Préface
p. 7-10
Texte intégral
1L’étude conduite par M. Boris Barraud, intitulée Le renouvellement des sources du droit – Illustrations en droit de la communication par internet, est directement issue d’un programme de recherche porté par le Laboratoire Interdisciplinaire de Droit des Médias et des Mutations Sociales de l’Université d’Aix-Marseille (LID2MS, EA n° 4328) au sein duquel ce jeune et brillant docteur a soutenu son doctorat.
2Baptisé « Pluralismes et pluralisme juridique, ce programme avait pour ambition de répondre à la question de savoir si le pluralisme juridique constituait, tout d’abord, une possibilité théorique au regard des approches juridiques les mieux admises et, dans l’affirmative, s’il était, par suite, une réalité objective, vivante, constatée et démontrable.
3Ainsi conçu comme une proposition théorique et une possible donnée empirique, le pluralisme juridique avait, par ailleurs, été conventionnellement défini comme décrivant une situation dans laquelle cœxistent effectivement, à l’échelle d’un système juridique donné ou d’une branche du droit donnée, à un instant donné, des sources étatiques et des sources privées de normes juridiques entendues comme des « devoir être invocables devant le juge et dont le constat du non-respect est susceptible d’entraîner des conséquences juridiques.
4C’est donc dans la perspective de contribuer à la résolution de la problématique de ce programme que s’inscrit la présente recherche, et c’est en parfaite cohérence avec la définition du pluralisme juridique retenue qu’elle se consacre à l’étude de la factualité du pluralisme juridique dans le domaine du droit de la communication par internet.
5Le travail de M. Boris Barraud entend ainsi concourir à la compréhension du phénomène juridique tel qu’il se présente « en pratique en centrant son propos sur le droit dit « de la communication par internet qu’il envisage d’observer objectivement et empiriquement, avec pour principal dessein de voir si les sources de ce droit sont plurielles, à savoir d’origine publique et d’origine privée, et si elles produisent effectivement des conséquences juridiques régissant certains aspects des communications par internet.
6Ce domaine particulier de l’étude était, tout d’abord, justifié par le fait que le droit de la communication par internet semblait être tout à la fois représentatif de la réalité désormais générale du droit contemporain et symptomatique des mutations qui l’affectent de plus en plus nettement. En effet, le droit de la communication par internet constitue bien un espace normatif susceptible de témoigner des continuités, des mouvements et des ruptures dans le nombre, l’identité, l’architecture et l’équilibre des sources du droit lui-même, de telle sorte qu’observer cette branche du droit des communications permet de forger de nouveaux outils capables d’améliorer notre intellection de la dynamique, des tendances et du devenir du Droit, avec un « D majuscule ».
7Par ailleurs, et de façon plus située, l’étude confirme la lente édification d’un droit de la communication par internet aux caractéristiques désormais suffisamment originales pour nous autoriser à le distinguer d’autres branches du droit des communications électroniques telle que celle du droit de la communication audiovisuelle par exemple.
8Entendue comme une communication publique ou privée par un moyen électronique, la communication par internet est ici identifiée comme l’activité consistant à transmettre et/ou à recevoir des informations au moyen de l’internet conçu comme un médium résultant d’une interconnexion massive de systèmes automatisés de traitement de données rendue possible par l’entremise de réseaux informatiques privés ou publics et de protocoles de routage et d’échanges de flux numériques.
9Ainsi définie, et désormais associées par le courriel, le SMS, le site Web, le téléchargement, le podcast, la télévision de rattrapage, etc. et matérialisée par l’ordinateur, le téléphone portable, le téléviseur 16/9 et bien d’autres objets dits « connectés », la communication par internet est, en effet, devenue un objet de droit dépassant les seuls réseaux qu’elle mobilise, les seules données qui la constituent ou les seuls services qu’elle procure.
10Cette approche en quelque sorte holistique renouvelle d’ailleurs fortement le droit des communications électroniques en ce qu’elle confirme la fragilisation de l’historique summa divisio entre communications privées et communications publiques et ouvre de nouvelles perspectives de recompositions de cette branche particulière du droit de la communication. En outre, elle éclaire d’un jour nouveau les rapports de force qui s’organisent aujourd’hui entre puissance publique et puissance privée.
11En effet, le droit de la communication par internet met en évidence le rôle de jurislateur tenu tant par l’État que par les acteurs de l’internet et de la société civile, si bien que la distinction primaire entre le droit public et le droit privé reposant sur la compétence des juges, les notions, les objets et les sujets des normes applicables doit désormais être articulée à une autre distinction construite sur l’origine de ces normes.
12En conséquence, le travail de Monsieur Barraud renouvelle la réflexion classique sur les sources du droit en ce qu’il démontre l’existence établie de ce qu’il décrit comme « une puissance privée capable de concurrencer ou même devancer la puissance publique dans l’élaboration des règles de droit.
13Il révèle et analyse ainsi, dans des domaines de plus en plus variés du droit de la communication par internet, des formes de « gouvernance fondées sur des solutions contractuelles innovantes, des logiques inventives d’autorégulation ou de corégulation ou des modes alternatifs de résolution des conflits. Mais, ce faisant, c’est la place et le rôle de l’État « source de tout droit qu’il finit par discuter.
14Par la confirmation de l’existence dans le secteur de la communication par internet de puissances privées capables de concurrencer, voire de dépasser l’État dans l’élaboration de règles de droit applicables à ce secteur, l’auteur s’autorise alors à évaluer les « crises de l’État et de sa souveraineté.
15Abrasée par l’édiction de codes privés, de « meilleures pratiques , de labels et de chartes en tout genre, de conditions générales d’utilisation aussi longues qu’absconses, de contrats-types, de standards, de protocoles, d’algorithmes obscurs, de normes comptables, managériales, techniques spécifiques et souvent « propriétaires , il démontre combien et comment le monopole normatif historiquement reconnu à l’État est ici fortement fragilisé pour ne pas dire dépassé. Dès lors, et au-delà des possibles conséquences méta-politiques de ce phénomène avéré, il propose d’opérer un effort théorique susceptible de fonder une méthode et de produire une cartographie des sources du droit de la communication par internet.
16La présente étude livre ainsi une lecture architecturée de ce nouvel espace normatif capable de l’ordonnancer et d’en révéler les lignes de force et les perspectives. À ce titre, l’auteur nous apporte une vision très construite et quelque peu anxieuse reposant, d’une part, sur l’exposition d’un cadre en constante expansion induite par la très rapide croissance du nombre et de la portée des sources privées et, d’autre part, sur une ligne de fuite dessinée par le lent épuisement des sources publiques incapables de s’adapter aux effets de l’internet sur le temps et l’espace.
17Son étude du droit de la communication par internet laisse donc présager une nouvelle composition du droit des communications électroniques induite par la remise en cause des équilibres anciens dont la dissymétrie croissante alimenterait une nécessaire dynamique d’évolution du droit des communications électroniques et un possible essoufflement du Droit moderne tel qu’il a pu se construire sur des fondations stato-centrées.
18Ce faisant, et pour confirmer la prophétie du regretté Professeur Christian Atias qui augurait au Recueil Dalloz de 1997 que « prendre conscience des défaillances des prétendues sources du droit sera la tâche de la génération [de juristes] qui s’installe , M. Boris Barraud nous propose une réflexion renouvelée et de grande qualité mettant en lumière les mutations qui sont actuellement à l’œuvre au sein des sources formelles du droit des communications par internet et qui pourraient bien être annonciatrices de ce qu’il qualifie « d’ère postmoderne du droit , à savoir un « Nouveau Monde normatif et performatif dans lequel les sources privées du droit tiendront une place quantitativement première alors que les sources publiques, entendues comme prioritairement européennes et principalement communautaires assureront une fonction architectonique reposant sur un droit « en réseau et des modes de gouvernances plus efficients. Ces derniers étant construits sur de hautes exigences qualitatives, ainsi que sur des éléments légistiques ouverts instituant un dialogue entre les différents acteurs du processus d’élaboration des politiques publiques et des normes « souples associées, ainsi que sur une participation la plus large possible des citoyens européens et des organisations à leur application.
19À ce titre, le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données apparaît comme l’exemple le plus probant de la pertinence des propositions de M. Boris Barraud dont le temps confirmera certainement la très grande justesse et l’indiscutable validité.
Auteur
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille, Directeur du LID2MS (Laboratoire Interdisciplinaire de Droit des Médias et des Mutations Sociales)
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