Introduction au titre I
p. 303-305
Texte intégral
1492. La déontologie des pourparlers, urgente priorité - Assurer la déontologie des pourparlers judiciaires n’est pas seulement une nécessité. Le développement considérable des modes alternatifs de règlement des conflits a fait de cette question une véritable priorité1684 et pas uniquement à l’égard des procédures non-judiciaires. Depuis leur origine, « les pratiques de médiation sont sujettes [...] à des critiques qui soulignent qu’elles n’offrent pas aux personnes qui s’y engagent les garanties que leur donne le système juridique et judiciaire »1685. Ainsi, la médiation est souvent comparée à une sous-justice, qui « enlève aux parties les garanties qui découlent de l’organisation du procès et de la représentation systématique des intérêts de chacun dans le cadre légal. En perdant cette dimension formelle et contradictoire, on se retrouve renvoyé aux inégalités des positions existant dans un champ donné entre les parties »1686. Les causes de ce manque de garanties, de ce sentiment d’insatisfaction général, sont multiples.
2493. La formation du tiers conciliateur ou médiateur - La principale est probablement la déjudiciarisation de la conciliation et son expansion en dehors du judiciaire. Loin du juge et menées par des personnes privées ou parapubliques n’ayant parfois suivi aucune formation spécifique pour exercer ces activités, les pratiques de conciliation et de médiation extrajudiciaires échappent à tout contrôle. Il s’ensuit que nombre de ces dispositifs, dits de médiation, s’apparentent en réalité de très loin à la véritable médiation1687. Plus encore, cette prolifération hors le judiciaire empêche un suivi de la qualité des médiateurs, de leur formation, de leur déontologie ou des principes éthiques qui guident leur pratique. « Les risques d’atteinte aux libertés individuelles sont à prendre au sérieux et des dérives sectaires ne sont pas à exclure »1688. Certes, nous avons souligné qu’en vue de compenser cette déjudiciarisation et d’éviter qu’elle ne s’accompagne d’une diminution des garanties qu’offrirait normalement le système judiciaire, les pouvoirs publics ont encadré ces pratiques par des dispositions destinées renforcer leur formalisme ou à les rapprocher du monde judiciaire. Mais si cet effort est louable, il n’est apparemment pas suffisant. « L’absence de cadre suffisamment précis imposé aux activités de médiation, y compris celles qui s’exercent sous mandat judiciaire, conduit à une hétérogénéité des pratiques sur le territoire mettant en cause l’égalité territoriale d’accès des citoyens à toutes les formes de justice et de règlement des litiges »1689. Seule une politique nationale de formation des médiateurs et conciliateurs destinée à leur apporter un minimum de connaissances et de compétence en la matière, assortie d’un système d’évaluation périodique des structures qui assurent ces formations, permettra d’améliorer la qualité et la sécurité juridique des modes amiables de règlement des conflits1690.
3Si ces remarques concernent principalement les activités non-judiciaires de conciliation ou de médiation, elles valent aussi, dans une certaine mesure, pour la conciliation et la médiation judiciaires, chaque fois notamment que ces dernières font appel à des tiers. En effet, les conciliateurs et médiateurs susceptibles d’intervenir dans le cadre des procédures judiciaires sont les mêmes que ceux qui proposent leurs services en dehors du judiciaire. Et malgré la rigueur des textes applicables, ils n’offrent parfois pas plus de garanties d’aptitude et de déontologie selon qu’ils sont directement saisis par les parties ou désignés par le juge.
4494. L’assistance d’un avocat – Une autre cause de l’insuffisance des garanties offertes par les activités de conciliation et de médiation est l’idéalisme qui règne autour de ces modes amiables, qui postule une sorte d’égalité entre les individus qui y ont recours et préconise une forme de partenariat entre les parties antagonistes en vue de parvenir au règlement amiable de leur différend1691 « alors que les situations présentées réclament un examen à la lumière du droit »1692. Refuser de prendre en compte les inégalités existant entre les parties en médiation1693 ou de tenter d’y remédier par la mise en place d’un système de défense approprié conduit irrémédiablement à une procédure inéquitable1694 et ne peut qu’aboutir à un accord déséquilibré et injuste1695. Pour cette raison, il importe que l’assistance des parties en médiation ou en conciliation par un avocat soit fortement encouragée et qu’elle puisse être assurée dans les mêmes conditions qu’en matière juridictionnelle1696. Dans ce sens, on soulignera l’avancée considérable réalisée en matière d’aide à l’accès au droit par le décret n° 2001-512 du 14 juin 20011697 qui étend le bénéfice de l’aide juridictionnelle à tous les justiciables qui envisagent d’engager des pourparlers en vue de parvenir à une transaction avant l’introduction d’une instance judiciaire.
5495. Terrains d’action prioritaires - C’est donc sur le double terrain de la formation des conciliateurs et médiateurs d’une part, et de l’assistance des parties par un avocat d’autre part, qu’il convient d’agir en priorité si l’on souhaite endiguer les critiques adressées aux modes alternatifs de règlement des conflits - et aux pourparlers judiciaires en particulier -relativement aux garanties juridiques qu’ils offrent. Seule une intervention de cette envergure permettra de rappeler avec force aux acteurs concernés les principes directeurs des modes amiables de règlement des conflits - caractère volontaire du recours à la médiation et à la conciliation, respect du devoir de confidentialité, indépendance et impartialité du tiers, loyauté des débats... -et ainsi, d’assurer leur déontologie1698.
6Nous proposons d’aborder ces questions en envisageant successivement les garanties de déontologie offertes par les parties (Chapitre I) puis celles offertes par le tiers, conciliateur ou médiateur (Chapitre II).
Notes de bas de page
1684 Voir les craintes formulées récemment dans deux rapports officiels : Le rapport de la Commission de réforme de l’accès au droit et à la justice présidée par P. BOUCHET, intitulé La réforme de l’accès au droit et à la justice, La documentation française, mai 2001, spéc. p. 53 où il est question du « Développement des garanties qui entourent les modes alternatifs de règlement des conflits » ; le rapport du Conseil Economique et Social présenté par M. LINDEPERG, intitulé Médiation et conciliation de proximité, éd. Les journaux officiels, Juillet 2001, spéc. p. 95 où il est question des « risques et des difficultés de la médiation et de la conciliation ».
1685 B. BASTARD, Défense et médiation, in Dossier Avocats et défense, n° hors série de la revue Justice, Recueil Le Dalloz, déc. 2001, p. 61 et s.
1686 B. BASTARD, Défense et médiation, art. préc., p. 62.
1687 Rapport du Conseil Economique et Social, préc., p. 95.
1688 Rapport du Conseil Economique et Social, préc., p. 95.
1689 Rapport du Conseil Economique et Social, préc., p. 95.
1690 En ce sens, La réforme de l’accès au droit et à la justice, rapport préc., p. 53.
1691 B. BASTARD, Défense et médiation, art. préc., p. 63.
1692 B. BASTARD, Défense et médiation, art. préc., p. 63.
1693 B. BASTARD, Défense et médiation, art. préc., p. 63 : « Comment peut-on penser que les employés et les employeurs, les femmes et les hommes, sans même parler des auteurs d’infraction et de leurs victimes, soient à égalité dans un processus de discussion ? ».
1694 En effet, dans une telle hypothèse, le médiateur est confronté à un dilemme : « si le médiateur prétend soutenir et défendre lui-même le point de vue de la partie faible, il perd sa supposée neutralité et court le risque de se voir disqualifier ; dans le cas contraire, il ne fait que laisser en l’état les inégalités existantes », B. BASTARD, Défense et médiation, art. préc., p. 63. Une troisième voie s’offre encore au médiateur : celle de suspendre la médiation jusqu’à ce que les parties soient assistées d’un conseil ou, en cas de refus de leur part de se faire assister, éventuellement refuser de remplir sa mission pour des raisons éthiques.
1695 Le lien entre l’équité de la procédure et celle de la solution amiable est établi par L. CADIET, Une justice contractuelle l’autre, art. préc., p. 195 : « L’équité de la procédure contractuelle devrait assurer l’équité de la convention » ; X. LAGARDE, in Droit processuel/droit commun du procès, op. cit., n° 583 : « Le respect des garanties procédurales suffit à garantir la validité au fond de la solution ou de la décision prise ».
1696 La réforme de l’accès au droit et à la justice, rapport préc., p. 53. On pense notamment à la question de la rémunération des avocats et de sa prise en charge par l’Etat grâce à l’aide juridictionnelle.
1697 Décret d’application de la loi n° 98-1231 du 18 décembre 1998, JO 15 juin 2001, p. 9475, D. 2001, lég. 2007, JCP. G. 2001. III. 20512 ; L. CADIET, Chronique de droit judiciaire privé, JCP. G. 2001. I. 362, n° 2.
1698 La réforme de l’accès au droit et à la justice, rapport préc., p. 53.
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