Chapitre 2. Les particularités des sources privées de normes individuelles
p. 159-194
Texte intégral
1Les règles à portée particulière paraissent au moins aussi importantes que les règles à portée générale, que ce soit à l’échelle du droit de la communication par internet ou, semble-t-il, à l’échelle de beaucoup de branches du droit499. Or, ordinairement, les sources privées sont plutôt enclines à édicter des règles particulières quand la fabrique des règles générales est davantage l’apanage des sources publiques500. Il en résulte que le renouvellement des sources privées du droit ne peut qu’aller de pair avec le développement des sources de normes générales plus qu’avec le développement des sources de normes particulières. L’étude du droit de la communication par internet permet néanmoins de relever quelques éléments intéressants concernant ces dernières.
2Il est difficile de dire si le contrat contribue ou non au renouvellement des sources du droit tant il est bien connu des juristes tout en étant rarement cité par les introductions au droit au nombre des sources du droit. Cela s’explique par le fait qu’il s’agit d’un acte juridique comportant des normes à portée particulière (section 1), ce qui le rend incomparable aux lois, règlements, chartes, codes de bonne conduite et autres actes supportant des normes à portée générale501. Par ailleurs, les tribunaux, à travers les jugements qu’ils prononcent, sont une source importante de règles individuelles. Quant au pan privé des sources du droit, cela implique d’étudier les modes alternatifs de résolution des conflits, les « cours spéciales »502 d’où jaillissent de nombreuses normes à portée individuelle à travers une « justice informelle »503 ou, du moins, « inofficielle » (section 2)504. Contrairement au cas des contrats, le renouvellement des sources du droit impliqué par ces modes alternatifs de résolution des conflits semble patent. Peut-être la justice sera-t-elle demain rendue dans des cadres privés autant que dans des cadres publics, ce qui ne manque pas d’interroger.
Section 1. La singularité des contrats privés
3Le contrat, qui préoccupe les juristes (les privatistes peut-être plus que les publicistes505) depuis une époque relativement récente comparativement à la loi ou à la décision de justice506, est au cœur de nombreuses activités et, s’il se définit tel un acte juridique formalisé ou tacite507, il peut être également étudié par les sociologues ou par les économistes508. Comme le résume le Professeur Pascale Deumier, « le contrat est d’usage quotidien et la règlementation, bien qu’en expansion, laisse encore une large part à l’imagination des contractants »509. Le contrat n’est pas plus décisif pour le droit de la communication par internet que pour la plupart des branches du droit privé, qui sont elles-aussi impactées par le phénomène de contractualisation du droit510. Cela ne retire rien au fait que beaucoup de normes, dont la grande majorité des normes à portée individuelle, qui composent le droit de la communication par internet sont issues de contrats privés et qu’il semblait important de les mentionner aux côtés des règlements privés et autres usages, même si ces derniers, à l’inverse des contrats, sont singuliers en ce qu’ils se retrouvent en droit de la communication par internet plus qu’ailleurs et seraient donc bien davantage annonciateurs du « droit de demain ».
4Des commentateurs remarquaient, en 2001, que le contrat était « omniprésent sur l’internet »511. Nul doute qu’il le demeure, ce qui interdit, quelle que soit son originalité intrinsèque dans l’espace des actes normatifs, de le passer sous silence (B). Aussi, parmi les diverses sources privées du droit de la communication par internet, le contrat apparaît-il comme celle qui contribue le moins au renouvellement des sources du droit. Mais cela ne signifie pas qu’elle n’y contribue en aucune façon, car d’aucuns hésitent aujourd’hui encore à compter le contrat au nombre des sources du droit (A).
A. L’acceptation délicate du contrat privé parmi les sources du droit
5Bien que le Professeur Philippe Jestaz souligne combien élever le contrat au rang de source du droit « paraîtra d’abord insolite »512 et bien qu’on puisse y voir un « acte d’exécution et non de production du droit »513, il se trouve un nombre croissant de juristes qui intègrent le contrat parmi les sources du droit514. D’aucuns soulignent la « crise contemporaine du contrat »515, « crise » devant se comprendre comme une « crise théorique »516, c’est-à-dire comme une « crise » induite par l’absence de certitudes quant à la notion de « contrat »517. Il n’est cependant pas lieu, en ces pages, de chercher à accueillir une autre vision de cette « entreprise la plus hardie qui se puisse concevoir pour établir la domination de la volonté humaine sur les faits, en les intégrant d’avance dans un acte de prévision »518, que celle qui est ordinairement retenue parmi les lexiques juridiques : un contrat est le « nom générique donné – au sein des actes juridiques – à tout accord de volonté entre deux ou plusieurs personnes destiné à produire un effet de droit quelconque : créer, transmettre ou éteindre une obligation, etc. »519. Le contrat est ainsi un acte juridique né d’une rencontre de volontés et qui donne lieu à une situation juridique à portée individuelle, c’est-à-dire à un ou plusieurs droit(s) et obligation(s) subjectif(s), propre(s) à ses parties, à un « contenu obligationnel »520, et que le droit objectif sanctionne comme s’il s’agissait d’une loi521.
6La portée individuelle et non générale de son contenu normatif a longtemps constitué un frein empêchant l’acceptation du caractère juridique du contrat522, accompagné du fait qu’il ne concorde pas avec la définition du droit comme production sociale de la collectivité à destination de la collectivité. Étonnamment aux yeux du juriste praticien, la juridicité des normes contractuelles est donc loin d’être une évidence aux yeux du juriste théoricien523.
7Raymond Carré de Malberg524 et d’autres525 ont ainsi pu refuser toute juridicité aux normes conventionnelles privées526. Et il est significatif que, parmi les nombreux ouvrages traitant aujourd’hui des sources du droit, on ne trouve que rarement le contrat cité527.
8Reste qu’il semble nécessaire, en cette thèse, d’accueillir le contrat parmi les sources du droit528. Si la qualité de source du droit du contrat en venait à être de plus en plus largement reconnue par la doctrine, il s’agirait d’une forme de renouvellement des sources, cela même si, de facto, le contrat est au centre de la mécanique juridique depuis des temps plus qu’anciens. Ensuite, les stipulations contractuelles présentent à différents titres un « particularisme vital », c’est-à-dire des spécificités qui sont loin d’être inutiles pour le droit, spécialement s’agissant du droit de la communication par internet, si bien que de nombreuses activités ne sont régies que par des normes d’origine contractuelle. Si le contrat est donc au centre du jeu juridique depuis fort longtemps, il serait appelé à y occuper toujours plus de place à l’avenir, ce mouvement accompagnant le développement plus général des sources privées et le retrait des sources publiques.
9Avec le contrat, le renouvellement des sources du droit s’opère à la fois dans le champ qualitatif (acceptation croissante de sa qualité de source du droit) et dans le champ quantitatif (régulation de plus en plus contractuelle). Mais cela doit être largement relativisé, surtout en comparaison des spécificités et de l’importance des organisations ad hoc étudiées au sein du précédent chapitre. Celles-ci indiquent que le droit pourrait connaître quelques bouleversements ; l’affirmation du contrat, qu’elle soit théorique ou pratique, n’atteint guère pareilles extrémités.
B. Le particularisme vital du contrat privé parmi les sources du droit
10Il faut tout d’abord rappeler que les contrats-types et les conditions d’utilisation, qui peuvent s’analyser tels des règlements privés et qui sont au cœur du renouvellement des sources du droit, méritaient d’être étudiés à part. Lorsque la convention ne stipule pas que « monsieur X doit… » mais dispose que « l’utilisateur doit… », la généralité du propos normatif est patente. Intituler un contrat « conditions générales » ne revient-il pas à commettre une contradictio in adjecto ? Le contrat n’apparaît dès lors plus en tant que « mode privilégié de la coopération sociale librement consentie »529. Au-delà de cette précision, le contrat est essentiel pour un nombre croissant de branches du droit et notamment pour le droit de la communication par internet, semblant ainsi constituer chaque jour un peu plus le rouage essentiel de la mécanique juridique. Il faut ainsi souligner la force motrice du contrat privé en droit de la communication par internet.
11On fait du contrat l’un des deux « piliers du droit », aux côtés de la responsabilité530. À l’heure de la « société contractuelle »531, il serait la « forme normale d’organisation des rapports juridiques »532 ; il serait la turbine du droit, le faisant évoluer au quotidien, là où la loi et la décision judiciaire n’interviendraient que ponctuellement dans la vie juridique533. Le droit de la communication par internet invite à conforter ce constat534. En 1928, un auteur observait le « splendide isolement » des conventions dans le droit535. Désormais, celles-ci se situent au centre du phénomène juridique et c’est sur elles que s’appuient nombres d’institutions du droit. Et peut-être en ira-t-il toujours plus de la sorte à l’avenir536.
12La « contractualisation » régulièrement décrite537 serait ainsi un signe de « postmodernisation », notamment à mesure que le droit souple – qui a souvent besoin de l’appui de l’adhésion volontaire et donc du contrat538 – gagne du terrain ; et l’« État postmoderne »539 serait en premier lieu un État recourant de façon plus naturelle aux instruments conventionnels540. Le contrat demeure toutefois, pour l’instant, l’« instrument juridique par excellence du droit autorégulé »541, non celui du droit étatique. D’ailleurs, on va jusqu’à voir dans le recours croissant au contrat un signe de la « démission de l’État »542.
13Les conventions privées se présentent souvent comme le meilleur moyen de circonscrire juridiquement les relations internetiques, notamment lorsqu’elles sont commerciales543. Des commentateurs listent les propriétés du contrat qui peuvent expliquer son succès en tant que mode de régulation des communications par internet. Tout d’abord, il est neutre étatiquement, non rattaché en soi à un État particulier, ce qui est fort utile concernant un objet foncièrement transnational, d’autant plus que la forme des conventions tend à s’uniformiser à l’échelle mondiale grâce à l’« interconnexion permanente »544. Ensuite, il est souple et évolutif, il est du « droit en formation continue »545, ce qui lui permet mieux que tout autre acte juridique de suivre la rapide évolution d’activités et de besoins électroniques excessivement mouvants546. Il est également le garant de la « confiance sur l’internet en faisant disparaître la peur de l’inconnu »547. Et, négativement, on trouve dans l’« échec du paradigme de la règlementation étatique » une explication de la prolifération des conventions pour régir les relations en ligne548, alors que le contrat serait par définition efficace – en théorie tout du moins549 – puisqu’il « a sur la loi cette supériorité d’exprimer concrètement le droit en action »550. Les contrats permettraient forcément une meilleure adaptation des règles aux besoins dès lors que ce sont ceux qui y sont soumis ou qui les utilisent qui les édictent.
14Ensuite, les contrats privés qui ont vocation à encadrer les communications par internet sont inéluctablement marqués par la diversité et par la variabilité551. Liberté contractuelle obligeant, tout ou presque est possible552, surtout en matière de droit de la communication par internet. Aussi n’est-il pas lieu, en ces pages, de chercher à dresser quelque typologie des contrats, ni même des principaux contrats, qui contribuent à forger ce droit. Il convient simplement de conclure ces pages consacrées aux contrats privés en notant que se pose par ailleurs le problème de leur acceptation étatique, de leur éventuelle inclusion dans le système juridique « officiel ». En effet, peut-être s’agit-il de la forme la plus ancienne et classique de corégulation553. Mais il est très incertain que la loi parvienne à conserver la position dominante par rapport au contrat en habilitant expressément les particuliers à édicter des normes conventionnellement dès lors que ceux-ci, tout particulièrement en matière de communication par internet – où se développent plus qu’ailleurs les « contrats aux prétentions autonomistes dont la velléité est d’être reconnus et sanctionnés indépendamment de toute loi étatique »554 –, auraient peut-être recouru également à l’outil contractuel afin de régir leurs relations alors même que l’ordre normatif étatique ne les y aurait pas autorisé formellement et dès lors que, en cas de litige, ils s’en remettront souvent non aux tribunaux des États mais à quelque forme privée de justice. Bien des contrats transnationaux choisissent littéralement le droit qui leur est applicable, y compris parmi des formes « non officielles » de droit, et stipulent que, en cas de litige, celui-ci sera porté devant un arbitre privé, non devant un juge public555.
15Après les contrats, les autres actes normatifs privés dont découlent des normes individuelles et que le droit de la communication par internet permet tout spécialement d’étudier sont justement les décisions prises dans le cadre des modes alternatifs de résolution des litiges.
Section 2. La singularité des jugements privés
16Si une source de justice est une source de droit, alors les modes alternatifs de résolution des conflits, qui engendrent des « jugements privés », doivent être envisagés en cette thèse. Et cela d’autant plus qu’ils connaissent un grand succès en matière de litiges immatériels (A). Mais les forces contraignante et dissuasive des sanctions privées censées accompagner cette « justice privée » n’en sont pas moins par nature fragiles (B), ce qui, sous un angle critique, pose question du point de vue de leur bien-fondé et de leur efficacité556.
17Cette forme de « justice de l’ombre »557 implique un renouvellement des sources du droit dont il est peut-être difficile de se réjouir. La seconde partie de cette section servira ainsi de transition vers le prochain titre de cette thèse, consacré à la « légitimité contestée des sources privées du droit de la communication par internet ». Le visage que le « droit de demain » serait appelé à prendre s’avère peu satisfaisant et il faudrait peut-être chercher à le modeler différemment.
A. Le développement des modes privés de résolution des conflits
18Si les normes à portée individuelle édictées au travers des modes alternatifs de résolution des litiges se présentent en moins grand nombre que les normes portées par des contrats privés, elles semblent être davantage l’apanage du droit de la communication par internet558, celui-ci étant l’une des rares branches du droit dans lesquelles des formes privées de justice concurrencent effectivement la justice publique559. Peut-être d’autres matières juridiques connaissent-elles une « déjudiciarisation »560 et un développement des « nouveaux lieux et nouvelles formes de régulation des conflits »561. Mais ce ne sont pas là des phénomènes généralisés, à l’inverse de la « contractualisation », et d’aucuns font des mécanismes de règlement des différends du cyberespace les procédés contentieux et arbitraux les plus originaux de l’époque actuelle.
19Sans doute le Code civil et le Code de procédure civile ont-ils toujours admis la possibilité d’une justice privée à travers l’arbitrage, cela n’a cependant jamais fait de ce dernier la procédure ordinaire et du recours devant les tribunaux étatiques l’exception562. Comme l’indique un praticien de l’arbitrage, celui-ci « demeure aujourd’hui un petit milieu dans lequel tout le monde se connaît »563. Néanmoins, concernant les litiges immatériels, ce sont ni plus ni moins que tous les différends générés par l’internet que ces mesures alternatives seraient capables de régler564. En tout cas, alors que, logiquement, la médiation et l’arbitrage constituent la voie privilégiée en matière de relations entre entreprises, de plus en plus de particuliers y sont sensibles et se détournent des tribunaux publics physiques. Le droit des relations commerciales par internet s’appuie largement sur les procédés parallèles de règlement des différends565, mais, plus globalement, c’est tout le droit de la communication par internet qui s’avère favorable à ceux-ci. Le renouvellement des sources du droit serait dès lors tout spécialement un renouvellement des sources de la justice.
20Les modes privés de résolution des conflits présentent des formes diverses et fort particulières en comparaison de ce que sont les modes étatiques de résolution des conflits (I). Alors que leur succès en matière de litiges nés dans le cyberespace s’explique logiquement (II), ils constituent un véritable défi lancé à l’État et à sa souveraineté et sont peut-être le signe de l’évolution vers une culture judiciaire « postmoderne » (III). Parmi différents exemples, celui des modes alternatifs de résolution des conflits institués dans le cadre du Forum des droits sur l’internet est spécialement remarquable (IV).
21I. Les visages des modes alternatifs de résolution des conflits. Les modes alternatifs de résolution des conflits, synonymes de « justice communautaire »566 et de « justice par les pairs »567 et donc très en vogue dans le cyberespace568, peuvent se caractériser comme une « justice douce »569, comme une justice de compromis, comme une justice négociée faisant la part belle à la médiation, là où la justice d’État est – et souvent il est sans doute heureux qu’elle le soit – unilatérale et forte570. Il s’agit, le plus souvent, de recourir à un conciliateur ou médiateur, personne privée extérieure au litige, désintéressée, indépendante et impartiale – ce qui correspond à la définition du juge mis à part le caractère de personne privée et le fait que les pouvoirs sont limités à ceux que les parties décident d’accorder571 –, qui, loin de faire œuvre autoritaire ou arbitraire, sert d’entremetteur, encourage et encadre la négociation dans le but d’aboutir à un accord et de réconcilier les parties572. Il s’agit de subroger une solution consensuelle, appelée « transaction », à une situation conflictuelle573.
22Quant à l’arbitrage574, il consiste à conférer, par la volonté commune des parties, à une personne tierce et indifférente au litige le pouvoir de trancher celui-ci en statuant par amiable composition, soit en équité plutôt qu’en appliquant de quelconques règles de droit formelles, cela afin que le moins d’intérêts soient lésés et que, de la sorte, la solution, qui doit être la « solution la plus juste »575, convienne à toutes les parties576. L’arbitre, qui « dit le droit » tel un juge577, peut donc s’évader des carcans légaux de tous ordres et peut devoir appliquer les règles choisies par les parties si celles-ci en ont décidé ainsi. À l’aune de l’archaïsme et de la sclérose souvent dénoncés des lois et règlements applicables à l’internet, l’intérêt revêtu par un tel procédé alternatif semble grand578. Et, si, comme l’indique le droit de la communication par internet, les procédés alternatifs de règlement des litiges prospèrent actuellement, remplaçant de plus en plus souvent les procédures judiciaires « officielles », cela implique un important renouvellement des sources du droit par le renouvellement des sources de la justice.
23Cette justice alternative, source privée de normes individuelles fort originale, plus que ne le sont les contrats privés envisagés au sein de la précédente section, est incomparable à la justice étatique qui, « froide » peut-être, autoritaire sûrement, est subie quand, avec les modes alternatifs de résolution des conflits, les parties sont aussi les acteurs de la justice579. Cela ne manque pas de rappeler « mainte société archaïque [dans laquelle] l’ethnologie [montre qu’il existe] une pensée qui, faisant contraste avec la nôtre, traite le droit non pas comme une règle dont l’exécution devrait être imposée par la force mais comme une paix, une concorde, un équilibre, à gagner par la conciliation et la réconciliation. Et l’on aurait tort de croire que rien ne subsiste parmi nous de cette mentalité archaïque »580. Le droit des technologies les plus avancées serait ainsi, très paradoxalement, le foyer d’un retour vers les formes juridiques et judiciaires les plus primaires. Ce n’est pas la première fois en cette thèse que l’on est tenté de conclure à un renouvellement des sources du droit tourné vers le passé, consistant en une remise au goût du jour de formes juridiques ou judiciaires qu’on croyait abandonnées aux livres d’histoire et aux sociétés sans État.
24Néanmoins, l’analogie doit rester limitée tant les modes alternatifs de résolution des conflits nés dans le cyberespace ne partagent que peu avec la « justice aborigène » que décrivait Jean Carbonnier581. Ils sont, plus que des reliquats de sociétés archaïques, des innovations de la vie juridique et judiciaire du début du xxie s. Mais, alors que la culture juridique asiatique voit dans le recours au juge étatique une voie non pas ordinaire mais exceptionnelle, à réserver aux seules situations dans lesquelles aucune solution amiable ne peut être trouvée582, ils sont bien davantage développés dans la culture juridique anglo-saxonne583 que dans la culture juridique française et d’origine romano-germanique584. Or l’influence du common law, de son esprit et de ses méthodes, sur le droit de la communication par internet – comme, plus généralement, sur tout ce qui s’inscrit dans le droit transnational – n’est plus à démontrer. Il n’est donc guère surprenant que les « alternative disputes resolutions » occupent dans cette matière une place plus centrale qu’ailleurs. Le renouvellement des sources du droit correspond aussi, cela fait peu de doute, à une ouverture croissante aux sources typiques du droit anglo-saxon.
25Ensuite, d’autres éléments permettent de comprendre la réussite des modes alternatifs de résolution des conflits dans le domaine de la régulation des communications internetiques.
26II. Les succès des modes alternatifs de résolution des conflits. Les succès des modes alternatifs de résolution des litiges nés en raison d’activités internetiques trouvent plusieurs explications. Tout d’abord, la communication par internet est en soi à l’origine de ce succès puisque la possibilité de proposer des services à distance entièrement dématérialisés (la « cyberjustice »585) favorise le déploiement des procédures parallèles loin du formalisme public586 – en témoigne le site web consacré à la médiation en ligne lancé en 2001 par le centre de médiation et d’arbitrage de Paris587. De plus, une étude a montré que les parties se comportent de manière pragmatique et conciliante dans la sphère immatérielle, que les échanges y sont plus constructifs et l’affrontement moins frontal588.
27Ensuite, lorsque les litiges sont transnationaux, les risques de blocages entre justices étatiques et entre lois applicables est grand et la médiation apparaît logiquement préférable à des recours judiciaires à l’issue incertaine et pouvant s’avérer incohérente aux yeux de tous les protagonistes589. La souplesse de la justice privée, qui autorise le forum shopping et le law shopping, est aussi un atout tant la rigidité des procédures judiciaires publiques peut sembler excessive590 – d’aucuns n’acceptent plus que « dura lex, sed lex » et dénoncent le fait que « summum jus, summa injuria »591. On traduit cela de la façon suivante : la justice publique s’appuierait sur une « logique du “gagne/perd” »592 ou, en d’autres termes, sur une « logique manichéenne du tout ou rien » quand la justice privée privilégierait la « logique équilibrée du plus ou moins »593.
28Surtout, la justice privée est perçue comme préférable à la justice publique en raison de la lenteur594 et du coût595 de cette dernière, parfois aussi trop aléatoire596, si bien que, souvent, aucune des parties n’est satisfaite par la décision rendue par une cour étatique597. La discrétion, alors que la justice étatique est rendue publiquement, peut être un autre argument de poids en faveur des procédures extra-étatiques, surtout lorsque des entreprises commerciales attachées à leur réputation sont parties aux conflits. En outre, le droit de la communication par internet, par nature transnational, ne s’est pourtant vu attribuer aucune juridiction internationale ad hoc598, ce qui ne peut que renforcer la tentation de s’en remettre à la justice privée599.
29La légitimité de la justice semble décroître à mesure que différentes « affaires » y portent atteinte600 et que sa qualité se dégrade du fait de son manque de moyens601. Concernant les activités internetiques, cette légitimité ne peut qu’être encore plus en péril, appelant ainsi un renouvellement des sources des normes juridictionnelles, donc un renouvellement d’une partie des sources du droit602.
30Le développement des modes alternatifs de résolution des conflits serait ainsi une cause mais aussi et surtout un signe de certaines difficultés rencontrées par les institutions judiciaires étatiques. Au-delà, ce serait bien de manière générale que le développement des sources privées du droit serait une cause mais aussi et surtout un signe de certaines difficultés rencontrées par les institutions étatiques. Le mouvement de l’histoire du droit contemporaine serait celui d’une privatisation. Si l’activité « législative » est de plus en plus souvent le fait d’acteurs privés, ce qui traduit un renouvellement des sources du droit, l’activité « judiciaire », qui consiste également à créer des normes, mais uniquement des normes individuelles, est elle-aussi largement abandonnée à des procédés privés. La « justice spontanée »603, autant que les règles de droit spontanées, est peut-être un défi lancé à l’État, au rôle qu’il a à jouer et à sa capacité à le jouer604. La préférence de nombre d’acteurs de la vie internetique pour les modes alternatifs de résolution des conflits signalerait une dégradation du pouvoir et de la puissance des autorités publiques, laquelle serait la première de toutes les explications du renouvellement des sources du droit.
31Ainsi les modes alternatifs de résolution des conflits très en vogue en droit de la communication par internet semblent-ils témoigner de l’avènement d’une nouvelle culture judiciaire.
32III. La « justice spontanée », une nouvelle culture judiciaire ? – Les historiens du droit observent que ce ne serait toujours qu’en raison du caractère embryonnaire de l’organisation sociale, en raison de l’absence de juges publics jouissant d’une véritable puissance publique et de la capacité d’assurer l’exécution de leurs décisions, que le règlement des litiges serait coutumièrement ou légalement reconnu aux particuliers605. Mais il faut distinguer deux cas de figure : soit le mode alternatif de résolution des conflits se développe loin de l’État et alors la souveraineté de celui-ci est effectivement mise à mal606 ; soit il prospère en raison d’une initiative étatique ou, du moins, d’un soutien étatique et alors l’atteinte à la souveraineté doit être relativisée. Or, même si la culture juridique anglo-saxonne est davantage ouverte à la médiation quand, en France notamment, la « raide et droite justice » demeure privilégiée par les instances étatiques, de plus en plus ces dernières, notamment en raison de l’accroissement du nombre d’affaires à traiter et de l’insuffisance des moyens disponibles pour y répondre, incitent les personnes privées à recourir à des formes de justice douce et à ne saisir les tribunaux qu’en dernier recours607. L’État, après avoir consacré pendant des siècles ses efforts au triomphe (notamment symbolique) de sa justice publique contre les justices privées608, serait désormais contraint – car cela ne paraît pas être un choix libre mais plutôt la conséquence de l’« explosion des contentieux »609 et de l’« encombrement des prétoires »610 – d’encourager les voies extra-judiciaires de résolution des différends611.
33Comme le relèvent des auteurs, l’institution judiciaire est « gagnée par la culture du marché »612, par « la contractualisation et la marchandisation de la justice »613. Et ce phénomène, s’il est palpable en droit de la communication par internet614, l’est aussi par ailleurs615. L’État n’incarne désormais qu’imparfaitement la figure du tiers régulateur, en tant qu’instance ontologiquement préposée au maintien de l’ordre et de la cohésion sociale. Peut-être l’avenir de la justice sera-t-il dès lors empreint de corégulation. En ce sens, on plaide pour une « certification par l’État des services de médiation [afin de] protéger les valeurs de la République »616. Et diverses autorités publiques ont déjà pu encourager les modes alternatifs de résolution des conflits617.
34Néanmoins, pour l’heure, la justice douce relative aux litiges nés dans le cyberespace semble relever toujours de l’autorégulation plus que de la corégulation618. Ont constitué toutefois des exceptions remarquables à ce dernier constat les modes alternatifs de résolution des conflits, entièrement dématérialisés, qui avaient été institués dans le cadre du Forum des droits sur l’internet.
35IV. Quelques exemples de modes alternatifs de résolution des conflits. En 2008, la cour d’appel de Paris et le Forum des droits sur l’internet ont signé un protocole d’accord en vue du développement expérimental de la médiation en ligne619. Dès lors que le différend était « lié à l’usage de l’internet », mettait en jeu au moins une personne physique et revêtait un « caractère juridique » – ce qui octroyait une compétence très large620 –, les greffiers des tribunaux du ressort de la cour d’appel de Paris devaient orienter systématiquement les plaignants, « avant toute saisine du juge », vers la procédure de médiation devant le FDI et les inviter à ne s’en remettre à la justice d’État qu’en cas d’échec621. Il s’agissait là d’un remarquable renouvellement des façons de dire le droit auquel prenaient part les pouvoirs publics, en concédant d’importantes prérogatives à des « pouvoirs privés ». L’organe de médiation du Forum a permis de régler près de 13 000 différends622. 95 % des dossiers ont été résolus selon l’association, laquelle pouvait dès lors parler de « grand succès de l’opération »623. Mais ce qui se présentait comme le meilleur exemple de corégulation en matière de justice a disparu en même temps que le Forum des droits sur l’internet, malgré ses bons résultats624.
36Par ailleurs, le FDI avait mis en place dès 2004 un « service de résolution amiable » s’appuyant sur une plate-forme web dans l’optique d’« utiliser l’internet afin de résoudre les litiges nés de son usage »625. Le Forum se targuait d’un « taux de résolution moyen de 87,5 % » sur un total de 22 000 dossiers traités626. Et d’en conclure que, « à travers ce service, le Forum a pu démontrer que la médiation en ligne opérée par un médiateur indépendant est une méthode qui se révèle appropriée au règlement de certains problèmes rencontrés sur l’internet »627.
37Les modes alternatifs de résolution des conflits utilisés afin de mettre fin aux différends nés dans le monde de l’internet ou à cause de l’internet se caractérisent, presque autant que les contrats précédemment évoqués, par leur multiplicité, leur hétérogénéité et leur diversité628, certains étant propres aux activités et relations internetiques, d’autres présentant des dimensions plus larges, en particulier ceux qui proviennent du droit du commerce transnational et qui vont de pair avec la lex mercatoria629. Il n’est pas lieu, en ces lignes, de présenter toutes ces formes de justice parallèle à la justice publique630 – telles que le service de résolution des litiges (dit « d’intermédiation ») ou le « Médiateur du e-commerce » de la FEVAD631. À titre d’exemple et en raison à la fois de sa grande originalité et de son haut niveau de développement institutionnel, peut simplement être signalé le « Comité d’arbitrage » dont s’est doté Wikipedia632. La procédure de règlement des litiges « par voie amiable ou extrajudiciaire »633 interne à l’AFNIC est elle aussi un remarquable témoignage634. Et il existe bien d’autres « juridictions de degré zéro »635, suivant de tout autres modalités636.
38Il convient, à présent, de dire quelques mots des sanctions privées, celles-ci étant peut-être plus encore que les « décisions de justice » privées annonciatrices d’un profond revirement au sein de la culture juridique. Par exemple, la « Charte de nommage » de l’AFNIC autorise cette dernière à bloquer ou supprimer des noms de domaine et rend possible la transmission forcée en cas de « typosquatting » ; le processus judiciaire privé est ainsi peu ou prou complet, comprenant exequatur et sanction. La jurisprudence637 puis un décret638 sont venus valider les pouvoirs de sanction et d’exécution de l’AFNIC, confortant le caractère corégulationnel de son travail. Le basculement vers un « nouveau droit » que le droit de la communication par internet manifeste639 apparaît ainsi au grand jour640. Il coïncide avec un pluralisme juridique, mais aussi avec un « pluralisme judiciaire »641, l’un et l’autre étant symptomatiques du « remplacement progressif de la suprématie de l’autorité publique par celle de la négociation privée »642, mouvement qui s’accompagne nécessairement d’un renouvellement des sources du droit.
B. La fragilité des sanctions privées
39Les normes de sanction, dont la finalité est d’amender quiconque aurait violé une norme de comportement – et qui ne sont que lointainement en relation avec les modes alternatifs de résolution des conflits précédemment évoqués643 –, sont un autre type de normes individuelles. Pour que le droit d’origine privée applicable aux communications par internet ait un sens, pour qu’il mérite véritablement le titre de « droit », peut-être faut-il encore qu’existent des sanctions susceptibles d’être prononcées et exécutées à l’encontre de ceux qui ne le respecteraient pas. Les tribunaux étatiques peuvent sanctionner la violation d’un code de conduite privé ou d’une charte privée en tant que faute civile et donc apporter le soutien de la contrainte publique à la norme privée, mais la « justice privée » doit elle aussi être capable de sanctionner les comportements illicites qui lui sont soumis. Or les sanctions privées sont d’une tout autre espèce par rapport aux sanctions publiques644, de telle sorte qu’il y a en la matière et comme souvent renouvellement du droit en même temps que renouvellement de ses sources. Notamment, ces sanctions peuvent difficilement consister en une contrainte physique ou en une privation de droits ; elles sont souvent d’ordre moral et psychologique. Les sanctions privées peuvent potentiellement être tout à fait coercitives ainsi que dissuasives – ce qui est aussi le rôle d’une sanction –645 ; elles s’attachent cependant à des niveaux d’efficacité variables et, le plus souvent, elles s’avèrent très modestes, quand elles ne sont pas totalement indolores. Le renouvellement des sources du droit compris comme renouvellement des sources de la justice apparaît alors peu satisfaisant, la « justice privée » se présentant tel un pis-aller de justice.
40La communauté virtuelle a très tôt mis sur pied son propre règlement judiciaire, par exemple pour les cas où la Netiquette serait enfreinte646. Aujourd’hui, les sanctions privées susceptibles d’être appliquées en cas d’« infraction » immatérielle correspondent parfois à ce que Georges Gurvitch appelait la « réaction sociale à la violation de la règle, c’est-à-dire la garantie sociale de l’efficience réelle d’une règle, qui ne peut s’exprimer dans aucune mesure prédéterminée d’avance contre le délinquant »647. Le groupe auquel appartient celui qui a enfreint une norme de comportement régissant ce groupe se retrouve mis à l’écart, ostracisé, banni de fait, ce qui est une sanction648. Dans le même temps, les sanctions prononcées par les instances étatiques à l’encontre d’un acteur évoluant dans le cyberespace, trop souvent, demeurent lettre morte, notamment en raison de l’« impasse des échelles » temporelle et, surtout, spatiale. Il ne serait toutefois pas réaliste de juger que les sanctions privées seraient en mesure de rivaliser avec les sanctions étatiques, d’autant plus lorsqu’il s’agit de sanctions des internautes par les internautes. Symptomatiques de la tendance à l’« informalisme »649 qui marque le droit contemporain, les sanctions découlant du non-respect de règles produites dans un cadre d’autorégulation se bornent le plus souvent à n’être que psychologiques ; or, si, dans certains cas, la réprobation peut être très difficile à supporter, les internautes faisant un usage incorrect du réseau, a fortiori lorsqu’ils le font sciemment, ne sont en général que peu affectés par ce genre de sanctions qui deviennent par conséquent indolores650.
41Par conséquent, le problème de la sanction est peut-être le point noir du droit d’origine privée et, par suite, le point noir du renouvellement des sources du droit dès lors qu’il s’opère par une émancipation de ce droit d’origine privée. Les limites des sanctions privées fragiliseraient ce droit et justifieraient d’émettre des réserves à son endroit. Le droit d’origine privée fonctionne essentiellement grâce à la confiance et à l’adhésion volontaire, du fait de la légitimité reconnue à l’autorité émettrice de la règle, et ce n’est que marginalement que des comportements sont adoptés par crainte d’une sanction en cas de non-respect.
42Sur ce point, il convient de distinguer les utilisateurs professionnels et les utilisateurs non professionnels du réseau : les premiers sont beaucoup plus sensibles aux codes de conduite et autres chartes privés que les seconds, cela parce que leur réputation est leur bien le plus précieux651. C’est ici la publication de la sanction qui est la véritable sanction652. Les acteurs professionnels sont bien davantage que les particuliers tentés – souvent forcés – de s’inscrire parmi des systèmes normatifs volontaires, lesquels sont des gages de qualité et de sécurité aux yeux des usagers et consommateurs. Les sociétés commerciales, toujours désireuses de défendre leurs images de marque alors que la concurrence est exacerbée en ligne, n’ont guère le choix de se montrer ou non respectueuses des diverses normes déontologiques qui s’appliquent à elles, qu’elles soient formelles ou informelles653. De la sorte, les sanctions privées s’avèrent donc fort dissuasives.
43La réputation et son « pouvoir attractif »654 sont des facteurs importants de confiance, laquelle joue dans les relations internetiques, surtout lorsqu’elles sont commerciales, un rôle décisif, à tel point qu’elle revêt des atours de normativité, y compris en termes de sanction655. Dans un espace où les contractants se situent à des milliers de kilomètres les uns des autres, la confiance apparaît aussi délicate à obtenir qu’essentielle au développement de toute activité656. En tant que synonyme de sécurité, de crédibilité, de transparence et de notoriété, elle se montre irréparablement nécessaire à la stabilité et à la fidélité de la clientèle, contraignant les commerçants électroniques à adopter les pratiques les plus loyales. C’est pourquoi l’adhésion à un organisme de certification, et donc le respect des règles imposées en conséquence, s’avèrent souvent impératifs dès lors que la titularité du label s’apparente à une condition sine qua non de crédibilité et de réputation aux yeux des internautes. La confiance fait ainsi figure de catalyseur, mais aussi de véritable couperet, le retrait de la confiance étant une sanction radicale pouvant conduire jusqu’à la cessation de l’activité. La confiance semble ainsi jouer un rôle non anecdotique dans le renouvellement des sources du droit657.
44En revanche, concernant les particuliers, qui n’ont que rarement une notoriété ou réputation à défendre vis-à-vis du public, la publication de la sanction est de beaucoup moins de poids et il est plus difficile de trouver à leur égard des sanctions privées capables d’impacter leurs destinataires au point de revêtir un véritable effet coercitif et dissuasif. Conformément à ce que suggère le succès de la lex mercatoria en matière de droit du commerce transnational, il semble que le droit d’essence privée soit davantage adapté au monde économique qu’au monde des activités individuelles. Certes, de multiples groupements d’internautes et même l’ensemble des internautes quelques fois ont édifié un droit sanctionnateur plus dense que beaucoup ne l’imaginent (déconnexion, dénonciation, établissement de listes de proscrits, envoi de courriers électroniques d’avertissement, boycottage, radiation des annuaires ou registres d’inscription658 ou encore flamming659). Seulement, mis à part quelques services qui peuvent sembler indispensables aux relations sociales contemporaines, la plupart des services connaissent de multiples concurrents vers lesquels il est aisé de se reporter en cas d’exclusion. Par définition, de telles sanctions ne peuvent jouer véritablement leur rôle sanctionnateur qu’à l’encontre d’individus très impliqués au sein d’une communauté immatérielle, ce qui n’est pas le cas de la plupart des internautes. Il convient donc de ne pas exagérer l’importance et l’influence de ces formes de sanctions privées660.
45Peut-être certaines organisations, telles que l’ICANN ou, à une autre échelle, l’AFNIC, sont-elles tout à fait capables, spécialement car elles disposent de moyens techniques à ces fins et parce qu’elles jouent un rôle clé dans la « gouvernance de l’internet », de prononcer de véritables sanctions dont les destinataires subissent d’importants effets ; mais, globalement, beaucoup des normes privées en cause demeurent non assorties de normes de sanction ou bien seulement assorties de normes conduisant à des sanctions d’ordre symbolique ou moral peu éprouvantes pour leurs destinataires661. Le droit de la communication par internet est donc, pour une part non négligeable, un « droit mou », c’est-à-dire un « droit sans sanction »662. Et cette faiblesse des sanctions applicables en cas d’infraction aux normes d’origine privée, fragilisant le droit d’essence privée, fragilise le renouvellement des sources du droit dès lors que celui-ci s’abreuve aux sources privées davantage qu’aux sources publiques.
46Si les sanctions privées posent question sous l’angle de leur efficacité, elles posent également question sous l’angle de leur légitimité. Le remplacement de la justice publique par la justice privée et, plus généralement, celui du droit d’origine publique par le droit d’origine privée, dont le droit de la communication par internet témoigne, interrogent quant à leur bien fondé et quant au fait qu’il faille s’en réjouir ou au contraire s’en effrayer.
Notes de bas de page
499 Peut-être faut-il considérer que, lorsque plusieurs normes individuelles issues d’une source du droit donnée correspondent au même modèle de conduite, celles-ci ne comptent que pour une seule règle de droit, peu important que la multiplicité des destinataires individuels emporte une multiplicité des normes personnalisées. En somme, des normes individuelles ne pourraient être comptabilisées qu’en tant que, collectivement, elles consacrent une norme générale. Ainsi la domination quelque peu artificielle des sources de règles individuelles sur les sources de règles générales pourrait-elle être évitée.
500 En ce sens, il est remarquable que, selon le Professeur Olivier Beaud, lorsque l’État intervient au moyen de la loi, il agirait en tant que personne publique et, lorsqu’il intervient au moyen du contrat, il agirait en tant que « personne privée » (O. Beaud, La puissance de l’État, Puf, coll. Léviathan, 1994, p. 103).
501 Même si la distinction des actes normatifs porteurs de règles générales et des actes normatifs porteurs de règles individuelles pourrait sembler quelque peu artificielle dès lors que, suivant les termes du Code civil, un contrat ne serait pas autre chose qu’une « loi ».
502 H. W. Arthurs, « Special Courts, Special Law – Legal Pluralism in 19th Century », in G. R. Rubin, D. Sugarman (dir.), Law Economy and Society – 1750-1914: Essays in the History of English Law, Professionnal Books (Abingdon-on-Thames), 1984, p. 380 s.
503 Réf. à R. Mathews (dir.), Informal Justice?, Sage Publications (Londres), 1988.
504 On va jusqu’à considérer que, concernant le droit globalement compris, « le partage des juridictions étatiques et non étatiques pourrait avoir été la véritable constante historique » (J.‑G. Belley, « L’État et la régulation juridique des sociétés globales – Pour une problématique du pluralisme juridique », Sociologie et sociétés 1986, n° 18, p. 30).
505 Il est classique d’opposer, avec Jean Rivero, le droit privé ou « droit du libre consentement » et le droit public ou « droit de la contrainte » (J. Rivero, « Vers la fin du droit de la fonction publique ? », D. 1947, p. 69). Le contrat semble davantage présent en droit privé qu’en droit public, quoiqu’il soit de plus en plus présent en droit public en tant que mode privilégié, bien que non naturel, d’action publique (en ce sens, Conseil d’État, Le contrat, mode d’action publique et de production de normes, La documentation française, coll. Études et documents du Conseil d’État, 2008).
506 En ce sens, L. Josserand, « L’essor moderne du concept contractuel », in Mélanges François Gény, t. II, Sirey, 1934, p. 333 s. ; G. Rouhette, Contribution à l’analyse critique de la notion de contrat, th., Université de Paris, 1965.
507 Il semble préférable de définir le contrat tel un acte juridique porteur de normes que telle une norme en soi. Il ne serait donc pas en soi un devoir-être mais le document (comme une loi ou une décision de justice) dans lequel le devoir-être s’inscrit, généralement avec d’autres devoir-être.
508 Cf. J.‑G. Belley (dir.), Le contrat entre droit, économie et société, Éditions Yvon Blais (Cowansville), 1998.
509 P. Deumier, Introduction générale au droit, op. cit., p. 335.
510 Par exemple, P. Ancel, « Contractualisation et théorie générale du contrat : quelques remarques méthodologiques », in S. Chassagnard, D. Hiez (dir.), Approche renouvelée de la contractualisation, PUAM (Aix-en-Provence), 2007, p. 15 s.
511 Th. Verbiest, É. Wéry, op. cit., p. 541.
512 Ph. Jestaz, Les sources du droit, op. cit., p. 87.
513 L. Charbonnel, op. cit., p. 10. En ce sens, Carré de Malberg expliquait que « l’ordre juridique se trouve complètement formé, quant à l’État ou à ses membres individuels et quant au juge, par cela seul que la loi a posé [ses] règles ; à cet ordre juridique les conventions privées […] n’ajoutent rien de nouveau : elles lui donnent seulement l’occasion de recevoir application exécutive et juridictionnelle. Pour expliquer que les autorités exécutives, telles que le juge, interviennent à l’effet d’assurer cette application, il n’est nullement besoin de supposer que, par leurs accords, les particuliers créent du droit à l’égard de l’État ou entre eux-mêmes ; l’État intervient, à la suite d’un contrat, pour faire respecter le droit qu’il a fondé lui seul, à savoir la règle qui veut que les contrats soient observés » (R. Carré de Malberg, op. cit., p. 90). Et de renchérir : « Les contrats privés ne sont pas une source créatrice de droit, car, si le contrat crée la règle contractuelle, ce n’est pas lui qui crée le droit ou l’ordre juridique en vertu duquel cette règle possédera force juridique ou coercitive. À la suite des contrats, il ne se produit, en réalité, aucun progrès, aucune innovation ou addition, dans l’ordre juridique antérieur. Encore que les contrats fassent naître entre leurs auteurs des rapports juridiques qui n’existaient pas auparavant, et que les parties soient maîtresses de régler à leur gré ces rapports en raison de la liberté des conventions, ce serait jouer sur les mots que de qualifier leur activité contractuelle de création du droit » (ibid., p. 93-94).
514 Par exemple, Y. Cartuyvels, H. Dumont, Ph. Gérard, I. Hachez, F. Ost, M. van de Kerchove (dir.), Les sources du droit revisitées – Volume 2 : Normes internes infraconstitutionnelles, Publications de l’Université Saint-Louis-Anthémis (Bruxelles), 2013 ; R. Encinas de Munagorri, « Le contrat individuel parmi les sources du droit : le cas de l’indemnisation des chômeurs », RTD civ. 2004, p. 594 s. Étant entendu que doivent être distingués les contrats publics et les contrats privés et que, en ces lignes, seuls ces derniers sont concernés.
515 Cf. Ch. Jamin, D. Mazeaud (dir.), La nouvelle crise du contrat, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2003.
516 En ce sens, H. Batiffol, « La crise du contrat et sa portée », Arch. phil. droit 1968, p. 13 s.
517 Le contenu de cette notion n’est, selon un auteur, qu’une « question de convictions et d’opinions » (L. Charbonnel, op. cit., p. 4). On va jusqu’à considérer que la théorie du contrat serait aussi confuse et incertaine que la théorie du droit (P. Deumier, Introduction générale au droit, op. cit., p. 25), si bien qu’il serait justifié de parler de « contrats » au pluriel (réf. à Arch. phil. droit 1968, « Sur les notions du contrat »). Également, J. Ghestin, « La notion de contrat », D. 1990, p. 147 s. ; J. Ghestin, « La notion de contrat au regard de la diversité de ses éléments variables », in Association Henri Capitant, La relativité du contrat, LGDJ, 2000, p. 223 s. ; F. Collart Dutilleul, « Quelle place pour le contrat dans l’ordonnancement juridique ? », in Ch. Jamin, D. Mazeaud (dir.), loc. cit., p. 225 s. ; G. Marty, « De la place des conventions dans l’ordonnancement juridique », Recueil de l’académie de législation de Toulouse 1951, p. 75 s. ; R. Levacher, La règle contractuelle dans l’ordre juridique – Contribution à l’analyse normative du contrat, th., Université de Nantes, 2007.
518 M. Hauriou, Principes de droit public, op. cit., p. 206.
519 V° « Convention », in G. Cornu (dir.), op. cit. Et l’article 1101 du Code civil de disposer que « le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ».
520 P. Ancel, « Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat », RTD civ. 1999, p. 771.
521 D’ailleurs, l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » s’applique de manière plus évidente au contrat qu’à la loi au sens strict (« Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » (C. civ., art. 1103 ; cet article est qualifié de « très généreux » (P. Deumier, « La réception du droit souple par l’ordre juridique », op. cit., p. 123))). Sur ce point, cf. L. Aynes, « Le contrat, loi des parties », Cah. Cons. const. 2004, n° 17, p. 120 s. ; J.‑P. Chazal, « De la signification du mot loi dans l’article 1134 alinéa premier du Code civil », RTD civ. 2001, p. 265 s.
522 J. Hauser, Objectivisme et subjectivisme dans l’acte juridique – Contribution à la théorie générale de l’acte juridique, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, 1971 ; J. Dabin, op. cit., p. 92.
523 Aujourd’hui encore, certains remarquent que « le contrat n’est guère envisagé par les juristes comme une source de droit » (R. Encinas de Munagorri, « Le contrat individuel parmi les sources du droit », op. cit., p. 594) ; mais les observations divergent et l’incompréhension est grande puisque d’autres notent que « nul n’a jamais pu douter qu’il y ait dans les documents juridiques munis d’une portée individuelle du droit » (D. de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, Odile Jacob, 1997, p. 33) ; tandis que d’autres voient dans les conventions individuelles non des sources du droit mais des « sources de droits » (J.‑L. Bergel, Théorie générale du droit, op. cit., p. 59). Et des auteurs attachés à l’équivalence « droit = État » de considérer que le contrat ne saurait appartenir au droit puisqu’« il n’est pas raisonnable de penser que l’État a accordé un blanc-seing général à tous les citoyens pour s’exprimer en son nom » (P. Mayer, La distinction entre règles et décisions et le droit international privé, Dalloz, 1973, p. 12 (cité par L. Charbonnel, op. cit., p. 29)) ; ou de déduire du fait que « le contrat se situe dans un ordre différent de l’ordre étatique » le fait qu’il « n’est pas un élément de l’ordre juridique » (L. Charbonnel, op. cit., p. 76).
524 R. Carré de Malberg, op. cit., p. 86 et 89 (« les actes et les tractations de nature privée des particuliers demeurent incapables de toute création proprement dite de droit ; […] un contrat, pas plus qu’un délit, n’est une source d’ordre juridique : le contrat, de même que le délit, constitue seulement un fait ; […] les effets de droit attachés à ce fait, et pareillement la valeur obligatoire de son contenu, sont une création de la loi, car ils ont pour fondement juridique la règle législative qui impose aux contractants le devoir de se conformer, d’une façon adéquate, à leurs stipulations, tout comme l’auteur d’un délit est obligé par l’effet de la règle de droit législative qui exige que les dommages provenant d’un fait délictuel soient réparés par celui dont le fait les a causés »). Est notable que, en revanche, l’illustre professeur strasbourgeois ne se basait pas sur la condition de généralité des normes pour dénier la juridicité aux règles provenant de contrats. Cette attitude est cohérente puisque, ailleurs, il condamnait le recours à pareil critère (cf. R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État spécialement d’après les données fournies par le droit constitutionnel français, t. I, Librairie du Recueil Sirey, 1920, p. 300 s.).
525 Par exemple, J. Dabin, op. cit., p. 92 ; L. Izac, L’autorité du contrat – Essai sur l’ordre juridique subjectif, th., Université de Toulouse I - Capitole, 2006.
526 Par exemple, R. Carré de Malberg, Confrontation de la théorie de la formation du droit par degrés, op. cit., p. 91 (« l’idée de création du droit par les particuliers se heurte à un obstacle qui provient de ce que ceux-ci sont impuissants aussi bien à procurer par leurs propres moyens l’exécution forcée de leurs actes ou conventions qu’à leur donner force exécutoire. […] Les règles engendrées entre eux par leurs stipulations contractuelles, comme celles nées de leurs actes individuels, ne sauraient donc être qualifiées règles de droit, comme celles créées par une loi de l’État : il leur manque pour cela d’être exécutoires par la propre puissance de leurs auteurs. […] En vain dirait-on que les stipulations contractuelles trouvent d’emblée et même possèdent par avance leur sanction coercitive dans la sanction générale attachée à la prescription de la loi qui a posé en principe que les conventions doivent être exécutées : ne sont-elles pas ainsi pourvues, elles aussi et dès leur naissance, d’une sanction ? Il faut répondre que ce qui est sanctionné en elles, ce ne sont pas les clauses conclues entre les contractants, c’est la règle législative imposant le respect de ces clauses. On ne peut donc pas dire que la lex contractus et la force exécutoire de cette lex procèdent de la même puissance ; tandis que ces clauses sont l’œuvre privée des contractants, la coercition susceptible d’intervenir pour en assurer l’exécution est le fait de la puissance publique qui n’appartient qu’à l’État »).
527 Selon Michel van de Kerchove, c’est même « traditionnellement, comme on le sait, [que] la plupart des auteurs refusaient de voir dans les conventions privées des normes juridiques » (M. van de Kerchove, « Les rapports entre systèmes juridiques », op. cit., p. 40). Par exemple, R. Cabrillac, Introduction générale au droit, 7e éd., Dalloz, coll. Cours, 2007, p. 93 ; P. Courbe, Introduction générale au droit, 11e éd., Dalloz, coll. Mémentos, 2009, p. 42 ; P. Malinvaud, Introduction à l’étude du droit, 12e éd., Litec, coll. Manuels, 2008, p. 49 ; J.‑L. Sourioux, Introduction au droit, 2e éd., Puf, coll. Droit fondamental, 1989, p. 121 ; Arch. phil. droit 1982, « Sources du droit ». Font exception les ouvrages suivants : Y. Cartuyvels, H. Dumont, Ph. Gérard, I. Hachez, F. Ost, M. van de Kerchove (dir.), Les sources du droit revisitées – Volume 2 : Normes internes infraconstitutionnelles, op. cit. ; Ph. Jestaz, Les sources du droit, op. cit., p. 81 s.
528 En ce sens, par exemple, D. de Béchillon, op. cit., p. 33-34 (qui note que « la théorie autrichienne de la “formation du droit par degrés” à partir des années trente a apporté pour la première fois l’équipement conceptuel au travers duquel il est possible de se représenter la règle de Droit dans toute son étendue. Les juristes viennois rendaient enfin compte de la réalité – manifeste – des normes individuelles et de leur commune nature avec les “autres” règles de Droit. […] Aucune différence de nature n’oppose la norme générale et la norme individuelle en regard de leur aptitude à prescrire ; il n’existe entre elles qu’une différence de degré. Dans le cas de la norme particulière, le “devoir-être” est simplement concrétisé, individualisé, mais c’est toujours le même genre d’impératif que l’on émet » (non souligné dans le texte original)). Également, J. Carbonnier, Sociologie juridique, op. cit., p. 362 (« que la majorité des contractants, dans un lieu, recoure à un type contractuel inusité ailleurs, un droit différent se dessine ») ; Conseil d’État, Le contrat, mode d’action publique et de production de normes, La documentation française, coll. Études et documents du Conseil d’État, 2008. Spéc., H. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p. 346 s ; H. Kelsen, « La théorie juridique de la convention », Arch. phil. droit 1940, p. 33 s.
529 F. Terré, A. Weill, Droit civil – Les obligations, 4e éd., Dalloz, coll. Précis, 1979, p. 25 (cité par L. Charbonnel, op. cit., p. 79). Il faut rappeler que beaucoup des contrats-types précédemment évoqués, pour des raisons diverses allant de l’économique au social, doivent dans les faits être obligatoirement conclus par des personnes qui n’en ont établi aucune des stipulations, lesquelles s’apparentent alors à des dispositions. Les contrats-types ou contrats d’adhésion, qui doivent être distingués des contrats élaborés à l’aide d’un clausier dans lequel sont choisies les stipulations pertinentes (W. Dross, Clausier – Dictionnaire des clauses ordinaires et extraordinaires des contrats de droit privé interne, 2e éd., Litec, 2011) et dont les termes standardisés, qu’il est seulement possible d’accepter ou de ne pas accepter sans les négocier, peuvent s’appliquer potentiellement à un nombre indéfini d’individus, sont peut-être davantage des règlements privés, donc des ensembles de normes générales, que des contrats privés véritables, soit des ensembles de normes individuelles. Cf., en particulier, G. Chantepie, « De la nature contractuelle des contrats-types », op. cit., p. 1233 s. Le phénomène est de plus en plus omniprésent, ce qui s’explique aisément : « Lorsque l’activité juridique est quotidienne, s’interroger à chaque nouveau contrat pour, clause après clause, trouver la formulation la plus adéquate est une perte de temps et une prise de risque renouvelée. La standardisation des opérations contractuelles est donc un élément incontournable de la vie juridique, en décalage immense avec l’intérêt qu’elle suscite. Elle va pousser chaque entreprise à élaborer des stipulations contractuelles types » (P. Deumier, Introduction générale au droit, op. cit., p. 335). Il est vrai que le principe de la liberté contractuelle ne saurait être atteint et que le contrat-type n’engage que celui qui y consent à l’inverse d’un règlement qui possède un caractère unilatéral et produit des effets juridiques sans qu’il soit nécessaire d’obtenir quelque accord de son destinataire (G. Berlioz, Le contrat d’adhésion, LGDJ, 1973) ; mais c’est aussi peut-être à raison qu’on observe qu’« il est difficile de discerner l’accord de volonté derrière les contrats d’adhésion » (P. Deumier, Introduction générale au droit, op. cit., p. 25) et que ces derniers témoignent de l’accroissement de l’unilatéralité dans le contrat qui n’a alors peut-être plus de contrat que le nom (P. Ancel, « L’accroissement de la place de l’unilatéralité dans le contrat », in S. Chassagnard, D. Hiez (dir.), La contractualisation de la production normative, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2008, p. 307 s.). D’aucuns voient ainsi dans les contrats-types des « conventions-lois » (Th. Verbiest, É. Wéry, op. cit., p. 541) ou des « législations prêtes à l’emploi » (P. Deumier, « La réception du droit souple par l’ordre juridique », op. cit., p. 123). Aussi peut-on noter que beaucoup de contrats sont destinés à s’appliquer à un nombre de personnes bien plus étendu que nombre de lois (J. Ghestin, « Les données positives du droit », RTD civ. 2002, p. 11). Et un auteur prend soin de préciser qu’il s’intéresse uniquement aux « contrats individuels » (R. Encinas de Munagorri, « Le contrat individuel parmi les sources du droit », op. cit., p. 594 s.) par opposition aux « contrats généraux » – mais il faut ici faire de la portée individuelle un élément décisif de définition du contrat. Ne sont donc, au sein de ces pages, concernés que les seuls contrats à portée réellement individuelle, que des personnes physiques et/ou morales discutent puis signent, faisant ainsi naître des droits et devoirs qui ne concernent que leurs relations subjectives.
530 M.‑A. Frison-Roche, « La redécouverte des “piliers du droit” : le contrat et la responsabilité », in J. Clam, G. Martin (dir.), op. cit., p. 279 s.
531 L. Cohen-Tanugi, Le droit sans l’État, op. cit., p. 21. L’auteur parle d’une « société multipolaire, où le pouvoir est segmenté et dont le lien est par essence le contrat » (ibid., p. 27).
532 B. Frydman, Les transformations du droit moderne, Fondation Roi Baudoin (Bruxelles), coll. Citoyen, droit et société, 1998, p. 82.
533 Cf. F. Terré, « Le contrat à la fin du XXe siècle », Revue des sciences morales et politiques 1995, n° 3, p. 209 s.
534 Des auteurs de doctrine et des personnalités politiques évoquent le « déclin » (J.‑P. Chazal, « Georges Ripert et le déclin du contrat », RDC 2004, p. 244 s.) ou le « malaise » du contrat (M. Rocard, « Le malaise français en matière de contractualisation », in S. Chassagnard-Pinet, D. Hiez, dir. Approche critique de la contractualisation, LGDJ, coll. Droit et société, 2007, p. 179 s.) ; mais cela ne peut que viser son approche théorique car, en pratique, il ne semble que possible de parler de « succès du contrat ».
535 H. Lalou, « 1382 contre 1165, ou la responsabilité délictuelle des tiers à l’égard d’un contractant ou d’un contractant à l’égard d’un tiers », D. 1928, p. 69 (cité par L. Charbonnel, op. cit., p. 1).
536 « Le droit, enseigne-t-on, étant devenu par essence un droit “privé”, c’est le contrat qui mène le jeu » (A.‑J. Arnaud, Critique de la raison juridique, op. cit., p. 158). Certes, Max Weber soulignait combien, avant que l’État ne prenne le relai, le contrat était l’outil de base au moyen duquel travaillaient les juristes (M. Weber, Sociologie du droit, trad. J. Grosclaude, Puf, 1986, p. 50 (cité par R. Sève, Philosophie et théorie du droit, Dalloz, coll. Cours, 2007, p. 138)). « Le contrat, écrivait Weber, était très répandu même aux époques les plus reculées de l’histoire du droit dans des domaines où aujourd’hui l’importance des libres accords a disparu ou diminué ». Seulement, à l’ère de la modernité juridique, les instruments unilatéraux et généraux que l’État pouvait mettre en œuvre grâce à sa puissance avaient largement débordé le contrat, dans les faits et, surtout, dans les écrits des commentateurs et analystes. Ce dernier constat ne saurait étonner tant il paraît légitime de préférer étudier les normes applicables à une infinité de citoyens plutôt que les normes ne régissant les activités que de quelques-uns et étant indifférentes à tous les autres.
537 En particulier, S. Chassagnard, D. Hiez (dir.), La contractualisation de la production normative, op. cit. ; S. Chassagnard-Pinet, D. Hiez, dir. Approche critique de la contractualisation, op. cit. ; S. Chassagnard, D. Hiez (dir.), Approche renouvelée de la contractualisation, op. cit.
538 C. Pérès, op. cit., p. 109 ; également, P. Deumier, « La réception du droit souple par l’ordre juridique », op. cit., p. 123 (qui relève que « le contrat est à même de doter le droit souple d’une validité importante, peut-être la plus utile […]. L’ordre juridique reçoit le contrat, le contrat reçoit le droit souple »).
539 Réf. à J. Chevallier, L’État post-moderne, op. cit.
540 Proudhon et les théoriciens de l’anarchisme soutenaient la supériorité des normes contractuelles sur les normes étatiques (P.‑J. Proudhon, Du principe fédératif et de la nécessité de reconstituer le parti de la révolution, Paris, 1863 ; A.‑S. Chambost, op. cit.) ; mais peut-être des normes contractuelles étatiques sont-elles de judicieuses normes, du moins en certaines circonstances, car le contrat porterait intrinsèquement quelques avantages inaccessibles à la loi unilatérale et imposée.
541 F. Ost, M. van de Kerchove, De la pyramide au réseau ?, op. cit., p. 118.
542 Th. Verbiest, É. Wéry, op. cit., p. 541. Déjà en 1976 était interrogée la « fin des règles générales » (A. Holleaux, « La fin des règles générales », Bulletin de l’IIAP 1976, p. 419 s.) et, quelques années plus tard, était observé le « règne généralisé du contrat privé, dans la grande vacance étatique » (L. Cohen-Tanugi, Le droit sans l’État, op. cit., p. 13).
543 Cf., en particulier, V. Gautrais, Le contrat électronique international, Bruylant (Bruxelles), 2002.
544 Th. Verbiest, É. Wéry, op. cit., p. 541 ; également, D. Martel, « Les contrats internationaux sur le web », RLDI 2012, n° 81.
545 Th. S. Renoux (cité par E. Kerviche, « Débats et discussions », in M. Fatin-Rouge Stefanini, L. Gay, J. Pini (dir.), Autour de la qualité des normes, Bruylant (Bruxelles), coll. À la croisée des droits, 2010, p. 299).
546 Th. Verbiest, É. Wéry, op. cit., p. 541.
547 Ibid., p. 542.
548 Ibid., p. 541.
549 Cf. M. Mekki, « L’efficacité attendue du contrat », RDC 2010, p. 349 s.
550 Ph. Jestaz, Les sources du droit, op. cit., p. 89.
551 Ils correspondent à la « pluralité des espaces normatifs » (M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit – t. I : Le relatif et l’universel, Le Seuil, coll. La couleur des idées, 2004, p. 64) qu’il est inenvisageable de ramener à une unité autre que très sommaire, soit celle d’une définition générale.
552 Ne serait-ce que concernant le droit du commerce électronique, il faudrait aborder successivement les spécificités des contrats relatifs aux formalités d’ouverture d’un service dans certains pays, à l’abonnement auprès d’un fournisseur d’accès, aux relations entre un fournisseur d’accès et un opérateur de réseaux de communications électroniques, à l’enregistrement d’un nom de domaine, à la création d’un site web, à l’hébergement, à la maintenance, à la création d’un logiciel, aux relations entre un vendeur et un service de paiement par internet, aux relations avec une banque, à la publicité, à l’échange de lien, à la certification, etc. La liste est potentiellement infinie. Sur ce point, spéc., G. Ripert, « L’ordre économique et la liberté contractuelle », in Mélanges François Gény, t. II, op. cit., p. 351 s.
553 Un contrat donné peut être indépendant de l’État ou non et s’inscrire dans le cadre de la corégulation ou bien dans celui de l’autorégulation. Cette question se pose lorsqu’une norme portée par un contrat précis est appliquée par un tribunal et ainsi « validée » par une autorité publique. Elle se pose également en raison de l’article 1103 du Code civil français, selon lequel « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». Potentiellement, une telle disposition légale est en mesure de « valider » a priori et sans autre forme de procès toute norme conventionnelle – à condition qu’elle soit légalement formée, c’est-à-dire qu’elle ne contrevienne pas, en raison de son objet particulier, à quelque autre texte de loi, spécialement en termes d’atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ainsi qu’en dispose l’article 6 du Code civil. L’article 1103 serait de la sorte un « collier qui ramène le droit à l’unité » (M. Germain, « Pluralisme et droit économique », Arch. phil. droit 2005, p. 235). Même si la reconnaissance étatique peut intervenir a priori comme a posteriori, il faut gager que l’article 1103 du Code civil ne suffit pas, à lui seul, à intégrer les normes contractuelles dans le champ des normes privées acceptées étatiquement ou, en tout cas, dans le champ des normes privées qui contribuent à la corégulation plutôt qu’à l’autorégulation. Cette disposition apparaît par trop inclusive pour cela. En un mot, ne pourraient pas développer la corégulation, donc l’association de la puissance publique à la puissance privée, les règles habilitatrices trop générales. Il n’y aurait « validation » publique que lorsque les institutions étatiques décident sciemment de conférer, d’une manière ou d’une autre, à des personnes privées le soin de créer le droit à elles applicable (en tout ou partie) dans un domaine précis (par exemple concernant le droit de la publicité électronique) et dans des conditions précises. « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » ne peut s’analyser comme une disposition poursuivant pareille fin. La différence par rapport aux décisions de justice est évidente : celles-ci ne « valident » toujours qu’un seul acte normatif d’origine privée à la fois, si ce n’est qu’une seule norme d’origine privée à la fois ; les tribunaux opèrent une « validation » au cas par cas quand le législateur, avec un tel article de loi, opère une « validation » générale indifférente tant au contenu du contrat (si ce n’est qu’il doit être « légal ») qu’au milieu socio-économique dans lequel il intervient et aux objectifs politiques ou régulationnels auxquels il s’attache. Cependant, l’article 1103 du Code civil assure bel-et-bien une validation sous l’angle normativiste, permettant à l’ordre juridique contractuel d’être une partie de l’ordre juridique général (cf., pour d’autres considérations, G. Wicker, « La sanction délictuelle du manquement contractuel ou l’intégration de l’ordre contractuel à l’ordre juridique général », RDC 2007, p. 593 s.). Mais, d’un point de vue pragmatique, ledit article, en tant que « citadelle de l’autonomie de la volonté » (J. Carbonnier, Droit civil – Introduction, 27e éd., Puf, coll. Thémis droit privé, 2002, p. 326), ne saurait être considéré tel un outil mis en œuvre par les autorités publiques afin de maîtriser ou dominer de quelque façon que ce soit la production privée du droit, y compris dans le cas précis du droit de la communication par internet. Certes, les personnes privées, lorsqu’elles contractent entre elles, savent que l’État soutient leur capacité de prendre contractuellement des engagements à l’égard d’autrui ou de bénéficier de créances ; elles ne sont cependant, à cet instant, aucunement habitées par le sentiment de participer d’une forme de corégulation, soit d’une forme de création du droit à laquelle contribuent, de manières différentes, tant les individus privés que l’État au moyen de l’un ou l’autre de ses organes.
554 P. Deumier, Th. Revet, « Ordre public », in D. Alland, S. Rials (dir.), op. cit., p. 1120.
555 B. Fauvarque-Cosson, « Le renouvellement des sources du droit des contrats : le rôle des acteurs privés », in M. Behar-Touchais, N. Martial-Braz, J.‑F. Riffard (dir.), op. cit., p. 261.
556 Se pose également le problème de leur juridicité : « À côté du monde du droit et des juristes, décrit un anthropologue du droit, on peut identifier un autre monde : celui des juristiciens, médiateurs, arbitres, conseillers juridiques, négociateurs, auditeurs et membres de cabinets de ressources humaines et bien d’autres acteurs qui se situent dans les marges de la vie juridique. Ils n’y sont pas étrangers, mais ils n’en sont pas dépendants. Ils sont dans “l’entre deux” de la juridicité » (É. Le Roy (cité par É. Millard, E. Rude-Antoine, C. Younés, « Norme, normativité, juridicité », in G. Chrétien-Vernicos, E. Rude-Antoine (dir.), Anthropologies et droits – État des savoirs et orientations contemporaines, Dalloz, 2009)). S’il faut ici accepter que les normes individuelles élaborées au moyen des modes alternatifs de résolution des conflits soient juridiques et ne pas poser la question de leur plus ou moins grand niveau de juridicité, elles semblent néanmoins plus proches de la lisière que du centre de la juridicité (en ce sens, par exemple, J. S. Auerbach, Justice Without Law?, Oxford Univiversity Press (New York), 1983). En effet, les termes des transactions qui correspondent à la justice douce ici en cause sont définis au moyen d’un « marchandage » prenant essentiellement en compte les conséquences pécuniaires de l’accord pour les parties, plutôt que les règles de droit abstraites normalement applicables. Les modalités d’une sentence optimale peuvent d’ailleurs être calculées en recourant à certaines formes de jeux, développés par les économistes dans le cadre de la théorie des jeux, loin du travail habituel des juristes des temps modernes du droit (B. Frydman, Les transformations du droit moderne, op. cit., p. 56). Et un spécialiste de la médiation de considérer que son objet d’étude ne serait aucunement juridique, expliquant, notamment, que son développement irait de pair avec « la remise en cause du dogme, particulièrement vivace dans la société occidentale, selon lequel le droit est, sinon le seul, du moins le meilleur moyen de résoudre les conflits sociaux » (Ch. Jarrosson, « Médiation », in D. Alland, S. Rials (dir.), op. cit., p. 1011) ; tandis qu’un juriste peut noter que le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges serait la conséquence d’une « défiance à l’égard du droit » (D. de Béchillon, op. cit., p. 132).
557 Réf. à Ch. B. Harrington, Shadow Justice, op. cit.
558 Cf., notamment, Th. Schultz, Réguler le commerce électronique par la résolution des litiges en ligne, Bruylant (Bruxelles), 2005.
559 De ce fait, elles mettent en cause la souveraineté de l’État, le « droit à la justice » étant potentiellement l’une des méta-prérogatives correspondant au « droit au droit ».
560 D. Mazeaud, « Les grandes mutations du droit des obligations », conférence à l’École doctorale de sciences juridiques de Grenoble, 17 juin 2012. La justice n’a peut-être jamais été pleinement étatisée, comme en témoignerait le maintien, pour les conflits du commerce ou du travail, de juridictions privées, professionnelles ou non, synonymes d’autorégulation (A. Vauchez, L. Willemez, « Justices en réforme – Présentation », Dr. et société 2006, p. 365).
561 Cf. M. Delmas-Marty, « Les nouveaux lieux et les nouvelles formes de régulation des conflits », in J. Clam, G. Martin (dir.), op. cit., p. 209 s. Est concerné en premier lieu le droit du commerce transnational, avec sa lex mercatoria (cf. G. de la Pradelle, « La justice privée », in H. Gherari, S. Szurek (dir.), L’émergence de la société civile internationale : vers la privatisation du droit international ?, Pedone, 2003, p. 125 s. ; D. Alland, Justice privée et ordre international, Pedone, 1994), l’arbitrage étant devenu le « procédé normal de règlement des différends commerciaux internationaux » (J. Chevallier, L’État post-moderne, op. cit., p. 125).
562 La « justice alternative ou informelle dont sociologues et anthropologues jettent des exemples multiples sous nos yeux » (A.‑J. Arnaud, « Du jeu fini au jeu ouvert – Réflexions additionnelles sur le Droit post-moderne », Dr. et société 1991, p. 48) se rencontre ordinairement parmi les cultures juridiques « exotiques », non parmi la culture juridique occidentale moderne où le service public de la justice paraît dominer véritablement la matière. Cela même si le développement des procédés parallèles de solution des conflits est à l’ordre du jour, ainsi qu’en témoigne la directive européenne de 2008 sur les modes alternatifs de règlement des différends (PE et Cons. CE, dir. n° 2008/52/CE, 21 mai 2008, Sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale) et ainsi qu’en attestent différents commentateurs (par exemple, Y. Benhamou, « Vers une inexorable privatisation de la justice ? Contribution à une étude critique de l’une des missions régaliennes de l’État », D. 2003, p. 2771 s. ; J. Vanderlinden, « À propos de la vocation de notre temps à la révision de la théorie des sources de droit et des instruments de justice », in N. Kasirer, P. Noreau (dir.), Sources du droit et instruments de justice en droit privé, Thémis (Montréal), 2002 ; N. Dion, « Les forces de la médiation, variations libres », in C. Thibierge (dir.), op. cit., p. 707 s. ; L. Depambour-Tarride, « Juge (longue durée) », in D. Alland, S. Rials (dir.), op. cit., p. 869 ; Dr. et société 1995, n° 29, « La médiation » ; J. Faget, « La double vie de la médiation », Dr. et société 1995, p. 25 s.). Cf., également, J.‑P. Bonafé-Schmitt, « La part et le rôle joués par les modes informels de règlement des litiges dans le développement d’un pluralisme judiciaire – Étude comparative France-USA », Dr. et société 1987, p. 263 s.
563 M. Audit (membre de la Commission d’arbitrage de la chambre de commerce internationale), « L’arbitrage privé peut-il régler les contentieux de l’État », Le bien commun, 20 juin 2013.
564 P. Trudel, « Introduction au droit du commerce électronique sur Internet », Cahiers du barreau de Montréal 1995, n° 3, p. 521.
565 En ce sens, É. A. Caprioli, « Arbitrage international et commerce électronique », RLDI 2012, n° 81.
566 A.‑J. Arnaud, Critique de la raison juridique, op. cit., p. 315.
567 P. Trudel, « Introduction au droit du commerce électronique sur Internet », op. cit., p. 521.
568 Pourtant, la loi limite drastiquement le recours à ces modes alternatifs de résolution des conflits, notamment dès lors que l’une des parties au contentieux est une personne de droit public. L’article 2060 du Code civil dispose en effet qu’« on ne peut compromettre sur les questions d’état et de capacité des personnes, sur celles relatives au divorce et à la séparation de corps ou sur les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et plus généralement dans toutes les matières qui intéressent l’ordre public ». Cf. A. Garapon, « L’arbitrage privé peut-il régler les contentieux de l’État ? », Le bien commun, France culture, 20 juin 2013 ; L. Richer, « Les modes alternatifs de règlement des litiges et le droit administratif », AJDA 1997, p. 3 s. ; N. Kasirer, P. Noreau (dir.), op. cit. Cf., par ailleurs, Th. Massart, « La médiation au service d’Internet », LPA 26 août 2002, p. 31 s.
569 M. Delmas-Marty, « Les nouveaux lieux et les nouvelles formes de régulation des conflits », op. cit., p. 209 ; J.‑P. Bonafé-Schmitt, La médiation : une justice douce, Syros-Alternatives, 1992.
570 Néanmoins, ne doivent pas être assimilées l’une à l’autre la médiation judiciaire, que le législateur organise autour ou à l’orée de la procédure judiciaire afin de chercher à l’éviter ou, du moins, à la limiter, et la médiation conventionnelle, qui est mise en œuvre à l’initiative des parties une fois le litige né ou à l’occasion d’une stipulation contractuelle (clause de règlement des différends) visant tout litige à venir et organisant une médiation obligatoire avant toute saisine du juge ; étant entendu que, si les pouvoirs publics sont toujours, par définition, à l’origine de la première, ils peuvent parfaitement encourager également la seconde. Depuis 1995, le tribunal peut, avec l’accord des parties, suspendre le procès et renvoyer les protagonistes devant un médiateur qu’il désigne et qui mène sa médiation confidentiellement, c’est-à-dire sans que le juge soit tenu au courant des prises de position de chacun. À l’issue du processus de médiation, le procès, en cas d’échec, reprend son cours et, en cas de succès, se termine généralement par l’homologation judiciaire de l’accord.
571 Par exemple, P. Corniou, Introduction générale au droit, 9e éd., Dalloz, coll. Mémentos, 2005, p. 5. Si, comme l’écrivait Carbonnier, « la possibilité de l’intervention d’un tiers entre deux hommes qui sont en conflit caractérise le juridique » (J. Carbonnier, Théorie sociologique des sources du droit, op. cit., p. 172), alors la plupart des modes alternatifs de résolution des conflits appartiennent à l’univers du droit.
572 Ch. Jarrosson, op. cit., p. 1009. Cf., en particulier, M. Guillaume-Hofnung, La médiation, Puf, coll. Que sais-je ?, 1995 ; Dr. et société 1995, n° 29, « La médiation ».
573 Parfois, le mode alternatif de résolution du conflit, en tant que « justice contractuelle » (J.‑P. Chazal, « Justice contractuelle », in L. Cadiet (dir.), op. cit.) ou « justice conciliationnelle » (Th. Massart, loc. cit., p. 31), se réduit à un simple contrat par lequel les personnes en cause s’accordent sur les modalités d’une sortie de crise, sans intermédiaire aucun ; il aboutit alors à une « transaction » mettant un terme à la contestation. Un auteur décrit : « Ces accords négociés débouchent en général sur un acte en forme de contrat qui constate l’engagement à des prestations réciproques, souvent le renoncement d’une partie à ses droits d’action en justice en échange de la réalisation d’une obligation de faire. On a donc adapté à des domaines particuliers un instrument juridique ordinaire, le contrat » (P. Lascoumes, « De nouveaux lieux pour le règlement des conflits », Le courrier du CNRS 1990, n° 75, p. 72).
574 Dont on souligne qu’il n’est guère une innovation moderne puisque ses origines se retrouvent dans le droit romain (L. Depambour-Tarride, op. cit., p. 867).
575 R. David, Le droit comparé – Droits d’hier, droits de demain, Economica, 1982, p. 95.
576 Cf. B. Oppetit, Théorie de l’arbitrage, Puf, coll. Droit, éthique et société, 1998 ; Ch. Jarrosson, La notion d’arbitrage, LGDJ, 1987 ; Arch. phil. droit 2009, « L’arbitrage ». L’arbitre peut être un avocat, un universitaire ou, plus sûrement, un professionnel de la matière sur laquelle porte le contentieux. N’est donc pas suivie ici la voie tracée par qui invite à voir dans la médiation quelque-chose qui serait à la sphère privée ce que l’arbitrage serait à la sphère publique (J.‑C. Magendie, « La médiation : une autre voie de résolution des litiges », Gaz. Pal. 29 avr. 2009, p. 32).
577 On peut d’ailleurs parler de « juge privé » (P. Deumier, Introduction générale au droit, op. cit., p. 71).
578 Le plus souvent – mais ce n’est pas là une règle absolue –, un processus complet d’alternative dispute resolution (l’expression américaine est d’usage courant chez les juristes spécialisés en droit de la communication par internet) comprend quatre temps successifs qu’il est permis de résumer ainsi (Th. Verbiest, É. Wéry, op. cit., p. 567) : 1°) La négociation : les parties entament une discussion dans laquelle elles défendent chacune des intérêts opposés et tentent de les concilier ; 2°) La médiation : les parties soumettent leur contentieux à un tiers, dont la présence et la neutralité permettent de dégager les points d’accord, et les zones de désaccord, qui font ensuite l’objet de discussions bilatérales et/ou multilatérales, au cours desquelles le médiateur tente de stimuler une solution négociée. Le médiateur ne peut en aucun cas imposer, ni même proposer, une solution ; 3°) La conciliation : le conciliateur – qui peut être le médiateur ou une autre personne – propose, mais n’impose pas, ce qui lui apparaît comme une solution raisonnable et tente d’obtenir l’accord des parties sur celle-ci ; 4°) L’arbitrage : un tiers neutre tranche le conflit à la demande conjointe des parties auxquelles il impose sa décision. Mais peut-être jusqu’aux modérateurs ou cybermédiateurs (qui surveillent principalement les espaces de discussion des services de communication au public en ligne afin de mettre fin aux injures, diffamations et autres abus de la liberté d’expression) que les FAI et hébergeurs installent dorénavant systématiquement afin de prévenir et guérir les éventuels démêlés les impliquant comptent-ils parmi les diverses formes de justice alternative que connaît le droit de la communication par internet.
579 Cette opposition est toutefois de plus en plus relative, ainsi qu’en témoigne le Code de procédure civile lorsqu’il consacre, à son article 21, la médiation en tant que principe directeur du procès : « Il entre dans la mission du juge de concilier les parties ».
580 J. Carbonnier, Sociologie juridique, op. cit., p. 319.
581 Ibid.
582 Cf. T. Tanase, « The Management of Disputes: Automobile Accident Compensation in Japan », Law and Society Review 1990, p. 651 s. ; E. Le Roy, « Anthropologie (de la justice) », in L. Cadiet (dir.), op. cit. ; R. David, C. Jauffret-Spinosi, Les grands systèmes de droit contemporains, 11e éd., Dalloz, coll. Précis, 2002.
583 Par exemple, Ch. B. Harrington, Shadow Justice – The Ideology and Institutionalization of Alternatives to Court, Greenwood Press (Westport), 1985 ; J. Skolnick, Justice Without Trial, Wiley (New York), 1966 ; A. Blumberg, « The Practice of Law as a Confidence Game », Law and Society Review 1967, n° 1. Les États-Unis, « tirant les conséquences d’un état de fait qui s’avérait produire des résultats plus efficaces qu’une régulation par le droit », ont favorisé le développement de la justice privée et une campagne officielle visant à encourager encore plus les modes informels de résolution des conflits a vu le jour dans les années 1970 (A.‑J. Arnaud, Critique de la raison juridique, op. cit., p. 245 (non souligné dans le texte original)). Selon les statistiques fédérales américaines, 90 % des dossiers judiciaires dans lesquels une méditation est proposée aboutissent à un accord (Th. Massart, op. cit., p. 31). Cf., également, J.‑P. Bonafé-Scmitt, La médiation pénale en France et aux États-Unis, LGDJ, 1998.
584 « Rien de plus étranger à la tradition juridique et judiciaire française que pareille expérience », soulignait André-Jean Arnaud (A.‑J. Arnaud, Critique de la raison juridique, op. cit., p. 247).
585 Cf. K. Benyekhlef et alii, Le règlement en ligne des conflits : enjeux de la cyberjustice, Romillat, 2003.
586 E. L. Owenga Odinga, « Vers l’émergence d’une justice on-line », Lex Electronica 2002, n° 7.
587 Ce centre a été créé en 1995 par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, sous la forme d’une association relevant de la loi de 1901. Il a une compétence transversale et ne se limite pas aux litiges induits par l’internet, même si ceux-ci comptent pour une part importante dans l’ensemble des contentieux qui lui sont soumis.
588 Étude menée par le CNRS préalablement au lancement du site de médiation en ligne du Centre de médiation et d’arbitrage de Paris. Y sont comparées médiation classique et en ligne ([en ligne] <cmap.fr>).
589 « Il n’échappe à personne, soulignent des commentateurs, que le cloisonnement étatique des cours et tribunaux s’accommode mal du caractère international du réseau » (Th. Verbiest, É. Wéry, op. cit., p. 565). Les auteurs expliquent, plus en détails : « D’une part, la désignation du juge compétent est parfois ardue et peut contraindre le demandeur à diligenter un litige à des milliers de kilomètres de chez lui, ce qu’il fait toujours avec réticence ; d’autre part, la compétence juridictionnelle n’épouse pas toujours le droit applicable, ce qui complique encore les débats ; enfin, à supposer qu’un jugement soit prononcé, il reste à l’exécuter, ce qui peut nécessiter un nouveau débat judiciaire si l’exécution a lieu à l’étranger » (ibid.).
590 Déjà au début du xxe s. Max Weber soulignait les tensions créées par deux types d’aspirations opposées vis-à-vis de la justice : d’un côté les aspirations des professionnels du droit à un système juridique toujours plus technique et rationnel ; d’un autre côté les aspirations des justiciables à un système de justice accessible et souple (P. Lascoumes, op. cit., p. 71).
591 Selon cet adage, traduisible par « comble de justice, comble de malheur », cité par Cicéron (De officiis, 44 av. J.‑C., L. I, chap. 10), « on commet souvent des injustices par une application trop rigoureuse de la loi » (Le petit Larousse illustré 2015, Larousse, 2014, p. 1238).
592 A.‑J. Arnaud, Critique de la raison juridique, op. cit., p. 72.
593 G. Paquet, « Le droit à l’épreuve de la gouvernance », [en ligne] <gouvernance.uottawa.ca>, 2000. Il est vrai que le terme « médiation » se structure autour du radical « med », issu de l’osque latinisé, qui indique la notion de mesure, de modération, de juste milieu (Ch. Jarrosson, op. cit., p. 1009). Également, on explique que « la décision judiciaire, trop unilatérale, emporte souvent des effets qui donnent l’impression aux plaideurs d’être dépossédés de leur propre cause » (A.‑J. Arnaud, Critique de la raison juridique, op. cit., p. 315). Ainsi l’adage « mauvais arrangement vaut mieux que bon procès » rencontre-t-il un accueil favorable croissant parmi les justiciables (N. Dion, op. cit., p. 707) qui, si une bonne justice est une justice équilibrée, comprennent, à raison ou à tort, que la justice privée serait préférable à la justice publique (L. Cadiet, « La qualité de la norme juridictionnelle », in M. Fatin-Rouge Stefanini, L. Gay, J. Pini (dir.), op. cit., p. 254).
594 Le Professeur Denis Mazeaud, notamment, explique le mouvement de « déjudiciarisation » par la longueur excessive des procédures judiciaires (D. Mazeaud, « Les grandes mutations du droit des obligations », conférence à l’École doctorale de sciences juridiques de Grenoble, 17 juin 2012). Sur ce point, on observe que « la justice est souvent le parent pauvre des États contemporains : le manque chronique de moyens provoque un allongement des délais jugé inacceptable par les parties, surtout au regard de la rapidité des flux d’information sur l’internet » (Th. Verbiest, É. Wéry, op. cit., p. 565).
595 « Le recours à la justice, explique un auteur, ne constitue pas un mode rationnel de règlement des conflits dans la mesure où les charges liées à l’engagement d’une procédure judiciaire (frais de justice, honoraires d’avocats, délais d’attente de la décision) viennent grever le coût de l’opération litigieuse. Les parties ont dès lors normalement intérêt à résoudre leur différend par une transaction » (B. Frydman, Les transformations du droit moderne, op. cit., p. 56). Et est expliqué, ailleurs, que « la complexité et la longueur des débats et de la procédure induisent un coût fréquemment disproportionné par rapport à l’enjeu du litige, qui décourage énormément de plaignants » (Th. Verbiest, É. Wéry, op. cit., p. 566). Par ailleurs, le coût est aussi un coût pour la collectivité (P. Guibentif, « Reconnaissance et complexité sociale – Deux approches de la réalité juridique », Dr. et société 2011, p. 321).
596 Ch. Jarrosson, « Arbitrage et juridiction », Droits 1989, n° 9, p. 110.
597 L’analyse économique du droit montre que les parties ont avantage à régler leur différend par une convention plutôt que de supporter les risques et les délais d’un procès aléatoire, lourd et coûteux. Elles obéissent ce faisant à un principe de saine gestion économique qui prescrit de faire tendre le coût social des transactions vers zéro (B. Frydman, Les transformations du droit moderne, op. cit., p. 56). Plus précisément, les parties ont intérêt à conclure l’accord dès que le bénéfice retiré est supérieur à la valeur actuelle de leur droit litigieux. Cette valeur se calcule en divisant le gain escompté du procès par la probabilité de la victoire (50 % si l’issue est totalement aléatoire), le tout diminué des frais irrécupérables et actualisé pour tenir compte du délai d’attente de la décision (ibid.).
598 Alors que le droit transnational du commerce a les panels de l’OMC, que les droits fondamentaux ont les cours des droits de l’homme et la Cour pénale internationale et que le droit de l’environnement a le Tribunal international du droit de la mer.
599 Enfin, quelques-uns ne manqueront pas de regretter que la démocratie ne s’applique pas à toutes les fonctions de l’État, la fonction judiciaire étant abandonnée à de purs professionnels malgré le fait que ceux-ci rendent leurs décisions « au nom du peuple français », et y verront un élément supplémentaire motivant la réappropriation par les individus de la régulation de leur vie en société (par exemple, A.‑J. Arnaud, Critique de la raison juridique, op. cit., p. 315 (qui évoque une « justice réappropriée »)).
600 D. Salas, « Le juge aujourd’hui », Droits 2002, n° 34, p. 69. Rien n’est plus désastreux pour la justice que d’être suspectée, pour l’une ou l’autre raison, d’illégitimité et de ne pas présenter les qualités requises de la part d’une « bonne justice » (L. Cadiet, op. cit., p. 253).
601 G. Canivet, « Comment concilier le respect des principes de qualité du procès équitable avec les flux d’affaires dont sont saisies les juridictions ? », in M.‑L. Cavrois, H. Dalle, J.‑P. Jean (dir.), La qualité de la justice, La documentation française, 2002, p. 213 s.
602 Les Professeurs François Ost et Michel van de Kerchove résument la situation en évoquant ce paradoxe : « Parallèlement aux indices de montée en puissance du juge et à la demande accrue de justice, celle-ci n’a peut-être jamais fait l’objet d’autant de critiques en termes d’accessibilité, de célérité et d’humanité, et l’objet d’autant de circuits de dérivation et d’interventions alternatives » (F. Ost, M. van de Kerchove, De la pyramide au réseau ?, op. cit., p. 105). Les auteurs concluent à une « déjuridictionnalisation » associée à une « déjudiciarisation » à mettre en relation avec une « justicialistion » (ibid.). Se produirait donc une « diversification des modes de solution des conflits » (ibid.) à laquelle participeraient plus qu’activement les procédés parallèles de règlement des contentieux.
603 A.‑J. Arnaud, Critique de la raison juridique, op. cit., p. 247.
604 Même si, déjà à l’époque féodale, « la justice était comprise comme le principal attribut de pouvoir et, celui-ci se dégradant, les justices du roi n’existaient que concurremment avec les justices seigneuriales, ecclésiastiques et municipales » (L. Depambour-Tarride, op. cit., p. 868). Et, si Thomas d’Aquin, traduisant avant l’heure l’idée de souveraineté, pouvait considérer qu’« il appartient à la même autorité de faire et d’interpréter la loi ; en conséquence, de même qu’une loi ne peut être faite que par l’autorité publique, un jugement ne peut être rendu que par l’autorité publique » (Thomas d’Aquin, Somme théologique, 1273, IIa-IIae, q. 60, art. 6 (cité par A. Sériaux, op. cit., p. 164)), la pratique ne suivait alors guère la théorie.
605 A. Leca, La genèse du droit – Essai d’introduction historique au droit, 3e éd., Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence, 2002, p. 282. On retient que l’affirmation de l’État et de la souveraineté – l’un n’allant pas sans l’autre – « suppose que s’opère un transfert des pouvoirs naturels de justice privée à la justice institutionnelle. L’institution du juge est la caractéristique de l’état “civil” et la condition du droit » (D. Alland, « Droit international public », in D. Alland, S. Rials (dir.), op. cit., p. 498). Pourtant, aux yeux d’un observateur pragmatique autant qu’aux yeux de qui décrit des « usagers souverains » (J. A. Graham, op. cit.), le développement de la justice privée ne peut que s’analyser telle une conséquence en même temps que telle une cause de la dégradation de la souveraineté. L’État est relayé ou même « supplanté dans sa prérogative de diseur de droit » par des organismes privés (A.‑J. Arnaud, Critique de la raison juridique, op. cit., p. 255).
606 Par exemple, un auteur note que « le principe selon lequel nul n’a le droit de se faire justice soit même n’est pas applicable à l’espace virtuel où l’État n’a aucun moyen technique d’empêcher la justice privée » (J. A. Graham, op. cit.).
607 Cf. P. Lascoumes, op. cit., p. 72 ; Ch. Jarrosson, op. cit., p. 1010 ; P. Ancel, M.‑C. Rivier (dir.), Le conventionnel et le juridictionnel dans le règlement des différends, Economica, 2001. Ainsi, le Professeur Pascale Deumier commente : « Ce n’est pas par réflexe naturel d’évitement de la voie judiciaire mais, au contraire, parce que cette voie, victime de son succès, est engorgée que la recherche de voies alternatives se développe » (P. Deumier, Introduction générale au droit, op. cit., p. 70-71).
608 Cf. L. Depambour-Tarride, op. cit., p. 867 s.
609 L. Depambour-Tarride, op. cit., p. 869. On souligne combien la situation est paradoxale : « L’institution judiciaire, qui reçoit de plus en plus de demandes, est de plus en plus suspectée de ne pouvoir y répondre » (P. Martens, « Le pouvoir judiciaire en Belgique – Institutions et mutations », in A. Cottino, Ph. Robert (dir.), Les mutations de la justice – Comparaisons européennes, L’Harmattan, 2001, p. 87 (cité par F. Ost, M. van de Kerchove, De la pyramide au réseau ?, op. cit., p. 105)).
610 J. Chevallier, L’État post-moderne, op. cit., p. 114.
611 Cela en plus de perfectionner les procédures d’urgence (comme le nouveau référé administratif introduit en France par la L. n° 2000-597, 30 juin 2000, Relative au référé devant les juridictions administratives) et d’instituer une justice de proximité confiée à des juges non professionnels pour statuer sur les litiges les moins importants (L. n° 2002-1138, 9 sept. 2002, D’orientation et de programmation pour la justice), ensemble de mesures qui, au contraire de l’abandon à des formes privées de règlement des litiges, ne sont pas « l’indice d’un mouvement de “déjudiciarisation” ; il s’agit au contraire de permettre à l’appareil judiciaire de fonctionner, d’être efficace, en favorisant le règlement amiable des litiges et en assouplissant les formes du procès » (J. Chevallier, L’État post-moderne, op. cit., p. 114). Cf. G. Canivet, « Du principe d’efficience en droit judiciaire privé », in Mélanges Pierre Draï, Dalloz, 2000, p. 23 s.
612 Y. Benhamou, op. cit., p. 2771.
613 L. Depambour-Tarride, op. cit., p. 869. Et cela concerne jusqu’à la matière pénale avec la médiation pénale, les alternatives aux poursuites telles que le rappel à la loi et les procédures simplifiées comme l’ordonnance et la composition pénales.
614 Au niveau européen, depuis la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, les États membres sont invités à encourager le développement d’organes de règlement extrajudiciaire des conflits (PE et Cons. CE, dir. n° 2000/31/CE, 8 juin 2000, Relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur). Ce texte précise que « les États membres veillent à ce que, en cas de désaccord entre un prestataire de services de la société de l’information et le destinataire du service, leur législation ne fasse pas obstacle à l’utilisation des mécanismes de règlement extrajudiciaire pour le règlement des différends, disponibles dans le droit national, y compris par des moyens électroniques appropriés » (art. 17, al. 2).
615 Il l’est en particulier en droit civil, spécialement en droit des successions et en droit des conflits de voisinage (Ch. Jarrosson, op. cit., p. 1010). Le Code de procédure civile favorise la médiation mais, sauf exception, ne l’impose pas. Les contestations relatives aux divorces ou encore aux conflits individuels de travail comptent parmi ces exceptions et doivent impérativement être soumis à un organe de médiation avant d’être, si nécessaire, confiés au tribunal étatique.
616 J. Huet, Th. Tonnellier, « L’accord passé entre la cour d’appel de Paris et le Forum des droits sur l’Internet fait redouter un désengagement non contrôlé de l’État dans les litiges relatifs au numérique », Comm. com. électr. 2010, étude 2.
617 Le Conseil économique et social, par exemple, a rendu un rapport, le 10 juillet 2002, sur le développement de la médiation dans le règlement des conflits. Il y préconisait l’harmonisation des moyens et des politiques sur l’ensemble du territoire, à travers un véritable partenariat avec les associations, afin d’assurer la promotion de la médiation. Aussi le Conseil souhaitait-il « accélérer l’évolution de nouveaux modes de règlements des conflits » (cité par Th. Massart, op. cit., p. 31).
618 Cela bien que, en 2011, des députés pouvaient relever combien, « le monde numérique étant un domaine mal encadré par les normes de droit, la médiation y apparaît essentielle » (P. Bloche, P. Verchère, op. cit., p. 302).
619 Un rapport issu des travaux d’un groupe de travail sur la médiation au sein de la cour d’appel de Paris, intitulé « Célérité et qualité de la justice – La médiation : une autre voie » et remis le 15 octobre 2008 à la Chancellerie, formulait des préconisations qui ont servi de base pour donner une nouvelle impulsion à la médiation, spécialement en ce qui concerne les litiges immatériels (J.‑C. Magendie, op. cit., p. 32). Dans cette perspective, la cour d’appel de Paris et le Forum des droits sur l’internet ont signé ce protocole d’accord. Le FDI s’est toujours intéressé à la question et, dès sa première année d’existence, il comptait dans ses rangs un groupe de travail « Modes alternatifs de règlement des différends » qui a permis au Forum d’adopter, le 17 juin 2002, une recommandation intitulée « Internet et les modes alternatifs de règlement des différends ».
620 L’accord excluait seulement les « différends entre les titulaires de droits et les utilisateurs au cas où ceux-ci estimeraient qu’une mesure technique de protection les empêche de bénéficier de l’exception de copie privée ». Mais jusqu’aux conflits relatifs aux noms de domaine, à la propriété intellectuelle, au respect de la vie privée, à l’injure et à la diffamation étaient susceptibles d’être portés devant l’organe de médiation du FDI.
621 L’essai de médiation paraissait donc, aux yeux des justiciables, non facultatif mais bien impératif, le tribunal ne pouvant être saisi que dans un second temps ainsi que l’indiquaient les greffiers – ce que des auteurs ont dénoncé comme constituant un « déni de justice » (J. Huet, Th. Tonnellier, « L’accord passé entre la cour d’appel de Paris et le Forum des droits sur l’Internet fait redouter un désengagement non contrôlé de l’État dans les litiges relatifs au numérique », Comm. com. électr. 2010, étude 2).
622 Cela principalement en matière de relations commerciales dématérialisées (non livraison d’un bien, non-conformité d’un bien, litige entre acheteur et vendeur non professionnels, etc. (P. Bloche, P. Verchère, op. cit., p. 299)).
623 Forum des droits sur l’internet, « Construire ensemble la civilité de l’internet », op. cit., p. 7.
624 Il faut dire que, selon des auteurs, seul l’État serait en mesure d’assurer les « garanties fondamentales d’une bonne justice » (J. Huet, Th. Tonnellier, op. cit.). Et d’avancer que « le pire est à craindre, la cour d’appel semblant laisser au Forum des droits sur l’Internet la logistique du projet de médiation. […] La justice y perd de son humanité et, osons le dire, de son esprit de service public, dernier rempart pourtant devant un monde épris de profit et de rentabilité. […] L’inquiétude est, alors, de mise car, quand la justice se privatise, elle ne peut qu’y perdre son âme et le citoyen la certitude d’être jugé au nom du peuple français, en toute impartialité et dans le respect des règles en vigueur ». Puis de conclure en ces termes : « Ne sommes-nous pas en train de créer une justice à deux vitesses ? Les uns, riches et puissants, prendront des avocats pour défendre leur prétention en justice et obtenir des condamnations à des dommages et intérêts, alors que les autres seront relégués à devoir utiliser un système impersonnel de messagerie électronique pour discuter avec leur adversaire au travers d’un médiateur ? » (ibid.).
625 Forum des droits sur l’internet, « Construire ensemble la civilité de l’internet », op. cit., p. 7.
626 Ibid.
627 Ibid. L’Association nationale des médiateurs a d’ailleurs remis, le 5 novembre 2010, au service de médiation en ligne du Forum des droits sur l’internet le premier trophée de l’innovation en médiation.
628 En ce sens, de manière générale, J.‑B. Racine (dir.), Pluralisme des modes alternatifs de résolution des conflits, pluralisme du droit, L’Hermès, 2002.
629 Cf., notamment, Th. Schultz, Réguler le commerce électronique par la résolution des litiges en ligne, op. cit.
630 Peuvent être cités, notamment, les procédures de résolution des litiges proposées par les services de communication par internet suivants : <eresolution.ca> ; <iris.sgdg.org> ; <internetneutral.com> ; <onlinemediators.com> ; <ombuds.org> ; <transecure.org> ; <mediate.com> ; <cybercourt.de> ; <i-courthouse.com> ; <vmag.org> ; <settleonline.com> ; <clicknsettle.com> ; <cybersettle.com> ; <cybertribunal.org>.
631 La FEVAD offre un service de résolution des litiges BtoC (entre commerçant professionnel et consommateur) pour les litiges impliquant l’une de ses entreprises adhérentes « sous dix jours et gratuit » ([en ligne] <fevad.com>). « En cas de manquement, explique l’association, l’entreprise peut être rappelée à l’ordre par le Conseil d’Administration de la FEVAD et, faute de respecter l’avis de celui-ci, être sanctionnée selon les procédures prévues par ses statuts » (ibid.). Le litige peut aussi être soumis au « Médiateur du e-commerce », lequel applique la « Charte de la médiation » de la FEVAD (ibid.).
632 Celui-ci est composé d’arbitres élus et est régi par une « Procédure de résolution des conflits » correspondant à des recommandations accessibles sur le web, tandis qu’un « Salon de médiation » est ouvert et que les litiges peuvent encore être résorbés en procédant à un sondage ou à un appel à commentaires auprès de la « communauté Wikipedia ».
633 [en ligne] <afnic.fr>.
634 Toute personne déposant un nom de domaine en <.fr> doit obligatoirement souscrire à cette procédure (appelée « Syreli » (pour « Système de résolution des litiges ») depuis 2011), ainsi que le prévoit la « Charte de nommage » de l’association. Le site web de cette dernière présente les centaines de conflits qui ont été tranchés dans une rubrique intitulée « la jurisprudence du .fr » ([en ligne] <afnic.fr>). Par ailleurs, une procédure devant le Centre de médiation et d’arbitrage de Paris permet une médiation entre le titulaire et l’ayant droit dans le but de trouver une solution amiable, tandis que le Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) permet un arbitrage entre le titulaire de tout nom de domaine et un ayant droit, ses décisions étant exécutoires – mais il s’agit alors d’un cadre international public et non d’un cadre privé.
635 B. de la Chapelle, « L’internet est-il vraiment sans frontières ? », Place de la toile, France culture, 11 févr. 2012.
636 Logiquement, elles s’appuient massivement sur les nouvelles technologies et il est possible de parler d’« e-médiation ». Des formules standardisées pour l’introduction d’une plainte sont mises à disposition et la médiation ou l’arbitrage se fait à distance, par échange de courriers électroniques ou encore par visioconférence.
637 TGI Versailles, 14 déc. 2004, EuroDNS ; TGI Versailles, 25 avr. 2006, KLTE. Cf. A. Nappey, « La charte de nommage du <.fr> devant la justice », RLDI 2005, n° 48 ; N. Dreyfus, « Le blocus massif de noms de domaine est-il licite ? Les deux perspectives divergentes de l’EURid et de l’AFNIC », Propr. industr. 2007, alerte 16.
638 Le décret du 7 février 2007 (D. n° 2007-162, 7 févr. 2007, Relatif à l’attribution et à la gestion des noms de domaine de l’internet et modifiant le Code des postes et communications électroniques) a modifié l’article R. 20-44-49 du Code des postes et des communications électroniques, lequel prévoit désormais que les offices d’enregistrement non seulement peuvent mais surtout doivent bloquer, supprimer ou transférer, selon les cas, les noms de domaine, lorsqu’ils constatent qu’un enregistrement a été fait en violation de certaines règles. Cf. F. Sardain, « Le nouveau régime d’attribution des noms de domaine français », Comm. com. électr. 2007, étude 8.
639 En ce sens, J.‑B. Auby, op. cit., p. 114.
640 Ainsi des historiens du droit pouvaient-ils, il y a peu encore, constater que, « dans aucune société évoluée, [les modes alternatifs de résolution des conflits] ne sont jamais parvenus à jouer un rôle de premier plan » (J.‑P. Royer, Histoire de la justice en France, 4e éd., Puf, coll. Droit fondamental, 2010, n° 177 (cité par A. Leca, op. cit., p. 283)).
641 J.‑P. Bonafé-Schmitt, op. cit., p. 263 s. ; également, J.‑B. Racine (dir.), op. cit.
642 A.‑J. Arnaud, Critique de la raison juridique, op. cit., p. 72.
643 L’ambition des modes alternatifs de résolution des conflits n’est normalement pas de sanctionner quelque auteur d’infraction aux règles, d’origine privée ou publique, régissant les communications par internet. Il s’agit, grâce à eux, de mettre fin de manière amiable aux litiges existants et de proposer une justice « restaurative » ayant pour fin de réparer les dommages causés indument (A. Vauchez, L. Willemez, op. cit., p. 366). Ils servent ainsi moins souvent à sanctionner qu’à éviter des sanctions éventuelles. Aussi la justice contractuelle, avec laquelle « les parties déçues dans leurs attentes légitimes s’efforcent de construire un autre lieu dans lequel leur problème pourra se résoudre par la négociation sans que la solution soit la victoire de l’un sur l’autre, sans que sur le terrain subsistent deux ennemis dont l’un au moins pense à une éventuelle revanche » (J. Vanderlinden, « À propos de la vocation de notre temps à la révision de la théorie des sources de droit et des instruments de justice », op. cit.), n’est-elle pas compatible avec l’idée de sanction. La sanction n’est donc pas le cœur de l’activité des modes alternatifs de résolution des conflits et d’ailleurs un certain nombre d’entre eux, qui se limitent à un travail de médiation et de conciliation, ne peuvent pas aboutir au prononcé de sanctions. Quant à l’arbitre, la seule sanction qu’il est en mesure de prononcer est celle qui vise à compenser le préjudice qu’une partie a subi du fait du comportement de l’autre partie.
644 On pourrait débattre de la question de savoir si, par exemple, les sanctions prononcées par un conseil de famille ou de village, parmi les sociétés dites « primitives », telles que la critique publique, le bannissement, les coups de corde ou la mise au fer appartiennent ou non au monde du droit (J. P. Colleyn, « Valeurs et droit dans une société sans pouvoir politique univoque », Droit et culture 1983, n° 6, p. 27). Déjà Jean Bodin expliquait que « le commandement permet de distinguer les magistrats de l’État des autorités de l’Église qui sont certes dotées d’un pouvoir juridictionnel mais qui doivent faire exécuter leurs sentences par les magistrats, faute de pouvoir de contrainte propre » (J. Bodin, op. cit., L. III, chap. 3). Est ici estimé qu’un pouvoir de contrainte privé à caractère juridique est, en théorie tout du moins, possible.
645 En ce sens, C. Thibierge, « Le droit souple », op. cit., p. 609.
646 Ainsi, lorsqu’une personne utilisait l’Usenet afin de transmettre des messages publicitaires, les internautes « stigmatisaient » le comportement puis « condamnaient » son auteur à une « peine de mort numérique » consistant soit à saturer un serveur, qui ne fonctionne dès lors plus normalement, soit à bloquer la bande passante, ce qui conduit à une interruption des services. De façon plus structurée, ont depuis longtemps été mis en place des hotlines et des points contact permettant aux internautes de dénoncer auprès des opérateurs ou d’organismes indépendants les services ou contenus qui leur paraissent inacceptables ou illicites. Le retrait subséquent de ces services ou contenus peut peut-être s’analyser en tant que sanction de leurs auteurs. Notamment, le service de signalement de contenus illicites « Point de contact » de l’AFA est membre de l’Association internationale des hotlines internet (INHOPE, <inhope.org>), créée en 1999. Celle-ci compte 40 membres (tous privés) issus de 36 pays qui se proposent de supprimer les contenus illicites en ligne. Cette initiative est l’une des rares réponses globales apportées au problème des activités et des contenus irréguliers en ligne.
647 G. Gurvitch, Éléments de sociologie juridique, op. cit., p. 101.
648 Il est, sur ce point, possible de citer Eugen Ehrlich selon qui « l’exclusion d’un cercle autonome, que ce soit l’Église, le syndicat, le parti, la famille, le trust ou un autre groupe, la perte d’une situation, d’un crédit, d’une clientèle sont les moyens les plus réels pour lutter contre une infraction au droit. Ce qu’entreprend en plus l’État pour sanctionner à son tour le droit a une importance infiniment moins grande » (E. Ehrlich, Fondement de la sociologie du droit, 1913 (cité par G. Gurvitch, loc. cit., p. 129)). Cependant, concernant les infractions au droit d’origine privée régissant les activités internetiques, il faut peut-être relativiser l’impact de pareille sanction, car les liens sociaux sont rarement aussi forts dans le monde internetique que dans le monde physique et rarement aussi forts à l’heure actuelle que par le passé. « L’ostracisme, observe un auteur, le rejet du mouton noir hors du groupe, frappe le fautif avec une dureté extrême, quelle que soit la “société” considérée. Il est probablement aussi douloureux à un PDG déchu de voir les regards se détourner de lui dans une soirée mondaine qu’il est pénible à un loubard de banlieue de voir sa bande le repousser à ses marges. […] Le bien le plus précieux, c’est peut-être le lien qui nous unit à nos congénères » (D. de Béchillon, op. cit., p. 68). Mais il est peu fréquent de rencontrer pareille situation dans les relations en ligne, lesquelles reposent sur des liens bien souvent fragiles et évanescents. L’ostracisme ne peut être une véritable sanction que dans de rares cas.
649 A.‑J. Arnaud, Critique de la raison juridique, op. cit., p. 259.
650 Les historiens du droit décrivent des sociétés traditionnelles dans lesquelles il n’existe ni règles ni sanctions formalisées mais où la pression du groupe et la crainte du blâme ou du mépris social suppléent cette apparente lacune (A. Leca, op. cit., p. 27). Nul doute que la société internetique ne saurait être comparée à semblable société traditionnelle.
651 En ce sens, É. A. Caprioli, op. cit.
652 Cette publication, quelle que soit la sanction en cause, signifiant qu’une entreprise ne s’est pas conformée à l’une ou l’autre règle risque fort de lui faire perdre une bonne part de sa clientèle et même d’entraîner le retrait de ses investisseurs. On fait de la « critique publique que l’organe incriminé est tenu de publier parce qu’il a adhéré volontairement au système » la principale sanction dans les milieux autorégulés (W. Gore, « Les instances d’autorégulation – Assurer le respect des codes de déontologie », in A. Hulin, J. Smith, dir, op. cit., p. 40). L’auteur, par ailleurs, critique le recours aux amendes dans un cadre sanctionnateur privé, alors que celles-ci pourraient sembler constituer des sanctions tout à fait efficaces, comme elles le sont souvent dans l’espace du droit étatique. Il explique que « c’est lorsque les sanctions ne comportent pas d’amendes que la régulation volontaire est la plus efficace. Si le système prévoit des amendes, il devient plus légaliste et conflictuel, avec des personnes chargées de débattre du montant des sanctions pécuniaires à infliger. Cela dénature tout ce qui rend les instances d’autorégulation pratiques et utiles. En outre, l’impact d’une amende variera beaucoup et de manière injuste suivant la richesse de [l’entreprise] en cause » (ibid.).
653 Cf., dans un autre domaine, A. Sobczak, Réseaux de sociétés et codes de conduite – Un nouveau modèle de régulation des relations de travail pour les entreprises européennes, LGDJ, 2002.
654 C. Chassigneux, « La confiance, instrument de régulation des environnements électroniques », Revue de droit de l’Université de Sherbrooke 2007, p. 463.
655 Ibid. L’auteur explique que la réputation est un sentiment basé sur la mémoire et donc sur les expériences passées. Or ces dernières tiennent compte non seulement des expériences personnelles, mais aussi des expériences collectives, lesquelles revêtent une importance primordiale en ligne en raison du facile partage de l’information que l’internet permet. Quant à la confiance, elle peut être définie comme « l’attente qui naît, au sein d’une communauté, d’un comportement régulier, honnête et coopératif, fondé sur des normes communément partagées, de la part des autres membres de cette communauté » (F. Fukuyama, La confiance et la puissance – Vertus sociales et prospérité économique, Plon, 1997, p. 36 (cité par C. Chassigneux, op. cit., p. 461)).
656 Les hommes, lorsqu’ils doivent traiter avec un autrui absent ou éloigné, avec lequel ils ne sont pas en face à face, se retrouvent contraints de se contenter d’informations parcellaires sur leur avenir. Si ce dernier devient hasardeux, la confiance apparaît tel un médium fort utile, tandis que « nous n’avons pas besoin de faire confiance à quelqu’un dont les activités sont visibles en permanence et dont les modes de raisonnements sont transparents, ni de faire confiance à un système dont les rouages sont parfaitement connus et compris » (A. Giddens, Les conséquences de la modernité, L’Harmattan, 1994, p. 140).
657 Si la notion de confiance « a longtemps semblé appartenir à un registre désuet, non moderne » (C. Chassigneux, op. cit., p. 460), elle se positionne aujourd’hui sur le devant de la scène du droit de la communication par internet, ainsi qu’en témoignent une littérature conséquente et, surtout, l’intitulé et le contenu de la « Loi pour la confiance dans l’économie numérique » de 2004 (L. n° 2004-575, 21 juin 2004, Pour la confiance dans l’économie numérique). Finalement, quand les sources institutionnelles et substantielles ne réussissent qu’approximativement à appréhender les activités immatérielles, la confiance semble y parvenir de façon remarquable, la rupture de la confiance pouvant être ressentie comme la plus douloureuse des sanctions. Et l’internet lui-même – en tant que vecteur supersonique d’information au moyen duquel on ne parle plus de bouche à oreille mais de clavier à millions d’écrans – est l’instrument pertinent afin de sanctionner d’une telle façon les opérateurs défaillants. En conférant une capacité de circulation et de propagation considérable aux informations défavorables, il donne aux usagers et consommateurs insatisfaits la faculté de faire payer cher un comportement ressenti comme incorrect. Mais ce sont alors lesdits usagers et consommateurs qui sont juges et bourreaux en même temps que parties ; cette forme de justice apparaît bien primaire, loin des canons de la justice et de la sanction étatiques. L’un des exemples les plus notoires de cette veille internetique est fourni par la société Yahoo!, laquelle décida de retirer de son site toutes les informations portant sur le régime nazi alors que l’information selon laquelle ledit site avait été condamné de ce fait par un juge français, en 2000 (TGI Paris, 22 mai 2000, UEFJ et Licra c/ Yahoo!), se répandait « de blog en blog ».
658 Le contrôle des annuaires ou registres d’inscription, qui sont au cœur de toutes les communautés virtuelles, permet de rendre exécutoires des sentences privées : une communauté virtuelle repose sur un registre des membres qui permet d’exclure les individus concernés du mécanisme de partage de l’information ; l’administrateur d’un forum ou d’un service de réseautage social peut ainsi bannir quiconque n’en respecte pas les règles, en fermant tout simplement son compte. Le contrôle des admissions et radiations sur la liste source est donc un élément stratégique qui permet de tracer les frontières de la communauté et de prononcer des sanctions concrètes contre ceux qui bafouent les règles qui la structurent.
659 Le flamming consiste à faire déconnecter du réseau les sites qui ne respectent pas les codes en vigueur.
660 Cela même si des auteurs n’hésitent pas à les élever au niveau des sanctions étatiques (notamment, R. Berthou, L’évolution de la création du droit engendrée par Internet, op. cit., p. 255).
661 En ce sens, C. Rojinsky, op. cit., p. 846.
662 C. Thibierge, « Le droit souple », op. cit., p. 609.
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