Introduction au titre I
p. 47-49
Texte intégral
126. Construire des identités. La réalité d’un système de parenté, en tant que partie de la structure sociale dépend de la sélection de ses principes. En effet, le système de parenté est un instrument de reproduction de l’ordre social. L’État devient garant des places structurales, il assure les montages de la filiation en fournissant des principes directeurs. Ces principes participent à l’équilibre de notre société et permettent la création d’un repère social indispensable au sein du groupe comme au sein de la société. Ils traduisent le pouvoir de se reproduire selon un référent, celui de la loi de l’espèce. « Tout individu joue son identité selon ce rapport à ce référent »145. Aussi, pour qu’il y ait identité, il faut que soit maintenue la voie légale de l’identification au couple procréateur et, il est, en outre, nécessaire que l’individu ait affaire à un système institutionnel qui le structure. Ainsi, il a été très justement écrit qu’ « entre homme et femme, [l’individu] est appelé à discerner ce qui le fonde dans l’unité de la différence sexuelle. Entre naissance et mort, il est appelé à discerner ce qui le fonde dans la généalogie des vivants »146. Soucieuses de répondre aux principes référentiels du système de parenté, les règles de la filiation s’articulent autour des principes créateurs et des principes de structuration du groupe.
227. Le système de parenté soumis à des mutations. Pourtant la parenté, sous une impression trompeuse de stabilité, pourrait subir des mutations qui sont finalement bien souvent le résultat de toutes les autres évolutions. Tiraillé par des revendications diverses, le système de parenté est alors menacé de déconstruction. Tout le monde se souvient du scandale que souleva le clonage de la brebis Dolly147, et de la peur, partagée par les médias, de voir reproduire cette expérience sur les humains148. Si cette manipulation scientifique était appliquée avec le même succès à l’homme, elle ouvrirait de nouvelles perspectives potentiellement inquiétantes pour l’espèce humaine149. En effet, le clonage reproductif remet en cause le brassage des gènes qui est le fondement de la spécificité de chaque être humain et qui constitue une protection majeure de celui-ci contre une éventuelle volonté sociale de le prédéterminer. Il implique une forme extrême de cumul d’identités : confusion de générations, brouillage de la généalogie et difficulté de penser une identité dépourvue de repères naturels. Il permet à un individu d’être théoriquement le jumeau de son « père » ou de sa « mère » génétique. Comme l’a exactement remarqué le Comité National Consultatif d’Éthique, « le clonage reproductif inaugurerait un bouleversement fondamental de la relation entre identité génétique et identité personnelle dans ses dimensions biologiques et culturelles. Ainsi serait minée la valeur symbolique du corps humain comme support de la personne dans son unicité »150. Dès lors, la réaction politique ne se fit pas attendre et fut presque universelle151. En France, puisqu’il était de l’avis de tous que la reproduction humaine par clonage réaliserait « l’irréversible et l’irréparable »152, la loi 6 août 2004153 est venue consacrer la prohibition154. Ainsi, l’interdit fut posé à l’article 16-4, alinéa 2 du Code civil et à l’article L. 2151-3 du Code de la santé publique. Par ailleurs, il fût réprimé, sous la qualification pénale de crime contre l’espèce humaine, à l’article 214-2 du Code pénal. Le cas Dolly est révélateur des véritables enjeux qui se posent aux sociétés et qui sont liés aux principes universels qui organisent la parenté. Il illustre, de manière exacerbée, les dangers d’une remise en cause des principes directeurs du système de parenté. Or, l’évolution du droit contemporain de la famille a fait naître de nombreuses revendications telles que la place des beaux-parents, l’homoparenté qui a, ainsi, créé une instabilité certaine dans les principes créateurs du groupe (Chapitre I). Quant à la stabilité des principes structurants, elle n’est en réalité que relative face aux concepts d’adoption intra-familiale et de révocabilité de certains liens de parenté (Chapitre II). Ces principes étant des réponses afin de créer des identités individuelles à partir de différences manifestes entre les sexes, les générations et l’ordre des naissances (aînés et cadets) leur altération met en danger l’instauration de l’identité des sujets dans la parenté, puis au-delà, dans la société155. C’est pour cela qu’il faut mettre l’accent sur cette nécessaire résistance des principes directeurs.
Notes de bas de page
145 LEGENDRE Pierre, « Pouvoir généalogique de l’État », In Autorité, responsabilité parentale et protection de l’enfant, Confrontations Européennes Régionales, éd. Chronique sociale, coll. Synthèse, 1992, p. 365.
146 BLAISE-KOPP Françoise, « Enfant : Grandir avec des parents pour devenir homme ou femme », RRJ Droit prospectif, 2004, n° 4, p. 2695.
147 RAOUL-CORMEIL Gilles, « Clonage reproductif et filiation. La chaîne des interdits », JCP éd. G., 2008, I, 128.
148 Le clonage reproductif est interdit par tous les États, mais certains laboratoires en Asie mènent des recherches dans ce domaine. GODELIER Maurice et MINGASSON Lise, « Actualité de la parenté. Dans une perspective anthropologique », Informations sociales, 2006/3, n° 131, p. 22.
149 Deux procédés peuvent être utilisés pour atteindre ce résultat : le clonage par scission d’embryon et le clonage par transfert cellulaire. Le premier consiste à déclencher artificiellement in vitro ce qui se produit naturellement chez les mammifères en cas de gémellité vraie, ce qui oblige, au moment où l’embryon fécondé se divise en deux cellules, à séparer celles-ci de telle sorte que chacune d’elles produise à son tour un embryon. La seconde méthode nécessite d’introduire, dans le cytoplasme d'un ovule non fécondé dont on a retiré le matériel nucléaire, le noyau d’une cellule provenant d’un embryon, d'un fœtus ou d'un organisme adulte. On cherche alors à leurrer le cytoplasme de l’ovocyte qui tente d’organiser le nouveau noyau pour lui redonner ses caractéristiques embryonnaires. V., DORSNER-DOLIVET Annick, « De l’interdiction du clonage à la réification de l’être humain Loi n° 2004-800 du 6 août 2004 », JCP éd. G., 2004, I, 172.
150 Avis n° 54 du CCNE, réponse au Président de la République au sujet du clonage reproductif, 22 avril 1997, http://www.ccne-ethique.fr/docs/fr/avis054.pdf, p. 18.
151 RAOUL-CORMEIL Gilles, « Clonage reproductif et filiation. La chaîne des interdits », JCP éd. G., 2008, I, 128 : « La Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme qui fut adoptée à Paris le 11 novembre 1997 par l’Unesco fut la première manifestation d’une série de textes prohibitifs : son article 11 interdit le clonage à des fins de reproduction d’un être humain. Le 12 janvier 1998, le Conseil de l’Europe adopta un protocole additionnel à la « Convention bioéthique » du 4 avril 1997 pour prohiber l’application du clonage reproductif à l’espèce humaine. Le droit communautaire se fit ensuite l’écho à plusieurs reprises de cette condamnation en prescrivant l’interdiction à l’article 3, paragraphe 2, in fine de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée à Nice, le 7 décembre 2000, mais surtout en excluant de la brevetabilité tous les procédés de clonage des êtres humains à l’article 6 de la directive n° 98/44/CE du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques ».
152 Avis n° 54 du CCNE, réponse au Président de la République au sujet du clonage reproductif, op. cit., p. 7.
153 Loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, JO du 7 août 2004, p. 14040. V., DORSNER-DOLIVET Annick, op. cit.
154 Pour un exposé complet, V. BINET Jean-Réné, « La loi relative à la bioéthique. Commentaire de la loi du 6 août 2004 (3ème partie) », Dr. famille, décembre 2004, étude n° 28.
155 BLAISE-KOPP Françoise, op. cit.
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