Les « Solutions fondées sur la Nature » pour répondre aux crises du climat et de la biodiversité
p. 153-169
Résumé
Une « Solution fondée sur la Nature » (SfN) est un terme récent qui regroupe des actions de conservation, gestion et restauration des écosystèmes pour répondre à un ou plusieurs défis sociétaux liés à la Nature. Les crises actuelles de la modification du climat et de l’érosion de la biodiversité placent nos sociétés humaines dans une situation inédite où elles devront choisir entre adaptation ou résilience pour perdurer. Pour y faire face, un large panel de solutions existe déjà et d’autres doivent encore être inventées. Les SfN sont une catégorie de solutions qui répondent à une série de critères stricts. Elles valorisent les actions bénéfiques pour la biodiversité en produisant une large gamme de services écosystémiques en faveur de nos sociétés dans un cadre global et solide de durabilité, responsabilité et efficacité. Le contexte de la situation environnementale mondiale, des services que nous procurent les écosystèmes, et des moyens possibles pour les préserver ou les amplifier notamment par des approches écosystémiques, sera brossé au travers d’exemples. Ils permettront de comprendre pour quels besoins et applications la notion de SfN a récemment été développée par l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) et la Commission Européenne. L’apparition du concept de SfN et son récent cadre d’application qui se veut vertueux en termes environnementale, économique et social sera enfin détaillé.
Texte intégral
Les crises du climat et de la biodiversité
1Le changement climatique et la perte de la biodiversité font peser de grands risques sur nos sociétés humaines qui fonctionnent à partir de processus naturels pour nombre de nos besoins essentiels tel que la nourriture, l’eau, les ressources naturelles, la qualité de l’air ou la stabilité des conditions climatiques. Depuis le premier rapport du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) en 1990 et l’évolution de la compréhension des processus climatiques ou encore de la modélisation, les scientifiques ont aujourd’hui la preuve formelle de l’impact de l’espèce humaine sur le réchauffement global de la planète1. Les conséquences du changement climatique, de l’échelle mondiale à l’échelon locale, sont également de mieux en mieux comprises et prises en comptes2 notamment avec l’accord de Paris lors de la COP21. Les menaces grandissantes qui pèsent sur la biodiversité sont évaluées systématiquement depuis 1948 par l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) qui participe à une montée en puissance et un développement continu des techniques d’évaluation. En 1992-1993, la CBD (Convention on Biological Diversity : Convention sur la diversité biologique) a regroupée 165 pays autour de 3 obligations au niveau national de conservation et d’exploitation durable de la diversité biologique pour pouvoir partager ses bénéfices3. En 2021 paraît le premier rapport commun du GIEC et de l’IPBES (l’organisme équivalent au GIEC pour la biodiversité, Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services : Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique pour la biodiversité et les services écosystémiques4). En effet, les crises du climat et de la biodiversité sont étroitement liées. Le changement climatique exacerbe les risques sur la biodiversité alors que les écosystèmes jouent un rôle clé dans les flux de gaz à effet de serre.
2Les modifications en cours se font à une vitesse inégalée et à l’échelle planétaire.
3En ce qui concerne le climat, un réchauffement de 1 °C est déjà observé à l’échelle globale par rapport à l’ère préindustrielle dont une forte augmentation de 0,2 °C par décennie depuis le début du xxie siècle. Toutes les régions du monde (avec une répartition inégale) sont déjà frappées par des phénomènes de fortes chaleurs, de sécheresses et de précipitations extrêmes. D’ici la fin du siècle (2081-2100), les grandes catastrophes décennales d’aujourd’hui se produiront tous les 2,5 ans pour les sécheresses, tous les 3,5 ans pour les précipitations et tous les ans pour les canicules.
4Le changement climatique a des impacts négatifs sur de nombreux aspects de la biodiversité tels que la répartition des espèces, la dynamique des populations, la structure des communautés ou le fonctionnement des écosystèmes. À cela s’ajoutent les autres pressions liées à l’être humain avec le changement d’utilisation des terres et des mers, la surexploitation des ressources, la pollution et les espèces invasives. La chute de la biodiversité se fait à un rythme de dizaines voire de centaines de fois plus important qu’au cours des 10 derniers millions d’années. Ainsi, 77 % de la surface terrestre (hors Antarctique) et 87 % des océans sont altérés par l’action de notre espèce et seulement 3 % des espaces marins sont classés comme épargnés par la pression humaine. L’érosion de la biodiversité est massive. En effet, 25 % de toutes les espèces animales et végétales sont classées comme menacées d’extinction, pour la plupart à l’échelle de quelques décennies. Plus de 80 % de la biomasse des mammifères sauvages a été perdu et l’abondance des espèces locales (animaux et végétaux) a chuté d’au moins 20 % dans la plupart des grands biomes terrestres ce qui réduit généralement les fonctionnalités des écosystèmes et donc les contributions de la Nature à l’espèce humaine5.
5En conséquence, nos activités influencent la biosphère à un point tel qu’elles sont devenues une force capable de modifier significativement et durablement notre planète. On parle parfois « d’anthropocène » pour souligner l’impact de notre espèce sur la Terre. Si la Nature dans son ensemble sera résiliente à l’échelle des temps géologiques, ce sont nos sociétés humaines qui vont devoir trouver des voies d’adaptation et de résilience pour surmonter les modifications en cours. Répondre à la double crise du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité est donc essentiel pour soutenir le bien-être humain et ne pas accentuer les risques sociétaux.
Les défis sociétaux dans un monde en changement
6Nos sociétés humaines doivent répondre à des défis ; sécurité de l’approvisionnement en eau, sécurité alimentaire, santé et bien-être humain, réduction des risques naturels, adaptation au changement climatique et atténuation de ses effets, inversion du processus de dégradation des écosystèmes et de la perte de biodiversité. Ces risques, qui lient intrinsèquement nos sociétés à la Nature vont prendre une part de plus en plus importante à court terme dans nos systèmes socio-économiques. Leurs prises en compte dans les décisions politiques internationales, nationales et locales sont devenues incontournables.
Sécurité de l’approvisionnement en eau
7La demande en eau est de plus en plus forte avec l’augmentation de l’agriculture intensive et de l’élevage. Un exemple tristement célèbre est l’assèchement de la quasi-totalité de la mer d’Aral (67 300 km2 en 1960) par le développement de l’agriculture. De plus, l’insécurité de l’approvisionnement en eau potable est exacerbée par nos eaux usées dont 80 à 90 % sont encore rejetées dans les eaux de surface dans les pays en voie de développement.
8Le changement climatique favorise également l’assèchement. L’augmentation des températures accroît l’évaporation et dans le même temps élève la quantité de vapeur d’eau pouvant être contenue dans l’atmosphère (la pression de vapeur saturante augmente). Certaines zones vont donc être régulièrement soumises à des pluies torrentielles (voir « 2.4 Réduction des risques naturels ») lorsque d’autres vont s’assécher de plus en plus rapidement. Actuellement 4 milliards de personnes (60 % de la population mondiale) vivent dans des régions avec un état presque continu de stress hydrique. En parallèle la ressource en eau est de moins en moins disponible pour les écosystèmes. La régression de la végétation (par l’aridification notamment) induit pourtant une diminution de l’évapotranspiration par les feuilles et le maintien de l’eau de ruissellement des pluies dans la terre fertile et la biomasse végétale. Ainsi, un rétrocontrôle négatif se met en place.
Sécurité alimentaire
9Plus de 795 millions de personnes sont malnutris à travers le monde6. La réponse à ce défi sociétal était considérée dans le passé comme dépendante de la production agricole, nécessitant donc une augmentation des rendements pour répondre à la demande. Cette réflexion a ainsi mené au développement de l’agriculture et l’élevage intensifs, soutenu par des produits phytosanitaires. Ce système montre actuellement ses limites, avec entre autres un appauvrissement des terres, des cultures trop peu adaptables au changement climatique (gourmande en eau pour les cultures irriguées ou peu résistante au stress hydrique pour les cultures non irriguées) et une répartition non homogène des ressources. De plus, l’insécurité alimentaire est exacerbée par le déséquilibre entre les cultures destinées à l’alimentation humaine, l’alimentation du bétail et les biocarburants. Actuellement, avec le changement climatique et la meilleure prise en compte de la productivité des différents systèmes agricoles, une vision plus holistique de ce problème se développe.
Santé et bien-être humain
10La crise du CoVid-19 a mis en avant la problématique de la surexploitation des zones naturelles et des espèces sauvages comme des foyers potentiels (avec l’élevage intensif) d’apparition de nouvelles pathologies. A contrario, les espaces naturels sont reconnus comme étant déterminants pour la santé et le bien-être humain7. Les retombées sont psychologiques mais également physiques avec, notamment en ville, la régulation de la température et la réduction du bruit par exemple. La Nature est également un foyer important d’innovation en pharmacopée et la disparition d’espèces réduit ce réservoir naturel.
11D’autres facettes du bien-être humain doivent être prises en compte, telles que l’inégalité entre les genres ou la réduction de la pauvreté qui peut passer par le développement socio-économique.
Réduction des risques naturels
12Dans les catastrophes naturelles, nous pouvons lister les inondations, les feux de forêts, la submersion marine ou encore les tempêtes qui sont toutes amplifiées par le changement climatique8. La sécheresse est responsable de l’augmentation du nombre et de l’étendue des feux de forêts (avec les exemples récents de l’Australie en 2020). L’augmentation de la quantité de vapeur d’eau dans l’air induit l’amplification des pluies dans certaines régions du monde et les risques de crues et d’inondations. Ce phénomène s’accompagne souvent de violents orages par l’augmentation de la quantité d’énergie dans l’air (lié à l’augmentation de la température et de la quantité d’eau dans l’air). Cette énergie va également faire augmenter le nombre de tempêtes, ouragans, cyclones ou typhons en nombre et en intensité, selon les régions du monde. Ces tempêtes expliquent une partie de l’augmentation du risque de submersion marine qui est également associé à la montée du niveau de l’eau (augmentation de 16 à 21 cm depuis 1900 à raison de 3,4 mm par an sur la période 1993-20189). La chaleur à elle seule devient un risque majeur avec la multiplication en fréquence et en intensité des canicules, voire même de l’apparition de zones littéralement invivables pour l’espèce humaine. Deux zones dans le golfe persique sont d’ores et déjà impropres à la survie humaine depuis 2020 à cause de l’augmentation de la température et de l’humidité de l’air.
Inversion du processus de dégradation des écosystèmes et de la perte de biodiversité
13L’érosion de la biodiversité est observée sur l’ensemble du globe et se poursuit à un rythme très important (voir la première partie). Afin de préserver la diversité de la Nature mais également pour conserver les services écosystémiques qui profitent à l’humanité, la perte de biodiversité doit être limitée, d’autant plus que ce défi a une influence majeure sur tous les autres.
Adaptation au changement climatique et atténuation de ses effets
14Comme nous l’avons dit, le changement climatique est en cours avec une augmentation d’environ 1 °C par rapport aux moyennes préindustrielles et ses effets se font déjà ressentir. Cependant, les prévisions à l’horizon 2081-2100 vont d’une augmentation de 1,0 °C à 5,7 °C en fonction des réactions de nos sociétés. Le défi du changement climatique est donc double à savoir, s’y adapter pour continuer à vivre dans ce monde en changement mais également chercher à l’atténuer pour limiter la hausse de température et ses effets sur le climat. La destruction des espaces naturels diminue les chances de résilience face à ces changements. Par exemple, la disparition d’habitats côtiers tels que les mangroves ou les marais salés augmente le risque de submersion lors des tempêtes, et la réduction de la déforestation et de la dégradation des forêts pourrait permettre de stocker 0,4 à 5,8 GtCO2 par an. Finalement, ce défi est d’autant plus important qu’il démultiplie les autres risques listés.
Les Solutions pour répondre aux crises du climat et de la biodiversité
15Il existe un large panel de solutions pour répondre à ces défis sociétaux (Figure 1) dont une partie est basée sur des approches écosystémiques. En effet, la Nature nous fournit déjà de nombreux services et bienfaits écosystémiques que nous pouvons détériorer, préserver ou amplifier en fonction de nos actions.
Les services écosystémiques
16Brièvement, le concept de services écosystémiques repose sur le fait que la Nature est essentielle pour le fonctionnement de nos sociétés. En effet, la plupart des apports de la Nature aux humains ne sont pas intégralement remplaçables et certains sont mêmes irremplaçables. Pour lister des exemples de services écosystémiques, nous pouvons regrouper ceux liés : à la régulation de processus environnementaux (tel que la pollinisation, la régulation du climat, les évènements extrêmes ou encore les apports en eaux douces) ; aux matériaux et assistances (tel que l’énergie ou l’alimentation) ; et aux apports immatériels (tel que les valeurs culturelles).
17Parmi les 18 grandes catégories de services écosystémiques dont les tendances mondiales ont été évaluées par l’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services : Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), 14 sont en déclin. Pour prendre un exemple concret, la production agricole a presque triplé en valeur économique depuis 1970. Cette production est dépendante de processus tirés de la Nature tels que les cycles biogéochimiques du sol, les insectes polinisateurs ou les ravageurs. Or, les catégories de services associés au carbone organique des sols ou à la diversité des pollinisateurs ont décliné. La dégradation des sols entraîne déjà une baisse de 23 % de la productivité agricole et la disparition des pollinisateurs risque de causer une perte annuelle de 235 à 577 milliards de dollars.
18Cet exemple illustre clairement que l’exploitation de la Nature par l’espèce humaine trouve ses limites lorsqu’elle est associée à une dégradation des écosystèmes. En d’autres termes, l’espèce humaine ne pourra durablement puiser les ressources nécessaires à sa survie et à son épanouissement qu’en travaillant avec la Nature et les services offerts par les écosystèmes.
19Plus globalement, le coût de l’érosion de la biodiversité est très lourd. L’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques) estime que la perte des services écosystémiques issue de la modification de la couverture des sols a coûté à elle seule à l’échelle mondiale de 4 000 à 20 000 milliards de dollars par an entre 1997 et 201111.
Génie technologique et infrastructures grises
20Pour répondre aux défis sociétaux de notre monde ultra-anthropisé, le panel de solutions est très large. Les réponses les plus souvent mises en avant passent par la technologie humaine. On peut par exemple répondre à un besoin en eau en développant des forages de nappes profondes, en dessalant l’eau de mer ou en construisant des barrages et de vastes réservoirs. De même, pour lutter contre la submersion marine, un nombre croissant de projets de bétonnage du littoral ou des petits fonds côtiers voient le jour. On peut citer le fameux exemple de MOSE (Modulo Sperimentale Elettromeccanico : module expérimental électromécanique) dont le système de digues artificielles protège la ville de Venise des inondations. Il y a surtout de très nombreuses petites actions locales de renforcement des littoraux sur quelques dizaines ou centaines de mètres. En France plus de 10 000 ouvrages de protection du littoral sont recensés12 dont 1 665 ont été installés uniquement pour lutter contre l’érosion côtière13. Ces structures sont parfois appelées des « infrastructures grises » en opposition aux solutions utilisant la Nature qui sont appelées « infrastructures vertes », voire en mer « infrastructures bleues ». Ces infrastructures grises ont l’avantage d’être complètement fonctionnelles dès leur mise en place (mais cela peut être long pour les projets d’envergures, 20 ans d’études puis 20 de travaux pour le projet MOSE). Cependant, leur durée de vie est limitée (quelques décennies pour les panneaux photovoltaïques ou pour le béton immergé en mer par exemple). Ce raisonnement est généralement inversé pour les infrastructures vertes ou bleues. Le retour des services est long avant que l’écosystème soit fonctionnel mais la distribution de ces services écosystémiques est ensuite pérenne dans le temps.
Les solutions basées sur des approches écosystémiques
21Il existe un grand nombre d’approches écosystémiques pour lutter contre l’érosion de la biodiversité ou pour favoriser des services fournis par les écosystèmes. Ces approches peuvent être regroupées en mesures de protection, gestion, restauration et création d’écosystèmes.
22À l’échelle mondiale, 15 % des terres et 7,5 % des océans sont protégés. La protection au sens strict est une protection intégrale des espèces et des espaces naturels. Les réserves intégrales (protection complète ou forte) offrent des réservoirs de biodiversité qui ont une meilleure résilience aux perturbations, permettent la diffusion d’espèces aux zones adjacentes et produisent complètement les services associés aux écosystèmes concernés. Ces réserves intégrales favorisent donc efficacement la biodiversité tout en apportant une bonne résilience au changement climatique. Les autres aires protégées (moyennement, faiblement ou non protégée) apportent des degrés de conservation moindre limitant ainsi les effets bénéfiques.
23En plus des aires protégées, des mesures de gestion plus globales peuvent être bénéfiques à la biodiversité et à la régulation du climat. On pourra par exemple citer la protection à l’échelle nationale et européenne des herbiers de Posidonie, une plante marine de Méditerranée. Ces herbiers abritent 20 à 25 % de la biodiversité méditerranéenne et sont parmi les puits de carbone les plus efficaces de la planète. Les mesures de protection et gestion qui concernent ces herbiers sur l’intégralité du littoral sont donc bénéfiques pour la biodiversité et le climat.
24Dans le cas des écosystèmes dégradés ou détruits, des actions de restauration peuvent être mises en place. Les Nations unies ont d’ailleurs dédié la décennie (2021-2030) à la restauration des écosystèmes. Différents types d’actions sont généralement regroupés sous l’appellation « restauration écologique ». On y trouve les actions de restauration écologique au sens strict mais également les actions de réhabilitation et de réaffectation écologiques. La restauration écologique stricte consiste à remettre en état l’écosystème d’origine (l’habitat et les espèces qui y vivent). La réhabilitation écologique signifie que l’écosystème d’origine est remplacé par un autre dont les fonctions écologiques et les gains en termes de biodiversité peuvent être différents. La réaffectation écologique est mise en œuvre dans des sites fortement dégradés ou anthropisés ; où un écosystème fonctionnel ne peut plus se développer. Dans ce cas, des installations sont mises en place pour apporter une ou plusieurs fonctions écologiques sur le site. C’est généralement le seul cas listé ici qui n’est pas une approche écosystémique. Par exemple, la « reforestation » (un anglicisme que l’on peut traduire par « reboisement ») est une mesure de restauration écologique stricte ; « l’afforestation » (ou « boisement ») qui consiste à planter des arbres dans un écosystème dégradé qui n’était pas une forêt à la base est une action de réhabilitation ; et planter des arbres en villes est une mesure de réaffectation (sans pour autant créer un écosystème, les arbres aident à rafraîchir les villes ou encore à favoriser le bien-être psychologique).
25Pour répondre à un défi sociétal, la création d’un écosystème dans un secteur où il n’était pas présent pour profiter de ses services écosystémiques est également possible. Par exemple, avec l’implantation d’une mangrove et/ou d’un marais salé le long d’une côte sableuse derrière laquelle se trouve des infrastructures humaines (habitations, industries, cultures) soumises à un risque élevé de submersion marine (Figure 1D).
26Ne nous y trompons pas, ces différentes actions, qui peuvent être extrêmement profitables pour la biodiversité mais aussi pour l’humanité par les services écosystémiques fournis, peuvent également être peu efficaces au regard des coûts investis pour leur mise en place, voire non fonctionnelles ou même néfastes aux écosystèmes. Ainsi, la grande majorité des aires protégées ne sont pas efficaces. La plupart du temps, les mesures de protection sont faibles (en autorisant de nombreuses pratiques) ou difficilement applicables (par l’absence ou la faible quantité de moyens de contrôle). À titre d’exemple, il y a 1 062 aires marines protégées dans le bassin méditerranéen qui occupent 6 % de sa superficie mais seulement 0,23 % du bassin est complètement ou fortement protégé14. Au total, 95 % des aires marines protégées en Méditerranée n’apportent d’ailleurs pas plus de protection que les zones adjacentes hors réserve.
27En outre, une action de restauration écologique doit se faire à une échelle suffisante pour permettre à un écosystème fonctionnel d’y prospérer. Ce raisonnement inclut également la connectivité entre la zone restaurée et les zones naturelles adjacentes pour permettre les flux d’espèces. De plus, les pressions qui ont dégradé cet espace ne doivent impérativement plus être présentes pour qu’un écosystème puisse réellement s’installer sur la durée. Dans le cas d’une forêt qui a disparu en raison d’une surexploitation pour le bois de chauffage par les populations locales, une action de restauration écologique doit suivre un schéma simple qui est encore trop souvent négligé. Les mêmes essences végétales doivent être replantées à des échelles spatiales et temporelles permettant le retour puis le maintien d’une biodiversité riche. De plus, les populations locales doivent être associées au projet et celui-ci doit prévoir, en accord avec ces dernières, une solution alternative de chauffage pour stopper l’exploitation du site. Les mesures « d’afforestation » sont pour le moment trop souvent associées à des actions de compensations écologiques. Par exemple, de nombreux produits vantent la plantation d’arbres pour l’achat d’un produit ou d’un service. Si le boisement de friches peut être une action très positive, elle ne doit pas se faire à partir d’essences d’une seule espèce d’arbre sélectionné pour sa croissance rapide au risque d’appauvrir les espaces et les sols. De plus, le boisement ne devrait pas se faire sur des espaces naturels fonctionnels tels qu’une prairie ou une plaine dont la diversité en faune et flore est florissante car cela consiste à détruire un écosystème pour en implanter un autre.
28La plantation d’arbres en ville est souvent une action très positive mais elle n’apporte que très peu de bénéfices en termes de biodiversité et de services. Ce type d’actions est pourtant souvent hautement valorisée par les communes en vantant des retours trop ambitieux par rapport à l’action réellement mise en œuvre. Ce dernier point met particulièrement en lumière le besoin croissant de nouveaux indices capable d’informer sur l’apport effectif d’une mesure environnementale.
29Enfin, la création d’un écosystème pouvant dans certains cas remplacer l’installation d’une infrastructure grise tout en apportant d’autres services et en favorisant la biodiversité peut aussi s’avérer néfaste. Quelques années en arrière, de nombreux programmes de création de mangroves ayant pour objectif la protection du littoral ont été développés sur la côte africaine en utilisant une espèce de palétuvier d’origine asiatique dont la culture et la croissance sont bien meilleures que les espèces africaines. Cela a eu pour conséquence d’appauvrir le littoral par une absence de diversité, mais également d’apporter des espèces invasives venues d’Asie avec les palétuviers qui ont ainsi été responsables d’une diminution de la biodiversité locale.
30Les solutions basées sur des approches écosystémiques pour répondre aux défis du climat et de la biodiversité doivent donc se faire en suivant un cadre strict pour s’assurer d’une bonne efficacité. L’écologie est une science basée sur les interactions complexes entre les compartiments qui constituent un écosystème, telles que les espèces ; les espaces (physique) ; les fonctions (producteur primaire, minéralisation bactérienne, prédateur, etc.) ; les processus (flux de matières, succession écologique, etc.) ; les interactions (espèces ingénieurs, régulation des proies, compétition, etc.) et bien d’autres. La modification d’un seul compartiment peut en influencer de nombreux autres et faire évoluer l’équilibre dynamique des écosystèmes concernés. La carence de l’apprentissage de cette science dans le parcours scolaire est aujourd’hui un frein au développement des approches écosystémiques. En effet, une bonne compréhension des processus globaux mis en œuvre par une action est nécessaire pour en évaluer le réel potentiel. Encore trop souvent, ces approches écosystémiques sont simplifiées à l’extrême pour les mettre en valeur sans prendre en compte leur efficacité globale. C’est face à ce constat que le terme de « Solution fondée sur la Nature » a vu le jour.
Le concept des Solutions fondées sur la Nature
31Le terme de Solution fondée sur la Nature (SfN) regroupe les approches écosystémiques listées ci-dessus à partir du moment où elles répondent à une série de critères qui ont été définis pour valoriser des actions aux bénéfices multiples.
32Grâce à l’élan de l’UICN, la définition de SfN a été progressivement construite sur près d’une vingtaine d’années (Figure 2).
33Depuis 2015-2016 l’IUCN et la Commission Européenne proposent chacune une définition15 (Tableau 1).
UICN (2016) | Commission Européenne (mise à jour en 2020) |
Actions pour protéger, gérer de manière durable et restaurer les écosystèmes naturels ou modifiés qui répondent à des défis sociétaux de manière efficace et adaptative en procurant simultanément des bénéfices au bien-être humain et à la biodiversité. | Les SfN pour répondre aux défis sociétaux sont les solutions qui sont inspirées et supportées par la nature, qui ont un bon rapport coût-efficacité, qui fournissent simultanément des bénéfices économiques, sociétaux et environnementaux et qui aident à mettre en place la résilience. Ces solutions apportent plus (en quantité et en diversité) de nature et de fonctionnalités et de processus naturels dans les villes et les paysages (terrestres et sous-marins) à travers des interventions adaptées localement, efficaces en termes de ressources, et systémiques. Les SfN doivent bénéficier à la biodiversité et aider à fournir une gamme de services écosystémiques. |
34Une SfN est une action qui répond efficacement à un ou plusieurs défis sociétaux tout en apportant des bénéfices à la fois à la biodiversité et au bien-être humain. Les défis sociétaux concernés sont ceux développés ci-dessus à savoir : l’adaptation au changement climatique et l’atténuation de ses effets ; la réduction des risques naturels ; la santé humaine ; le développement socio-économique ; la sécurité alimentaire ; la sécurité de l’approvisionnement en eau ; et favoriser à nouveau les écosystèmes et la biodiversité (ce dernier cas ne devant pas être le seul pris en compte pour répondre aux critères de SfN). Les 3 grands types actions qui peuvent être des SfN sont la protection, la gestion (ou utilisation) durable des écosystèmes et la restauration écologique à partir du moment où dans leurs conceptions ces actions visent à répondre à un besoin sociétal tout en favorisant les fonctions écosystémiques et ainsi la biodiversité et le bien-être humain. Dans la conception d’une approche écosystémique en tant que SfN, la compréhension de la situation sociale, économique et environnementale du site est nécessaire pour pouvoir répondre correctement et pleinement à la problématique. Afin de fournir des services sur la durée, l’intégrité de la structure et des fonctions de l’écosystème doit également être préservée. Une approche systémique est donc largement recommandée pour produire une SfN fonctionnelle.
35En 2020, l’UICN a publié un standard mondial pour définir un cadre multicritère des SfN. Les 8 critères et 28 indicateurs qui le composent permettent d’évaluer dans quelle mesure une solution proposée ou existante présente les caractéristiques d’une SfN et de concevoir des solutions délibérément conformes aux SfN16. Le premier critère est de répondre à un ou plusieurs des défis sociétaux listés ci-dessus. Le 2e est de concevoir une solution dont les impacts se font ressentir à une échelle spatiale suffisante pour permettre sa robustesse et sa pérennité. Les 3e, 4e et 5e portent sur les processus environnementaux, économiques et sociétaux avec un rappel qu’un gain net en biodiversité doit être acquis, que le projet doit être économiquement viable et efficace tout en incluant toutes les parties prenantes dans la construction de ce projet. Le critère 6 prend en compte les compromis nécessaires entre les bénéfices immédiats et futurs pour remplir les 3 critères précédents. L’avant dernier critère s’intéresse à la gestion adaptative de la solution et le dernier s’intéresse à la durabilité en intégrant la solution dans des processus globaux (spatiaux et temporels) pour faire perdurer les retombées de l’action sur le très long terme.
36Les SfN peuvent s’entendre comme des actions isolées mais également comme un tissu de solutions à l’échelle d’une aire géographique soumise à des pressions (Figure 3).
37La figure 3 produite par l’UICN présente un cas d’étude théorique d’un réseau de solutions. Une zone fortement dégradée fait courir des risques majeurs d’inondation et de submersion marine sur des zones habitées, industrialisées et cultivées. Pour y faire face, les mangroves et marais salés sont restaurés. Les mangroves limitent le risque de submersion marine et les marais salés absorbent une grande quantité d’eau, ce qui réduit l’inondation des zones adjacentes. Afin d’augmenter l’efficacité à court terme de ces SfN une digue est construite pour contraindre les flux d’eau en dehors des zones habitées. Et enfin, dans le but de favoriser la biodiversité et la diffusion d’une large gamme de services écosystémiques, une connectivité est recréée par la restauration de forêts entre une aire protégée et les zones adjacentes.
38La notion de SfN est récente mais les projets qui entrent dans son cadre d’application se multiplient rapidement. Actuellement, le milieu urbain est celui qui a le plus intégré de SfN. Même si des SfN se développent sur tous les continents, cela s’explique en partie par le grand effort financier de l’Europe, notamment au travers des programmes Horizon H2020. Ces programmes sont principalement dédiés au milieu urbain avec des projets comme URBAN GreenUp visant à appliquer et valider une méthodologie afin de renaturer les plans urbains dans le but d’atténuer les effets du réchauffement climatique ; ou encore UNaLab contribuant au développement de communautés urbaines plus intelligentes, inclusives, résilientes et durables par la mise en œuvre de SfN, co-créé avec tous les acteur-rice-s locaux et les citoyen-ne-s, répondant aux défis urbains liés au changement climatique et à l’eau. Ces programmes H2020 se sont récemment ouverts aux milieux terrestre (hors urbain) et marin. Parmi ces projets, deux s’adressent au milieu marin, FutureMARES et MaCoBioS avec un objectif principal et commun d’adaptation et d’atténuation du changement climatique via des SfN. Le projet FutureMARES propose des actions et des stratégies socialement et économiquement viables en faveur de SfN. Le projet MaCoBioS a lui réuni une équipe pluridisciplinaire d’expert-e-s pour combler le manque de connaissances sur les interrelations entre le changement climatique, la biodiversité et les services écosystémiques et pour assurer une transmission efficace de ces connaissances aux parties prenantes. En effet, les connaissances écologiques à l’échelle du paysage sont parfois trop limitées pour mettre en place des SfN efficaces dans des espaces naturels alors que les solutions de génie écologique à destination du milieu urbain étaient déjà en plein essor ces dernières années. Pour développer le réseau et l’efficacité des SfN en ville, dans les systèmes agricoles et dans les différents biomes, des cas d’études issus de plateformes telles que l’UICN, NetworkNature, NBS Initiative, Oppla et PANORAMA peuvent être consultés.
39Développement d’une « infrastructure verte » et d’un plan de biodiversité à Barcelone (Espagne), face au réchauffement climatique et pour améliorer la qualité de vie en ville.
Notes de bas de page
1 IPCC, Climate Change 2021 : The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, V., Masson-Delmotte, P. Zhai et al., Cambridge University Press, 2021.
2 IPCC, Climate Change and Land : an IPCC special report on climate change, desertification, land degradation, sustainable land management, food security, and greenhouse gas fluxes in terrestrial ecosystems ; P. R. Shukla, J. Skea et al., Summary for Policymakers, Cambridge University Press, 2019.
3 https://www.cbd.int/history/ (consulté en aout 2021).
4 H.O. Pörtner, R.J. Scholes et al., IPBES-IPCC co-sponsored workshop report on biodiversity and climate change ; IPBES and IPCC, 2021.
5 IPBES, Summary for policymakers of the global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. S. Díaz, J. Settele et al., eds IPBES secretariat, Bonn, Germany, 2019.
6 FAO, IFAD and WFP, The State of Food Insecurity in the World 2015. Meeting the 2015 international hunger targets : taking stock of uneven progress, Rome, Food and Agriculture Organization, 2015.
7 S. Naeem, J.-C. Ingram et al., « Get the science right when paying for nature’s services », Science, 2015, 347(6227), p. 1206-1207.
8 UNDRR UN Office for Disaster Risk Reduction, Human Cost of Disasters : An overview of the last 20 years (2000-2019), report UNDRR, 2020.
9 https://sealevel.nasa.gov/ (consulté en aout 2021).
10 Adapté de IPCC (2019) – Special Report on the Ocean and Cryosphere in a Changing Climate..
11 OECD, Biodiversity : Finance and the Economic and Buisnesss Case for Action. Report prepared for the G7 Environment Ministers’ Meeting, 2019.
12 Donnée issue de GéoLittoral. Le portail de la mer et du littoral du ministère de la transition écologique. Consulté en aout 2021. http://www.geolittoral.developpement-durable.gouv.fr/premiers-enseignements-r476.html.
13 Donnée extraite de la cartographie des ouvrages et aménagements littoraux – Cerema / Ministère chargé de l’environnement. Version avril 2017.
14 J. Claudet, C. Loiseau et al., « Underprotected Marine Protected Areas in a Global Biodiversity Hotspot », One Earth, 2, p. 380-384, published by Elsevier Inc., 2020.
15 IUCN, Nature-based Solutions to address global societal challenges, (E. Cohen-Shacham, G. Walters et al.), eds Gland, Switzerland, IUCN, 2016. S. Naumann, D. McKenna, Biodiversity and Nature-based Solutions. Analysis of EU-funded projects, Publications Office of the European Union, 2020.
16 UICN, Orientations générales d’utilisation de Standard mondial de l’UICN pour les solutions fondées sur la nature, Première édition, Gland, Suisse, UICN, 2020.
17 IUCN (2016) – Nature-based Solutions to adress global societal challenges.
Auteurs
Chercheur et biologiste marin, Institut Océanographique Paul Ricard
Chercheuse et biologiste marin, Institut Océanographique Paul Ricard
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Les sources complémentaires du droit d’auteur français
Le juge, l’Administration, les usages et le droit d’auteur
Xavier Près
2004
Compensation écologique
De l'expérience d'ITER à la recherche d'un modèle
Virginie Mercier et Stéphanie Brunengo-Basso (dir.)
2016
La mer Méditerranée
Changement climatique et ressources durables
Marie-Luce Demeester et Virginie Mercier (dir.)
2022