviiie siècle par le Traité d’Utrecht de 1713 qui met fin à la guerre de succession d’Espagne et le Traité franco-savoyard de Turin en 1760. À l’ouest et au nord la frontière a été par deux fois modifiée au xviiie siècle. Au nord-est, le territoire provençal a été augmenté de la vallée de Barcelonnette et de ses dépendances, c’est-à-dire les vallées de l’Ubaye et ses affluents de l’amont101 suite au Traité d’Utrecht du 11 avril 1713102. La limite avec le Comté de Nice était, pour sa part, très sinueuse à l’est de la Provence. Cette frontière a été légèrement modifiée par le Traité de Turin en 1760, par échange de communautés entre le Royaume de France et le Royaume de Sardaigne103. Au nord-ouest et à l’ouest les limites de la Provence, du Dauphiné et du Languedoc sont marquées par l’existence d’enclaves, pour l’essentiel situées dans les actuels départements de la Drôme et du Vaucluse104. Reste enfin « aux confins »105 de la Provence, le Comté de Nice dominé par le Duché de Savoie dès 1388106.
40Malgré une géographie complexe, on peut dire que le territoire provençal à savoir le Comté de Provence et Forcalquier107 – avec pour capitale Aix – et les terres adjacentes108 correspondait au ressort territorial du Parlement de Provence109, cour souveraine de justice munie d’un pouvoir réglementaire et créée en 1501110.
41Nous retiendrons donc comme champ pour notre étude ce qui correspond à la Provence administrative du xviiie111 à savoir les lieux placés sous « la tutelle monarchique »112 avant de préciser plus loin quels lieux ont été retenus pour le dépouillement des archives. Même si ce mot n’a pas de sens juridique précis sous l’Ancien Régime, on peut dire que la Provence institutionnelle est une province113 du Royaume de France au xviiie siècle qui compte 738 communautés en 1765. Elle est peuplée d’environ 700 000 habitants répartis sur à peine plus de 22600 km_. La population se répartissait inégalement, du fait des paysages calcaires, du cloisonnement des reliefs, de l’existence de zones incultivables, de l’altitude de certains lieux ou encore de la présence de villes importantes. La démographie provençale reste un secteur où les recherches ont peu progressé mais tout laisse à penser que la Provence n’a connu au xviiie siècle qu’une croissance très limitée de sa population. Suivant le dénombrement de la population provençale effectué par les procureurs du pays de Provence grâce à la collaboration des vigueries et publié par l’abbé Expilly dans son Dictionnaire des Gaules et de la France en 1768, un découpage approximatif donne 23 % de la population pour la Haute-Provence. La Basse-Provence occidentale représentait alors 46 % de la population et la Basse-Provence centrale et orientale 31 %.
42Certains contemporains ont jugé un peu hâtivement qu’il ne s’est rien passé en Provence au cours du xviiie siècle mis à part la peste de 1720. Néanmoins, la Provence du siècle des Lumières est en voie de restructuration et un mouvement d’industrialisation est impulsé par Marseille. La Basse-Provence dépendait, en effet, du port pour son ravitaillement en matières premières et pour ses exportations114. Après une période de stagnation économique entre 1690 et 1730, la Provence retrouve une croissance modérée jusqu’à la Révolution115. La diversification du bas-pays provençal marque une opposition entre la Provence au-delà du Verdon et de la Durance et celle en deçà116. Le xviiie siècle est un grand siècle pour la Provence maritime, par la suite pour la Provence urbaine. Cependant, la Provence rurale présente une paysannerie pauvre ayant un retard technique entraînant un maigre rendement et des déprédations. Tous les auteurs s’accordent à rappeler que la Provence ne couvre pas ses besoins en blé et que cette situation est nouvelle à la fin de l’Ancien Régime. L’élevage est également en régression patente. Mais nombreux sont encore les terroirs où les masses de cultures s’équilibrent comme dans le pays d’Aix.
43Concernant, enfin, la structure de la société provençale à la fin de l’Ancien Régime il convient de noter qu’elle n’est qu’un fragment de la société française de l’époque. Elle est organisée selon le système juridique des trois ordres : clergé, noblesse et tiers-état. Mais l’instruction et surtout la richesse sont des éléments à prendre en considération dans la stratification sociale et dès 1756 l’intendant de La Tour117 propose une division de la population qui peut être complétée. Pour lui, la société provençale est composée de la manière suivante :
Les seigneurs et coseigneurs, leur famille et leurs domestiques ;
Les gentilshommes et officiers de justice, à savoir les nobles qui ne sont pas seigneurs et les officiers du Roi ;
Les avocats, procureurs et bourgeois, c’est-à-dire les membres de professions libérales, de catégories instruites faisant un travail non manuel et non marchand, et les roturiers vivant de leurs rentes ;
Les négociants et marchands qui font un travail moins manuel que les artisans et accèdent en zone urbaine à l’alphabétisation au xviiie siècle ;
Les artisans ;
Les rentiers c’est-à-dire ceux qui paient des rentes car ils sont locataires de leurs terres, les fermiers et les ménagers qui sont économiquement indépendants ;
Les paysans118.
44Le monde paysan entendu au sens large, à savoir les cultivateurs, est évidemment le groupe numériquement majoritaire. Présents de façon écrasante dans les villages, les paysans peuplent aussi les villes et leurs alentours. Mais dans le monde des cultivateurs, il convient de faire des distinctions :
Les ménagers sont des hommes qui ne travaillent que dans leurs biens. Ils sont un groupe minoritaire mais à peu près partout représenté. Ce sont des paysans relativement aisés possédant le plus souvent la terre qu’ils exploitent mais également pourvus des capitaux et moyens de production nécessaires119.
Les bastidans ou rentiers qui exploitent un domaine dont ils ne sont pas propriétaires. Le rentier paie un fermage à titre de loyer au propriétaire des terres qu’il cultive120.
Enfin, les travailleurs, dont certains possèdent les terres qu’ils cultivent, travaillent avec leurs bras. D’autres, les travailleurs journaliers sont le plus souvent des salariés qui se louent pour travailler la terre. Salarié à la journée, le travailleur non possédant est un homme à tout faire, chômant en cas de mauvais temps ou pendant la morte saison. Il répond en général à toutes offres de travaux physiques non spécialisés121.
45La répartition du sol en Provence se fait à la fin de l’Ancien Régime de la manière suivante : 6 % pour le clergé, 25 à 30 % pour la noblesse, 20 % pour la bourgeoisie et la moitié du sol environ pour les paysans. Pour Baehrel, il y aurait en Provence au xviiie siècle une quasi-constance dans l’inégalité des fortunes. Mais cette inégalité admet des oscillations : l’inégalité entre riches et pauvres aurait augmenté au début du siècle, puis se serait réduite entre 1730 et 1789122.
Le choix des sources
46Pour tenter d’aborder l’ensemble de la problématique des régimes matrimoniaux dans un ressort géographique aussi large que divers, il nous a fallu choisir de manière ciblée nos sources pour pouvoir rendre compte au mieux des réalités juridiques de ces lieux et de la manière dont le droit était utilisées par la population et par les praticiens. L’idée qui nous a guidé est qu’il existe, pour l’ensemble de la Provence, un droit des régimes matrimoniaux et une pratique homogènes à la fin de l’Ancien Régime. Les disparités locales existent mais elles sont comprises dans un système de règles générales qui les borne. C’est donc un système juridique complet que nous entendons présenter pour l’ensemble de la Provence, ce qui explique un choix large de sources. Méthodologiquement, nous ne voulons pas étudier les régimes matrimoniaux à travers l’éclairage exclusif du contrat de mariage dans quelques lieux donnés, mais au contraire nous entendons croiser les sources notariales avec d’autres sources pour mettre en évidence un régime juridique qui se conçoit comme un tout uniformément utilisé, malgré les habitudes particulières relevées dans certains lieux ou pour certaines catégories sociales. Nous avons à cet effet retenu trois sources principales :
Les minutes123 notariales et les formulaires manuscrits rédigés par des notaires provençaux pour leur propre usage et celui de leurs successeurs,
les consultations manuscrites, les factums124 imprimés et les plaidoyers manuscrits d’avocats provençaux,
les recueils imprimés et manuscrits de droit et de jurisprudence relatifs au Parlement de Provence et les actes de notoriété du même Parlement.
47La confrontation de ces sources permet d’apporter un éclairage différent de la matière des régimes matrimoniaux en pays de droit écrit. En effet, « c’est sur l’érudition que repose l’Histoire, et l’Histoire du droit comme les autres, c’est-à-dire sur la recherche et l’analyse méticuleuse des documents [et] leur recoupement les uns par rapport aux autres »125.
1. Les minutes notariales
48Les historiens du droit privé des pays de droit écrit ont très tôt découvert l’importance des actes de la pratique notariale pour la connaissance du systéme juridique dans lequel évoluaient les populations méridionales et ce du fait de l’absence de grands textes normatifs, comme ceux dont disposaient les pays de coutumes, notamment après la rédaction de celles-ci à partir de la fin du xvie siècle, dans l’ancien droit126. La thèse d’Auguste Dumas, publiée en 1908, est une œuvre pionnière en la matière. L’auteur y reconnaissait la difficulté pour le chercheur d’utiliser cette « masse trop abondante » de minutes notariales dans la mesure où « il faut que celui qui utilise des actes concrets fasse lui-même la théorie, établisse la règle à l’aide de cas particuliers »127. Les actes de la pratique notariale permettent de voir, en effet, comment les notaires ont juridiquement apporté des réponses, en leur temps, à des « réalités vivantes »128. Les actes de la pratique, comme l’observe le professeur Hilaire, tels que nous les définissons aujourd’hui, n’ont pris leur acception que depuis le début du xixe siècle avec la codification du droit. Au Moyen Age, pratique était synonyme de procédure. Un procureur était un praticien et un notaire n’était considéré comme tel que s’il exerçait une fonction judiciaire. Ce n’est finalement qu’à partir du xvie siècle que les notaires ont commencé à considérer l’art de rédiger des actes comme une pratique « et se sont qualifiés éventuellement de praticiens »129. Si les actes de la pratique n’étaient jusqu’alors que la procédure que l’on opposait au droit, ils sont désormais tout ce qui a trait à l’application du droit par rapport à la théorie. Depuis le xixe siècle, la pratique est prise dans son acception la plus large et désormais courante : « le droit dans son application journalière, le droit vécu par opposition à la législation »130. Ainsi, « l’application de tout acte concret par un professionnel du droit, mais aussi par les sujets de droit en mesure de se passer d’un rédacteur, entre dans la catégorie des actes de la pratique »131. Par conséquent, les actes de la pratique se situent à la lisière du droit vécu et du droit officiel. Ils permettent de capter ce que le professeur Hilaire appelle dans son ouvrage de référence La vie du droit132. La vie du droit est finalement la traduction de la volonté de parties qui veulent se lier par certaines obligations juridiques, volonté bornée par les normes législatives et les décisions jurisprudentielles. Ce passage dans la langue du droit de volontés exprimées la plupart du temps par des profanes – les parties au contrat – nécessite l’intervention d’un technicien du droit.
49Ce rôle est en général joué sous l’Ancien Régime par le notaire chargé à la fois de concilier les parties en rendant leurs volontés conformes aux règles de droit, d’authentifier et de donner force exécutoire à l’acte gracieux passé entre-elles. En effet, il ne faut pas oublier que l’attitude des notaires est très pragmatique. Avant de rédiger les actes, ils doivent comprendre la volonté des parties pour la mettre en forme juridique. Les notaires sont ainsi et avant tout des conseillers avant d’être des bâtisseurs d’actes. Le choix de la consultation des actes de la pratique notariale en Provence s’inscrit dans une historiographie juridique qui a vu le jour au début du xxe siècle et qui consiste à découvrir le droit par-delà les normes, la doctrine développée par les jurisconsultes, et la jurisprudence133. En effet, les archives notariales constituent une documentation de masse d’une exceptionnelle richesse qui permet de prendre connaissance des pratiques juridiques dans la plupart des milieux sociaux et l’on peut y retrouver une clientèle issue de milieux ruraux très éloignés des villes, comme une clientèle urbaine.
50Force est de constater, qu’entre le début du xvie siècle et la fin du xviiie siècle « le cadre technique de rédaction des notaires a été précisé dans le sens d’une plus grande rigueur » et « ce mouvement s’affirme de plus en plus au cours du xviiie siècle »134. Or cette évolution, si elle atteint la forme, touche également au fond. La multiplication et l’emprise toujours croissante des cours de justice royale semblent directement responsables d’une progression certaine dans le maniement des techniques juridiques dans le dernier siècle de l’Ancien Régime et cette progression se constate particulièrement en matière de régimes matrimoniaux. Claude de Ferrière ne reconnaissait-il pas lui-même que la science des notaires « ne consiste pas comme plusieurs s’imaginent, à sçavoir le style ordinaire des actes, il faut encore être instruit des principes et des maximes de la Jurisprudence, qui seule peut apprendre ce qu’est une convention légitime, et quelle est l’étendue, la liaison et la contrariété des différentes clauses qu’on y met »135. En ce sens, le notaire doit prévoir les conséquences des termes du contrat qui se passe devant lui et il doit trouver des tempéraments sûrs pour concilier les intérêts de chaque partie. Ainsi, « un notaire s’acquitte véritablement de son devoir lorsque mettant l’intention des contractans dans tout leur jour il les accorde dans leurs contestations ; c’est en cela qu’il fait office d’arbitre et de juge : au lieu qu’il ne fait que la fonction de copiste, lorsqu’il écrit sans connoissance de cause, les conventions que les parties lui dictent »136. Présentés le plus souvent à partir du xviie siècle comme les magistrats de la juridiction volontaire, les juges du consensuel137, les notaires « sont des officiers publics établis pour donner aux actes qui se passent devant eux, le caractère de la forme publique et de l’autorité de la justice, qui fait que les actes portent la preuve de leur vérité »138. Cette double prétention des notaires d’être à la fois des conseillers et des juges139 pour leur clientèle est toujours d’actualité et l’on peut lire sur le site Internet des notaires de France que l’unité du corps notarial puise ses sources dans l’histoire, dans la mesure où depuis leur institution les notaires tiennent auprès des citoyens le double rôle de « magistrat des contrats » et de « conseil »140.
51Les actes publics sont donc de juridiction contentieuse ou de juridiction volontaire : « Les actes de juridiction contentieuse, sont les poursuites qui se font en justice ; les actes de juridiction volontaire, sont ceux qui se font du consentement des parties pardevant notaire »141. Les actes publics à la différence des actes sous signature privée font foi en justice et sont exécutoires d’eux-mêmes sans qu’une décision de justice soit nécessaire et intervienne pour reconnaître leur validité142. Pour que les actes passés devant notaire produisent leurs effets, ils doivent être rédigés suivant certaines formes et devant un notaire compétent, autrement dit un notaire inscrit dans le ressort de la juridiction où il instrumente. Il est bien certain, comme le reconnaissait le professeur Hilaire, que l’intérêt de l’acte notarié est en définitive attaché à la sanction judiciaire éventuelle143.
52Les archives notariales en Provence au xviiie siècle sont en masse144 et ne sont pas socialement sélectives dans la mesure où toutes les catégories de la société passent des actes. Elles permettent de retrouver le formulaire du notaire dans son caractère le plus impersonnel même si, de toute évidence, la quantité des documents reste un obstacle à franchir pour le chercheur. En effet, par-delà l’immensité de la documentation, il convient également de rechercher dans chaque acte les indices isolés même les plus ténus, les confidences involontaires faites par le notaire « entraîné à sortir de la rédaction routinière face à une situation particulière qui ne correspond plus exactement à l’hypothèse du formulaire »145.
53Les actes peuvent ainsi être l’expression d’une pratique conforme à la règle de droit ou au contraire l’expression d’un conflit entre la pratique et la règle de droit. Parfois même les actes de la pratique sont l’unique expression du droit146. De plus, la pratique ne doit pas être abordée comme une masse anonyme et monolithe. Bien au contraire, il faut tenter d’y reconnaître les différents groupes sociaux et les divergences d’intérêts pour comprendre les stratégies mises en forme par les notaires dans la vie juridique des familles147. Ce type de travail pousse donc à faire des choix.
54D’une part, quels actes retenir dans les minutes notariales pour une étude sur les régimes matrimoniaux ? La plupart des travaux portant sur cette matière retiennent comme source principale et parfois unique le contrat de mariage. Nous avons tenu à y ajouter de manière systématique tous les actes où des personnes mariées intervenaient. Il s’agit bien entendu des testaments mais également des quittances, ventes, baux, reconnaissances, déclarations, procurations. En fait, nous avons opté pour un dépouillement exhaustif des registres que nous avons consultés en lisant tous les actes qui y étaient contenus. Dès que nous avons pu déterminer qu’une personne mariée était partie à l’acte, nous avons cherché à savoir en vertu de quel régime matrimonial le mari ou la femme agissait et sur quel type de bien. Cette méthode de dépouillement permet de connaître le régime adopté au moment du mariage, l’utilisation que les époux font de leur régime matrimonial pendant la durée du mariage et enfin le sort qui est réservé au conjoint survivant. Cette méthode de recherche permet occasionnellement de mettre en évidence la différence entre le régime apparent et le régime réel, c’est-à-dire la manière dont les époux administrent leurs biens au quotidien, car on sait que les futurs époux peuvent chercher à faire illusion lors de la conclusion de leur contrat de mariage. Balzac a même écrit que « Tout est tromperie entre deux êtres prêts de s’associer »148. Le procédé retenu permet d’aborder de nouvelles problématiques qui échappent nécessairement au chercheur qui ne s’intéresse qu’aux contrats de mariage.
55D’autre part, la période chronologique retenue est la fin de l’Ancien Régime. Cette période a un triple avantage. La matière des régimes matrimoniaux en Provence y est peu connue, elle a été totalement bouleversée par l’adoption du Code civil et elle fait, dans d’autres régions l’objet, de nombreuses études qui permettent des comparaisons. Choisir d’étudier les actes de la pratique pendant les dernières années de l’Ancien Régime permet en fait de « saisir sur le vif »149 un système de droit parfaitement mis au point et élaboré par des siècles de doctrine, de jurisprudence et de pratique. De plus, dans la mesure où notre dépouillement des minutes notariales consiste en une lecture exhaustive des actes contenus dans chaque registre, il était impossible d’envisager une étude au long court. Ainsi nous ne pouvons nous permettre que de faire « un instantané » des actes de la pratique. Il a donc fallu faire des choix que nous assumons pleinement, non sans rappeler qu’il est impossible dans des délais raisonnables de dépouiller l’ensemble des registres notariés d’une ville comme Marseille ou même Aix et le pays aixois pour une période donnée quand l’on dépouille folio après folio et que l’on s’attache à lire les actes sans se contenter de l’intitulé choisi par le notaire, lequel ne permet de faire qu’un relevé statistique150. Nous avons donc choisi de faire un dépouillement des années 1788 et 1789. Pour s’assurer qu’aucun changement notable dans les comportements juridiques des époux provençaux ne nous échappe nous avons également consulté des registres des années 1750 et 1770. Ainsi, nous avons retenu pour la présente étude 1431 actes notariés donnés en référence sur plus de 15 000 actes consultés.
56Enfin, il a fallu faire des choix, concernant les lieux que nous allions sélectionner pour illustrer l’ère géographique de la Provence. La majorité de la population vit au xviiie siècle sur une large partie du territoire de la Basse-Provence et en milieu urbain. Le nombre des villes y est important même s’il est difficile de retenir une définition précise de la ville sous l’Ancien Régime. Les critères principaux semblent être cependant l’importance de la population, les murailles qui délimitent la ville, la présence d’une densité importante de maisons à l’intérieur des murailles, la présence d’institutions religieuses et civiles et des infrastructures d’assistance comme des hôpitaux. Au sommet de la hiérarchie urbaine, Marseille est la seule grande ville du sud-est et le premier foyer économique de la Provence par son activité portuaire et manufacturière. La cité phocéenne compte à la veille de la Révolution 120 000 habitants. On peut ensuite mentionner la capitale, Aix, 25 000 habitants avec une importante noblesse terrienne et de robe. Enfin, deux autres villes doivent être citées même si elles sont les sièges de pouvoirs administratifs et judiciaires plus faibles : Toulon pour l’importance de la marine (26 000 habitants) et Arles (21 000 habitants). Viennent ensuite toute une série de villes secondaires ou de petites villes entre 3000 et 10000 habitants. Mais l’originalité provençale tient au fait qu’entre la ville et le village, il existe une catégorie intermédiaire formée par les très petites villes appelées également par Maurice Agulhon « bourgs urbanisés » et qui comptent entre 2000 et 3000 habitants. Le petit bourg se distingue du village par plusieurs traits économiques et sociaux. Le village a une activité d’économie primaire et compte moins de 1000 habitants La proportion des villes et des bourgs à la veille de la Révolution est élevée. La Basse-Provence est caractérisée par une forte concentration des villes les plus importantes et des petites villes. La Provence montagneuse compte de nombreux villages alors que l’actuel département du Var semble être une zone plus équilibrée entre ville et village mais marquée par une plus forte ruralité que la Basse-Provence, surtout le littoral.
57Un lieu s’imposait : Aix, la capitale de la Provence et le siège du Parlement. Aix, « le modèle », l’exemple type d’une ville provençale d’Ancien Régime « qui donne l’impression d’une grande diversification sociale »151. Aix qui comptait, vers 1760, 25 466 habitants avec une forte représentation de toutes les classes sociales : paysans, artisans, boutiquiers, marchands, salariés de l’artisanat, du commerce et domestiques152. Population à laquelle il convient d’ajouter les hommes de loi -avocats, magistrats, auxiliaires -et les ecclésiastiques153. À l’extrême fin du xviie siècle, l’intendant Cardin le Bret dans un mémoire pour l’instruction du Duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV et héritier présomptif, présentait Aix au premier rang des principales villes provençales154. Aix présente l’avantage pour une ville de donner une importante représentation de la population qui vit du travail de la terre (paysans : ménagers ou travailleurs) qui logent dans la cité ou dans ses faubourgs et tous les jours vont travailler à l’extérieur : « Ville rentière, ville aristocratique, ville de « services » beaucoup plus que d’activités productives, et dont par suite la domesticité fournit l’essentiel du salariat, ville enfin toute pénétrée encore par le contact du monde rural : tels sont les traits dominants de la sociologie aixoise au xviiie siècle »155. Avec 35 % de paysans, 20 à 25 % d’artisans, 10 % de boutiquiers et marchands, 20 % de salariés de l’industrie et de l’artisanat et 10 à 15 % de domestiques, la population aixoise au xviiie siècle présente deux caractéristiques principales : la relative médiocrité de l’artisanat et du commerce et une catégorie du salariat hypertrophiée, la domesticité. Le monde du « service public » représente 10 % de la population urbaine (le monde du Parlement et de la Cour des comptes, avocats, procureurs, praticiens…). Les oisifs, privilégiés, bourgeois roturiers représentent environ 3 % de la population, le clergé 5 % et la noblesse de robe parlementaire et la noblesse rurale 10 %156.
58Pour mettre en perspective les actes notariés de la ville d’Aix, nous nous sommes attachés à faire des recherches dans le pays aixois c’est-à-dire dans des zones rurales couvrant les quatre points cardinaux autour de la capitale. Les lieux où un notaire instrumentait en 1788-1789 sont : Eguilles, Velaux, Vauvenargues-Le Puy-Sainte-Réparade et Ventabren. Eguilles semble le seul de ces villages à avoir fait l’objet d’un recensement vers 1760. On y compte 2233 âmes. Les populations sont dans ces lieux essentiellement paysannes et l’on rencontre le plus souvent des travailleurs journaliers et quelques ménagers.
59Enfin, nous avons ajouté à notre recherche un lieu situé entre Aix et Marseille proche de l’étang de Berre : Vitrolles. Dans cette zone, la part de l’agriculture est importante mais certainement moins qu’ailleurs car cette région est très favorable à la pêche et au commerce. Vitrolles est à l’intérieur des terres dans une zone proche de la mer et ne semble pas pénétrée par les activités maritimes.
60Partant des constatations évidentes qui se dégageaient des actes de la pratique d’Aix et du pays aixois, nous avons étendu notre recherche dans l’espace en consultant selon le même procédé et pour les mêmes années les registres de notaires de Marseille. Marseille la deuxième des principales villes de Provence selon l’intendant Cardin le Bret, Marseille le pôle économique de la Provence, quatrième plus grande ville du Royaume après Paris, Lyon et Rouen, qui compte à la fin de l’Ancien Régime près de 85500 habitants. Marseille caractérisée par une importante population commerçante et négociante et une population où la noblesse est presque totalement absente157. L’étude des actes de la cité phocéenne qui a une économie essentiellement liée à son port permettait de compléter parfaitement l’ensemble des catégories sociales présentes en Provence.
61Avec Aix et Marseille, nous avions « le cœur de la Provence »158 - une ville à l’intérieur des terres et un des plus importants ports européens159 - et avec le pays aixois et Vitrolles une représentation du monde rural avec des lieux plus ou moins éloignés des pôles urbains.
62Nous avons enfin décidé de compléter notre recherche en faisant un sondage à Digne160 pour les mêmes années de référence. Digne connue pour ses eaux minérales et qui est le siège d’une viguerie, d’une sénéchaussée et d’un évêché, située au pied des pré-Alpes comptait 3200 habitants à la fin de l’Ancien Régime. La Haute-Provence161 au nord d’une frontière Valréas-Nice ne présente que trois agglomérations entre 3000 et 6000 habitants. L’espace est marqué par un semis de petits villages et par une forte tendance à l’éclatement en hameaux dans sa partie septentrionale. Michel Derlange a montré que, dans un tel contexte, Digne jouait un rôle de centre secondaire régional qui excédait son importance démographique et annonçait déjà ses fonctions de chef-lieu de département162.
63Nos dépouillements dans les minutes notariales portent sur la plupart des fonds disponibles dans ces lieux (Cf. liste des sources manuscrites à la fin de notre étude) et quarante registres ont été retenus pour illustrer notre propos. Tous les types d’actes ont, dans ces registres, été consultés. L’essentiel de la recherche est constitué par les actes de 17881789. À ces minutes notariales, il convient d’ajouter quelques formulaires manuscrits à l’usage de notaires provençaux que nous avons trouvés et les formulaires imprimés notamment dans différentes éditions de la Science des notaires de Claude de Ferrière et de son fils Claude-Joseph de Ferrière. Les premiers donnent des actes-types, choisis dans leurs minutes ou de celles de leurs prédécesseurs, et les notaires se contentent souvent de recopier la minute à titre d’exemple. Les seconds documents rappellent la règle de droit avant de donner les différentes formules qui doivent être utilisées par les praticiens. Ces actes sont en blanc et sont normalisés.
2. Les consultations, les factums et les plaidoyers d’avocats provençaux :
64À côté des actes de la pratique notariale, nous avons retenu pour nos recherches les consultations et plaidoyers manuscrits d’avocats et les factums imprimés. Dans une publication récente, le professeur Hugues Richard rappelait « l’importance et l’intérêt des consultations d’avocats pour les historiens du droit »163. Dans le même sens, le professeur Jean-Philippe Lévy reconnaissait leur importance mais mettait le chercheur en garde contre le fait que l’avocat au moment de sa consultation ou de sa plaidoirie n’a pas de contradicteur164. Si les développements d’arguments juridiques dans les plaidoyers doivent parfois être pris avec des réserves, les arguments que l’on retrouve dans les consultations sont beaucoup plus sûrs. De plus, cet écueil peut être évité si l’on confronte plusieurs consultations ou plusieurs plaidoyers d’un même avocat ou d’avocats différents. D’autant qu’il n’est pas rare de voir un avocat expliquer clairement à son client, dans une consultation, qu’il ne pourra pas obtenir gain de cause car le droit est contre lui. L’autorité qui s’attachait aux consultations « provenait de ce que leur auteur s’efforçait de dire le droit impartialement » pour impressionner favorablement les magistrats, comme l’a montré dans sa thèse le professeur Jean-Louis Mestre165. Cette source apporte un éclairage essentiel pour notre matière dans la mesure où les questions relatives aux régimes matrimoniaux y sont omniprésentes.
65Les travaux des avocats présentent un triple avantage pour notre recherche. D’une part, les consultations d’avocats permettent de connaître la situation patrimoniale des gens mariés dans l’ensemble du ressort du Parlement de Provence, c’est-à-dire dans des lieux où nous n’avons pas dépouillé les minutes notariales. De plus, ces consultations permettent d’étendre notre champ de recherche dans le temps car elles nous donnent une vision des rapports pécuniaires d’époux mariés à des dates qui remontent parfois à la première moitié du xviiie siècle. D’autre part, les consultations d’avocats, au travers du contentieux des époux entre eux ou des époux avec les tiers, nous font connaître la manière dont les conjoints ont utilisé leur régime matrimonial car les avocats font le plus souvent un rappel détaillé des faits. Enfin, les consultations d’avocats permettent de découvrir les raisonnements juridiques très sûrs sur une espèce donnée, les arguments pro et les arguments contra, ceux de la partie adverse, parfois la décision du juge de première instance, la jurisprudence du Parlement de Provence quand il existe des décisions sur une question similaire, l’avis de l’avocat consulté et de temps en temps la solution finale de l’espèce. Les consultations d’avocats, qui étaient soigneusement conservées166, permettent donc de connaître la jurisprudence du Parlement de Provence et pallient ainsi l’absence de motivation des arrêts qui paraît avoir été dans l’ancien droit plus un usage des Parlements qu’un véritable principe167. Dans une plus large mesure, les consultations d’avocats permettent de connaître les règles de droit applicables à notre matière. Dans les 114 registres du fonds Gassier168 et la vingtaine de registres du fonds Lejourdan169, auxquels il convient d’ajouter des fonds divers que nous avons consultés, nous avons retrouvé plusieurs dizaines de plaidoyers manuscrits, 54 factums dont la plupart font plus de 100 pages imprimées et plus de 180 consultations manuscrites relatives au droit des régimes matrimoniaux. Ces registres couvrent une période chronologique qui va de 1750 à la Révolution et une ère géographique qui correspond au ressort du Parlement de Provence et ont été dépouillés de manière exhaustive (AD BdR., Fonds F).
66Le Lyonnais Prost de Royer, après avoir donné in extenso le contenu d’un discours de Portalis, s’exprimait sur les avocats provençaux de manière élogieuse : « À côté de cet orateur, je vois Messieurs Julien, Pazery, Siméon, Pascalis, Pochet, Alphéran et combien d’autres. Ils ont rempli la même carrière et comme lui ont observé le précepte de Plutarque : savoir bien dire, encore mieux faire. Ainsi dans son barreau célèbre, la Provence trouve à la fois des jurisconsultes profonds, des orateurs éloquens et des administrateurs éclairés. Ils ne se sont bornés ni à l’étude mal digérée de la compilation justinienne, ou de quelque coutume barbare ; ni à la routine du droit privé et à la collection d’une jurisprudence obscure et versatile »170. Dans le même sens, le Parlement de Provence reconnaissait que les avocats constituent « la classe des citoyens naturellement la plus éclairée sur les vrais principes des lois et d’une sage administration »171. Nous sommes convaincus, à l’instar du professeur Mestre, que les avocats provençaux de la deuxième moitié du xviiie siècle étaient d’excellents juristes et à ce titre leurs développements sont essentiels pour comprendre l’esprit du droit des régimes matrimoniaux d’Ancien Régime tel qu’il est utilisé par les familles et mis en forme par les notaires.
3. Les recueils manuscrits et imprimés de droit et de jurisprudence écrits par des jurisconsultes provençaux et les actes de notoriété des avocats au Parlement de Provence :
67Aux xviie et xviiie siècles, les juristes se sont appliqués à diffuser ce qu’ils connaissaient de la jurisprudence des arrêts malgré le secret des cours. Même si la non-motivation des arrêts laissait aux parlements une large liberté d’appréciation permettant aux cours de trouver des solutions en dehors des sources formelles du droit, il faut noter que ces mêmes parlements ont compris que la jurisprudence pouvait renforcer leur autorité et leur prestige. « Ils s’efforceront donc de contourner la règle de non-motivation en acceptant, puis en encourageant la réalisation de recueils d’arrêts, ouvrages qui, à la faveur du développement de l’imprimerie, assureront à la fois la publicité des décisions et la révélation de leurs motifs »172.
68Même s’il est difficile de prétendre parvenir sur tous les points de droit relatifs aux régimes matrimoniaux à des certitudes à travers les travaux des arrêtistes et juristes provençaux comme Dupérier173, Boniface174, Régusse175, Bonnet176, Debézieux177, de La Touloubre178, Bonnemant179, Janety180, Julien, sans oublier les actes de notoriété relatifs aux décisions du Parlement de Provence, ils permettent de faire un point sur la jurisprudence applicable au droit des régimes matrimoniaux du milieu du xviie siècle environ jusqu’à la Révolution. Un dépouillement exhaustif de l’ensemble de ces sources imprimées permet de plus de donner une valeur réelle à l’arrestographie parfois considérée comme « une science fort douteuse »181. L’absence de motivation des arrêts au xviiie siècle182 contraint l’historien du droit, avec toutes les réserves d’usage, à se référer à ce type de littérature juridique, ces travaux représentant une documentation dense183. D’ailleurs, ces travaux ont été confrontés aux traités manuscrits du professeur Aixois Jean-Baptiste Reboul, ce qui permet d’appréhender la manière dont les décisions du Parlement de Provence sont transmises aux étudiants et intégrées dans un enseignement de « droit françois », au-delà du contenu même de la décision.
69L’ensemble des ouvrages provençaux semble, le plus souvent, fiable et la confrontation de ces recueils au raisonnement juridique des avocats développés dans les consultations et les factums permet de faire des rapprochements, voire de reconstituer une espèce dans son ensemble184. De manière assez sûre, ces travaux font le point sur un problème juridique donné, c’est le cas par exemple des Elémens de jurisprudence de Jean-Joseph Julien, ou encore sur la jurisprudence : tel est le cas des actes de notoriété. Il faut par ailleurs reconnaître une grande valeur aux actes de notoriété, sortes de « certificats authentiques » selon Guyot, peu utilisés par les historiens du droit, mais qui sont des actes par lesquels les officiers d’un siège, consultés sur une matière, donnent la position de leur Parlement185.
70Les recueils d’arrêts du Parlement de Provence, comme celui de Janety à la veille de la Révolution, permettent, comme les consultations d’avocats, de connaître l’établissement et la vie du régime matrimonial des époux ainsi que la solution apportée par ces Messieurs d’Aix à un litige186. Lorsque l’on arrive sur un même type d’espèces à trouver des solutions similaires ou contraires à des dates différentes on peut tenter de déterminer « le droit jurisprudentiel » applicable à la matière et le confronter aux actes de la pratique pour voir si elle est conforme ou non à la règle de droit énoncée par le Parlement de Provence. Bien entendu, nous reprenons à notre compte les mots de l’avocat Camus selon lequel : « l’étude de la jurisprudence supposée nécessaire, la seule manière de parvenir à une connaissance de cette partie, serait de réunir sur chaque question tous les arrêts anciens et modernes qui y sont relatifs. On les comparerait les uns avec les autres ; on les interprèteraient réciproquement ; on saurait qu’elle a été la jurisprudence ancienne, quand elle a changé ; par quels degrés ce changement s’est opéré et enfin quelle est la jurisprudence actuelle. Mais de pareilles recherches emporteraient un temps immense »187.
71S’il est vrai que la jurisprudence présente des imperfections et que les arrêtistes ont de très gênants obstacles à surmonter, on peut noter, relève le professeur Hilaire, que « la jurisprudence, fondée sur l’autorité du juge, demeure un mode important d’expression du droit sous l’Ancien Régime au sens littéral : la pratique notariale n’est pas en mesure de jouer ce rôle, même si elle constitue fréquemment l’objet même qui suscite la jurisprudence »188.
72Véronique Demars-Sion a d’ailleurs récemment démontré que contrairement a un préjugé longtemps répandu189, les arrêtistes sont dans leur ensemble une source assez fiable190.
73Ainsi, malgré les réserves possibles191, les recueils de droit et de jurisprudence et les actes de notoriété sont des sources que le juriste ne peut ignorer lors d’une recherche en histoire du droit privé d’autant qu’un dépouillement exhaustif et une confrontation des auteurs et des documents permet d’éviter le travers qui consiste à se référer à un arrêt unique contraire à une jurisprudence constante et non imprimée ou à un arrêt purement et simplement faux192. Le professeur Lefebvre-Teillard résume d’ailleurs à travers une question les réticences de certains juristes à l’égard de la source que représente les recueils d’arrêtistes : « On a beaucoup critiqué ces recueils, dénoncé, non sans raison, leur manque de fiabilité mais n’est ce pas parce que l’on voudrait y trouver des recueils de jurisprudence tels que nous les concevons ? C’est là à mon sens que se situe l’erreur : ces recueils sont autant des ouvrages de doctrine que de jurisprudence »193. À ce titre, la jurisprudence figurant dans les recueils imprimés des arrêtistes apparaît comme étant une véritable source du droit et ce quel que soit le taux de fiabilité des arrêts rapportés par rapport à la décision effectivement prise par le Parlement194. En réalité, ce sont ces recueils qui permettent la transmission et la connaissance de la jurisprudence : les avocats citent les arrêtistes, les arrêtistes se citent entre eux et les juges royaux s’y réfèrent sans doute pour rendre leurs décisions. L’arrêtiste Bonnet ne reconnaissait-il pas lui-même alors qu’il citait un arrêt du Parlement de Provence rapporté par l’un de ses confrères sans date précise : « combien trouvons-nous dans les livres, d’Arrêts sans datte que nous citons utilement sur la foi des auteurs »195.
74À quelques exceptions près, il y a une certaine logique et une grande cohérence entre la jurisprudence figurant dans les recueils imprimés et celle moins connue figurant dans les consultations d’avocats sur la matière des régimes matrimoniaux. Les faits et les raisonnements juridiques développés par les conseils des parties permettent, la plupart du temps, de comprendre la décision du Parlement196. D’ailleurs, le plus souvent la jurisprudence rapportée par les juristes provençaux s’avère être constante de la deuxième moitié du xviie siècle à la fin de l’Ancien Régime. Dans sa célèbre collection de décisions le procureur au Châtelet de Paris, Denisart, met l’accent sur cette stabilité. La jurisprudence est selon la formule romaine « la science ou l’art du droit » et, en outre, elle se compose des jugements constamment rendus, des maximes et des usages reçus par un tribunal sur l’interprétation de la loi et sur ses différentes applications. L’auteur rappelle ensuite que des circonstances particulières, les jurisconsultes doivent tirer des règles de droit solides et pérennes. Il écrit, en ce sens, que : « les circonstances particulières, qui différentient presque toujours du plus ou moins les affaires, influoient sur leur décision. Ainsi le jurisconsulte doit bien plus s’attacher à étayer les moyens de sa cause sur les vrais principes du droit que sur les arrêts »197.
75Bien entendu, à ces sources viennent s’ajouter les dictionnaires de droit et de pratique d’Ancien Régime, les différents traités du contrat de mariage et du régime dotal. Ces travaux « sont avant tout des œuvres de praticiens au service de praticiens »198 mais qui nous permettent sur certains points de droit d’envisager une démarche comparatiste dans une matière caractérisée par un incomparable pluralisme199.
76Ainsi, en confrontant nos sources, nous tenterons de découvrir par- delà les jeux d’ombre et de lumière de nos archives les mille sinuosités du droit et de la pratique notariale des régimes matrimoniaux en Provence à la fin de l’Ancien Régime. Chaque fois que cela nous sera possible nous croiserons nos sources et nous tiendrons compte du fait que l’établissement du régime matrimonial est, dans une large mesure, conditionné par les problèmes liés à sa dissolution par la mort de l’un des deux époux. Faire vivre le ménage tant qu’il dure en tentant d’adopter le régime aux besoins et aux nécessités du couple et de leur famille respective, en assurant, parfois, le sort qui sera réservé au conjoint survivant apparaît comme le principal impératif. Malgré le caractère séparatiste du régime dotal, hérité du droit romain, il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour comprendre que la communauté de vie entre époux aura inévitablement des incidences sur leurs patrimoines. Les relations pécuniaires entre époux doivent donc être envisagées selon une certaine chronologie qui correspond aux différentes étapes de la vie d’un couple en étudiant, d’une part, la détermination initiale du régime matrimonial (PREMIERE PARTIE) et, d’autre part, la vie du régime matrimonial (SECONDE PARTIE).
Notes de bas de page
1 J. DOMAT, Les loix civiles dans leur ordre naturel, le droit public et les legum delectus, Nouvelle Edition revue corrigée et augmentée par M. de Héricourt, Tome premier, Chez Nyon aîné, Paris, 1777, p. 151.
2 J.-J. JULIEN, Elémens de Jurisprudence selon les lois romaines et celles du Royaume, Chez Antoine David, imprimeur du Roi, Aix, 1785, p. 13.
Dans son Dictionnaire Universel (1690), Furetière donnait sensiblement la même définition du mariage : « Contrat civil par lequel un homme est joint à une femme pour la procréation des enfants légitimes ». Il ajoutait quelques lignes après : « Le mariage, chez les catholiques romains, est un sacrement, un lien sacré et indissoluble ». Il convient de consulter, entre autres études, sur le définition du mariage en tant que contrat civil : F. LEBRUN, « Le contrôle des familles par les Eglises et par les Etats. Le mariage, contrat civil » dans Histoire de la famille sous la direction de A. Burguière, C. Klapisch-Zuber, M. Segalen, F. Zonabend, 2, Le choc des modernités, Armand Colin, Paris, 1986, p. 104.
3 On trouve les notions de matrimonium, nuptiae, iustum matrimonium, iustae nuptiae. Au Digeste (23, 2, 1), une définition du mariage donnée par Modestin a suscité nombre de controverses. Le mariage est selon l’illustre jurisconsulte : « une société de toute la vie, une communauté de droit divin et humain ». Formulation étonnante dans la mesure où le divorce était permis à Rome. Si certains ont vu dans ce passage l’interpolation d’une idée chrétienne surprenante pour un juriste du iiie siècle, il semble que cette formule ne relève pas d’une définition juridique mais d’une conception morale ou philosophique. Voir : J.-P. LEVY, A. CASTALDO, Histoire du droit civil, Précis droit privé, Editions Dalloz, Paris, 2002, p. 83.
Sur le mariage en droit romain : J. GAUDEMET, Sociétés et mariage, Cerdic-publications, Strasbourg, 1980.
4 Ephésiens, V, 22 et s. surtout 32. Le mot latin sacramentum, qui a donné en français le mot sacrement, est la traduction du terme grec Mystèrion. Dans le Nouveau Testament, le mot grec Mystèrion désigne le plan de Dieu pour la rédemption du Monde réalisé par le Christ et révélé à ceux qui ont la foi (Epître aux Ephésiens, I, 9-10).
5 A. LEFEBVRE-TEILLARD, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, P.U.F., Collection Droit fondamental, Paris, 1996, p. 145.
6 Pour les canonistes comme pour les théologiens parmi lesquels saint Thomas d’Aquin (Summa, Ia, 2ae, qu. 102) l’indissolubilité du mariage procède du sacrement. Dès lors, l’accord personnel des époux est nécessaire au mariage, et c’est en ce sens que les premiers glossateurs, les canonistes et saint Thomas en viendront à comparer le mariage à un contrat, contrat qui est la matière du sacrement et ne peut en être dissocié. Mais le mariage n’est réalisé que par l’union charnelle qui donne le caractère de sacrement et peut représenter l’union du Christ et de l’Eglise. Au xiie siècle, le canoniste Gratien tente de concilier mariage-contrat et mariage-sacrement en distinguant deux phases dans le mariage. D’une part, le mariage débute par l’échange des consentements et, d’autre part, il est confirmé par la consommation qui le rend indissoluble. Cependant le théologien Paul Lombard, contemporain de Gratien, reprend l’argument des théologiens antérieurs pour affirmer que le consentement suffit à faire le mariage et c’est dans l’échange des consentements que réside la substance du sacrement. Le consentement devient la cause efficiente du mariage et la source de ce sacrement avec pour conséquence que le consentement des parents n’est plus nécessaire à sa validité. La subtile théorie canoniste du mariage dominera toute la vie sociale au Moyen Age. Les canonistes hésitaient cependant à voir dans le mariage un sacrement à part entière du fait de la place des négociations familiales dans la conclusion des unions. La bulle Exultate Deo de 1439 réaffirmera pourtant le caractère pleinement sacramentel du mariage. Mais les humanistes vont s’attaquer aux xve et xvie siècles aux fondements de l’institution et aux exigences spirituelles. Erasme s’évertue, en interprétant les textes de saint Paul, à ôter au mariage son caractère sacramentel nettement affirmé par le Concile de Florence en décembre 1439. Il conteste la compétence des officialités et des règles de droit canonique. La liberté des époux est circonscrite par des prescriptions humaines, alors que le consensualisme peut conduire à préférer un mariage secret au mariage célébré. Luther rompra également avec la théorie sacramentaire en désacralisant le mariage et en le laïcisant. Calvin reprendra les critiques d’Erasme et de Luther. L’Eglise réunie en Concile, à Trente, avait affirmé de nouveau le caractère sacramentel du mariage, consécutivement à la remise en cause par Erasme, Luther et enfin Calvin de l’indissolubilité du mariage et d’une manière générale du mariage-sacrement. Pour Calvin, le mariage est une institution humaine qui doit être régie par les lois et les tribunaux laïques.
7 Par le décret Tametsi (session 24, 1563), le mariage devient un acte public et solennel. Pour être valable, le consentement doit désormais être échangé publiquement en présence du curé d’un des deux époux ou d’un prêtre autorisé par lui et devant deux ou trois témoins. Pour s’appliquer en France les canons du Concile tridentin, qui avait refusé de soumettre la validité du mariage au consentement des parents, malgré l’insistance des représentants du roi de France, a besoin, en vertu des principes gallicans, d’être enregistré par le Parlement de Paris. Ils ne l’ont jamais été.
Par un édit de 1556, le roi de France condamnera les mariages « clandestins » rendant, sous peine d’exhérédation le consentement des parents obligatoire jusqu’à 30 ans pour les garçons et 25 ans pour les filles. L’ordonnance de Blois de 1579 consacre plusieurs articles au mariage. Dans un article 40, elle reprend au décret tridentin ce qui convenait au Roi : l’exigence des bans, la présence d’un « curé, vicaire ou autre » et de quatre témoins au lieu de deux. Le Roi en revanche rompt avec les prescriptions du Concile en ce qui concerne le consentement des parents. Néanmoins, pour ne pas heurter de front l’Eglise théoriquement compétente, il le fait sans le rendre obligatoire à peine de nullité. En renouvelant l’ordonnance de 1556 dans l’article 41 de l’ordonnance de Blois, et en tenant pour rapt le mariage de tout mineur de 25 ans sans le consentement de ses parents, le Roi permettra à la jurisprudence d’aboutir au même résultat avec la fameuse théorie du rapt de séduction. Ainsi, « l’Ancien Régime marque une étape très importante dans l’histoire du mariage qui devient un acte public et solennel étroitement contrôlé par les familles et par l’Etat. Les premières récupèrent au service des intérêts familiaux une institution que la doctrine chrétienne purement consensuelle avait mise (très relativement) en péril ; le second instaure son contrôle sur une institution dont il fait « le fondement des familles qui composent les républiques » (déclaration de 1639) et par-là même celle de l’Etat monarchique. Tout cela au nom d’un « contrat » survalorisé pour les besoins de la cause » ; A. LEFEBVRE-TEILLARD, verbo « Mariage » dans Dictionnaire de la culture juridique sous la direction de D. Alland et S. Rials, Quadrige-Lamy-P.U.F., Paris, 2003, p. 999.
La bibliographie est abondante sur le sujet. On peut se reporter entre autres études à :
B. BASDEVANT-GAUDEMET, « Les doctrines canoniques sur le sacrement de mariage aux xviie et xviiie siècles » dans Revue de droit canonique, 1992, pp. 287-307 ; J. BART, « De la séduction à la violence dans l’ancien droit » dans Du droit de la province au droit de la nation, Publications du Centre Georges Chevrier, Volume 17, Dijon, 2003, pp. 447-454 ; J.-L. GAZZANIGA, « Les relations matrimoniales dans le Traité de l’abus de Charles Févret » dans Etudes d’Histoire du droit privé en souvenirs de Maryse Carlin, Editions La mémoire du Droit, 2008, pp. 367-383 ; J.-P. AGRESTI, « L’instrumentalisation de la notion de contrat : le mariage au xviiie siècle » dans L’idée contractuelle dans l’histoire des idées politiques, Actes du colloque international de l’AFHIP (6-7 septembre 2007), Collection d’Histoire des Idées Politiques dirigée par Michel Ganzin, XIX, PUAM, Aix-en-Provence, 2008, pp. 239-288.
8 Voir G. LE BRAS, verbo « Mariage » dans Dictionnaire de théologie catholique, « La doctrine du mariage chez les théologiens et les canonistes depuis l’An mil », colonne 2123 à 2317 et J. GAUDEMET, Le mariage en Occident, Les éditions du Cerf, Paris, 1987, pp. 328-329.
9 R.-J. POTHIER, Traité du contrat de mariage et de la puissance du mari, dans Œuvres de Pothier, Nouvelle édition publiée par M. Siffrein, Tome VII, Chez l’éditeur rue Saint-Jean-de-Beauvais, Paris, 1822, p. 8.
10 VOLTAIRE, verbo « Mariage » dans Dictionnaire philosophique, Editions Lequien, Tome 24, Paris, 1821, p. 123.
On peut voir sur la nature juridique du mariage à la fin de l’Ancien Régime : J. MULLIEZ, « Droit et morale conjugale : essai sur l’histoire des relations personnelles entre époux » dans R. H., 111e année, Tome CCLXXVIII, P.U.F., Paris, 1987, pp. 38-66.
11 R.-J. POTHIER, Traité du contrat de mariage et de la puissance du mari, op. cit., p. 1.
Jean Gaudemet a vu dans l’ouvrage de Pothier précité « l’aboutissement de la réflexion doctrinale de l’Ancien Régime sur ce sujet ». Ainsi, « l’auteur tient sans hésitation le mariage pour un contrat d’où le titre du Traité et sa place à la suite de ceux qui concernent les différents contrats. Le mariage est le plus excellent et le plus ancien de tous les contrats […]. C’est celui qui intéresse le plus la société civile […]. Pothier développe longuement l’argumentation désormais traditionnelle. Sans doute le mariage est-il contrat et sacrement. Mais comme contrat, il appartient à l’ordre politique. Il est en conséquence sujet aux lois séculières. En fait la loi règle les formalités et les empêchements et si le mariage viole ces lois il est nul et il n’y a pas non plus de sacrement, car il ne peut y avoir de sacrement sans la chose qui en est la matière ». L’auteur cite dans le corps de son texte des passages du Traité du contrat de mariage de Pothier ; Le mariage en Occident, op. cit., pp. 332-333.
12 J.-B. DENISART, verbo « Contrat de mariage » dans Collection de décisions nouvelles et notions relatives à la jurisprudence actuelle, 7e édition, Tome premier, Chez la veuve Desaint, Paris, 1771, p. 707. P. Roussilhe fait de même dans son Traité de la dot : « Nous entendons ici par contrat de mariage l’acte qui se passe pour régler les conventions des parties » ; P. ROUSSILHE, Traité de la dot à l’usage des pays de droit écrit et de celui de coutume, Tome premier, Imprimerie Antoine Delcros, imprimeur du Roi, Clermont-Ferrand, 1785, p. 66.
La même définition se retrouve dans le dictionnaire de Guyot : « C’est l’acte que passent les futurs conjoints pour régler les conditions relatives au mariage qu’ils vont contracter » ; verbo « Contrat de mariage » dans Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, Nouvelle édition corrigée et augmentée, Chez Visse libraire, Paris 1784, p. 611. Elle l’est encore dans la Science des Notaires de Claude de Ferrière : « Après avoir parlé du Mariage comme Sacrement, il faut expliquer quel il est quant aux effets civils et de quelle nature est le Contrat de Mariage » ; C. de FERRIERE, La science parfaite des notaires ou le moyen de faire un parfait notaire, Nouvelle édition revue et augmentée, Chez Pierre Marteau, Cologne 1724, p. 97.
13 La situation est parfaitement résumée dans les dictionnaires de droit d’Ancien Régime comme par exemple dans celui de Claude-Joseph de Ferrière : « Mariage est un contrat civil élevé à la dignité de Sacrement par lequel l’homme et la femme sont joints d’un lien indissoluble qui ne se peut résoudre que par la mort de l’un d’eux. Le mariage est un Sacrement dont le lien est spirituel et indissoluble […]. Le mariage est un contrat civil. Sur quoi il faut remarquer que par contrat civil nous entendons le consentement des conjoints, donné selon les Loix de l’Etat […]. Le mariage est, comme nous l’avons dit, un Sacrement ; mais un Sacrement dépendant du contrat civil ; de manière que lorsque le contrat est nul par défaut du consentement légitime, le Sacrement n’y peut-être attaché non plus que la forme ne peut subsister sans la matière. Il est vrai que le Sacrement est une chose spirituelle dépendante uniquement de la puissance de l’Eglise ; mais le Sacrement du mariage suppose une convention qui précède ; et cette convention est un contrat civil, qui est dans le pouvoir de l’Etat et du Prince ; c’est pourquoi il dépend de sa prudence de le régler, soit par rapport à l’âge des personnes, soit relativement au pouvoir des pères et mères, tuteurs et curateurs, soit par rapport à des dispenses de parenté par mariage et par rapport à d’autres objets. Le mariage en tant qu’il est un contrat civil reçoit son être et sa perfection de la Loi du Prince et de l’autorité du magistrat » ; verbo « Mariage » dans Dictionnaire de droit et de pratique contenant l’explication des termes de droit, d’ordonnances, de coutumes et de pratique avec les jurisdictions de France, Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée par M.***, Tome second, Chez la Veuve Brunet, Imprimeur- Libraire, Paris, 1769, p. 181. Elle l’est également dans un traité des contrats de mariage du xviiie siècle : « Cette union dans le sacrement à la dignité duquel elle est élevée, représente dans le sens mystique l’union de Jésus-Christ et de son Eglise ». Dès lors, pour l’auteur : « Ce n’est pas que le mariage ne puisse se faire sans contrat ; c’est-à-dire sans acte où l’on écrive des conventions devant un notaire ; le mariage est lui-même un contrat ; l’acte de célébration est le titre qui établit vraiment le contrat de mariage » ; GUERIN de TUBERMONT, Traité des contrats de mariage contenant un recueil des maximes les plus approuvées pour les régler et les dresser avec précaution et les clauses différentes dont peuvent être composez suivant l’usage des Coûtumes de France et du Droit Ecrit pratiqué en ce Royaume, Chez Damien Beugnié, Paris, 1722, p. 10 et p. 117.
14 C-J. de FERRIERE, verbo « Contrat de mariage » dans Dictionnaire de droit et de pratique…, op. cit., Tome premier, p. 369. On retrouve la même définition dans la Nouvelle introduction à la pratique du même auteur : « Contrat de mariage se prend pour le consentement solennel prêté par le mari et la femme en face d’Eglise ; mais ordinairement par contrat de mariage, on entend l’acte ou contrat qui précède la bénédiction nuptiale et qui contient les clauses et conventions faites par rapport au mariage » ; C.-J. de FERRIERE, verbo « Contrat de mariage » dans Nouvelle introduction à la pratique contenant les termes de pratique de droit et de coutume avec les juridictions de France, Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée, Tome premier, Chez Joseph Saugrain, Paris, 1745, p. 424.
15 Jean-Baptiste Reboul (1640-1719) a été professeur royal des Institutes à l’Université d’Aix à partir de 1675. En 1677, il acquiert l’office de substitut du procureur général du Roi au Parlement d’Aix. Après l’Edit de Saint-Germain-en-Laye de 1679, il devient le premier professeur de droit français à l’Université d’Aix par déclaration royale du 31 décembre 1683. Reboul a enseigné quasiment jusqu’à son décès. Il a laissé vingt-deux traités manuscrits qui permettent de retrouver des éléments sur ses enseignements (vingt-et-un sont consacrés à des questions de droit privé et représentent environ 5500 pages).
16 Bibliothèque Municipale à Vocation Régionale (BMVR), Bibliothèque de l’Alcazar, Marseille, Fonds rares et précieux, J.-B. REBOUL, Traité « Du contract de mariage des constitutions de dot des conventions matrimoniales et de tout ce qui regarde le droit des mariez » n° 3, Ms 622, pp. 2-3.
17 C.-J. de FERRIERE, verbo « Mariage » dans Dictionnaire de droit et de pratique…, op. cit., Tome second, p. 181. Paul Ourliac et Jean-Louis Gazzaniga notaient que : « Couramment, le « contrat de mariage » ne désigne pas le mariage lui-même mais les conventions pécuniaires négociées par les époux et plus encore par les familles : preuve certaine que les considérations d’intérêts sont bien souvent essentielles. Le contrat est un véritable pacte de famille qui concerne forcément le régime des biens entre époux, mais parfois aussi la succession de leurs parents ou la condition qui sera faite aux enfants à naître » ; Histoire du droit privé français de l’an mil au Code civil, Albin Michel, Collection « L’évolution de l’Humanité », Paris, 1985, pp. 299-300.
18 Jean-Joseph Julien (1704-1789) a été professeur de 1732 à 1789. Il a été également assesseur d’Aix, procureur du Pays de Provence de 1747 à 1753 et a été anobli en 1768. Conseiller au « Parlement Maupeou » en 1771, il est devenu conseiller en la Cour des Comptes en 1775.
Les renseignements donnés dans la présente étude concernant les juristes provençaux sont, pour une grande partie, empruntés aux travaux du professeur Jean-Louis Mestre : Un droit administratif à la fin de l’Ancien Régime : le contentieux des communautés de Provence, L.G.D.J., Bibliothèque de droit public, Paris, 1976, pp. 585-589.
19 J.-J. JULIEN, Elémens de Jurisprudence…, op. cit., pp. 13-38 et pp. 45-71.
20 « Après avoir traité du mariage même, et de la puissance qu’il donne au mari sur la personne et les biens de sa femme, il est de l’ordre de traiter des principales conventions qui l’accompagnent ordinairement, et qu’on appelle conventions matrimoniales […]. Ce terme de contrat de mariage se prend ici pour l’acte qui contient les conventions que font ensemble les personnes qui sont sur le point de se marier » ; R.-J. POTHIER, Traité de la communauté, op. cit., Tome VIII, p. 1.
21 C.-J. de FERRIERE, La science parfaite des notaires ou le parfait notaire, Tome premier, Nouvelle édition par F.-B. de Visme, Chez Mouret, Paris, 1758, p. 174.
22 L’auteur ajoutait : « L’Ancien Régime n’a pas voulu pousser jusqu’au bout la distinction : il faut attendre les textes révolutionnaires pour que le contrat soit formellement distinct de la cérémonie religieuse » ; M. BOULETSAUTEL, « Théâtre et droit : Marivaux, Le jeu de l’amour et du hasard » dans Etudes sur l’Ancienne France offertes en hommage à Michel Antoine, Textes réunis par Bernard Barbiche et Yves-Marie Bercé, Mémoires et documents de l’Ecole des Chartes 69, Ecole des Chartes, Paris, 2003, p. 99.
23 A. COLOMER, Droit civil - Régimes matrimoniaux, 12ème édition, Manuels, Litec, Paris, 2004, p. 4. « On pourrait, il est vrai, entendre plus largement l’expression et ne pas réduire au seul aspect pécuniaire – patrimonial – l’usage de l’adjectif matrimonial ». Le plaisir de l’esprit logique y trouverait mieux son compte, en ce sens que tout ce qui découle du mariage, y compris quant aux effets personnels entre époux […] présente un caractère matrimonial. Mais la tradition en a décidé autrement : le régime matrimonial est celui qui régit les biens des époux et leurs pouvoirs respectifs sur ces biens » ; F. TERRE, P. SIMLER, Droit civil, Les régimes matrimoniaux, 4ème édition, Précis Dalloz, Paris, 2005, pp. 1-2.
24 Contrat de mariage du 6 janvier 1750 entre Jean-François Eyguesier travailleur et Marie Anne Reinoard fille de travailleur ; AD BdR., 301 E 387, Gabriel Rambot notaire à Aix, f° 708 recto à 711 recto. En voici un autre exemple : « de leur gré ont promis de se prendre et épouser en légitime mariage en face de l’Eglise romaine à la réquisition de l’une d’elles » ; Contrat de mariage du 21 janvier 1788 entre François Teston travailleur et Marie Catherine Sibaud fille d’un travailleur ; AD BdR., 2 E 389, Chaudon notaire à Valensole, f°199 recto à 202 recto.
25 Jean Gaudemet montre cependant que le mariage conclu devant un notaire a laissé des traces non équivoques au moins en littérature. En 1775, dans le Barbier de Séville le notaire est appelé pour « unir » les époux avec « l’assistance de deux témoins » et la comédie montre qu’après les signatures le mariage est conclu ; J. GAUDEMET, Le mariage en Occident, op. cit., p. 365.
26 Ce constat que nous faisons pour la deuxième moitié du xviiie siècle semble être en réalité dans la continuité des habitudes notariales des siècles antérieurs. Gabriel de Bonnecorse de Lubières affirmait, en effet, que « le contrat de mariage porte soit le nom de mariage tout court, soit celui de constitution de dot ou de douaire ». Ainsi, pour l’auteur : « Dès le début du xve siècle, quelles que soient les survivances du passé, le contrat de mariage est définitivement sécularisé ». Il convient de préciser que si nous avons rencontré quelques fois la terminologie « constitution de dot », le terme « douaire » a totalement disparu du vocabulaire des notaires au xviiie siècle ; G. de BONNECORSE DE LUBIERES, La condition des gens mariés en Provence aux xive, xve et xvie siècles, Thèse droit Aix-en-Provence, Imprimerie Paul Roubaud, Aix-en-Provence, 1929, p. 15 et p. 26.
27 Par exemple, « Contrat de mariage entre sieur Jean-Pierre Davin horloger et la demoiselle Marte Thérèse Couteron », 6 janvier 1770 ; AD BdR., 305 E 190, Jean-Antoine Baille notaire à Aix, f°224 verso à 227 recto. En 1788, le même notaire emploie la formule suivante pour désigner un contrat de mariage entre époux : « Mariage entre Pierre André et Marie Claire Feraud », le 28 juillet 1788 ; AD BdR., 305 E 198, Jean-Antoine Baille notaire à Aix, f°196 recto à 199 verso.
28 Par exemple, « Contrat de mariage Jean Jourdan, Marie Ormea », 4 octobre 1788 ; AD BdR., 357 E 219, Guairard notaire à Marseille, f°410 recto à 411 recto.
29 A titre d’exemple : « L’an mil sept cent quatre vingt huit et le vingt du mois de mars avant midi pardevant nous notaire royal à Marseille soussignés et les témoins à la fin nommés furent présentes Elizabeth, Madeleine et Thérèse Barbaroux épouses libres dans l’administration de leurs biens et affaires savoir la première de Pierre Honoré Bonhomme, la seconde de François Bellon et la troisième de Jean-Pierre Ermian tous ménagers du terroir de cette ville suivant qu’il en résulte par leur contrat de mariage du second novembre 1754 sous écritures de Me Estuby notaire de cette ville, quatorze septembre 1759 aux écritures de Me Ponsard notaire aussi en cette ville et vingt trois juin 1764 aux écritures de nousdit notaire » ; Quittance faite par Elizabeth Madeleine et Thérèse Barbaroux sœurs en faveur de sieur Thomas Guès, AD BdR., 355 E 564, Jean-François de Cormis notaire à Marseille, f°200 recto à 200 verso.
30 Dans ses travaux sur les comportements intimes et la sexualité dans l’Ancienne France, Jean-Louis Flandrin a décrit un monde différent dont « les normes, les valeurs et les priorités nous sont largement étrangères : le mariage qui fonde le couple n’y paraît guère qu’une affaire d’argent » ; J.-L. FLANDRIN, Le sexe et l’Occident. Evolution des attitudes et des comportements, Seuil, Paris, 1981. Voir également A. WALCH, Histoire du couple en France de la Renaissance à nos jours, Editions Ouest-France, Rennes, 2003, p. 8. Dans le même sens F. Lebrun ajoutait : « Le mariage doit être aussi une union assortie. L’ordre social est perçu comme quasi immuable ». Affaire d’intérêts, union assortie, le mariage est une chose trop sérieuse sous l’Ancien Régime pour résulter du seul choix personnel des époux – quand celui-ci existe. Ce sont généralement les parents qui règlent au mieux les intérêts des parties, pour l’auteur ; La vie conjugale sous l’Ancien Régime, 4e édition, Armand Colin, Collection U, Paris, 1998, p. 22.
31 André Burguière, éminent spécialiste du mariage situe au xviie siècle le moment où le sentiment amoureux et le couple se rejoignent, après un lent processus de maturation qui opère depuis le xive siècle. Maurice Daumas insiste, quant à lui, sur l’apparition des marques de tendresse dans les représentations conjugales. Ces transformations entraînent au xviiie siècle des transformations plus radicales. A la veille de la Révolution, l’amour a trouvé une place qui ne cessera de grandir ; Ibid. Un passage de la pièce Le jeu de l’amour et du hasard de Marivaux en 1730 est révélateur à ce sujet et montre, si besoin était, que même si l’amour peut être le point de départ d’un mariage celui-ci ne peut se sceller définitivement, sous l’Ancien Régime, que si un accord financier a été trouvé entre les parties. Acte premier, Scène II : « Monsieur Orgon : Allons, Allons, il n’est pas question de tout cela. Tiens ma chère enfant, tu sais combien je t’aime. Dorante vient pour t’épouser. Dans le dernier voyage que je fis en Province, j’arrêtai ce mariage-là avec son père, qui est mon intime et ancien ami ; mais ce fut à condition que vous vous plairiez à tous deux, et que vous auriez entière liberté de vous expliquer là dessus ; je te défends toute complaisance à mon égard : si Dorante ne te convient point, tu n’as qu’à le dire et il repart ; si tu ne lui convenais pas, il repart de même. Lisette : Un duo de tendresse en décidera, comme à l’opéra : vous me voulez, je vous veux, vite un notaire ! Ou bien : m’aimez-vous ? Non, ni moi non plus, vite à cheval ». On peut voir sur la littérature et le mariage d’amour au xviie et xviiie siècles, A. BURGUIERE, « La formation du couple, Naissance du mariage d’amour » dans Histoire de la famille, op. cit., pp. 133-140. L’auteur montre bien qu’au xviiie siècle la littérature tend vers une intrigue où le mariage trouve un dénouement heureux où les parents poussent leurs enfants à respecter leurs désirs profonds, à favoriser leur bonheur même contre leur gré. La seule loi du mariage c’est désormais l’amour. Mais l’auteur rappelait tout de même que « considérer les personnages de Corneille, Molière ou Marivaux comme représentatifs des comportements de leur temps, ce serait ignorer la fonction propre de l’imaginaire qui interdit de voir dans une œuvre le simple reflet de la réalité. Les situations fictives ne reflètent pas les situations réelles mais seulement la signification que leur attribuent les acteurs sociaux […]. La littérature, écrit E. Le Roy Ladurie, est non pas imitative de l’existence sociale, mais normative par rapport à celle-ci et corrélée par elle (1980) » ; Ibid., p. 135.
32 Cité par D. GODINEAU, Les femmes dans la société française xvie-xviiie siècle, Armand Colin, Collection U, Paris, 2003, p. 173.
33 Pour l’exemple cité : Contrat de mariage du 14 avril 1789 entre Jean-Joseph Teste jardinier et Marie Mitre fille d’un jardinier ; AD BdR., 302 E 1337, François Boyer notaire à Aix, f°68 recto à 71 verso. Cette formule est usuelle chez les notaires provençaux. En voici un autre exemple : « et pour l’amour mutuel que les futurs à marier se portent déclarent se faire donnation d’augment et de survie pour cause de nopces et irrévocable sçavoir ledit Antoine Chauvin futur époux a laditte Anne Elizabeth Leydet sa future épouse de la somme de 30 livres et elle à luy de celle de 15 livres » ; Contrat de mariage du 26 juin 1788 entre Antoine Chauvin travailleur journalier et Anne Elizabeth Leydet fille d’un ménager ; AD AdHP, 2 E 14951, Joseph Alexandre Hermitte notaire à Digne, f°315 recto à 318 recto.
34 Testament du 25 septembre 1770 de Pierre la Croix bourgeois d’Aix ; AD BdR., 309 E 1455, Jean-François Allard notaire à Aix, f°316 verso à 317 recto. Cette formule n’est pas utilisée par tous les notaires provençaux dans les testaments. Souvent le notaire ne fait pas référence à l’affection que peuvent se porter les époux, quelques fois il y fait simplement allusion : « et disposant de ses biens a légué et lègue à Antoine Ollivier son très cher époux les fruits et usufruits de ses biens et héritages » ; Testament du 7 janvier 1770 d’Honorade Bonfillon épouse d’Antoine Ollivier ménager ; AD BdR., 303 E 620, François Guirand notaire à Vauvenargues, f°255 recto à 257 recto.
35 Gassier (1730-1811) a été avocat au Parlement d’Aix à partir de 1756, syndic de Robe de la Noblesse provençale anobli en 1777. Pazery (1721-1808) a été avocat au Parlement d’Aix, professeur à l’Université d’Aix et procureur au pays de Provence en 1762 et 1763 puis syndic de Robe de la Noblesse de Provence.
36 Consultation de Gassier et Pazery ; AD BdR., 10 F 73, n° 37, Pour la demoiselle Mourraille épouse du sieur Bourelly contre ledit sieur Bourrely (Marseille), 7 avril 1769.
37 Il est par exemple défendu par l’ordonnance de Blois en son article 182 aux veuves remariées à des personnes indignes ou à leurs valets de faire un avantage à leur second mari. De même une ordonnance royale de 1629 prive la femme remariée à une personne pauvre du douaire qu’elle a acquis lors de son premier mariage ; C.-J. de FERRIERE, verbo « Mariage inégal » dans Dictionnaire de droit et de pratique…, op. cit., Tome second, p. 191.
38 « Marier sa fille à un noble, même peu argenté, est pour un riche bourgeois un investissement aussi intéressant que l’achat d’un office anoblissant ou d’une seigneurie. A l’inverse, dans la mesure où c’est le mari qui donne son titre à l’épouse, une jeune aristocrate ne doit pas se marier en dessous de son rang – ce qui limite d’avantage les possibilités d’union pour les filles que pour les garçons » ; D. GODINEAU, Les femmes dans la société française xvie-xviiie siècles, op. cit., pp. 29-30.
39 « Moins il y a de biens et plus la liberté de choix des filles est grande. Mais le mariage n’en est pas moins une affaire tout aussi sérieuse que dans les couches supérieures et les préoccupations économiques ne sont pas étrangères au choix du futur conjoint, même quand les parents n’interviennent pas » ; Ibid., pp. 31-32. Dans l’aristocratie, la bourgeoisie ou la Robe les pratiques sont les mêmes en matière de mariage dans la mesure où des intérêts financiers importants ou des stratégies sociales président au choix du conjoint. Dans les classes populaires, nous retrouvons les mêmes principes « mais avec des différences liées aux différences mêmes des conditions matérielles ». De plus, « l’homogamie socioprofessionnelle est très forte à la campagne comme à la ville, on se marie à l’intérieur de son propre groupe social » ; F. LEBRUN, La vie conjugale sous l’Ancien Régime, op. cit., p. 25.
40 B. BEIGNIER, « Le chêne et l’olivier » dans Jean Foyer auteur et législateur, Ecrits en hommage à Jean Foyer, P.U.F., Paris, 1997, pp. 355-356.
41 Archives Parlementaires, 1ère série, Paris 1867-1985, Tome XX, 21 novembre 1790, p. 598 ; Cité par J. POUMAREDE, « Géographie coutumière des prestations matrimoniales dans l’ancien droit », dans Les Annales de Clermont-Ferrand, Colloque Dot, femme et mariage tenu à la Faculté de Droit et de Science Politique de l’Université d’Auvergne les 31 mars et 1er avril 1995, Volume 32, 1996, p. 133.
42 On peut consulter en dernier lieu la précieuse thèse de : V. LEMONNIER-LESAGE, Le statut de la femme mariée dans la Normandie coutumière, Droit et pratique dans la généralité de Rouen, P.U. de la Faculté de Droit de Clermont-Ferrand, Université d’Auvergne – L.G.D.J., Clermont-Ferrand, 2005.
43 J. BRISSET, L’adoption de la communauté comme régime légal dans le Code civil, P.U.F., Paris, 1967, p. 3.
44 A. LEFEBVRE-TEILLARD, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, op. cit., pp. 181 et s.
45 Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, par P.-A. FENET, Tome Treizième, Videcoq libraire, Paris, 1836, p. 805.
46 La loi du 13 juillet 1965 marque une modification substantielle du droit des régimes matrimoniaux dans le sens d’une émancipation de la femme mariée et de l’égalité entre époux mais également dans le respect de la tradition communautaire des pays de coutumes d’Ancien Régime consacrée par le Code civil de 1804. La loi de 1965 est le résultat d’une longue évolution législative et d’importants débats. La réforme de 1965 est un aboutissement. Le Garde des Sceaux Jean Foyer est parvenu à mettre en place « l’indispensable réforme des régimes matrimoniaux restée en panne depuis plusieurs années ». La suppression de l’incapacité de la femme mariée en 1938 avait entraîné une inadaptation des dispositions sur les relations patrimoniales entre époux imparfaitement corrigée en 1942 [Voir, J.-L. HALPERIN, Histoire du droit privé français depuis 1804, Quadrige, P.U.F., Paris, 2001, p. 311]. Par la loi de 1965, le régime légal a cessé d’être la communauté de meubles et d’acquêts adoptée en 1804. Le régime de droit commun est devenu une communauté réduite aux acquêts de sorte que tous les biens -éléments actifs et passifs – des époux existant avant le mariage leur demeurent propres. La masse commune est composée des biens acquis à titre onéreux pendant le mariage : demeurent propres les biens acquis à titre gratuit pendant le mariage par les époux par donation, testament ou succession. Cette loi a également modifié les règles relatives aux pouvoirs des époux. Chacun d’entre eux conserve le pouvoir d’administrer ses biens propres et d’en disposer. Le mari demeure cependant le chef de la communauté. Certes pour les actes graves, dont la liste a été allongée dans le Code civil, il doit obtenir le consentement de sa femme. Il administre encore seul les biens communs et peut en disposer librement. Il faudra attendre deux décennies pour que le législateur parvienne à une égalité parfaite des époux en matière de droit des régimes matrimoniaux. La loi du 23 décembre 1985 « relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs » décide que « chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer, sauf à répondre des fautes qu’il aurait commises dans sa gestion » (article 1421 alinéa premier du Code civil).
47 Le Code civil français, Evolution des textes depuis 1804, sous la direction de P. Bihr, Editions Dalloz, Paris, 2000, p. 383 et s.
48 A. LEFEBVRE-TEILLARD, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, op. cit., p. 178.
49 A. COLOMER, Droit civil, Régimes matrimoniaux, op. cit., p. 156 ; Voir également : D. THIEL, « Des recours ouverts contre les changements conventionnels des régimes matrimoniaux : le dynamisme de la Cour de cassation face à l’immobilisme du législateur » dans R.R.J., n° XXVIII-97, P.U.A.M., Aix-en-Provence, 2003, en particulier p. 271.
La loi du 23 juin 2006 est largement revenue sur le principe de l’immutabilité des conventions matrimoniales en abandonnant, dans certaines circonstances, l’homologation judiciaire mise en place en 1965. La Convention de La Haye du 14 mars 1978 permettait aux époux dont la situation présentait un élément d’extranéité de changer de régime matrimonial sans contrôle judiciaire (article 6). La doctrine s’est montrée dès lors favorable à cette position et la réforme de 2006 a mis en place la possibilité de changement de régime matrimonial sans convention notariée dans la mesure où les enfants et les tiers demeurent protégés ; Voir R. CABRILLAC, « La loi du 23 juin 2006 et le droit des régimes matrimoniaux lato sensu » dans Droit des régimes matrimoniaux, successions et libéralités, Collection Lamy droit, Paris, 2007, n° 102-30.
50 Le premier texte important est celui de la Loi du 13 juillet 1907 sur le libre salaire de la femme mariée, réservant à celle-ci le droit de disposer librement, non seulement de ses gains et salaires, mais aussi des biens acquis avec ceux-ci, appelés biens réservés. Ce dispositif sera abrogé en 1985. Plus importante a été la loi du 18 février 1938 sur l’abolition de l’incapacité de la femme mariée. Mais cette loi n’a pas bouleversé la situation des femmes mariées, faute d’une modification corrélative des règles gouvernant la communauté de biens entre époux concernant les pouvoirs prépondérants du mari. Seules les femmes séparées de biens ont tiré un profit immédiat de l’abolition de l’incapacité de la femme mariée en retrouvant le pouvoir de gérer seules leur patrimoine. Une loi circonstancielle du 22 septembre 1942 a pris un certain nombre de mesures ponctuelles et significatives dans un temps où la guerre a, de fait, donné aux épouses une responsabilité accrue dans les activités économiques. Cette loi harmonise divers textes avec le nouveau principe de capacité : interdiction est faite au mari de disposer seul à titre gratuit des biens de la communauté, même pour l’établissement des enfants communs, et la possibilité est offerte aux épouses d’obtenir du juge le pouvoir d’accomplir certains actes, notamment en cas d’impossibilité ou de refus du conjoint d’y recourir. Mais c’est avec la loi du 13 juillet 1965 que l’objectif poursuivi par le législateur a réellement été l’égalité entre époux, « réinventée après une éclipse de plus de deux siècles ». Les traits essentiels de la loi sont les suivant : d’une part, le remplacement de la communauté de meubles et acquêts par la communauté réduite aux acquêts, d’autre part l’indépendance totale des époux en ce qui concerne leur patrimoine propre et enfin l’institution d’une symétrie parfaite dans la gestion des biens communs (chacun devant recueillir le consentement de l’autre pour les actes les plus importants). La loi de 1965 retient la solution de la gestion d’une partie de la communauté par chacun des époux. Le mari reste le gérant de principe de la communauté mais avec des pouvoirs limités, et la femme gère les biens réservés. Mais la symétrie n’est qu’apparente du fait de la rareté des biens réservés. Le mari conservait une place prépondérante en droit en qualité de gérant unique de la communauté. La loi du 23 décembre 1985 apporte un point final à cette conquête de l’égalité par l’institution de la gestion concurrente. Chaque époux a les mêmes pouvoirs indépendants sur l’ensemble des biens communs, avec les mêmes limites, d’ailleurs inchangées, tenant à l’exigence du concours du conjoint pour un certain nombre d’actes importants. La notion de biens réservés est abolie. Voir sur l’ensemble de ces questions, outre les manuels de droit civil, P. SIMLER, « L’évolution du droit des régimes matrimoniaux de 1804 à 1989 ou la conquête de l’égalité » dans Le droit de la famille en Europe son évolution de l’Antiquité jusqu’à nos jours, Actes des journées internationales d’Histoire du droit publiés sous la direction de R. Ganghofer, Presses universitaires de Strasbourg, Strasbourg, 1992, pp. 555-559.
51 Cette discordance entre le droit et la réalité vécue, « cette revanche de la réalité sociologique sur le dispositif juridique explique probablement en partie, que le statu quo législatif ait pu durer aussi longtemps » pour Philippe Simler, Ibid., p. 556.
52 Journal officiel, Débats Assemblée nationale, séance du 26 juin 1965, p. 2584.
53 B. BEIGNIER, « Le chêne et l’olivier », op. cit., p. 355.
54 R. CABRILLAC, « La loi du 23 juin 2006 et le droit des régimes matrimoniaux lato sensu », op. cit., n° 176-43.
55 Actuellement, environ 7 % des couples font un contrat de mariage ; B. BEIGNIER, verbo « Régimes matrimoniaux » dans Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., pp. 1322-1328.
56 G. CORNU, Les régimes matrimoniaux, op. cit., pp. 15-16.
57 L’auteur ajoute : « On appelle aussi conventions matrimoniales, les dispositions de la Loi dont les conjoints peuvent, après la dissolution du mariage ou de la communauté, demander l’exécution, in vim legis & consuetudinis. La faveur du mariage fait qu’on y admet toutes sortes de conventions, exceptées celles qui sont contre la loi ou contre les bonnes mœurs » ; C.-J. de FERRIERE, verbo « Conventions matrimoniales » dans Dictionnaire de droit et de pratique…, op. cit., Tome premier, p. 381.
58 Voir par exemple : J. HILAIRE, « L’évolution des régimes matrimoniaux dans la région de Montpellier aux xviie et xviiie siècles » dans M.S.H.D.B., Faculté de droit et de sciences économiques de Dijon, 27e fascicule, « Le droit des gens mariés », Dijon, 1966 ; P.-C. TIMBAL, Droit romain et ancien droit français, Régimes matrimoniaux, Successions, Libéralités, 2e édition, Précis Dalloz, Paris, 1975 et plus récemment M. ROMIER, « Le régime matrimonial des commerçants et artisans au xviiie siècle (1724-1793) d’après les actes des notaires grenoblois », dans R.H.D., n° 2, avril-juin 1999.
59 Claude-Joseph de Ferrière présente d’ailleurs le contrat de mariage comme la loi des familles ; verbo « Contrat de mariage » dans Nouvelle introduction à la pratique contenant les termes de pratique de droit et de coutume avec les juridictions de France, Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée, Tome premier, Chez Joseph Saugrain, Paris, 1745, p. 425.
60 G. CORNU, verbo « Régime » dans Vocabulaire juridique, 2e édition, P.U.F., Quadrige, Paris, 2001, p. 736.
61 A. COLOMER, Droit civil, Régimes matrimoniaux, op. cit., p. 3 note 4. L’auteur ajoute au même endroit : « L’une des préoccupations fondamentales du couple est d’assurer une vie décente au survivant. Un régime matrimonial qui fait échoir la totalité des biens dans la masse commune qui sera partagée entre ce dernier et les héritiers du défunt y pourvoit. Le droit successoral intervient ici à titre complémentaire. Sa contribution devient au contraire fondamentale dans un régime matrimonial qui maintient séparés les intérêts pécuniaires des conjoints ».
62 Le droit patrimonial de la famille recoupe les régimes matrimoniaux et les successions ; Voir R. ROBAYE, Une histoire du droit civil, 2e édition, Academia Bruylant, Collection Pédasup, n° 24, Belgique, Louvain-la-Neuve, 2000, p. 27.
63 « L’étude trop fragmentaire des matières, dans nos facultés de droit, ne permet pas de s’apercevoir à quel point des institutions diverses comme les régimes matrimoniaux, le douaire, les autres gains de survie, les successions ab intestat entre époux, les donations, les testaments forment dans la réalité pratique un ensemble, un arsenal où législateurs et praticiens viennent puiser pour tenter de résoudre le problème que pose la survie d’un conjoint à l’autre. Ce problème […] est celui de concilier deux exigences opposées. D’un côté, il convient d’assurer la subsistance du survivant, en particulier quand il est âgé, le maintien aussi de ses habitudes, de sa résidence, de son « train de vie ». Et quand on parle de survivant on pense avant tout à la veuve. Mais en sens inverse, les parties veulent éviter le passage des biens provenant d’elles à la famille du survivant, soit qu’il se remarie, soit, en tout cas, lorsqu’il viendra à décéder à son tour. Entre ces deux intérêts inévitablement contradictoires, la solution idéale n’a jamais pu être trouvée » ; J.-P. LEVY, « Coup d’œil historique d’ensemble sur la situation patrimoniale du conjoint survivant » dans Diachroniques, Essais sur les institutions juridiques dans la perspective de leur histoire, Editions Loysel, Paris, 1995, p. 137.
64 Très souvent les interrogations patrimoniales entre gens mariés ne sont liées qu’à la notion de dissolution du mariage par le décès de l’un des époux et le sort du conjoint survivant n’est compréhensible que par une vue d’ensemble de la matière du droit patrimonial de la famille.
65 « En réalité, on sait bien que la diffusion du droit contenu dans les compilations de Justinien avait été une véritable entreprise de colonisation juridique qui s’était opérée au cours des xiie et xiiie siècles » ; J. POUMAREDE, verbo « Coutumes et droit écrit » dans Dictionnaire de l’Ancien Régime sous la direction de L. Bély, P.U.F., Paris, 1996, p. 368.
Pour la Provence nous renvoyons à l’étude du professeur Jean-Pierre Poly : « Les légistes provençaux et la diffusion du droit romain dans le midi » dans S.H.D.E., Mélanges Roger Aubenas, Fascicule IX, Montpellier, 1974, pp. 613-635.
66 L’apparition des premiers notaires publics en Provence daterait de 1217 ; M.-L. CARLIN, La pénétration du droit romain dans les actes de la pratique provençale (xie-xiiie siècles), Bibliothèque d’Histoire du droit et droit romain, L.G.D.J., Paris, 1967, p. 45.
67 Cette expression est empruntée au professeur Hilaire : La vie du droit, P.U.F., Collection Droit, Ethique, Société, Paris, 1994.
68 J. HILAIRE, La science des notaires, une longue histoire, P.U.F., Droit, Ethique et Société, Paris, 2000, p. 32.
69 M.-L. CARLIN, La pénétration du droit romain…, op. cit, p. 157.
Jean Hilaire ajoute : « De là à répéter comme l’on fait les historiens que les notaires se contentaient de recopier mécaniquement des formules revient à éluder trop facilement des questions essentielles. Dès le xiie siècle, en effet, l’apparition du notariat dans les régions méridionales a contribué directement à diffuser du droit des compilations de Justinien et, selon l’expression désormais couramment employée par notre historiographie contemporaine, à susciter l’émergence du droit après une longue période de régression de plus d’un demi-millénaire c’est-à-dire depuis la fin de l’Empire romain en occident » ; J. HILAIRE, La science des notaires…, op. cit., p. 31.
Le même auteur note : « [Les notaires] sont en même temps des conseillers avant d’être des bâtisseurs d’actes […]. Ils doivent d’abord rechercher l’intérêt de leurs clients dans la destinée de l’acte c’est-à-dire assurer la meilleure couverture juridique de leurs actes face au judiciaire. Ils doivent assurer la stabilité de l’acte public. Bref, leur point de vue n’est pas savant, il est utilitaire avant tout. Au xviiie siècle, il en sera toujours ainsi mais peut-être quelques progrès (encore bien lents) dans la formation juridique auront fait pénétrer davantage le droit savant dans la pratique notariale » ; « Pratique notariale et droit romain dans les pays de droit écrit » dans Droit romain, Jus civile et droit français sous la direction de J. Krynen, Etude d’histoire du droit et des idées politiques, Presse universitaire des sciences sociales de Toulouse, Toulouse, 1999, p. 411.
70 Ainsi, « il est tout à fait inexact de parler, pour le Moyen Age, de pays de droit écrit. Simplement, dans le midi de la France, la pénétration romaine a été plus précoce et plus profonde que dans le reste du pays ; mais elle n’a pas été alors complète » ; J.-P. LEVY, A. CASTALDO, Histoire du droit civil, op. cit., p. 6.
71 « Il y a des Provinces en France qui n’ont point de Lois municipales uniformes rédigées en Coûtumes : elles n’ont au plus que des Statuts particuliers sur certaines choses, et en général elles se régissent selon l’Esprit des Loix romaines ; comme la Gascogne, le Languedoc, la Provence, le Lyonnois, le Dauphiné, le Beaujolois, le Fôrets, le Mâconnois et autres pays adjacens. Elles suivent le Droit romain en l’état à peu près où il se trouve réduit par les Novelles de Justinien » ; GUERIN de TUBERMONT, Traité des contrats de mariage…, op. cit., p. 607.
72 Ferrière donne la définition suivante du droit écrit : « Le droit écrit en France est le droit romain qui est observé comme Lois dans quelques provinces de ce Royaume, qu’on appelle pays de droit écrit ; à la différence des pays coutumiers qui suivoient anciennement certains usages non rédigés par écrit ; quoique depuis ces usages ayent été arrêtés et rédigés par écrit par les Etats de province sous l’autorité royale et que ces usages que nous appelons coutumes aujourd’hui, ayent tous les véritables caractères du droit écrit est toujours spécialement usité pour signifier le Droit romain et cela pour le distinguer des coutumes, qui dans leur origine était un droit non écrit. Ainsi le Droit romain a dans ce Royaume deux différents usages. L’un est que dans les Provinces qui sont appelées pays de droit écrit, le Droit romain a la même autorité qu’ont dans les autres pays leurs Coutumes propres. L’autre usage du Droit romain est que dans les pays coutumiers il est considéré et suivi comme une raison écrite qui nous détermine à suivre les principes d’équité et de raison qu’il nous enseigne, sans pour cela avoir force de Loi ni autorité publique » ; C.-J. de FERRIERE, verbo « Droit écrit en France » dans Dictionnaire de droit et de pratique…, op. cit., Tome premier, p. 504.
73 Bretonnier au xviiie siècle dans ses Questions de droit s’attachait à donner la manière de juger des différents parlements de droit écrit. Charles Lefebvre notait à ce propos : « Il n’y avait pas à proprement parler de jurisprudence uniforme dans tout le Midi, même quant à l’application des lois romaines. Des divergences subsistèrent entre les divers Parlements de droit écrit » ; C. LEFEBVRE, L’histoire du droit matrimonial français, Le droit des gens mariés aux pays de droit écrit et de Normandie, Cours de doctorat (1910-1911), Librairie de la société du recueil Sirey, Paris, 1912, p. 39.
74 « Chaque parlement a sa conception du droit commun et applique à sa manière les règles romaines, ce qui aboutit à des divergences au moins aussi profondes que dans les pays de coutumes. Bretonnier, comparant les diverses jurisprudences, pouvait dire en 1742 que si le Midi était régi par une seule loi, c’était une loi morte que chaque Parlement, chaque tribunal, chaque juge interprétait suivant ses lumières, son goût ou son caprice » ; P. OURLIAC, J.-L. GAZZANIGA, Histoire du droit privé français de l’An mil au Code civil, Albin Michel, Collection « L’évolution de l’humanité », Paris, 1985, pp. 164-165.
75 J. BART, Histoire du droit privé de la chute de l’Empire romain au xixe siècle, Montchrestien, Domat droit privé, Paris, 1998, p. 112.
76 AD BdR., 10 F 33, Mémoire n° 16, pp. 1-2.
77 « S’il est une certitude dans l’histoire du Parlement de Provence c’est celle de l’attachement des magistrats pour le droit romain et pour les statuts locaux. L’influence de ces premières affections ne s’efface jamais. La Cour considère les lois romaines comme un patrimoine sacré ; y déroger est toujours considéré comme un abus d’autorité néfaste, un signe de décadence, une atteinte portée aux privilèges du pays […]. L’application du droit romain se justifie par des arguments qui trouvent dans l’histoire du Comté une base solide » ; L. WOLFF, Le Parlement de Provence au xviiie siècle, Organisation-Procédure, Thèse droit Aix, Imprimerie B. Niel, F.N. Nicollet, Aix, 1920, pp. 12-13.
78 Jacques Poumarède reconnaît que : « Le mouvement de romanisation s’était encore approfondi avec l’installation au cours du xve siècle de parlements décentralisés […]. Les gens de robe qui amenèrent à leurs débuts ces cours souveraines étaient exclusivement nourris de droit romain. Ils s’employèrent à imposer une exacte application des Lois de Justinien aux juridictions inférieures et aux praticiens. L’apogée du mouvement fut sans doute atteinte au xvie siècle, à Toulouse, où le Parlement, en étroite liaison avec l’Université fut touché par une vague humaniste – la deuxième renaissance du droit romain – éprise d’exactitude et de vérité historique ». Cujas en est le maître incontesté ; J. POUMAREDE, verbo « Coutumes et droit écrit », op. cit., p.
369. Jean Hilaire ajoute que : « Les notaires sont alors depuis la seconde moitié du xve siècle sous la pression des Parlements de droit écrit créés à cette époque » ; « Pratique notariale et droit romain dans les pays de droit écrit », op. cit., p. 420. Il convient de se reporter sur ces points, entre autres, aux développements de : P. VIOLLET, Histoire du droit civil français, Réimpression de la 3e édition du Précis de l’Histoire du droit français, Paris, 1905, Scientia Verlag Aalen, Allemagne, 1966, pp. 27-28 ; E. CHENON, Histoire générale du droit français public et privé des origines à 1815, Tome deuxième, Premier fascicule, « Période féodale et coutumière (du xe au xvie siècle), Période monarchique », Librairie du recueil Sirey, Paris, 1929, pp. 329-331 ; J. BART, Histoire du droit privé…, op. cit., p. 130.
79 Il l’a utilisée au moment de la réédition en 1994 sous une forme synthétique d’un important article sur le droit des régimes matrimoniaux à Montpellier aux xviie et xviiie siècles publié une première fois en 1966 : « Le faux triomphe du régime romanisant. La dotalité à Montpellier aux xviie et xviiie siècles » dans La vie du droit, P.U.F., Collection Droit, Ethique, Société, Paris, 1994, p. 82.
80 Voir pour les autres travaux notre bibliographie.
81 Imprimerie d’Editions Paul Roubaud, Aix-en-Provence, 1929.
82 R. AUBENAS, Cours d’histoire du droit privé, Anciens pays de droit écrit (xiiie-xvie siècles), Particulièrement : Tome II Aspects du mariage et droit des gens mariés, et Tome III Testaments et successions dans les anciens pays de droit écrit au Moyen Age et sous l’Ancien Régime, Librairie de l’université, Aix-en-Provence, 1954. Il convient d’ajouter les travaux de Charles de Ribbe (1827-1899), disciple de Frédéric Le Play, sur la famille en Provence sous l’Ancien Régime. Les travaux de Charles de Ribbe ne sont pas cités par les historiens du droit du début du xxe siècle, à l’exception de Roger Aubenas qui se rangera plus tard à une opinion plus réservée dans ses cours de droit, comme l’a récemment montré le professeur Poumarède. « Son œuvre, trop étroitement liée à un système, ne correspondait plus aux exigences de la science historique » ; J. POUMAREDE, « Charles de Ribbe (1827-1899), l’histoire et le droit au service de la cause leplaysienne » dans Les études sociales, Les juristes et l’Ecole de Le Play, n° 135-136, 2002, pp. 119-135, pour la citation p. 135.
83 Droit, mentalités et changement social en Provence occidentale. Une étude sur les stratégies et la pratique notariale en matière de régime matrimonial de 1785 à 1855, Edisud, Paris, 1985.
Nous devons y ajouter une thèse d’histoire du droit soutenue par S. OLLIER en 1997 sous la direction du professeur Carlin sur : Régime dotal et pratiques communautaires d’après les notaires de Draguignan de (1655 à 1715), Thèse droit Nice-Sophia Antipolis.
84 Jean Hilaire précise que l’on trouve déjà plusieurs centaines de registres ou fragments de registres dès avant 1350 : « Les fonds les plus volumineux se trouvent effectivement dans les dépôts d’archives des zones côtières, en Provence (avec une mention particulière pour Marseille et Avignon), en Languedoc et en Roussillon » ; J. HILAIRE, « Des sources à redécouvrir » dans La vie du droit, op. cit., p. 257 note 1. Voir du même auteur, « L’Histoire du droit privé et les archives notariales » dans Le Gnomon. Revue internationale d’Histoire du notariat, Bulletin de liaison n° 66, 1989, pp. 4-13. Voir également l’enquête d’André Gouron auprès des conservateurs des services d’archives des départements correspondant aux anciens pays de droit écrit : « Les archives notariales des anciens pays de droit écrit au Moyen Age » dans S.H.D.E., fascicule V, 1966, p. 47-60.
85 Jean Hilaire notait dans son ouvrage majeur La vie du droit au sujet des recherches faites dans les archives notariales : « Dès lors, l’historien habitué aux laborieux dépouillements d’archives n’est pas à l’abri des remises en cause provoquées par telle ou telle incise découverte au détour d’un acte notarié. Il est toujours à la merci d’une rencontre de ce genre et condamné à avancer lentement par approximations successives » ; J. HILAIRE, La vie du droit, op. cit., p. 18.
86 Si la place de la veuve dans les actes juridiques est connue des historiens du droit (Anne Lefebvre-Teillard la qualifie d’ailleurs de « redoutable »), celle de la femme mariée en pays de droit écrit l’est beaucoup moins ; A. LEFEBVRE-TEILLARD, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, op. cit., p. 183.
Jean Hilaire remarque la place de la femme mariée se fait de plus en plus discrète dans les actes de la pratique de la région de Montpellier à partir du xviie siècle : « Place aux veuves ! Car les veuves ayant quelques biens s’attachent en général avec persévérance à la gestion de leur patrimoine, sont volontiers créancières et ne dédaignent point la procédure. Il semblerait même, par contraste, que les femmes mariées observent une discrétion anormale à l’égard de la vie juridique à partir du moment où elles peuvent se passer du consentement de leur mari concernant leurs biens propre » ; « L’évolution des régimes matrimoniaux dans la région de Montpellier aux xviie et xviiie siècles », op. cit., p. 158.
87 F.-X. EMMANUELLI, « Les fondements de l’époque moderne entre Rhône et Riviera » dans La Provence moderne, 1481-1800, Autres auteurs : M.-H. FROESCHLE-CHOPARD, M. LAPIED, M. TERRISSE, M. VASSELIN, Editions Ouest-France, Rennes, 1991, p. 53.
Jean Hilaire apporte un élément de réponse en donnant la place de la jurisprudence dans les sources de notre ancien droit : « Enfin, les occasions pour les juridictions d’affirmer une jurisprudence et de la confirmer n’étaient peut-être pas si fréquentes : les parties arrêtaient volontiers une instance en cours pour transiger et certaines juridictions d’autre part en appliquant largement l’Ordonnance d’août 1560 renvoyaient assez facilement les parties devant les arbitres […]. On pouvait alors considérablement diminuer l’efficacité de la jurisprudence ». Il nous paraît évident que le phénomène prend un caractère exponentiel lorsqu’il s’agit de conflits à l’intérieur d’une famille ; J. HILAIRE, « L’évolution des régimes matrimoniaux dans la région de Montpellier aux xviie et xviiie siècles », op. cit., p. 137 note 2.
88 J. POUMAREDE, « La puissance paternelle en pays de droit écrit d’après la jurisprudence du Parlement de Toulouse (xvie-xviiie siècles) » dans Le droit de la famille en Europe son évolution depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, op. cit., p. 452.
89 L’auteur ajoute : « La France d’Ancien Régime se partageait en quelques grands systèmes relativement simples, assortis de particularismes locaux » ; J. POUMAREDE, « Géographie coutumière des prestations matrimoniales dans l’ancien droit », dans Les annales de Clermont-Ferrand, Université d’Auvergne, Faculté de droit et de science politique, Colloque Dot, femme et mariage tenu à la faculté de droit et de science politique de l’Université d’Auvergne les 31 mars et 1er avril 1995, Volume 32, 1996, p. 133.
90 On peut consulter sur la Provence les toujours précieux articles de l’Encyclopédie des Bouches-du-rhône ; P. MASSON (sous la direction de), Les Bouches-du-Rhône, Encyclopédie départementale, Première partie : Des origines à 1789, Tome III, Les temps modernes 1482-1789, Archives départementales des Bouches-du Rhône, Marseille, 1920.
En particulier : P. GAFFAREL, « Histoire politique », Ibid., pp. 1-161 ; V.-L. BOURRILLY, « Histoire économique », Ibid., pp. 163-273 et R. BUSQUET, « Histoire des institutions », Ibid., pp. 275-665. Ou encore : M. AGULHON, N. COULET, Histoire de la Provence, 4e édition mise à jour, Que sais-je ?, P.U.F., Paris, 2001. Histoire de la Provence, sous la direction d’E. Baratier, Nouvelle édition, Privat, Toulouse, 1990. F.-X. EMMANUELLI, M.-H. FROESCHLE-CHOPARD, M. LAPIED, M. TERRISSE, M. VASSELIN, La Provence moderne, 1481-1800, Editions Ouest-France, Rennes, 1991. F.X. EMMANUELLI, verbo « Provence » dans Dictionnaire de l’Ancien Régime sous la direction de L. Bély, P.U.F., Paris, 1996, pp. 1034-1036. Bien entendu, cette liste n’a pas la prétention d’être exhaustive. Il s’agit des ouvrages que nous avons le plus fréquemment utilisés. Nous signalerons les autres ouvrages utilisés ponctuellement dans les notes de bas de page.
91 En 1382, la seconde dynastie angevine devient maîtresse du Comté de Provence. Les liens familiaux existant entre les Comtes angevins et les Rois de France ont été la condition préalable et indispensable de l’Union à la Couronne d’un pays qui ne se situe pas dans sa mouvance.
En 1474, le Roi René écarte de la succession son petit-fils René II, duc de Lorraine, dans son testament. Il lègue la Provence à son neveu Charles du Maine, fils de son frère cadet Charles. Le Roi René qui avait combattu avec acharnement Louis savait que la Provence n’échapperait pas au Roi de France. « En léguant le Comté à un homme dépourvu de santé et de postérité il préparait l’union à la Couronne de France en évitant une pure et simple annexion. Louis XI manifestait clairement ses intentions. En 1476, il incite l’infortunée Marguerite d’Angleterre, fille du Roi René, à lui donner tous ses droits, y compris ses éventuels droits sur la Provence […]. Après la mort du Roi René à Angers en octobre 1480, elle fait de Louis XI son héritier […]. Ce legs ne lui fut pas d’une grande utilité ; quand Marguerite mourut en 1482 Charles III, dernier Comte de Provence était déjà décédé, il avait institué pour héritier à la tête du comté de Provence le Roi de France » ; C. BRUSCHI, « Les aspects constitutionnels du rattachement de la Provence au Royaume de France » dans Aspects de la Provence, Conférences prononcées à l’occasion du cinq centième anniversaire de l’union de la Provence à la France, Société de statistique, d’histoire et d’archéologie de Marseille et de Provence, Marseille, 1983, p. 28. Voir sur le processus de rattachement de la Provence au Royaume de France et les différents actes qui le jalonnent pp. 27-30.
92 C’est surtout au cours du xviiie siècle, dans le contexte de l’opposition croissante de l’absolutisme monarchique, qu’ont été mis en évidence les aspects constitutionnels du rattachement de la Provence à la France. Quelques années avant la Révolution, de Coriolis écrivait dans son ouvrage Traité sur l’administration du Comté de Provence (Tome I, pp. 1-2) : « Nous nous bornerons à rappeler le testament de Charles III, duc d’Anjou, dernier des anciens souverains, cette loi qui, en assurant notre bonheur par union à la couronne de France, nous laissa néanmoins la ferme espérance qu’il ne serait rien changé à nos lois, à nos coutumes ; et s’il est vrai que la dernière volonté de l’homme est une loi suprême qu’il ne peut jamais être permis d’enfreindre, quel plus ferme rempart pouvons nous opposer à tous les assauts qu’on ne cesse de donner à notre droit constitutionnel » ; Voir sur ce point : C. BRUSCHI, « Les aspects constitutionnels du rattachement de la Provence au Royaume de France », op. cit., p. 27 et sur l’ensemble de la question pp. 27 à 42. François-Xavier Emmanuelli note que « Depuis 1640, on l’a vu, un certain nombre d’autorités aixoises ont travaillé successivement ou simultanément, consciemment ou non, à forger une unité provençale, ce qui ne voulait pas dire anti-française. Pendant tout un siècle, profitant de la mise à l’écart des Etats, les cours souveraines ont travaillé à donner au Comté l’armature administrative qui lui manquait en posant la plupart des principes majeurs du droit public provençal » ; F.-X. EMMANUELLI, Histoire de la Provence, Hachette littérature, Paris, 1980, p. 209.
93 Cité par P. GAFFAREL, « Histoire politique » dans Les Bouches-du-Rhône, Encyclopédie départementale, op. cit., p. 3.
94 « La Provence a passé sous la domination des rois de France en vertu du Testament de Charles d’Anjou, le dernier de ses Comtes. Elle y a passé pour être unie à la Couronne de France, comme un tout à un autre tout, comme un principal à un autre principal, sans pouvoir y être aucunement subalternée. De là il suit que nous nous continuons à ne connaître nos souverains que sous la qualité de Comte de Provence, que toute loi qui n’émanerait pas du Comte de Provence serait étrangère pour nous, parce que nous formons un état distinct et séparé qui a son souverain à lui, comme il a ses lois, ses us, ses coutumes qui lui sont particulières » ; DE CORIOLIS, Traité sur l’administration du Comté de Provence, Tome Troisième, Imprimerie Pierre-Joseph Calmen, Aix, 1788, pp. 544-545. Voir sur l’ensemble de la question : M. CUBELLS, « L’idée de province et l’idée de nation en Provence à la veille de la Révolution » dans Provence historique, « Midi rouge et midi blanc, les antagonismes politiques sous la Révolution française et leurs héritages dans le Midi méditerranéen », Tome XXXVI, Fascicule 148, Marseille, Avril-Juin 1987, pp. 135-146.
95 « Enfin n’oublions pas un élément symbolique : dans les actes envoyés en Provence, le Roi s’intitulait Roi de France, comte de Provence, Forcalquier et terres adjacentes » ; M. CUBELLS, « L’idée de province et l’idée de nation en Provence à la veille de la Révolution », op. cit., p. 136.
96 Il arrive que les notaires après avoir daté leurs actes donnent le nom du Roi régnant, mais cette pratique est fort rare : « L’an mil sept cent soixante et dix et le huitième jour du mois de janvier après midy sous le règne de très chretien Prince Louis quinze de nom par la grâce de Dieu Roy de France et de Navarre et Comte de Provence, Forcalquier et terres adjacentes longuement soit-il » ; Contrat de mariage entre Jacques Thumin marchand quincaillier et Thérèse Seguin fille d’un notaire ; AD BdR., 301 E 497, Michel Giraud notaire à Eguilles, f°69 recto à 74 verso.
On retrouve le même chapeau dans un contrat de mariage figurant dans un formulaire manuscrit à l’usage de divers notaires d’Eygalières, Orgon et Saint-Rémy : « Au nom de Dieu soit fait l’an mil sept cent quarante un le 23 jour du mois de juillet après midy du règne du très chrestien et souverain prince Louis quinzième du nom par la grâce de Dieu Roy de France et de Navarre comte de Provence Forcalquier et terres adjacentes » ; AD BdR., 300 E 6, f°62 verso. « Au nom de Dieu soit-il l’an mil sept cent quatre vingt huit et le vingt cinq du mois de mars après midy sous le règne du très chretien prince Louis XVI par la grâce de Dieu Roy de France et de Navarre longuement et heureusement soit-il » ; Contrat de mariage entre Paul Granoux travailleur journalier et Marie Thérèse Joubert (on ne connaît pas la profession du père) ; AD Ad.HP., 2 E 14951, Joseph Alexandre Hermitte notaire à Digne, f°240 recto à 242 recto. On la trouve dans les contrats de mariage et non pas dans les autres actes du même notaire. Quelques fois les notaires n’y font référence dans aucun acte. D’autres fois chez un même notaire on retrouve la référence au Roi régnant dans certains et pas dans d’autres contrats de mariage. L’utilisation sans véritable règle de ces formules reste en réalité énigmatique.
97 Monique Cubells note que la « Constitution provençale » avait été mise à mal par trois siècles de centralisation monarchique : établissement du Parlement en juillet 1501 par l’Edit de Lyon confirmé par les lettres patentes de Grenoble de juin 1502, des sénéchaussées par l’Edit de Joinville en 1535, la Cour des comptes par l’Edit d’Anet en 1555, le bureau des finances par l’Edit de 1577, l’envoi des intendants qui de la fin du xviie et tout au long du XVIIIe seront premier président du Parlement et la suspension des Etats provinciaux en 1639. Seule subsistait l’assemblée générale des communautés qui s’était pratiquement substitué aux Etats depuis 1639. « L’autonomie provençale à la veille de la Révolution était largement mythique » ; M. CUBELLS, « L’idée de province et l’idée de nation en Provence à la veille de la Révolution », op. cit., p. 136. Voir également du même auteur : « Le Parlement de Provence et le particularisme provincial au xviiie siècle » dans Les Parlements de Province, pouvoirs, justice et société du xve au xviiie siècle, Textes réunis et présentés par J. Poumarède et J. Thomas, Framespa, Toulouse, 1996, p. 781.
98 Il s’agissait en l’espèce d’une question de droit privé portant sur la dévolution ab intestat des successions suite à un Arrêt du Conseil de 1726 ; DE CORIOLIS, Traité sur l’administration du Comté de Provence, op. cit., Tome Troisième, p. 3. Dans un article récent le professeur Gasparini a clairement montré que Portalis qui va « présider aux destinées administratives de la Provence » au cours des années 1779-1780 étant élu assesseur au Conseil de la ville d’Aix en novembre 1778, a été un défenseur du particularisme administratif provençal s’attachant à rappeler sans cesse « la constitution provençale » contre les ingérences du pouvoir monarchique ; E. GASPARINI, « Portalis, archétype de l’administrateur provençal de la fin du siècle des Lumières » dans Portalis le Juste sous la direction de J.-B. d’Onorio, Actes du colloque de Paris organisé par l’Institut des Relations Eglise-Etat avec la concours de l’Institut Portalis de la Faculté de Droit de l’Université d’Aix-Marseille III, P.U.A.M., Aix-en-Provence, 2004, p. 64 pour la citation, pp. 63-76 en particulier pp. 65-71.
99 « Le seul édit des testaments vient de répandre des alarmes, son opposition à des maximes réputées inviolables parmi nous a d’abord frappé tous les esprits. La dérogation aux lois romaines effraie une province qui les regarde comme la source de ses privilèges » ; AD BdR., B 3674, non folioté, remontrances du 10 septembre 1737 ; Cité par M. CUBELLS, « Le Parlement de Provence et le particularisme provincial au xviiie siècle », op. cit., p. 779.
100 AD BdR., B 3674, non folioté, remontrances du 10 septembre 1737 ; Cité par M. CUBELLS, « Le Parlement de Provence et le particularisme provincial au xviiie siècle », op. cit., p. 779.
101 Le val des monts, la haute vallée de l’Ubaye, la vallée de l’Ubayette et quelques autres torrents.
102 De 1388 à 1713 la vallée de Barcelonnette avait appartenu à la couronne de Savoie. Une convention francosarde de 1718 a fixé le sort des dépendances. Les sommets des montagnes des Alpes servaient de limites entre la France, le Piémont et le Comté de Nice. Le bourg d’Allos dans le Haut-Verdon est devenu français, ainsi que le village du Mas. Entraunes et Saint-Martin d’Entraunes sont restées dans le Comté de Nice.
103 La frontière coïncide dès lors avec le cours du fleuve côtier le Var entre son confluent avec l’Estéron et la mer et au nord avec les sommets des Alpes. La Provence a acquis six communautés et en a perdu neuf.
104 La frontière avec le Dauphiné, très découpée, conserve les traces des luttes pour obtenir les hommages des seigneurs de la région. A l’ouest c’est le cas particulier de la principauté d’Orange, du Comtat Vénaissin et d’Avignon. La Principauté d’Orange était constituée de la ville d’Orange et de quelques villages des environs. Elle avait elle-même une enclave : Tulette. Au xvie siècle elle est « la petite Genève du Midi » : Orange est une ville indépendante. Mais cette Principauté après avoir été envahie à plusieurs reprises, sera confisquée et occupée en 1702 par Louis XIV lors de la guerre de succession d’Espagne à la mort de Guillaume II d’Orange. Orange a été rattachée à la France par le Traité d’Utrecht mais la Principauté a été réunie au Dauphiné [Voir sur la société orangeoise au xviiie siècle : A. GOUTAREL, Aspects de la société orangeoise au xviiie siècle à travers les registres notariés, Thèse droit Aix, 1972]. Autres enclaves en Provence les Etats pontificaux du bord du Rhône : Avignon et le Comtat Venaissain également appelé Comté de Venasque. dont la capitale est Carpentras. Avignon a été achetée par le Pape Clément VI en 1348 à la Reine Jeanne Comtesse de Provence. Le Comtat était entré quant à lui en possession de l’Eglise en 1274 et dépendra de la Papauté jusqu’à la Révolution. Il convient d’ajouter aux Etats pontificaux les enclaves de Valréas (et les villages voisins) et Bollène au Nord et celle de Bonnieux au sud. Le cours du Rhône entre le confluent de la Durance et l’embouchure du Rhône séparait la Provence Avignon et le Comtat de la province du Languedoc et constituait à l’ouest une frontière naturelle.
105 Terme utilisé par le professeur Régis Bertrand dans son cours de licence ; R. BERTRAND, Histoire de la Provence et de ses confins, Cours de Licence 1er semestre, Année universitaire 2001-2002, Centre de télé-enseignement, Université de Provence, p. 52.
106 Le Comté de Nice recevra au xvie siècle une organisation administrative. Le Sénat de Nice tribunal souverain est créé en 1614. La principauté de Monaco est elle-même enclavée dans le Comté de Nice.
107 Le Comté de Forcalquier a existé de 1125 à 1209 et consécutivement au décès de son dernier Comte, il a été partagé entre les maris des deux héritières et la portion méridionale du Comté de Forcalquier est entré dans le Comté de Provence c’est-à-dire Forcalquier et Sisteron, alors que Gap et Embrun ont été intégrées au Dauphiné. Le Comte de Provence a pris également le titre de celui de Forcalquier que les capétiens ont conservé après le rattachement de la Provence au Royaume de France jusqu’à la Révolution.
108 Les terres adjacentes sont des territoires situés à la marge du Comté de Provence et qui en dépendaient administrativement. Cette appellation est en fait un héritage médiéval explicable en général par les conditions dans lesquelles ces territoires étaient passés ou restés sous l’autorité des Comtes de Provence. Ces terres adjacentes correspondaient ordinairement à des privilèges particuliers. Les principales terres adjacentes étaient : au sud, les villes les plus importantes et les plus peuplées : le pays d’Arles et la Camargue, Salon et la vallée des baux, Aureille, Marseille et l’essentiel de son territoire et Saint-Tropez ; à l’est, Entrevaux, Le Mas ; au Nord, le Comté de Sault, le Comté de Grignan, Séderon, Barret de Lioure et les Omergues, Rémuzat et la vallée d’Oule et Montdragon.
109 Le Comté de Provence et les terres adjacentes correspondaient non seulement au ressort territorial du Parlement d’Aix mais également à celui de la Cour des comptes, aides et finances, à celui de la Généralité d’Aix et à celui du Gouvernement de Provence. Les circonscriptions administratives coïncidaient entre elles. Au cours des xvie et xviie siècles la généralité de Provence a été divisée en douze circonscriptions administratives appelée sénéchaussées. Il s’agit des sénéchaussées dont les sièges étaient à : Aix, Arles, Draguignan, Digne, Forcalquier, Marseille, Hyères, Grasse, Brignoles, Sisteron, Castellane, Toulon. Il convient d’ajouter la situation particulière de Barcelonnette le plus souvent appelée « préfecture ». A partir de l’édit de Paris de mars 1662 chaque siège a son propre sénéchal et l’on voit apparaître dans chaque sénéchaussée des lieutenants généraux aux côtés de lieutenants particuliers. Les sénéchaussées d’Aix, de Marseille et d’Arles ont un lieutenant général civil. Ces lieutenants ont des attributions exclusivement judiciaires et suppléent le sénéchal. Voir sur ce point le précieux travail de R. BUSQUET, Histoire des institutions de la Provence de 1482 à 1790, Extrait du Tome III des Bouches-du-Rhône, Typographie et lithographie Barlatier, Marseille, 1920, p. 24 et pp. 127-128.
110 L’initiative d’une réforme judiciaire en Provence revient à Charles VIII qui peu avant son décès se préoccupe de porter remède aux défauts et abus de la justice qui, selon ses propos, sont dommageables aux habitants de la Provence. Les Etats de Provence depuis 1482 appellent de leurs vœux une réforme de la justice considérant notamment que certains procès devenaient immortels car ils faisaient l’objet de multiples appels. Le préambule de l’édit de Lyon fera écho aux doléances répétées des Etats du xve siècle et le Parlement de Provence deviendra par les lettres patentes du 10 juillet 1501 un tribunal supérieur, une Cour souveraine, normalement compétente en dernière instance sur les appels des décisions rendues par les juges subalternes et en première et dernière instance sur certaines causes privilégiées et particulièrement importantes, comme les atteintes à l’ordre public, les sacrilèges et autres cas royaux. Paul Gaffarel notait que Louis XII avait eu « le mérite d’attacher son nom à une réforme capitale dans l’administration de la justice, à l’érection du Parlement de Provence. C’est à Lyon, le 10 juillet 1501, qu’il signa l’édit par lequel était instituée à Aix une Cour souveraine tant pour les Comtés de Provence et de Forcalquier que pour les terres adjacentes ». La création du parlement a été confirmée le 26 juillet 1502 malgré l’opposition des trois ordres de la province et l’installation de la Cour a été ordonnée ; P. GAFFAREL, « Histoire politique » dans Les Bouches-du-Rhône, Encyclopédie départementale, op. cit., pp. 5-6. Mais il convient immédiatement de noter qu’il est certain qu’il règne dans la distribution des procès une grande confusion comme le notait Gaspard de Réal dans La Science du gouvernement en 1761 et que la procédure civile reste encore obscure sous l’Ancien Régime. Voir sur le Parlement d’Aix : L. WOLFF, Le Parlement de Provence au xviiie siècle, Organisation-Procédure, op. cit., 1920. M. CUBELLS, « Le Parlement de Provence 1501-1790 » dans Le Parlement de Provence, Actes du colloque d’Aix-en-Provence 6 et 7 avril 2001, Publications de l’université de Provence, Collection Le Temps et l’Histoire, Aix-en-Provence, 2002, Préface. Voir également dans la même publication : N. COULET, « D’un Parlement à l’autre (1415 – 1501) », pp. 11-25 et M. PENA, E. TILLET, « Le Parlement de Provence, régulateur des conflits de juridiction au xviiie siècle », pp. 143-163. La procédure en matière civile d’une manière générale est souvent difficile à appréhender. Dans un article récent, Isabelle Storez-Brancourt rappelait que l’évocation de la procédure civile d’Ancien Régime « provoque une réaction immédiate de crainte, d’effarouchement et, le plus souvent de fuite. Synonyme de complexité, d’irrationalité, de diversité jusqu’à l’incohérence, le mot procédure s’associe aussi dans les esprits à la masse incommensurable de registres et de minutes judiciaires qui s’entassent dans les fonds d’archives » ; I. STOREZ-BRANCOURT, « De la « pratique » à la chaire universitaire : l’enseignement de la procédure civile au tournant des xviie et xixe siècles » dans Revue d’Histoire des Facultés de droit et de la science juridique, n° 22, 2002, p. 51. Nous tenterons de donner, chaque fois que nous possédons les éléments, les différentes étapes de la procédure. De même, nous mentionnerons le nom la chambre du Parlement qui aura statué dans une espèce chaque fois que nous la connaîtrons. Mais l’étude de la jurisprudence sera essentiellement celle du Parlement de Provence et non celle des juges inférieurs et l’on s’attachera au contenu de la décision plus qu’à la procédure.
111 Voir pour un repérage géographique les cartes p. 808 et sur les limites administratives de la Provence : M. DERLANGE, Les communautés d’habitants au dernier siècle de l’Ancien Régime, Association des publications de l’Université Toulouse-Le Mirail et Editions Eché, Toulouse, 1987, p. 13.
112 Ibid., p. 37.
113 Le mot de province n’a pas de sens juridique précis sous l’Ancien Régime. Mais il est le terme le plus souvent employé par les juristes provençaux notamment dans les actes de notoriété des avocats au Parlement de Provence.
114 F.-X. EMMANUELLI, Histoire de la Provence, op. cit., p. 205.
115 Dans le domaine agricole, la Provence ne couvre pas au xviiie siècle ses besoins céréaliers et a du mal à diversifier ses cultures du fait d’une stagnation technique [Voir : E. LEROY-LADURIE, Histoire des paysans français de la peste noire à la Révolution, Editions du seuil, Paris, 2002]. Les défrichements, malgré une reprise, restent trop peu importants. Parallèlement, la culture viticole et arbustive (oliviers) connaît une poussée. De même les cultures spéculatives se développent dans la deuxième moitié du xviiie siècle : la garance, le safran, les câpres ou encore le vin. Même si Marseille est au xviiie siècle un pôle économique écrasant, le reste de la Provence tend à se diversifier au niveau de l’industrie : le textile, la tannerie, la papeterie, l’amidonnerie, l’exploitation des mines de charbon, la verrerie. Font ainsi figure de petites villes industrielles Aix, Toulon, Brignoles et Grasse. Dans le domaine commercial, Marseille et son port sont le centre de toutes les activités et l’essor économique de Marseille au xviiie ne connaît aucun exemple comparable. Le dynamisme de Marseille est tel qu’on a pu évoquer « Marseille sauvant Paris de la famine » [F.-X. EMMANUELLI, « Les fondements de l’époque moderne entre Rhône et Riviera », op. cit., p. 83]. Marseille est également devenue une place bancaire grâce au commerce des métaux précieux.
116 « La rançon de ce qui n’est peut-être qu’une croissance ralentie au xviiie siècle, mais qui amorce l’ouverture décisive d’une économie régionale, c’est la sclérose d’une Haute Provence naguère, par ses blés de pays, élément important de l’équilibre provincial » ; M. VOVELLE, « Le xviiie siècle provençal » dans Histoire de la Provence sous la direction d’E. Baratier, Nouvelle édition Privat, Toulouse, 1990, p. 352.
117 Il s’agit de Charles Jean Baptiste des Gaulois de La Tour (1715-1802) fils de Jean-Baptiste des Gaulois de La Tour (1684-1748). Il a succédé à son père comme intendant en 1744 et est devenu premier Président du Parlement d’Aix en 1747.
118 Il manque dans cette classification le clergé séculier et régulier qui, par définition, ne sont pas concernés par le droit des régimes matrimoniaux. Maurice Agulhon observe qu’il convient d’ajouter les gens de mer, marins et pêcheurs, dans les zones maritimes de la Provence, les pauvres, les exclus et les marginaux.
119 Le plus souvent les ménagers sont propriétaires de la terre qu’ils exploitent. Quelques fois ils la louent à ferme. Symbole même du paysan aisé, le ménager possède le train d’attelage, la charrue et les animaux de trait. Ces derniers employaient occasionnellement pour les moissons et les récoltes des travailleurs journaliers. Le gros ménager est à la tête de quelques salariés permanents et il commercialise ses excédents de production. Certains ménagers pouvaient devenir marchands. Mais les ménagers importants sont peu nombreux au xviiie siècle. Le ménager moyen est souvent victime d’une appropriation des meilleures terres par la grande propriété bourgeoise, les nobles et parfois les ecclésiastiques. Ce dernier privilégie donc la consommation familiale. « Les ménagers exploitants indépendants, apparaissent dans la plupart des cas propriétaires de la majeure partie de leurs terres (à l’exception de rentiers, fermiers non-propriétaires localement opulents ». Les parcelles de terre des ménagers vont de 5 à 15 ha. Les plus riches des ménagers désertent les villages ; M. VOVELLE, « Le xviiie siècle provençal », op. cit., p. 389.
120 Les bastides sont souvent isolées du village ou du hameau et le bastidan profite mal de la sociabilité. La lourdeur de la rente l’empêche souvent de s’enrichir. Au xixe siècle, il sera désigné comme ménager car il est propriétaire des outils, de l’attelage et du bétail.
121 « Concentrés au village, les travailleurs de terre, autre élément de la société rurale, sont souvent eux-mêmes propriétaires mais de parcelles beaucoup plus exiguës ». En général de 1 à 5 hectares dont ils complètent le revenu par le travail sur les terres d’autrui. Mais les journaliers sans terre apparaissent minoritaires : entre un quart et un tiers des travailleurs » ; M. VOVELLE, « Le xviiie siècle provençal », op. cit., p. 389.
122 R. BAEHREL, Une croissance : la basse Provence rurale (fin du xvie siècle- 1789), Ecole pratique des hautes études, Sixième chapitre, S.E.V.P.E.N., s.l., 1969.
Michel Vovelle note cependant qu’« on hésite à suivre l’auteur dans ses conclusions ». Quelques monographies ayant en effet tendance à montrer un morcellement des grands domaines nobiliaires entre des petits propriétaires paysans ce qui en annonçant le siècle suivant tendrait à montrer une certaine mobilité des fortunes » ; M. VOVELLE, « Le xviiie siècle provençal », op. cit., p. 352.
123 « Minute est l’original des actes qui se passent chez les notaires […]. La minute des actes qui se passent chez les notaires, reste en dépôt chez l’un d’eux, pour y avoir recours en temps et lieu. Ces minutes doivent être nécessairement signées de toutes les parties et des notaires ; au lieu que les grosses et les expéditions ne doivent être signées que des notaires. Ces grosses et expéditions se délivrent aux parties, pour faire foi en justice, ou pour faire exécuter l’obligation quand le sceau lui est apposé. La minute d’un contrat, quoique signée par les parties chez les notaires, si elle n’est pas signée du notaire, le contrat est imparfait et il ne peut passer que pour écriture privée. Il n’est pas au pouvoir du notaire qui a passé un acte de se défaire de la minute de cet acte ; ce qui est si vrai que les minutes des contrats remboursés ne peuvent être rendues aux parties comme il est porté en l’arrêt du Conseil d’état du 7 septembre 1720. Il faut excepter la minute d’un testament ; qu’un notaire peut remettre entre les mains du testateur, lorsqu’il la lui redemande […]. Ceux qui ont traité des charges de notaires doivent se charger des minutes du prédécesseur par inventaire. Une dernière observation à faire touchant les minutes des contrats et actes passés devant notaires, c’est que les notaires qui les ont passés ne doivent point les montrer, ni en donner copies, qu’aux parties mêmes énoncées dans les actes et contrats, ou à leurs héritiers, ou enfin à ceux qui ont un intérêt formel et non à tous les autres, si ce n’est en vertu une Ordonnance du Juge » ; C.-J. de FERRIERE, verbo « Minute » dans Dictionnaire de droit et de pratique…, op. cit., Tome second, pp. 208-209.
124 « Factum est un mémoire qui contient sommairement le fait sur lequel contestation est intervenue entre les parties, avec les moyens sur lesquels on fonde sa prétention, et les réponses à la prétention et aux droits prétendus des parties adverses » ; C.-J. de FERRIERE, verbo « Factum » dans Dictionnaire de droit et de pratique…, op. cit., Tome premier, pp. 582-583.
125 « Chaque découverte, même minime en apparence, a sa valeur car elle constitue un progrès vers la connaissance de la vérité. Se passer de l’érudition serait bâtir sur le sable » ; J.-P. LEVY, Diachroniques…, op. cit., p. 1.
126 J. HILAIRE, La science des notaires, op. cit., p. 8. Voir également, J. HILAIRE, « Des sources à redécouvrir », op. cit., pp. 255-287.
127 L’auteur précise : « Assurément, l’historien ne trouve pas toujours dans les pièces d’archives son travail à moitié fait à l’avance, comme dans les œuvres des jurisconsultes, où les auteurs ont déjà pensé pour lui, comme dans les textes de coutumes ou de lois, qui lui donnent la règle juridique toute formulée » ; A. DUMAS, La condition des gens mariés dans la famille périgourdine au xve et xvie siècles, Sirey, Paris, 1908, p. 5.
128 Ibid.
129 J. HILAIRE, « Pratique notariale et droit romain dans les pays de droit écrit » op. cit., p. 409.
130 Ibid.
131 N. ROULAND, Introduction historique au droit, Collection droit fondamental, P.U.F., Paris 1998, p. 228.
132 J. HILAIRE, La vie du droit, op.cit.
133 J. HILAIRE, « Actes de la pratique et expressions du droit du xvie siècle à la codification » dans Droits, Revue française de théorie juridique, P.U.F., Paris, 1988, p. 135.
134 L’auteur ajoute : « Deux domaines ont semblé particulièrement significatifs ici, en premier lieu la matière du crédit, avec ses considérables prolongements commerciaux qui concernent directement les notaires à cette époque, et en second lieu celle des régimes matrimoniaux avec leurs implications successorales » ; J. HILAIRE, La science des notaires…, op. cit. p. 49.
135 C. de FERRIERE, La science parfaite des notaires ou le moyen de faire un parfait notaire, Nouvelle édition revue et augmentée, Chez Pierre Marteau, Cologne 1724, préface.
136 Ibid.
137 « Les notaires sont dépositaires de la fortune des particuliers et du secret qui assurent tout à la fois et la possession des biens et la tranquillité de ceux à qui ils appartiennent. Ils rendent exécutoires les traités qui se passent entre les hommes et perpétuent leur mémoire en rendant authentique leurs dernières volontés. Ces officiers sont des médiateurs équitables, qui par des tempéramens sûrs et judicieux, concilient les intérêts de chaque partie, terminent à l’amiable leurs contestations et préviennent souvent celles qui pourraient naître dans la suite » ; C.-J. de FERRIERE, verbo « Notaire » dans Dictionnaire de droit et de pratique…, op. cit., Tome second, p. 239.
Charles Figon en 1579 dans Discours des états et offices tant du gouvernement de la justice et des Finances de France écrivait : « les notaires sont personnes publiques et ont juridiction volontaire ». L’avocat Charles Loiseau au xviie dans le Droit des offices précisait : « C’est toujours le juge qui parle en iceux [les notaires] et y est stipulé ainsi qu’aux sentences : et en plusieurs provinces le style des contrats porte que les parties sont comparues devant le notaire comme en droit ou en jugement […] et encore en même lieu il porte qu’elles sont jugées et condamnées de leur consentement à entretenir ce qui est contenu au contrat ». Cette même idée on la retrouve dans les célèbres Lois civiles de Domat en 1689 : « Cette distinction de la juridiction volontaire et de la juridiction contentieuse oblige à remarquer une espèce particulière d’officiers, dont les fonctions sont d’un grand et très fréquent usage et qui ont une espèce de juridiction volontaire sans aucune part à la juridiction contentieuse, qui sont les notaires » ; On peut se reporter sur cette question à : A. MOREAU, Le notaire dans la société française d’hier et de demain, Mieux Connaître, Collection rassemblée par François Luchaire, Economica, Paris, 1999, pp. 54-55.
138 J.-B. DENISART, verbo « Notaire » dans Collection de décisions nouvelles…, op. cit., Tome troisième, p. 433.
139 Les notaires faisaient, a contrario, l’objet de nombreuses critiques sous l’Ancien Régime dans la littérature comme dans les cahiers de doléances. Les critiques portent, entre autres, sur leur nombre trop élevé, sur le peu de confiance que l’on pouvait faire à leurs actes et sur leur origine sociale souvent paysanne. En effet, il est difficile d’appréhender le rang social occupé par un notaire sous l’Ancien Régime. La profession présente peu d’homogénéité dans la structure sociale qu’elle confère. Voir sur les critiques adressées aux notaires : J.-L. LAFFONT, « Histoire du notariat ou histoire notariale ? Eléments pour une réflexion épistémologique » dans Notaires, notariat et société sous l’Ancien Régime, Etudes réunies et présentées par J.-L. Laffont, Actes du colloque de Toulouse, 15 et 16 décembre 1989, Université des Sciences sociales de Toulouse, Centre d’Histoire contemporaine des Institutions, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 1989, p. 51 et s. et sur la place du notaire dans la société d’Ancien Régime M.-F. LIMON verbo « Notaire » dans Dictionnaire de l’Ancien Régime sous la direction de L. Bély, P.U.F., Paris, 1996, p. 904.
140 http://www. notaires.fr
141 C.-J. de FERRIERE, verbo « Acte » dans Dictionnaire de droit et de pratique…, op. cit., Tome premier, p. 34.
142 C. de FERRIERE, La science parfaite des notaires…, op. cit., p. 42.
De même pour C.-J. de Ferrière : « On ne peut ébranler la foi d’un acte authentique sans inscription en faux ; c’est à dire qu’on ne peut, sans avoir recours à cette voye, prétendre que les faits qui y sont rapportés sont faux et supposés : mais on ne peut point sans inscription de faux, en supposant que ces faits sont vrais et tels qu’ils sont énoncés et attestés dans l’acte, les accuser de déguisement et de simulation » ; verbo « Actes authentiques » dans Dictionnaire de droit et de pratique…, op. cit., Tome premier, p. 36.
Voir sur la validité des actes des notaires, entre autres études : A. DUMAS, « Dieu nous garde de l’et caetera du notaire » dans Mélanges Paul Fournier, Sirey, Paris, 1929 et de M.-F. LIMON verbo « Notaire », op. cit., 1996.
143 « A la limite une opposition fondamentale et permanente entre jurisprudence et notariat ne serait guère concevable. Mais entre opposition fondamentale et complète harmonie il y a bien des nuances ! En fait, des influences réciproques sont inévitables » ; J. HILAIRE, « L’évolution des régimes matrimoniaux dans la région de Montpellier aux xviie et xviiie siècles », op. cit., p. 137 note 1.
144 Le Parlement de Provence a, au xviiie siècle, porté une grande attention à la conservation des registres des notaires provençaux. Ainsi, le jurisconsulte Jean-Joseph Julien écrit : « Les écritures des notaires étant le dépôt des titres et des fortunes des familles, il n’est rien de plus important que de les conserver et d’en assurer l’existence et la loi. Le Parlement a fait des règlemens sur ce sujet ». En effet, dans un arrêt du 24 avril 1711, rendu à la réquisition du Procureur général du Roi, le Parlement d’Aix ordonna « que les registres et protocoles des notaires, tant de la ville d’Aix, que des autres villes et lieux de la Province qui sont décédés depuis plusieurs années, et dont les offices ne sont point remplis, seront remis entre les mains des Syndics ou plus anciens des Notaires desdits lieux, jusqu’à ce qu’il y ait quelqu’un de pourvu desdits offices ; lesquels syndics ou plus anciens en demeureront responsables et délivreront des extraits en forme et par eux signés des actes qui y seront contenus aux particuliers lorsqu’ils en seront requis ». Un autre arrêt du Parlement du 17 avril 1722 ordonne, de nouveau sur réquisition du Procureur général du Roi, « que celui du 24 avril 1711 sera exécuté et qu’à cet effet les registres et protocoles des notaires tombés en vacance depuis plusieurs années dans toutes les villes, villages et lieux de la Province seront déposés dans un lieu sûr à la diligence des Consuls desdites Villes et lieu : que pareils registres et protocoles desdits notaires venant à vaquer à l’avenir seroient pareillement remis dans ledit lieu de dépôt deux ans après leur vacance : que lesdits registres et protocoles desdits notaires desdites villes, villages et lieux de la Province qui en délivreront les expéditions dont ils seront requis ». Enfin, par un arrêt général du Parlement du 22 juin 1750 « il est enjoint au juge royal d’Antibes et à tous les juges de la Province d’accéder en diligence dans les maisons des notaires, lors de leur décès, le substitut du procureur général ou le procureur juridictionnal appelé et de dresser sans frais un inventaire sommaire de leurs protocoles et registres en exprimant le nombre desdits registres, leur numéro et l’intervalle des tems où ont été reçus les actes qu’ils renferment ; ordonné que ledit inventaire sera fait en double, pour être l’original remis au greffe et l’extrait laissé au pouvoir des héritiers » ; Voir J.-J. JULIEN, Nouveau commentaire sur les Statuts de Provence, Tome premier, Chez Esprit David, Aix, 1778, p. 435.
145 J. HILAIRE, La vie du droit, op. cit., p. 17.
146 Jean-Philippe Lévy a établi une grille de lecture des actes de la pratique qui permet de mesurer l’écart qu’il peut y avoir entre les règles de droit théoriquement exprimées et la manière dont elles sont utilisées au quotidien par les notaires :
Les actes de la pratique, expression d’une pratique conforme à la règle de droit. L’auteur montre qu’une telle étude à de l’intérêt dans la mesure où elle permet d’établir que la règle a véritablement été suivie et qu’elle n’est pas restée lettre-morte. De plus, ce type d’étude permet de faire une étude quantitative et statistique pour pouvoir mesurer l’importance sociale des institutions.
Les actes de la pratique, unique expression du droit. Soit les actes de la pratique sont l’expression unique de l’état du droit, soit les actes de la pratique sont l’unique expression de l’évolution du droit.
Les actes, expression d’un conflit entre la pratique et la règle de droit. Dans ce cas, les actes de la pratique révèlent un écart et parfois une contrariété entre la pratique et les règles théoriquement en vigueur.
Voir : J.-P. LEVY, « Les actes de la pratique, expression du droit » dans R.H.D., n° 2 avril-juin 1988, pp. 151-170.
Voir également : J.-P. LEVY, « Les actes de la pratique, expression du droit » dans Diachroniques…, op. cit., pp. 205-224.
147 Chaque fois que nous serons en mesure de déterminer le milieu social des époux nous le communiquerons en donnant la profession du mari et la profession du père de l’épouse.
148 H. de BALZAC, Le contrat de mariage dans Œuvres complètes, Tome II, Paris, 1966, p. 759. Balzac reprend ainsi la formule de Loisel : « En mariage trompe qui peut ».
149 J. LELIEVRE, La pratique des contrats de mariage chez les notaires au Châtelet de Paris de 1769 à 1804, Editions Cujas, Paris, 1959, pp. 14-15.
150 Pour Aix uniquement on trouve entre 1784 et 1787, 18 notaires différents et 26 registres de minutes notariales. Un registre fait à Aix comprend souvent plus de 800 folios ; à Marseille, parfois plus de 2000. Il y a en moyenne un acte toutes les trois pages à Aix contre un acte toutes les deux pages à Marseille. Le format des registres des notaires marseillais étant plus grand que celui de leurs confrères aixois. Le professeur Ganzin notait que pour l’année 1750 à Aix, il avait relevé 16 registres de notaires et 6094 actes : « La clause de substitution dans les actes à cause de mort à Aix-en-Provence au xviiie siècle (1750 et 1793) » dans Mélanges offerts au Professeur Louis Falletti, Annales de la Faculté de droit et de sciences économiques de Lyon, Librairie Dalloz, 1971-II, Paris, p. 205.
151 F.-X. EMMANUELLI, « Les fondements de l’époque moderne entre Rhône et Riviera », op. cit., p. 51.
152 Entre 1695 et 1715 on trouve à Aix une population répartie de la façon suivante :
Paysans 16,1 % ; Mendiants 2,1 % ; Domestiques 18,8 % ; Transports 2,8 % ; artisans 11 % ; Industrie 2,4 % ; Commerce et négoce 5,8 % ; Service public 9,4 % ; Professions libérales 4,8 % ; Nobles officiers 1,5 % ; Nobles oisifs 1,8 % ; Oisifs roturiers 15,4 % ; Clergé 8,7 % ; M. BERNOS, N. COULET, C. DOLAN-LECLERC, P.-A. FEVRIER, M. GONTARD, G. GRANAI, B. GRISSOLANGE, M.VOVELLE, Histoire d’Aix-en-Provence, Edisud, Aix-en-Provence, 1977, p. 186.
153 « Traditionnellement, les magistrats d’Aix et les négociants de Marseille constituent le sommet de la société provençale […]. A l’ombre de ces puissants groupes sociaux apparaissent des élites de seconde zone qui n’ont pas jusqu’ici attiré la curiosité des historiens, avocats, magistrats des sénéchaussées, notaires et procureurs, maîtres de certaines corporations et ceux que l’on pourrait appeler les nouveaux négociants » ; Ibid., p. 88.
154 Extrait du Mémoire de l’intendant Cardin le Bret pour l’instruction du Duc de Bourgogne, publié dans F. X EMMANUELLI, L’intendance de Provence à la fin du xviie siècle, Paris, 1980.
155 M. VOVELLE dans Histoire d’Aix-en-Provence, op. cit., p. 189.
156 M. VOVELLE, « Le xviiie siècle provençal », op. cit., p. 390.
157 Ibid., p. 391.
158 M.-L. CARLIN, La pénétration du droit romain…, op. cit., p. 7. Le professeur Carlin nous avait d’ailleurs confirmé ce point de vue lors d’un entretien qu’elle nous avait accordé à propos de notre sujet de thèse au mois de février 2002.
159 Au cours du xviiie siècle Marseille tend à devenir un port mondial ; R. BUSQUET, Histoire de Marseille, Editions Robert Laffont, Paris 1945 réédition 1978, p. 253.
160 Sans oublier quelques actes de Valensole pour les mêmes années de référence. Valensole située à 600 mètres d’altitude avait une activité économique certaine. Valensole est un important village de Provence de plus de 3100 habitants.
161 « La division la plus naturelle est celle qui partage la Provence en Haute et Basse Provence, la première au nord de la Durance et du Verdon, la Basse au midi de ces deux rivières. Quelques-uns uns y ajoutent la Provence moyenne entre la Haute et la Basse » ; Dictionnaire géographique, Historique et politique des Gaules et de la France, Tome V, La Provence, Amsterdam, 1768, p. 863 et s. Cité par M. DERLANGE, Les communautés d’habitants…, op. cit., p. 13. Michel Derlange note que : « vu le bipolarisme aixo-marseillais, cette Provence n’est centrale que par rapport à l’axe qui joint ces deux métropoles, conception gravitaire plus économique que naturelle […]. Tout se passe comme si la Provence restait centrée sur ses grandes villes occidentales, berceau de son histoire, promotrices de son impulsion économique » ; Ibid., p. 14.
162 « Alors que théoriquement les cités de Haute Provence sont nanties de quatre à six foires annuelles, les commissaires n’en reconnaissent plus que deux dignes d’importance à Digne, sous estimant celles de Sisteron, de Riez, de Forcalquier et de Manosque. Ainsi, même en montagne où la foire est censée cristalliser les échanges saisonniers, seule Digne paraît jouer un rôle régional » ; M. DERLANGE, Les communautés d’habitants…, op. cit., p. 20.
Cette idée est d’ailleurs reprise dans le cours de licence du professeur Bertrand qui ajoute que : « Sur un mode mineur, il en est de même de Castellane (1752 habitants en 1765), le seul siège de sénéchaussée inférieur à 2000 habitants qui est aujourd’hui la plus petite sous-préfecture de France » ; R. BERTRAND, Histoire de la Provence et de ses confins, op. cit., p. 52.
« Au cours du xviiie siècle la Provence apparaît comme double : d’un côté une Provence rurale, vivante, peuplée, de l’autre une ville, qui reste sans doute seconde par le nombre de ses habitants (12 à 13 % de la population totale en 1765 avec 85 à 90 000 habitants sur 692 000) mais qui représente sinon un corps étranger, du moins par son économie portuaire, une ouverture sur des rythmes et des modes de vie différents, un élément de brassage et de changement. La Provence commence-t-elle à vivre à l’heure de Marseille ? La question ne se pose pas dans les mêmes termes qu’aux siècles suivants, un réseau plus continu d’agglomérations, de la petite ville au village urbanisé assurant des transitions sans heurts » ; M. VOVELLE, « Le xviiie siècle provençal », op. cit., p. 343.
163 H. RICHARD, « La succession de Pierre Babaud de la Chaussade (1706-1792) : application des lois dans le temps et dans l’espace » dans Le temps et le droit, Actes des journées internationales de la Société d’Histoire du Droit Nice 2000, Université de Nice-Sophia Antipolis, Centre d’Histoire du Droit, Laboratoire E.R.M.E.S., Editions Serre, Collection Actual, Nice, 2002, p. 86.
164 « On peut glaner d’utiles renseignements dans les consultations de jurisconsultes ou les plaidoiries, mais elles doivent être prises avec circonspection en raison de leur caractère unilatéral » ; J.-P. LEVY, « Les actes de la pratique, expression du droit », op. cit., p. 206.
165 Le professeur Mestre ajoute : « Les consultations jouaient également un très grand rôle dans la transmission et l’élaboration du droit. Leur importance est reconnue […]. La consultation est source du droit » ; J.-L. MESTRE, Un droit administratif à la fin de l’Ancien Régime…, op. cit., p. 20.
L’avocat Decormis dont les consultations ont été imprimées en 1735 « était consulté de toute part dans les plus importantes affaires, et ses consultations étaient presque toujours suivies d’un jugement en conformité » ; F. DECORMIS, Recueil de consultations sur diverses matières divisé en deux volumes contenant différens recueils, Tome premier, Chez Montalant, Paris, 1735, préface.
166 « Les avocats aixois avaient, en effet, l’habitude de conserver une copie des consultations qu’ils donnaient, l’original ou la transcription des plaidoyers qu’ils prononçaient, un exemplaire des mémoires qu’ils rédigeaient et faisaient imprimer. Ils se procuraient aussi les mémoires de leurs confrères. Tous ces textes, copies manuscrites, factums imprimés, étaient classés par ordre chronologique, dans des registres dont les tables rendaient le maniement aisé […]. Ces compilations se transmettaient de génération en génération » ; J.-L. MESTRE Un droit administratif…, op. cit., p. 19.
167 Voir : S. DAUCHY, V. DEMARS-SION, « La non-motivation des décisions judiciaires dans l’ancien droit : principe ou usage » dans R.H.D., n° 2 Avril-Juin 2004, pp. 223-239.
Voir également sur la question de la non-motivation des arrêts sous l’Ancien Régime : J. HILAIRE, « Jugements et jurisprudence » dans Archives de philosophie du droit, Tome 39 : Le procès, Sirey, Paris, 1995, pp. 181-190.
A. LEBIGRE, « Pour les cas résultant du procès. Le problème de la motivation des arrêts » dans Revue d’Histoire de la Justice, n° 7, 1994, pp. 23-37. L’auteur p. 24 écrit que la non-motivation est, sous l’Ancien Régime, « un privilège que les cours se sont octroyées ».
C. BLERY, « L’obligation de motiver les décisions de justice était-elle révolutionnaire en 1790 ? » dans Revue d’Histoire de la Justice, n° 4, 1991, pp. 79-97.
168 Nous avons volontairement écarté, la plupart du temps, les plaidoyers qui font partie du fonds Gassier car les consultations et les factums nous permettent d’avoir 230 "affaires" relatives au droit des régimes matrimoniaux, et les plaidoyers ne sont que la reprise d’espèces évoquées sans les consultations.
169 Le fonds Lejourdan a été choisi car il contenait de nombreux plaidoyers relatifs à des conflits entre époux concernant l’administration des biens durant le mariage.
170 PROST DE ROYER, RIOLZ, verbo « Aix-en-Provence » dans Dictionnaire de jurisprudence et des arrêts ou Nouvelle édition du dictionnaire de Brillon, Tome septième, Imprimerie Aimé de la Roche, Lyon, 1783, p. 768.
Ces propos emphatiques ne doivent tout de même pas faire oublier, comme le rappelait récemment le professeur Gasparini, que Portalis a collaboré à la rédaction de ce Dictionnaire de jurisprudence ; E. GASPARINI, « Portalis, archétype de l’administrateur provençal de la fin du siècle des Lumières », op. cit., p. 64.
Voir : J.-L. MESTRE, Introduction historique au droit administratif français, Collection droit fondamental, P.U.F., Paris, 1985, p. 166.
171 AD BdR., B 3677, remontrances du 7 octobre 1769 ; Cité par J.-L. MESTRE, Un droit administratif à la fin de l’Ancien Régime…, op. cit., p. 457. Le professeur Mestre rappelle les éloges portés aux xviiie et xixe siècles aux avocats provençaux qui souvent ont exercé des fonctions de magistrat dans les Cours souveraines. Certains grands avocats enseignaient de plus à l’Université d’Aix. L’auteur note que « l’emphase des propos » qui servent à qualifier les juristes aixois (profonde érudition, éloquence brillante, éloquence irrésistible, improvisation rapide, savoir inépuisable) « ne doit pas dissimuler la justesse de l’appréciation ». En effet, « incontestablement, les avocats aixois de la seconde moitié du xviiie siècle étaient d’excellents juristes » ; Ibid. p. 461. Sur le milieu judiciaire aixois voir les pages 457 à 463.
172 S. DAUCHY, V. DEMARS-SION, « La non-motivation des décisions judiciaires dans l’ancien droit : principe ou usage », op. cit., p. 238.
173 Scipion Dupérier (1588-1667) a été avocat au Parlement d’Aix, assesseur d’Aix, procureur du pays de Provence en 1638 et primicier de l’Université.
174 Hyacinthe de Boniface (1612-1699) a été avocat au Parlement, assesseur d’Aix et procureur du pays de Provence en 1680.
175 Charles-Louis-Sextius de Grimaldi de Régusse (1701-1784) a été Président à Mortier au Parlement d’Aix en 1724. Il a succédé à son père.
176 Joseph Bonnet (vers 1660-1738) a été avocat au Parlement.
177 Balthazar Debézieux (1655-1722) a été avocat du Roi au Bureau des Finances d’Aix (1679), puis assesseur d’Aix et procureur du pays de Provence (1692) et Président de la chambre des enquêtes du Parlement de Provence en 1693.
178 Louis Ventre de La Touloubre (1706-1767) a été avocat au Parlement d’Aix, professeur à l’Université d’Aix (1732) et il est devenu substitut du Procureur général du Parlement en 1734.
179 G. Bonnemant a été avocat au Parlement de Provence et a publié en 1785 un ouvrage tiré d’un manuscrit d’un magistrat au Parlement de Provence intitulé Maximes du Palais qu’il a commenté à l’aide des manuscrits d’Antoine Julien (1623-1669) [avocat au Parlement d’Aix, assesseur d’Aix et procureur du pays de Provence en 1669] et Joseph Buisson [avocat au Parlement d’Aix, assesseur d’Aix et Procureur du Pays de Provence]. Il a de plus enrichi son ouvrage « d’une quantité d’arrêts recueillis par un Magistrat au même Parlement, à la plupart desquels il a lui-même assisté » ; Maximes du Palais sur les titres les plus utiles des Institutes et du Code, par un ancien magistrat au Parlement de Provence, avec des observations sur chaque maxime, conférées avec la jurisprudence des Parlemens de Droit Ecrit, et plus particulièrement avec celle des Parlemens de Toulouse et de Provence, par Monsieur G. Bonnemant, Avocat au Parlement de Provence, Tome premier, Chez Castor Belle, imprimeur du Roi, Nîmes, 1785, préface.
180 Janety était procureur en la sénéchaussée d’Aix.
181 « Les recueils d’arrêts passent pour être le genre de littérature le plus abondant mais aussi le plus décrié » ; C. CHENE, « L’arrestographie, science fort douteuse » dans S.H.D.E., Fascicule XIII, Faculté de droit et des Sciences économiques de Montpellier, 1985, p. 179.
182 Sur l’absence de motivation voir la synthèse de T. SAUVEL, « Histoire du jugement motivé » dans Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1955, pp. 5-53.
183 Le grand nombre de recueils d’arrêts sous l’Ancien Régime aurait fait écrire à certains auteurs l’imprimerie semble n’avoir été inventée « que pour l’usage des collecteurs d’arrêts » : E. MEYNIAL, « Les recueils d’arrêts et les arrêtistes » dans Le Code civil 1804-1904, Livre du centenaire, Publié par la société d’études législatives, Tome premier généralités-études spéciales, Topos Verlag AG, Vaduz, Liechtenstein et Librairie Edouard Duchemin Paris, 1979, p. 180
184 Le professeur Mestre note que : « Consultations, mémoires, plaidoyers, conclusions des gens du Roi constituaient l’essentiel de la documentation dont disposaient les arrêtistes pour exposer la jurisprudence des Cours souveraines d’Aix » ; Un droit administratif …, op. cit., p. 21.
185 Denisart ajoute : « Ces sortes d’actes sont d’un usage assez fréquent depuis l’abrogation des enquêtes par turbe, prononcée par l’ordonnance de 1667 : nous en avons plusieurs du châtelet que l’on consulte comme des ouvrages également solides et lumineux » ; verbo « Notoriété (acte de) » dans Collection de décisions nouvelles…, op. cit., Tome troisième, p. 458.
Jacqueline Moreau-David a bien montré que si les actes de notoriété attestent, sans contestation possible, d’un usage, ils servent le plus souvent à justifier ou à valider une pratique lors d’un procès plus qu’à apporter la preuve d’un nouvel usage ; « L’habilitation d’après les actes de notoriété du Parlement de Provence » dans Etudes d’Histoire du droit privé en souvenirs de Maryse Carlin, Editions La mémoire du Droit, 2008, p. 223.
186 Serge Dauchy notait que : « Le premier apport de la littérature arrêtiste est précisément de faire connaître cette jurisprudence des arrêts tout en fournissant un exposé clair des faits, de la procédure et parfois des arguments invoqués de part et d’autre. Seule la lecture des recueils permet d’ailleurs de connaître les décisions d’Ancien Régime. En effet, les archives judiciaires de cette époque, contrairement aux registres médiévaux, ne comportent pas le seul élément nécessaire à leur compréhension. Surtout, les arrêts ne font plus systématiquement mention, à partir du xvie siècle, des arguments des parties, ni des conclusions du Ministère public, renseignement grâce auxquels les jurisconsultes pouvaient reconstituer la motivation des décisions. Que la jurisprudence ait été une source du droit, tantôt inspirant le législateur, tantôt procédant à l’interprétation des sources traditionnelles du droit que sont la loi, la coutume et le droit savant, ne souffre donc aucun doute […]. Toutefois les arrêts n’étant pas motivés, ce sont les analyse des arrêtistes ou, tout au moins leur manière de présenter les affaires qui font apparaître cette jurisprudence » ; S. DAUCHY, Les recueils d’arrêts et dictionnaires de jurisprudence (xvie-xviiie siècles) sous la direction de S. Dauchy et V. Demars-Sion, Centre d’Histoire Judiciaire / CNRS- Lille II, Editions La mémoire du droit, Collection Bibliographie, Introduction, Paris, 2005, p. 18.
187 M. CAMUS, Lettres sur la profession d’avocat et bibliothèque choisie des livres de droit, qu’il est le plus utile d’acquérir et de connaître, Quatrième édition par M. Dupin, Tome premier, Chez B. Waree libraire, Paris, 1818, p. 73.
188 « Des sources à redécouvrir », op. cit., p. 272. Voir également du même auteur : « Actes de la pratique et expressions du droit du xvie siècle à la codification » op. cit., pp. 135-140.
189 Nous trouvons un bel exemple de ce type de critiques dans les célèbres lettres sur la profession d’avocat de Camus : « Nos recueils d’arrêts forment un nombre considérable de volumes. Qu’il serait à souhaiter que plusieurs n’eussent jamais existé. Des compilateurs ineptes ont rapporté, sans exactitude, des jugements qui ne peuvent donner que des idées fausses, ou jeter des nuages sur les principes » ; M. CAMUS, Lettres sur la profession d’avocat…, op. cit., Tome premier, p. 72.
190 « Les recueils d’arrêts et les dictionnaires ou répertoires de jurisprudence à l’épreuve de la pratique : l’exemple des mariages à la Gaulmine » dans Les recueils d’arrêts et dictionnaires de jurisprudence (xvie-xviiie siècles), op. cit., pp. 283-451.
191 Le professeur Guillaume Leyte, tout en rappelant que les juristes d’Ancien Régime doutaient eux-même de la qualité et de l’exactitude des arrêts rendus par les Parlements et consignés dans les recueils imprimés, a conclu sa recherche sur les arrêtistes du Parlement de Paris en affirmant que ces recueils ont marqué des générations de juristes et de praticiens et que même imparfaitement ils permettent d’accéder à la connaissance de la jurisprudence ; « Des arrêts aux arrêtistes : généalogie de quelques arrêts de principe du Parlement de Paris » dans Histoire et Archives, Société des amis des archives de France, n° 12, Juillet-Décembre 2002, p. 115-135.
Récemment, le professeur Hilaire, a rappelé également les critiques formulées par les juristes d’Ancien Régime concernant ce type de littérature juridique, mais il a reconnu lui aussi que les arrêtistes dégageaient bel et bien la jurisprudence ; « Questions autour de la jurisprudence des arrêts » dans Les recueils d’arrêts et dictionnaires de jurisprudence (xvie-xviiie siècles), op. cit., pp. 21-39.
192 Nicolas Derasse montre bien que les préfaces des ouvrages se présentent comme un espace privilégié pour critiquer la concurrence ou répliquer à l’occasion d’une nouvelle édition aux attaques subies. Dès lors les critiques faites par des juristes à d’autres juristes sous l’Ancien Régime ont-elles une réelle valeur ? [« La mise en valeur des recueils d’arrêts et des dictionnaires de jurisprudence à travers les préfaces » dans Les recueils d’arrêts et dictionnaires de jurisprudence (xvie-xviiie siècles), op. cit, pp. 41-68].
Bien entendu l’idéal serait de pouvoir retrouver dans les registres manuscrits du Parlement les arrêts consignés dans les recueils d’arrêtistes ou dans les ouvrages de synthèse faits par des juristes. Ce type de recherches présente de multiples difficultés : le nombre important d’arrêts rendus un même jour, l’absence d’une table des noms à la fin des registres, l’absence d’une table des matières jugées. Les registres ne sont pas foliotés, tous les arrêts ne sont peut-être pas consignés et enfin l’arrêtiste a pu faire une erreur de date ce qui rend la recherche encore plus difficile. Véronique Demars-Sion a reconnu qu’il s’agit d’un travail de fourmi et qu’il faut donc procéder par sondages en choisissant une matière précise. Elle avait envisagé une recherche de ce type portant sur le mariage et très vite celle-ci s’est avérée trop importante, et il avait fallu réduire l’étendue de la matière sur laquelle allait porter la recherche. Les mariages à la Gaulmine ont été choisis car ils ne représentaient que 14 arrêts du Parlement de Paris recensés dans les recueils d’arrêts et les dictionnaires ou répertoires de jurisprudence.
La matière des régimes matrimoniaux est trop large et le nombre d’arrêts rapportés par les arrêtistes et commentateurs trop important pour envisager une telle comparaison entre recueils imprimés et archives judiciaires. Un sondage à l’intérieur même de notre matière n’aurait aucun sens. La comparaison des arrêts imprimés avec les consultations d’avocats et les actes de la pratique notariale nous semble beaucoup plus efficace. Il convient enfin de noter que Camus cite comme ouvrages de référence concernant la Provence : Boniface, Debézieux, Grimaldi de Régusse, Janéty, Dupérier sans faire aucun commentaire négatif sur ces arrêtistes. Au contraire, l’avocat note que : « Les œuvres de Dupérier sont des dissertations sur plusieurs questions de droit ; des plaidoyers, des notes d’arrêts du Parlement d’Aix, des extraits de Dumoulin, ect. Dupérier passe pour le premier des jurisconsultes du Parlement d’Aix pour sa science et sa subtilité » [Lettres sur la profession d’avocat…, op. cit., Tome deuxième, p. 308 et 318].
193 A. LEFEBVRE-TEILLARD, « Naissance du droit français : l’apport de la jurisprudence » dans Droits, Revue française de théorie, de philosophie et de culture juridiques, Naissance du droit français / 1, P.U.F., n° 38, Paris, 2003, p. 75.
194 A. Rousselet-Pimont a récemment démontré que les réserves relatives à la fiabilité des ouvrages des arrestographes ne doivent pas masquer la qualité générale de la plupart des recueils. Ils sont des outils tout à fait profitables à qui désire mieux connaître la jurisprudence du Parlement. D’ailleurs, l’un des objectifs avoué des auteurs de recueils de jurisprudence est d’être des « pédagogues » au service de leurs collègues moins aguerris ; « Une générosité suspecte : les libéralités aux proches parents des conjoints d’après la jurisprudence du Parlement de Paris aux xvie-xviie siècles », dans R.H.D., n° 2 avril-juin 2005, pp. 183-213, en particulier p. 186 et 213.
195 J. BONNET , Recueil d’arrêts notables du Parlement de Provence rendus sur diverses matières ou questions de droit ou suite des arrêts de Boniface, Chez Claude Paquet, Aix, 1737, lettre V, Arrêt II, p. 403.
196 Le professeur Guyon constate que les arrêtistes bordelais font également ce travail : « Ils exposent avec un grand luxe de détails tous les tenants et les aboutissants de l’affaire. Les conclusions des avocats (parfois des mémoires imprimés), les observations des avocats généraux sont soigneusement reprises mot par mot. Ce n’est donc pas seulement la décision finale qui est analysée, mais tout le processus juridique élaboré autour des circonstances et des causes du procès » ; G. GUYON, « Les décisionnaires bordelais, praticiens des deux droits (xve-xviiie siècles) » dans Les recueils d’arrêts et dictionnaires de jurisprudence (xvie-xviiie siècles), op. cit., p. 109.
197 J.-B. DENISART, verbo « Jurisprudence » dans Collection de décisions nouvelles…, op. cit., Tome troisième, pp. 75-76.
198 J.-L. GAZZANIGA, « Quand les avocats formaient les juristes et la doctrine » dans Droits, Revue française de théorie juridique, n° 20, P.U.F., Paris, 1994, p. 33.
199 Les œuvres imprimées des jurisconsultes dans les trois derniers siècles de l’Ancien Régime sont également au service de l’unité du droit français et même si « l’unité du droit français n’a été réalisée qu’avec le Code civil » il faut bien noter que « c’est la doctrine qui va réaliser l’apport le plus considérable d’unification et servir de fond commun où les rédacteurs du Code civil pourront venir puiser. Dans cette entreprise, les avocats, nous l’avons dit, joueront un rôle essentiel. » ; Ibid., p. 37.
Dans le même sens, le professeur Leyte notait que le souci de nombreux auteurs du xviiie siècle de parvenir d’une manière ou d’une autre à l’unité du droit français est bien connu. « L’influence des commentateurs de coutumes, professeur de droit français, auteurs de traités comme Lebrun, Ricard ou Pothier, bref, de la doctrine se consacrant au droit français, est globalement cernée mais l’apport des arrêtistes reste largement à établir, ainsi qu’une étude précise de leur méthode. Une assez mauvaise réputation les poursuit, due à une fiabilité aléatoire et à la difficulté de contrôler leurs affirmations, mais ils présentent l’immense intérêt d’avoir été la source presque exclusive de divulgation de la jurisprudence avant la Révolution. » ; « » Le droit commun de la France », Observations sur l’apport des arrêtistes » dans Droits, Revue française de théorie, de philosophie et de culture juridiques, Naissance du droit français / 1, P.U.F., n° 38, Paris, 2003, p. 53
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Histoire du droit de la guerre (1700-1819)
Introduction à l’histoire du droit international
Jean-Mathieu Mattéi
2006
Les régimes matrimoniaux en Provence à la fin de l’Ancien Régime
Contribution à l’étude du droit et de la pratique notariale en pays de droit écrit
Jean-Philippe Agresti
2009